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Le marketing malade de l'orientation client

Article · January 2006


DOI: 10.3917/emr.122.0120

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Gilles Marion
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LE MARKETING MALADE DE L'ORIENTATION CLIENT

Gilles Marion

L'Express - Roularta | L'Expansion Management Review

2006/3 - N° 122
pages 120 à 128

ISSN 1254-3179

Article disponible en ligne à l'adresse:


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Pour citer cet article :


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Marion Gilles, « Le marketing malade de l'orientation client »,
L'Expansion Management Review, 2006/3 N° 122, p. 120-128.
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IDÉES MARCHÉ

TROP DE POLARISATION SUR LES CLIENTS NOURRIT UNE VISION ÉTROITE DU MARCHÉ
ET DÉTOURNE L’ENTREPRISE DE L’EXPLORATION DE NOUVELLES OPPORTUNITÉS.

Le marketing malade
de l’orientation client
> Gilles Marion

L
e processus de destruction créa-
trice enclenché par le changement En résumé
technologique et la mondialisa-
tion aura (enfin !) permis de mettre en Si la véritable innovation est celle qui
évidence les limites du marketing tra- crée le marché, la logique dominante du
ditionnel, enseigné depuis cinquante ans. marketing ne suffit pas à en relever le
Le marketing codifié, qui occupe presque défi. En privilégiant l’exploitation du
patrimoine client au détriment de
toutes les pages du volumineux manuel l’exploration d’autres univers, elle
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le plus vendu dans le monde, concerne

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constitue un obstacle à de nouveaux
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moins les entrepreneurs qui cherchent développements car elle est incapable
à créer des marchés et des activités nou- de dépasser les représentations,
velles que ceux qui souhaitent adminis- compétences et réflexes acquis.
trer les marchés saturés du monde occi- Dans le marketing entrepreneurial, au
120 contraire, l’entreprise prend l’initiative,
dental. L’une des raisons du décalage
L’Expansion Management Review

façonne le marché et interagit avec de


grandissant entre ce qui est enseigné et multiples acteurs.
la situation réelle tient à l’une des pierres
angulaires de l’idéologie du marketing
traditionnel : l’orientation client. tend à voir. Elle favorise ainsi le resser-
Bien entendu celle-ci peut être bénéfique. rement de ses liens avec les clients qui
Favorisant une compréhension fine des lui sont familiers. En revanche, la quête
clients et l’adaptation de l’offre à leurs de nouvelles opportunités exige un effort
besoins, elle permet de les satisfaire de pour lutter contre la représentation men-
mieux en mieux. Le revers de la médaille, tale dominante que les managers se font
c’est que l’entreprise peut devenir trop du client et du marché. En soulignant
proche des clients, voire captive. L’inat- ce qui sépare l’exploitation et l’explora-
tention aux non-clients conduit à une tion, nous allons montrer que la polari-
vision étroite du marché qui fait obstacle sation sur les clients familiers est nuisible
à la recherche d’opportunités et à l’enga- à la création de nouveaux produits, de
gement dans de nouvelles activités. Le nouveaux marchés et de nouvelles
développement de liens étroits avec les manières de mettre en marché, bref au
clients est, en même temps, bénéfique et développement d’un marketing entre-
préjudiciable. preneurial.
Certains considèrent que l’intimité avec
les clients et la recherche délibérée de L’orientation client
nouvelles opportunités sont largement et ses limites
compatibles. Nous pensons plutôt que L’idée que le client est, et doit demeurer,
ces deux orientations sont en contradic- le centre des préoccupations de toute l’en-
tion. La tendance « naturelle » d’une orga- treprise et de toute entreprise, est expri-
nisation est en effet de voir ce qu’elle s’at- mée par diverses formules qui résonnent
> Gilles Marion est professeur à EM LYON. comme des slogans : « le client est roi »,
marion@em-lyon.com « le client a toujours raison », « le patron
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c’est le client ». L’orientation client est timité avec le client permet de verrouiller
aujourd’hui présentée comme une évi- la relation, elle peut aussi conduire à une
dence de sens commun. Cependant, lors- implication accrue du client dans l’acti-
qu’il s’agit de la définir précisément, d’in- vité du fournisseur. Le processus même
diquer quelles opérations permettent qui favorise la position du fournisseur
sa mise en œuvre et, surtout, de démon- offre, réciproquement, au client les
trer son impact à long terme sur la per- moyens de mieux connaître son fournis-
formance d’une organisation, les diffi- seur. Et donc d’exercer une influence sur
cultés apparaissent. la relation tout autant que le fournisseur.
On se souvient peut-être que le trait dis- Les fabricants très proches des grandes
tinctif des entreprises que les gourous du enseignes de distribution ou les agences
« prix de l’excellence » avaient élues était de publicité très proches des grands
leur proximité avec le client. Un cliché annonceurs n’ont pas seulement à tolé-
discutable dans la mesure où la rer que leurs clients
plupart des entreprises vendent
La proximité rassemblent de l’in-
à une diversité de clients dont les avec le client formation sur leurs
besoins et désirs sont variés et n’est pas un principe propres activités, ils
parfois contradictoires. Une pre- doivent également
à rejeter, mais
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mière précaution consiste donc à accepter un certain

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dans la pratique

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choisir les clients avec lesquels contrôle de leur part.
l’entreprise veut être proche. C’est son application Un contrôle qui peut
là une recommandation que remonter jusque chez
connaissent bien ceux qui savent ne va pas de soi. les fournisseurs du
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appliquer la séquence segmentation, fournisseur. La proximité avec le client

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ciblage, positionnement. Malheureuse- n’est pas un principe à rejeter, mais son
ment, cela ne suffit pas. application ne va pas de soi. Une entre-
Observons une relation interorganisa- prise qui souhaite le prendre au sérieux
tionnelle (business to business). Etre proche doit considérer avec soin le degré auquel
du client commence d’abord par être à elle peut, doit et veut interagir avec
son service. Toutefois, comme le client chaque client, sachant qu’en pratique il
ne sait pas toujours précisément ce qu’il est difficile d’être proche de tous les
veut, le fournisseur doit se familiariser clients.
avec une partie de ses activités afin d’in- Un tel avertissement semble concerner
terpréter sa demande. L’intimité avec le uniquement les relations B to B, là où le
client lui permettra d’adapter son offre pouvoir de négociation de certains clients
et ses processus, de réduire les risques et peut contraindre le fournisseur. Mais ce
d’affiner ses prévisions. Mieux encore, le serait ignorer que ce qui sous-tend ce pro-
fournisseur peut devenir suffisamment cessus concerne toutes les entreprises. La
proche du client pour influencer l’évo- menace du client qui progressivement
lution de sa demande, passant ainsi d’un dispose d’un pouvoir de négociation
comportement réactif à une attitude dominant est réelle. Mais la mise en place
proactive. Finalement, dans le meilleur de ce processus résulte de la représen-
des cas, une forte implication dans l’ac- tation mentale qui guide les managers
tivité du client pourra permettre de ver- du fournisseur.
rouiller la relation, voire de le rendre cap-
tif. Les avantages potentiels de la La prison des
proximité avec le client apparaissent ainsi représentations mentales
évidents. L’approfondissement des liens avec un
Un tel processus a toutefois une autre client s’avère préjudiciable aux entre-
conséquence possible : l’entreprise peut prises devenues contraintes par leur client
devenir trop proche de ses clients. Si l’in- dès lors qu’elles s’efforcent de répondre >>
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IDÉES MARCHÉ
LE MARKETING MALADE DE L’ORIENTATION CLIENT

>> à toutes leurs demandes, sans aucun dis- terprétation de ces signaux sert de base
cernement. On a montré à plusieurs aux actions suivantes.
reprises que les entreprises trop sou- Non seulement les managers agissent en
cieuses de servir leurs clients existants fonction de la représentation mentale
sont enlisées dans le développement qu’ils se donnent des clients typiques
incrémental de nouveaux produits. En mais, de plus, leurs actions ont un effet
consacrant l’essentiel de leurs ressources en retour sur la représentation qui les
au service des clients ou des segments sous-tend, et ainsi de suite. Ce processus
de marché qu’elles estiment les plus d’autorenforcement conjugue la compré-
importants, elles ne voient arriver ni les hension des clients avec les actions vis-
ruptures technologiques, ni les innova- à-vis de ceux-ci. Les critères de segmen-
tions sociales. Depuis les années 70, on tation utilisés traditionnellement pour
avance que l’adhésion religieuse à l’orien- décrire et définir le marché, les bases de
tation client a des effets préjudiciables données qui couvrent les clients habi-
sur l’innovation. Elle conduit en effet à tuellement servis, et les études de satis-
des choix de court terme aux dépens de faction contribuent à ce processus d’au-
la création de véritables nouveaux pro- torenforcement. Dès lors, les managers
duits et nouvelles activités. Les clients ne voient le monde qu’au travers des
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savent peut-être ce que sont leurs besoins, yeux de leurs clients du moment et

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mais ils les définissent en termes de pro- échappent avec difficulté à la tyrannie
duits, de prix et de processus existants, du marché servi.
et, dans leur majorité, préfèrent ce qui
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leur est familier. Servir le marché certes,
Les entreprises qui hésitent à s’engager mais d’abord le créer
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activement dans la recherche de techno- Trop préoccupées par la satisfaction de


logies de rupture ou dans de nouveaux la demande immédiate de leurs clients
business models sont souvent prisonnières existants, certaines entreprises ne consa-
des représentations mentales et collec- crent aucune ressource à des changement
tives qui les gui- plus fondamentaux (nouveau pro-
dent. Elles accor-
Le changement, duit et/ou nouveau marché). C’est
dent une attention chez les fournisseurs Peter Drucker qui, en 1954, a été l’un
disproportionnée comme chez des premiers à souligner le rôle du
aux clients fami- client. Sa conception de l’entreprise
liers parce que les clients, n’est réjouit les gens de marketing, car elle
toute stratégie est, envisagé qu’à est toute entière définie du point de
dans une certaine
mesure, dépen-
partir de ce qui est vue du client. Mais sa conception va
plus loin que l’orientation client. Elle
dante du sentier connu. souligne que, si c’est le client qui
parcouru dans le passé. On voit ce qu’on détermine ce qu’est une entreprise, il
s’attend à voir et le changement, chez les demeure que les marchés ne sont pas
fournisseurs comme chez les clients, n’est créés par Dieu, la nature ou les forces éco-
envisagé qu’à partir de ce qui est connu. nomiques mais par les entreprises. C’est
La compréhension du client est une repré- l’action de l’entreprise qui est à l’origine
sentation mentale forgée par les mana- de la création du client.
gers pour donner du sens à leur environ- Une nouvelle activité (un produit ou ser-
nement. Les organisations construisent vice innovant, une manière innovante de
la représentation collective de leur envi- mettre une offre en marché) voit le jour
ronnement par déduction à partir des en même temps qu’elle crée un client. A
effets de leurs actions. Elles perçoivent beaucoup d’égards, les besoins, les désirs
des signaux de leur environnement qui et même la valeur corésultent de la créa-
résultent de leurs propres actions et l’in- tion d’un produit. Une véritable innova-
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tion ne procède pas d’un mouvement qui ting fournit les outils permettant d’éla-
va de l’écoute d’un client vers la construc- borer un ensemble de produits et de pro-
tion de l’offre. Développer une innova- grammes destinés à servir et satisfaire
tion consiste à créer, en même temps, ces clients. Le problème, c’est que s’adap-
celle-ci et le marché. Difficile donc ter à leurs besoins ne
de commencer par observer ce
Le marketing suffit pas.
qui sera le résultat de la démarche. traditionnel repose Certes, réduire le
Avant l’invention de George East- sur un marché déjà marketing à l’orien-
man, peu de gens avaient le goût tation client présente
et la possibilité de prendre des constitué beaucoup d’avan-
photos. Kodak inventa, en même et sur des besoins tages. Non seulement
temps, le groupe social « photo- que l’on sait cette idée fait désor-
graphe amateur » et l’objet qui mais partie du sens
allait convaincre tout le monde segmenter et cibler. commun mais, de
de l’intérêt de prendre des photographies. plus, elle est très plausible puisqu’elle
Les exemples d’innovations de rupture rend compte de la pratique des entre-
qui ont changé radicalement les marchés prises qui se contentent de mettre l’ac-
et la société sont légion : l’impact des che- cent sur l’exploitation. Celles qui mobi-
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mins de fer au XIXe siècle, de l’automo- lisent l’énergie des gens de marketing

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bile au XXe siècle, l’influence des micro- sur les quelques leviers du marketing mix
processeurs sur de multiples biens qu’ils peuvent manipuler de manière
durables, etc. Les produits créent leur autonome. Celles qui focalisent leur atten-
propre demande en transformant le com- tion sur des gains de court terme : part
123
portement des clients et des utilisateurs. de marché de la semaine, ventes du mois

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Ceci signifie que les entreprises doivent ou cours de l’action du trimestre.
activement influencer le marché plutôt Ce n’est donc pas une contre-vérité, mais
qu’être simplement réactives. Certes, c’est (au moins) la moitié de l’histoire.
l’orientation vers l’innovation ne consiste Un manuel typique est organisé pour
pas à ignorer complètement les clients. enseigner comment analyser, planifier,
Au contraire, elle doit être combinée avec mettre en œuvre et contrôler le marke-
l’orientation client. Mais une entreprise ting réactif. Or ces tâches ne concernent
orientée vers l’innovation considère que qu’une part restreinte des enjeux relatifs
les clients existants n’en savent pas assez à la création d’activités nouvelles.
sur les technologies radicalement nou-
velles pour articuler sur elles un quel- Exploitation et
conque besoin. exploration
Drucker a défini deux fonctions entre- L’orientation client sans un esprit entre-
preneuriales fondamentales et seulement preneurial réduit fortement l’horizon
deux : le marketing et l’innovation. Pour- d’opportunités de l’entreprise et, au
tant, la logique dominante du marketing mieux, conduit à un apprentissage
a simplifié cette vision pour privilégier d’adaptation. Une longue tradition de
l’exploitation d’un marché (recruter, ser- recherche suggère que les modes d’ap-
vir et conserver les clients) aux dépens prentissage fondés d’un côté sur l’explo-
de la création d’un marché, qui résulte ration de nouvelles possibilités et, de
d’une démarche d’exploration. Le mar- l’autre, sur l’exploitation des vieilles cer-
keting traditionnel repose sur l’existence titudes sont en concurrence et se contrai-
d’un marché déjà constitué et de besoins gnent mutuellement. Du point de vue de
identifiables chez des clients que l’on la stratégie marketing, cela signifie que
peut et sait segmenter et cibler. A partir le souci constant de l’adaptation aux
de ce qu’elle considère comme un point demandes des clients actuels a des effets
de départ, cette conception du marke- positifs sur l’exploitation. Cela permet >>
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IDÉES MARCHÉ
LE MARKETING MALADE DE L’ORIENTATION CLIENT

Comment Danone innove avec un nouveau réseau de valeur

L ancé lors d’un congrès international sur


l’alimentation, Danimal, un yaourt à la
fraise, est particulièrement riche en zinc, en
un logiciel. Dans les zones où aucun camion
ne se risque, Danone et son distributeur font
appel à des « Dani Ladies », des mères de
vitamine A et en fer, trois éléments dont man- famille qui vivent sur place et gagnent leur
quent les 17 millions de Sud-Africains (40 % vie en faisant du porte-à-porte. Selon les cas,
de la population) qui ont moins de 1 euro par le commissariat, l’école ou l’église servent
jour à consacrer à leur alimentation. de relais. Leurs revenus restent évidemment
Deuxième caractéristique, son prix, inscrit très modestes – environ 500 rands par mois,
sur le pot et non sur une étiquette, n’est pas soit quatre fois moins qu’un ouvrier non qua-
appelé à évoluer avec l’inflation : 1 rand lifié – mais au moins elles disposent d’un
(presque 15 centimes d’euro) pour un pot de gagne-pain sans avoir à payer de frais de
75 grammes. Environ 30 % moins cher qu’un transport ni de gardes d’enfants.
yaourt classique. Pas de publicité, du lait L’objectif est de couvrir 6 millions d’habitants
fourni à prix réduit par le partenaire local à la fin de l’année et de vendre 300 tonnes
de Danone, une usine qui tourne sept jours de Danimal par mois, contre 50 aujourd’hui.
sur sept et, surtout, un réseau de distribution Environ 500 emplois devraient pouvoir être
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révolutionnaire. créés dans les années à venir. En 2008,

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Là où existent des échoppes équipées d’un Danone espère vendre entre 10 000 et 25 000
réfrigérateur, des camions appartenant à un tonnes de Danimal par an. 
distributeur effectuent plusieurs tournées
par semaine en suivant un trajet optimisé par Source : Le Monde, février 2006.
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>> de raffiner la mise en œuvre des pratiques de jugement et de courage pour ignorer
existantes, d’autant plus que les résul- les réactions souvent superficielles des
tats sont prévisibles et rapidement posi- clients actuels et potentiels face à une
tifs. Mais, ce faisant, l’organisation se nouvelle idée.
détourne de l’exploration d’autres pos- Il est dangereux de demeurer trop cen-
sibilités. tré sur les besoins de ses clients familiers
Plusieurs raisons expliquent la prépon- car, ainsi, on n’aperçoit pas ou mal les
dérance de l’exploitation aux dépens de nouveaux entrants, les nouvelles techno-
l’exploration. Les clients accueillent plus logies qui peuvent bouleverser une indus-
favorablement ce qui leur paraît familier. trie, et les nouvelles opportunités que
Les études et tests l’entreprise pourrait saisir afin de
effectués auprès
Les gens transformer sa propre industrie. Ceci
d’eux sont sou- de marketing signifie que les gens de marketing
vent incapables doivent aussi avoir ne doivent pas seulement s’efforcer
de faire le tri d’être les experts du comportement
entre des attentes un point de vue des clients, il doivent aussi avoir un
contradictoires. sur la structure et point de vue sur la structure et l’évo-
Les études de l’évolution future lution de leur industrie. En d’autres
satisfaction, termes, la version vulgarisée de
même si elle sont de leur industrie. l’orientation client, facile à affirmer
bien faites, favorisent des améliorations et facile à absorber, limite voire rend illé-
incrémentales au service des clients gitimes les modes d’exploration de clients
« fidèles ». Les représentations mentales tout à fait nouveaux (les marchés émer-
des managers sont fortement influencées gents dans le monde, par exemple), et/ou
par les clients qu’ils ont l’habitude de ser- les manières tout à fait nouvelles de les
vir. Il faut donc beaucoup d’expérience, satisfaire, d’accéder jusqu’à eux. De plus,
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certains contribuent à la confusion en de faire jouer quelques sempiternels élé-


mettant dans un même sac des projets ments du marketing mix. Il a fallu inven-
d’extension mineure ou un discours ter une nouvelle chaîne de valeur en
publicitaire moins convenu, avec des pro- négociant avec de multiples parties pre-
jets qui remettent en cause la cible, nantes : spécialistes
le positionnement de leur offre ou
Exploitation de l’alimentation,
son mode d’accès au marché. et exploration fournisseurs, Etat,
Ce qui fait véritablement problème sont en principe distributeurs, petites
n’est pas l’orientation client en soi, échoppes et ven-
ni même sa vulgarisation. Celle-
deux stratégies deuses-démonstra-
ci est sans doute nécessaire pour complémentaires. trices. C’est une
« faire acheter » cette idée aux En pratique, elles se équipe multicultu-
membres de l’organisation enga- relle (sud-africaine,
gés dans des processus d’exploi- concurrencent. brésilienne et fran-
tation de plus en plus raffinés. Ce qui çaise) qui a développé cette initiative.
pose question, au plus haut niveau, c’est Une équipe capable de comprendre la
la tension suscitée entre exploitation et situation (non le client ou le marché, ils
exploration par la répétition de ce dis- n’existaient pas) et les réseaux d’acteurs
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cours. Si l’exploitation et les changements économiques, sociaux et politiques. Si le

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incrémentaux qu’elle suscite sont les marché, et surtout les marchés concrets,
seules valeurs encouragées, si les effets est au cœur du marketing, alors il
de l’orientation client contrôlables à court convient de dépasser la perspective étroite
terme sont les seuls résultats récompen- du marketing traditionnel au profit de
125
sés, alors cette unique représentation représentations capables de tenir compte

L’Expansion Management Review


occulte finalement toute autre représen- d’autres contextes et d’autres histoires.
tation de l’entreprise et de ses marchés.
Plus grave, elle écarte ceux de ses Pour imaginer, d’abord
membres qui trouvent leur raison d’être désapprendre
dans l’exploration. En pratique, la question consiste donc à
Et si l’objet fondamental du marketing s’efforcer de gérer la tension entre explo-
n’était pas l’échange mais le changement? ration et exploitation de manière créa-
L’expression de cette idée est plus élé- tive au lieu de seulement encourager les
gante en anglais : is marketing fundamen- améliorations incrémentales de l’offre de
tally about exchange or change ? La fron- l’entreprise. L’orientation marché, et non
tière significative ne serait pas alors entre client, devrait favoriser non seulement
l’orientation client et une autre orienta- l’adaptation de l’entreprise à la demande
tion mais entre l’imagination et l’absence de ses clients en renforçant les savoirs
d’imagination ; entre deux modes d’ap- et savoir-faire actuels, mais aussi déve-
prentissage, celui fondé sur l’exploita- lopper de nouveaux savoirs et savoir-
tion et celui fondé sur l’exploration. Le faire aussi bien dans le champ du mar-
premier conduit à une contraction de keting que dans celui de la technologie.
l’horizon d’opportunités de l’entreprise, Dans l’idéal, exploitation et exploration
le second aura permis à Danone de créer sont des stratégies complémentaires. En
un nouveau marché pour ses yaourts en pratique, elles sont concurrentes parce
Afrique du Sud en accédant à une popu- qu’elles se contraignent mutuellement et
lation jusque-là oubliée (voir encadré que le temps, l’argent et les compétences
page précédente). mobilisés par l’une le sont souvent au
Pour les équipes de Danone il n’a pas été détriment de l’autre. Il est probable que
question de manipuler quelque subtil certaines entreprises savent dépasser cette
insight consommateur ou de segmenter contradiction. Mais la version réactive
un marché déjà constitué. Il n’a pas suffi du marketing continue de peser sur la >>
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IDÉES MARCHÉ
LE MARKETING MALADE DE L’ORIENTATION CLIENT

Un espace élargi pour l’innovation désespérément que le client leur dise


ce qu’ils ont à faire en ressassant les
verbatim d’une table ronde. Ceux qui
croient qu’il suffit d’imiter les succès
L’entreprise
étendue et ses
rebattus fournis par de vieux cas péda-
réseaux gogiques élaborent sans cesse des
Lieu de Exploration offres et des tactiques me-too. Ceux
compétences de nouvelles
solutions qui considèrent la pyramide de Mas-
La chaîne de low ou la notion de besoin « latent »
valeur de comme des outils pertinents pour
l’entreprise Différenciation
des coûts construire une proposition d’offre peu-
vent attendre longtemps.
Lieu des offres Lieu des solutions
Lieu de l’innovation sociale et technologique
Un marketing entrepreneurial.
La capacité de l’entreprise à innover
>> culture de nombreuses autres et contri- est au cœur de la conduite des marchés.
bue à aggraver ces tensions en rendant Elle dépend d’une part de la propension
peu légitimes le goût de l’exploration et à prendre des risques et, d’autre part, de
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de la prise de risques. l’aptitude à gérer ces risques au moyen

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Il faut donc se préoccuper des problèmes d’un apprentissage interactif. Le marke-


concrets de management, et non pas seu- ting entrepreneurial repose sur :
lement des enjeux stylisés et décontex- – une démarche où l’entreprise prend
tualisés suggérés par les manuels de mar- l’initiative vis-à-vis du client au lieu de
126
keting. Il faut dépasser la définition le suivre ou de réagir à ses demandes,
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traditionnelle du marché (l’ensemble que ce soit dans la proposition de valeur


des clients actuels et potentiels) en adop- qui lui est faite ou dans la singularité
tant, au mini- La logique du système utilisé pour créer, pro-
mum, un point de duire et fournir cette valeur ;
vue élargi à l’en- dominante n’est – l’exploration de la structure et de
semble de l’indus- pas seulement l’évolution de l’industrie, pour créer
trie ou du secteur. de nouveaux marchés et de nou-
Un marché est
réductrice. Elle fait veaux clients en prenant appui sur
composé de aussi obstacle divers réseaux d’acteurs.
consommateurs, à de nouveaux Il encourage des relations concurren-
de distributeurs, tielles et/ou coopératives afin d’ex-
de concurrents, de développements. ploiter les ressources de ces multiples
multiples agents d’influence (consultants, réseaux : fournisseurs, distributeurs, tri-
associations professionnelles…) et d’ins- bus de consommateurs, associations
titutions (dont les Etats et les gouverne- professionnelles, etc. L’espace de l’inno-
ments) assurant la réglementation et la vation se trouve ainsi élargi (voir figure
normalisation. Il s’ensuit que les chan- ci-dessus). Il ne s’agit pas seulement de
gements de comportement de toutes ces se limiter aux ressources et compétences
parties prenantes doivent être pris en totalement maîtrisées par l’entreprise
compte et analysés. pour développer des produits moins coû-
La logique dominante en marketing n’est teux ou de qualité supérieure. Il s’agit de
pas seulement réductrice. Elle constitue mobiliser des réseaux de compétences
aussi un obstacle à de nouveaux déve- (l’entreprise étendue) pour explorer des
loppements parce qu’elle conforte des solutions nouvelles, voire co-créer celles-
croyances naïves et des réflexes qu’il faut ci avec le client ou le consommateur.
désapprendre. Ceux qui prennent l’orien- Ce qui ne veut pas dire l’abandon de toute
tation client au pied de la lettre attendent démarche méthodique. Il a été montré
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que le travail effectué sur un business plan d’entreprises, elle ignore ainsi les situa-
favorise le développement d’activités tions qui concernent plus de 80 % de la
nouvelles et la naissance de nouvelles planète vivant en dehors des pays déve-
entreprises. Mais la méthode universelle loppés avec un revenu par tête inférieur
ne consiste pas à partir de besoins « don- à 1 000 dollars par an. Comment, à par-
nés » afin de remonter vers l’offre, contrai- tir des outils et concepts proposés par les
rement à ce qu’affirment les manuels manuels de marketing traditionnels, abor-
de marketing qui répètent les der les marchés émer-
propos d’un gourou des
Le marketing gents de la consomma-
années 50. Il faut influencer, ne consiste pas tion ? Comment, par
et si possible façonner, la à « manipuler » exemple, servir un mar-
structure du marché et/ou ché où 95 % des volumes
interagir avec les acteurs au le client mais de shampooings vendus
sein du réseau de valeur que à interagir avec sont fournis en doses
l’entreprise peut mobiliser. un interlocuteur uniques pour une vaste
« Façonner » signifie que l’in- clientèle disposant d’un
novation est capable de défi- actif. très faible pouvoir
nir un besoin et, ainsi, de déterminer la d’achat (le marché indien). Comment
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demande au moyen d’un nouveau pro- créer et servir le client bolivien, indoné-

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duit (le Walkman, le Viagra) ou d’un nou- sien ou maghrébin ? Redisons-le, l’enjeu
veau service (le Goretex, le travail tem- n’est pas d’être orienté vers ou par le
poraire). « Interagir » signifie qu’il est client. Il est de savoir quelle représenta-
possible d’organiser un dialogue à pro- tion on se donne du marché ou, comme
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pos de la création de valeur ou du par- on dit, « de l’idée qu’on s’en fait ».

L’Expansion Management Review


tage de la valeur (jeux vidéo, enchères en Pour donner du sens au marketing entre-
ligne). preneurial au service de l’innovation aussi
Une entreprise ne peut faire que des pro- bien technologique que sociale, il faut
positions de valeur. La valeur est définie donc explorer d’autres voies. Une tâche
par le client ou, mieux, co-créée avec lui. qui n’est pas aisée parce qu’elle remet en
Y compris par le consommateur puisque cause la légitimité de deux corps consti-
la consommation est aussi une « autre » tués : celle des gourous qui (sur)vivent
production. Il s’ensuit que le marketing grâce à la (ré)édition de manuels sinon
ne consiste pas à « manipuler » le client éculés du moins réducteurs; celle des soi-
en jouant sur les leviers du marketing mix disants chercheurs en marketing trop
mais à interagir avec un client actif, à soucieux de méthodologie statistique (les
favoriser en permanence la diversité des échelles d’attitude concernant des ques-
processus d’apprentissage, et à gérer des tions micrométriques) pour affronter des
ressources, des réseaux, et des processus enjeux substantiels (la marque, l’innova-
concurrentiels et coopératifs. Il ne consiste tion, le matérialisme). Les principales
ni à obéir au pseudo « client roi », ni à revues de marketing deviennent ainsi de
gérer la demande mais à participer avec plus en plus illisibles pour les non-
intelligence aux processus d’interaction spécialistes et les praticiens. Pourtant la
où l’entreprise apprend du marché et où question la plus urgente n’est pas de rabâ-
le marché apprend de l’entreprise. cher les procédures permettant de tester
telle ou telle hypothèse éculée. Elle est
Au service de l’innovation. Depuis de mettre au jour de nouvelles hypo-
près d’un siècle l’étude des techniques thèses.
de marketing a été dominée par une pers- Il est probable que ceux qui n’ont aucun
pective très marquée par son contexte goût pour l’exotisme, les voyages ou la
(les Etats-Unis). Bien adaptée aux mar- diversité des éthos, ceux qui ânonnent
chés de masse où opèrent un petit nombre même le globish, ceux qui font des sta- >>
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IDÉES MARCHÉ
LE MARKETING MALADE DE L’ORIENTATION CLIENT

>> tistiques sans jamais fréquenter les t-il à éclairer ou à obscurcir les choix des
consommateurs en chair et en os, bref consommateurs? », « est-il nécessaire que
ceux qui ne portent aucun intérêt à la dif- la production et la distribution d’un
férence, ceux-là yaourt dans le sud de l’Allemagne
seront les derniers
La question la suscite un parcours de 8 000 kilo-
à désapprendre plus urgente n’est mètres ? » Il nous semble que le fait
les fausses leçons pas de rabâcher de polariser l’attention, l’énergie et
du marketing tra- l’intelligence des praticiens, des ensei-
ditionnel. Il est les procédures gnants et des chercheurs sur les
également pro- permettant de enjeux de l’exploitation à court terme
bable qu’ils seront tester telle ou telle constitue un obstacle à la recherche
les derniers à se de réponses à ces questions. En
poser des ques- hypothèse éculée. revanche, en favorisant un appren-
tions telles que : « quelles sont les consé- tissage fondé sur l’exploration et l’ima-
quences économiques et sociales des gination il deviendra peut-être possible
actions conduites auprès des cibles enfan- d’en trouver. 
tines? », « le bruit publicitaire contribue-
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