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RéAPPROPRIATIONS DE L'EAU DANS LES BASSINS VERSANTS
SUREXPLOITéS
Le cas du bassin du Tensift (Maroc)
Oumaima Tanouti et François Molle

Editions de l?E.H.E.S.S. | Etudes rurales

2013/2 - n°192
pages 79 96

ISSN 0014-2182

Article disponible en ligne l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2013-2-page-79.htm
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Pour citer cet article :


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Tanouti Oumaima et Molle François, Réappropriations de l'eau dans les bassins versants surexploités Le cas du
bassin du Tensift (Maroc),
Etudes rurales, 2013/2 n°192, p. 79-96.
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RÉAPPROPRIATIONS Oumaima Tanouti et François Molle

DE L’EAU
DANS
LES BASSINS VERSANTS
SUREXPLOITÉS
La création de ce nouveau territoire de
LE CAS DU BASSIN DU TENSIFT l’eau qu’est le bassin versant a contribué à la
« complexification du maillage territorial », a
(MAROC)
suscité des chevauchements de compétences
et de prérogatives administratives [Mostert
1998 ; Ghiotti et Haghe 2004], et induit des
reconfigurations bureaucratiques s’accompa-
gnant de conflits internes [Molle et Hoanh
2011].
Les conflits d’usage et d’intérêts autour de
l’allocation de la ressource sont plus pronon-
cés lorsque celle-ci est limitée. La demande

P
AR SA NATURE FLUIDE, l’eau, sur son croissante en eau accentue la pression sur
cours, met en relation différents acteurs, cette ressource et provoque inévitablement la
secteurs et usages, eaux de surface et « fermeture » des bassins [Molle, Wester et
eaux souterraines, questions de qualité et de Hirsch 2010], c’est-à-dire une situation où la
quantité, l’utilisation humaine et des fonctions ressource est presque totalement allouée et
environnementales, ainsi que différents niveaux consommée (par évaporation et transpiration
de gestion. des plantes), ne laissant que des débits insuffi-
La territorialisation de la gestion de l’eau sants pour satisfaire les besoins environne-
à l’échelle du bassin versant paraît ainsi légi- mentaux et permettre le contrôle de la salinité
time et se fonde sur de multiples arguments, et de la pollution. Tout prélèvement supplé-
le plus « naturel » d’entre eux étant l’argu- mentaire, de même que toute intervention
ment géographique qui veut que le bassin ver- modifiant un usage donné, entraîne des chan-
sant (ou bassin hydrographique) soit l’unité gements dans la circulation de l’eau et se tra-
idéale qui intègre toutes ces dimensions et duit par une réallocation de la ressource, à la
interactions [Millington 2000 ; Prévil, St-Onge fois spatiale et sociale, visible ou non (elle se
et Waaub 2004]. Malgré cette évidence phy- fait souvent à travers la nappe souterraine). Le
sique, le choix de cette unité de gestion reste plus fréquemment, ces réappropriations béné-
un choix politique, qui donne lieu à des ten- ficient aux acteurs-secteurs les plus puissants,
sions entre des objectifs publics et des objec- financièrement et/ou politiquement :
tifs privés car les différents niveaux de décision,
La gouvernance de l’eau reflète les struc-
secteurs et acteurs qui interfèrent au niveau tures sociales, les relations de pouvoir
de cette entité géographique sont animés par établies et les intérêts spécifiques des
des intérêts et des visions du monde souvent acteurs associés [Houdret 2005 : 287].
contradictoires [Perennes 1992 ; Barham 2001 ;
Wester et Warner 2002 ; Blomquist et Schlager C’est ce qu’une approche par la political
2005 ; Houdret 2005 ; Venot 2008]. ecology [Molle 2012] permet de mettre en

Études rurales, juillet-décembre 2013, 192 : 79-96


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Oumaima Tanouti et François Molle

... évidence, en étudiant les liens entre les évo- Après avoir caractérisé la situation hydro-
80
lutions environnementales, les structures de logique de ce bassin, nous nous demanderons
pouvoir et les justifications discursives des comment s’opèrent ces réallocations, à qui
prises de décision. elles profitent, et comment elles sont justi-
Au Maroc, la gestion par bassin a été insti- fiées. Nous prendrons trois exemples, parmi
tutionnalisée, en 1995, avec la promulgation les plus significatifs, de réallocations de l’eau
de la loi sur l’eau 10-95 et la création des en cours, souvent tues ou invisibles. Ces
agences de bassin, dont la première, l’Agence exemples interrogent la place de l’Agence de
de l’Oum Er Rbia, a vu le jour en 1998. Le bassin et son rôle de régulateur, et, plus géné-
rôle de ces agences est de mettre en œuvre ralement, la réalité de la gestion « intégrée »
les principes d’une gestion intégrée, en arbi- de l’eau au Maroc.
trant les différentes demandes tout en s’assu-
rant du respect de l’environnement [Gana et
Présentation sommaire du bassin
El Amrani 2006] 1. Sur le terrain, cette réforme
du Tensift
a instauré une nouvelle « couche de gouver-
nance », qui est venue se superposer à celles Situé au centre-ouest du Maroc, le bassin
qui existaient déjà (Direction de l’hydrau- du Tensift s’étend sur 24 000 km2 et couvre
lique, offices régionaux de mise en valeur sept préfectures et provinces, notamment la
agricole, organisations communautaires...). préfecture de Marrakech et les provinces
Cet article s’intéresse au bassin du Tensift, d’Al Haouz et d’Al Youssoufia (fig. 1 p. 82).
connu pour sa culture ancestrale de la gestion La situation climatique de ce bassin est très
de l’eau et pour la multiplicité de ses réseaux contrastée en fonction des unités géogra-
hydrographiques et leur enchevêtrement : phiques qui le composent : si le haut Atlas
Le Haouz de Marrakech figur[e] parmi reçoit des précipitations de 800 mm/an, la
les sites les plus complexes à décrire du plaine du Haouz (au cœur de laquelle se
point de vue des territoires hydrauliques, trouve la ville de Marrakech), la Bahira et
dans la mesure où plusieurs générations
de réseaux coexistent, se superposent et
les Jbilets ne reçoivent, eux, que 250 à
se recomposent [Ruf et Riaux 2001 : 40].

Dans ce bassin semi-aride et surexploité, 1. Voir aussi ABHT (Agence du bassin hydraulique du
l’eau est un élément clé du développement Tensift), « Étude de révision du plan directeur d’amé-
socioéconomique, au cœur des secteurs les nagement intégré des ressources en eau des bassins du
plus importants de la région (tourisme, agri- Tensift Ksob et Igouzoullen. Rapport interne. Définition
culture, expansion urbaine), qui sont aussi les des aspects institutionnels, organisationnels et régle-
plus consommateurs de cette ressource. Ces mentaires », 2008, et « Étude de révision du plan direc-
teur d’aménagement intégré des ressources en eau des
secteurs entrent en compétition, et l’accroisse- bassins du Tensift Ksob et Igouzoullen. Rapport interne.
ment de leurs besoins se traduit inévitable- Définition des scénarios et réalisation des bilans
ment par des réallocations entre usagers et besoins-ressources », 2008 (http://www.eau-tensift.net/
entre secteurs. index.php?id=36).
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

270 mm/an 2. Cette disparité spatiale se et ce qui est prélevé de ces galeries aujourd’hui
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double d’une variabilité temporelle, à la fois est négligeable.
saisonnière et interannuelle. Le bassin du Tensift comprend trois prin-
cipales nappes phréatiques, dont la plus pro-
POTENTIEL HYDRIQUE ductive est la nappe du Haouz. Les eaux
Avec des précipitations moyennes de 300 mm/ souterraines du bassin du Haouz ont fait
an, le bassin reçoit un volume d’eau de 6 224 l’objet de plusieurs études [Abourida et al.
Mm3 (millions de mètres cubes) et génère 2004 et 2008] 5, qui concluent, toutes, à un
un ruissellement estimé à 1 117 Mm3. Cette déficit annuel, défini comme la différence
eau est drainée sur tout le bassin par l’oued entre les prélèvements nets et une recharge
Tensift et ses affluents, essentiellement sur la estimée à 520 Mm3/an, qui se situerait entre
rive gauche, que sont le Chichaoua, Assif El 100 et 150 Mm3.
Mal, N’Fis, Righaya, Zat, Ghdat et le Lahr.
Le bassin connaît une mobilisation crois- DEMANDE EN EAU
sante de sa ressource disponible, qui com- L’eau du bassin du Tensift est sollicitée par
prend ses ressources internes et les transferts, 1) le secteur de l’eau potable, et les industries
depuis un bassin voisin (l’Oum Er Rbia), par de Marrakech et des centres urbains et ruraux
le canal de Rocade. Le volume total (eaux avoisinants ; 2) l’agriculture irriguée, divisée,
superficielles) mobilisé à ce jour s’élève à de manière conventionnelle, entre la grande,
880 Mm3, les volumes restants correspondant et la petite et moyenne hydraulique (PMH) ;
à des crues importantes non maîtrisées. 3) le tourisme, avec notamment les besoins
On peut distinguer deux types d’ouvrage des hôtels, golfs et autres espaces récréatifs.
liés à cette mobilisation. Le premier, tradi- Des enjeux importants se jouent donc autour
tionnel, correspond au réseau de seguias 3 de la ressource hydrique.
et de canaux (642 seguias, 198 mesrefs et
36 canaux) qui dérive l’eau des oueds
et représente 1 100 kilomètres de longueur 2. ABHT, « Étude de révision du plan directeur d’amé-
cumulée. La quantité d’eau dérivée, estimée nagement intégré des ressources en eau (PDAIRE) des
bassins du Tensift. Note de synthèse. Atelier de vali-
à 210 Mm3, est essentiellement utilisée pour dation du scénario optimum d’aménagement intégré des
l’irrigation 4. Le second type d’ouvrage corres- ressources en eau du bassin du Tensift, Ksob et Igou-
pond aux barrages et retenues : on dénombre zoulen », 2010.
3 grands barrages (Lalla Takerkoust, Wirgane 3. Canaux en terre avec une prise sur le lit de l’oued
et Tasekourt), qui régularisent 120 Mm3 par servant à dériver l’eau.
an, 10 petits barrages, et 190 retenues et lacs 4. ABHT, 2010.
collinaires de petite taille et capacité. Les 500
5. Voir aussi ABHT, « Étude de synthèse hydrogéo-
khetaras du bassin, c’est-à-dire les galeries logique pour l’évaluation des ressources en eau souter-
souterraines drainantes destinées à capter l’eau raine du bassin hydraulique du Tensift. ANTEA-ANZAR »,
des nappes, sont quasiment toutes hors d’usage, 2004.
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Fig. 2. Plan du réseau de réutilisation de l’eau traitée pour l’irrigation
Fig. 1. Situation du bassin du Tensift
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

Le bassin du Tensift est un bassin à forte d’euros) 8. La ville entre en compétition avec
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dominance agricole, avec de la petite et l’agriculture, aussi bien pour le foncier que
moyenne agriculture, traditionnellement irri- pour les ressources hydriques. Les besoins en
guée par un réseau de seguias (anciennement eau potable sont actuellement de 100 Mm3,
de khetaras), un secteur de grande hydrau- dont près de 80 pour la seule ville de
lique, aménagé par l’État, et une agriculture Marrakech.
privée, s’appuyant principalement sur des Le tourisme de masse, considéré comme le
forages. Au total, dans le bassin, l’agriculture moteur de l’économie régionale, a suscité la
représente plus de 80 % des prélèvements création d’une infrastructure touristique très
en eaux (superficielles et souterraines), qui importante. Ses 726 structures hôtelières clas-
s’élèvent à 1 384 Mm3 (eaux superficielles et sées ont permis, à la région de Marrakech,
souterraines confondues), avec, respectivement, d’accueillir, en 2008, 1 million et demi de
765 Mm3 pour la PMH (seguias comprises), touristes, ce qui représentait un tiers des
348 Mm3 pour la grande hydraulique, et nuitées à l’échelle nationale 9. En 2010, la
consommation spécifique moyenne d’un tou-
271 Mm3 pour les forages privés 6.
riste était estimée, par l’ABHT, entre 400 et
Les dotations en eau de surface allouées à
800 l/nuitée selon le type d’établissement, et
la grande hydraulique ne couvrent plus que
ce sans compter les piscines, pelouses et ter-
51 % des besoins des agriculteurs 7. Devant
rains de golf. En 2012, Marrakech comptait
cette insuffisance, ceux-ci se tournent vers 3 parcs aquatiques et totalisait 12 golfs cor-
d’autres sources comme les seguias, mais, respondant à un besoin annuel de 15 Mm3.
plus encore, vers les forages, contribuant ainsi Cette stratégie touristique régionale est
à la surexploitation de la nappe du Haouz. encouragée par de nombreuses politiques,
Entre 1994 et 2004, la région de Marrakech- comme celle qui vise à améliorer la desserte
Tensift-Al Haouz a connu une croissance aérienne de la ville, et, surtout, les campagnes
démographique de 13,9 % (sa population promotionnelles qui dépeignent Marrakech
atteignait les 3 millions en 2004), croissance comme une destination implicitement riche
qui s’est confirmée tout au long de ces dix en eau, en jouant sur le contraste entre un
dernières années. L’expansion urbaine aug- environnement semi-désertique et des amé-
mente, notamment avec les multiples pro- nagements luxuriants (photos 1a et 1b p. 84).
grammes régionaux (urbanisation et tourisme)
qui mettent en œuvre les stratégies sectorielles
nationales, comme la création de nouveaux 6. ABHT, 2010.
centres urbains et périurbains (par exemple, 7. ORMVA (Office régional de mise en valeur agri-
la ville satellite de Tamensourt, qui compte cole), « Gestion des réseaux d’irrigation dans les péri-
mètres du Haouz. Document interne », 2011.
250 000 habitants). Le secteur du BTP pèse
lourdement dans l’économie régionale, affi- 8. Voir http://www.crimarrakech.ma/accueil1.asp?code
chant, en 2009, des investissements à hau- langue=23&po=2
teur de 1,4 milliard de dirhams (120 millions 9. Idem.
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Photo 1a. La mer à Marrakech
(source : http://www.oasiria.com, 2012)

Photo 1b. Golf au milieu d’un paysage semi-désertique


(source : http://www.guide-golf-maroc.com/fr/marrakech/galerie.html, 2012)
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

Cette image occulte totalement l’explosion de mécanismes de décision et les réseaux d’in-
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la consommation d’eau (les besoins actuels du térêts liés à l’accélération du métabolisme
secteur touristique dans le bassin avoisinent urbain de Marrakech et de ses activités tou-
les 50 Mm3) et la compétition que cette ristiques.
consommation engendre.
Stratégies sectorielles et réallocation
de l’eau
BILAN
STRATÉGIES SECTORIELLES DE DÉVELOPPEMENT
Le bilan du bassin du Tensift est déficitaire : RÉGIONAL
les ressources superficielles mobilisées au
niveau du bassin (880 Mm3) ne sont pas, à L’aménagement du territoire et le développe-
elles seules, suffisantes pour répondre aux ment du tourisme représente un enjeu de taille
prélèvements des différents secteurs. L’uti- à l’échelle régionale et, plus globalement, à
lisation anarchique de la nappe du Haouz l’échelle nationale, surtout dans un pays en
se traduit par un rabattement moyen de pleine transition économique. Aujourd’hui, ce
60 mètres en vingt-cinq ans [Abourida et al. développement passe encore essentiellement
2004] 10. Un bilan plus précis, qui ferait appa- par des programmes sectoriels qui ont du mal
raître, pour chaque prélèvement, les consom- à s’insérer dans une vision plus intégrée qui
tiendrait compte des potentialités naturelles.
mations réelles et les retours vers la nappe ou
Plus que jamais, l’eau est au cœur du
les rivières ne peut être proposé dans le cadre
conflit ville-campagne. L’actuelle législation
de cet article, mais les marges de manœuvre
sur l’eau favorise les fonctionnalités urbaines
restent très faibles : l’essentiel des écoule-
(eau potable, assainissement, dilution des
ments superficiels quittant le Haouz est incon-
effluents d’épuration) et « ludiques » (tou-
trôlable (crues non maîtrisées), tandis que le risme, arrosage de terrains de golf, jardins,
déficit de la nappe est de l’ordre de 120 Mm3/ activités aquatiques) au détriment des usages
an, comme indiqué précédemment. agricoles [Ruf et Riaux 2001]. Cela apparaît
Chaque nouveau besoin ou prélèvement se clairement dans le PDAIRE (plan directeur
traduit inévitablement par une réallocation, d’aménagement intégré des ressources en eau),
souvent invisible (à travers les pompages), qui prévoit, une augmentation, jusqu’en 2030,
différée dans l’espace (une allocation en des besoins et des dotations dans tous les sec-
amont se fait aux dépens d’un usage en aval), teurs, sauf dans le secteur agricole, qui, lui,
mais aussi dans le temps (une surexploitation voit sa part diminuer.
de la nappe fragilise la durabilité de la res-
source, et, par conséquent, les générations
futures). 10. Voir aussi Monitor Company Group, « Étude de
mise à jour de la stratégie nationale de l’eau et des plans
L’accroissement de ces besoins sectoriels d’action à court, moyen et long termes pour le dévelop-
n’est que partiellement le reflet de l’accroisse- pement du secteur de l’eau du Maroc. Rapport interne »,
ment naturel : il interroge plus largement les 2008.
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Oumaima Tanouti et François Molle

... Le secteur touristique entend doubler, valoriser l’eau allouée à l’agriculture. La


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à l’horizon 2020, sa capacité d’accueil en technologie et les outils économiques sont
créant de nouvelles structures résidentielles censés apporter des réponses. On verra plus
et hôtelières, mais aussi récréatives (parcs loin leurs limites. La gestion de la demande
aquatiques, restaurants, golfs...), structures qui inclut un contrat de nappe (définir collective-
entraînent de fait des besoins supplémentaires. ment les conditions d’exploitation à respecter
Ainsi, la création d’un nouveau « village » afin de préserver la ressource), une meilleure
touristique de montagne à l’Oukaïmeden, valorisation économique et la réutilisation des
totalisant, à lui seul, près de 5 Mm3/an et la eaux usées. Face à la difficulté de répondre
mise en place de plusieurs golfs ont été pro- aux besoins, l’Agence se voit contrainte de
jetées, depuis 2007, dans la zone. Pour la considérer également de coûteuses options de
seule année 2012, 6 nouveaux golfs ont été gestion de l’offre, en projetant de nouveaux
programmés, 9, pour la période 2012-2015, et barrages (Bou Idel, Sidi Driss II) et un trans-
4, pour après 2015 11, la plupart d’entre eux fert interbassin (transfert nord-sud d’eau brute
comprenant des espaces résidentiels associés, à partir du barrage Massira à l’horizon 2017,
aussi étendus que les golfs eux-mêmes. avec une prévision de 120 Mm3/an).
Connu dans la région pour sa faible crois- Toutefois, toutes ces mesures ne suffisent
sance, le secteur industriel vise une remise à pas à satisfaire tous les besoins, et on recourt
niveau en appliquant les directives du plan également à une gestion (ré)allocative de la
national « Émergence II », à savoir la création ressource, qui consiste à octroyer à certains
de deux zones industrielles, l’une, à Loudaya, acteurs une part d’eau déjà utilisée par
dédiée à l’agro-industrie, d’une superficie totale d’autres. L’octroi d’autorisations de prélève-
de 232 hectares, l’autre, « Marrakech Shore », ment et la vente de l’eau du canal Rocade
dédiée à l’offshoring, qui s’étend sur 80 hec- (initialement prévu pour l’agriculture) aux
tares dans la nouvelle ville de Tamansourt, à
10 kilomètres de Marrakech. Ces projets sont
11. ABHT, 2010.
portés par de grands investisseurs locaux (Al
Omrane 12, MedZ 13), partenaires privilégiés 12. Les sociétés du groupe Al Omrane, opérant sous la
des pouvoirs publics. tutelle du Ministère de l’habitat, de l’urbanisme et de
l’aménagement de l’espace (MHUAE), sont des sociétés
Sous ses différentes modalités, l’agriculture à caractère industriel et commercial créées par l’État
reste le secteur le plus consommateur d’eau. pour mettre en œuvre l’essentiel des programmes
En conséquence, le plan « Maroc vert » (plan publics en matière de construction et d’aménagement
national de développement agricole) et le Pro- foncier.
gramme national d’économie d’eau d’irriga- 13. Filiale de la holding CDG Développement, créée en
tion (PNEEI) misent fortement, ces dernières 2002 par le groupe CDG sous le nom Maroc Hôtels et
années, sur la reconversion des systèmes Villages (MHV). Voir www.medz.ma
gravitaires en irrigation localisée 14. Dans le 14. FAO, « Appui au Programme national d’économie
bassin du Tensift, la micro-irrigation et une d’eau d’irrigation (PNEEI). Plan de gestion environne-
tarification incitative sont censées, à terme, mentale et sociale », 2009.
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

promoteurs touristiques pour assurer l’irriga- Ce projet présente de nombreux avantages


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tion des golfs ne sont que les exemples les sociaux et environnementaux (supprimer les
plus visibles des réallocations qui s’opèrent points de rejet, améliorer la qualité des eaux
au niveau du bassin du Tensift 15. de l’oued, éliminer les nuisances olfactives...),
Ces réallocations, qui suivent les lignes de longuement relayés par le discours officiel et
force du pouvoir politique et économique, utilisés comme argument pour encourager
procèdent d’un déni de la réalité hydrologique l’investissement dans la zone :
et se fondent sur la promesse d’innovations
Une enveloppe d’environ 1 milliard de
techniques, comme l’illustrent les trois dirhams a été allouée à la réalisation du
exemples présentés ci-dessous. projet de traitement et de réutilisation
des eaux usées à Marrakech. Ce projet
De l’eau agricole pour les golfs, constitue un vecteur principal dans le
au nom de l’environnement développement urbanistique, économique
et touristique de Marrakech 16.
Le traitement des eaux usées et des rejets de
Sur le plan économique, le projet,
la ville permet d’éviter la pollution du Tensift quoiqu’il pèsera lourdement sur la tré-
en aval de Marrakech et améliore donc la sorerie de la Régie, pourrait avoir des
qualité de la rivière et de ses services envi- impacts positifs à travers sa contribution
ronnementaux. De plus, cette eau peut être à l’amélioration de l’état sanitaire du
réutilisée pour répondre aux besoins de cer- citoyen et de l’image de marque de la
ville de Marrakech, qui est de vocation
taines activités qui peuvent se contenter d’une
touristique 17.
qualité intermédiaire. Dans cette optique, le
bassin du Tensift s’est doté d’une station En d’autres termes :
d’épuration, présentée comme résolument envi-
ronnementale, d’une capacité de traitement, Le volet environnemental et écologique
est au centre des actions engagées par la
à terme, de 110 000 m3/jour. Conforme aux
RADEEMA, notamment le traitement et
normes internationales, cette station traite, à la réutilisation des eaux usées 18.
un niveau dit « secondaire », 95 % des eaux
usées de la ville. Considérée comme une res-
source supplémentaire, cette eau traitée a été
convoitée par divers acteurs et a suscité un 15. ORMVA, 2011.
projet de réutilisation pour l’irrigation des 16. Voir http://www.crimarrakech.ma/accueil1.asp?code
golfs et de la palmeraie de Marrakech. langue=23&po=2
Le traitement « secondaire » de l’eau ne 17. RADEEMA (Régie autonome de distribution d’eau
permettant pas d’utiliser celle-ci pour l’irriga- et d’électricité de Marrakech), « Mise en place d’un sys-
tion, la station s’est équipée d’une unité de tème de production d’électricité à partir du biogaz de la
traitement « tertiaire ». Ce réseau de réutili- station d’épuration des eaux usées de Marrakech. Note
sation s’étend sur 80 kilomètres de conduites d’information sur les projets MDP Maroc », 2004.
et comprend 5 stations de pompage (fig. 2 p. 82). 18. Idem.
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Oumaima Tanouti et François Molle

... Ce discours, en adéquation avec les un temps déterminé, qu’on appelle le


88 tour d’eau (entretien avec un agriculteur
injonctions de « développement durable », de
de la zone aval de la station d’épuration,
« lutte contre la pollution » et de « recyclage juin 2012).
de l’eau », ne dit qu’à moitié la vérité.
Premièrement, le montage financier reste Pour atténuer les effets de la pollution,
opaque et imprécis : près de 123 millions d’eu- certains agriculteurs recourent alternativement
ros, financés, conjointement, par la RADEEMA à « l’eau grise » et à « l’eau de la nappe » (ou
(48 %), l’État (12 %) et les golfs (40 %), mais eau de crue). La pénurie qu’engendre la réal-
différentes répartitions apparaissent dans les location des eaux de l’agriculture aux golfs et
documents officiels, ce qui laisse entrevoir les à la palmeraie conduit certains d’entre eux à
négociations en cours. Les golfs utilisent la abandonner leur activité et d’autres à recourir
crise économique actuelle pour renégocier massivement (ce qui a évidemment un coût)
à la baisse leur contribution (entretien à aux eaux souterraines, lesquelles puisent dans
l’Agence urbaine de Marrakech, mai 2012) une nappe déjà surexploitée.
tandis que les factures des usagers domes- Derrière un discours vantant les aspects
tiques ne font qu’augmenter 19. Ce qui pose la positifs sur les plans économique et envi-
question de savoir qui paye réellement cette ronnemental, ces réorganisations ne sont pas
eau. remises en cause, pas plus que ne sont dis-
Deuxièmement, avant la mise en place, en cutées de manière transparente leurs implica-
2006, de la station d’épuration, les retours en tions financières.
eaux usées de la ville de Marrakech contri-
buaient au maintien de la zone humide de la La micro-organisation ou la fausse solution
palmeraie et réalimentaient l’oued Tensift, qui techniciste
conservait ainsi un certain débit. Au moyen
Le plan d’économie d’eau d’irrigation et la
de différents seuils placés en travers du
recharge artificielle de la nappe sont proposés
Tensift, cette eau « grise » était captée par des
comme des réponses à l’accroissement de la
seguias et permettait de développer, en aval,
demande dans le bassin versant. Ces solutions
sur près de 2 000 hectares, une agriculture
visent à limiter l’impact anthropique sur
irriguée. Basée sur l’arboriculture (oliviers) et
l’environnement. En promouvant la micro-
sur des cultures annuelles (fourrage et maraî-
irrigation, le programme de reconversion de
chage), cette activité agricole assurait un
l’irrigation prévoit une économie de 40 Mm3
niveau de vie acceptable à des agriculteurs
d’eau de surface, concourant ainsi à réduire
dont les droits d’eau sur l’oued Tensift et sur
les « pertes » d’irrigation. D’une plus grande
les eaux usées sont gérés par la Jemaa :
Le partage des eaux usées est analogue
au partage des eaux des seguias tradi- 19. Voir « Les factures d’eau et d’électricité au cœur
tionnelles. Il est fondé sur le droit qu’a du malaise social » (www.yabiladi.com/articles/details/
tout agriculteur d’avoir de l’eau pendant 9735/maroc-factures-d-eau-d-electricite-coeur.html).
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

efficience, ces techniques modernes devraient Gabriel, ministre fédéral allemand de ...
l’Environnement, de la Protection de la 89
permettre de réduire la part allouée à l’agri- nature et de la Sécurité nucléaire, 2009).
culture (dont la demande devrait donc baisser)
et d’accroître ainsi la part allouée aux villes. Un large programme de reconversion a été
Or, l’eau considérée comme perdue à lancé dans tout le pays. Son coût financier
l’échelle d’une exploitation agricole (où l’on (certaines subventions vont jusqu’à 100 %)
peut réduire les pertes en adoptant un système est « dilué » dans les dépenses de l’État. Ces
plus efficace) ne l’est plus quand on passe solutions, qui misent largement sur la techno-
à une échelle plus grande : celle de la nappe logie, ne font pas l’unanimité parmi les spé-
ou du bassin versant [Benchokroun 2008]. cialistes de la gestion de l’eau :
En effet, si l’on considère le bilan global du Ces techniques ont, en effet, comme
bassin du Tensift, on constate que ces pertes conséquence une réduction de la demande
en eau au niveau de la parcelle. Cepen-
d’irrigation servent en réalité à réalimenter dant, ces économies d’eau au niveau du
la nappe du Haouz et à réduire ainsi sa sur- champ ne reflètent pas nécessairement
exploitation. L’essentiel de ces infiltrations des réductions d’utilisation globale de
est récupéré par les agriculteurs à travers leurs l’eau [Ahmad et al. 2007].
forages pour compléter leurs dotations ou Le passage au goutte-à-goutte dans les
développer une agriculture privée. Économi- systèmes irrigués à base de puits, s’il est
ser cette eau pour l’allouer à d’autres fonc- bénéfique pour contrôler les apports et la pro-
tions (eau potable notamment) revient donc à ductivité, s’accompagne souvent d’une exten-
priver la nappe d’une partie de sa recharge, ce sion des surfaces irriguées (on peut irriguer
qui se traduit, en définitive, pour l’agriculture, plus, avec le même débit du puits, en rédui-
par une « perte des pertes ». sant les infiltrations qui rechargent la nappe) 20.
Les systèmes d’irrigation localisés per- Il en résulte, certes, une hausse de la produc-
mettent aussi d’attirer des financements de la tion et des revenus, mais aussi une hausse de la
Banque mondiale, de la Banque africaine de consommation d’eau (par évapotranspiration) :
développement, de la Deutsche Gesellschaft l’outil emblématique de l’économie d’eau
für internationale Zusammenarbeit (GIZ) ou devient alors, pour le gestionnaire de la nappe,
de la Banque allemande de Développement son meilleur ennemi !
(KFW) :
La réallocation par les puits
L’Allemagne est leader en matière d’ex-
portation de technologies vertes, et notre Le nombre de puits et forages du bassin
stratégie consiste à encourager les poli- du Tensift est mal connu. En 2001, l’ABHT
tiques de développement durable dans avançait le chiffre de 14 000 puits particuliers
les pays en voie de développement. Pour
ce faire, nos entreprises proposent un
transfert technologique dans le domaine 20. ANAFID, 2009, « Gestion de l’irrigation, économie
de l’eau, s’accompagnant d’une for- d’eau au niveau des périmètres irrigués et des par-
mation continue du personnel (Sigmar celles », Revue HTE 141 : 69-77.
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Oumaima Tanouti et François Molle

... (10 701 puits autorisés, auxquels s’ajoute- également taries au fur et à mesure que le
90
raient 31 % de puits non autorisés). Afin niveau piézométrique baissait. La palmeraie
d’affiner cette estimation, entre 2003 et 2008, s’en est trouvée très dégradée, et l’agriculture
six bureaux d’étude ont été chargés de réper- n’a continué que grâce aux puits, sur des
torier les forages existants. Ils ont compta- terres qui seront bientôt cédées aux promo-
bilisé 19 500 puits particuliers, chiffre qui teurs immobiliers.
resterait très en deçà de la réalité selon La situation de la nappe est devenue cri-
certains fonctionnaires de l’Agence : il y en tique aux environs de l’année 2000. Plusieurs
aurait plutôt 25 000. Cela vient sans doute du sources font état d’un « très grand nombre de
fait que les enquêtes ont été directement réali- puits et de pompes mobilisant les eaux souter-
sées auprès des agriculteurs, qui, par peur de raines jusqu’à une profondeur de 70 mètres »
représailles administratives, n’ont souvent pas [El Faiz et Ruf eds. 2004] et provoquant une
osé déclarer leurs puits illégaux. surexploitation :
Cependant, cette multiplication des puits et Les baisses moyennes du niveau d’eau
forages n’est pas fortuite. Elle a été largement observées depuis vingt ans sont de
encouragée par l’État dans les années 1980, l’ordre de 0,8 à 1,6 m3/an dans les sec-
de façon directe, en octroyant des subventions teurs du N’fis et du Haouz central, et de
à l’exploitation hydro-agricole 21 et, de façon 0,2 à 0,5 m3/an dans le secteur oriental
[cité par Abourida et al. 2008 : 3].
indirecte, en exonérant les agriculteurs des
droits et taxes à l’importation du matériel de Malgré cela, et en dépit des diverses régle-
forage 22. Elle compense les faibles dotations mentations, le creusement des puits a perduré.
en zone de grande hydraulique (irriguée par le Ces forages sont le fait d’usagers qui ont les
canal Rocade), permet l’expansion des terres moyens de creuser des puits très profonds,
agricoles irriguées et, plus récemment, satis- d’approfondir les forages existants le cas
fait aussi les besoins des golfs ou autres infra- échéant, et de prendre en charge les coûts
structures touristiques qui se sont développés croissants d’exhaure : on peut citer les grandes
sur des espaces antérieurement agricoles.
Les premières victimes de ces forages
furent les khetaras. Sur plus de 500 khetaras 21. Décret no 2-83-752 du 29 janvier 1985, publié dans
répertoriées en 1974 par Paul Pascon [1977], le Bulletin officiel no 3773 ; arrêté no 1574-93 du 4 jan-
1 seule serait aujourd’hui encore en fonction. vier 1994, publié dans le Bulletin officiel no 4242 ;
Leur débit diminuant, leur entretien a été arrêté no 1936-96 du 3 octobre 1996, publié dans le
Bulletin officiel no 4432, et arrêté no 1995-01 du 9 no-
négligé. Les agriculteurs ont creusé eux- vembre 2001, publié dans le Bulletin officiel no 4970,
mêmes d’autres forages impactant leurs fixant les taux et plafonds des subventions destinées
propres khetaras, et un patrimoine hydrau- aux aménagements hydro-agricoles et au creusement
lique exceptionnel est désormais en ruine [El de puits ainsi que les modalités d’aide accordées dans
Faiz et Ruf 2010]. Les anciennes sources irri- le cadre d’une irrigation de complément.
guant la palmeraie le long du Tensift et cor- 22. Décret no 2-84-835 du 28 décembre 1984, publié
respondant à la vidange de la nappe se sont dans le Bulletin officiel no 3766 du 2 janvier 1985.
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

plantations (oliviers) mises en place par des Vers une gestion intégrée ?
...
91
investisseurs urbains (dont le nombre conti-
La compétition sectorielle présentée ci-dessus
nue à croître, même après l’année 2000), les
interroge le dispositif de gestion intégrée mis
propriétaires de villas dans les zones d’expan-
en place par l’État. Cette gestion intégrée de
sion de Marrakech (pour l’irrigation de leurs
l’eau par bassin avait été promue par la loi
jardins), et les infrastructures touristiques (ter-
10-95, qui introduisait un bon nombre de prin-
rains de golf, complexes hôteliers...) :
cipes nouveaux en application des prescrip-
Tous ces prélèvements [...] se sont tra- tions des forums et sommets internationaux
duits par une baisse de la productivité qui avaient eu lieu au début des années 1990
des ouvrages allant jusqu’au tarissement
de forages de faible profondeur [...], et
(Rio, Dublin...). Qualifiée par certains experts
ceci se répercute sur les agriculteurs qui du ministère de l’Agriculture d’« état de l’art »,
ne possèdent que des terrains de taille cette loi entendait planifier et coordonner les
modeste et qui n’ont ni les moyens programmes d’action à l’échelle du bassin. Il
financiers d’approfondir les forages pour s’agissait de mettre en œuvre une politique
toucher la nappe de plus en plus pro-
d’aménagement et de gestion des eaux dans
fonde, ni une qualité de produits suffi-
samment bonne pour l’exportation, et un territoire ayant une réelle cohérence au
qui sont souvent obligés d’abandonner plan hydrographique. Cette politique devait
ou de vendre leurs terrains [Houdret reposer sur une concertation, à la fois verticale
2005 : 285-295] 23. (entre les différents niveaux de gouvernance)
En effet, le Haouz révèle une forte inéga- et horizontale (entre les différents secteurs
lité d’accès à la terre et à l’eau : seuls 4 % des concernés par la ressource).
exploitants disposent de plus de 20 hectares, La loi 10-95 a créé les agences de bassin
alors que 70 % des agriculteurs exploitent chargées d’établir et de réviser périodiquement,
moins de 5 hectares 24. Ces grands agriculteurs au niveau de chaque bassin, le plan directeur
bénéficient d’un accès privilégié à l’eau et d’aménagement intégré des ressources en
peuvent utiliser différentes stratégies pour eau (PDAIRE) et de planifier la gestion de
contrer la pénurie : cette ressource en vue d’un « développement
durable ». Derrière cette vision d’intégration
1,5 % des agriculteurs consommeraient
plus de 22,5 % de la ressource, et 4 %
cumuleraient 35,5 % de la ressource uti- 23. Voir aussi BAD (Banque africaine de développe-
lisée (entretien ABHT, 2012). ment), « Projet pilote de recharge artificielle de la nappe
du Haouz à partir de l’oued Ghmat. Rapport d’évalua-
On ne dispose pas de chiffres fiables sur tion », 2008.
l’ampleur de ces phénomènes, mais la ten-
24. ADA (Agence de développement agricole), « Diag-
dance qualitative est claire : la réallocation
nostic de l’agriculture dans la région de Marrakech-
s’opère de manière invisible, graduelle et Tensift-El Haouz ». Consultable sur http://www.ada.gov.
diffuse, en direction d’acteurs plus riches et ma/Plans_agricoles/plan_agricole_region_marrakech_
plus puissants. tensift_alhaouz/sommaire.php
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Oumaima Tanouti et François Molle

... et de concertation sectorielle se sont dressées assurer la mise à disposition des quantités
92
des difficultés importantes qui n’ont pas per- d’eau nécessaires aux différents projets.
mis à l’ABHT de mener à bien ses missions Des décisions relatives à l’allocation d’eau
prévues par la loi : dans le bassin du Tensift ont été prises au
La coordination entre les différents niveau ministériel sans que l’Agence ne
départements du gouvernement et les puisse intervenir, certains officiels invoquant
établissements publics intervenant dans la faible capacité de négociation de l’Agence
le domaine de l’eau peine à trouver le et de l’ORMVAH face aux promoteurs pri-
bon chemin, ce qui amène parfois à une
vés. L’exemple le plus parlant est celui de la
divergence entre les stratégies secto-
rielles ainsi qu’entre les programmes qui « décision ministérielle de transférer de l’eau
en découlent, voire même la génération agricole au profit des golfs [et qui] fait suite
de conflits d’intérêts dans certains cas à une décision du Premier ministre alors en
[Arrifi 2009 : 79]. activité, dans une lettre adressée au wali de
En effet, des intérêts financiers autour de Marrakech, en août 2007, dans laquelle il
certaines activités urbanistiques et touristiques, incite l’ORMVAH à céder 20 Mm3 pour
une inflation institutionnelle, un cadre juridique satisfaire les besoins en eau des 10 projets de
et administratif plutôt ambigu (notamment sur golfs dans la région de Marrakech » [Buchs
les attributions et les missions de chacun) ont 2012 : 231]. Cette décision a pris partiellement
conduit à des chevauchements et à la frag- effet, et 3 des 10 golfs ont bénéficié d’une allo-
mentation du pouvoir décisionnel, limitant cation d’eau permanente. De même, on s’attend
fortement le rôle de l’ABHT. à ce que le conflit entre l’ORMVAH et
Les intérêts économiques (incarnés par les l’ONEE 25 autour de l’extension de la prise
grandes holdings nationales et étrangères qui d’eau potable du canal Rocade soit prochaine-
investissent dans l’immobilier et le tourisme) ment arbitré par le ministre de l’Eau en faveur
priment encore largement sur les impératifs de l’ONEE (entretien avec un ingénieur de
de protection de l’environnement (maintien de l’ONEE).
la zone humide de la palmeraie – Ouelja –, Au niveau local, également, le wali est un
lutte contre la pollution des cours d’eau, sur- acteur très influent, comparé à l’Agence. Il
exploitation accrue de la nappe...), ou de ges- préside toutes les commissions, tranche pour
tion durable des ressources. Les externalités les projets d’aménagement, sans forcément
négatives (à la fois sociales, mais, surtout, tenir compte des potentialités régionales et de
environnementales) de ces programmes sont la disponibilité de la ressource (les études
peu reconnues et occultées au profit de d’impact, pourtant obligatoires, ne sont sou-
l’image de marque touristique de la région et vent réalisées qu’après acceptation des projets).
des flux financiers qu’elle génère. Dans ce
contexte, le secteur de l’eau ne fait pas le
poids, et les gestionnaires sont souvent appe- 25. Office national de l’eau et de l’énergie, qui intègre
lés à suivre les orientations sectorielles et à l’ancien ONEP (Office national de l’eau potable).
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Le cas du bassin du Tensift (Maroc)

En résumé, ces multiples problèmes de la ressource doit être raisonnée de manière


...
93
gestion attestent une difficulté à appliquer la participative.
loi sur l’eau, laquelle, théoriquement, induit Depuis sa création, l’Agence du Tensift
une gestion intégrée, une planification à long tente, non sans difficultés, de trouver sa place
terme et la préservation de la resssource. au sein de l’arsenal institutionnel déjà en
Confrontée à la réalité d’« une culture charge de la gestion de ce secteur. Elle doit
administrative dominante » et à « une gestion faire face à une incompatibilité entre des
verticale de la ressource par les différents besoins sectoriels croissants et l’impératif de
ministères » [Tardieu 2001 : 12], l’ABHT peine durabilité environnementale. Trois exemples
à coordonner et réguler la multitude des acteurs – la réutilisation des eaux usées à Marrakech,
et intérêts mus par des logiques différentes, la promotion du goutte-à-goutte, et l’exploi-
voire incompatibles, qui « donnent à la ges- tation croissante de la nappe – ont montré
tion de ce domaine une inertie et une com- comment des mesures présentées comme
plexité considérables » [Agoumi et Debbarh appropriées sur le plan technique ou envi-
2006 : 54]. ronnemental correspondent, en fait, à une ré-
allocation spatiale et sociale des bénéfices et
Conclusion des coûts associés à la gestion du régime
hydrique.
Fort de ses atouts que sont l’agriculture Si la récupération opportuniste des modèles
(arboriculture et vigne), le tourisme et la ville et concepts en vogue au niveau global (gestion
de Marrakech, le bassin du Tensift a connu intégrée, développement durable, protection
une croissance accrue ces dernières années. de l’environnement, gestion de la demande,
Cette croissance s’est répercutée, de manière contrats de nappe...) permet de drainer des
critique, sur la demande globale en eau, dans fonds en provenance d’organismes telle la
un contexte où celle-ci était déjà rare et Banque mondiale, ces concepts ont finale-
mobilisée dans des quantités élevées. Une ment assez peu d’impact sur la gestion elle-
surexploitation continue de ses ressources même. Au plus, ils contribuent à occulter des
souterraines a entraîné sa « fermeture » pro- tensions et des jeux de pouvoir à différentes
gressive. échelles en légitimant des transferts de la
Une telle pression sur la ressource se tra- ressource vers des usages économiquement
duit, sur le terrain, par des conflits, des dégra- plus valorisants. La gestion de l’eau est, plus
dations environnementales et un accès à l’eau que jamais, partagée entre l’intérêt public
inéquitable. La GIRE (gestion intégrée des (le « droit à l’eau » des populations) et une
ressources en eau) entend précisément appor- logique de rentabilisation d’une ressource qui,
ter des réponses à ce type de problème et pro- bien que proclamée « bien public, économique
meut une gestion par bassin versant, où, sous et à haute valeur sociale » (ABHT), est impli-
l’égide d’un organisme (l’Agence de bassin), citement réappropriée par des intérêts privés
une régulation des usages et de l’allocation de (tourisme, golfs, agriculture capitaliste).
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Oumaima Tanouti et François Molle

... En l’absence de mécanismes pouvant agir Ces réallocations s’expliquent aussi par la
94
sur la demande sectorielle, la régulation des complexité et la fragmentation du pouvoir, au
besoins peine à prendre forme, et satisfaire la sein du bassin versant, entre différents sec-
demande revient à augmenter la ressource par teurs d’activité et acteurs, qui ont un poids
des transferts ou des traitements coûteux (lar- économique et/ou politique asymétrique.
gement supportés par les deniers publics) et à Les négociations coordonnées par l’Agence
réallouer les volumes déjà utilisés. s’effectuent souvent avec des acteurs politi-
Ces réallocations sont socialement et poli- quement puissants, et les décisions se prennent
tiquement acceptées, parce qu’elles sont par- à un niveau supérieur à celui du bassin. Cette
tiellement ou totalement invisibles, s’opérant, gestion finalement peu intégrée favorise la
le plus souvent, à travers la nappe souterraine, réallocation de l’eau vers ces acteurs, au
et parce qu’elles sont légitimées par un dis- détriment de catégories politiquement moins
cours qui met en avant des valeurs environne- représentées ou moins puissantes, comme les
mentales ou la « modernisation » technique. petits agriculteurs ou les générations à venir.

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Résumé Abstract
Oumaima Tanouti et François Molle, Réappropriations Oumaima Tanouti and François Molle, The re-appropriation
de l’eau dans les bassins versants surexploités. Le cas of water in overexploited river basins. The case of the
du bassin du Tensift (Maroc) Tensift river basin (Morocco)
Les bassins versants surexploités sont, par définition, Overexploited river basins have led to disputes over
le lieu de conflits qui portent sur la ressource hydrique. the use of water resources. The multiple uses that have
Document téléchargé depuis www.cairn.info - Institut de Recherche pour le Développement - - 91.203.32.150 - 27/02/2014 08h36. © Editions de l?E.H.E.S.S.

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Oumaima Tanouti et François Molle

... Les multiples usages pepétués au cours du temps s’y developed over time are generally intertwined and cha-
96 superposent et font apparaître une gouvernance complexe. racterized by nested and overlapping levels of decision-
On s’intéresse ici au bassin du Tensift, qui comprend making forming a complex governance system. This
Marrakech et la plaine avoisinante du Haouz, et où le paper focuses on the Tensift river basin (an area that
développement du tourisme, de l’agriculture et des villes includes Marrakech and the Haouz plain), in an area
est particulièrement consommateur d’eau. Ces secteurs where water is a key resource for regional development,
se trouvant en compétition, l’accroissement de leurs particularly for the largest and most water-dependent
besoins se traduit inévitablement par des réallocations, sectors (i.e. agriculture, tourism and urban expansion).
et entre secteurs et entre usagers. Après avoir caractérisé Because they are competing sectors, their increasing
la situation hydrologique de ce bassin, les auteurs se needs inevitably translate into reallocations among users
penchent sur ces réallocations : à qui profitent-elles ? and sectors. After describing the hydrology of the basin,
Comment sont-elles justifiées ? Trois exemples parmi the paper examines how reallocations occur, whom they
les plus significatifs sont présentés. Les défis qu’ils benefit, and how they are discursively justified. Three
représentent servent de toile de fond à une réflexion sur examples of the most significant cases of water realloca-
l’Agence du bassin du Tensift et sur le rôle régulateur tion are examined in detail. The challenges they represent
qu’elle est censée jouer. will serve as a basis for an analysis of the Tensift river
basin agency and its assumed regulatory role.
Mots clés
Marrakech, Maroc, gouvernance de l’eau, gestion de Keywords
bassin, écologie politique, allocation de l’eau Marrakech, Morocco, water governance, river basin
management, political ecology, water allocation

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