Etu 4205 0121

Recensions
Dans Études 2014/5 (mai) , pages 121 à 144

Éditions S.E.R.
ISSN 0014-1941
DOI 10.3917/etu.4205.0121
© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)
Article disponible en ligne à l’adresse

https://www.cairn.info/revue-etudes-2014-5-page-121.htm
Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...

Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.
Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R..

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
Littérature le masque non moins élégant du
narrateur ne nous épargne rien de
la réalité, aussi feutrée puisse-t-elle
Pierre Assouline paraître à certains moments, sou-
vent niée à d’autres. C’est tout l’art
Sigmaringen d’Assouline de nous faire oublier
Gallimard, 2014, 361 pages, 21 €. un certain Dr. Destouches, croisé
de temps à autre dans le labyrinthe
À marcher sur les brisées d’un des couloirs et des étages de ce châ-
certain Céline qui avait été l’ac- teau dont on n’a plus qu’à attendre,
teur, le témoin et le chroniqueur sinon le retour des légitimes pro-
plus qu’amer, ironique, de ce jeu priétaires, du moins le sommeil
de masques intitulé D’un château des monuments historiques. Céline
l’autre, il y avait sans doute quelque peut dormir en paix, s’il y est parve-
audacieux défi à relever, à moins de nu : son remplaçant, sinon comme
nous le faire oublier. C’est précisé- médecin des pauvres (qu’il fut
ment ce qu’obtient du lecteur Pierre aussi), du moins comme magistral
Assouline en nous offrant, avec un écrivain, lui a brûlé la place pour
remarquable art de l’écriture et du notre plus grand plaisir, à défaut de
récit, l’implacable et discret regard notre édification.
du majordome général des Hohen-
zollern au château de Sigmaringen ■■Pierre Gibert
en ce mois de septembre 1944. Là,
pendant quelques autres mois, les
Dominique Barbéris
rescapés du gouvernement de Vi-
chy en exil forcé allaient se donner Une vie en marge
à jouer un jeu de masques, entre un Gallimard, 176 pages, 15,9 €.
Pétain isolé et mutique au dernier

étage, le couple Laval fuyant le gros Tout le roman est baigné par la gri-
de tous ces ministres et autres colla- saille vaguement triste et humide
borateurs, lesquels allaient s’adon- des dimanches soirs en province,
ner à une comédie illusoire pour les et par la désolation éclairée aux
uns, prétentieuse pour les autres, néons des centres commerciaux.
dérisoire en tous les cas. Mais que Dominique Barbéris décrit avec
faire d’autre quand on n’a plus qu’à justesse les gens et les villes, avec
attendre une inéluctable débâcle leurs cafés fatigués, leurs gares et
avec les risques d’une justice méri- leurs buffets, leur circulation tout
tée et d’une histoire implacable ? aussi fatigués. Mais l’ensemble
Faut-il parler encore de roman tant n’est pas sombre ; il est exact. La
le récit dévoile la terrible réalité de vérité avec laquelle l’auteur resti-
plus de quatre années de guerre tue ces atmosphères fait s’excla-
que tous ces acteurs s’étaient ingé- mer à maintes reprises : « Comme
niés à tromper en nous trompant, c’est bien vu », et cet assentiment
tout en étant sûrs de leur fait, de répété, quasi à toutes les pages,
leur cynisme et de leurs ambitions ? tempère l’impression conjointe de
L’ élégance de la narration derrière déréliction. Ce n’est ni un Chabrol
c a r n e t s c u l t u r e l s • 121
Maq etudemai14.indd 121 11/04/14 14:08

r e c e n s i o n s
ni un Simenon : on n’y trouve pas de gamins de son âge dirigée par

le suspens de l’intrigue, l’excès de la Zarco, un personnage charisma-
dramatisation. L’écriture est sobre, tique et sa compagne, la belle Téré.
ajustée. C’est ce qui fait le défaut de Pendant trois mois, il change de
la qualité de cet ouvrage : la pré- vie et partage la dérive des jeunes
cision laconique efface la mise en délinquants, ivres de drogue et de
scène et finit par donner la sensa- sexe, jusqu’à ce que la police les rat-
tion d’absence d’intrigue – ce qui trape à la suite d’un hold-up raté.
n’est pas le cas puisque sont rela- Seul le petit bourgeois échappe à la
tés meurtres, impostures, vols et prison. Vingt ans plus tard, Zarco
tromperies. Bien sûr, on saisit que est devenu un bandit célèbre et mé-
le but de Dominique Barbéris est diatique et Ignacio Canas le bino-
de traiter de tout cela sans pathos clard, le meilleur avocat pénaliste
ni roulements de tambour. Mais de Gérone. Téré, qu’il n’a jamais
un roman, quel qu’il soit, peut-il oubliée, lui demande de prendre la
faire l’économie du suspens ? de défense du détenu poursuivi pour
la dramatisation ? On se pose la de multiples délits et qu’il n’a jamais
question en refermant l’ouvrage. revu. L’ avocat accepte. Il découvre à
La littérature peut-elle se dis- ses dépens qu’il ne pourra jamais
penser du récit, de ses tensions, se libérer du souvenir de son équi-
rebonds, bref de son outrance ? Il pée sauvage avec Zarco et Téré, et
faut que les histoires soient un peu qu’il ne connaîtra jamais la vérité
excessives pour qu’elles deviennent sur cet épisode fondateur de sa vie.
des romans. Javier Cercas a fait de cette histoire
tragique la parabole des incurables
Laurence Devillairs
■■ maladies des sociétés européennes.
Antoine de Tarlé

Javier Cercas
■■
Les lois de la frontière Andreï Makine

Actes Sud, 2014, 345 pages, 23 €.
Le pays du lieutenant
Écrire sur l’adolescence, ce passage
incertain, cette frontière mouvante
Schreiber
et douloureuse entre l’enfance et Grasset, 2014, 220 pages, 17 €.
l’âge adulte n’est jamais aisé. La
réussite du grand romancier cata- Le parcours d’Andreï Makine, né
lan Javier Cercas est d’autant plus en Sibérie et devenu un romancier
remarquable. Dans la première par- français célèbre, le prédisposait
tie du livre, on est à Gérone, en Ca- sans doute à se passionner pour
talogne, à la fin des années 70, à un le destin de celui qu’il nomme le
moment où l’Espagne s’éveille diffi- lieutenant Schreiber. Ce dernier
cilement du cauchemar franquiste. est un personnage réel, il s’appelle
Le héros, surnommé le binoclard, a Jean-Claude Servan-Schreiber.
seize ans et s’émancipe de sa famille Gaulliste de la première heure,
bourgeoise pour suivre une bande son affrontement avec son cousin
122

Jean-Jacques, fondateur de travail. Parce que le pape Jules II
L’Express et opposant de gauche vient de lui attribuer un bud-
au Général anima la chronique get considérable pour ériger son
politique dans les années 60 et 70. futur tombeau, il part à Carrare
Toutefois, ce qui a fasciné l’auteur, pour choisir lui-même les blocs de
ce ne sont pas ces péripéties mais marbre. S’installant au cœur des
l’histoire de l’engagement au ser- montagnes toscanes, Michel-Ange
vice de la France, entre 1939 et se fond rapidement au milieu des
1945, du jeune Schreiber, ce petit- carriers. Mais s’il crée avec eux une
fils d’un juif allemand, passionné- complicité pleine de respect, grâce
ment attaché à son pays. À travers à sa capacité à choisir les blocs les
les aventures du jeune officier de plus parfaits, il ne gagne pas leur
chars emporté par la défaite de amitié : imbu de son talent, triste,
juin 40 puis enfui en Espagne Michel-Ange fuit tout contact
pour rejoindre la France libre et humain hors de son travail et en
revenu en août 44 avec la divi- particulier l’affection que lui porte
sion blindée qui le mena jusqu’en Michele, un petit garçon orphelin
Allemagne, il raconte une grande de mère. Petit à petit, cet enfant
histoire d’amour. L’amour de ce insistant va libérer des souvenirs
jeune homme pour la France, qui et des images que l’artiste tente de
lui fait risquer maintes fois sa vie et repousser, d’où naîtront du maté-
le rapproche de ses camarades de riau brut ces personnages vivants
combat, issus de milieux très diffé- qu’il a déjà en tête. Ce séjour de-
rents et dont beaucoup ne revien- vient alors une rencontre avec lui-
dront pas. Ce livre est aussi un défi même en acceptant l’émergence
lancé à l’édition et aux médias qui de ces réminiscences. Ce superbe
refusèrent de s’intéresser au témoi- roman sur la création – admirable-
gnage du lieutenant Schreiber et ment construit comme une statue

que Makine fustige dans des pages – sculpte les mots, donne au lec-
éloquentes. Le pays du lieutenant teur un temps de contemplation,
Schreiber est enfin une réflexion et révèle le mystère de cette « pie-
lucide sur la France d’aujourd’hui. tra viva » qui palpite sous chaque
œuvre d’art.
■■Antoine de Tarlé
Marie-Noëlle Campana
■■
Léonor de Récondo
Sophie Chauveau
Pietra Viva
Sabine Wespiesser, 2013,
Noces de charbon
225 pages, 20 €. Gallimard, 2013, 394 pages, 20 €.
Le roman s’ouvre curieusement Cet ouvrage nous dévoile le fruit
sur Michel-Ange prêt à disséquer d’une vaste enquête généalogique
un moine. Mais l’artiste, recon- dont la tonalité romanesque s’ex-
naissant un homme dont il a été prime par la référence à Proust et
amoureux, ne peut effectuer le à Simenon. L’épopée du charbon
123

r e c e n s i o n s
sert de toile de fond à la chronique s’entrecroise avec la fascination de

biographique de trois générations Mai 68, mais la solidarité reste une
de deux familles issues du bas- valeur sûre.
sin minier du Nord de la France
à la fin du XIXe siècle. L’auteur ■■Jean Duporté
explore la complexité des sen-
timents et manie l’ironie dans
Thomas Vinau
un foisonnement de réflexions.
Que de contrastes entre la fidé- Juste après la pluie
lité de l’amour et la séduction de Alma, 2014, 280 pages, 17 €.
l’adultère, entre la tendresse de
la générosité et la perversion de Deux cent quatre-vingts petits,
la jalousie, entre la détermina- minuscules poèmes, se bous-
tion courageuse et la paresse de culent dans le recueil du poète
l’hédonisme ! La mine évoque trentenaire Thomas Vinau, Juste
le malheur et la misère pour les après la pluie. Minuscules par
enfants d’un mineur victime d’un leur objet : des impressions fugi-
coup de grisou, tandis qu’elle est tives, couleurs, insectes ou rires,
source de prospérité pour le di- et par leur taille, entre trois lignes
recteur des Houillères. Cet ingé- ou au plus trente-neuf. Les mots
nieur polytechnicien se révèle un flottent sans les bornes de la
patron pragmatique et paterna- moindre ponctuation, comme
liste, qui facilite les études du fils dans les poèmes d’Apollinaire. Le
d’un contremaître avant de marier poète joue, esquissant ici un calli-
ce brillant centralien avec sa fille gramme – on voit le sable tomber
Micheline. Tous deux fondent une en toutes lettres –, faisant éclater
puissante Société charbonnière là une synesthésie (« J’écoute / le
dont les retombées financières ciel / ouvrir / mes yeux »), par-

n’ont pas que des influences bé- lant de « chaussures lassées ».
néfiques sur les comportements. Les mots se répètent mais pas les
Angèle échappe à la pauvreté en images, parfois concrètes jusqu’au
devenant vendeuse puis gérante surréalisme, jusqu’à « chevau-
d’une boutique à Paris. Son ascen- cher dans la brûlure », « entasser
sion sociale se réalise grâce à son / [ses] dégringolades / jusqu’à la
ardeur au travail et à des relations lune », voir « des canines / qui
saphiques. Cette demi-mondaine, s’envolent ». Des pépites brillent
antiquaire, acquiert le sens de parmi les strophes, « les édredons
l’art, envoie de l’argent aux siens / en plumes d’oies / pesaient deux
et recueille une nièce, Carmen, tonnes », un poème nommé « 28
dont le père est décédé de silicose. plumes » liste vingt-huit oiseaux
Un mariage, conçu entre descen- aux noms délicieux, « circaète
dants des deux familles, dans une Jean-le-Blanc » ou « locustelle flu-
ambiance de danse, suscite bien viatile » ; enfin, « L’ ombre serait /
des perturbations que s’efforce un sous-entendu / de la lumière ».
d’apaiser la nounou au service des Imagination lumineuse qui em-
enfants. La décadence du charbon brasse les insignifiances du pré-
124

sent, ce « gâteau de miettes » que à force de constante sollicitude.
l’auteur nomme à la fin du recueil. Il s’agit donc d’un double récit
d’apprentissage, où mère et fille
■■Solange Pinilla s’aident mutuellement à conqué-
rir leur autonomie. La force de ce
livre réside dans la qualité de pré-
Danièle Corre
sence de Cécile. L’auteur donne en
La Vie seconde effet à sa fille une « vie seconde »
Tensing, 2014, 127 pages, 14 €. en faisant d’elle un « personnage »,
qui suscite intérêt et sympathie.
Danièle Corre, Prix Max Jacob Son « au revoir » à chaque fleur du
2007, publie La Vie seconde, son jardin, alors que la mère s’emploie
premier ouvrage en prose. Elle à fermer la maison de vacances,
s’adresse à sa fille, Cécile, née avec révèle un être véritablement poé-
un handicap mental, et main- tique. La poésie habite cette prose,
tenant adulte. On devine aisé- jusque dans le réalisme, où le
ment une réaction contre Où on poème affleure parfois. Mais tout
va papa de Jean-Louis Fournier, est lié, l’esprit d’enfance, la faculté
Prix Femina 2008. Dans cette d’émerveillement devant le mys-
lettre adressée à ses deux fils lour- tère des êtres humains. La vraie
dement handicapés, J.-L. Four- lucidité sait percevoir à la fois les
nier leur demande pardon de les ombres et les lumières.
avoir « loupés ». Les chapitres très
courts, où dominent l’autodéri- Jeanne-Marie Baude
■■
sion et l’humour noir, semblent
des coups de poing contre le vide.
Karima Berger
Pas de violence chez Danièle
Corre, sinon celle de la vie, et l’in- Les Attentives

tensité de la révolte contre l’absur- Un dialogue avec Etty Hillesum.
dité d’une société qui ne ménage Albin Michel, 2014, 205 pages, 15 €.
ni l’enfant « différente », ni la mère
amenée à assumer seule la situa- Etty Hillesum avait sur sa table
tion. Le dialogue entre mère et de travail le portrait d’une jeune
fille est souvent décalé, puisque les Marocaine et elle s’est penchée
paroles marquantes de Cécile sont sur le Coran. Ces deux éléments
recueillies au fil des années, et sus- permettent à Karima Berger de
citent chez la mère un question- nouer un dialogue attentif et ori-
nement toujours renouvelé de- ginal avec la femme libre et mys-
vant une sagesse étrangère à tout tique qui l’inspire et l’interpelle.
savoir. L’ évolution de ces deux Désir spirituel intense, sensualité
vies se dessine grâce à la collecte extrême, intelligence vive, besoin
de faits souvent insignifiants, mais d’écrire : tels sont les « lieux » où
révélateurs du quotidien et de se rejoignent ces deux femmes
l’écoulement du temps. Parfois, ils qui aiment à construire des ponts
ont valeur de signes dans la nuit. entre les cultures. Ce livre rend
Deux vies se tissent l’une à l’autre hommage à tout livre car un livre
125

r e c e n s i o n s
permet un dialogue intime, un

enrichissement réciproque par-
ART
delà le temps, l’espace et la mort.
La plume d’Etty a une vérité qui Nathalie Heinich
aujourd’hui fait mouche ; Karima
Berger lui donne la parole avec Le paradigme de
bonheur et trempe sa propre l’art contemporain
plume dans l’encrier d’Etty. Un
style unifié dans une altérité ma- Structures d’une révolution
artistique. Gallimard, 2014,
gnifiquement mise en musique :
373 pages, 21,50 €.
une juive hollandaise émancipée
face à une Algérienne vivant à Pa- Quand elle publie « Pour en finir
ris un islam affranchi et profond, avec la querelle de l’art contem-
qui peut écrire : « tu es mon ini- porain » dans la revue Le Débat
tiatrice au féminin vivant, à cette en 1999, la sociologue Nathalie
expérience spirituelle dont on dit Heinich fait preuve d’optimisme.
qu’elle procure une “saveur dé- Elle suggère de remplacer le clas-
lectable”, une effusion intime du sement chronologique qui fait
cœur, une réceptivité de la grâce, succéder le « contemporain »
une prédisposition à entendre le au « moderne » par un classe-
bruissement du monde. » La deu- ment par genres de l’art en géné-
xième partie du livre est une in- ral. « On devrait pouvoir tolérer
terpellation d’Etty par l’auteur sur l’existence simultanée, dans le
notre monde d’aujourd’hui, sur monde actuel, de l’art contempo-
les caricatures de l’islam et ses dé- rain et de l’art moderne, voire de
fis. Le conflit israélo-palestinien l’art classique », croit-elle. Quinze
est évoqué avec une empathie à ans plus tard, elle constate que sa
l’égard des deux camps qui est rare proposition « a fait long feu ». Le

et mérite d’être saluée comme un dialogue semble impossible entre
signe d’espérance extraordinaire : ceux qui participent au monde de
« Notre unique obligation morale, l’art contemporain, fréquentent
écrivait Etty, c’est de défricher en ses musées, ses centres d’art et
nous-mêmes de vastes clairières ses galeries en y trouvant à la fois
de paix et de les étendre de proche du plaisir et de l’intelligence, et
en proche, jusqu’à ce que la paix ceux qui n’y vont pas ou y vont
irradie vers les autres. » Arrêter à reculons, persuadés à l’avance
le flot de haine, de préjugés réci- qu’ils seront récompensés par une
proques entre camps « ennemis », monnaie de singe. L’idée de genre
bâtir des ponts : Karima Berger artistique supposait des pratiques
semble avoir puisé en Etty la force artistiques diverses, mais un seul
de transformer sa vie (subie) en monde de l’art capable de pro-
« destin » (choisi), et de lancer un duire leurs variations et des indi-
appel à la compréhension entre vidus susceptibles de circuler des
islam et Occident. unes aux autres, au moins intel-
lectuellement. « Or la spécificité
Cécile Rastoin
■■ de l’art contemporain se joue à
126

bien d’autres niveaux que celui peintres depuis Homère jusqu’à
de la nature des œuvres », écrit Joyce en passant par Bouddha,
la sociologue, elle implique aussi essayer de comprendre les cir-
les individus qui les produisent, constances de la naissance de
les font circuler ou les collec- leurs œuvres, toujours judicieu-
tionnent, les institutions qui les sement mises en contexte par cet
sélectionnent et les exposent, les auteur qui affectionne le genre
techniques et les matériaux qui encyclopédique, le mystère reste
les constituent ou les discours entier. Sur pas loin de mille pages,
qui les soutiennent. Nathalie Hei- Boorstin revient sur la destinée
nich décrit pas à pas leurs carac- singulière des créateurs compris
téristiques, leur cohérence et la dans un sens peut-être un peu
manière dont se constitue un sys- large, car quoi de commun entre
tème incompatible avec les autres, Jésus et Picasso ? Sans doute leur
un paradigme, c’est-à-dire un en- rapport particulier aux choses et
semble de « conceptions admises aux êtres, répondrait l’auteur, leur
à un moment donné du temps à refus de se contenter d’un réel
propos d’un domaine de l’activité souvent douloureux. Malgré tout,
humaine ». « Entre ceux qui, face la capacité de certains humains à
à une nouvelle exposition d’art faire surgir un monde qui n’existe
contemporain, ont l’impression pas encore, quand tant d’autres se
d’avoir “déjà vu ça mille fois”, et contentent d’être des perroquets
ceux qui y découvrent de nou- du réel, semble devoir échap-
velles déclinaisons, toujours plus per à jamais aux sciences dures
fines, du modèle, l’incompréhen- et humaines. Alors laissons ce
sion est sans appel. » commentaire à ce qu’il a de déri-
soire et donnons la parole à ceux
qui voient et nous permettent

■■ Laurent Wolf d’être un peu plus humains, se-
lon les propres mots de l’auteur :
« Quelquefois, une main se levait
Daniel Boorstin
comme pour attraper quelque
Les créateurs chose ou pour s’en protéger, ou
Robert Laffont, 2014, bien quelqu’un grognait ou riait,
1216 pages, 28 €. comme pour échanger une plai-
santerie avec le néant. » (Virgi-
Quelle est l’origine du génie ? On nia Woolf, Promenade au phare)
a beau s’être repu de la diversité Livre précieux donc, un véritable
infinie de ce livre qui se penche appel au voyage à travers ce que
sur les plus importantes figures l’humanité a su offrir de mieux au
de la création mondiale, tout en monde.
s’accordant de nombreux détours
par des créateurs moins célèbres,
avoir scruté les détails des vies ■■Matthieu Lahaye
des plus grands sculpteurs, ar-
chitectes, musiciens, écrivains,
127

r e c e n s i o n s
Histoire de tel peuple (latin ou grec, c’est

selon), il n’y a qu’un pas, parfois
vite franchi. Aujourd’hui où l’éco-
Patrick Voisin logie est plus que jamais à l’ordre
du jour, où toutes sortes de luttes
Ecolω se mènent au nom du respect dû à
Écologie et environnement en la Nature, on trouvera dans ce livre
Grèce et à Rome. Les Belles quelques occasions de sourire,
Lettres, 2014, 284 pages, 14,5 €. mais surtout une belle matière à
réflexion.
Rien de nouveau sous le soleil, dit
avec raison l’adage latin. L’ entre- Marie Goudot
■■
tien avec B. Lalonde, les introduc-

tions de P. Voisin aux textes réunis,
Tacite
prennent soin de refuser toute as-
similation hâtive, de souligner les Œuvres complètes
différences culturelles entre notre Préface et nouvelles traductions
époque et l’Antiquité où Mère de Catherine Salles. Robert
Nature était divinisée et le pillage Laffont, 2014, 864 pages, 30 €.
de ses ressources d’abord dénoncé
comme geste de profanation. Il Catherine Salles a heureusement
n’empêche. On reste stupéfait de la complété les travaux, parus il y
similitude des cris d’alarme lancés a près de cent ans, d’Henri Goel-
par les naturalistes, les philosophes zer. Elle nous permet d’avoir accès
et poètes anciens : épuisement des à tout ce qui nous reste de Tacite,
forêts, exploitation forcenée du sol conteur rare, historien scrupuleux,
et du sous-sol, pollution de l’air et auquel des études de rhétorique
des eaux… Stupéfait également ont servi à aiguiser des qualités

des termes dans lesquels ces textes toutes personnelles de réflexion
invitent à un retour à la nature, et de probité. « Peu à peu, ils se
et évoquent les méfaits accomplis laissèrent séduire par nos vices,
par l’homme, les expliquent (la les portiques, les thermes, les fes-
cupidité y a bonne part !), vont tins raffinés. Ces naïfs appelaient
jusqu’à suggérer des liens avec cela civilisation, ce n’est qu’un
les catastrophes naturelles qui se aspect de leur servitude », écrit-il
multiplient (incendies, inonda- ainsi, à propos des habitants de la
tions ou séismes). Pour un lecteur Grande-Bretagne. Tacite a un sens
du XXIe siècle étonnantes sont les évident de la mise en scène, que la
pages relatives à la spéculation im- traduction nous rend souvent avec
mobilière (la législation romaine bonheur. Le Dialogue des orateurs
est facile à contourner par des pro- nous fait assister à une joute qui a
moteurs sans scrupules), aux effets pour thème la querelle des Anciens
du climat sur les timbres de voix, et des Modernes (déjà !). Dans ses
la qualité du sperme, et bien sûr les autres écrits, il nous fait visiter les
caractères des hommes. De là à lé- confins de l’Empire (de l’Écosse
gitimer la supériorité de telle race, au Kurdistan, de la Germanie à
128

l’Afrique du Nord) et il nous en enfance heureuse, fut frappée,
fait vivre une période haletante, avec l’écroulement des Habsbourg,
de la fin du règne de Tibère aux par l’exil, l’errance, la fuite devant
désordres qui ont marqué la fin les armées nazies, le veuvage (elle
de Néron et qui ont vu trois em- avait 29 ans à la mort de son mari
pereurs se succéder en deux ans. l’archiduc Charles d’Autriche),
Cela lui donne l’occasion, avec, par les difficultés pour élever ses huit
exemple, la fin de Messaline et celle enfants et même la pauvreté un
d’Agrippine la Jeune, d’écrire des peu partout dans le monde. Dans
pages dont on comprend qu’elles ses pérégrinations et ses épreuves,
aient fasciné Racine. Comment ses moments de détresse extrême,
la puissance romaine a-t-elle sur- certains lieux, des monastères, des
vécu à ces convulsions, à cet amas abbayes comme Solesmes où elle
de corruption en tout genre ? Sans fit soixante-deux séjours, furent
doute grâce à des gens comme Ta- pour elle des havres de réconfort
cite, qui était un Romain de Gaule, dans lesquels elle trouvait l’amitié
venus enrichir et renouveler la de religieuses mystiques et même
vieille souche latine, Tacite, dont visionnaires. Sa vie intérieure,
nous est donnée ici une traduction proche justement du mysticisme,
alerte et judicieuse. était fondée sur l’abandon à Dieu,
nourrie de l’acquiescement aux
■■Ivan P. Kamenarovic volontés de la Providence, qui rap-
pellent le quiétisme de Fénelon et
de Mme Guyon.
Cyrille Debris
Zita ■■Francine de Martinoir
Portrait intime d’une impératrice.
Cerf, 2013, 160 pages, 14,9 €.

De Zita (1892-1989), dernière sou-
veraine d’Autrice-Hongrie (elle ré-
Philosophie
gna de 1916 à 1918), on se rappelle
le cérémonial des funérailles de-
Pierre Magnard
vant l’église des Capucins à Vienne.
À l’énumération de ses titres prin- La Couleur
ciers, le portier refusa l’entrée du
cercueil jusqu’au moment où le
du matin profond
chambellan prononça la phrase Les petits Platons, Les Dialogues
rituelle : « Zita, personne mortelle des petits Platons, 2013,
et pécheresse. » Ce beau livre ras- 192 pages, 18 €.
semble des témoignages, des do-
cuments tels que ses lettres, réunis Il faut se méfier des « petits édi-
en vue de son dossier de béatifica- teurs », ils ont de grandes idées.
tion. Ainsi pouvons-nous suivre Rien ne le démontre mieux que
l’itinéraire spirituel de Zita Maria ces « petits Platons » et leurs dia-
de Bourbon-Parme qui, après une logues. Pierre Magnard se prête
129

r e c e n s i o n s
ici au jeu dans une leçon de phi- une autre conception de la raison
losophie comme on souhaiterait – une raison pratique, éthique,
en lire souvent. Comme quasi tous ouverte à la révélation ?
les commentateurs français, il s’est
soumis à la mise au pas heideg- ■■ Laurence Devillairs
gérienne mais comme peu d’entre
eux, il en a tiré un rythme propre,
Stanley Cavell
une redécouverte du néo-plato-
nisme et de son homologie avec la Si j’avais su…
théologie chrétienne. Pascal est en Mémoires. Trad. de l’anglais par
réalité plus radical que Heidegger J.-L. Laugier et S. Laugier Cerf,
en ce qu’il définit l’être non comme 2014, 642 pages, 39 €.
objet de la raison au même titre
que tout le reste, non comme prin- Comment devient-on philo-
cipe, cause première ou concept sophe ? Cavell livre ici son jour-
mais comme un indéfinissable, ir- nal de bord, les événements de
rémédiablement autre et toujours sa vie et les étapes de sa pensée,
au-delà de ce qu’on peut en dire. avec sincérité et modestie. Ce qui
Le Dieu de Jésus-Christ est pré- ne manque pas de frapper. Sans
sence dans l’absence, celle du tom- doute est-ce lié à la conception
beau vide, preuve irréfutable d’un qu’il défend de la philosophie, qui
Dieu vivant. La mauvaise crainte certes n’est pas un projet intellec-
est celle de l’athée qui redoute de tuel parmi d’autres, mais qui se
trouver Dieu. Or il n’y a de joie contente de « bouts de ficelle »,
à vivre que si l’on n’a pas esquivé de descriptions du monde pré-
l’angoisse d’être et la bonne crainte sent et de la vie de tous les jours.
de l’enfer qui ne va pas sans l’espé- Un trajet philosophique ne s’ex-
rance d’être sauvé. Ce dialogue plique que par le rapport que

entre P. Magnard et É. Fiat soulève l’on a aux auteurs que l’on aime,
des questions que des ouvrages ceux qui permettent de « penser
plus prétentieux n’ont pas l’audace plus loin », le plus loin possible
de poser. On soulignera toutefois du connu. Pour Cavell, il s’agit de
pour notre part le danger qu’il Thoreau, Emerson, Wittgenstein,
peut y avoir à exalter un absolu Shakespeare et du cinéma. Car les
contre lequel buterait la raison, car films, comme d’ailleurs la littéra-
s’il n’y a plus de rapport entre lo- ture, livrent une connaissance du
gos divin et logique humaine, cela monde et des autres, permettent
conduit à une disjonction entre foi de s’y rendre attentifs, d’en faire
et raison, et dans ce fidéisme, que l’expérience. Le cinéma est moral.
l’on regretterait de voir institution- Par les dialogues et les situations
nalisé, c’est la foi qui a sans doute le qu’il met en scène, il questionne
plus à perdre. Pourquoi d’ailleurs nos jugements de valeur et porte
réduire la raison à un instrument avec lui la possibilité de nous
de calcul, une technique aplanis- rendre meilleurs – ce que Cavell
sant les mystères et arraisonnant nomme le « perfectionnisme
les êtres ? Ne peut-on pas défendre moral ». Il aide à surmonter l’im-
130

passe du scepticisme qui veut que bien général. Chemin faisant,
les choses et les êtres échappent B. Russel aborde des situations
à notre savoir. Comment toute- quotidiennes, auxquelles il tente
fois distinguer cette affirmation d’apporter des réponses à l’aide
de celle qui veut que la morale des arguments qu’il a développés
s’appuie sur l’« exemple » (exem- auparavant. C’est ainsi que du
plum, au sens de modèle et de conflit latent entre intérêt public
récit) ? Ces mémoires n’aideront et intérêt privé découle l’intrusion
pas à entrer dans la pensée de de la politique dans les questions
Cavell ; on aurait donc préféré un d’éthique. Si « le savoir a fait œuvre
approfondissement de ses thèses. de libération en démontant les
En effet, celle selon laquelle la excuses mythiques à la cruauté »,
vie ordinaire doit être l’objet de il devient, sous sa forme scienti-
la philosophie, qu’il écarte pour- fique, menaçant car capable de
tant comme insignifiante, réclame détruire notre planète. Le but
d’autres développements, tant il étant de faire coïncider l’égoïsme
reste à la distinguer de l’existen- avec le bien public, il s’agit d’ins-
tialisme d’un Sartre par exemple taurer un subtil équilibre entre
ou d’une forme de behavorisme. le désir d’être dominé et celui de
dominer, entre notre besoin de
■■Laurence Devillairs cohésion et l’aiguillon de la riva-
lité entre les humains. Certes, le
monde bipolaire que B. Russel
Bertrand Russel
décrit en 1954 n’existe plus sous
Éthique et politique cette forme mais nos contradic-
Trad. De l’anglais par C. Jeanmou- tions et nos attentes sont toujours
gin. Payot, 2014, 279 pages, 23,8 €. strictement les mêmes et la fré-
quentation d’un esprit aussi clair

Bertrand Russel se pose, dans cet et bienveillant que celui de B. Rus-
ouvrage, une question fondamen- sel est toujours aussi nécessaire.
tale : sur quoi fonder l’éthique ? Notons pour finir que le français
Historiquement, l’homme, en de Christian Jeanmougin, le tra-
groupe de plus en plus nombreux, ducteur, est parfois déroutant.
a été soumis tout d’abord aux ta- Hormis une grammaire de temps
bous, puis aux commandements en temps chancelante, le lecteur
divins et enfin à la loi, assor- rencontre des mots étranges et
tie de la force de l’État et d’une qui sont assez pénibles à lire (for-
organisation de la Justice. Le fil titude, destructif, percept, inflic-
conducteur suivi par l’auteur est tion, acquisivité…), mais B. Rus-
clair et ostensible ; il déroule sous sel mérite qu’on franchisse de tels
nos yeux un raisonnement qui obstacles.
s’efforce de délimiter le plus sim-
plement, le plus exactement pos- ■■Ivan P. Kamenarović
sible ce que sont pour chacun de
nous le juste, le bon, le désirable,
ainsi que le bien personnel et le
131

r e c e n s i o n s
Gillaume le Blanc leurs et autrement (on pourra par

La philosophie exemple lire le dernier numéro de
la revue Cités, « La philosophie
comme contre-culture en France aujourd’hui », qui réu-
PUF, 2014, 200 pages, 19 €. nit une quinzaine de philosophes
de la génération de Guillaume le
Plaidant pour une philosophie Blanc). Mais on aurait aimé que
contre-culturelle, Guillaume le l’auteur se risque à une critique
Blanc s’inscrit dans l’héritage de la critique, et notamment de
foucaldien : la philosophie est son articulation au débat public
une pratique discursive cultu- à l’heure où l’engouement pour
rellement située, dont la tâche la philosophie l’élève selon lui
doit consister en l’élaboration au statut de véritable « passion
d’une « ontologie du présent ». profane ».
Dans sa préface à l’Anti-Œdipe
de Deleuze et Guattari, Foucault ■■Chloé Salvan
explique que la critique est la
seule manière de mener une vie
Maurice Bloch
« non fasciste », c’est-à-dire de ne
pas « tomber amoureux du pou- L’Anthropologie
voir ». Pour Guillaume le Blanc, il
s’agit d’introduire un trouble dans
et le Défi cognitif
les normes afin de mettre à nu Odile Jacob, 2013, 29,90 €.
les possibilités de vie recouvertes
par les constructions culturelles Les sciences sociales doivent
de la domination et d’engendrer changer leur manière d’abor-
« des manières de vivre alterna- der les problèmes, en prenant
tives ». Replaçant sa démarche en compte les découvertes des

personnelle dans l’histoire d’une sciences cognitives : telle est l’idée
branche particulièrement féconde que Maurice Bloch, anthropo-
de la philosophie contemporaine logue, défend dans son dernier
(de Foucault à Butler en passant livre. Selon lui, depuis près d’un
par Deleuze, de Certeau, Der- siècle, les sciences sociales ont
rida, ou Rancière), Guillaume largement développé un esprit
le Blanc réalise un tableau par- antinaturaliste, qui conduit à étu-
fois fastidieux et pourtant très dier les cultures humaines sans
utile des différentes scènes de la considérer la dimension natu-
contre-culture poststructuraliste relle des hommes. Cette orienta-
(les études de genre, de race ou tion s’explique en grande partie
de classe, celles des vies précaires par la crainte d’une réduction de
ou invisibles, etc.). On ne peut pas l’homme à un simple animal, ou
reprocher à ce livre-manifeste de du cautionnement scientifique
passer sous silence les démarches des idées racistes et sexistes. Selon
divergentes, qu’elles tentent l’auteur, ces craintes sont infon-
d’échapper différemment à la mé- dées. Mais il en résulte une sorte
taphysique ou de la refonder ail- d’apartheid entre les sciences de
132

la culture et les sciences de la vie, « élan », « impulsion », « orien-
conduisant au paradoxe suivant : tation » au contact de la matière.
au point de vue des premières, on En tant que durée, elle se présente
ne peut rien dire de général sur comme la vie de la conscience de
l’homme. S’agissant de la parenté la personne humaine. Pourquoi
par exemple, cela conduit à rejeter inscrire l’homme au cœur de la
d’emblée toute hypothèse générale cosmologie ? Quel est le rôle de
sur la fonction de la prohibition l’activité humaine ? Chez Berg-
de l’inceste, quand cette prohibi- son, l’anthropologie s’enracine
tion possède un intérêt biologique dans une « intuition de Dieu qui
objectif (celui d’éviter les mala- dépasse infiniment l’homme ».
dies héréditaires dans le groupe Inscrit au rythme des dynamiques
social). L’auteur revient alors en de la vie, l’homme se découvre
détail sur la question du rapport capable de liberté, capable d’in-
entre nature et culture. Pour lui, venter et de produire des idées
la nature humaine ne correspond ou des techniques. Ces différentes
pas à des caractères figés, mais à expressions de soi sont envisagées
des prédispositions cognitives. La en vue de l’entretien de la vie. Dès
nature et la culture sont donc bien lors, « la vocation de toute exis-
réelles chez l’homme, mais elles tence consiste à créer ». La finalité
ne sont pas séparables. de l’art est de dévoiler une forme
de vérité qui transite par le pro-
■■Joël Dolbeault longement de l’activité vitale, et
l’auteur montre dans la dernière
partie de l’ouvrage comment
Nadia Yala Kisukidi
celle-ci s’articule au projet poli-
Bergson ou tique bergsonien qui est « un ap-
l’humanité créatrice pel mystique à ouvrir ce qui tend

à se clore ». Au-delà des clôtures
CNRS, 2013, 308 pages, 25 €. identitaires, une telle pensée per-
met d’envisager des communautés
Enseignant l’éthique à l’univer- fraternelles construites à partir
sité de Genève, Nadia Yala Kisu- d’une éthique de la démocratie et
kidi s’attache dans ce livre à deux des droits humains. Excepté l’as-
thèmes souvent laissés de côté par pect ardu du langage conceptuel
les études bergsoniennes : l’art et la propre à la philosophie de Berg-
politique, deux activités créatrices son sur la métaphysique, l’ouvrage
qui donnent lieu à des développe- participe dignement au renouvel-
ments dont les recoupements sont lement de la pensée politique à
l’objet passionnant de cet ouvrage. partir de la mystique.
Le lecteur séjournera, accompa-
gné par cette éclaireuse à la pé- François-Xavier Akono
■■
dagogie assumée, dans les trans-

versales d’une « métaphysique
de la vie créatrice ». La vie est un
continuum de progrès qui devient
133

r e c e n s i o n s
Souleymane Bachir Diagne fictions occidentales, le dynamisme

Comment philoso- propre à ces mouvements de pen-
sée : Bergson n’est pas si loin. Jus-
pher en islam ? tement il est très proche, puisque
Philippe Rey/Jimsaan, Souleymane Bachir Diagne rap-
2014, 160 pages, 16 €. pelle que le penseur Mohammed
Iqbal, dont il est spécialiste, a ren-
« La philosophie en islam n’est pas contré le philosophe français. Une
clôture sur soi d’un univers men- illustration de la force du dialogue
tal à l’écart d’une aventure qu’on ne à l’œuvre – et de la nécessité de l’en-
définira comme occidentale qu’en tretenir encore.
la coupant de tout ce qui n’est pas
de l’Ouest, et dont pourtant elle ■■Anne-Sophie Jouanneau
se nourrit aussi. » Telle est la ligne
directrice de ces pages salvatrices
François Cheng
et accessibles : il faut réinscrire la
philosophie en islam dans le champ Cinq méditations
de la philosophie tout court, c’est-
à-dire universelle. Car signe que
sur la mort
l’objet embarrasse encore l’Occi- Autrement dit sur la vie. Albin
dent, la philosophie élaborée en Michel, 2013, 180 pages, 15 €.
terres d’islam peine à être nommée
de manière unanime par les spécia- « La mort corporelle, inéluctable,
listes. Faut-il suivre la convention révèle paradoxalement la vie
linguistique et parler de « philoso- comme le réel principe absolu. Il n’y
phie arabe » ou suivre l’académisme a qu’une seule aventure, celle de la
anglo-saxon et parler de « philo- vie. » Ce propos que l’on découvre
sophie islamique » ? Souleymane au début de la quatrième médita-

Bachir Diagne dessine ici une troi- tion de ce livre-compagnon (prix
sième voie : il choisit de mettre en des Écrivains croyants 2014) pour-
évidence le dialogue avec la tradi- rait sans nul doute en constituer
tion grecque qui a présidé à la nais- l’exergue. Académicien, poète et
sance de ces œuvres et, dans cette romancier, François Cheng associe
continuité, celui qui doit continuer le lecteur – élevé au rang d’auditeur
d’animer cette activité philoso- familier, tant l’écriture se fait mur-
phique. Ce sera donc la « philoso- mure – à un parcours méditatif,
phie en islam ». C’est ainsi « une profond, enraciné dans ses deux
histoire de rencontres » que le pro- cultures nourricières (européenne
fesseur à l’université de Columbia et asiatique), sur la mort… et donc
livre ici. Il y inscrit les portraits de la vie. Partant du constat de l’effroi
philosophes musulmans tels Avi- que suscite en nous la mort cor-
cenne ou Averroès et ne s’arrête pas porelle, l’auteur nous fait percevoir
à cet âge classique de l’islam, faisant combien cette perspective nous
place aux réformateurs des derniers tire, tel un aimant, vers une forme
siècles. Ces pages raniment ainsi, de réalisation. Consentir au don
loin des fixations rigoristes, ou des de la vie, malgré le « pétrin » dans
134

lequel nous nous trouvons, voilà montée de conflits multiples et d’un
l’aventure à laquelle nous sommes terrorisme international croisant
invités, en tant qu’êtres uniques, une criminalité transfrontalière qui
reliés aux autres et à l’univers tout ont un impact direct sur l’Europe
entier. Au cœur de cette vision cos- toute proche. Cette situation de
mique, la création, source de beauté fait réconcilie donc les deux clans
et de joie, transmue notre angoisse adverses des « afro-pessimistes » et
en véritable communion au-delà des « afro-optimistes » qui s’affron-
du temps et de l’espace. Oui mais… taient naguère sur le bilan d’un
que faire de cette « faille essen- demi-siècle d’indépendance au sud
tielle », le mal ? Face à ce qui nous du Sahara, où les déficits de gouver-
laisse « sans voix », la méditation nance étatique sont aussi patents
se fait silence. Surgit alors la ques- que le dynamisme et l’inventivité
tion de Dieu, qui, au-delà du prin- populaire en tout genre. C’est ce
cipe par lequel la vie est arrivée, se qu’avait résumé en 2008 le titre
propose à nous au travers du visage d’un ouvrage d’un spécialiste bri-
de celui qui un jour s’est levé pour tannique, Richard Dowden : Altered
aller vers « l’absolu de la vie ». La States, Ordinary Miracles (États dé-
méditation se fait alors souffle… de gradés et miracles ordinaires). Dans
vie : « Chacun de nous est finitude/ un style différent, reposant moins
L’infini est ce qui naît d’entre nous/ directement sur l’expérience per-
fait d’inattendus et d’inespérés. » sonnelle tout en s’appuyant d’abord
sur celle-ci, George Courage tente
■■Antoine Corman aujourd’hui une sorte d’équiva-
lent en français de ce type de bilan
attentif ne tombant pas dans les
pièges du manichéisme. La forme
Société de son livre, celle d’un manuel uni-

versitaire, est trompeuse car il s’agit
avant tout de la restitution, assez
personnelle dans l’écriture, de ce que
Georges Courade
peut apporter une vie d’observation
Les Afriques au de l’Afrique par un géographe s’in-
début du XXIe siècle téressant à tout, de l’évolution des
sociétés locales à celles des écono-
Géopolitiques subsahariennes. mies. De même, l’inutile critique du
Belin, 2014, 320 pages, 26 €. « culturalisme » (chap. 3), que seuls
retiendront quelques universitaires,
En cette seconde décennie du égare dans une analyse d’ensemble
XXIe siècle, l’Afrique redevient un dont le principal mérite est de dé-
continent qui mobilise l’attention couler d’une connaissance vérita-
extérieure pour deux raisons par- blement approfondie du terrain sur
faitement contradictoires : son taux plusieurs décennies. Le non-spécia-
de croissance moyen, que les pays liste pourra donc y butiner à la ma-
développés pourraient lui envier nière des abeilles en trouvant par-
depuis une dizaine d’années ; la tout des éléments de réflexion et des
135

r e c e n s i o n s
références bibliographiques sur de merce, les handicaps auxquels se

multiples détails, sans trop se sou- heurte l’ONU quand il s’agit de
cier de l’ordre des chapitres. Certes, promouvoir la paix, la multiplica-
des jugements sont un peu person- tion des accords bilatéraux depuis
nels et certains aspects moins creu- une quinzaine d’années, peuvent
sés que d’autres (le terrorisme ou les nourrir un argumentaire contraire
questions religieuses notamment), à celui défendu par l’auteur. Il n’en
mais cette revue attentive, dans un reste pas moins vrai que, plus que
style fluide et agréable, des réalités les aspirations idéales à la détente,
africaines actuelles constitue un à la collaboration, à la coopéra-
instrument de travail offrant de tion et à la paix, l’interdépendance
très larges possibilités de recherches des nations, fruit de l’évolution des
ultérieures qui attireront plus d’un techniques de production, de cir-
lecteur, novice ou non. culation et d’armement, pousse les
pays du globe vers la coopération
■■ François Gaulme internationale. CQFD.
Étienne Perrot
Guillaume Devin
■■
Un seul monde Béatrice Parance et

L’évolution de la coopération Jacques de Saint Victor (dir.)
internationale. CNRS éditions,
2013, 56 pages, 4 €. Repenser les biens
Voilà une bonne synthèse, écrite
communs
avec soin, de l’évolution des rela- CNRS éditions, 2014,
tions multilatérales entre les pays 350 pages, 26 €.
du globe. Contre l’opinion domi-

nante, favorisée par une logique Une révolution juridique silen-
médiatique privilégiant les infor- cieuse est en train de s’opérer dans
mations dramatiques, l’auteur nos sociétés actuelles : elle porte
souligne combien la coopération sur les biens communs. Par cette
internationale progresse depuis notion que le droit autant que l’éco-
le XIXe siècle. Certes la progres- nomie redécouvrent, s’entend a
sion n’est pas linéaire – on pense à minima le souci d’ouvrir à l’usage
l’échec de la SDN, aux blocages de de tous certains biens nécessaires
l’ONU –, mais elle est certaine. En à l’existence, voire de conserver
témoignent les chiffres touchant les certaines ressources. L’eau est à
accords multilatéraux, les unions cet égard l’exemple le plus connu.
et organisations internationales, Partage, protection et transmis-
gouvernementales, régionales ou sion marquent cette préoccupa-
non-gouvernementales, sans par- tion contemporaine que la crise
ler d’institutions plus anciennes, économique a encore renforcée.
syndicales, scientifiques ou reli- À nouveau, puisque le régime des
gieuses. Certes, les difficultés de biens est en principe depuis le
l’Organisation mondiale du com- XVIIe siècle celui de la propriété
136

exclusive, la propriété redevient la civilisation occidentale, conduit à
un « champ de bataille ». Les com- refouler, oublier ou considérer avec
muns, comme on les désigne aussi, condescendance les diverses oppo-
obligent à inventer une autre fa- sitions que génère le « système tech-
çon de posséder qui n’épouse ni la nicien » (Ellul). L’ouvrage en pro-
forme classique de la privatisation pose une histoire très documentée.
ni celle des nationalisations. Penser Il montre que les malaises que l’on
le commun, construire le modèle peut éprouver aujourd’hui (la ma-
des biens communs s’impose, par- chine contre l’humain) ont des pré-
delà toute utopie ou critique anti- curseurs dès la fin du XVIIIe siècle.
capitaliste, dans un monde où la Il importe de retrouver les « alter-
solidarité entre les vivants et entre natives oubliées » à la domination
les générations est une question exclusive de la vision mécanique.
décisive pour l’avenir. En ce sens, La progression est chronologique :
les biens communs peuvent ou- les premiers développements in-
vrir sur l’élaboration de nouveaux dustriels, la « Belle époque » des
droits fondamentaux, si ce n’est une machines, les courants contempo-
nouvelle génération de droits de rains. La parole est donnée aussi
l’homme. Le grand mérite de cet bien aux intellectuels (Bernanos,
ouvrage collectif est d’introduire Anders, Jonas, Illich, etc.) que (ce
avec clarté et nuances le lecteur au qui est moins fréquent) aux paysans
cœur de cette problématique brû- et aux ouvriers, à tous ces techni-
lante qui concerne le rapport décisif ciens qui sont d’abord des prati-
des hommes aux choses. ciens des techniques. Il faut prendre
conscience que la technique n’est
Aurore Dumont
■■ pas « neutre », dans la mesure où
elle a à voir avec la puissance et le
pouvoir. L’érudition de l’auteur fait

François Jarrige
de ce livre un ouvrage de référence
Technocritiques dans un champ encore peu exploité.
Du refus des machines à la contes-
tation des technosciences. La Dé- ■■François Euvé
couverte, 2014, 421 pages, 28 €.
Russell Jacoby
Depuis qu’elles existent, les tech-
niques sont objet de critiques. Les ressorts
Celles-ci se sont renforcées depuis
la Révolution industrielle du début
de la violence
du XIXe siècle. Elles n’exprimaient Peur de l’autre ou peur du sem-
pas nécessairement un attachement blable. Préface de J.-C. Guillebaud,
au passé ou un refus par principe Belfond, 2014, 330 pages, 19 €.
de tout progrès humain. Il se trouve
que l’identification du progrès tech- Parce qu’il interroge nos certitudes,
nique à la prospérité, à la paix et au conteste le discours géopolitique
bonheur, le « technofidéisme » qui ambiant, nous contraint à regarder
s’impose comme un « dogme » de autour de nous et en nous, le livre
137

r e c e n s i o n s
de Russell Jacoby est à lire. Sa thèse : John R. Bowen

démontrer que les origines de la L’islam,
haine et de la violence prennent
leurs sources dans la peur du sem- un ennemi idéal
blable et non dans celle de l’autre. Trad. de l’anglais par
À l’appui de ses propos, une vaste Patrick Savidan. Albin Michel,
fresque historique allant de nos 2014, 145 pages, 12 €.
mythes fondateurs – la lutte fratri-
cide entre Caïn et Abel, Romulus et Au risque de nourrir l’intolérance
Remus – aux guerres civiles comme religieuse et la division sociale,
la guerre de Sécession, la guerre de blâmer l’islam est devenu un motif
Vendée, le conflit irlandais, les vio- récurrent dans les débats publics
lences religieuses de l’Europe du occidentaux. Cette rhétorique
XVIIe siècle, le génocide du Rwan- de l’islam bashing, l’anthropo-
da, les massacres du Cambodge, logue John Bowen s’attache à en
etc. Les exemples abondent hélas déconstruire les principaux argu-
avec leur nombre impressionnant ments, en montrant comment elle
de morts et d’atrocités. Jacoby se procède à partir d’idées fausses et
situe dans la lignée de René Girard : d’erreurs élémentaires de raison-
« L’ordre, la paix et la fécondité nement. Qu’il s’agisse des attaques
reposent sur les différences cultu- contre le multiculturalisme (visant
relles. Ce ne sont pas les différences sans le nommer un islam commu-
mais leur perte qui entraîne la riva- nautarisé) ou bien des critiques
lité démente, la lutte à outrance mettant en cause plus directement
entre les hommes d’une même l’immigration musulmane sur le
famille ou d’une même société. » mode islam-versus-Occident, l’au-
Jacoby s’inspire également de Freud teur réfute chaque fois la validité
lorsque celui-ci s’interroge sur « le des propos énoncés en se situant

narcissisme des petites différences » sur le terrain des faits. Pour expli-
ou évoque le sentiment d’« inquié- quer le niveau d’intégration des
tante étrangeté » suscité par le reflet musulmans européens, il rappelle
du semblable. L’auteur interprète en ainsi quelles ont été dans chaque
ce sens l’antisémitisme, notamment pays les stratégies nationales d’ac-
celui des nazis prenant pour cible cueil et de gestion de la diversité,
première les juifs allemands assi- et souligne qu’elles ne relèvent pas,
milés et la misogynie, la femme à la sauf en Grande-Bretagne, de théo-
fois intime, semblable et étrangère ries multiculturalistes. Contre
à l’homme et toujours susceptible ceux qui dépeignent l’islam en en-
de le castrer. Un regret peut-être : nemi envahisseur de l’Occident, il
que l’auteur n’ait pas ébauché une signale qu’au contraire le dévelop-
réflexion dialectique sur les deux pement des institutions islamiques
peurs – celle du semblable, celle de est souvent le signe d’une adap-
l’autre – et sur les liens qui se tissent tation aux cadres institutionnels
forcément entre elles. européens dont les musulmans
réclament simplement une appli-
■■Cécile Sales cation égalitaire, comme avant
138

eux les catholiques ou les juifs. En portantes : inerrance ou indéfecti-
fin d’ouvrage, l’auteur prend enfin bilité puis infaillibilité. L’Église est
le temps d’examiner de près le indéfectible car elle ne peut vou-
fonctionnement des conseils de la loir enseigner ce qui contredirait
charia pour défaire les nombreux l’Évangile même si cet enseigne-
fantasmes qui entourent cette spé- ment est susceptible d’évolutions ;
cificité britannique. Il en ressort elle est aussi et sur ce fond, infail-
un petit livre clair et extrême- lible lorsqu’elle est assurée de l’irré-
ment convaincant, représentant la formabilité des énoncés essentiels
contribution précieuse d’un intel- de sa foi. L’auteur invite dès lors à
lectuel américain pour dépolari- ne pas en appeler trop uniquement
ser et assainir le débat public en à l’infaillibilité là où l’indéfectibi-
Europe. lité suffirait. L’attribution au pape
de cette infaillibilité – en cas de
■■Yannis Tavé nécessité – relève de la même pru-
dence. La conclusion synthétise
l’important dossier historique pré-
cédemment développé et récapi-
Questions tule « l’enseignement doctrinal qui
se dégage de la longue histoire et
des péripéties du concept d’infail-
religieuses libilité dans la vie et la réflexion de
l’Église ». Elle rappelle aussi qu’une
telle prétention doit se mettre à
Bernard Sesboüé l’école du Christ qui, loin d’impo-
Histoire et théologie ser son autorité, supplie l’huma-
nité d’écouter sa voix. D’ailleurs,
de l’infaillibilité loin de posséder la vérité qui la fait

de l’Église vivre, l’Église est bien plutôt gar-
dée par elle.
Lessius, coll. « La part-Dieu »,
2013, 381 pages, 29 €.
Anne-Marie Petitjean
■■
« J’ai prié pour toi, afin que ta
foi ne défaille pas », signale, dès
Catherine Pickstock
l’exergue, l’enracinement scriptu-
raire de ce dont il va être question. Après l’écrit
Conformément à cette parole, Sur l’achèvement liturgique de
l’Église croit qu’elle a reçu le « cha- la philosophie. Traduit de l’anglais
risme paradoxal » de conserver et par A.-S. Gache et G. Solari,
d’annoncer une « vérité d’origine Préface J.-Y. Lacoste, Postface
absolue » dans la contingence de R. Kirkpatrick, Ad Solem,
l’histoire. Le livre décrit l’aventure 2013, 374 pages, 31 €.
occidentale de ce « charisme de vé-
rité » (non d’impeccabilité), de ses Cet ouvrage ardu comporte, de
interprétations et des termes mis manière assez classique, une partie
en avant à l’occasion de crises im- philosophique qui introduit à la
139

r e c e n s i o n s
réflexion théologique, mais cen- rituelles ; d’où l’achèvement gnos-

trée ici sur la question de la liturgie tique de la liturgie dans la philo-
(approchée dans un sens conser- sophie !
vateur ou radical orthodoxe). On
y examine la thèse suivant laquelle ■■Bernard Forthomme
la métaphysique aurait privilégié
non seulement la parole virile,
Giovanni Miccoli
mais la voix — autrement dit, la
présence et la volonté du locuteur. Les anti-conciliaires
Or la voix ne peut être identifiée à Les lefébvristes à la reconquête
la présence ; ainsi la voix prophé- de Rome. Traduit de l’italien par
tique annonce celui qui vient, mais B. Clarot et C. De Paepe, et revu
ne peut précisément être réduit à par B. Malvaux. Lessius, 2014,
une présence. La voix ne s’impose 408 pages, 24 €.
pas, elle a tendance au contraire à
se reconnaître fragile : elle veut que Édition française augmentée d’un
la parole et l’écrit croissent, alors livre paru en italien en 2011, cet
qu’elle diminue, s’efface, jusqu’au ouvrage étudie les relations tumul-
risque d’extinction. En outre, l’écrit tueuses entre le Saint-Siège et les
n’est pas du tout exempt de la pré- catholiques hostiles à Vatican II
sence et de la volonté du scripteur. depuis le milieu des années 1960.
Enfin, comme la parole travaille Il éclaire le rapport compliqué des
toujours intimement la présence traditionnalistes à Rome, attachés
des scripteurs et des lecteurs, elle à la papauté mais dénonçant les
en appelle au discernement des dif- choix ecclésiologiques et litur-
férentes intentions, formes opéra- giques des papes post-conciliaires.
tives et catégories littéraires. Quant Pour « restaurer » l’« Église de
à l’usage liturgique de la voix, il toujours », les anti-conciliaires, y

inscrit celle-ci dans l’action rituelle compris au sein de la Fraternité
où la communion de louange et de Saint-Pie X, se divisent quant à
paix ouvre les textes lus et chantés la tactique : agir de l’intérieur ou
au-delà d’eux-mêmes. En ce sens, protester de l’extérieur ; accepter
l’action liturgique devrait accom- ou non les propositions de réinté-
plir l’inquiétude philosophique gration de Jean Paul II et surtout
concernant les rapports entre de Benoît XVI dont l’auteur ana-
la voix, l’écrit et la parole. Mais lyse les raisons qui l’ont poussé à
le risque majeur, c’est la théur- tant s’investir dans la réconcilia-
gie néoplatonicienne — celle qui tion avec les lefébvristes. Selon
s’efforçait de sauver le paganisme G. Miccoli, J. Ratzinger perçoit la
en éclairant ses rites et symboles dissidence anti-conciliaire comme
par des concepts philosophiques ; une protestation compréhensible
cette illusion de vouloir sauver, par face aux interprétations qu’il juge
l’explicitation philosophique, le erronées de Vatican II. Dans des
cœur de la foi chrétienne privée de lignes déjà discutées en Italie,
théologie et réduite, pour le coup, l’auteur cherche à mettre à jour
à des croyances et à des formules une certaine convergence de vues
140

et d’objectifs entre Benoît XVI et Blumenberg, Habermas et Gau-
la Fraternité Saint-Pie X. La dé- chet) et en en montrant la fécon-
monstration, qui repose sur des dité pour l’étude de cas concrets
fragments de discours, ne paraît (catholicisme, islam, bouddhisme
pas faire droit à la complexité de tibétain). Charles Taylor a proposé
la pensée du pape émérite sur les une intelligence de la sécularisa-
rapports entre Église et modernité. tion qui rompt avec l’interprétation
Si ce livre sincère et engagé donne soustractive pour laquelle elle serait
à penser, on peut néanmoins re- l’avènement d’un monde autonome
gretter que sa documentation se sans la religion. Il lui a opposé
restreigne aux sources imprimées l’idée d’une continuité, le monde
et numériques. Le recours aux ar- moderne étant ouvert à la pluralité
chives est pour le moment impos- et à l’exploration de formes diverses
sible mais il aurait été intéressant du croire. Faisant reposer son ana-
de recueillir le témoignage des lyse sur l’idée que le croire n’est pas
protagonistes, notamment pour qu’une fonction du social mais une
éprouver les pistes interprétatives exigence de plénitude du soi et un
avancées. Le choix de retracer dans besoin de sens ontologique, il dé-
le détail les soubresauts des posi- fend l’idée que le religieux n’est pas
tionnements des anti-conciliaires mort. Le spirituel, s’il ne se présente
par rapport à Rome expose l’auteur plus dans le grand corps des tra-
au risque d’une certaine monoto- ditions religieuses englobantes, se
nie, dans la mesure où Mgr Le- ferait « corpus » où chacun puise en
febvre et ses disciples développent fonction de ses attentes et s’essaye à
avec constance les mêmes thèmes être authentiquement. Taylor vou-
depuis une cinquantaine d’années. lant philosophiquement faire évo-
luer l’appréhension du problème de
Charles Mercier la sécularité, cet ouvrage est utile

■■
parce qu’il établit un précieux état

des lieux des débats sur la séculari-
Sylvie Taussig (dir.)
sation et la laïcité, et sur le statut de
Charles Taylor l’expérience religieuse dans le cadre
Religion et sécularisation. des imaginaires contemporains que
CNRS, 2014, 282 pages, 25 €. permet cette œuvre.
Cet ouvrage est consacré à la récep- ■■Jean-Philippe Pierron

tion, en philosophie mais aussi en
sociologie des religions, du livre de
Marc Loison
Charles Taylor, L’âge séculier paru
en 2007. Il en fait résonner, de façon Benoît Labre
critique, les différents aspects, en en Entre contestations et discernement
présentant les thèses principales, en spirituel (1748-1783). Salvator,
les installant dans la dynamique de 2014, 240 pages, 22 €.
l’œuvre du philosophe canadien,
en les confrontant à d’autres théo- Canonisé en 1881 par Léon XIII,
ries de la sécularisation (Weber, Benoît était né dans une famille
141

r e c e n s i o n s
simple, mais stable, liée à plusieurs ni même ne s’accordait avec l’évo-

prêtres engagés dans le ministère lution du catholicisme social sou-
pastoral. La paroisse d’Amettes, tenue par le même Pape ! Certes !
dans le nord du diocèse d’Arras, Mais Germain Nouveau, un de nos
constitue aujourd’hui un foyer du grands poètes modernes, lui aussi
culte de cet enfant ingrat, qui dès la une sorte de vagabond, pouvait
fin de son adolescence entre dans percevoir dans la figure étrange
une quête étrange de la pauvreté, un message paradoxal d’espérance
pèlerin insatiable qui meurt sans humaine. L’ouvrage de Marc Loison
domicile à Rome à trente-cinq ans. nous rappelle utilement tout cela.
Dès lors, à commencer par Rome,
puis rapidement dans son Artois Pierre Vallin
■■
d’origine, le vagabond est célébré

pour les miracles qui entourent sa
Martin Pochon
mémoire. On lui attribue aussi des
prophéties, ce qui le rapproche de Les Promesses
groupes jansénistes exaltés qui ont
marqué la France alors, et d’autres
de l’Eden
pays. Des jansénistes ont supposé Adam et Ève, la mémoire d’un
que Labre était proche d’eux. Marc avenir. Éd. Vie chrétienne/
Loison ne discute pas ce dernier Fidélité, 2013, 288 pages, 19,9 €.
aspect, qui a retenu il y a quelques
années l’attention de Bernard Plon- Martin Pochon est attentif aux dif-
geron. La vie du pèlerin, par contre, ficultés soulevées par la lecture du
puis les grandes étapes de sa cano- récit biblique d’Adam et Ève. Dans
nisation, et de son culte jusqu’à nos son livre, Les Promesses de l’Eden,
jours, sont présentées de façon com- explicitement référé au souci de

plète. Sous une forme agréable, fort catéchèse, il propose une lecture
lisible, ce travail d’un universitaire avisée du texte de la Genèse en
recueille et critique le témoignage trois étapes. La première est un
des sources existantes et les inter- commentaire du texte biblique, la
prétations qui en ont été avancées. deuxième un relevé des questions
On peut être retenu – entre d’autres théologiques et la troisième une
points – par les indications qui sont considération anthropologique.
ici données (à la suite de travaux de Une image rend compte de la dé-
Marc Launay) sur les réunions spi- marche, celle de l’arbre qui cache la
rituelles et les cercles d’études ani- forêt ; entendons, l’attention exclu-
més au temps de Léon XIII, dans la sive à l’interdit sur l’Arbre au centre
région parisienne, par les Frères des du Jardin empêche de lire le récit
Écoles chrétiennes, sous le patro- de Genèse 2-3 en le privant de son
nage de Benoît Labre. Ce fut l’une dynamisme. Ainsi Martin Pochon
des origines de la CFTC. À cette renoue avec le grand principe de la
époque, certains pouvaient penser lecture chrétienne des Écritures :
que canoniser un mendiant, rebelle prophétiser le salut accompli en
à tout travail comme à tout confort, Jésus-Christ. La première partie
n’allait pas dans le sens de l’histoire, est attentive à la dimension sym-
142

bolique du récit biblique – elle conception abstraite de la rai-
comporte une présentation sug- son et de la liberté. On regrettera
gestive d’une œuvre de Chagall au qu’un sujet si intéressant ait été
Message biblique de Nice. La deu- confié à un franc-maçon, partisan
xième, plus théologique, tient à d’une laïcité qui refuse l’existence
distance la théologie habituelle du publique de la religion. Pas une
péché originel pour mettre au pre- seule entrée sur les religions elles-
mier plan la théologie paulinienne mêmes et sur ce qu’elles disent de
de Jésus-Christ nouvel Adam. La leur séparation avec l’État. Tout
troisième écarte les concordismes est biaisé ici, y compris le préten-
et présente la vision teilhardienne. du combat anti-laïc des religions :
Ce livre optimiste sera très utile pour le catholicisme, ce livre cite
pour sortir d’une religion de l’encyclique Divini Illius Magis-
culpabilisation. Il est très actuel tri de 1929 (p. 544), sans jamais
parce qu’il donne une vision dyna- parler de Vatican II. Il fait partie
mique du rapport de l’humanité d’un courant très fort qui limite la
avec la nature comme des relations religion à la vie privée, comme si
entre femmes et hommes ; il invite l’humanité allait mieux se porter si
les croyants à découvrir un Dieu tout horizon public religieux était
d’amour et de compassion. définitivement effacé. À l’inverse
des grands débats contemporains
■■Jean-Michel Maldamé sur le rôle public des religions, ce
dictionnaire amoureux d’une laïci-
té militante, illustre la rémanence,
Henri Pena-Ruiz
voire la résurgence des courants les
Dictionnaire amou- plus antireligieux du XIXe siècle.
reux de la laïcité Pierre de Charentenay

■■
Plon, 2014, 910 pages, 25 €.
Lytta Basset
Ce livre propose 250 articles envi-
ron qui traitent de thèmes autour Oser la bienveillance
du combat pour la laïcité, c’est-à- Albin Michel, 2014, 426 pages, 22 €.
dire selon l’auteur, un affranchis-
sement de la sphère publique par « Qui croit encore au péché ori-
rapport à l’emprise des religions. ginel ? » demande au lecteur de
Qu’on ne se trompe pas : ce livre ne hasard la quatrième de couver-
parle pas simplement de la sépara- ture. Passée l’introduction où
tion de l’Église et de l’État, mais il l’auteure dit la « longue » préhis-
promeut une vision de la société toire – existentielle – de ce livre,
libérée de la religion, source de le propos est sans ambages dès
tous les maux en rejetant la reli- l’intitulé de la première partie :
gion dans la sphère privée. Tout « Les ravages de la doctrine du
point de vue religieux, notamment péché originel ». Sur près de cent
chrétien, est systématiquement pages, du « poids de l’histoire »
nié, ridiculisé, au profit d’une personnelle de saint Augustin à
143

r e c e n s i o n s
la « condamnation scientifique de foi et de toute espérance ? Ce sont

l’espèce humaine » en passant par ces questions que L. Basset nous
la « mécompréhension des textes invite à réactiver dans nos mé-
bibliques », c’est un tragique et moires encore trop marquées par
sombre bilan que dresse Lytta les impasses des mythes d’origines
Basset de notre culture occiden- auxquels on a trop longtemps
tale chrétienne, catholicisme et réduit la dynamique des premiers
protestantisme confondus. Soyons chapitres de la Genèse, dans la
honnêtes : qui oserait le contester, mécompréhension justement non
alors qu’un certain type d’éco- seulement de ces textes, mais du
logisme confirme encore une salut apporté par le Christ. Lytta
telle culpabilisation au risque de Basset nous invite au courage
l’« échec assuré » ? Naturellement, de la lucidité par rapport à un
à regarder de plus près le corpus langage dont tente de se libérer
biblique, à prendre en considéra- notre époque. Et si celle-ci ne se
tion l’Évangile dans son intégra- réduisait pas à une déchristianisa-
lité, la question se pose : comment tion ou à une sécularisation des-
le christianisme et la culture occi- tructrice, mais manifestait plutôt
dentale ont pu si longtemps s’éga- le désir d’une saine déculpabili-
rer dans ce qui est contraire à la sation ouvrant à une plus juste
perception biblique de l’histoire, réception de l’Évangile ? Accep-
à l’attente chrétienne de la pléni- tons-en l’augure au terme de la
tude de la vérité à laquelle ne cesse lecture de ce livre vigoureux et
de conduire l’Esprit même du revigorant.
Christ (cf. Jean 16,13-15), et sur-
tout à cette « bienveillance » qui Pierre Gibert
■■
doit être l’objet et la clé de toute
ees
.com
ue-etud
Retrouvez les recensions sur www.revue-etudes.com

Chaque mois, des idées de lectures à partager et à commenter.
rev
.
www
au sommaire du proch a i n n u mé ro :
- Les migrations dans la mondialisation
- Fin de vie et questions juridiques
- Les théories du genre
144

Etu 4205 0121

Transféré par

Informations du document

Titre original

Copyright

Formats disponibles

Partager ce document

Partager ou intégrer le document

Options de partage

Avez-vous trouvé ce document utile ?

Ce contenu est-il inapproprié ?

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Etu 4205 0121

Transféré par

Droits d'auteur :

Formats disponibles

Recensions

Dans Études 2014/5 (mai) , pages 121 à 144

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Article disponible en ligne à l’adresse

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...

Distribution électronique Cairn.info pour S.E.R..

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 121 11/04/14 14:08

ni un Simenon : on n’y trouve pas de gamins de son âge dirigée par

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Les lois de la frontière Andreï Makine

Maq etudemai14.indd 122 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 123 11/04/14 14:08

sert de toile de fond à la chronique s’entrecroise avec la fascination de

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 124 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 125 11/04/14 14:08

permet un dialogue intime, un

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 126 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 127 11/04/14 14:08

Histoire de tel peuple (latin ou grec, c’est

tien avec B. Lalonde, les introduc-

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 128 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 129 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 130 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 131 11/04/14 14:08

Gillaume le Blanc leurs et autrement (on pourra par

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 132 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

dagogie assumée, dans les trans-

Maq etudemai14.indd 133 11/04/14 14:08

Souleymane Bachir Diagne fictions occidentales, le dynamisme

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 134 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 135 11/04/14 14:08

références bibliographiques sur de merce, les handicaps auxquels se

Un seul monde Béatrice Parance et

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 136 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 137 11/04/14 14:08

de Russell Jacoby est à lire. Sa thèse : John R. Bowen

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 138 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 139 11/04/14 14:08

réflexion théologique, mais cen- rituelles ; d’où l’achèvement gnos-

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

Maq etudemai14.indd 140 11/04/14 14:08

© S.E.R. | Téléchargé le 25/10/2023 sur www.cairn.info (IP: 169.255.190.33)

parce qu’il établit un précieux état

Cet ouvrage est consacré à la récep- ■■Jean-Philippe Pierron

Maq etudemai14.indd 141 11/04/14 14:08