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Le Mercure phallique d'une boulangerie de Pompéi - Musée de Naples

(photo © Patricia Carles)

Ce Mercure phallique ornait l'entrée d'une boulangerie située dans la


région IX de Pompéi (îlot 12 - 6). Portant une bourse d'argent dans la
main droite, son caducée dans la main gauche et arborant un phallus
géant, il était censé apporter la prospérité au boulanger et protéger les
clients du mauvais oeil.

deux bornes phalliques - Musée de Naples (photo © Patricia Carles)

le lupanar de Pompéi - emblème ithyphallique - en surimpression, le


grand phallus du Musée de Naples (photo © Patricia Carles)

Bien que le phallus du lupanar de Pompéi ait une signification clairement


sexuelle, la plupart des représentations ithyphalliques que l'on trouve
sur les murs de la ville, dans les rues, les jardins et les maisons ont bien
plutôt une fonction apotropaïque, une fonction protectrice d'essence
magico-religieuse. Car le sexe masculin en érection - qu'on appelait
"fascinus" - fascine : il oppose sa glorieuse vitalité au mauvais oeil dont il
détourne le pouvoir mortifère. Aussi les Romains lui ont-ils toujours voué
un culte dont le plus ancien est celui de Mutunus Tutunus, auquel ils
avaient construit un sanctuaire sur la Vélia, une des collines de Rome.

Mutunus Tutunus était une divinité figurée par un grand phallus que des
femmes - sans doute des prêtresses -, "vêtues de la toge prétexte",
devaient périodiquement couronner de fleurs. Saint Augustin s'indigne au
V°siècle après J.C., de la persistance de cette religion de la virilité,
associée, cette fois, au culte de Liber Pater : "Ce membre honteux, écrit-
il dans La Cité de Dieu, était, tous les jours où l'on fêtait Liber, placé en
grande pompe sur un chariot et on le promenait d'abord à la campagne,
de carrefour en carrefour, puis jusque dans la ville elle-même.Dans la
cité de Lavinium, un mois tout entier était consacré à Liber, et pendant
ce mois, tous les jours, chacun employait le langage le plus osbcène,
jusqu'à ce que le phallus fût porté à travers le forum en procession
solennelle et déposé dans son sanctuaire. Sur ce membre honteux, une
mère de famille parmi les plus honorables devait déposer publiquement
une couronne. C'était la manière, apparemment, de se rendre le dieu
Liber favorable pour l'heureux succès des semailles et d'éloigner des
champs le mauvais oeil."
Mutunus Tutunus - dont le culte perdura au moins jusque sous le règne
d'Auguste, avait tout naturellement sa place dans la chambre à coucher
des époux : la jeune mariée devait s'asseoir sur son image au jour de ses
noces, sans doute pour conjurer le mauvais sort qui aurait pu frapper son
mari lors de sa défloration. Les invités de la noce, voire les simples
badauds, accompagnaient le cortège nuptial de formules obscènes - dites
"vers fescennins" -, et les jeunes gens prenaient la toge virile le 17 mars,
jour de la fête de Liber Pater, qui protégeait ainsi leur entrée dans la
classe des patres. Les pudiques Vestales elles-mêmes, dont la virginité
était sacrée, adoraient l'image d'un phallus représentant le genius de la
Cité. Car le sexe masculin avait partie liée avec le feu, dont les Vestales
étaient les gardiennes, autant qu'avec la fertilité : selon la légende,
Servius Tullius, l'un des rois originels de Rome, serait né de l'union d'une
servante et d'un phallus mystérieusement surgi de la cendre du foyer de
Tarquin l'ancien...

phallus - emblème d'une boulangerie de Pompéi (photo © Patricia Carles)

Cette plaque de terre cuite au phallus n'a rien de pornographique.


L'inscription qu'elle porte, "Hic habitat felicitas" - "ici demeure la
félicité", témoigne de son sens apotropaïque. Comme tant de
représentations phalliques, elle est destinée à apporter la réussite à
celui qui l'exhibe dans son magasin. Pour le boulanger Modeste, qui
l'avait fait installer au-dessus de son four, dans la région VI de Pompéi,
elle avait la vertu de conjurer le sort qui pourrait empêcher le pain de
lever.

Il y a dans l'imaginaire archaïque une analogie évidente entre le pouvoir


fécondant du phallus en érection et le gonflement de la pâte à pain. Que
la pâte ne lève pas et c'est toute la fournée qui est bonne à jeter pour le
boulanger !

L'ethnographie nous a d'ailleurs largement enseigné que toutes les


préparations culinaires qui doivent "prendre" (comme notre mayonnaise
ou les salaisons) ou "lever" sont en rapport étroit avec la fécondité
sexuelle. Chacun sait bien qu'une femme menstruée, autrement dit une
femme qui n'est pas "prise", qui n'est pas fécondée, ne peut "monter"
une mayonnaise ou des oeufs en neige...

Le lupanar
le lupanar de Pompéi - Priape aux deux phallus - peinture murale (photo ©
Patricia Carles)

Les Romains n'avaient pas pour les choses du sexe la pudibonderie que nous
devons à la civilisation judéochrétienne. L'art d'aimer d'Ovide n'est pas un
écrit pornographique, mais une oeuvre littéraire et il était même de bon ton
d'exhiber des images érotiques sur les murs de sa chambre à coucher, voire
dans son atrium.

Aux amours idéales que chantent tant de peintures murales inspirées des
grands mythes grecs, les habitants de Pompéi préféraient parfois des amours
moins éthérées, voire, pour tout dire, les amours tarifées du bordel, à moins
qu'ils ne soient assez riches pour entretenir des esclaves voué(e)s à leur seul
plaisir. Si l'on en croit Horace, dans les Satires, Caton l'Ancien encourageait
lui-même les jeunes gens à jeter leur gourme au bordel : "Dès qu’un violent
désir lui a gonflé les veines, c’est là que doit aller un homme jeune plutôt
que d’épuiser les femmes d’autrui", aurait-il lancé à un jeune Romain, rouge
de honte, qui sortait d'un lupanar. L'essentiel était, pour Caton comme pour
ses contemporains, qu'ils ne jettent pas leur dévolu sur les matrones (les
femmes mariées), et qu'ils ne prennent pas un goût immodéré des amours
vénales : "Je t'ai loué d'aller chez les filles, aurait rectifié le censeur en
voyant le même jeune homme sortir le lendemain du même endroit, je ne
t'ai pas dit d'habiter chez elles !... "

En dehors de ces limites, le client n'encourait aucun blâme de ses


concitoyens : "Personne n'interdit ni n'empêche d'acheter ce qui est offert
en vente à tout le monde, si on a de l'argent pour le faire, dira un
personnage de Plaute. Personne n'interdit à quiconque d'emprunter la voie
publique. Pourvu que l'on ne trace pas un passage à travers une propriété
enclose, pourvu que l'on ne porte pas la main sur une femme mariée, une
veuve, une vierge, des jeunes gens et des garçons libres, que l'on fasse
l'amour avec qui l'on veut".

il n'en allait pas de même pour le leno, le marchand de filles, qui était déchu
de ses droits civiques. Régnant sur son petit peuple d'esclaves ou
d'affranchies, qu'il n'hésitait pas à transférer d'un lieu à un autre pour
donner à ses clients l'illusion de la nouveauté, il n'avait aucun scrupule : il
achetait ses pensionnaires aux trafiquants orientaux, profitait sans vergogne
de la misère des parents contraints de vendre leur progéniture pour survivre
à moins que, "compatissant", il ne recueillît des enfants (des deux sexes)
voués à l'exposition pour les façonner à leur futur "métier". Quelques-unes
de ses jeunes recrues avaient "la chance" d'être éduquées à ses frais dans de
véritables écoles où on leur apprenait le chant, le jeu de la flûte ou de la
lyre. Celles-là étaient simplement louées à de riches amateurs pour un
banquet ou pour une soirée mais la plupart finissaient au lupanar, comme
celui de Pompéi. Assises sur un tabouret devant la porte du bordel, à demi-
nues, elles aguichaient le client et devaient souvent se contenter d'avaler
"gloutonnement", comme le dit un personnage de Térence, un peu de "pain
noir trempé dans du ragoût de la veille" ...

Le corridor du lupanar de Pompéi, modeste immeuble à un étage où se


pressait la foule des Pompéiens peu fortunés, ouvre sur cinq chambres
minuscules, à peine éclairées par un soupirail ou, pour celles qui en étaient
dépourvues, par une imposte. Les cinq chambres de l'étage, desservies par
un balcon, sont un peu plus vastes. Aucune trace de porte : les chambres
devaient être fermées par un simple rideau, tiré lorsqu'un client était là.
L'équipement intérieur est fruste : un lit de maçonnerie fort étroit, des
latrines rudimentaires, c'est plus qu'il n'en faut pour satisfaire le chaland...

L'essentiel consiste dans les spécialités de ces dames, que décline crûment
une série de peintures murales dans le corridor où un Priape à deux (trois ?)
verges (Priape est couramment dit le "trois fois membré") accueille le
visiteur. Il leur promet ainsi d'éviter la panne sexuelle redoutée et protège
les prostituées. Beaucoup de leurs visiteurs ont laissé sur les murs des
témoignages de leur vantardise ou de leur satisfaction : on a pu déchiffrer
plus de 120 de ces graffiti obscènes.

Un semblant de luxe est assuré, si l'on en croit les peintures, par la richesse
des draps et des jetés-de-lit recouvrant la couche inconfortable des
prostituées. Sur la plupart des peintures, celles-ci portent leur bandeau
soutien-gorge, une seule est entièrement dévêtue.

Comme il se doit, le lupanar, situé à l'intersection de deux ruelles, est


annoncé par un phallus en érection fièrement dressé au-dessus de la porte
principale. Mais, contrairement à ce que l'on pourrait imaginer, cela n'a rien
de spécifique aux lieux de plaisir : le même emblème, vigoureusement
ithypallique, orne de simples boulangeries et l'entrée des maisons comme il
faut, entre autres la Maison des Vettii.

Car Priape et le phallus sont avant tout pour les Romains des symboles
apotropaïques, conjuratoires. Leur représentation, peinte ou sculptée,
protège du mauvais oeil, assure la prospérité : les triomphateurs n'hésitaient
pas à en exhiber l'image glorieuse sur leur char ; située aux carrefours
dangereux, comme le grand phallus du Musée de Naples, elle évite les
accidents et les mauvaises rencontres ; dans les jardins, elle éloigne les
voleurs et un sacrifice à Priape, comme on le voit dans un cubiculum de la
Maison des Mystères, rend aux hommes frappés d'impuissance leur virilité
perdue.

Les zélateurs du christianisme s'indigneront évidemment devant ce qu'ils


considéreront comme des obscénités sans nom. Beaucoup des "erotica" - des
images érotiques - de Pompéi ont malheureusement été détruites : certaines
ont été martelées par leurs premiers découvreurs scandalisés par leur
caractère pornographique, d'autres ont été déposées et transportées au
Musée de Naples dans lequel elles ont longtemps été reléguées dans un
"cabinet secret" réservé à un public masculin trié sur le volet. Ce n'est qu'en

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