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CLÉS ET USAGES DE CLÉS : POUR SERVIR À L'HISTOIRE ET À LA

THÉORIE D'UNE PRATIQUE DE LECTURE


Mathilde Bombart, Marc Escola

Armand Colin | « Littératures classiques »

2004/2 N° 54 | pages 5 à 26
ISSN 0992-5279
Article disponible en ligne à l'adresse :
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http://www.cairn.info/revue-litteratures-classiques1-2004-2-page-5.htm
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Pour citer cet article :
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Mathilde Bombart, Marc Escola, « Clés et usages de clés : pour servir à l'histoire et à
la théorie d'une pratique de lecture », Littératures classiques 2004/2 (N° 54),
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p. 5-26.
DOI 10.3917/licla.054.0005
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Mathilde Bombart
Marc Escola

Clés et usages de clés :


pour servir à l’histoire et à la théorie
d’une pratique de lecture

Que le lecteur soucieux des tournants épistémologiques se rassure : cette


livraison de Littératures classiques ne vient pas réhabiliter un mode de lecture dont
la critique s’est à bon droit détournée depuis plusieurs décennies ; le discrédit dont

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souffrent les protocoles interprétatifs qui visent à « rabattre » le texte sur un référent
extralinguistique est apparemment sans appel pour qui envisage la littérature
autrement que comme un simple document, pour qui regarde le travail de la forme
ou du style autrement que comme un procédé de cryptage, et pour qui la lecture est
tout autre chose que le déchiffrement d’un sens « déjà là ». Les raisons de ce
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discrédit appellent une longue analyse (on l’esquissera seulement pour finir), mais
c’est sur son effet le plus dommageable qu’il faut d’abord insister : l’idée que nous
nous faisons aujourd’hui de ce que peut être le sens pluriel d’un texte et qui nous
conduit à refuser le principe même d’une « clé » a eu pour corollaire un désintérêt
pour la pratique des clés telle que régulièrement attestée de l’âge baroque au seuil
des Lumières : un mode de lecture majeur, ancré dans des usages intellectuels et
sociaux du livre diversifiés, et l’une des modalités essentielles de la perception
sinon de la circulation des textes dont les ressorts, les enjeux et les modalités ne
nous sont peut-être plus directement visibles.
C’est donc à une compréhension à la fois historique et théorique de cette pratique
de la lecture et des protocoles interprétatifs qu’elle met en œuvre que voudrait
contribuer le présent volume : on a cherché ici à répertorier quelques-uns des usages
liés à l’existence comme au refus des clés, à décrire les tensions qui habitent ce
mode de lecture historiquement daté, à circonscrire aussi les tentations qui
s’expriment, souvent implicitement, dans le recours aux clés. Les clés examinées
sont de celles qui ouvrent d’abord un champ d’enquête historique, et aussi bien un
horizon de questions théoriques : historiciser une pratique de lecture et un usage des

Littératures Classiques, 54, 2005


6 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

textes reste l’un des meilleurs biais pour éclairer en retour nos propres gestes
herméneutiques et l’idée que nous nous faisons, ici et maintenant, du sens des
textes1.

Clés, allégories et applications : définitions


CLEF, en termes de Polygraphie, signifie aussi l’Alphabet d’un chiffre, qui est
secret & commun entre celuy qui escrit la lettre, & celuy qui la deschiffre. C’est
presque en ce sens qu’on dit qu’un homme a la clef d’une affaire, pour dire, qu’il en a
le secret, la conduitte, qu’il en est le maistre. C’est aussi en ce sens qu’on dit, Avoir la
clef d’un Roman, ou d’un livre dont on a déguisé les noms, quand on a les noms
veritables, au lieu des fabuleux dont l’Auteur s’est servi, ou l’explication de plusieurs
endroits obscurs qui ont relation aux temps, ou aux lieux. La clef de Cyrus, de
2
Rabelais, du Catholicon d’Espagne, de l’Euphormion de Barclay.

Du chiffre, au sens de cryptage secret utilisé dans les correspondances,


diplomatiques notamment, à l’explication des référents d’un roman ou d’une satire,
en passant par un usage lexicalisé du terme pour parler d’une forme d’habileté
sociale – dans une indistinction, rare sous sa plume, entre sens propre et sens
figuré –, la définition que Furetière donne des clés est pour le moins large et
imprécise, autant en ce qui concerne leurs procédures que leurs domaines

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d’utilisation. De fait, si le minimum pour que l’on puisse parler de clé semble être
qu’il y ait voile, d’un côté, et action de dévoilement, d’un autre, elles possèdent une
grande diversité dans leurs formes comme dans leurs mises en œuvre.
Un premier biais pour tenter de définir la clé est l’examen des protocoles
interprétatifs qui l’accompagnent. Si l’on suit Furetière, constituer la clé d’un livre
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revient à retrouver les personnes, temps et lieux « veritables » qui y seraient mis en
scène sous des dénominations déguisées – autrement dit à chercher le référent
extralinguistique de l’œuvre, ou, pourrait-on préciser, à chercher ce qu’une œuvre
signale comme le réel auquel elle référerait. C’est la définition à la fois large et
minimale du livre à clé que donne à son tour Fernand Drujon : « Tout livre
contenant des faits réels ou des allusions à des faits réels dissimulés sous des voiles
énigmatiques plus ou moins transparents » (Delphine Denis a édité pour le présent
volume la préface de son ouvrage de 1888 : Livres à clef. Étude de bibliographie
critique et analytique pour servir à l’histoire littéraire). Ne pourrait-on par là
entreprendre de différencier la clé de l’allégorie ? La lecture à clé, on le sait, comme
l’énigme ou l’emblème, participe des multiples ramifications de la « culture

1
Nous avons choisi de respecter la diversité des usages orthographiques, en imprimant
indifféremment « clé » ou « clef » aussi bien dans les contributions que dans les textes cités.
2
Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les mots
françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La
Haye/Rotterdam, Arnout/Reinier Leers, 1690 ; Paris, Le Robert, 1978.
C l é s e t u sage s d e c l és 7

allégorique », et partage avec elle le maniement conjoint de plusieurs plans de


signification3. C’est bien explicitement « clé » que Desmarets de Saint-Sorlin
nomme en 1658 son « dictionnaire » allégorique, tentative pour établir un chiffre
poétique chrétien, comme le montre Agnès Guiderdoni-Bruslé, qui devrait permettre
à tout lecteur d’aller du sens littéral de chaque mot à sa signification mystique. Au
moins pour la période classique, la lecture à clé demande donc à être comprise
comme mobilisation de compétences intellectuelles qui restent celles-là même de
l’allégorie, dans sa version religieuse notamment. Mais elle s’en distingue aussi en
tendant à proposer de l’herméneutique allégorique une version qui articule le texte à
ce qui est donné comme du réel, immédiatement contemporain le plus souvent, et
non plus à un référent abstrait ou moral. Nombre des études de ce volume vont dans
ce sens, par exemple pour comprendre comment une lecture qui privilégie un sens
« historique » des textes émerge sur fond d’une mise en question croissante de
l’allégorisme catholique (Christine Noille-Clauzade), ou se trouve liée à une crise
du modèle pastoral (Françoise Lavocat).
On pourrait ensuite être tenté de restreindre l’emploi du terme de « clé » au
déchiffrement des textes qui font usage d’un codage systématique et délibéré, de
manière à différencier, comme le proposait Bernard Beugnot, clé et « application » :
« c’est-à-dire le phénomène, si banal au XVIIe siècle, de transfert d’un texte à une
circonstance, une situation ou une personne auxquelles on le juge approprié,
indépendamment de son sens originel. La clé, elle, n’invente pas un lien, elle
affirme le retrouver. La distinction des deux procédures est donc fondamentale

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puisqu’elles font jouer à l’interprète un rôle tout différent : ici, il révèle le mot de
l’énigme, là, il est le messager d’un sens nouveau4 ». Pourtant, le partage entre un
déchiffrement suscité et « prévu », c'est-à-dire inscrit dans le texte par ce qu’il
masque et exhibe tout à la fois, et une interprétation réalisée après coup par le
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lecteur dans un relatif arbitraire, achoppe sur bien des clés ici étudiées. Que faire en
effet des situations récurrentes où tout décryptage est par avance dénoncé par
l’auteur, alors même que l’œuvre multiplie les appels à chercher ceux qu’elle
désignerait ? Ainsi des Satires de Boileau, dans l’analyse de Volker Schröder, ou
encore les premiers Spectateurs français, qui dénient toute cible particulière mais
démultiplient initiales et pseudonymes offerts comme autant d’indices à la sagacité
de leurs lecteurs (Alexis Lévrier). Que faire encore des clés destinées à des œuvres
qui, de toute évidence, se refusent à ce type de décryptage ? L’incroyable clé
familiale de L’Astrée composée par Patru (examinée par Françoise Lavocat), pour
décalée qu’elle soit au regard du texte, est bien un discours interprétatif qui existe en
tant que tel, et revendique l’appellation de « clé ». Que faire enfin des cas où une clé

3
On trouvera les références complètes aux ouvrages critiques cités dans la
bibliographie qui suit cette présentation : voir notamment Georges Couton, 1990, Bernard
Beugnot, 1979 (repris en 1994), et surtout du même, l’étude pionnière : « Œdipe et le sphinx.
Des clés », 1982 (repris en 1994).
4
B. Beugnot, « Œdipe et le Sphinx. Des clés », art. cit.
8 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

est élaborée pour un texte qui de toute évidence n’appelle la résolution d’aucune
énigme de cette sorte ? Lectures aberrantes mais pourtant durablement efficientes,
comme le montre la réception au XVIIIe de La Princesse de Clèves, étudiée par
Françoise Gevrey.
Au total, plutôt que de fixer artificiellement les limites de ce que l’on aurait le
droit de nommer « clé », on verra qu’il est plus profitable – différentes contributions
en administrent la preuve –, d’explorer à partir de cette question une procédure
herméneutique sans règles claires, mais qui exerce une force d’attraction
singulièrement durable, et qui demande, quel que soit le nom qu’il nous plaise de lui
donner, qu’on l’étudie dans ses fonctionnements spécifiques.

Dissimulation et déni
Si l’on écoute la plupart des auteurs dont les œuvres ont fait l’objet d’une lecture
à clé, on s’aperçoit que domine un discours qui dénie tout cryptage et,
corollairement, discrédite ce type d’interprétation.
Certes, la satisfaction du partage d’une connivence, de participation à un même
univers a sa place dans ce que l’on peut dire des clés, particulièrement lorsque
celles-ci s’inscrivent dans ces jeux de figuration que représentent les discours
cryptés produits dans le cadre des espaces galants du XVIIe siècle5. La question,
abordée de front par Mlle de Scudéry notamment, dans une conversation de Clélie,
est même l’occasion d’une forte réflexion sur les justes modes de l’articulation de la

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fiction avec le monde6 : le débat, qui fait suite à l’Histoire d’Artaxandre, oppose
tenants des clefs, autrement dit ceux pour qui le plaisir du récit réside dans son lien
à la vérité, et tenants du « mensonge », « plus agréable, dit Clélie, que la vérité ».
De manière significative, la discussion ne se clôt pas, laissant ouverte la tension
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entre les deux approches de la fiction. On rappellera aussi le feuilletage des


significations, auquel invite La Fontaine à l’orée du Songe de Vaux, non sans ironie
à l’égard de la pratique des clés : « Le lecteur, si bon lui semble, peut croire que
l’Aminte dont j’y parle représente une personne particulière ; si bon lui semble que
c’est la beauté des femmes en général ; s’il lui plaît même, que c’est celle de toutes
sortes d’objets. Ces trois explications sont libres. Ceux qui cherchent en tout du
mystere, et qui veulent que cette sorte de Poëme ait un sens allegorique, ne
manqueront pas de recourir aux deux dernières. Quant à moy, je ne trouveray pas
mauvais qu’on s’imagine que cette Aminte est telle ou telle personne ; cela rend la

5
Voir, par exemple, l’appréciation dont rend compte Charles Sorel : « En ce qui est de
tous les Romans qui ont esté nommez, on loüe en quelques uns les inventions, en quelques
autres le langage, & il s’en trouve qu’on estime pour cela seulement, que par leurs noms
empruntez ils cachent des avantures veritables », La Bibliotheque françoise, Paris, La
Compagnie des libraires, 1667 (2nde édition). Pour une réflexion sur l’usage galant des clés,
voir Delphine Denis, 2000, ainsi que Myriam Maître, 1999.
6
Clélie, première partie, t. II, livre III, Paris, Augustin Courbé, 1660, p. 1370-1386.
C l é s e t u sage s d e c l és 9

chose plus passionnée, et ne la rend pas moins heroïque7. » Railleur à l’égard des
pratiques de lecture de ses contemporains, l’avis n’en vaut pas moins
reconnaissance amusée de la quête des clés. Par ailleurs, laisser entendre que seuls
pourront percer les mystères de l’œuvre les lecteurs qui s’en procureront la clé – il
est bien question alors de l’habileté sociale que Furetière mettait dans l’expression
« avoir la clef d’une affaire » – ne devient-il pas procédé publicitaire, comme le
montre l’exemple de La Précieuse de Michel de Pure, ici analysé par Myriam
Maître ? Mais ce cas n’est pas exempt d’ambiguïté puisque l’exhibition d’un
caractère (faussement ?) énigmatique du texte sert en fait une critique contre la
création de cercles soudés par le partage d’un code distinctif. Et La Bruyère, Bussy-
Rabutin, Boileau, Mlle de Scudéry elle-même, parmi d’autres ici étudiés, ont chacun
commenté les clés ou propositions de clés de leur œuvre pour les rejeter,
revendiquant pour le texte un statut déterminé et défendant du même coup une
certaine idée de ce que serait « bien » lire et « bien » interpréter.
Les arguments varient, parmi lesquels on retiendra surtout, parce qu’il traverse
plusieurs des études de ce volume, un débat, intrinsèque au genre satirique, comme
le rappelle Martial Martin, entre désignation d’une cible précise par son nom
(appeler « un chat un chat, et Rolet un fripon », dirait Boileau), et discours moral à
vocation générale, celui-ci seul pouvant prétendre au rang d’œuvre à part entière.
Une certaine image de ce que devrait être la littérature et surtout la « lecture
littéraire » en ressort, organisée autour d’un clivage entre, d’un côté, les lecteurs
capables de percevoir la richesse du propos moral de l’œuvre et, d’un autre, ceux

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qu’attireraient le plaisir mesquin de la médisance. Pour ne prendre qu’un exemple,
pensons à la tentation de Boileau d’effacer de plus en plus au fil des éditions de ses
satires les allusions trop reconnaissables. Il y a là un souci d’auto-protection présent
au cœur de nombreux discours à clés : le déni des clés garantit la possibilité d’un
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discours dissimulé. C’est même l’une des premières raisons d’être des clés, selon
Drujon : « Il est bien évident que la crainte, – crainte d’une peine sévère, d’une
défaveur, d’une inimitié, d’une disgrâce quelconque – est le mobile général et
puissant qui leur a suggéré l’idée de recourir à l’allusion et à la cryptonymie ». Les
exemples sont nombreux, de Béroalde de Verville (André Tournon) à Bussy-
Rabutin (Anna Arzoumanov) ; on aurait pu les prendre aussi bien dans l’Orasius
Tubéro de La Mothe Le Vayer ou dans le Socrate chrétien de Guez de Balzac8.
Mais si certains, tel l’auteur du Moyen de Parvenir, démultiplient les énigmes et les
appels à la sagacité du lecteur, au risque de perdre toute lisibilité, d’autres, tel
Boileau, allient la dissimulation à un désir de « classicisation » (Volker Schröder),
7
Avis de 1671 publié en tête du Songe de Vaux, dans La Fontaine, Œuvres complètes,
éd. Ch. Marty-Laveaux, Paris, Pagnerre, 1859, t. III, p. 186.
8
Voir François La Mothe Le Vayer, Cinq Dialogues faits à l’imitation des Anciens,
par Orasius Tubéro, vers 1632, et Jean Louis Guez de Balzac, Socrate chrestien, Paris,
Augustin Courbé, 1652. Sur la publication et les « clefs » des dialogues de La Mothe le
Vayer, voir René Pintard, 1943. Pour la notion de dissimulation et ses usages à l’âge
classique, voir Jean-Pierre Cavaillé, 2002 et 2004.
10 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

qui conduit à écarter comme illégitime des lectures rendant les textes à des
contextes « trop » précis.
Ceci étant posé, on comprend donc qu’il ne saurait ici être question de se
demander si telle clé est vraie, telle fausse, telle plus pertinente qu’une autre, etc.
Pour une clé avouée, et constituée par son auteur dans une telle transparence que le
texte en perd même tout statut crypté, ainsi que le montre Gilles Banderier pour Le
Roman de la Cour de Bruxelles (1628), la plupart des lectures à clé se constituent
contre les auteurs et même contre les propres protocoles de lecture mis en place
dans les textes. Cela ne veut pas dire qu’elles n’ont aucune valeur heuristique, car
souvent une clé apparemment toute fantaisiste met au jour des significations latentes
(et parfois contradictoires entre elles) : la clé de L’Astrée par Patru en est un bon
exemple. Aussi, pour irritante que soit la persistance de ce que l’on peut percevoir
comme des lectures à contre sens (en témoigne ici même encore la démonstration de
René Godenne sur l’absence de toute « véritable » clé des romans de Mlle de
Scudéry), elles n’en existent pas moins comme interprétations attestées. Sans
compter qu’une fois enclenché un processus de décryptage, celui-ci présente la
particularité de s’entretenir et s’accroître d’un commentaire à l’autre, dans une
émulation entre interprètes : affaire de « secret » à trouver et de « maîtrise » à
conquérir, pour reprendre encore les termes de la définition de Furetière, mais
surtout histoire des appropriations successives d’une œuvre, à étudier pour leurs
logiques propres.

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Formes de clés : énonciation et publication d’un discours second
S’interroger sur les clés signifie moins appauvrir un texte en le réduisant à un
unique sens référentiel que s’interroger sur ses fonctionnements dans son premier
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contexte, puis ses contextes et réceptions successives : la plupart des études ici
réunies rendent compte de l’évolution des interprétations des textes, telle que l’on
peut les saisir notamment à travers leur histoire éditoriale. De fait, se donner les clés
comme objet, c’est se contraindre à tourner le regard vers ceux qui les ont faites ou
recherchées, vers les discours qu’elles constituent en elles-mêmes, et vers la
manière dont ces discours s’articulent aux textes qu’elles visent à commenter, voire
s’y inscrivent très matériellement.
« De longues listes, ou, comme ils les appellent, des clefs », stigmatise La
Bruyère. Pourtant, s’il est vrai que la clé a souvent l’aspect d’une liste de mots ou de
noms, ce discours d’élucidation est susceptible de prendre les formes les plus
élaborées : l’étude menée par Éric Tourrette sur la clé de 1697 des Caractères
montre bien que décoder est une opération à la fois érudite et rêveuse mettant en jeu
un savoir, sur le nom propre en l’occurrence, qui reste encore pour une bonne part à
découvrir. L’inventivité onomastique des textes cryptés et, corollairement, la
multiplicité des modes de déchiffrements du nom propre (étymologiques, littéraires,
sociologiques…) dont usent les concepteurs de clé, sont soulignées dans la plupart
des études, et mériteraient à eux seuls une nouvelle enquête. De plus, la diversité
C l é s e t u sage s d e c l és 11

des aspects pris par les clés représentées dans les travaux réunis dans ce volume
vient troubler l’image de la simple liste de noms. Comment se présente une clé,
peut-on se demander, du point de vue élémentaire de sa présentation matérielle ?
Ses formes peuvent être bien différentes, de la note lapidaire à la réécriture ludique
en passant par la glose savante. Ses supports varient, du manuscrit à l’imprimé, de la
marge au feuillet, et même au livre en tant que tel : certaines des clés ici étudiées se
présentent en effet sous l’aspect de suggestions d’identification manuscrites
apposées dans les marges des livres, tandis que d’autres prennent la forme d’un
ouvrage à part entière qui vient en compléter un autre pour en proposer un
commentaire page à page, comme les mazarinades de Sandricourt analysées par
Christophe Angebault9. Entre ces deux extrêmes, cependant, la clé prend le plus
souvent la forme d’un ou plusieurs feuillets imprimés, parfois autonomes, et
d’autres fois intégrés au livre – ce qui ne va pas sans poser de nouvelles difficultés,
puisque, si l’on excepte les rares cas où l’auteur l’a composée de lui-même, ce sont
alors d’infinies spéculations qui s’ouvrent sur sa datation précise, le moment où elle
a été insérée dans le livre, etc. (voir l’article d’Anna Arzoumanov sur l’Histoire
amoureuse des Gaules). Quand bien même elle prend l’aspect d’une liste, envisagée
du point de vue de celui qui la compose, la clé offre autant de situations difficiles, et
le plus souvent impossibles à décider : de l’imprimeur soucieux de publicité au
lecteur anonyme en passant par le commentateur qui s’impose comme voix
autorisée sur l’œuvre, sans exclure l’élaboration collective. Expliquant qu’au XIXe
siècle les livres à clés sont au cœur des pratiques d’érudition et de collection de la

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communauté savante bibliophile héritière de Charles Nodier, Delphine Denis nous
rappelle du même coup que la clé n’est que rarement un objet aisé à circonscrire et à
identifier.
Plus encore, dans beaucoup de cas, toute tentative de description raisonnée des
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clés achoppe. Il est fréquent en effet que, loin de se réduire à quelques noms inscrits
sur une feuille, une clé soit essaimée en fait dans divers textes : recueils de bons
mots ou d’anecdotes, lettres, mémoires, vers de célébration ou de remerciement,
etc., soit autant de discours qui, regardés a posteriori, constituent comme une
« rumeur » où se sédimentent impressions de lectures et choix interprétatifs qui
mettent en question le lien entre une écriture et le monde qui l’entoure. Le cas de
l’introuvable clé de Clélie est exemplaire en ce sens : les plus grands doutes sont
permis quant à celle supposément retrouvée par Victor Cousin ; il n’en reste
pourtant pas moins que de nombreux textes contemporains bruissent de la quête des
modèles des personnages mis en scène dans le roman10.
9
Mentionnons aussi le cas un peu particulier et en marge de notre propos, mais signalé
par Agnès Guiderdoni-Bruslé, des livres qui s’intitulent clés ou clavis, soit les index, lexiques
ou dictionnaires qui répertorient et classent un savoir, hermétique, alchimique ou mystique,
dans beaucoup de cas pour le rendre mémorisable et accessible.
10
Voir par exemple cette lettre où Madame de La Fayette rend compte à Gilles Ménage
de sa lecture de Clélie : « J’ay eu plus de plaisir que vous puisque je n’ay cogneu aucun des
acteurs, que Mme de Saint-Ange, que je sçavois qui s’appeloit Elismonde. Je ne sçay qui est
12 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

Autrement dit, la réflexion sur les lectures à clé amène presque toujours à mettre
en rapport les textes ainsi considérés avec d’autres, dans un réseau complexe de
discours aux modes de publication et aux rapports à l’institution hétérogènes et qui,
de ce fait, n’ont pas tous une égale postérité : il importe de garder la chose à l’esprit
pour comprendre comment, dans le cas fréquent de concurrence entre clés, l’une ou
l’autre peut s’imposer comme « bonne » interprétation (telle l’identification de la
« femme illustre » des Provinciales par Racine, ainsi que le montre Alain
Cantillon). Cela posé, on peut tenter de saisir, dans cette circulation d’écrits, à la
fois comment des lecteurs du passé construisaient le sens des livres et à la fois
comment, autour de ceux-ci, se forment des groupes géographiques et sociaux,
« communautés de lecteurs », pourrait-on dire, constituées par le partage de mêmes
codes et de mêmes manières de lire11. Plusieurs des travaux de ce volume montrent
ainsi comment un déchiffrement coïncide à un lieu précisément délimité, telle la
cour de Ferrare célébrée par Le Tasse dans l’Aminta (Laurence Giavarini), ou
s’inscrit dans une relation singulière, de l’ordre familial ou intime, comme la
constitution de la clé de L’Astrée par Patru, ancrée dans le témoignage d’une visite
du commentateur à l’auteur (Françoise Lavocat).

Clé, édition et érudition


Beaucoup de ces clés, dès lors, sont fragiles et, du reste, pour certaines
définitivement perdues. Il ne s’agit pas ici de reprendre à nouveau la déploration

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récurrente des quêteurs de clé (voir sur ce point encore la préface de Fernand
Drujon), mais de reconnaître que la constitution de nombre d’entre elles trouve son
origine dans des circonstances bien déterminées. Et pourtant, si, comme le
proposent certaines des études ici réunies, on élargit l’enquête des traces de lectures
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laissées par les contemporains à celles qui se sont successivement constituées au fil
des siècles autour de tel ou tel texte, on s’aperçoit alors qu’un passage subreptice
s’opère souvent entre une interprétation précisément située, une clé singulière, et un
décryptage donné comme la « bonne » lecture à faire du texte, sa vérité. Un des
résultats essentiels de la présente entreprise collective est ainsi de mettre au jour les
fortes solidarités qu’entretiennent discours des clés et interprétations savantes, par
l’entremise notamment des transformations éditoriales des textes.
De fait, la clé prend souvent dès sa première formulation écrite l’aspect de la
note : on le voit par exemple dans les annotations de Nicole-Wendrock aux

Elisante, Chrisile ny Clarice ; faites-les moy cognoistre, je vous en prie », Lettre du


24 septembre 1658, Correspondance, éd. A. Beaunier, Paris, Gallimard, 1942, t. I, p. 135.
11
Après Roger Chartier, 1992 (repris en 1996), p. 33, nous empruntons la notion de
« communauté de lecteurs » (« interpretative communities ») à Stanley Fish, 1980. S. Fish ne
donne toutefois à l’idée aucun contenu historiquement situé. Pour une réflexion sur
circulation de l’information et espace public à partir d’un cas singulier d’écriture
pamphlétaire à clé, voir Robert Darnton, 2003.
C l é s e t u sage s d e c l és 13

Provinciales, étudiées par Alain Cantillon, les élucidations des satires de Boileau
par Brossette (Volker Schröder), ou encore celles de l’Aminta par Ménage
(Laurence Giavarini). D’une édition à l’autre le commentaire s’enrichit, attirant à lui
de nouveaux « documents » ou « témoignages » qui le consolident. De véritables
« fictions critiques », pour reprendre une expression de Françoise Lavocat,
s’élaborent, à la force de conviction d’autant plus tenace qu’elles viennent combler
toute hésitation sur le sens du texte, toute incertitude aussi sur son articulation à
l’histoire : il n’est pas anodin, en ce sens, de remarquer que la construction des clés
se fait en liaison étroite avec l’affirmation de la fonction-auteur – phénomène
sensible notamment lorsque la clé touche à la révélation de l’identité de l’auteur ou
de détails sur sa vie – et l’élaboration des appareillages éditoriaux (le discours
biographique en particulier) qui l’accréditent.
Les déchiffrements des contemporains et ceux opérées a posteriori par les
historiens de la littérature ne sont pas à mettre exactement sur le même plan,
puisque dans un cas le cryptage peut être sciemment fait pour sélectionner certains
lecteurs, alors que dans un autre il peut être un effet du temps qui passe et menace le
texte d’une perte définitive de lisibilité : la clé trouve alors sa justification dans la
nécessité, souvent avancée par le discours érudit, de proposer un éclaircissement
« historique » du texte. Mais, dans bien des cas, on observe une continuité
remarquable entre les premières éditions du texte et ses plus récents commentaires,
continuité due surtout à l’« oubli » des circonstances de production du discours
d’élucidation originel, de l’identité de celui qui l’a constitué, de son inscription dans

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un lieu et un moment précis. Or, l’examen de ces circonstances qui entourent la
constitution des clés tel que le proposent les études de ce volume est riche en
enseignement : c’est la manière par exemple dont Ménage a construit sa propre
autorité philologique dans la « mise en scène du monde lettré » de Ferrare opérée
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par sa clé de l’Aminta qui se révèle (Laurence Giavarini) ; c’est la manière encore,
plus proche de nous, dont la lecture à clé des romans de Mlle de Scudéry produite
par Cousin sert la construction d’une image de la société du XVIIe siècle proposée
en modèle politique à son temps (Dinah Ribard12).
Loin de mériter le rejet qui les accueille le plus souvent au nom du risque de
« réduction » qu’elles feraient courir au texte littéraire, les clés demandent ainsi un
regard qui les restitue dans leurs enjeux, dans leurs effets durables aussi, de manière
à entreprendre de rendre raison des gestes interprétatifs qui sont encore les nôtres.
Le présent volume veut donc contribuer aussi à une réflexion sur l’herméneutique
des textes « littéraires » : on soulignera pour finir quelques-uns des enjeux
théoriques ou épistémologiques attachés à nos trousseaux de clés.

12
Sur Cousin et le XVIIe siècle, voir aussi Alain Brunn, 2004.
14 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

L’œil à la serrure
Parmi toutes les critiques que Julien Gracq adresse à la critique littéraire, la plus
cruelle est sans doute celle qui ironise sur ce génie singulier consistant à transformer
tout texte en serrure pour pouvoir en exhiber triomphalement la clé : « Psychanalyse
littéraire – critique thématique – métaphores obsédantes – etc. Que dire à ces gens,
qui croyant posséder une clef, n’ont de cesse qu’ils aient disposé votre œuvre en
forme de serrure13 ? » Si Julien Gracq vise ici la « critique » qui, en cette année-là
(1967, quatre ans après le Sur Racine), est en passe de devenir « la nouvelle
critique » (on aura reconnu Charles Mauron, Jean-Pierre Richard, mais peut-être
aussi le Sartre de L’Idiot de la famille), la formule décrit le trajet de toute démarche
herméneutique aussi bien que le travail plus positif de l’histoire littéraire
traditionnelle : faire jouer une clé, c’est dans tous les cas tenter de dire cette
« réalité » que le texte dissimule et vouloir douer d’autorité un sens non pas original
mais originel qu’on postule enfoui sous le texte.
Les études ici rassemblées – c’est là un résultat inattendu et l’effet singulier de
leur mise en série – éclairent diversement cette parenté de principe entre les
méthodes de lecture les plus ouvertement herméneutiques et l’histoire littéraire la
plus érudite qui prétend à un « savoir » sur les circonstances de production des
textes : l’opprobre qui frappe depuis une bonne trentaine d’années les lectures à clé,
pour les œuvres du XVIIe siècle comme pour toutes les autres, n’a peut-être pas eu
d’autre fonction que de « forcer » ce partage en nous laissant oublier que l’histoire
littéraire est une herméneutique comme les autres.

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Le discrédit jeté sur les lectures à clé, on en fera fermement l’hypothèse, est resté
seulement théorique : son histoire reste à faire et n’est qu’esquissée dans la présente
livraison. Il vaudrait la peine de s’attacher davantage aux polémiques souvent
franches, aux désaveux parfois ambigus et à la désaffection quelquefois complète
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qu’ont pu susciter les thèses de Paul Janet sur La Bruyère, René Jasinski sur La
Fontaine, Jean Orcibal sur les tragédies religieuses de Racine14. On pourrait de
même, plus près de nous, suivre l’éclosion des petites querelles savantes qui ont
entouré, par exemple, la publication du livre d’Alain Niderst et sa tentative d’une
systématisation des clés de l’œuvre de Mlle de Scudéry15, ou les débats récurrents
sur l’interprétation de « la société des quatre amis » mis en scène dans Psyché16.

13
Lettrines, Paris, José Corti, 1967, p. 55.
14
Voir ainsi Paul Janet, 1885 (repris en 1888), René Jasinski, 1966 ou encore Jean
Orcibal, 1950.
15
Voir Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, 1976, p. 525-535 pour un
bilan des « clefs », et deux comptes rendus de cet ouvrage qui discutent chacun l’importance
accordée aux clés, par Bernard Beugnot dans XVIIe siècle en 1978, et Micheline Cuénin, la
même année, dans la R.H.L.F. ; le débat rebondit encore après l’étude de Jean Mesnard,
« Pour une clé de Clélie », 1993, qui revient pour les discuter sur les hypothèses d’A. Niderst,
et la réponse de celui-ci en 1994.
16
Voir par exemple pour le XIXe siècle l’annotation des premières pages du texte par
Ch. Marty-Laveaux (La Fontaine, Œuvres complètes, éd. cit., t. III, p. 16-17) ; dans la
C l é s e t u sage s d e c l és 15

Car réfléchir sur le principe même des lectures à clés, c’est en venir très vite aux
différents postulats qui fondent aujourd’hui encore notre conception du texte
littéraire et de la lecture qu’il appelle : sommes-nous sûrs de toujours concevoir le
sens d’un texte autrement que comme « l’expression » de quelque chose qui
préexiste à sa rédaction, que le « génie » littéraire traduit ensuite dans sa « langue »
propre et qu’il s’agit finalement pour l’interprète comme pour le simple lecteur de
« dévoiler » ? Saurions-nous seulement imaginer un commentaire qui prétende à
autre chose qu’à une patiente remontée vers une « origine » du texte, quel que soit le
nom qu’il nous plaise de lui donner – « source », « modèle », « contexte » ou
« idéologie » ? Et comment se dispenser d’une instance qui légitime ce discours
tenu sur le texte et toujours énoncé non pas au nom de l’interprète mais au nom de
l’auteur, de son époque ou de son « milieu », sinon au nom du « Texte » lui-même ?
On peut bien dès lors nommer « clé » toute caution qui vient garantir, soit
autoriser, l’interprétation : le geste, à bien des égards premiers, de l’attribution
relève d’un semblable réflexe élevé au rang de nécessité critique. Alain Cantillon en
fait la démonstration sur l’exemple des Provinciales : donner à l’œuvre un
« auteur », c’est décider tout uniment de son statut, de son sens, et de sa postérité17 ;
le nom de l’auteur est cette clé qui ouvre le texte à un dehors pour en verrouiller
finalement l’accès, comme le montrent aussi les analyses de Muriel Bourgeois sur
les effets du pseudonyme chez Pascal. Un examen du cas, plus consensuel, des
Lettres portugaises amènerait aux mêmes conclusions : l’attribution à Guilleragues
fonctionne bien comme une clé qui conditionne le statut du texte (fiction ou

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diction), son achèvement (fragments ou œuvre achevée), son genre même
(correspondance authentique ou premier en date des romans épistolaires), et jusqu’à
son appartenance au corpus des œuvres de langue française (les Portugais, on le sait,
en jugent tout autrement) – au point que l’on peut légitimement se demander si
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« l’invention » remarquablement tardive de l’auteur « Guilleragues », loin de


nommer l’origine, n’est pas en réalité le produit en même temps que la condition
d’une interprétation du recueil.
Nombre des contributions ici rassemblées viennent semblablement illustrer de
quel secours peut être une clé dès lors que le statut d’un texte demeure durablement
indécis : Anne Arzoumanov montre qu’en déniant aux héros de l’Histoire

critique moderne, les déclarations catégoriques de Jean Rousset contre les différentes
tentatives d’identification de ces personnages : « Nous éviterons soigneusement l’inévitable
“querelle des quatre amis” : Gélaste est Molière, ou plutôt Chapelle, ou encore Maucroix ?
Faux problème qui n’a d’autre effet que de nous détourner de l’œuvre, de son auteur et de son
art », L’Intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIesiècle [1968],
Paris, José Corti, 1976, p. 117-118 ; et la synthèse proposée par Bernard Beugnot et Roger
Zuber sur ce qu’ils nomment le « mythe critique » de l’identification des quatre personnages
à Racine, Boileau, Molière, La Fontaine (Boileau. Visages anciens, visages nouveaux. 1665-
1970, Presses de l’Université de Montréal, 1973, p. 110-111).
17
D’Alain Cantillon, voir également « La vive voix posthume de Pascal : instituer le
malentendu en 1670 », 2004.
16 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

amoureuse des Gaules de Bussy-Rabutin le statut de personnages de fiction, la


tradition éditoriale qui entérine l’existence de clés décide nettement de la valeur
documentaire du texte ; et Laurence Giavarini analyse de son côté la manière dont
l’hypothèse d’une clé perturbe la lecture de l’Aminta du Tasse comme allégorie
bucolique pour faire (ré)entendre le propos politique de la pièce.
Pour achever de se convaincre que la question des lectures à clé engage une
réflexion frontale sur les principes mêmes du commentaire, on prendra le temps
d’un bref détour par un article de Roland Barthes significativement intitulé « Les
deux critiques »18. R. Barthes soulignait dès 1963 le postulat « analogique » – on
pourrait dire : allégorique – qui hante semblablement l’histoire littéraire (que
Barthes nomme ici commodément « critique universitaire ») et la « critique
d’interprétation » (les noms de J.-P. Sartre, G. Bachelard, L. Goldmann, G. Poulet,
J. Starobinski, J.-P. Richard se trouvent pêle-mêle mentionnés) : du côté de « la
méthode positiviste héritée de Lanson » dont le travail essentiel tient dans « la
recherche des sources », le postulat d’analogie autorise, sinon oblige, à « mettre
l’œuvre étudiée en rapport avec quelque chose d’autre, un ailleurs de la littérature »
– cet « ailleurs » pouvant tenir dans « une autre œuvre (antécédente) ou une
circonstance biographique » : « Le second terme du rapport implique d’ailleurs
beaucoup moins que sa nature, qui est constante dans toute critique objective : ce
rapport est toujours analogique ; il implique la certitude qu’écrire, ce n’est jamais
que reproduire, copier, s’inspirer de, etc. ; les différences qui existent entre le
modèle et l’œuvre (et qu’il serait difficile de contester) sont toujours mises au

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compte du “génie”, notion devant laquelle le critique le plus opiniâtre, le plus
indiscret renonce brusquement au droit de parole […]. »
Du côté de la critique d’interprétation (dite aussi par Barthes « idéologique »
dans la mesure où elle rapporte délibérément l’œuvre étudiée « à l’une des grandes
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idéologies du moment, existentialisme, marxisme, psychanalyse,


phénoménologie »), le postulat n’est pas bien différent : « La critique
psychanalytique est encore une psychologie, elle postule un ailleurs de l’œuvre (qui
est l’enfance de l’écrivain), un secret de l’auteur, une matière à déchiffrer […]. »
R. Barthes concluait, non sans provocation, que les « deux critiques » devraient
logiquement faire bon ménage, la première étant disposée à admettre à peu près
« tout ce qui met l’œuvre en rapport avec autre chose qu’elle même, c’est-à-dire
autre chose que la littérature : l’histoire (même si elle devient marxiste), la
psychologie (même si elle se fait psychanalytique), ces ailleurs de l’œuvre seront
peu à peu admis ». Les années 1970 devaient donner raison à R. Barthes : la
« critique universitaire » s’est bien accommodée des grandes herméneutiques – le
refus, pour le coup durablement entériné, s’exerçant sur tout autre chose : sur la
possibilité d’une lecture strictement immanente des œuvres littéraires.
Le discrédit affiché à l’égard des lectures à clé aura finalement permis à la
critique universitaire de faire d’une pierre trois coups – de dissimuler tout à la fois

18
Initialement paru dans Modern Language Notes, repris en 2002, p. 497 sq.
C l é s e t u sage s d e c l és 17

que son savoir se confond avec une interprétation, qu’elle perpétue une théorie du
texte implicitement allégorique, qu’elle s’oppose moins aux différentes
herméneutiques qu’au principe d’une lecture immanente – et c’est pourquoi la
critique reste peut-être bien hantée par le principe honni de « clés » de lecture. On y
reviendra un peu plus loin, en s’efforçant de dire de quel usage les lectures à clés
pourraient bien nous être aujourd’hui, en indiquant aussi, par un autre paradoxe,
comment ce mode de lecture, méthodiquement repensé, pourrait servir des analyses
ouvertes sur le futur des œuvres plutôt que sur leur passé…
Méditer en ces termes le discrédit dont les lectures à clé font l’objet ne signifie
pas qu’on a cherché ici, par goût du paradoxe ou concession à une bien mauvaise
idée de « l’érudition », à réhabiliter un mode de lecture qui méconnaît le statut
même des textes en réduisant cette polysémie en quoi réside, pour tout lecteur
moderne, une bonne part de leur « littérarité ». B. Beugnot, dans l’article déjà cité,
avait cette formule heureuse : « Imaginatif, indiscret ou complice, le découvreur de
clé prend figure d’Hermès, de prêtre ou de devin, campé au seuil du texte, détenteur
de l’instrument magique qui va en résorber l’irritant secret, attendant que l’écrivain
lui dise comme Usbeck au grand eunuque noir : “Tu tiens en tes mains les clés de
ces portes fatales qui ne s’ouvrent que pour moi.”19 »
Toutes les pratiques de commentaire, par delà la diversité des approches ou des
« écoles » critiques, se rejoignent dans cet idéal paradoxal d’un sens qu’on puisse
donner à la fois comme littéral, univoque, et comme le produit d’une herméneutique
authentiquement critique. La proposition de Christine Noille-Clauzade, qui revient

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sur la formule par laquelle La Bruyère récuse toute lecture à clé pour ses
Caractères, est à cet égard particulièrement éclairante : elle révèle ce que l’idée
d’un « sens littéraire » doit aux débats de la fin du XVIIe siècle sur l’exégèse
biblique et l’épineux problème d’un sens littéral non pas obvie mais établi puis
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« expliqué » selon des procédures distinctes de celles mises en œuvre dans le


dévoilement des différents sens mystiques20. On rapprochera l’hypothèse des
réflexions de Christophe Angebault, pour lequel les lectures à clés sont, à l’âge
classique, conçues sur le modèle de la « théologie des clés » centrale dans la
doctrine catholique, la promotion ultérieure du commentaire littéraire accompagnant
un mouvement de laïcisation de l’autorité. La question, à laquelle toutes les
contributions du présent volume nous ramènent, est bien en définitive celle de
l’autorité : autorité de l’« origine » vers laquelle il s’agit de remonter, autorité de
l’interprète qui doit trouver ailleurs les moyens d’« ouvrir » le texte et la garantie du
sens qu’il prétend mettre au jour, autorité de l’éditeur qui se trouve devoir régler le
statut du texte en prenant sa place dans une série d’énonciations constituée en
tradition.

19
« Œdipe et le Sphinx. Des clefs », art. cit., p. 228.
20
Ch. Noille-Clauzade donne d’autres développements à cette proposition dans son
dernier ouvrage, 2004.
18 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

Jeux de clés : complications de texte


Le projet même du présent volume a été guidé par la conviction qu’une fois
mieux compris le sens du discrédit dont elles sont l’objet, qu’une fois conjuré l’effet
d’autorité qui les accompagne, les lectures à clé offrent à qui veut bien en repenser
le principe un protocole à plus d’un titre précieux. On indiquera ici les trois ou
quatre biais par lesquels la lecture à clé mérite d’être méthodiquement reconsidérée,
en s’en tenant au cas le mieux représenté – celui où une clé, le plus souvent attachée
au nom d’un personnage, est léguée par la tradition et sans l’aveu de l’auteur.
Le premier biais consiste à attendre de la clé non une explication du texte mais
bien sa complication. Volker Schröder le montre avec les Satires de Boileau (où
deux clés pour un même patronyme supposent de lire en quelque sorte deux textes à
la fois), André Tournon avec Le Moyen de parvenir de Béroalde de Verville (où
pourraient bien être disposées quelques clés aussi virtuelles que leurs serrures) :
prendre en considération la possibilité attestée d’une clé, c’est s’obliger à scruter à
nouveaux frais des lieux ou phénomènes textuels jusque-là tenus pour insignifiants,
à réorganiser le matériau sémantique et la hiérarchie des motifs, à imprimer au texte
de nouvelles structures – donc à lire le même texte autrement, et peut-être bien en
définitive un autre texte. C’est encore postuler qu’un texte est fait de plusieurs
strates, qui sont autant de « textes » s’actualisant différemment selon les époques,
les contextes et les lecteurs ; c’est enfin se donner les moyens d’observer d’un peu
plus près ce jeu de plusieurs lisibilités dans un même texte qui est la condition de

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son devenir historique. On ne fera donc pas jouer la clé dans l’espoir d’atteindre une
« vérité » du texte ou un sens « originel », mais pour faire varier synchroniquement
ses conditions de lisibilité, tenter de saisir plusieurs significations à la fois et
parvenir à décrire par elles la complexité structurale qui conditionne cette pluralité.
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La seconde vertu d’une clé tient dans la circulation intertextuelle à laquelle elle
nous invite. On l’a plus haut indiqué : à trois siècles de distance, la clé ne nomme
plus pour nous un référent, elle nous ouvre les portes d’une bibliothèque, en nous
menant d’un volume à un autre (ainsi des Historiettes de Tallemant de Réaux,
abondamment mobilisées par les études ici réunies), en dessinant de nouveaux
parcours entre les textes pour rapprocher des livres que tout sépare. Nommer la clé,
d’un portrait par exemple, c’est ouvrir le texte à une diversité d’autres textes, dont
les statuts et finalités respectifs doivent être également interrogés, puis composer à
partir de ces fragments un archi-portrait auquel confronter en retour le texte de
départ – et donc ici encore compliquer un texte par un autre en multipliant les
lisibilités. Il y a là une forme d’intertextualité seulement critique : point n’est besoin
d’entériner la clé pour tirer un profit herméneutique du parcours intertextuel qu’elle
institue.
Le troisième principe sera décidément ludique : il consiste à entrer dans la
logique fictionnelle toujours attachée aux clés. Les exemples de la « redécouverte »
passionnée faite par Victor Cousin des romans de Mlle de Scudéry, telle que
l’analyse Dinah Ribard, de bien des pages de Sainte-Beuve sur le XVIIe siècle
C l é s e t u sage s d e c l és 19

(songeons à ce que deviennent les Maximes de La Rochefoucauld et les nouvelles de


Mme de La Fayette dans le petit « roman » d’amour délivré au sein des Portraits de
femmes21), de Gustave Servois et Édouard Fournier dans leur commentaires de La
Bruyère22, le montrent suffisamment : les clés nous donnent à rêver, ou à affabuler,
de brèves fictions d’auteur, et l’érudition s’accommode assez bien de ce désir de
romanesque qui est peut-être au fond de toute lecture. La première postérité des
nouvelles de Mme de La Fayette, qu’examine ici Françoise Gevrey, révélait déjà la
minceur de la frontière séparant érudition et métafiction. Les clés invitent sans cesse
à passer du commentaire à la réécriture – soit plus exactement, dans la terminologie
de G. Genette : aux forgeries, à l’instar des « suites » apocryphes données à certains
textes. Il n’y a qu’un pas de l’enquête érudite à la pratique d’une littérature au
second degré : c’est en forgeant ses clés que le critique pourrait bien devenir
écrivain – non pour produire, comme Cousin ou Sainte-Beuve, des « romans »
idéologiquement orientés en lieu et place de l’histoire littéraire, mais pour tenter de
retrouver certaines des logiques profondes, et perdues aussi au fil du temps, qui
habitent nombre de textes. Parce que les clés nous mettent aux prises avec des
interprétations historiquement attestées, fussent-elles totalement « imprévues » par
la structure du texte pour nous la plus manifeste, elles engagent à réfléchir sur le fait
même d’une pluralité d’interprétations et plus généralement sur la « grammaire des
possibles » attachée à tout texte, qu’exploitent indifféremment réécritures et
commentaires.
On a laissé plus haut entrevoir ce que pourrait être un quatrième « bon usage »

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des clés : il est paradoxalement possible de recourir à une clé dans le cadre d’une de
ces lectures immanentes dont s’accommode mal l’histoire littéraire – refus qui rend
ambigu, on l’a dit aussi, le discrédit attaché à la quête des clés avec laquelle cette
même histoire littéraire s’est longtemps confondue. La démonstration d’un tel
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recours à des clés a été faite au moins une fois, par Xavier Bonnier sur une fable de
La Fontaine (et l’une des plus célèbres : « Le Corbeau et le Renard »), dans un

21
Le portrait, qui noue l’écriture de La Princesse de Clèves à la liaison qu’auraient eu
Mme de La Fayette et le duc, est paru d’abord dans la Revue des Deux mondes, en 1836, puis
a été repris dans Portraits de femmes en 1845. On en trouvera des extraits dans Maurice
Laugaa, 1971, p. 169-177, où celui-ci propose notamment cette forte analyse : « Le discours
de Sainte-Beuve sur Mme de La Fayette représente l’assomption d’une critique traditionnelle,
en qui se combinent le panégyrique et la leçon moralisatrice ; mais un double jeu scripturaire
transforme insidieusement l’apparat […] en un commerce fictif avec les héros envahissants
d’un nouveau romanesque. L’activité métaphoro-métonymique, le supplément signifiant que
le souci du style et de la formule ajuste à la lettre d’un énoncé ne s’expliquent qu’à l’intérieur
d’une Poétique “critique”, d’un romanesque didactique, comme si l’une des tâches du
commentateur était désormais de faire tenir ensemble des discours auparavant disjoints »
(p. 176).
22
M. Escola, 2001a, chap. X, ainsi que, sur les clés, chap. IX ; et 2001b, chap. VIII à X.
20 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

article passé un peu inaperçu23 et dont on voudrait retenir ici les seuls principes
méthodologiques.
L’idée consiste tout simplement à « contourner le (faux ?) problème de
“l’intention de l’auteur” [pour] soumettre la validité d’une lecture à clefs d’abord à
la rigueur de l’analyse formelle ou structurale, ensuite seulement à une vérification
externe, du côté de la biographie, de la chronologie, etc. ». L’ambition est donc
avant tout descriptive : elle consiste à donner du texte une description suffisamment
soucieuse de son détail formel, de sa logique (narrative, dans le cas d’un apologue)
et des éventuels hiatus de celle-ci, pour délivrer une sorte de « patron
préinterprétatif », « stylisation des mailles du texte ». Une telle description
structurale suffit à transformer le texte, non pas exactement en serrure, mais en
« question » – ou, selon le mot de X. Bonnier, en « toile dans laquelle le lecteur peut
prendre au piège la mouche de son choix ». En d’autres termes, la forme de la
question (pourquoi le fromage « tenu » par le Corbeau n’est-il jamais désigné
comme son bien propre – ce qui fait du Renard non un voleur mais un simple
« preneur » et de la narration non l’histoire d’un vol mais le récit d’un simple
transfert de détention obtenu sans vraie requête, par une série d’énoncés seulement
assertoriques ?) importera ici davantage que la « réponse » qu’on peut lui donner en
risquant telle ou telle clé (le Corbeau, c’est par exemple Corneille). Dans une telle
procédure, « la valeur des clefs ne serait plus inversement mais directement
proportionnelle à celle de la lecture “immanente”, la pertinence de l’une garantissant
celle de l’autre » – et le « patron préinterprétatif » pourrait bien permettre en retour

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l’évaluation des différentes lectures possibles (une interprétation qui considèrera la
mésaventure du Corbeau comme « disant » quelque chose d’un état du « champ
littéraire » est peut-être en effet non pas plus pertinente mais plus « rentable » en
regard du « patron » qu’une analyse qui verrait dans la fable une allégorie des
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rapports du poète au pouvoir politique lui-même).

Ce volume de Littératures classiques invite tout autant à de nouvelles enquêtes


sur un mode de lecture historiquement attesté qu’à un usage résolument paradoxal
des lectures à clés, pour concevoir à partir d’elles des analyses tournées vers l’aval
du texte (les lectures qui en ont été faites, et celles encore qu’il pourrait
possiblement autoriser) plutôt que vers son amont ; dans les deux optiques, méditer
les bons comme les mauvais usages des clés, c’est essayer de se défaire
méthodiquement de l’idée que la « vérité » d’un texte est à chercher du côté de son
« origine », en s’obligeant à inventer des procédures susceptibles non plus de
valider, mais d’évaluer les interprétations comme autant d’objets d’analyse à part
entière, en renonçant à chercher « ailleurs » l’instance de garantie dont le

23
« Lecture à clé pour serrure formelle », 1989 ; voir aussi Georges Kliebenstein, 1995,
qui revient sur les propositions de X. Bonnier et sur la même fable du « Corbeau et du
Renard ».
C l é s e t u sage s d e c l és 21

commentaire aurait besoin. La leçon est une leçon sur la lecture : le sens d’un texte
est, pour une bonne part, celui que lui donnent ses appropriations diversement
effectuées par des publics et dans des contextes dont l’histoire est à construire
systématiquement. C’est aussi une leçon de lecture : il n’y a pas d’autre « vérité »
pour un texte que celle qui s’énonce sous les espèces d’un sens seulement possible.
Autour de cas singuliers, les articles qui suivent mettent en évidence, chacun à sa
manière, les incertitudes soulevées par les lectures à clés, en montrant notamment
comment ces lectures influent sur le devenir des œuvres, et peuvent être rejouées au
fil de l’histoire de leurs réceptions et de leurs éditions. On les lira selon un parcours
qui nous conduira, tout d’abord, des rapports de la clé avec l’herméneutique
allégorique, envisagée aussi bien comme poétique romanesque que comme discours
théologique, à l’examen des effets de leurres qu’autorise la mise en œuvre d’un
discours crypté – simulacres de secrets et dissimulations du discours critique se
rencontrant ici dans une série de textes qui jouent de doubles-fonds pour séduire,
dérouter leurs lecteurs ou s’en faire comprendre « entre les lignes ». On s’attachera
ensuite à des situations qui montrent que la clé tend à devenir un discours propre,
qui tient de la réécriture de l’œuvre dont elle se veut le commentaire. Enfin, avec
l’étude de clés touchant au fonctionnement du nom d’auteur, puis la mise en
perspective de ce type d’interprétation au sein d’une large histoire de l’érudition, on
mesurera ce qu’une analyse de cette pratique de lecture peut nous apprendre sur nos
cadres de perception et de classement des discours.

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Ma th ild e Bomb a r t
Pa r is (GR I H L )
Marc Esco la
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Un iversité de Pa ris IV-So rbonne


Équ ip e Fabu la d e l’ E. N.S .
22 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

Bibliographie indicative

Cette bibliographie regroupe les ouvrages et articles critiques cités dans


l’Introduction ainsi qu’un certain nombre de ceux mentionnés par les auteurs des
études de ce volume. Elle n’est sans doute pas exhaustive et se veut plutôt une
invitation à prolonger l’enquête bibliographique et bibliophilique ici entamée.

I. Travaux sur les livres à clé et les lectures à clé


Études d’ensemble
BEUGNOT, Bernard, « Pour une poétique de l’allégorie », Critique et création
littéraire au XVIIe siècle, Paris, éd. du C.N.R.S., 1979, p. 409-432 ; repris dans
La Mémoire du texte. Essais de poétique classique, Paris, Champion, « Lumière
classique », 1994, p. 171-186.
––, « Œdipe et le sphinx. Des clés », dans Le Statut de la littérature. Mélanges
offerts à Paul Bénichou, Genève, Droz, 1982, p. 71-85 ; repris dans ibid.,
p. 227-242.
BOMBART, Mathilde, « Clés (textes à) », Dictionnaire du littéraire, P. Aron,
D. Saint-Jacques et A. Viala dir., Paris, PUF, 2002.
COUTON, Georges, Écritures codées : essais sur l’allégorie au XVIIe siècle, Paris,
Aux Amateurs de livres, 1990.

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DENIS, Delphine, Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au
XVIIe siècle, Paris, Champion, « Lumière classique », 2000 (« Le masque et le
nom », p. 189-235).
LAUGAA, Maurice, Lectures de Mme de La Fayette, Armand Colin, « U2 », 1971.
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MAÎTRE, Myriam, Les Précieuses. Naissance des femmes de lettres en France,


Paris, Champion, « Lumière classique », 1999 (« Clefs », p. 546-559).
SCHNEIDER, Georg, Die Schlüsselliteratur, Stuttgart, Hiersemann, 1951-1953,
3 vol.
STEWART, Philip, « Le Roman à clefs à l’époque des Lumières », dans Les
Dérèglements de l'art : formes et procédures de l'illégitimité culturelle en
France (1715-1914), P. Popovic et E. Vigneault éd., Presses de l’Université de
Montréal, 2000, p. 183-195.
Les Romans à clé, Actes du troisième Colloque des Invalides (3 décembre 1999),
J.-J. Lefrère et M. Pierssens éd., Tusson, Du Lérot, « En marge », 2000.
RÖSCH, Gertrud Maria, Clavis Scientiae. Studien zum Verhältnis von Faktizität und
Fiktionalität der Schlüsselliteratur, Tübingen, Niemeyer, 2003.

Études de cas
BLOCKER, Déborah, « Figures du peuple d’Israël dans l’Esther de Jean Racine »,
Chroniques de Port-Royal, n° 53, 2004, p. 177-197.
C l é s e t u sage s d e c l és 23

BOMBART, Mathilde, « Roman personnel ou roman familial : autour de la clef du


Page disgracié (1642/1667) », Littérales, n° spécial Actualités de Tristan,
Jacques Prévot dir., 2003, p. 195-210.
BONNIER, Xavier, « Lecture à clé pour serrure formelle », Poétique, n° 80,
novembre 1989, p. 459-473.
DARNTON, Robert, « Mlle Bonafon et la “vie privée de Louis XVI” », XVIIIe
siècle, n° 35, 2003, p. 369-391.
ESCOLA, Marc, édition des Caractères, Champion, 1999 (« Du bon usage des
clés », p. 669-671, et « Clés des Caractères », p. 672-757).
––, La Bruyère I. Brèves questions d’herméneutique, Champion, « Moralia », 2001
(chap. V, VI, IX et X – le dernier ayant suscité un débat avec Jean LAFOND,
dans La Bruyère. Le métier du moraliste, Actes du colloque international pour le
Tricentenaire de la mort de La Bruyère (nov. 1996), É. Bourguinat, J. Dagen et
M. Escola éd., Champion, « Moralia », 2001, p. 231 sq.).
––, La Bruyère II. Rhétorique du discontinu, Champion, « Moralia », 2001
(chap. VII-X).
––, Lupus in fabula. Six façons d’affabuler La Fontaine, Presses Universitaires de
Vincennes, « L’Imaginaire du texte », 2003 (chap. 5, « Ceci n’est pas une
fable » : lecture à clé et intertextualité dans Le Curé et le mort et La Laitière et
le Pot au lait).
GRAZIOSI, Elisabetta, Aminta 1573-1580. Amore e matrimonio a casa d’Este,
Maria Pacini Fazzi editore, 2001.

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GREINER, Franck, « Langue occulte et secrets désirs : les enjeux de la
stéganographie dans Le Voyage des Princes de Béroalde de Verville », La
Lecture littéraire, n° 3, janvier 1999, p. 15-25.
KLIEBENSTEIN, Georges, « Le cri du phœnix », Poétique, n° 103, septembre
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1995, p. 285-300.
LAVOCAT, Françoise, « Les traductions françaises de l’Arcadia de Sannazar »,
Revue de Littérature comparée, décembre 1995, p. 323-339.
––, « Théorie du roman, romans du moi : quelques lectures de l’Astrée au XVIIe
siècle », dans Fondements, évolutions et persistance des théories du roman.
Études romanesques, A. Pfersmann éd., Paris-Caen, Minard, 1998, p. 19-34.
PLANTIÉ, Jacqueline, La Mode du portrait littéraire en France, 1641-1681, Paris,
Champion, « Lumière classique », 1994 (« La recherche des clefs », p. 725-735).
WOODROUGH, Elizabeth, « Les clefs de Bussy : hollandaise ou dijonnaise ? »,
Actes du colloque de Dijon/Bussy-le-Grand (2-3 juillet 1993), Bussy-Rabutin.
L’Homme et l’œuvre, R. Duchêne, T. Noblat-Rérolle, J. Queneau et
D.-H. Vincent éd., Bussy-le-Grand, Société des amis de Bussy-Rabutin,
« Rabutinages », p. 107-120.
24 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

Autres études critiques


BARTHES, Roland, « Les deux critiques », Modern Language Notes, 1963 ; repris
dans Essais critiques, Paris, Le Seuil, 1964, p. 246-251, et dans Œuvres
complètes, éd. É. Marty, Le Seuil, 2002, t. II, p. 496-501.
BRUNN, Alain, « Victor Cousin et les moralistes du XVIIe siècle : de l’éclectisme à
la mort de l’auteur », Actes de la journée d’étude du 13 juin 2002, Figures
paradoxales de l’auteur XIXe-XXIe siècles, Recherches et travaux, Ch. Massol,
A.-M. Monluçon et B. Ferrato-Combe éd., Presses Universitaires de Grenoble,
n° 64, 2004, p. 65-78.
CANTILLON, Alain, « La vive voix posthume de Pascal : instituer le malentendu
en 1670 », dans Le Malentendu. Généalogie du geste herméneutique,
B. Clément et M. Escola éd., Paris, Presses Universitaires de Vincennes, 2004,
p. 89-105.
CAVAILLÉ, Jean-Pierre, Dis/simulations. Jules-César Vanini, François La Mothe
Le Vayer, Gabriel Naudé, Louis Machon et Torquato Accetto. Religion, morale
et politique au XVIIe siècle, Paris, Champion, « Lumière classique », 2002.
––, éd., Stratégies de l’équivoque, Cahiers du Centre de recherches historiques,
n° 33, avril 2004.
CHARTIER, Roger, L’Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe
entre XVIe et XVIIIe siècles, Aix-en-Provence, Alinéa, « De la pensée. Domaine
historique », 1992 ; repris dans Culture écrite et société. L’ordre des livres,
Paris, Albin Michel, « Bibliothèque Albin Michel. Histoire », 1996.

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FISH, Stanley, Is there a text in this class ? The authority of interpretative
communities, Harvard University Press, 1980.
GREINER, Franck, Les Métamorphoses d’Hermès, Paris, Champion,
« Bibliothèque littéraire de la Renaissance », 2000.
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JEANDILLOU, Jean-François, Esthétique de la mystification : tactique et stratégie


littéraire, Paris, Éditions de Minuit, « Propositions », 1994.
LAUGAA, Maurice, La Pensée du pseudonyme, Paris, PUF, « Écriture », 1986.
NOILLE-CLAUZADE, Christine, Le Style, Paris, Flammarion, « GF-Corpus »,
2004.

II. Exemples de lectures à clé et d’applications


CAHNÉ, Pierre, « La Place Royale ou la véritable indifférence », Actes du colloque
Pierre Corneille de Rouen (2-6 oct. 1984), A. Niderst éd., Paris, PUF, 1985,
p. 315-324.
CHARDON, Henri Achille, Scarron inconnu et les types des personnages du
Roman comique, Paris, Champion, 1903-1904, 2 vol. ; Genève, Slatkine
Reprints, 1970.
COUTON, Georges, « La Clef de Mélite », Réalisme de Corneille, deux études,
Publications de la Faculté des Lettres de l’Université de Clermont, 1953.
JASINSKI, René, La Fontaine et le premier recueil des Fables, Paris, Nizet, 1966.
C l é s e t u sage s d e c l és 25

LASSERRE, François, Corneille de 1638 à 1642. La crise technique d’Horace,


Cinna et Polyeucte, Paris-Seattle-Tübingen, PFSCL, « Biblio 17 », 1990,
p. 21 sq.
ORCIBAL, Jean, La Genèse d’Esther et d’Athalie, Paris, Vrin, 1950.
PINTARD, René, « À la recherche des amis d’“Orasius Tubéro”. Les “clefs” des
dialogues de La Mothe le Vayer », La Mothe le Vayer, Gassendi, Guy Patin.
Études de bibliographie critique suivies de textes inédits de G. Patin, Paris,
Boivin, « Publications de l’Université de Poitiers », 1943.
WALBRIDGE, Earle, Literary characters drawn from life ; « Romans à clef »,
« Drames à clef ». Real people in poetry, with some other literary diversions,
New York, H.W. Wilson, 1936.
––, Drames à clef ; a list of plays with characters based on real people, New York,
New York Public Library, 1956.

Autour des romans de Mlle de Scudéry


COUSIN, Victor, La Société française au XVIIe siècle d’après Le Grand Cyrus de
Mlle de Scudéry, Paris, Didier, 1858.
GODENNE, René, Les Romans de Mademoiselle de Scudéry, Paris, Droz,
« Publications romanes et françaises », 1983.
MESNARD, Jean, « Pour une clef de Clélie », dans Les Trois Scudéry, Actes du
colloque du Havre, A. Niderst éd., Paris, Klinsksieck, 1993, p. 371-408.
MORLET-CHANTALAT, Chantal, La Clélie de Mlle de Scudéry. De l’épopée à la

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gazette : un discours féminin de la gloire, Paris, Champion, « Lumière
classique », 1994 (« Le goût des enjoués : les histoires et la chronique galante »,
p. 103-225).
––, Madeleine de Scudéry, Paris-Rome, Memini-C.N.R.S., « Bibliographie des
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écrivains français », 1997.


NIDERST, Alain, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde, Paris, PUF,
« Publications de l’Université de Rouen », 1976 [comptes rendus par Bernard
BEUGNOT dans XVIIe siècle, n° 121, 1978, p. 319-124, et Micheline CUÉNIN
dans la RHLF, vol. 4, 1978, p. 634-636.
––, « Sur Les Clefs de Clélie », P.F.S.C.L., n° 41, 1994, p. 471-483.
SCUDÉRY, Madeleine de, PELLISSON, Paul, et leurs amis, Les Chroniques du
Samedi. Suivies de pièces diverses (1653-1654), éd. A. Niderst, D. Denis et
M. Maître, Paris, Champion, « Sources classiques », 2002.

Autour des Caractères de La Bruyère


ESCOLA, Marc, La Bruyère. Bibliographie analytique et critique (1696-1996),
Paris-Rome, Memini-C.N.R.S., « Bibliographie des écrivains français », 1996
(le chapitre 9 recense les travaux exploitant les clés des Caractères).
FOURNIER, Édouard, La Comédie de Jean de La Bruyère, Paris, E. Dentu, 1866,
2 vol.
26 Ma th ild e Bomb a r t e t Mar c Es co la

JANET, Paul, « Les clés de La Bruyère », Revue des Deux Mondes, 15 août 1885,
t. LXXX, p. 833-852 ; repris sous le titre « La psychologie des mœurs de La
Bruyère » dans Passions et caractères dans la littérature du XVIIe siècle, Paris,
1888, p. 165-267.
SERVOIS, Gustave, édition des Caractères, Hachette, « Grands Écrivains de la
France », 1865-1882.

III. Clé et bibliophilie


BRUNET, Gustave, « De quelques livres satyriques ou allégoriques et de leurs
clefs », Bulletin du Bibliophile, 11e série, février 1853, p. 63-73.
DRUJON, Fernand, Les Livres à clé, Paris, Rouveyre, 1888, 2 vol.
NODIER, Charles, Mélanges tirés d’une petite bibliothèque, Paris, Crapelet, 1829.
QUÉRARD, Joseph-Marie, Auteurs déguisés de la littérature française au XIXe
siècle. Essai bibliographique pour servir de Supplément aux recherches d’A.-A.
Barbier sur les ouvrages pseudonymes, Paris, au Bureau du bibliothécaire, 1845.
––, Supercheries littéraires dévoilées, œuvre posthume éditée par Gustave Brunet,
Paris, P. Daffis, 1869-1870.
––, Livres à clef, œuvre posthume éditée par Gustave Brunet, Bordeaux,
Ch. Lefebvre, 1873.

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