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Sonia Combe
La Découverte | Recherches
2009
pages 269 à 275
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Sonia Combe
dossiers de la Stasi sur lesquels j’ai travaillé. Certes, je n’ai pas consulté
les 4 millions retrouvés… J’ai même rencontré le cas d’une personne,
plus tard appelée à de hautes fonctions dans l’université, qui refusa fer-
mement de collaborer avec la Stasi venue lui demander de surveiller,
« idéologiquement » cela s’entend, son époux, lequel la trompait ouver-
tement. C’était la raison pour laquelle la Stasi avait tenté, en vain, sa
chance. Il existe bien d’autres cas de ce genre, les refus de collaboration
n’ayant pas été chose rare. Mais qui avait intérêt à en parler ? Pour les
médias, c’était de la « non-information ». Mais pour l’historien, le
sociologue ? Le premier savoir que délivrent les dossiers de la Stasi,
avec toutes les précautions qu’il faut prendre à la lecture de l’archive
policière qui peut produire tout aussi bien de la désinformation, c’est un
savoir sur le comportement social. Bien évidemment, les cas de refus de
collaboration ne gommeront pas le phénomène massif de participation
de la société à sa propre surveillance. On ne saurait nier que la collabo-
ration – à divers degrés et à différents niveaux – avec la Stasi sur les
lieux de travail et dans tous les espaces de la vie sociale sans exception
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4. Film de Florian Henckel von Donnersmarck, 2006. L’acteur Ulrich Mühe avait,
dans une interview, laissé entendre que sa première femme l’aurait espionné. Il fut attaqué
pour diffamation et perdit, faute de preuve.
5. Voir à ce sujet S. Kott, Le Communisme au quotidien. Les entreprises d’État dans
la société est-allemande, Belin, Paris, 2001.
6. Film de Wolfgang Becker, 2003.
272 ARCHIVES ET HISTOIRE DANS LES SOCIÉTÉS POSTCOMMUNISTES
Un effet de saturation
Le succès du film n’était pas garanti. (Il n’y eut cependant que
quelques fétichistes du détail historique pour bouder leur plaisir.) Il sur-
prit son réalisateur à qui il avait été proclamé, comme il le dit à maintes
occasions, que le thème « Stasi » n’était plus « porteur » et qui eut du
mal à réunir les fonds. Cet argument n’était pas étonnant. C’était
notamment celui des éditeurs. Pourtant, dans une étude menée en 2005
sur la production éditoriale allemande, j’avais noté que la part des
ouvrages consacrés à la Stasi correspondait à près de 20 % de la pro-
duction totale sur l’histoire de la RDA et qu’elle était restée stable entre
1990 et 20057. Ce pourcentage allait à l’encontre de l’idée reçue d’une
saturation du thème « Stasi » dans l’édition. Si l’effet de saturation était
bien réel, on devait donc l’attribuer au traitement médiatique du thème,
de même qu’à l’usage politique qui en a été fait. Pendant les années qui
suivirent l’ouverture des archives de la Stasi, il ne se passa pas un jour
sans que la presse quotidienne, la télévision et la radio ne fassent état
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L’accès aux archives publiques est un facteur décisif dans les choix
qui président en matière de gestion du passé proche. Il est toujours le
produit d’une négociation entre l’État et les citoyens et leur degré d’ou-
verture peut être à coup sûr considéré comme l’un des indicateurs les
plus fiables du degré de démocratie atteint par une société. Le retard
dans ce domaine de la Russie corrobore ce constat. La question des
archives est un facteur décisif dans les différents scénarios de gestion
du passé ou de ce que l’on appelle les « sorties de conflits » :
Au nom de la préservation de la paix sociale – ou cohésion natio-
nale – est légitimé le « droit à l’oubli » qui a pour corollaire la
fermeture des archives. Ce fut le choix de la France après 1945, en
vertu d’un pacte entre gaullistes et communistes pour avaliser la thèse
d’une France largement résistante. Un autre exemple est celui du
« pacte de silence » qui a prévalu dans l’Espagne de l’après-Franco8.
On met en place des commissions « Vérité et conciliation » qui ont
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11. Près de 50 000 Juifs de la Bulgarie comprise dans ses frontières d’avant la Seconde
Guerre mondiale ont échappé aux déportations, tandis que 11 000 Juifs de Macédoine et
de Thrace, territoires nouvellement annexés, ont été déportés.
12. Cf. M. Ignatov, The Bulgarian Jews during WW II: Myth or reality. Diplôme
d’études approfondies, Université de Genève, 2007.