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Mutunus Tutunus était une divinité figurée par un grand phallus que des
femmes - sans doute des prêtresses -, "vêtues de la toge prétexte",
devaient périodiquement couronner de fleurs. Saint Augustin s'indigne au
V°siècle après J.C., de la persistance de cette religion de la virilité,
associée, cette fois, au culte de Liber Pater : "Ce membre honteux, écrit-
il dans La Cité de Dieu, était, tous les jours où l'on fêtait Liber, placé en
grande pompe sur un chariot et on le promenait d'abord à la campagne,
de carrefour en carrefour, puis jusque dans la ville elle-même.Dans la
cité de Lavinium, un mois tout entier était consacré à Liber, et pendant
ce mois, tous les jours, chacun employait le langage le plus osbcène,
jusqu'à ce que le phallus fût porté à travers le forum en procession
solennelle et déposé dans son sanctuaire. Sur ce membre honteux, une
mère de famille parmi les plus honorables devait déposer publiquement
une couronne. C'était la manière, apparemment, de se rendre le dieu
Liber favorable pour l'heureux succès des semailles et d'éloigner des
champs le mauvais oeil."
Mutunus Tutunus - dont le culte perdura au moins jusque sous le règne
d'Auguste, avait tout naturellement sa place dans la chambre à coucher
des époux : la jeune mariée devait s'asseoir sur son image au jour de ses
noces, sans doute pour conjurer le mauvais sort qui aurait pu frapper son
mari lors de sa défloration. Les invités de la noce, voire les simples
badauds, accompagnaient le cortège nuptial de formules obscènes - dites
"vers fescennins" -, et les jeunes gens prenaient la toge virile le 17 mars,
jour de la fête de Liber Pater, qui protégeait ainsi leur entrée dans la
classe des patres. Les pudiques Vestales elles-mêmes, dont la virginité
était sacrée, adoraient l'image d'un phallus représentant le genius de la
Cité. Car le sexe masculin avait partie liée avec le feu, dont les Vestales
étaient les gardiennes, autant qu'avec la fertilité : selon la légende,
Servius Tullius, l'un des rois originels de Rome, serait né de l'union d'une
servante et d'un phallus mystérieusement surgi de la cendre du foyer de
Tarquin l'ancien...
Le lupanar
le lupanar de Pompéi - Priape aux deux phallus - peinture murale (photo ©
Patricia Carles)
Les Romains n'avaient pas pour les choses du sexe la pudibonderie que nous
devons à la civilisation judéochrétienne. L'art d'aimer d'Ovide n'est pas un
écrit pornographique, mais une oeuvre littéraire et il était même de bon ton
d'exhiber des images érotiques sur les murs de sa chambre à coucher, voire
dans son atrium.
Aux amours idéales que chantent tant de peintures murales inspirées des
grands mythes grecs, les habitants de Pompéi préféraient parfois des amours
moins éthérées, voire, pour tout dire, les amours tarifées du bordel, à moins
qu'ils ne soient assez riches pour entretenir des esclaves voué(e)s à leur seul
plaisir. Si l'on en croit Horace, dans les Satires, Caton l'Ancien encourageait
lui-même les jeunes gens à jeter leur gourme au bordel : "Dès qu’un violent
désir lui a gonflé les veines, c’est là que doit aller un homme jeune plutôt
que d’épuiser les femmes d’autrui", aurait-il lancé à un jeune Romain, rouge
de honte, qui sortait d'un lupanar. L'essentiel était, pour Caton comme pour
ses contemporains, qu'ils ne jettent pas leur dévolu sur les matrones (les
femmes mariées), et qu'ils ne prennent pas un goût immodéré des amours
vénales : "Je t'ai loué d'aller chez les filles, aurait rectifié le censeur en
voyant le même jeune homme sortir le lendemain du même endroit, je ne
t'ai pas dit d'habiter chez elles !... "
il n'en allait pas de même pour le leno, le marchand de filles, qui était déchu
de ses droits civiques. Régnant sur son petit peuple d'esclaves ou
d'affranchies, qu'il n'hésitait pas à transférer d'un lieu à un autre pour
donner à ses clients l'illusion de la nouveauté, il n'avait aucun scrupule : il
achetait ses pensionnaires aux trafiquants orientaux, profitait sans vergogne
de la misère des parents contraints de vendre leur progéniture pour survivre
à moins que, "compatissant", il ne recueillît des enfants (des deux sexes)
voués à l'exposition pour les façonner à leur futur "métier". Quelques-unes
de ses jeunes recrues avaient "la chance" d'être éduquées à ses frais dans de
véritables écoles où on leur apprenait le chant, le jeu de la flûte ou de la
lyre. Celles-là étaient simplement louées à de riches amateurs pour un
banquet ou pour une soirée mais la plupart finissaient au lupanar, comme
celui de Pompéi. Assises sur un tabouret devant la porte du bordel, à demi-
nues, elles aguichaient le client et devaient souvent se contenter d'avaler
"gloutonnement", comme le dit un personnage de Térence, un peu de "pain
noir trempé dans du ragoût de la veille" ...
L'essentiel consiste dans les spécialités de ces dames, que décline crûment
une série de peintures murales dans le corridor où un Priape à deux (trois ?)
verges (Priape est couramment dit le "trois fois membré") accueille le
visiteur. Il leur promet ainsi d'éviter la panne sexuelle redoutée et protège
les prostituées. Beaucoup de leurs visiteurs ont laissé sur les murs des
témoignages de leur vantardise ou de leur satisfaction : on a pu déchiffrer
plus de 120 de ces graffiti obscènes.
Un semblant de luxe est assuré, si l'on en croit les peintures, par la richesse
des draps et des jetés-de-lit recouvrant la couche inconfortable des
prostituées. Sur la plupart des peintures, celles-ci portent leur bandeau
soutien-gorge, une seule est entièrement dévêtue.
Car Priape et le phallus sont avant tout pour les Romains des symboles
apotropaïques, conjuratoires. Leur représentation, peinte ou sculptée,
protège du mauvais oeil, assure la prospérité : les triomphateurs n'hésitaient
pas à en exhiber l'image glorieuse sur leur char ; située aux carrefours
dangereux, comme le grand phallus du Musée de Naples, elle évite les
accidents et les mauvaises rencontres ; dans les jardins, elle éloigne les
voleurs et un sacrifice à Priape, comme on le voit dans un cubiculum de la
Maison des Mystères, rend aux hommes frappés d'impuissance leur virilité
perdue.