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DU COMMISSARIAT AUX COMPTES À L'AUDIT

Les BIG 4 et la profession comptable depuis 1970


Carlos Ramirez

Le Seuil | « Actes de la recherche en sciences sociales »

2003/1 n° 146-147 | pages 62 à 79


ISSN 0335-5322
ISBN 202057344X
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-
sociales-2003-1-page-62.htm
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Carlos Ramirez, « Du commissariat aux comptes à l'audit. Les BIG 4 et la profession
comptable depuis 1970 », Actes de la recherche en sciences sociales 2003/1 (n°
146-147), p. 62-79.
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DOI 10.3917/arss.146.0062
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Carlos Ramirez

Du commissariat
aux comptes à l’audit
LES BIG 4 ET LA PROFESSION COMPTABLE DEPUIS 1970

L a chute spectaculaire du cabinet Arthur Ander-


sen, dans le sillage de la faillite frauduleuse de
l’entreprise Enron, a été l’occasion de jeter un
coup de projecteur sur une profession dont on ne
parlait guère jusque-là en dehors des rubriques éco-
Ces textes de loi ne sont pas sans ambiguïté car s’ils
ont pour but de résoudre des problèmes créés essen-
tiellement par l’activité d’acteurs économiques glo-
baux, ils doivent, pour ce qui est des professionnels
de la comptabilité, tenir compte de l’appartenance de
nomiques et des cercles de spécialistes : celle des ces acteurs à des professions nationales dont le mode
auditeurs. Leur implication dans des scandales finan- de développement a été très différent d’un pays à
ciers n’est pourtant pas chose nouvelle : ainsi la l’autre. En prétendant réformer la profession comp-
célèbre affaire McKesson & Robbins qui éclata aux table dans son ensemble, ils ne font en fait que mettre
États-Unis en 1938 et vit la mise en cause du cabinet en évidence la fracture qui sépare le monde des
Price Waterhouse conduisit-elle à la création des pre- grands cabinets multinationaux de celui des autres
mières normes professionnelles, dont le respect était membres de la profession. Il est ainsi tout à fait signi-
censé garantir la qualité du travail de l’auditeur. ficatif de voir comment les dirigeants des organismes
Mais, comme le souligne Michael Power dans son professionnels français se récrient actuellement contre

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livre The Audit Society 1 , les scandales qui ont écla- l’amalgame fait entre la profession et certains de ses
boussé par la suite la profession comptable améri- cabinets tout en prônant, par l’entremise de René
caine ou britannique se sont toujours soldés par un Ricol, président de l’IFAC (International Federation of
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renforcement de ces normes, élaborées et appliquées Accountants), qui avait été successivement en France
par les professionnels eux-mêmes, plutôt que par une à la tête de la Compagnie nationale des commissaires
réflexion sur le processus d’audit et sur le rôle de aux comptes et de l’Ordre des experts-comptables,
ses spécialistes. La disparition d’Arthur Andersen « la fin de l’autorégulation » 3. Il est tout aussi signifi-
marque à ce titre un tournant. Elle annonce une catif de voir comment les représentants français des
remise en question profonde de la double nature, à Big 4 sont en train de monter une opposition ouverte
la fois professionnelle et commerciale, du mode de aux dispositions du projet de loi sur la sécurité finan-
fonctionnement des conglomérats multinationaux de cière visant à limiter strictement les prestations que
l’audit et du conseil que sont les Big 4 2 et, plus géné-
ralement, une remise en cause des privilèges de la
self-regulation dont jouissaient jusque-là les profes- 1 – M. Power, The Audit Society : Rituals of Verification, Oxford, Cla-
rendon Press, 1997.
sionnels comptables libéraux. La volonté de mettre 2 – Les grands cabinets multinationaux de la profession comptable,
fin aux dérives occasionnées par le manque d’indé- les Big 4, dont nous reprendrons ici pour les désigner l’appellation
de « Big » qui est la leur dans les milieux professionnels, sont Price
pendance d’auditeurs, à la fois au service de leurs Waterhouse Coopers, KPMG, Deloitte Touche Tohmatsu et Ernst &
clients et censeurs des comptes de ces derniers, et la Young. Le terme de Big est apparu à la fin des années 1960 pour dési-
volonté de renforcer la surveillance des profession- gner les dix premiers cabinets (par le chiffre d’affaires et les effectifs)
des classements professionnels américains. À la suite de fusions suc-
nels par les autorités publiques semblent être en effet cessives entre membres de cette catégorie, les Big ont vu leur nombre
les traits dominants des lois récemment votées, se réduire à huit puis six au milieu des années 1980. En 1998, la
comme le Sarbannes-Oxley Act aux États-Unis, ou en fusion entre Price Waterhouse et Coopers & Lybrand a donné nais-
sance aux Big 5.
passe de l’être, comme la loi sur la sécurité financière 3 – « La profession des commissaires aux comptes fait son mea
en France. culpa », Le Monde, 23 novembre 2002.

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peuvent fournir les auditeurs accessoirement à leur le champ de la comptabilité libérale en France s’est
mission principale4. trouvé réordonné par le développement des grands
Les débats qui font rage dans la profession sur les cabinets anglo-saxons sur le marché des services aux
vices et les vertus des auditeurs seraient difficilement entreprises, ainsi que par l’institutionnalisation de
compréhensibles sans la mise en perspective des dif- leur domination sur la profession française.
férentes traditions professionnelles qu’incarnent les
participants à ces débats. Les cabinets multinationaux Les « 20 ans de retard »
sont d’abord le produit d’un modèle professionnel du modèle professionnel français
spécifique qui est né et a prospéré dans le monde
anglo-saxon. L’exportation de ce modèle, à la faveur Il est difficile de situer les grands cabinets internatio-
de la mondialisation des marchés financiers, dans des naux par rapport à un modèle professionnel national.
pays marqués par une distribution des rôles différente Les études sont d’ailleurs nombreuses qui constatent la
entre les acteurs du jeu économique, n’a pas été sans survivance de comportements « nationaux » par-delà la
problèmes. Cet article analyse ainsi les transforma- systématisation des méthodes de travail et de recrute-
tions du champ de la profession comptable libérale ment8. Ces organisations « globales » se sont pourtant
qu’a opérées en France le développement des grands d’abord épanouies dans un contexte socio-économique
cabinets multinationaux pendant les trente dernières spécifique. Si c’est aux États-Unis que l’on pense
années. Par modèle, on entend ici non seulement une quand il s’agit de grands cabinets d’avocats d’affaires9,
forme historique particulière de constitution et de l’origine des Big 4 est davantage à chercher du côté de
fonctionnement d’un corps professionnel – le profes- la profession comptable britannique. Les grands cabi-
sional project des sociologues néo-wébériens des pro- nets anglo-américains sont en effet tous nés outre-
fessions 5 –, mais également les formes de l’exercice Manche, sauf Arthur Andersen, disparu récemment
qui contribuent à ordonner hiérarchiquement le dans la tourmente qui a suivi le scandale Enron et qui
champ professionnel. Ces formes renvoient non seu- est longtemps passé pour « le plus petit des Big 10 ». Il
lement à des distinctions liées à l’origine sociale des est donc possible, tout en reconnaissant le caractère
praticiens ou à leur capital scolaire mais également au
type de clientèle et au contenu technique du travail
d’expertise ainsi qu’à son organisation. On peut, bien 4 – « Big Four Hit at French Audit Proposal », Financial Times,
22 novembre 2002, p. 2.
entendu, constater une homologie entre le champ des 5 – Voir en particulier M. S. Larson, The Rise of Professionalism : a
professionnels et celui des clients, avec, dans le cas Sociological Analysis, Berkeley, University of California Press, 1977.

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6 – Un classement des cabinets par chiffre d’affaires et effectifs
des comptables, une distinction tranchée entre le employés est publié chaque année depuis 1985 par la revue La Pro-
monde de la grande entreprise et celui de la PME. Par fession comptable. Un de ses fondateurs nous a rapporté « les opposi-
ailleurs, le modèle des grands cabinets anglo-améri- tions insensées » faites à la publication du premier classement par les
dirigeants des institutions professionnelles françaises.
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cains et celui du commissaire aux comptes français de 7 – Un des leitmotive du rapport Nallet (1999) remis au Premier
sociétés cotées peuvent tout aussi bien être envisagés ministre sur les réseaux pluridisciplinaires et les professions du droit
à des époques différentes et au sein, chacun, d’un en France, et qui concerne l’activité des départements juridiques et
fiscaux des Big 4, est la crainte de la contamination du droit français
projet professionnel comme des modèles d’excellence par la Common Law anglo-saxonne.
professionnelle. Cependant, il faut également remar- 8 – Voir D. J. Cooper et P. Taylor, « From Taylorism to Ms. Taylor :
quer que, depuis une trentaine d’années, l’histoire de the Transformation of the Accounting Craft », Accounting, Organiza-
tions and Society, 25, 2000, p. 555-578. Pour des exemples précis sur
la comptabilité libérale française est essentiellement les relations entre nationalité et professionnalisme, voir D. J. Cooper,
celle de la confrontation d’un modèle professionnel R. Greenwood, B. Hinings et J. L. Brown, « Globalization and Natio-
nalism in a Multinational Accounting Firm : the Case of Opening new
qui donne la primauté à l’individu et d’un modèle Markets in Eastern Europe », Accounting, Organizations and Society,
qui, conjuguant taille et prestige, a placé au sommet 23, 1998, p. 531-548.
de la profession des organisations devenues aujour- 9 – Voir R. Buchanan, J. R. Davis, Y. Dezalay et D. M. Trubek, « Glo-
bal Restructuring and the Law : Studies of the Internationalization of
d’hui de véritables entreprises multinationales6. Legal Fields and the Creation of Transnational Arenas », Case Western
La consécration des Big ne doit pourtant pas laisser Reserve Law Review, vol. 44, n° 2, 1994, p. 407-498. Ces auteurs
croire que le modèle anglo-saxon s’est imposé grâce à décrivent l’influence du « cravathism » (d’après le nom de la firme
fondée par Paul Cravath à Chicago au début du XX e siècle) dans la
la seule vertu de sa plus grande valeur « marchande », constitution des grands cabinets de lawyers.
ou que la comptabilité française a fini par être vain- 10 – Lors d’un entretien, un associé français d’Arthur Andersen nous a
affirmé qu’un des dirigeants historiques du cabinet (Leonard Spacek)
cue par la comptabilité anglo-saxonne7. L’utilisation aimait raconter comment les firmes d’origine britannique snobaient les
de la notion de modèle professionnel (en tant qu’objet cabinets américains lors de leurs réunions à l’AICPA (l’organisme pro-
pour le chercheur et en tant que but à atteindre ou, fessionnel américain). Les firmes « britanniques » avaient pris l’habi-
tude de s’asseoir toutes du même côté de la table de réunion, en lais-
au contraire, en tant que repoussoir pour les profes- sant les autres à l’écart. Arthur Andersen était donc devenu un « Big »
sionnels) permettra justement d’expliquer comment le jour où il avait pu enfin passer « de l’autre côté de la table ».

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multinational des Big 4, de les rattacher à la tradition les administrations. Au Royaume-Uni, dès la Première
professionnelle qui a prospéré d’abord au Royaume- Guerre mondiale, les compétences développées par les
Uni et qui a été exportée par la suite aux États-Unis. comptables sont utilisées pour organiser la produc-
Dans cette partie, nous verrons quelles sont les carac- tion18. Même si le modèle professionnel a continué à
téristiques de ce modèle qui expliquent sa suprématie, être surtout inspiré par l’exercice libéral, l’admission
puis nous envisagerons le cas du modèle professionnel des comptables salariés a donné la possibilité aux insti-
français, en nous demandant pourquoi un responsable tuts professionnels d’affirmer leur puissance en voyant
de la COB a pu, en 1970, déclarer que la profession le nombre de leurs membres augmenter et en consoli-
française avait « vingt ans de retard ». dant la présence de ces membres dans les grandes
entreprises industrielles et commerciales. Outre-
Le modèle professionnel anglo-saxon : Manche, la formation de chartered accountant est ainsi
la réputation et les profits restée pendant longtemps, avec celle de banquier et
Bien que le développement de l’entreprise capitaliste jusqu’à l’arrivée de titulaires de MBA dans les années
ait réclamé rapidement l’emploi de teneurs de livres, 1970, la clé pour l’accès au poste de directeur financier
comptables, chefs et directeurs de comptabilité en et une voie d’accès aux conseils d’administration19.
nombre important, c’est essentiellement autour de la
profession libérale que s’est construit le modèle anglo-
saxon. Au Royaume-Uni, l’évolution de la profession 11 – On peut consulter à ce sujet H. J. Perkin, The Rise of Professional
comptable ne s’écarte pas en cela du schéma général Society : England since 1880, Londres, Routledge, 1989.
de développement des professions réglementées11. Le 12 – Ces prérogatives incluent notamment l’organisation de l’enseigne-
ment professionnel, inséparable de l’apprentissage avec des profession-
terme d’« auto-réglementées » (self-regulated) serait nels établis (qui porte des noms différents en fonction des professions :
d’ailleurs plus approprié puisque, par une véritable pupillage, articles), ainsi que le contrôle disciplinaire des membres de
la profession et les sanctions appliquées aux professionnels indélicats.
dévolution de puissance publique, certaines associa- Une première description de ces prérogatives a été donnée par Carr-
tions professionnelles britanniques se sont vu conférer Saunders et Wilson en 1933 dans The Professions, l’un des ouvrages
des prérogatives qui étaient, dans d’autres pays, plus fondateurs de la sociologie fonctionnaliste des professions.
13 – Voir T. J. Johnson, « The State and the Professions : Peculiarities
étroitement encadrées par les autorités12. Sur les of the British », in A. Giddens et G. MacKenzie (éds), Social Class and
espaces laissés libres par un État moins centralisateur the Division of Labour, Cambridge, Cambridge University Press,
et moins interventionniste et par une Université qui p. 186-208, ainsi que M. Burrage, « From Practice to School-based
Professional Education : Patterns of Conflict and Accomodation in
s’est impliquée à un moindre degré dans la constitu- England, France, and the United States », in S. Rothblatt et B. Wit-
tion et la transmission du savoir professionnel13, les trock (éds), The European and American University since 1800 : Histori-

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cal and Sociological Essays, Cambridge-New York, Cambridge Univer-
comptables ont commencé par s’occuper d’activités sity Press, 1991. Le projet de professionnalisation des comptables
jugées peu dignes par d’autres professionnels, comme anglais se distingue ici de celui des comptables américains qui est
les procédures de mise en liquidation14. Imitant le davantage ancré dans la constitution de la comptabilité en discipline
universitaire et « scientifique ». Comme l’a montré K. P. McMillan en
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mode d’organisation des juristes, les premières asso- 1999 dans « The Institute of Accounts : a Community of the Compe-
ciations de comptables ont mis sur pied un projet pro- tent », Accounting, Business and Financial History, 9, p. 7-28, les ingé-
fessionnel associant étroitement qualités morales (et nieurs ont servi tout autant de modèle que les avocats.
14 – Voir D. Matthews, M. Anderson et J. R. Edwards, The Priesthood
avant tout l’indépendance) et qualités techniques of Industry : the Rise of the Professional Accountant in British Manage-
autour de la figure du professionnel-gentleman15. ment, Oxford-New York, Oxford University Press, 1998.
La profession comptable se distingue pourtant de ses 15 – Voir M. S. Larson, The Rise of Professionalism…, op. cit., ainsi que
K. M. MacDonald, « Building Respectability », Sociology, 23, 1989,
plus illustres devancières sur deux points. Le premier p. 55-80, et D. Sugarman, « Who Colonised Whom ? Historical Reflec-
est que les professionnels anglais et américains n’ont tion on the Intersection between Law, Lawyers and Accountants in
England », in Y. Dezalay et D. Sugarman (éds), Professional Competition
jamais obtenu, comme leurs homologues français, de and Professional Power : Lawyers, Accountants and the Social Construction
monopole d’exercice (registration) sur l’ensemble des of Markets, Londres-New York, Routledge, 1995, p. 226-237.
activités comptables16. Bien plus que la difficulté de 16 – Parmi ces activités, seule la certification légale des comptes fait
exception. La réglementation du legal audit (par opposition à l’audit
définir exactement ce qu’est et ce que fait un comp- contractuel) est en fait venue consacrer, dans les pays anglo-saxons,
table, ce sont les désaccords sur une interprétation trop le monopole de fait dont jouissaient les comptables sur cette activité.
restrictive du métier, source d’une possible perte de 17 – Voir D. Sugarman, « Who Colonised Whom ?…», art. cit.
18 – Voir A. Loft, Understanding Accounting in its Social and Historical
marchés ou de conflits avec d’autres professions Context : the Case of Cost Accounting in Britain, 1914-1925, Foundations
(comme, au Royaume-Uni, les solicitors, sur le marché of Accounting, New York, Londres, Garland, 1988.
19 – Voir T. Hopwood, M. Page et al., Understanding Accounting in a
du conseil juridique et fiscal17), qui a abouti finalement Changing Environment, Hemel Hempstead, Prentice Hall International,
à cette situation. La relative souplesse de la définition 1990. La profession française est ici aux antipodes de sa consœur bri-
des tâches du comptable a également permis aux orga- tannique. Les diplômés d’expertise comptable qui n’ont pas choisi
l’exercice libéral (et qui ne sont donc pas inscrits au tableau de
nisations professionnelles d’intégrer les professionnels l’Ordre : cf. deuxième partie) sont extrêmement rares à occuper des
salariés et de prendre ainsi pied dans les entreprises et postes de direction dans les grandes entreprises françaises.

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Conséquence de l’absence de monopole d’exercice, la méthodes de recrutement et de travail qui leur sont
profession comptable se caractérise aussi par l’impor- propres et qui sont en même temps adaptées aux
tance qu’a prise en son sein l’exercice professionnel caractéristiques (multinationales elles aussi) de l’es-
sous la forme de partnership20. Alors que les comp- sentiel de leur clientèle23. En recrutant généralement
tables libéraux français, par souci de mimétisme avec des diplômés de l’enseignement supérieur, en ayant
les pratiques de professions plus prestigieuses et mis au point des procédures normalisées – et sou-
parce que le marché français de l’expertise comptable mises à des contrôles de qualité – de production de
et du commissariat aux comptes était plus étroit, en l’expertise comptable et de l’audit, en ayant investi les
sont restés à un mode d’exercice essentiellement local arènes où se font les débats qui touchent au savoir et
et personnel, les professional accountants ont pu et su à la pratique comptable, ces cabinets proposent un
faire évoluer l’importance de leurs cabinets en fonc- modèle professionnel intégré qui sert de modèle d’ex-
tion de celle de leurs clients. Dès la fin des années cellence aux autres cabinets comptables24.
1960, et avant de prendre avec leur clientèle le tour- Le terme de cabinet comptable n’a pas non plus grand
nant de la globalisation financière, les Big 10 sont déjà sens dans le cas des Big 4, puisque, à partir d’une base
présents par-delà les mers, où ils vendent du conseil comptable, ces cabinets ont su profiter de l’essor
et auditent les filiales des groupes britanniques ou d’autres marchés de services professionnels aux
nord-américains. La certification légale des comptabi- grandes entreprises pour offrir à leurs clients une
lités est en effet la voie d’accès des cabinets comp-
tables aux grandes entreprises. Au Royaume-Uni, bien
que l’obligation d’un audit pour les limited companies
20 – C’est-à-dire l’existence au sein du même cabinet de plusieurs
ne soit entrée dans la loi qu’en 1900 et que les comp- (voir plusieurs dizaines, et aujourd’hui, plusieurs centaines) de pro-
tables n’en aient obtenu le monopole qu’en 1948, des fessionnels associés.
21 – Voir M. Anderson, J. R. Edwards et D. Matthews, « A Study of the
recherches récentes ont montré que, dès la fin des Quoted Company Audit Market in 1886 », Accounting, Business and
années 1880, la plupart des sociétés cotées à la place Financial History, 6 (3), 1996, ainsi que M. Anderson et R. Chandler,
de Londres faisaient auditer leurs comptes par des « Changing Perceptions of the Role of the Company Auditor, 1840-
1940 », Accounting and Business Research, automne 1993. Certains
membres de la profession21. grands cabinets comme Price Waterhouse (actuellement Price Water-
Pour conclure sur le modèle professionnel anglo- house Coopers) ont bâti leur prestige sur l’accumulation de mandats
saxon, on peut dire qu’il s’articule sur une réputation d’audit des grandes sociétés et n’ont fait que plus tardivement une
place à d’autres activités comme le conseil en organisation et en infor-
fondée par la possession d’un titre dont la valeur est matique. Des Big plus « jeunes » et moins introduits dans le monde feu-
rehaussée par l’essor de cabinets comptables interna- tré des conseils d’administration des grandes entreprises, comme

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Arthur Andersen, ont préféré adopter une politique commerciale plus
tionaux. Nous avons donc affaire ici à une profession agressive et fondée sur une spécialisation précoce dans le conseil.
qui a su combiner les avantages du professionnalisme 22 – Certains comme Price Waterhouse se sont établis aux États-Unis
(l’accumulation de la réputation et la préservation des dès 1890 et ont développé leur cabinet en l’américanisant. D’autres
ont fusionné avec des cabinets locaux : c’est le cas de Peat avec Mar-
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privilèges liés à cette réputation) sans avoir à trop wick Mitchell en 1924, de Deloitte Plender, Griffiths & Co avec Has-
céder sur le caractère commercial de son activité. kins & Sells en 1978 (des liens commerciaux existaient entre les
Dans ce modèle professionnel, l’excellence est incar- deux firmes depuis 1931), de Coopers Brothers & Co avec Lybrand,
Ross, Bros & Montgomery avec qui il était en relation depuis 1957.
née par la firme londonienne intervenant sur le mar- Sur l’histoire de ces fusions, voir E. Jones, Accountancy and the British
ché de l’audit auprès des entreprises cotées, ayant dès Economy 1840-1980 : the Evolution of Ernst & Whinney, Londres, Bats-
la première moitié du XXe siècle diversifié son offre de ford, 1981, et True and Fair. A History of Price Waterhouse, Londres,
Hamish Hamilton, 1995.
services pour y inclure des prestations allant au-delà 23 – La cartellisation du marché des services comptables aux entre-
du domaine comptable et s’étant implantée aux États- prises multinationales a cependant poussé récemment les Big à exploi-
ter le marché des PME, surtout dans les pays, comme la France, où ces
Unis en s’associant à des cabinets américains22. cabinets y étaient très faiblement implantés. On peut voir par exemple
La Profession comptable d’avril 1996 (n° 159, p. 7), où HSD (cabinet
Du cabinet international français membre du Big Ernst & Young) annonce la création de Parte-
naire HSD afin de mieux répondre à la demande du marché PME/PMI.
au cabinet multinational Cette création correspondrait à un besoin non plus seulement d’une
C’est à partir de ce modèle, d’abord national, que se prestation technique mais d’une « offre de services globale, pluridisci-
sont développées les entités multinationales qui plinaire, à forte valeur ajoutée apportée par une organisation sachant
allier compétence, proximité, crédibilité par une signature ».
monopolisent les premières places des classements 24 – Sur le développement international de ces cabinets, on peut
professionnels. Les Big 4 sont en effet les seuls cabi- consulter G. Hanlon, The Commercialisation of Accountancy : Flexible
Accumulation and the Transformation of the Service Class, Basingstoke,
nets véritablement multinationaux dans la mesure où, Macmillan, 1994, et S. Strange, The Retreat of the State : the Diffusion
par rapport à des cabinets nationaux qui sont intégrés of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University
à un réseau international, ils proposent, quel que soit Press, 1996. Les Big se sont progressivement implantés hors du
monde anglo-saxon dès avant 1914, parfois en s’associant comme
le pays dans lequel ils sont implantés, la même Peat et Price Waterhouse en Amérique du Sud et au Moyen-Orient.
culture professionnelle fondée sur la mise au point de En Europe continentale, Whinney Smith & Whinney (actuellement

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gamme de produits qui s’étend bien au-delà de la normes. Les associés des Big sont dès lors pratique-
simple prestation comptable ou d’audit25. Tirant parti ment les seuls à même de pouvoir débattre des pro-
des restructurations liées à l’évolution des économies blèmes de conception et d’application de ces dernières
capitalistes au cours des trente dernières années et à la et à pouvoir suivre, grâce à leurs moyens de forma-
globalisation des échanges financiers, les Big ont tion, l’hyperspécialisation et l’hypertechnicité qu’ont
entamé une croissance, qui semblait jusqu’à il y a peu atteintes de nos jours les débats au FASB ou à l’IASB.
irrésistible, sur le marché du conseil en organisation et Les grands cabinets jouent ainsi un double jeu. Bien
sur celui du conseil juridique et fiscal, puis sur celui qu’ils soient devenus plus légitimes et plus puissants
de l’ingénierie financière. Ils ont certes rencontré la que les organismes professionnels (et donc de facto les
concurrence d’autres professionnels plus établis (ban- représentants de la profession comptable), ils ne peu-
quiers d’affaires, consultants en stratégie, avocats) qui vent se permettre de s’affirmer trop indépendamment
leur ont contesté leur suprématie en stigmatisant leur par rapport à ceux-ci au risque de perdre leur légiti-
caractère de « supermarchés de l’expertise26 », mais il mité en tant que professionnels (puisqu’ils ne sont
n’en demeure pas moins que leur développement sur pas représentés en leur nom propre au sein des ins-
ces marchés annexes en a fait de véritables multidisci- tances de normalisation) et au risque d’apparaître
plinary partnerships constituant un défi aux classifica- comme œuvrant purement au nom de leurs intérêts
tions professionnelles et à la sociologie des professions. commerciaux.
L’influence des grands cabinets ne s’exerce pas seule-
ment du fait de leur poids économique. Elle réside de
Ernst & Young) s’établit à Paris et Anvers en 1920, à Berlin en 1924,
plus en plus dans le pouvoir de peser sur les règles qui Hambourg en 1925, Varsovie en 1934. Deloitte Plender, Griffiths & Co
président, au niveau de l’ensemble de la profession, à en fait de même à Paris en 1920, Rome en 1923, Bruxelles et Anvers
la production de l’expertise en comptabilité et en en 1924, Milan en 1927. L’expansion territoriale de ces firmes les a
conduit à créer une structure internationale fédérant les différents
audit. Seuls les grands cabinets peuvent en effet se cabinets membres. Price Waterhouse crée ainsi Price Waterhouse & Co
permettre de détacher, en permanence et à temps firme internationale en 1946. En 1973, cette association change de
plein, leurs membres auprès des instituts profession- physionomie avec la création de Price Waterhouse International, la
mise en place d’une représentation permanente des partners à Londres
nels ou des différents organes de réglementation et un programme mondial de standardisation des procédures de travail
comptable ; les professionnels exerçant dans de plus et de recrutement. Voir E. Jones, True And Fair…, op. cit.
25 – Voir R. Béthoux, « Audit, les grands acteurs », in Encyclopédie de
petites structures ayant en général peu l’occasion de comptabilité, contrôle de gestion et audit, Paris, Économica, 2000,
s’occuper des affaires de leur profession27. Les Big sont p. 49-61.
de fait – et c’est bien là ce qui les distingue essentielle- 26 – Voir Y. Dezalay, Marchands de droit, Paris, Fayard, 1991.

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27 – Voir C. Ramirez, « Constructing the Governable Small Practitio-
ment des autres cabinets – seuls détenteurs des ner : the Globalisation of Accountancy and the Management of Pro-
moyens, des hommes et de la réputation (internatio- fessional Accountants’Identities in the UK », papier présenté au
nale) indispensables à la certification de l’information Congrès de l’Association européenne de sociologie, Helsinki, 2001.
On dispose, grâce aux pages qu’Accountancy, publication officielle de
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comptable « fiable » universellement28. Cette informa- l’Institute of Chartered Accountants in England and Wales, consacre
tion est inséparable de la notion de normes comp- chaque année, en juin, au nouveau président, d’éléments biogra-
phiques assez précis. Un point intéressant à noter dans le cas britan-
tables (accounting standards) et de normes de contrôle nique est le développement, ces 25 dernières années, des instituts
(auditing standards). Les années 1970 ont vu le déve- professionnels en tant qu’organisations, par la création ou la ramifi-
loppement d’une véritable concurrence entre divers cation de commissions techniques spécialisées. Ces commissions (par
exemple celle qui dirige la politique de formation de l’ICAEW) sont
organismes comme le FASB (Federal Accounting Stan- en général composées majoritairement de membres des Big 4.
dards Board) américain, l’IASB (International Accoun- 28 – D’où, a contrario, les conséquences catastrophiques pour la répu-
ting Standards Board) ou la Commission européenne. tation des Big lorsque ces cabinets se trouvent mêlés à des scandales
importants comme Maxwell et la BCCI dans les années 1990 et plus
Peu importe finalement pour les Big l’issue de cette récemment Enron. La construction de la confiance dans la signature
concurrence puisqu’ils sont représentés dans chaque des Big, qui repose sur la reproduction des mêmes méthodes de fabri-
organisme de normalisation et qu’ils maîtrisent parfai- cation de l’expertise dans tous les points de leur réseau international,
fait qu’une faille en un point essentiel de ce réseau (ici les États-Unis)
tement tous les registres de la production des normes entraîne l’effondrement de toute sa structure.
et de leur application29. Malgré leur caractère univer- 29 – Sur les comportements de lobbying dans les instances de nor-
malisation comptable nationales, voir par exemple Timothy G. Sut-
sel, ces normes concernent en effet au premier chef les ton, « Lobbying of Accounting Standard-setting Bodies in the UK and
entreprises multinationales et ont pour objectif l’ob- the USA : A Downsian Analysis », Accounting, Organizations and
tention et la certification d’une information comptable Society, vol. 9, n° 1, 1984, p. 81-95. Sur l’International Accounting
Standards Board, voir J. R. Grinyer et A. Russell, « National Impedi-
essentiellement destinée aux investisseurs financiers. Il ments to International Harmonization : Evidence of Lobbying in the
est donc difficile pour un professionnel qui n’appar- UK », Journal of International Accounting, Auditing and Taxation, vol. 1,
tient pas au monde des grands cabinets de participer n° 1, 1992, p. 13-31, ainsi que S. Y. Kenny et R. K. Larson, « Lob-
bying Behaviour and the Development of International Accounting
efficacement au processus de normalisation autrement Standards : The Case of the IASC’s Joint Venture Project », European
qu’à partir d’une connaissance « théorique » des Accounting Review, vol. 3, 1993, p. 206-229.

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DU C O M M I S S A R I AT A U X C O M P T E S À L ’ A U D I T

Le modèle professionnel français avant 1970 : volonté des pouvoirs publics de protéger les utilisa-
la notabilité teurs de l’information comptable d’individus peu
Par rapport au modèle professionnel – et à son évolu- scrupuleux. L’Ordre des experts-comptables a en fait
tion multinationale – que nous venons de présenter, été créé pour une tout autre raison. Il s’agissait pour
l’organisation de la profession comptable en France les technocrates de Vichy – et ceux qui en 1944 pri-
est très différente. Tout d’abord, la profession comp- rent leur succession – d’associer la profession comp-
table libérale regroupe deux professions en une. Les table à un projet de rationalisation économique et
experts-comptables sont chargés à titre principal de sociale placée sous le signe du corporatisme mais sur-
tenir et de surveiller les comptabilités d’entreprise30. tout de l’organisation de la production et de la mise
Les commissaires aux comptes, qui sont sous la en œuvre d’outils macro-économiques au service de
tutelle du ministère de la Justice, ont le monopole du l’intervention de l’État36. C’est ainsi que la création de
contrôle légal des comptabilités31. Plus de 90 % des l’Ordre est contemporaine de celle d’un Plan comp-
commissaires aux comptes sont également membres table destiné à harmoniser l’enregistrement des opé-
de l’Ordre des experts-comptables puisqu’une dispo- rations comptables et financières des entreprises 37 .
sition de la loi de 1968 réformant l’ordonnance du Cette création ne s’est toutefois pas faite ex nihilo. Des
19 septembre 1945 relative à l’organisation de la pro- associations professionnelles d’experts-comptables
fession d’expert-comptable permet à tout membre de s’étaient déjà constituées dès la fin du XIXe siècle dans
cette profession d’être automatiquement inscrit sur les un esprit élitiste38, articulé sur l’autonomisation de la
listes de la Compagnie nationale des commissaires profession libérale par rapport à d’autres formes d’ex-
aux comptes. Une deuxième différence importante
réside dans le fait que c’est non seulement la révision
légale des comptes qui est réglementée, mais égale-
30 – D’après les dispositions de l’ordonnance du 19 septembre 1945
ment l’expertise comptable. Enfin, il existe en France (modifiée en 1968). La réforme de ce texte, en 1994, donne la possibi-
une distinction tranchée entre les professionnels libé- lité aux professionnels de vendre des prestations accessoires telles que
raux et les professionnels salariés. Cette distinction, le conseil juridique et fiscal, légalisant une pratique ancienne qui avait
été source de conflits avec des professions cousines (avocats, conseillers
qui est imposée par les incompatibilités liées à la juridiques et fiscaux). Sur ce dernier point, voir O. Boijeol et Y. Deza-
fonction de commissaire aux comptes, peut sur- lay, « De l’agent d’affaires au Barreau : les conseils juridiques et la
construction d’un espace professionnel », Genèses, 1997, p. 49-68.
prendre dans le cas des experts-comptables, d’autant 31 – Le commissaire de sociétés apparaît pour la première fois avec
plus que, malgré quelques tentatives récentes (1994) la loi de 1863 sur les sociétés, mais c’est la grande loi de 1867 (qui
allant dans le sens de l’intégration, l’Ordre a toujours ne sera entièrement réformée qu’en 1966) qui réglemente le recrute-

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ment et les attributions des commissaires. Les dispositions de cette
refusé d’inscrire à son tableau les experts-comptables loi concernant le commissariat aux comptes seront modifiées plu-
salariés (sauf, bien entendu, s’ils sont assujettis à un sieurs fois par la suite, le décret organisant la profession actuelle
expert-comptable libéral). ayant été publié en 1969. Voir A. Mikol, « The Evolution of Auditing
and the Independent Auditor in France », The European Accounting
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Dans les formes, la profession comptable libérale Review, 1, 1993, p. 1-16.


française présente un profil qui la rapproche des pro- 32 – Le rapport entre la profession comptable et la notion de service
fessions liées au service public comme le barreau ou public est différent au Royaume-Uni, puisque les instituts profession-
nels sont censés agir dans l’intérêt du public en échange des préroga-
le notariat32. L’importance de la relation entre l’État et tives de self-regulation qui leur ont été accordées.
la profession comptable souligne en fait les paradoxes 33 – Voir C. Ramirez, « Understanding Social Closure in its Cultural
Context : Accounting Practitioners in France (1920-1939) », Accoun-
d’un projet de mobilité collective qui, pour réussir, ting Organizations and Society, 26, 2001, p. 391-418.
devait avoir comme point de mire des modèles pro- 34 – Voir par exemple l’histoire de la profession publiée par l’Ordre
fessionnels plus avancés dans leur « fermeture des experts-comptables en 1995, à l’occasion du cinquantième anni-
versaire de sa création (alors que l’Ordre a en fait été créé en 1942,
sociale » et dans leur proximité aux pouvoirs publics cf. note suivante).
mais dont le faible attrait pour des candidats forte- 35 – C’est la loi du 3 avril 1942 qui réglemente pour la première fois
ment dotés en capital scolaire et/ou social a long- la profession en France en accordant aux experts-comptables un
monopole d’exercice. Ses différents articles, expurgés des disposi-
temps retardé la réalisation. En quelque sorte, plus les tions les plus antidémocratiques, seront repris par l’ordonnance du
comptables libéraux ont essayé de ressembler aux 19 septembre 1945.
36 – Sur les origines du Plan comptable, on peut voir A. Fortin,
membres du barreau, plus il est apparu évident que, « The French Accounting Plan : Origins and Influences on Subse-
par leur statut social d’origine, ils n’en étaient que les quent Practices », The Accounting Historians Journal, 18, 1998, et
« parents pauvres » 33. Dans les faits donc, l’obtention P. Standish, « Origins of the Plan Comptable Général : a Study in Cul-
tural Intrusion and Reaction », Accounting and Business Research, 20,
pour les professionnels comptables d’un statut simi- 1990, p. 337-357.
laire à celui des avocats ou des médecins a été bien 37 – Nos recherches ne nous ont pas permis de conclure à l’existence
plus laborieux que ne le laisseraient supposer les his- d’un lien de cause à effet entre les deux projets, mais leur simultanéité
et leur complémentarité semblent confirmer l’existence d’un tel lien.
toires officielles34 qui justifient par exemple la créa- 38 – Ces associations se sont souvent constituées sur le modèle des
tion de l’Ordre des experts-comptables 35 par la instituts professionnels britanniques, en pratiquant, du moins dans

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CARLOS RAMIREZ

pertise en comptabilité et par la création d’une hiérar- Grande-Bretagne). Il faut attendre 1966 pour que la
chie interne au monde des comptables grâce à l’iden- loi modifiant le code des sociétés (et le décret de
tification de l’expertise et de la pratique libérale. Les 1969 organisant la profession de commissaire aux
projets de promotion collective de ces associations comptes) associe officiellement les experts-comp-
fondés sur l’imitation de professions plus presti- tables au commissariat aux comptes. Pourtant, dès
gieuses ont été avant 1914 voués à l’échec car l’exper- avant la Première Guerre mondiale, les associations
tise comptable libérale restait encore à cette époque professionnelles avaient tenté de faire pression sur les
une activité confidentielle (et essentiellement judi- autorités afin d’obtenir une réforme de la loi de 1867.
ciaire) qui ne pouvait être propre qu’à attirer les Celle-ci prévoyait l’existence de commissaires de
déclassés d’autres champs professionnels (notamment sociétés chargés de la certification légale des compta-
ceux du droit et de l’enseignement). Ce sont les bilités, mais elle n’avait pas encadré cette fonction de
réformes fiscales intervenues après la Première Guerre garanties quant à la compétence et à l’indépendance
mondiale qui créent un véritable marché de l’exper- de ceux qui l’exerceraient. Bien que le décret-loi du
tise comptable. Ce marché est à la fois une chance 8 août 1935, pris dans une période troublée par des
pour la profession libérale (puisqu’il lui donne une scandales politico-financiers d’envergure, ait apporté
raison d’être) et un problème puisqu’il attire toutes des restrictions au recrutement des commissaires de
sortes d’individus plus ou moins organisés faisant peu sociétés faisant appel public à l’épargne tout en élar-
de cas de la préséance due aux élites d’avant-guerre. gissant l’étendue de leur mission, la réticence d’un
On peut tout de même créditer celles-ci d’une cer- patronat particulièrement attaché au secret des
taine influence étant donné le nombre non négli- affaires et la moindre importance des marchés finan-
geable d’associations qui se forment après 1920 sur le ciers pour la croissance de l’économie freinèrent dura-
modèle de leurs devancières. Leur droit d’aînesse sera
en quelque sorte reconnu : c’est avec elles que l’État
négocie la création d’un brevet d’expert-comptable en
1927. Le désintérêt que les autorités avaient montré les formes, une sélection de leurs membres et en soumettant ces der-
niers au respect d’un code de déontologie strict. Les premières asso-
jusque-là envers la profession n’en est pas diminué ciations telles que la Compagnie des experts-comptables de Paris
pour autant. Une fois brevetés, les comptables sont (1912) furent souvent créées par des membres de la Société acadé-
mique de comptabilité fondée en 1881 (devenue la Société de comp-
abandonnés à eux-mêmes et la faible notoriété du tabilité de France en 1916) pour pallier le manque d’organisation de
diplôme montre bien les limites d’une institutionnali- l’enseignement officiel de la comptabilité. Le lien établi entre excel-
sation sans monopole puisqu’il n’était pas nécessaire lence professionnelle et expertise libérale avait pour but de valoriser

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la position de ces praticiens dans le champ des professions, puis-
d’être un « expert » (breveté ou autoproclamé) pour qu’une majorité d’entre eux venaient de l’expertise judiciaire. L’éta-
satisfaire les besoins d’une clientèle constituée en blissement de ce lien avait également pour fonction de distinguer les
majorité de petits industriels et de commerçants. membres des associations d’experts-comptables des comptables sala-
riés dont le statut à l’intérieur des entreprises – notamment par rap-
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La nécessité d’établir un Ordre des experts-comp- port à celui des ingénieurs – était particulièrement bas. Sur le phéno-
tables en 1942 a posé aux autorités le problème de la mène associatif, voir C. Boqueraz, « The Development of Professional
création d’une profession suffisamment nombreuse Associations : the Experience of French Accountants from the 1880s
to the 1940s », Accounting Business and Financial History, 11, 1, 2001,
pour appliquer les projets de rationalisation écono- p. 7-27. Sur la place des comptables en entreprise, voir J.-P. Nioche
mique dont nous avons parlé, et dotée par ailleurs et Y. Pesqueux, « Accounting, Economics and Management in France :
The Slow Emergence of An “Accounting Science” », The European
d’un « standing » suffisant pour en faire une profes- Accounting Review, 6, 1997.
sion réglementée. La solution retenue a été de divi- 39 – Cette division sépare effectivement l’espace professionnel en
ser l’Ordre en deux compartiments séparés, en théo- fonction de l’origine sociale des professionnels. À partir de 1942, on
retrouve chez les experts-comptables les quelque 600 titulaires du
rie pour des motifs techniques, en fait pour des brevet de 1927 (dont ceux, majoritaires, qui l’avaient obtenu sur dis-
raisons qui tiennent à la trajectoire sociale des pro- pense) ainsi que les candidats dotés d’un capital scolaire suffisant
fessionnels : de l’Ordre des comptables est ainsi (HEC, licence en droit, quelques rares polytechniciens) pour obtenir
le diplôme d’expert-comptable. En revanche, peu nombreux sont
né l’Ordre des experts-comptables et des comptables ceux parmi les comptables agréés à avoir fait des études supérieures.
agréés (OECCA), au sein duquel une minorité d’ex- Cette division, logique sur le plan social, s’avère très vite difficile à
gérer sur le plan économique, surtout pour ceux des « petits »
perts se sont vu confier des missions ayant trait à la experts-comptables qui sont dépourvus du capital social nécessaire à
« surveillance et à l’organisation de comptabilités », l’obtention des missions permettant effectivement de vivre de sur-
tandis qu’une majorité de comptables agréés assure- veillance de comptabilités. Le braconnage sur les terres des comp-
tables agréés est d’autant plus insupportable à ces derniers que, bien
rait la tenue des comptabilités39. qu’ils soient majoritaires en nombre, les statuts de l’ordre font que
Il est significatif que le commissariat aux comptes leur représentation y est minoritaire. Pas moins d’une dizaine de pro-
n’ait pas été touché par la réforme de 1942 (alors que, positions de loi sont déposées entre 1950 et 1965 pour soit scinder
l’Ordre en deux, soit fusionner ses deux catégories. C’est finalement
comme nous l’avons vu, le lien entre comptabilité et un projet de loi adopté en 1968 qui arrête le recrutement des comp-
audit est établi de façon beaucoup plus précoce en tables agréés et les intègre à l’Ordre en tant qu’experts-comptables.

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blement la constitution d’une véritable profession du tues par les associations professionnelles de praticiens
commissariat aux comptes. Avant la réforme de 1969 individuels d’avant-guerre ont été finalement admises
le commissariat aux comptes est davantage une fonc- dans l’Ordre des experts-comptables et des comp-
tion pour l’obtention et l’exercice de laquelle le capital tables agréés en 1942, mais elles se sont – ou ont été –
social prime sur la maîtrise des savoirs comptables40. tenues à l’écart de la direction des institutions de la
Étant donné la rémunération souvent faible des mis- profession. La profession française a donc ceci de
sions, l’étendue et la profondeur des diligences mises paradoxal, par rapport à la profession anglo-saxonne,
en œuvre ne semblent pas permettre d’asseoir le com- qu’elle lie des praticiens exerçant seuls ou dans des
missariat sur une base technique consistante 41 . Les structures comprenant un nombre réduit d’associés à
élites de l’expertise comptable participent effective- la fourniture de prestations comptables aux plus
ment à cette fonction (et elles sont particulièrement grandes entreprises, tandis que ses cabinets les plus
actives dans les associations professionnelles de com- importants ont prospéré sur le marché de la petite et
missaires) mais tout en devant la partager avec des moyenne entreprise.
individus issus d’autres milieux professionnels (ban- Avant d’étudier la confrontation des deux modèles
quiers, ingénieurs, anciens fonctionnaires…). professionnels que nous avons présentés, il n’est pas
En conclusion, la profession comptable française inutile de rappeler qu’ils ont été d’abord beaucoup
reste, à l’orée des années 1970, une profession confi- comparés avant 1970. La littérature professionnelle
dentielle. L’expertise comptable compte moins d’une française évoque de façon plutôt élogieuse le « full
dizaine de milliers de membres (alors que les profes- audit » à l’anglo-saxonne tout en décrétant qu’il est
sionnels britanniques sont déjà plus de 60 000 dont « inapplicable en France43 ». Les cas où les deux pra-
environ 40 % de praticiens libéraux) qui sont en tiques sont concomitantes ne sont pourtant pas rares
majorité de petits teneurs de livres reconvertis en puisque les Big auditent en France les comptes des
comptables agréés. Le commissariat aux comptes,
officiellement né en 1867, n’a été en fait érigé au rang
de profession qu’en 1969 et il reste à faire rentrer 40 – Il faut encore une fois distinguer ici le monde des grandes entre-
prises de celui des petites sociétés anonymes. Avant 1969, c’est essen-
dans les mœurs des patrons français une culture du tiellement le commissariat aux comptes des sociétés faisant appel
contrôle des comptes compatible avec une économie public à l’épargne qui est entouré de quelques règles pour le recrute-
ment des réviseurs légaux. L’absence de réglementation concernant les
axée sur les marchés financiers. Il s’agit donc d’une commissaires des petites sociétés anonymes contribue à associer une
profession pour laquelle sa très stricte réglementation population pittoresque à cette fonction. Comptables agréés et conseils
(existence d’un monopole d’exercice) permet plus juridiques et fiscaux en fournissent les bataillons les plus nombreux,

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mais il est fréquent d’y trouver des représentants de la petite profes-
d’assurer la survie, qu’elle ne vient couronner l’exis- sion comptable salariée (aides-comptables), d’anciens fonctionnaires
tence d’une réputation bien établie. Le modèle fran- de l’administration fiscale ou même des individus n’ayant a priori
çais est celui de l’individualisme et de la notabilité. aucun rapport avec le monde du chiffre (cuisiniers, instituteurs en
retraite). Bien que certains commissaires aux comptes de sociétés
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L’Ordre des experts-comptables et des comptables cotées en Bourse soient des experts reconnus des techniques comp-
agréés s’est en effet constitué autour de l’image du tables et financières, on constate donc que, dans le cas de la grande
praticien exerçant seul ou avec quelques associés (le entreprise comme dans celui de la petite, c’est bien plus la proximité
sociale aux clients qui détermine le choix du commissaire.
nombre de collaborateurs par associé ayant d’ailleurs 41 – Malgré la parution de nombreux manuels de commissariat aux
été limité par l’ordonnance de 1945). Le faible déve- comptes depuis le début du siècle, on peut se demander dans quelle
mesure les commissaires ont appliqué les méthodes proposées par
loppement d’un marché pour le commissariat aux ces manuels. On peut comparer la conception plus « juridique » du
comptes fait que cette activité est essentiellement commissariat à la française, à la conception « économique » de l’audit
exercée par des personnes physiques (dont certaines, anglo-saxon, qui s’appuie à cette époque sur des techniques statis-
tiques nécessitant que l’on y consacre davantage de temps et de
grâce à leur réseau de relations, cumulent plusieurs moyens (sur ces techniques voir le chapitre 2 de M. Power, The Audit
dizaines de mandats de sociétés cotées) et avec peu de Society…, op. cit.).
moyens. Le sort réservé aux sociétés fiduciaires est 42 – Ce qui les distingue des Big anglo-saxons dont la clientèle com-
prend surtout des grandes entreprises. La persistance d’une faible
révélateur de l’individualisme qui marque la profes- rémunération du commissariat aux comptes en France et la moindre
sion française. Ces sociétés constituées en France demande de services comptables émanant des grandes entreprises (qui
possédaient leurs propres comptables) ont orienté la stratégie commer-
dans les années 1920 sur le modèle des Treuhandge- ciale de la Fiduciaire de France vers le marché des PME. Sur les socié-
sellschaften (sociétés de services) germaniques, et dont tés fiduciaires, voir E. Snozzi, Les Sociétés fiduciaires, Paris, 1976.
la plus célèbre est la Fiduciaire de France, s’étaient 43 – Hommes et commerce, 88, décembre 1965-janvier 1966, numéro
spécial sur l’expertise comptable, et « À quoi servent les commissaires
spécialisées dans la prestation de services comptables, aux comptes ? », Entreprises, 609, 24-30 janvier 1969, p. 45-47. On
juridiques et financiers à une clientèle essentiellement peut aussi consulter J. Wisner, « Réflexions sur la mission du commis-
constituée de petites et moyennes entreprises42. Les saire aux comptes », Revue des sociétés, 10-12, octobre-décembre 1967,
p. 371-378, ainsi que E. Archavlis, « Tendances actuelles en matière de
fiduciaires, symbole de l’exercice de la profession en commissariat aux comptes dans les sociétés anonymes », Économie et
structure collective, après avoir été âprement combat- comptabilité, 55, septembre 1961, p. 2707-2712.

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CARLOS RAMIREZ

filiales des sociétés britanniques ou américaines. Par- 1970, les relations entre les deux mondes sont encore
fois les deux approches se sont même trouvées en teintées de méfiance et d’hostilité.
concurrence comme dans le cas de l’affaire des Pape-
teries de Navarre qui a vu la mise en cause en 1971 La normalisation du commissariat aux comptes
d’une des figures de la profession, Jacques Frinault44. L’hostilité entre les experts-comptables et les commis-
Polytechnicien, à la tête d’un cabinet gérant une saires aux comptes ne date pas de la création de la
clientèle de grandes entreprises cotées en Bourse, Fri- Compagnie nationale des commissaires aux comptes
nault était co-commissaire aux comptes des Papete- (CNCC) par le décret du 12 août 1969. Comme nous
ries de Navarre. Lui et son confrère, Michel Descazes l’avons signalé, les experts-comptables avaient tenté
(77 ans à l’époque), s’étaient vu reprocher par les par le passé à plusieurs reprises de faire entendre leurs
repreneurs de cette société d’avoir erronément revendications d’un monopole sur le commissariat aux
approuvé des comptes bénéficiaires, alors qu’un audit comptes. Des rivalités entre les autorités de tutelle des
contractuel commandé par ces mêmes repreneurs au deux professions, le ministère des Finances pour les
cabinet britannique Cooper Brothers avait conclu à experts-comptables et la Chancellerie pour les com-
une perte de plusieurs millions de francs. Par-delà les missaires de sociétés, ainsi que la présence dans le
arguties comptables, Frinault avait invoqué pour sa corps des commissaires d’individus étrangers au
défense le manque « tragique » de moyens dont pâtis- monde de la comptabilité ont été souvent proposées
sait le commissariat aux comptes en France. Descazes comme explication à la persistance de la séparation
avait résumé le « tragique » de la situation en compa- entre les deux institutions après 1970 (alors que dans
rant les 2 500 F (courants) qu’il avait reçus en 1969 la plupart des autres pays développés cette séparation
en tant que commissaire aux 700 000 F (courants) est inexistante). En réalité, le maintien de deux corps
versés au cabinet britannique pour son audit45. Les professionnels ne fait que redoubler la distinction qui
trois parties qui suivent sont consacrées à l’implanta- existait déjà entre les élites du commissariat et de l’ex-
tion en France de ce modèle professionnel qui sem- pertise comptable et la piétaille des comptables agréés
blait déjà en 1970 « valoir » 280 fois plus que le et des commissaires de sociétés non cotées. Au sein de
modèle français. cette élite, une deuxième distinction apparaît entre les
commissaires dotés d’un capital scolaire (Polytech-
Le commissariat aux comptes nique, HEC et doctorat en droit) et social suffisant
dans les années 1970 (comme Jacques Frinault que nous avons cité précé-
demment) et ceux montés par les cours du soir et le

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Le commissariat aux comptes demeure dans les syndicalisme47. C’est parmi ces derniers que se recru-
années 1970 une profession en voie de constitution. tent la plupart des dirigeants des institutions profes-
Elle est le fruit d’une décision publique visant à réfor- sionnelles et il n’est pas rare de retrouver les mêmes
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mer les marchés financiers pour préparer la France à hommes à la tête de l’Ordre et de la Compagnie48. Les
une plus grande intégration économique dans l’Eu-
rope. Le décret d’août 1969 qui définit les attribu-
tions des commissaires et l’organisation collective de 44 – Frinault est, à notre connaissance, le seul commissaire aux
leur profession fait en effet partie d’un train de comptes, avec Carlos Mulquin (du cabinet Mulquin et associés,
aujourd’hui membre de Price Waterhouse Coopers), à avoir une
réformes comprenant la loi sur les sociétés de 1966, entrée dans l’édition 1970 du Who’s Who.
le décret portant création de la Commission des opé- 45 – Archives nationales, Centre des archives contemporaines, cote
rations de bourse (1967) et la loi réformant la profes- 0019910594, article 54. Décisions de la chambre nationale de disci-
pline des commissaires aux comptes de sociétés – année 1972.
sion d’expert-comptable (1968) 46 . Pendant cette 46 – La loi de 1968 sur la profession d’expert-comptable donne la
période, il s’agit donc tout d’abord pour les commis- possibilité aux membres de l’Ordre d’être automatiquement inscrits
saires aux comptes d’exister collectivement par rap- au tableau de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes.
L’introduction de cette disposition uniformise le niveau de recrute-
port aux experts-comptables. Des stratégies de dis- ment des professionnels en initiant le déclin du nombre des commis-
tinction sont donc déployées par la Compagnie saires non experts-comptables dans les rangs de la Compagnie.
47 – À cette époque, la profession compte essentiellement deux syndi-
nationale des commissaires aux comptes (CNCC). cats, l’IFEC (Institut français des experts-comptables) né en 1962, qui
Celle-ci reprend notamment un projet, développé à regroupe surtout des experts-comptables et joue un rôle prépondérant
l’origine par l’Ordre qui consistait à élaborer un cor- pour l’élection des membres du Conseil supérieur de l’Ordre, et l’IN-
SECCA (Institut national des syndicats d’experts-comptables et de
pus de normes de travail en matière de révision des comptables agréés) qui porte les revendications des comptables agréés.
comptes. La normalisation est bien le seul point sur 48 – Jean Trial, premier président de la CNCC, avait été président du
lequel des contacts existent entre les professionnels Conseil supérieur de l’Ordre au début des années 1960. On peut éga-
lement citer les exemples d’Édouard Salustro et d’André Reydel, asso-
produits du modèle français et les représentants en ciés aujourd’hui d’un des grands cabinets franco-français et qui
France du modèle anglo-saxon. Pendant la décennie avaient été à la tête de l’IFEC puis de l’Ordre.

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relations entre les deux organismes pendant les Deux mondes qui s’observent
années 1970 ressemblent surtout à la continuation avec méfiance et hostilité
des querelles que se livraient déjà ces hommes dans Le processus de production de normes est donc au
les années 196049. confluent des tendances modernistes dans la profes-
Des querelles de cousinage qui paraissent se résumer sion française et du modèle professionnel anglo-
à des questions de préséance entre représentants saxon. Cette confluence ne doit pourtant pas faire
finalement assez proches par leur origine sociale oublier que les dirigeants officiels du commissariat et
occultent en fait une transformation plus profonde de l’expertise comptable demeurent, à cette époque,
qui, en partant du travail des commissaires aux dans l’ensemble hostiles aux cabinets anglo-améri-
comptes, finira par transformer leur mode d’organi- cains. Malgré ses intentions modernisatrices en
sation. Faire passer le commissariat d’une simple matière de normes de révision, l’attitude de Jean
fonction, parfois honorifique, à une profession digne Sigaut et de certains de ses lieutenants ne fut à ce
de ce nom impliquait d’harmoniser le recrutement sujet pas sans ambiguïté52. Sigaut restait en effet atta-
des commissaires et d’assurer leur compétence en ché à la défense des petites structures et des valeurs
comptabilité, ce qui fut obtenu par le décret du individualistes du professionnalisme à la française et à
12 août 1969. Pour ce qui concerne la révision des l’esprit qui l’avait déjà mené dans les années 1960 à
comptes, l’exigence de qualité prit également la s’opposer à la Fiduciaire de France. La cible des
forme de l’établissement de normes de travail et du actions protectionnistes de l’Ordre et de la Compa-
contrôle de leur application. Cette idée n’était pas gnie seront désormais les « cabinets de l’étranger » car
nouvelle. Dans le monde anglo-saxon, les scandales la crainte des dirigeants de la profession est celle
qui impliquaient régulièrement de grands cabinets d’une croissance importante de l’activité des Big, sur-
d’audit avaient conduit la profession à anticiper sur tout après que le Royaume-Uni a rejoint la Commu-
une possible intervention des autorités en organisant nauté économique européenne en 1972. Comme
elle-même un système de standards, inspiré en fait nous l’avons signalé, les Big s’étaient implantés dès le
des pratiques des Big en matière de contrôle de qua-
lité 50 . En France, c’est d’abord l’Ordre des experts-
comptables qui avait repris l’idée en lançant en 1962 49 – Les différents points de litige, et notamment la représentation
internationale de la CNCC aux côtés de l’Ordre, ne seront résolus
un Comité des diligences normales. Dès sa création, que par un accord, « entre hommes », signé en 1981 entre Édouard
la Compagnie nationale des commissaires aux Salustro pour l’Ordre et Jacques Dumont pour la Compagnie. Sur la
comptes a elle aussi mis en œuvre un programme de marginalisation de la CNCC dans les années 1970, on peut consulter

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le World Accounting Report, édition française, 17, octobre 1980, p. 19.
recommandations à l’intention de ses membres (ces 50 – Il est important de noter que, bien qu’une grande partie de l’ac-
recommandations deviendront progressivement dans tivité de ces organismes soit d’ordre public, ils ont été créés par et
les années 1980 des normes obligatoires). Jean fonctionnent grâce aux professionnels comptables, caractéristique
qui est en accord avec la tradition anglo-saxonne de self-regulation
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Sigaut, qui devint président de la Compagnie en des professions. L’International Accounting Standards Committee a
1975, se fit assister pour cette tâche de représentants été créé en 1973, la même année que le Federal Accounting Stan-
d’un groupement de cabinets, ATH (Association tech- dards Board américain. La mainmise de la profession sur le processus
de normalisation comptable aux États-Unis a été dénoncée dès 1976
nique Helios), qui présentait la particularité de jeter par le sénateur Lee Metcalf dans son rapport « The Accounting Esta-
un pont entre le monde professionnel français et le blishment », rapport visant nommément les Big. Au Royaume-Uni,
l’Accounting Standards Committee a vu le jour en 1976. Accusé de
monde anglo-saxon. ATH avait en effet été créée en manquer d’indépendance, il a été réformé en 1990 et est désormais
1968 par Roger Diéterlé, expert-comptable lyonnais censé proposer un processus qui représente les intérêts des diffé-
qui avait fait en 1966 le voyage des États-Unis et rentes parties prenantes à la normalisation : professionnels, entre-
prises, pouvoirs publics. Il reste cependant dominé par les intérêts
avait été profondément influencé par les méthodes de des grands groupes et de leurs auditeurs. Pour ce qui est de la nor-
travail des grands cabinets américains. Les pro- malisation de l’audit, l’International Federation of Accountants
grammes de normes et de formation à ces normes (IFAC) a constitué en 1977 un International Auditing Practices Com-
mittee (IAPC) où, étant donné la nature des normes, le poids des
développés par ATH reprenaient les méthodes améri- professionnels des grands cabinets est prépondérant.
caines en introduisant notamment l’idée, novatrice à 51 – Cette approche, économe en termes de coûts d’investigation,
suppose l’existence d’un contrôle interne efficace. Faisant pendant à
l’époque, d’articuler l’audit sur une évaluation des l’évolution des auditeurs externes vers un audit « de l’audit interne »,
systèmes de contrôle interne des entreprises révi- la profession d’auditeur interne s’est progressivement constituée. En
sées51. ATH se présentait surtout comme un lieu de France, c’est en 1965 qu’est créé, sous forme associative, l’IFACI
(Institut français des auditeurs et contrôleurs internes).
collaboration entre cabinets issus d’horizons diffé- 52 – Notamment Victor Amata, Jacques Caudron, Guy Cosson, Fran-
rents et dont certains faisaient (comme Durando, çois Mayrand et Jean-François Ramolino de Coll’Alto président à
représentant en France du Big Arthur Young) ou l’époque de la Compagnie régionale des commissaires aux comptes
de Paris qui se firent les porte-drapeaux de la lutte contre les
feraient (comme Petiteau qui rejoindra plus tard « grands » en lançant en 1979 « Franc-Parler, magazine sonore des
Price Waterhouse) partie du monde des Big. professions comptables ».

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début du XX e siècle en France mais leur activité révision du barème d’honoraires (pourtant bien peu
concernait essentiellement l’audit des filiales de socié- généreux pour les commissaires) institué par le décret
tés mères britanniques ou américaines et le conseil en de 1969 n’est sans doute pas étrangère à cette situa-
organisation. Si l’on excepte le cas d’Arthur Andersen, tion58. Mais, plus généralement, la faiblesse des possi-
arrivé dans les années 1950 et qui avait fondé son bilités de constitution d’un marché du commissariat
développement sur une croissance interne et sur le aux comptes correspond à un pays qui est encore for-
recrutement de personnel français diplômé des tement imprégné d’une culture économique marquée
grandes écoles, les autres Big étaient restés des cabi- par l’intervention de l’État. Il n’est pas étonnant, dans
nets au caractère anglo-saxon affirmé53. Cette situa- ces circonstances, que ce soit l’État qui ait été finale-
tion change après 1970, non pas tant parce que les ment le moteur de la transformation du modèle pro-
Big sont attirés par l’activité de commissariat aux fessionnel français.
comptes nouvellement réformée, mais parce que la
demande d’audits contractuels de la part de grands L’AFDA et le triomphe des Big
groupes français qui souhaitent une introduction en
Bourse à Londres ou à New York ainsi que la La transformation du modèle professionnel français
demande de conseil en organisation, en pleine par l’intégration du commissariat aux comptes et de
période de crise économique, augmentent sensible-
ment54. Les effectifs recrutés par les Big dans les trois
grandes écoles de commerce parisiennes passent ainsi 53 – Un ancien associé de Price Waterhouse nous a ainsi affirmé :
« Avant 1970, il n’y avait guère que les femmes de ménage qui étaient
en moyenne du simple au triple pendant la décennie françaises. »
1970. Cette situation ne pouvait manquer d’alarmer 54 – Sur le rôle joué par les cabinets anglo-saxons dans l’application
les autorités professionnelles françaises. Leurs moyens par les entreprises françaises des référentiels comptables internatio-
naux, voir P. Touron, « Comment rendre compte de l’adoption des
d’action sont cependant assez faibles et consistent normes comptables internationales par les multinationales
essentiellement à tenter de freiner un possible déve- françaises », communication à la Journée de sociologie de la quantifi-
loppement des cabinets anglo-américains sur les mar- cation, Paris, 23-24 mai 2002.
55 – Ainsi, c’est Audit continental qui représente Peat Marwick Mit-
chés réglementés du commissariat aux comptes et de chell. G. Gufflet et Compagnie est le représentant de Coopers &
l’expertise comptable. C’est ainsi que l’Ordre obtient Lybrand, Blanchard Chauveau, celui de Price Waterhouse, Parex celui
de Deloitte, Helios-Streco-Durando celui d’Arthur Young, Montec
que les représentants français des Big ne puissent celui d’Ernst & Whinney. Voir le World Accounting Report, édition
exercer d’activités liées à la comptabilité sous leur française, n° 33, mars 1982, pour une analyse du jugement qui
nom d’origine, forçant par exemple Arthur Andersen déboute Price Waterhouse de son action intentée pour obtenir une

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inscription sous son nom d’origine au tableau de l’Ordre.
à s’inscrire au tableau en tant que Guy Barbier et asso- 56 – Cette conception du commissariat, sorte de « magistrature éco-
ciés55. De même des tentatives visant à interdire aux nomique », n’est pas démentie par certains projets gouvernementaux
Big de former des stagiaires experts-comptables sont- mis en chantier dans les années 1970 et qui trouveront leur aboutis-
sement dans les années 1980, comme la loi du 1 er mars 1984 sur la
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elles menées. prévention des difficultés des entreprises imposant aux commissaires
Les réactions exacerbées de la part des dirigeants des un devoir d’alerte. Ce dernier texte qui s’adresse en théorie à tous les
institutions françaises montrent que cette époque est professionnels mais qui concerne surtout ceux travaillant avec de
petites et moyennes entreprises semble rehausser le rôle social du
encore dominée par un modèle qui proclame l’indé- commissaire alors qu’il opère une distinction implicite entre les
pendance et l’individualisme comme vertus cardinales grands cabinets et les autres commissaires.
57 – La partie du rapport annuel de la COB concernant la certifica-
du professionnalisme56. Les pratiques et les moyens, tion des comptabilités est reproduite dans le Bulletin de la Compa-
quant à eux, semblent avoir du mal à évoluer. Les gnie nationale des commissaires aux comptes.
rapports annuels de la COB, qui ne concernent pour- 58 – C’est ici que la révision légale des comptes des PME se distingue
du commissariat des grandes sociétés. La révision légale est censée
tant que les commissaires des sociétés faisant appel assurer les actionnaires de ces dernières que les comptes donnent
public à l’épargne, viennent rappeler régulièrement bien une image fidèle de la gestion des dirigeants. C’est d’ailleurs de
que trop de commissaires trop âgés, trop seuls, cette conception qu’est issue toute une littérature académique anglo-
saxonne appliquant les modèles de la théorie économique de l’agence
réunissent trop de mandats entre leurs mains 57 . Le à l’audit (on peut consulter pour un exemple R. Dye, « Auditing Stan-
commissariat aux comptes des grandes entreprises est dards, Legal Liability and Auditor Wealth », Journal of Political Eco-
nomy, 101 (5), 1993, p. 887-914). Dans les sociétés anonymes de
encore à ce stade tout à fait distinct de l’audit et moindre importance, l’actionnariat est souvent mêlé de plus près à la
réservé à une petite élite de commissaires parisiens, gestion et possède donc ses propres moyens de contrôle. Cela
vieux habitués des sociétés dont ils vérifient la comp- explique l’hostilité marquée de certains petits patrons au commissa-
riat aux comptes, perçu comme une lourdeur administrative supplé-
tabilité. Il n’existe donc pas véritablement de « mar- mentaire. Une quinzaine de rapports – dont la parution s’échelonne
ché » pour cette activité, sur lequel déployer la double des années 1930 jusqu’aux années 1970 – allant tous dans le sens
stratégie, à la fois commerciale et professionnelle, qui d’une opposition à l’augmentation de la rémunération des missions
de commissariat peuvent être consultés aux archives de la Chambre
a fait le succès des Big dans leurs pays d’origine. La de commerce et d’industrie de Paris (voir notamment la cote III-3.33
résistance de toute une partie du patronat français à la (18) commissaires aux comptes 1926-1968).

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l’audit n’est pas venue d’une simple diffusion du malisation du commissariat. 1985 voit l’instauration
modèle professionnel anglo-saxon en France. Une d’un nouveau barème d’honoraires, fondé cette fois
expansion des Big sur le marché de l’audit, juste non plus sur l’importance de la société contrôlée mais
récompense de la supériorité de leurs méthodes de sur le nombre d’heures de travail effectif. Cette même
travail, ne saurait à elle seule rendre compte d’un année, un examen national d’activité (ENA) destiné à
phénomène qui a affecté la profession comptable vérifier l’application des normes dans les cabinets
dans son ensemble. Ce phénomène peut être décrit détenant des mandats de sociétés faisant appel public
comme le remplacement d’un modèle d’excellence à l’épargne est mis sur pied conjointement par la COB
professionnelle fondé sur l’individualité et la notabi- et la CNCC.
lité par un modèle orienté par la concentration en Du point de vue des professionnels, il s’agissait sur-
des structures collectives d’une quantité importante tout de faire face à l’explosion de la demande d’audits
de capital économique (la « taille » des Big 4), culturel générée par l’intensification des échanges de capitaux.
(le potentiel de recrutement des Big, leurs méthodes Or l’intégration du commissariat aux comptes dans
de formation aux techniques comptables les plus l’audit ne pouvait être possible, pour ce qui est d’une
sophistiquées) et social (le réseau dont disposent les clientèle de grands groupes, que dans des structures
Big 4, qui embrasse le monde de la grande entreprise professionnelles réunissant des moyens humains,
et celui des pouvoirs publics) ainsi que du capital techniques et financiers suffisants. Pour les représen-
symbolique qui en résulte (la crédibilité mondiale de tants de la profession française, le choix était alors de
la signature des Big, produit d’une accumulation sur continuer à privilégier un modèle individualiste qui,
une période historique longue des autres types de par ses caractéristiques, ne pouvait satisfaire à la nou-
capital précités). Les caractéristiques du modèle pro- velle donne en matière de demande en services comp-
fessionnel qui s’était développé jusque-là font que tables et de risquer alors de ne plus pouvoir résister
son remplacement par un autre modèle ne pouvait très longtemps, et par des moyens protectionnistes de
intervenir que de l’intérieur de la profession française fortune, aux cabinets anglo-saxons ; ou bien d’adapter
et avec l’aide de son puissant protecteur, l’État. le modèle français à une situation économique chan-
Sur le plan économique, la décennie 1980 a été mar- geante. Cette seconde option ne sera pas réalisée
quée par un certain nombre de mutations sur les- depuis les institutions professionnelles elles-mêmes
quelles nous ne pouvons revenir en détail dans le mais depuis une structure ad hoc créée par un groupe
cadre de cet article59. Pour ce qui concerne la compta- de « jeunes turcs » mené par un président de l’Ordre
bilité, le développement du financement des entre- sortant, Édouard Salustro. Salustro, qui, avec d’autres

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prises par le marché et l’ouverture de ces marchés aux cabinets comme celui de son futur associé, André
capitaux étrangers se sont traduits par une priorité Reydel, avait entrepris après 1970 une restructuration
donnée aux comptes consolidés, c’est-à-dire aux pour s’orienter vers les activités d’audit, constitue en
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comptes reflétant l’activité de groupes d’entreprises, 1982 l’Association française pour le développement
et aux référentiels de normes comptables internatio- de l’audit. L’AFDA, dont le but affiché est le dévelop-
nales60. La primauté donnée aux marchés financiers pement de l’audit et non du commissariat aux
ne pouvait se concevoir sans une certification fiable comptes, s’oppose ouvertement à la poursuite d’un
de l’information comptable fournie par les entreprises projet professionnel jugé sans issue et qui est person-
cotées, donc sans un commissariat aux comptes puis- nifié par l’ancien président du Conseil national du
sant, c’est-à-dire à la fois indépendant et compétent. commissariat aux comptes, Jean Sigaut. Le combat
La révision légale de « papa », qualifiée par ses parti-
sans de « juridique » et par ses opposants de simple
pointage des documents comptables réalisé par des
professionnels sans réels moyens d’investigation, 59 – Ces mutations ont affecté l’activité d’intermédiation financière
dont la déréglementation a été lancée par la loi bancaire de 1984, et
devait dès lors faire place à un autre type de pratiques poursuivie par la levée des restrictions sur le contrôle des changes et
capables de mobiliser des moyens techniques et l’assouplissement du contrôle du crédit, puis par la transposition en
droit français des directives européennes de 1985 et 1993 sur les ser-
humains suffisants. Nous avons vu que, dès les vices d’investissement. La modernisation de la place de Paris, où la
années 1970, l’évolution vers un commissariat assis capitalisation boursière ne représentait que 25 % du PIB en 1988
sur des normes de vérification et sur un contrôle de contre 85 % pour la place de Londres, a pris la forme d’un « petit
bang » entre 1983 et 1989 avec, notamment, la création du second
l’application de ces normes avait été amorcée. Il marché, le MATIF (marché à terme des instruments financiers) et la
appartenait d’abord aux pouvoirs publics de terminer fin du monopole des agents de change en 1988.
la réforme commencée en 1969 afin de donner aux 60 – L’obligation, pour certaines sociétés commerciales et entreprises
publiques, de publier des comptes consolidés a été introduite par la
professionnels les moyens financiers et juridiques loi du 3 janvier 1985 qui transpose en droit français la septième
nécessaires à la concrétisation du programme de nor- directive européenne.

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contre le « roi Ubu 61 » prend implicitement les Big entraîne ainsi le départ d’une partie des associés de
pour modèle, puisque les cabinets adhérents à l’AFDA Peat Marwick, révulsés à l’idée d’avoir à travailler avec
s’engagent à appliquer des normes de travail inspirées des « continentaux » et des professionnels de la PME.
des normes internationales ainsi qu’à se soumettre à Pour certains Big, le rachat de cabinets français est
un contrôle de qualité. Par rapport à des initiatives l’occasion de prendre véritablement pied dans le com-
comme celle d’ATH, l’AFDA présente un profil plus missariat aux comptes. Arthur Andersen, dont les opé-
politique. Le gouvernement socialiste soutient en effet rations étaient surtout concentrées dans le conseil en
l’initiative (plusieurs personnalités, dont un conseiller organisation et en informatique, bénéficie ainsi, en
d’État, font partie du comité de patronage de l’asso- 1989, du divorce entre KPMG et Frinault Fiduciaire
ciation) et lui offre l’occasion de se développer en (filiale détenue à 60 % par la Fiduciaire de France
mettant en chantier un programme d’audit des entre- depuis la fin des années 1970). L’intégration de Fri-
prises récemment nationalisées62. Des initiatives telles nault dans la firme d’origine américaine scelle l’al-
que celle d’ATH ou de l’AFDA semblaient donc enga- liance entre les grands cabinets anglo-saxons et les
ger le commissariat aux comptes français sur la voie vieilles élites professionnelles françaises et entre le
de la modernité. Le fait que cette modernité fût syno- commissariat aux comptes et l’audit autour d’une
nyme de pratiques anglo-saxonnes n’allait pas tarder à convergence vers les méthodes de travail les plus
avoir des conséquences funestes pour la profession modernes. Elle est aussi révélatrice de la fin de l’indé-
« franco-française ». pendance de la profession autochtone.
Bien que s’inspirant du modèle des Big, l’AFDA ne L’« isomorphisme mimétique68 » entre sociétés franco-
compte au début que des cabinets franco-français63. françaises et sociétés anglo-saxonnes ne pouvait fonc-
La mise à l’écart des représentants français des firmes tionner qu’à partir du moment où les premières pou-
anglo-saxonnes est cependant assez vite dénoncée par vaient non seulement faire en France ce qu’y faisaient
certains associés des cabinets membres de l’AFDA64. déjà les secondes, mais aussi rivaliser sur la scène
Celle-ci risque d’apparaître comme un « ghetto » au
sein duquel se pratiquent des « ersatz » d’audits à l’an-
glo-saxonne qui, par rapport aux produits originaux, 61 – C’est ainsi que s’intitulait un pamphlet dirigé contre Sigaut.
pourraient finir par ne plus intéresser les entreprises Salustro qui avait été président de l’IFEC en 1978, devint président
du Conseil supérieur de l’Ordre en 1980.
clientes. En 1984, le premier cabinet anglo-américain 62 – L’AFDA agit ainsi en quelque sorte comme une « short list » de
à faire son entrée à l’AFDA est Arthur Andersen 65 . cabinets pressentis pour la réalisation de ces audits. De la même
Mais déjà, l’AFDA était en train de perdre de sa sub- façon, le retour de la droite aux affaires en 1986 sera inauguré par le

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lancement d’une série d’audits d’entreprises faisant partie de la liste
stance face à la politique activement menée par les Big des privatisées.
de rachat et d’association avec des cabinets français 63 – Les fondateurs de l’AFDA sont G. Barthès, J. Raffegeau,
bien implantés dans le commissariat aux comptes des R. Mazars, C. Guérard, J.-F. Ramollino et É. Salustro. En 1988, les
cabinets membres de l’AFDA étaient SEEC (Reydel, Blanchot et asso-
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grands groupes de sociétés66. ciés), Befec, Mulquin et associés, Cabinet Paul Garcin (ancien prési-
Les transformations économiques que nous évoquions dent de l’Ordre), Cabinet Robert Mazars, Calan Ramollino et asso-
plus haut ont en effet rendu attractif le marché du ciés, Cailliau Dedouit et associés, Castel Jacquet et associés, Frinault
Fiduciaire, Guerard Delbor Vallas, Guy Barbier et associés, Salustro
commissariat aux comptes pour les grands cabinets, Vincent Gayet et associés, SECOR, SEFIC-EXCO et la Société fran-
représentants des réseaux des Big – mais désormais çaise d’audit et d’expertise (source : Bulletin de l’AFDA, 3,
mars 1988). À son apogée, l’AFDA comptait quinze membres repré-
presque totalement francisés en raison de leur recrute- sentant un milliard de francs de chiffre d’affaires, 2 000 profession-
ment. La fin des années 1980, qui voit sur le plan nels, 600 mandats de sociétés cotées. Pour une réaction d’un repré-
international se succéder les grandes fusions qui sentant de Big en France face à cette nouvelle « tentative
protectionniste », voir l’interview de Marc Chauveau de Blanchard,
réduisent le nombre des Big de huit à six, est aussi le Chauveau et associés (membre français de Price Waterhouse) dans le
théâtre de bouleversements importants pour l’identité World Accounting Report, édition française, 38, août-septembre 1982.
des détenteurs des mandats de commissariat des prin- 64 – Voir « AFDA Challenged on Nationalism », International Accoun-
ting Bulletin, 12, juin 1984, p. 4.
cipales entreprises françaises67. Les fusions opérées par 65 – Voir « Andersen to be admitted to AFDA », ibid., 17,
les Big ne vont pas toujours sans problèmes puisqu’il décembre 1984, p. 4.
66 – La politique de contournement de l’AFDA par les Big les a ainsi
s’agit de faire cohabiter dans une même structure des conduits à fusionner avec certains des cabinets membres de l’associa-
hommes issus parfois de modèles professionnels diffé- tion. Montec (correspondant français de Ernst & Whinney) s’est par
rents. La fusion sur le plan international de Peat Mar- exemple rapproché de Castel Jacquet et associés.
67 – C’est ainsi qu’en 1985 Parex (membre de Deloitte) a été rejoint
wick Mitchell, vieille maison de tradition anglo- par le cabinet de Bernard Montagne et que le cabinet Verrando s’est
saxonne spécialisée notamment dans l’audit bancaire, rapproché de Gufflet (Coopers & Lybrand).
et du groupe de cabinets à dominante franco-ger- 68 – Par référence aux processus de convergence organisationnelle
décrits par W. W. Powell et P. Di Maggio dans The New Institutionalism
mano-néerlandaise KMG (dont la Fiduciaire de France in Organizational Analysis, Chicago, University of Chicago Press,
a été en 1979 un des créateurs) pour former KPMG 1991.

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internationale : ce qui pour certains cabinets était La conquête du marché des grandes entreprises
éventuellement possible à la Bourse de Londres deve- Il suffit de visiter un des sites dont disposent les Big
nait en général absolument impossible à la Bourse de sur Internet pour prendre la mesure de la diversité de
New York69. Les grandes entreprises françaises firent leur offre de services. Ainsi, KPMG France, qui
donc leur choix, confirmant que la suprématie du accueille l’internaute en anglais, travaille dans l’audit
modèle anglo-américain tenait aussi à son internatio- et l’expertise, le « business advisory services », le
nalisation précoce. La mort lente de l’AFDA et la « consulting », le juridique et le fiscal, la « corporate
récupération de la plupart des mandats de commissa- finance », la « corporate recovery », le « forensic & litiga-
riat des sociétés du CAC 40 par les Big sonnaient le tion » et les « transaction services » (les termes entre
glas d’un modèle professionnel français à la fois puis- guillemets n’ont pas été traduits dans la version fran-
sant et indépendant. çaise du site). L’activité « business advisory services »
couvre par exemple les domaines de la consolidation,
La diversification d’offre de services des systèmes d’information, de l’adaptation des
des Big dans les années 1990 comptabilités aux référentiels de normes internatio-
naux, du contrôle de gestion. KPMG non seulement
Pendant les années 1990, les grands cabinets multi- opère sur le marché de la grande entreprise mais offre
nationaux ont poursuivi leur croissance sur le marché de nombreuses prestations aux PME grâce au réseau
du commissariat aux comptes, en continuant de de représentations locales hérité de la Fiduciaire de
racheter des cabinets français. Ce marché, dont ils ont France. Les clients de KPMG ne se limitent pas au
fini par cartelliser le segment correspondant aux monde de l’entreprise. Les collectivités territoriales et
sociétés cotées, agit en réalité comme un tremplin les administrations centrales en font aussi partie.
pour l’affirmation de leur présence sur des marchés KPMG s’est vu confier des missions pour des institu-
annexes comme le conseil en organisation ou le tions comme la COB (dans le cadre de privatisations
conseil juridique et fiscal. Cette stratégie commerciale d’entreprises), la Direction du Trésor (pour la décen-
fait donc des cabinets anglo-saxons les spécialistes du tralisation de la gestion de la trésorerie d’établisse-
service intellectuel aux grandes entreprises. Les cabi- ments publics) ou plus récemment l’Autorité de régu-
nets autochtones sont réduits soit à rechercher l’hy- lation des télécommunications (missions d’audit de
perspécialisation, soit à intervenir en généralistes calcul des coûts de revient dans le contexte de la libé-
auprès d’entreprises plus petites, soit à intervenir ralisation du marché français des télécommunica-
marginalement, aux côtés des Big, sur des missions tions)71.

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comme le co-commissariat aux comptes70. La domi- Pour vendre une gamme aussi étendue et sophisti-
nation des grands cabinets ne se réduit toutefois pas à quée de services, les Big disposent de moyens techno-
la conquête de parts de marché. Membres d’une pro- logiques considérables et surtout d’un appareil de for-
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fession réglementée, les Big ont dû également institu- mation combinant recherche de pointe (qui bénéficie
tionnaliser cette domination. L’ouverture croissante de la participation des Big aux activités des instances
de l’économie française et la mondialisation de ses nationales et internationales de normalisation) et
entreprises leur en offrent l’opportunité. La primauté socialisation à des méthodes de travail standardisées
donnée en France à la normalisation comptable et à et soumises à un contrôle de qualité72. Ces moyens
celle du commissariat aux comptes aux aspects inter-
nationaux nécessite en effet l’expertise technique et la
connaissance du terrain qu’ils sont seuls à pouvoir
69 – Certains cabinets français comme Constantin, présent de longue
fournir. Que ce soit par son exemplarité ou par l’in- date sur le sol américain, font exception à la faible implantation des
fluence qu’il exerce sur la conception et l’application professionnels hexagonaux dans le monde anglo-saxon.
des normes professionnelles, le modèle des grands 70 – Cette particularité française, dont on reparle actuellement
comme d’une possible solution aux problèmes d’indépendance des
cabinets multinationaux s’est ainsi imposé en opérant auditeurs posés après l’affaire Enron, s’applique essentiellement aux
une réorganisation du champ professionnel. Cette sociétés qui publient des comptes consolidés. Le co-commissariat
permet aux cabinets « franco-français » les plus importants de garder
réorganisation comporte des éléments d’unité, comme un pied « dans la cour des grands » en intervenant comme co-com-
la propagation de l’idée que les activités de conseil missaires des Big sur certains dossiers.
sont la modernité et l’avenir de la profession, et des 71 – Le recours par les pouvoirs publics aux services des cabinets
anglo-saxons ne date pas de cette période. Déjà en 1917, Clémentel,
éléments de division, puisque le règne des Big substi- ministre du Commerce, avait commandé une étude sur les perspec-
tue à une hiérarchisation d’un espace professionnel tives de développement d’une profession comptable en France à…
composé d’individus, une autre qui distingue les Price Waterhouse (Archives nationales, série 12, F 8166).
72 – Sur la socialisation des nouveaux entrants dans les grands cabi-
acteurs professionnels en fonction de leur « taille ». nets, on peut consulter F. Anderson-Gough, C. Grey et K. Robson,
Making up Accountants : the Organisational and Professional Socialisation

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CARLOS RAMIREZ

sont servis par des ressources humaines que les pra- comptable français est organisé par « marchés » (orga-
tiques de recrutement des Big portent à sélectionner nisation renvoyant au type de service et/ou à la nature
parmi des candidats fortement dotés en capital sco- du client). Il existe une correspondance entre la taille
laire. Les auditeurs de ces cabinets sont ainsi majori- des cabinets, leur réputation et la taille de leurs
tairement issus des grandes écoles de commerce pari- clients qui structure les rapports entre les acteurs col-
siennes, de Sciences-Po ou de Dauphine. lectifs du champ77. Avant d’examiner les conflits créés
La « francisation » de leur personnel a conduit les par cette réorganisation, il convient de rappeler que
cabinets anglo-américains à épouser le système local les pratiques des Big ont aussi été érigées en modèle,
de production des élites tout en l’adaptant à leurs comme en témoignent des phénomènes tels que la
besoins spécifiques. Bien que faisant partie de la pro- floraison des réseaux de cabinets depuis le milieu des
fession comptable, ils ne donnent pas la priorité à la années 1980 ou bien la vogue que connaissent
formation de futurs comptables libéraux73. Alors que aujourd’hui, dans les initiatives de l’Ordre des
des bataillons de stagiaires continuent à préparer experts-comptables, les missions de conseil, censées
leurs examens d’expertise comptable en travaillant pallier le déclin inéluctable des tâches traditionnelles
dans des structures de taille plus modeste 74 , les telles que la tenue de comptabilité78.
recrues des Big perçoivent souvent leur passage chez
KPMG, Deloitte ou Price comme une spécialisation,
une sorte de troisième cycle qui leur ouvre les portes of Trainee Chartered Accountants, Aldershot Hants, Ashgate Publi-
des directions financières des entreprises – souvent shing, 1998. Les méthodes de travail ne sont pas identiques dans
tous les domaines de spécialité des Big. L’audit, par sa nature, repose
clientes de leur cabinet. L’organisation pyramidale des sur une division du travail particulièrement poussée. Cette division
Big et le système du « up or out » ont ainsi pour consé- s’accompagne d’une hiérarchisation des équipes depuis l’assistant
quence la constitution de cercles d’« anciens » d’Ernst, jusqu’à l’associé où l’échelon supérieur valide le travail des échelons
inférieurs. La coexistence au sein de ces cabinets de « métiers » diffé-
d’Andersen ou de Price qui relient le monde profes- rents a été dans un passé récent source de conflits. La question du
sionnel et celui de la grande entreprise. Ces contacts partage des bénéfices a ainsi été à l’origine de divorces, parfois spec-
sont, bien entendu, de nature à faciliter l’obtention de taculaires comme dans le cas d’Arthur Andersen et d’Accenture en
1999, entre consultants et auditeurs, les premiers supportant de
nouvelles missions et la réalisation de celles qui exis- moins en moins de contribuer majoritairement à la création du
tent déjà. chiffre d’affaires tout en ayant à partager le pouvoir, du fait de l’ori-
gine comptable des Big, avec les seconds.
Les Big sont donc parvenus à adapter le modèle pro- 73 – En théorie, seuls les associés, c’est-à-dire ceux qui engagent par
fessionnel dont ils sont héritiers au cas français. En leur signature la responsabilité du cabinet, ont l’obligation d’être ins-
acceptant certains artifices juridiques (comme l’ins- crits au tableau de l’Ordre des experts-comptables ou à celui de la

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Compagnie nationale des commissaires aux comptes. Il est donc pos-
cription de leurs activités d’audit sous un nom fran- sible de faire une carrière relativement longue dans ces cabinets sans
çais), ils peuvent pratiquer la multidisciplinarité et être membre de la profession.
proposer aux entreprises un service intégré qui porte 74 – La pénétration par les Big du middle market (marché des
moyennes entreprises) s’est affirmée depuis le milieu des années
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chaque fois moins la comptabilité comme référence 1990 pour compenser la saturation du marché des services aux
(alors que celle-ci reste au cœur de la définition du grandes entreprises (et en particulier de celui de l’audit). Elle s’ac-
comptable français « de base »)75. En contournant le compagne souvent du rachat de cabinets au rayonnement régional
dont le profil des membres est plus proche de la moyenne de la pro-
système de « production des producteurs » de la pro- fession.
fession française et en recrutant dans le vivier des 75 – L’audit légal a ainsi été intégré progressivement à une gamme
plus large de services assurantiels ayant pour dénominateur commun
grandes écoles, les Big sont parvenus à pénétrer au la notion de « risque ». Les méthodes d’audit des Big, qui, comme
plus profond les réseaux d’influence qui structurent nous l’avons vu, reposaient sur une évaluation du contrôle interne et
les milieux d’affaires. Organisation en partnership, sur la pratique de sondages statistiques, ont elles-mêmes évolué vers
une analyse plus globale de l’entreprise et de « zones de risque » vers
multidisciplinarité et correspondance entre le monde lesquelles porter l’essentiel des vérifications.
des libéraux et celui des salariés autour d’une même 76 – Ce faisant, les Big contreviennent toutefois à la définition res-
identité « professionnelle », sont bien les caractéris- trictive des tâches du professionnel libéral français et à la délimita-
tion rigoureuse des incompatibilités qui frappent le commissariat aux
tiques de base du modèle anglo-saxon qui, comme comptes. Comme nous allons le voir plus en avant, leur mode de
nous le signalions en introduction, en ont assuré le développement a fini par rencontrer une certaine opposition de la
part des pouvoirs publics et d’une partie de la profession française.
succès76. 77 – L’exception notoire à cette hiérarchisation par la taille est Fidu-
Dans le modèle professionnel hexagonal, marqué par cial, qui figure parmi les dix premiers cabinets français et qui s’est
l’individualisme et la notabilité, les distinctions hié- spécialisé dans le service aux très petites entreprises, mais en appli-
quant les mêmes techniques de pluridisciplinarité et de standardisa-
rarchiques étaient fondées socialement mais recou- tion des méthodes de travail que les Big.
vertes par des différences de qualification (par 78 – Ces réseaux de cabinets (dont un recensement est publié chaque
exemple entre experts-comptables et comptables année par la revue La Profession comptable) tentent de reproduire
autour de modes d’organisation variables la mise en commun de
agréés) ou de fonction (entre commissaire aux moyens de formation et de processus d’assurance qualité qui sont la
comptes et expert-comptable). Désormais, le paysage marque de fabrique des Big.

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DU C O M M I S S A R I AT A U X C O M P T E S À L ’ A U D I T

Cependant, le fait que l’incarnation de l’excellence pris de conquérir directement les institutions profes-
professionnelle provienne finalement d’un corps étran- sionnelles. Ce projet est non seulement peu réalisable
ger à la profession française et que cette incarnation par manque de légitimité auprès de l’électorat de base
entraîne une polarisation entre les « gros » et les des corps professionnels français, mais aussi peu pro-
« petits » a été avant tout source de conflits. Des modes ductif en termes de domination. Autrement plus effi-
de représentation alternatifs aux instances profession- cace est l’investissement des Big dans la fabrication de
nelles sont apparus ou se sont transformés. Les Big se la comptabilité « pure » et des normes profession-
retrouvent ainsi avec certains des grands cabinets nelles (stratégie similaire à celle des lawyers améri-
« franco-français », comme Salustro-Reydel ou Mazars cains par rapport au droit international). Les repré-
au sein du comité Arnaud Bertrand (d’après le nom sentants des grands cabinets anglo-saxons se sont
d’un associé de KPMG aujourd’hui décédé). La modifi- ainsi installés à la commission des normes profession-
cation de la structure hiérarchique du champ profes- nelles de la Compagnie nationale des commissaires
sionnel a entraîné, à l’autre extrême de ce champ, la aux comptes en contribuant à intégrer, à partir de la
renaissance du syndicalisme des petits comptables fin des années 1980, les normes internationales d’au-
libéraux. L’INSECCA (Institut national des syndicats dit de l’IAPC (International Auditing Practices Board)
d’experts-comptables et de comptables agréés), qui dans le référentiel français. Ils sont également entrés
avait été fondé après la Seconde Guerre mondiale afin officiellement au Conseil national de la comptabilité
d’œuvrer pour l’égalité de traitement entre les comp- (CNC), organisme public chargé en France de la nor-
tables agréés et les experts-comptables, s’est ainsi malisation comptable, après avoir participé officieuse-
engagé à partir de 1979 dans la défense des « petites ment à ses activités. À la suite de sa réforme en 1996,
structures contre les grosses » et est devenu l’aiguillon le CNC a en effet adopté une structure proche de celle
des autorités de l’Ordre dans la lutte pour la protec- de ses homologues au Royaume-Uni ou aux États-
tion du monopole de l’expertise comptable. À la Unis et concentre désormais ses activités sur la conso-
faveur de l’extinction progressive des comptables lidation des comptes et sur l’introduction des Interna-
agréés, l’INSECCA a pris en 1988 le nom d’Experts- tional Accounting Standards (IAS) dans le droit
comptables de France (ECF). Recrutant plus large- français à partir de 2005. Le CNC disposait déjà de
ment que ne le faisait son prédécesseur, ce syndicat l’assistance technique des directeurs de la doctrine
fédère désormais les mécontents de l’attitude des orga- des différents Big. Avec la réforme de 1996, la prési-
nismes professionnels français face aux grands cabi- dence de cet organisme, qui était traditionnellement
nets internationaux. Les dirigeants de ces organismes assurée par un haut fonctionnaire, a échu à d’anciens

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sont en effet accusés d’accorder des passe-droits aux associés de grands cabinets : Georges Barthès de Ruy-
Big (par exemple sur le thème de l’indépendance des ter, qui avait été associé de Frinault Fiduciaire puis
commissaires aux comptes) au nom du nécessaire d’Arthur Andersen et secrétaire général de l’IASC
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maintien du rang de la profession française. S’élevant (International Accounting Standards Comittee, prédé-
contre ce qu’ils considèrent être la commercialisation cesseur de l’IASB), auquel a succédé Antoine Bracchi,
de la comptabilité libérale, les Experts-comptables de ancien senior partner d’Ernst & Young79.
France proposent un modèle professionnel à taille Par rapport à cette stratégie, les représentants de la
humaine où les petits peuvent lutter « à armes égales » profession comptable française et, plus largement, les
contre les gros. En 1994, à la suite d’une réforme de autorités françaises sont acculés à un choix doulou-
l’organisation professionnelle, plusieurs candidats reux : l’acceptation de la mondialisation comptable et
d’ECF ont été élus à la tête des conseils régionaux de de l’ouverture aux flux financiers internationaux ne
l’Ordre. Dans le même temps, un syndicat Commis- peut se faire sans l’intervention des grands cabinets
saire aux comptes de France a été créé et, en 1996, anglo-saxons qui sont porteurs d’une culture profes-
ECF a joué un rôle moteur dans la fondation d’une sionnelle souvent aux antipodes de celle des comp-
European Federation of Accountants and Auditors tables locaux. La position des Big au sein de la profes-
(sous-entendu de petites et moyennes entreprises)
dont le but est de faire entendre la voix des petits cabi-
nets au moment où se négocie à Bruxelles un nouveau 79 – Un de nos interlocuteurs, administrateur de l’INSEE et membre
projet de directive sur l’audit comptable et financier. de longue date du CNC, a décrit cette réforme comme le
« juin 1940 » de la comptabilité française. Alors que par son action le
CNC est censé poursuivre l’intérêt général en satisfaisant aux besoins
Les grands cabinets multinationaux : en information comptable de tous les utilisateurs potentiels de cette
une domination institutionnalisée information, son activité est dorénavant dominée par les besoins des
groupes multinationaux et de leurs auditeurs. Le temps du Plan
Fidèles à la ligne de conduite que nous avons évoquée comptable 1982 et de l’influence des comptables nationaux sur l’ac-
précédemment, les grands cabinets n’ont pas entre- tion du CNC semble en effet bien loin.

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CARLOS RAMIREZ

sion française est donc devenue pour le moins para- Big de continuer leur croissance. Comme le soulignait
doxale puisqu’ils en sont en quelque sorte la dimen- le deuxième rapport Le Portz en 1998, bien qu’en
sion internationale tout en n’en faisant pas complète- théorie les recommandations du premier rapport eus-
ment partie, du fait de l’histoire particulière de leur sent reçu une traduction réglementaire, il était, dans
intégration au modèle professionnel français. la pratique, et en l’absence d’un inventaire précis des
Un épisode illustre parfaitement cette position ambi- prestations fournies par les réseaux de cabinets à
guë : c’est celui de la « grève des Big » en 1993. Cette leurs différents clients, difficile de mesurer l’étendue
grève a pour origine la publication du premier rap- de leur application.
port Le Portz (juillet 1993) sur la déontologie des
commissaires aux comptes dans les sociétés faisant Cette brève incursion dans le monde de la comptabi-
appel public à l’épargne. Mandaté par le président de lité libérale française nous a permis de voir comment
la COB, Jean Saint-Geours, et par celui de la Compa- les professions qui servent le grand capital (experts en
gnie nationale des commissaires aux comptes, Ber- comptabilité, avocats d’affaires, conseillers en stratégie
nard-Pierre Germond, Yves Le Portz80 avait dirigé un et en organisation, etc.), et qui se trouvent donc en
groupe de travail dont le but était d’examiner les pro- première ligne dans l’intégration croissante des écono-
blèmes posés par le développement des activités de mies développées, offrent un champ de recherche où il
conseil exercées par « des personnes appartenant au est possible d’observer l’exportation d’un modèle pro-
même réseau que les commissaires aux comptes et les fessionnel né dans un contexte socioculturel particu-
solutions susceptibles de mieux garantir l’indépen- lier et son adaptation à un autre contexte81. En dépla-
dance de jugement de ces derniers ». Les propositions çant et en réinterprétant les règles qui présidaient au
du rapport tenaient pour l’essentiel en une meilleure fonctionnement de modèles professionnels concur-
définition des réseaux de cabinets et des activités de rents, en recomposant le réseau de relations sociales
nature à mettre en danger l’indépendance des com- sous-jacentes à ces modèles, les grands cabinets se
missaires. La CNCC était par ailleurs invitée à régle- sont faits les champions de la tradition anglo-améri-
menter en interdisant celles de ces activités qui crée- caine tout en articulant cette tradition avec des pra-
raient entre les clients et les professionnels des liens tiques locales spécifiques. Cette étude contribue ainsi
personnels et financiers ou qui mettraient les profes- à la littérature sur la mondialisation du libéralisme
sionnels dans la situation d’avoir à juger des données économique anglo-saxon82, en montrant que, loin
constituées par des membres de leur réseau. Bien que d’être les représentants d’une nouvelle classe de clercs
visant des « réseaux de cabinets », sans autre forme de au service d’une économie internationale mue par des

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précision, les mesures du rapport Le Portz allaient forces abstraites et incontrôlables83, les Big ont d’abord
clairement dans le sens d’une limitation de l’emprise été un rouage indispensable au fonctionnement de ce
des Big sur le marché du service aux grandes entre- libéralisme économique. Mais l’étude de cette domina-
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prises et contre la conception du commissariat aux tion témoigne également de ce qu’un modèle profes-
comptes comme étant l’un de ces services, parmi sionnel ne saurait s’imposer tel quel, du fait de son
d’autres. Le groupe de travail présidé par Le Portz adaptation plus grande à une économie de marché. Le
comptait pourtant sur la participation de deux asso- triomphe des Big en France n’aurait pas été possible
ciés de Big, Georges Barthès de Ruyter et Michel Pois- sans l’action d’une partie de la profession autochtone
son. Dans une lettre, annexée au rapport, ceux-ci et de son puissant protecteur, l’État.
firent part de leurs plus grandes réserves quant aux
conséquences qu’entraînerait l’application de l’inté-
gralité des mesures. Lorsque, début 1993, la Compa- 80 – Le Portz était lui-même ancien président de la Commission des
gnie des commissaires aux comptes franchit le pas en opérations de Bourse. En décembre 1997, un deuxième rapport Le
intégrant les recommandations du rapport à son réfé- Portz fut publié afin d’établir l’étendue de l’application des mesures
préconisées par le premier rapport.
rentiel normatif, les représentants des Big déclenchè- 81 – Il est intéressant de noter que des évolutions que nous avons
rent une « grève » qui prit la forme d’un refus de décrites à propos de la profession comptable française affectent
actuellement aussi la profession d’avocat, le rapport Nallet (1999)
continuer à siéger à la Commission des normes de la sur les cabinets d’avocats appartenant à des réseaux étrangers faisant
Compagnie. La politique de la chaise vide des Big pri- en quelque sorte pendant au rapport Le Portz.
vait ainsi cette dernière d’un indispensable soutien 82 – Voir par exemple P. Hirst et G. Thomson, Globalisation in Ques-
tion : The International Economy and the Possibilities, Cambridge, Polity,
technique pour la production de normes de révision 1996, et I. Wallerstein, The Politics of the World Economy : The States,
adaptées aux grandes entreprises et compatibles avec the Movements and the Civilisations, Cambridge, Cambridge University
les normes d’audit internationales. Le conflit fut fina- Press, 1984.
83 – Pour un exemple de ce type d’analyse de la mondialisation, voir
lement tranché grâce à l’établissement d’un modus K. Ohmae, The Borderless World : Power and Strategy in the Interlinked
vivendi entre les deux parties qui permit en fait aux Economy, Londres, Collins, 1990.

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La présence de ces acteurs professionnels « globaux » cheur, la mondialisation des professions, au sein des-
sur les scènes comptables nationales a été aussi l’occa- quelles la production de l’expertise fait intervenir des
sion d’analyser l’impact de la mondialisation sur les groupements et des réseaux d’individus, peut être
structures professionnelles. La nature multidiscipli- mise à profit pour réviser ou tout du moins adapter
naire et protéiforme des Big 4 se joue en effet des clas- certaines analyses de la sociologie des professions qui
sifications et jette un défi aux « gardiens du temple » ont été bâties sur la relation professionnel/client, en
tout autant qu’aux chercheurs. Pour les organisations ne considérant ces derniers qu’en tant qu’individus.
professionnelles, cette expansion a mis en lumière Les scandales « comptables » qui ont éclaté récemment
l’obsolescence de règles de fonctionnement édictées à aux États-Unis et la dissolution d’Arthur Andersen
l’époque où la profession était encore essentiellement marquent sans doute la fin de la suprématie de ce
composée d’« individus ». Pour les défenseurs de cette modèle, associant taille et excellence, sur les profes-
profession à taille humaine, la croissance effrénée des sions comptables nationales. Il est encore trop tôt
grands cabinets est l’occasion de revendiquer une pour analyser les réactions de ceux qui sont désormais
forme d’exclusivité sur les vertus du professionna- devenus les « Fat Four » aux nouvelles réglementations
lisme en opposant « l’homme à la structure » et en de l’activité des comptables. Trop de questions restent
dénonçant la compromission des instances officielles en suspens : quelles solutions juridiques, techniques et
et les passe-droits accordés aux Big 4. Pour le cher- commerciales les Big vont-ils trouver à une séparation
plus stricte du conseil et de l’audit ? Malgré l’aval
donné par la Commission européenne à la récupéra-
Liste des sigles utilisés tion par Ernst & Young de certaines branches d’acti-
vité d’Arthur Andersen, la réduction de l’offre à quatre
AICPA American Institute of Certified Public cabinets sur le marché de l’audit laissera-t-elle encore
Accountants longtemps les législateurs anti-trusts indifférents ? Si
AFDA Association française pour le développement dures soient les règles et les garanties d’indépendance
de l’audit imposées aux élites de l’audit, il est toutefois probable
ASB Accounting Standards Board qu’il sera difficile de trouver des remplaçants capables
ASC Accounting Standards Committee de rivaliser avec les Big sur le terrain de la compé-
ATH Association technique Helios
tence, fruit, dans leur cas, de la fréquentation des plus
grandes entreprises depuis plus d’un siècle et de l’ac-
CNC Conseil national de la comptabilité
cumulation de capital technique et social qui en est

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CNCC Compagnie nationale des commissaires résulté. De ce point de vue, le règne des grands cabi-
aux comptes
nets promet d’être encore long84.
COB Commission des opérations de Bourse
ECF Experts-comptables de France
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Cet article s’appuie sur une recherche financée


EFAA European Federation of Accountants par le Chartered Accountants Trustees Limited de l’Institute
of Chartered Accountants in England and Wales.
and Auditors
FASB Federal Accounting Standards Board
IASB International Accounting Standards Board
IAPC International Auditing Practices Committee
IASC International Accounting Standards
Committee 84 – Ceci explique que la solution susceptible d’assurer un audit à la
ICAEW Institute of Chartered Accountants fois compétent et indépendant ne soit, dans le cas des entreprises
multinationales, pas simple à trouver. Paradoxalement, c’est le
in England and Wales manque relatif d’indépendance vis-à-vis de leur client qui a permis
IFAC International Federation of Accountants aux Big de développer une connaissance intime de ces derniers,
certes dangereuse en cas de collusion avec le management mais qui
IFACI Institut français des auditeurs leur donne la possibilité de débusquer des irrégularités plus facile-
et contrôleurs internes ment que ne le feraient des auditeurs nouveaux venus (et encore, en
supposant qu’ils apportent les mêmes moyens d’investigation que les
IFEC Institut français des experts-comptables Big). Quant à un possible « flicage » comptable de ces entreprises par
INSECCA Institut national des syndicats d’experts- des réviseurs quasi fonctionnarisés (à l’image des inspecteurs des
comptables et de comptables agréés impôts), il semble difficile à mettre en œuvre (il est toujours possible
à un chef d’entreprise malin de se livrer à des manipulations, d’au-
OEC Ordre des experts-comptables tant plus que ses activités s’étendent sur plusieurs fuseaux horaires).
Encore une fois, et en attendant l’émergence d’une véritable autorité
OECCA Ordre des experts-comptables
publique internationale en matière de contrôle des comptes, les seuls
et des comptables agréés acteurs internationaux « crédibles » sur la scène comptable restent,
malgré tout, les Big.

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