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ETRE AGILE...

LE DESTIN DE L'ENTREPRISE DE DEMAIN

Jérôme Barrand

L'Express - Roularta | « L'Expansion Management Review »

2009/1 N° 132 | pages 118 à 129


ISSN 1254-3179
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REPÈRES IDÉES

LA SOCIÉTÉ MONDIALISÉE DE L’INFORMATION OBLIGE À RÉORIENTER LES ORGANISATIONS, LES


STYLES DE MANAGEMENT ET LES HOMMES VERS UN MODE DE FONCTIONNEMENT AGILE.

Etre agile… le destin


de l’entreprise de demain
> Jérôme Barrand
’histoire récente montre le lien évi-

L
Focus
dent qui existe entre le contexte
socio-économique et le mode de Le développement des technologies de
fonctionnement stratégique, organisation- l’information et de la communication est à
nel et managérial des entreprises. Comme l’origine d’une transformation radicale de
notre société et de son modèle économique.
l’ont écrit Cohen et March, « une organisa- La complexité, l’interdépendance,
tion est un agrégat de choix à la recherche l’incertitude et l’individualité vont façonner
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Printemps 2009

de problèmes, de solutions espérant la les organisations de demain.


reconnaissance de questions, de décisions A l’écoute des clients et de l’environnement,
cherchant comment et de quoi être la les entreprises devront être capables de
reconfigurations permanentes et rapides, pour
réponse, d’objectifs à la recherche de situa- lesquelles elles feront appel à l’intelligence
118 tions auxquelles correspondre » (1). Après d’individus agissants et coopérants.
avoir analysé le changement qui marque
L’Expansion Management Review

le passage du management dans la société


industrielle au management dans la société (le cycle de vie du produit, défini par Ver-
mondialisée de l’information, nous insis- non (2), suggérait d’ailleurs de conquérir
terons sur les caractéristiques de la société d’abord son marché local avant de s’atta-
qui se fait jour avec le développement des quer au marché régional, national puis
technologies de l’information et de la com- international) ;
munication. Ces phénomènes sont si tran- w la guerre avait engendré cinq années de
chés que nous devons en tirer les enseigne- frustration, suscitant le besoin de consom-
ments en termes de management de nos mer d’une part et éveillant l’esprit entre-
organisations humaines, en particulier des preneurial d’autre part ;
entreprises. w la guerre avait généré de nombreux pro-
grès technologiques en peu de temps, ce
La « martingale » productiviste qui allait développer à la fois l’offre et la
des Trente Glorieuses concurrence.
Cette période de l’après-guerre (1945- Dans un contexte économique de recons-
1975) à la croissance très soutenue a connu truction et de croissance, la demande s’est
trois phénomènes qui ont modifié la durablement installée comme supérieure
donne : à l’offre. L’entreprise est alors maître du jeu
w le monde ne se réduisait plus au pays, au de la consommation de masse (c’est l’ère
contraire, la mondialisation était en marche du « techno-push ») et applique des
logiques de volume devenues possibles
> Jérôme Barrand, enseignant, consultant et chercheur en
grâce à la rationalisation et l’automatisa-
prospective et stratégie, est fondateur de l’Institut d’agi- tion du travail. La conception des produits
lité des organisations au sein de Grenoble Ecole de mana-
gement. Il a publié Le Manager agile (Dunod, 2006), qui a
est fondée sur une définition technique et
reçu le prix Mutations et Travail en 2007. leurs prix établis par la somme des coûts
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de fabrication et de la marge et par la loi un modèle managérial fondé sur l’obéis-


du marché (offre-demande). sance dans l’exécution de tâches.
La stratégie voit apparaître des modèles
matriciels basés sur le croisement des Les « Vingt Périlleuses » et la
logiques financières et techniques, les domination progressive du marché
fameuses matrices du Boston Consulting En 1973 – cinq ans seulement après
Group. Elles privilégient la logique d’abais- Mai 68 en France – survient la crise dite
sement des coûts par l’accroissement des « du pétrole ». Cette crise est à la fois une
volumes, en particulier via l’automatisa- crise de régulation économique et une crise
tion. Elles permettent notamment l’admi- d’amplification des phénomènes inter-
nistration d’une entreprise à travers nationaux, tant poli-
chacune de ses activités avec des tiques qu’économiques.
règles extrêmement simples : dou- L’inversion du Ses secousses marquent
bler l’investissement ou abandon- rapport entre la fin des années 70 et les
ner. Malgré leur vision duale du années 80, par l’effet per-
monde – il y a ce qui marche et ce
l’offre et la sistant et conjoint des
qui ne marche pas –, ces matrices demande exige une chocs pétroliers et de l’in-
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s’imposent et se répandent large- nouvelle logique flation. C’est la crise du
ment (3) ! mode d’accumulation
L’organisation hiérarchique
de production. basé sur les gains de pro-
pyramidale, qui caractérise cette ductivité des industries
période, favorise la séparation de la pen- mécaniques, conséquence de l’incapacité 119
sée et de l’action par le biais de la simpli- des industries à compenser les coûts du

L’Expansion Management Review


fication des tâches : les ouvriers appliquent travail et de la concentration industrielle
à la lettre des tâches élémentaires, obéis- par les gains de productivité.
sant aux règlements imposés par les ingé- Le changement de modèle économique
nieurs, dirigeants, managers ou cadres, dans les pays occidentaux, en partie mis en
dont les tâches et responsabilités profes- œuvre par la dérégulation, renforce la
sionnelles sont elles-mêmes bien détermi- concurrence et donc la nécessaire compé-
nées. Pour ceux-ci, la maîtrise technique ou titivité des entreprises. L’inversion du rap-
managériale, dont l’accès est limité, parti- port entre l’offre et la demande exige une
cipe à l’installation du pouvoir. nouvelle logique de production. La tech-
Les entreprises, progressivement, se cen- nologie permet d’introduire de la flexibi-
trent moins sur la production et renforcent lité et de la souplesse dans la production
le contrôle (de gestion) et l’administration. (en particulier grâce aux machines à com-
Elles interviennent par ailleurs fortement mande numérique ou aux principes de la
sur leur marché et tentent d’attirer le client différenciation retardée (4) ), vecteurs >>
par la publicité.
Le pouvoir se déplace du producteur, à > (1) M. D. Cohen et R. W. March, « A Garbage Can Model
of Organizational Choice », Administrative Science Quar-
la vision centrée autour des variables terly, mars 1972, vol. 17, n° 1.
techniques, au gestionnaire (administra- > (2) R. Vernon, « International Investment and Internatio-
nal Trade in the Product Cycle », Quarterly Journal of Eco-
teur), capable d’assujettir les variables tech- nomics, mai 1966.
niques aux contraintes économiques. > (3) F. Carrance, « Splendeurs et misères des matrices stra-
tégiques », Gérér et comprendre, Annales des Mines,
Celui-ci vise, par son action, à augmenter la mars 1988.
valeur économique de l’entreprise et, de > (4) Principe notamment utilisé par Swatch qui permet de
travailler en grande série sur des composants communs à
cette façon, à toujours satisfaire davantage toutes les montres produites jusqu’à ce que les lignes de
production se séparent pour permettre la production des
l’actionnaire. Pour ce faire, une culture de composants spécifiques, les derniers à être montés
la procédure se met en place, qui sous-tend (cadrans, aiguilles, bracelets).
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REPÈRES IDÉES
ÊTRE AGILE… LE DESTIN DE L’ENTREPRISE DE DEMAIN

>> principaux de la diversité demandée. Arti- veaux produits mais également de les ins-
ficiellement, pour compenser la saturation crire dans une recherche d’optimisation de
apparente des marchés nationaux et pour la performance financière. A la culture de
prétendre à la création de valeur par le l’obéissance s’ajoute celle de la recherche
développement de nouvelles technologies, du profit à court terme.
le cycle de vie des produits est raccourci
sans cesse et le client poussé à demander L’avènement de la société
des produits toujours plus sophistiqués. informationnelle
Le capitalisme français s’est installé. L’en- Selon François Caron, historien de l’éco-
treprise a définitivement adopté une nomie (7), « ce qu’on appelle la révolution
conduite orientée vers la performance éco- industrielle, ce n’est pas simplement le
nomique et financière, elle devient entre- développement d’une technologie de plus,
prise-profit au détriment de l’entreprise- c’est un bouleversement fondamental dans
processus (5). La simplification de la notre manière de produire et de consom-
structure organisationnelle et la suppres- mer ». La révolution industrielle est donc
sion de niveaux hiérar- un de ces moments où l’homme est
chiques favorisent la capable, dans un délai assez bref,
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L’entreprise s’est de transformer radicalement la
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recherche de rationalisa-
tion des coûts. Une nou- définitivement société à partir d’une technologie
velle terminologie faisant qui permet à la fois une démultipli-
référence à la flexibilité,
orientée cation du volume de production et
120 aux processus et procé- vers la un accroissement de la communi-
dures, aux centres de performance cation par le raccourcissement des
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profit, à la qualité et à la financière. distances. Les technologies de l’in-


gestion de production est formation et de la communication
importée des Etats-Unis (TIC) s’inscrivent définitivement
et du Japon (6). Elle mène en particulier au dans ce schéma comme la machine à
développement puis à la généralisation vapeur ou l’électricité avant elles. François
de la norme ISO pour la qualité. La réacti- Caron explique clairement que les caracté-
vité stratégique et la flexibilité industrielle ristiques de ces révolutions sont toujours
sont largement favorisées par la diffusion les mêmes :
technologique de l’information grâce à – émergence lente et progressive d’une
des systèmes aux performances sans cesse technologie ;
accrues. – explosion de start-up ;
La multiplication des compétences – créativité et innovations financières pour
requises conduit à une nouvelle forme de soutenir cette nouvelle technologie ;
combinaison entre les métiers et les lignes – sentiment de vivre une révolution radi-
de produits. Conjuguant les fonctions sup- cale lorsque tout d’un coup la demande
ports et les fonctions produits, l’entreprise s’accélère de façon vertigineuse ;
est décrite comme une matrice. Le besoin – impression que la technologie va appor-
de fertilisation croisée entre les approches ter confort, ouverture et finalement pros-
de gestion et de l’ingénieur s’impose périté, en particulier en répondant à de
comme une évidence : la connaissance des nouveaux besoins sociaux.
produits et de leur conception doit s’assor-
tir de la maîtrise des processus de maximi- > (5) Y. Pesqueux, Le Gouvernement de l’entreprise comme
idéologie, Ellipses, Spécialité-HEC, 2000.
sation de richesse et de performance. Les > (6) B. Coriat et O. Weinstein, Les Nouvelles Théories de
dirigeants doivent non seulement être l’entreprise, Le Livre de poche, 1995.
> (7) Entretien publié en avril 2001 dans un numéro spé-
capables d’innover en proposant de nou- cial du Nouvel Economiste.
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Ce sont autant de caractéristiques pré- récepteurs et utilisateurs de cette informa-


sentes dans notre société depuis une tion augmente. Le spectre du « stress des
dizaine d’années, au point que certains technologies avancées » annoncé par Rif-
l’appellent « la société de la connaissance kin (9) dès 1997 se concrétise. Le tri de l’in-
(8).
à l’ère de la vie numérique » formation devient plus difficile ; il néces-
Dans nos entreprises, on a ainsi vu émer- site des qualités de bibliothécaire et la
ger de nouveaux modèles managériaux. patience concomitante. La pondération et
Les systèmes informatiques la crédibilité associées
contribuent à offrir des réponses aux sources d’informa-
d’adaptation et d’innovation. La La disponibilité tion réclament autant de
numérisation générale des télécom- de l’information capacités intuitives que
munications en France rend pos- mémorielles. L’entreprise
sible la jonction avec l’industrie
favorise la doit faire face à son inca-
informatique et permet la générali- réactivité et crée pacité de traiter l’infor-
sation de l’utilisation de l’outil de nouvelles mation à son rythme
informatique et de l’Internet, ce qui d’apparition. Non seule-
rend la transmission de l’informa-
opportunités. ment elle ne dispose pas
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tion de plus en plus rapide. On d’outils d’aide mais sur-
parle de communication en temps réel. tout la capacité de traitement par l’homme,
Une accélération est encore observée avec qui reste un élément clé, est limitée.
l’ADSL et les réseaux en fibre optique : le
phénomène devient mondial. En moins de D’autres formes de coopérations. Les 121
dix ans la vitesse d’horloge de l’ordinateur dynamiques collaboratives dans l’entre-

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– qui permet les traitements nécessaires à prise en sont bouleversées. Si l’introduc-
la récupération, la transformation et la tion du téléphone s’est étalée sur plusieurs
transmission des données – a été multipliée décennies, le téléphone portable et l’ordi-
par plus de dix, pour atteindre aujourd’hui nateur sont devenus des outils quotidiens
des vitesses impressionnantes. de travail ou domestiques respectivement
en moins de dix et quinze ans. Il est diffi-
De nouvelles opportunités. La suppres- cile pour les hommes de s’adapter aussi
sion d’étapes désormais effectuées de façon rapidement : l’introduction d’une nouvelle
informatique raccourcit les processus et technologie et sa diffusion à grande échelle
augmente la flexibilité grâce à la réduction nécessitent l’apprentissage de pratiques
des délais. La disponibilité de l’informa- nouvelles tenant compte des analyses de
tion permet une meilleure maîtrise de l’en- leurs impacts. L’implantation si rapide de
vironnement et favorise la réactivité. La ces outils est donc bien étonnante puis-
logique de vente de simples « produits qu’elle suppose d’autres processus men-
physiques » se transforme en vente d’un taux, psychologiques, cognitifs… que ceux
composé « produit physique + services auxquels nous étions habitués. Il faut
+ formation + information + image + rela- notamment une forme d’agilité qui n’exis-
tion », dont le principal vecteur est le tait pas dans les modèles traditionnels de
système d’information. Rapidement, la communication.
création de valeur par les systèmes d’in- L’enjeu managérial nouveau est d’utili-
formation et les télécommunications ser ces technologies en toute connaissance >>
devient réelle.
Il y a des contreparties à ces opportuni- > (8) « La société de la connaissance à l’ère de la vie numé-
e
rique », colloque du 10 anniversaire du Groupe des écoles
tés. Avec l’accessibilité croissante de l’in- de télécommunication, 29 juin 2007.
formation, l’exigence de réactivité des > (9) J. Rifkin, La Fin du travail, La Découverte, 1997.
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REPÈRES IDÉES
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>> des conséquences, c’est-à-dire en ayant des managers et cadres consiste à contour-
conscience du bouleversement que les ner artificiellement mais intelligemment
TIC apportent dans les dynamiques colla- cette complexité. Autrement dit à placer
boratives tant à l’intérieur des entreprises l’homme face à une complexité « raison-
qu’entre les entreprises ou vis-à-vis des nable », qu’il soit en mesure d’appréhen-
clients. L’organisation se dynamise et pro- der. Cela signifie découper nos organisa-
pose des modèles dits de « l’entreprise tions en sous-systèmes réduits, hautement
élargie » ou de « l’entreprise réseau » (10). coopératifs entre eux, évolutifs, autonomes,
ayant une finalité propre mais partageant
Les quatre caractéristiques de une finalité commune, recherchant un cer-
la société de l’information tain équilibre en interne et avec leur envi-
Dans cette transformation radicale que ronnement proche.
nous vivons, nourrie de nouveaux rapports La complexité consubstantielle de
à l’espace et au temps, quatre phénomènes l’entreprise contemporaine impose une
vont, selon nous, façonner la vie des entre- conception nouvelle de l’organisation, non
prises dans le futur : la montée de la com- plus structure monolithique et mécanique
plexité, la montée de l’interdépendance, la mais organique et constituée d’entités évo-
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montée de l’incertitude et la montée de lutives ou de projets à durée de vie limitée.


l’individualité. Dans cette organisation :
w chaque activité vit en symbiose avec les
Montée de la complexité. Plus il y a d’élé- autres notamment grâce au partage d’une
122 ments dans un système, ou plus ses élé- finalité globale, ce qui n’exclut pas la satis-
ments ont un potentiel d’évolution, ou plus faction d’une finalité locale ;
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ces éléments peuvent développer des w chaque activité n’est pas arc-boutée sur
connexions entre eux, alors plus la proba- une solution récurrente mais au contraire
bilité de sa complexité est grande. L’entre- ouverte à l’évolution et à la mutation ;
prise est un système dont la complexité ne w chaque activité entretient une culture du
cesse de croître. En effet, du fait de la spé- changement, c’est-à-dire qu’elle fait en
cialisation et de la mon- sorte que les individus l’acceptent,
dialisation, le nombre mieux, qu’ils le souhaitent car ils
d’acteurs gravitant La complexité comprennent que le changement
autour d’elle se multi- de l’entreprise est source de progrès et d’équilibre,
plie, les évolutions et
mutations qui touchent
contemporaine comme il est le principe de l’équi-
libre de la marche ou de la course
ces acteurs sont toujours impose une pour l’homme.
plus nombreuses, les nouvelle conception Ceci signifie en particulier un
mentalités évoluent rapi- changement de l’organisation, du
dement… Surtout, les
de l’organisation. management, des valeurs et de la
systèmes d’information culture entrepreneuriale indivi-
sont venus ajouter à la complexité en duelle et collective. De nombreuses entre-
créant des liens, en multipliant les lieux prises à succès sont bâties sur ce principe :
d’interaction (places de marché, blogs…) Colas, L’Oréal, Danone… Elles sont en réa-
et en augmentant la vitesse de relation lité des regroupements de PME indépen-
entre tous ces acteurs. dantes, chacune autonome dans sa straté-
Puisque cette complexité est synonyme gie face à son marché et à sa concurrence.
d’incapacité à maîtriser, il nous semble
qu’une solution simple pour réduire le > (10) F. Moreau, L’Entreprise élargie : de nouvelles formes
d’organisation, ouvrage collectif en collaboration avec
niveau de stress dangereusement croissant l’Afplane, INSEP Edition, septembre 2003.
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Elles sont donc plus mobiles face aux rup- connaissance de cause, et « de consé-
tures tout en étant plus fortes grâce à la quence ». Nous devons aujourd’hui per-
puissance financière et aux compétences mettre à chaque individu d’être plus
partagées du groupe. agissant. Nous devons reconfigurer nos
processus en permanence en fonction des
Montée de l’interdépendance. Dans le besoins du client. Nous sommes dans l’ère
monde d’hier, nous échangions principa- de l’apprentissage collectif comme dans
lement des matières ou des produits. Cette celui de l’entreprise élargie, dans l’ère de
société dite « de débit » reposait sur des la convention négociée par opposition à
liens de dépendance entre les acteurs, et le l’ère de la règle imposée.
management était centré sur la distribution Cette émergence de l’interdépendance
de l’information, le pouvoir étant déter- fait que les organisations doivent être de
miné par la détention de l’information. La plus en plus transparentes ; à la fois beau-
société actuelle est très différente et repose coup plus collaboratives à l’intérieur et
sur des échanges de perceptions : le plus coopératives à l’ex-
client n’achète plus un produit, térieur. Un changement
mais une perception, un service, Aujourd’hui, le culturel radical qui s’ex-
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une reconnaissance. Le processus client n’achète plus prime de façon flagrante
de l’offre et de la demande s’est
complexifié : il n’est plus linéaire.
un produit mais notamment dans les
PME. Il y a vingt ans,
Le flux des informations est aussi une perception, arrivant à Grenoble, nous
plus diffus. Dans le même temps, le un service, une tentions de développer 123
client attend une prestation de plus reconnaissance. une activité de conseil en

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en plus individualisée. Les métiers stratégie. Les dirigeants
sont ainsi davantage soumis au se réfugiaient derrière le
risque de passer à côté du besoin réel. principe de confidentialité en arguant que
Sur cette base, on insiste partout sur la l’information est source de pouvoir et qu’il
« culture client » (11). était hors de question de prendre le risque
Contrainte à l’adaptation dans un monde de le partager. Aujourd’hui, il n’y a plus un
ouvert, sans frontières et multiforme, l’en- coin de France sans clubs d’entreprises,
treprise communique avec un ensemble lieux idéaux de partage d’informations
d’acteurs plus nombreux et plus dispa- et d’expériences, de création de relations
rates, qui interagissent avec elle en perma- d’affaires et d’amitiés.
nence et de plus en plus vite. Ils ont tous
une grande importance et l’entreprise doit Montée de l’incertitude. Les incertitudes
travailler avec eux, qu’il s’agisse des four- augmentent. Cela devient une évidence,
nisseurs, des concurrents et des clients ou mais mérite pourtant qu’on en analyse les
de leurs intermédiaires. Elle ne peut plus conséquences pour l’entreprise. Hier, les
se contenter de tenter de s’imposer dans produits et services allaient au terme de
une relation de rapport de force mais doit leur vie, ce qui a permis aux hommes de
composer avec eux dans une relation par- marketing et autres stratèges de construire
tenariale et évolutive. des modèles de gestion basés sur le cycle
Le management ne peut plus s’appuyer de vie des produits et leurs phases désor-
sur le principe du pouvoir lié à l’informa- mais classiques de naissance, croissance,
tion possédée. Au contraire, le principe maturité et déclin. La profitabilité était cal-
dominant est celui du partage de l’infor- culée sur l’intégralité du cycle de vie du >>
mation, afin que chacun puisse à tout > (11) D. Ray, Mesurer et développer la satisfaction clients,
instant adopter l’attitude adéquate en Editions d’organisation, 2001.
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REPÈRES IDÉES
ÊTRE AGILE… LE DESTIN DE L’ENTREPRISE DE DEMAIN

>> produit avec la certitude d’obtenir le L’entreprise de demain doit non seule-
maximum de profit à la fin de ce cycle. ment être prête à adapter sa stratégie en
L’entreprise avait recours à différents outils permanence en fonction des opportunités
de prévision tels les business plans ou les et menaces, mais surtout développer une
budgets prévisionnels. Ce système fonc- capacité d’anticipation, tant au niveau de
tionnait parce qu’il reposait sur un prin- la stratégie, c’est-à-dire des grandes déci-
cipe de relative stabilité de l’environne- sions d’orientation, qu’au niveau opéra-
ment et de récurrence tionnel, c’est-à-dire des actes quoti-
des productions et des diens de chaque collaborateur qui
comportements des On ne peut plus doit désormais raisonner « en
consommateurs. miser sur la connaissance de conséquences » !
La situation a changé. Les exemples ne manquent pas :
Aujourd’hui, on ne peut
complète exécution d’EDF à Shell, de nombreux grands
plus miser sur la com- des cycles de vie groupes sont entrés depuis long-
plète exécution des tant les ruptures temps en prospective, comme(14)le
cycles de vie tant une
rupture technologique,
sont fréquentes. montrent Lesourne et Stoffaës .
Outre des pratiques qui s’appuient
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économique, politique, sur des méthodes sophistiquées, on


réglementaire, sociétale ou autre, peut bri- trouve également, au niveau de clusters et
ser à tout moment cette belle « stabilité ». autres pôles de compétitivité notamment,
Dès lors, quelles possibilités stratégiques des approches de prospective technolo-
124 s’offrent à l’entreprise ? Soit aller au bout gique qui s’appuient sur de simples ate-
d’une stratégie de minimisation des coûts liers d’experts.
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et s’enfermer dans une logique suicidaire


de surconsommation (raccourcissement Montée de l’individualité. Dans toutes
des cycles de vie, explosion des quantités les grandes institutions, qu’elles soient
de matières premières, flambée de leur religieuses, politiques, économiques, scien-
prix, surpollution, réchauffement clima- tifiques, philosophiques, etc., les géné-
tique…), soit anticiper les ruptures pos- rations précédentes ont été marquées par
sibles et intégrer cette anticipation dans la pensée de grands leaders. Ceux-ci
sa décision. avaient une vision de ce que la société
Cette seconde solution nous paraît pré- devait être et soutenaient des idées fortes
férable. Elle s’inscrit dans la lignée des tra- qui s’imposaient finalement à la masse des
vaux des premiers prospectivistes (12) qui individus. Lesquels agissaient donc selon
suggéraient, face à l’incertitude, de balayer les principes et règles que les premiers
les futurs possibles (futuribles) afin d’éclai- édictaient. L’ensemble de la société se
rer la décision et l’action présente. Michel structurait ainsi selon un modèle domi-
Godet (13), principal développeur de ces nant, pyramidal, autoritaire et hiérarchisé,
idées depuis une vingtaine d’années avec issu de la production de normes et de
l’association Futuribles, résume les trois valeurs érigées par la figure emblématique
postures possibles face à l’incertitude : du leader (15).
w l’attitude passive, assimilée à l’image de
« l’autruche » qui attend que l’orage passe; > (12) Nous pensons aux deux « pères » de la prospective :
w l’attitude adaptative du « pompier » qui
Gaston Berger et Bertrand de Jouvenel.
> (13) M. Godet, De l’anticipation à l’action, Dunod, 1991.
se prépare à lutter contre le feu ; > (14) J. Lesourne et C. Stoffaës, La Prospective stratégique,
w l’attitude volontariste de la « vigie » qui
Dunod, 2001.
> (15) Max Weber utilise les termes de « légitimité charis-
scrute le futur pour décider de la meilleure matique » pour caractériser le rôle « visionnaire » de ces
personnalités et le fondement de leur influence. Voir
voie à prendre. M. Weber, Le Savant et la politique, Plon, 1959.
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D’une certaine manière, on peut consi- dominants et visionnaires, capables de


dérer que le domaine de la pensée était montrer un horizon stimulant aux sociétés
déconnecté du domaine de l’action. Il y contemporaines parce qu’incapables de
avait, d’un côté, un petit nombre de pres- penser cette nouvelle complexité. Faute de
cripteurs – ceux qui pensaient et organi- charisme, issus d’écoles qui les formatent,
saient la vie et la société –, de l’autre, un nos politiques « gèrent » plutôt qu’ils ne
grand nombre d’agents actifs qui agissaient « gouvernent ». De même dans l’entre-
selon les règles imposées. L’intégration prise : c’en est fini du temps des grands
sociale supposait l’allégeance aux règles et entrepreneurs. Il n’y a plus de modèle tay-
le respect de la discipline par les uns, la lorien de réussite. Leur interchangeabilité
définition des procédures et la capacité de l’atteste.
contrôle par les autres. Cette société était, L’ordre des choses a donc progressive-
par définition, très élitiste, mais aussi très ment basculé. Initiée – éclairée? – par la cir-
technocentrée puisque la technologie, pré- culation des connaissances, saisie par la
sentée comme le seul vecteur de libération nécessité de prendre en main son propre
des actifs, était un moyen d’asseoir destin, la « masse » n’est
cette hiérarchie. La grande intuition plus désormais consom-
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C’en est fini du matrice aveugle. Elle est

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des leaders est d’avoir su penser
une modernité (16) compatible avec temps des grands agissante ; elle s’appro-
les grandes évolutions historiques. prie le domaine de la
Dans le champ politique, le
entrepreneurs. pensée, et une multitude
modèle de l’Etat providence (17) Leur caractère de modèles voient le 125
incarne une forme achevée de cette interchangeable jour : chacun pense le

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conception du monde, adossée l’atteste. monde et agit dans le
à une bureaucratie sophistiquée monde selon sa propre
capable de combiner l’efficacité vision puisque aucune
moderne de l’organisation administrative vision dominante ne s’impose et que cha-
et les valeurs (égalité, solidarité) portées cun accède au savoir, libre qu’il est dans le
par le modèle politique de la démocratie flot des informations, de choisir, de hiérar-
des individus (18). chiser… Le domaine de la pensée et le
La même dynamique s’est appliquée domaine de l’action ont fusionné.
dans l’entreprise et s’est montrée parti- Ainsi, tous, tour à tour ou simultanément
culièrement efficace compte tenu de la consommateurs de biens et de services sur
logique de volume dans laquelle elle évo- un marché, producteurs de travail et de
luait : la société de consommation des valeur dans une entreprise, citoyens éli-
Trente Glorieuses impliquait la production gibles à des fonctions politiques dans
de masse, qui, elle-même, impliquait une l’espace public, nous sommes devenus
technologie dominante, une organisation producteurs de pensée et producteurs d’ac-
taylorienne et l’imposition d’une norme tion. Investis d’identités multiples, nous
« fermée » de production (19) démontrant la jouons tous sur les différentes « scènes »
capacité d’une organisation à suivre une (politique, économique, associative, etc.) >>
règle imposée. Dans le champ de l’écono-
mie, la success story du taylorisme repose > (16) Ce que Max Weber désigne par « organisation ration-
nelle légale », dans Economie et société, Plon, 1971.
donc sur une combinaison efficiente : la > (17) P. Legendre, Jouir du pouvoir, Editions de Minuit,
performance de la production au sein du 1976.
> (18) N. Elias, La Société des individus, Fayard, 1971.
modèle montant de l’économie capitaliste. > (19) La norme ISO dont la logique se résume à : « je dis
Face aux turbulences de notre société, ce que je fais et comment je le fais, je fais ce que je dis, et
je le prouve »… au risque de persévérer dans la médio-
nous ne trouvons plus de grands penseurs crité !
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REPÈRES IDÉES
ÊTRE AGILE… LE DESTIN DE L’ENTREPRISE DE DEMAIN

>> du monde. Nous ne sommes plus seule- les solutions « gagnant-perdant » des
ment des individus actifs dans un modèle anciennes structures hiérarchiques. La
établi, nous sommes des individus agis- dimension humaine des systèmes doit
sants, inventant en permanence le monde l’emporter sur la dimension technologique
ou le système dans lequel nous vivons (20). des outils. Le principe disciplinaire par la
Dans l’entreprise, cela ne peut se traduire norme cède ainsi la place au principe du
que par des organisations nouvelles, de contrôle ou plutôt de l’autocontrôle.
moins en moins pyramidales pour per- La société est désormais composée d’in-
mettre la créativité, supprimant les niveaux dividus libres et autonomes, tour à tour
hiérarchiques pour auto- producteurs et consommateurs,
riser le plus grand fournisseurs et clients. La problé-
nombre à diriger une Le principe matique de l’entreprise est moins
partie du système et pro- disciplinaire de la celle de l’intégration au modèle
poser ses idées. La liberté (idéal des ingénieurs organisateurs
d’initiative chère à Adam
norme cède de l’époque taylorienne) que celle
Smith n’est plus l’apa- la place au principe de la mise en cohérence d’une
nage du seul entrepre- du contrôle ou somme de projets individuels qu’il
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neur : elle saisit tous les de l’autocontrôle. faut accorder et concilier (22), en par-
membres de l’entreprise, ticulier grâce au partage d’une
qui s’oriente vers une vision et de valeurs qui trouveront
forme d’adhocratie, mais qui, pour être une concrétisation dans l’atteinte de
126 efficace, doit fédérer autour d’une même métaobjectifs mobilisateurs des énergies.
finalité, d’un même but. Il n’existe pas un projet d’entreprise qui
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De fait, on est passé d’un monde de ne soit d’abord cadré par rapport à une
règles à un monde de conventions (21), c’est- finalité.
à-dire des règles qui changent constam- Roche Diagnostic, par exemple, a lancé
ment et qui émanent d’accords tacites son projet « Elan » dans le but de dévelop-
entre des individus agissants, sans cesse per la capacité de l’entreprise à s’adapter
remises en causes au gré des événements. en permanence aux évolutions de son envi-
Chacun souhaite pouvoir exprimer ses ronnement. Ce projet vise à modifier les
idées, prendre des initiatives. Dès lors, la comportements des managers, et, par voie
procédure va perdre de son intérêt au pro- de conséquence de l’ensemble des colla-
fit des processus en permanence recon- borateurs de l’entreprise. Telle entreprise
figurés et « optimisés » en fonction des a créé une fonction de directeur de l’e-net-
acteurs concernés. working tandis que telle autre crée une
Ce passage de la logique de procédure à direction de l’accompagnement managé-
la logique de processus nécessite un chan- rial dans le but d’insister sur ces nouvelles
gement de culture des individus impli- pratiques collectives et comportementales
qués : la coopération devient une condition
> (20) Pour éclairer ce débat, posons deux définitions : est
de réussite. En effet, la procédure n’est actif celui qui agit dans une organisation stable selon des
qu’une organisation de tâches qui entraîne règles préétablies ; est agissant celui qui pense et interagit
dans un système en évolution qu’il participe à transformer.
une optimisation individuelle tandis que Autrement dit : les individus actifs réalisent la pensée des
le processus est une logique relationnelle autres tandis que les êtres agissants agissent et pensent
d’eux-mêmes.
visant à l’optimisation des liens pour la > (21) La sociologie des conventions décrit ce processus
satisfaction d’un acteur final. C’est dire que par lequel s’établit l’accord légitime des acteurs autour de
compromis. Voir L. Boltanski et L.Thevenot, De la justifica-
les individus doivent être beaucoup plus tion, Gallimard, 1991.
coopératifs, ce qui signifie favoriser les > (22) Voir R. Sainsaulieu, Sociologie de l’entreprise, orga-
e
nisation, culture et développement, 2 édition, Presses uni-
solutions « gagnant-gagnant » plutôt que versitaires de Sciences Po et Dalloz, 1997.
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à partir de principes de partage, d’hybri- très interconnectées : si l’une capte un


dation, d’anticipation, d’autonomie, de changement de l’environnement, le signal
sens… bref, d’agilité. est directement renvoyé aux autres. Toutes
L’entreprise se doit donc d’être agile : peuvent changer de direction de manière
elle se doit d’innover pour satisfaire de quasi instantanée. L’entreprise dispose
manière unique et sans cesse renouvelée pour ce faire d’outils informatiques, pour
cette somme d’individus. Elle le fait la gestion interne et pour les relations avec
d’abord par l’élargissement de son offre en les clients et les autres acteurs de l’environ-
mêlant produit-objet et prestations nement, qui lui permet-
puis en se transformant sans cesse. tent d’agir rapidement.
Pour ce faire, elle développe la créa- L’entreprise Ces quatre mouve-
tivité et surtout une véritable cul- se doit d’être agile, m e n t s i n é l u c t a b l e s
ture client à tous les niveaux de son poussent l’entreprise à
organisation. Le client devient
organisée en adopter sept principes
coproducteur dans certains cas petites unités très managériaux complé-
(Ikea) mais aussi coconcepteur (ne interconnectées et mentaires caractéris-
serait-ce qu’à travers son évaluation
proches du client. tiques de l’agilité :
w la capacité d’anticipa-
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Printemps 2009
du produit-prestation). L’entreprise
agile est donc extrêmement centrée tion des ruptures de son
sur le client. Son organisation donne environnement mais aussi des consé-
davantage de pouvoir aux unités opéra- quences de ses propres décisions et actions.
tionnelles décentralisées pour qu’elles Il ne s’agit plus de raisonner ou décider en 127
soient plus proches de leurs marchés. C’est connaissance de cause mais aussi « en

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un pouvoir d’action et le seul véritable connaissance de conséquence » ;
moyen de développer une coopération w la coopération, tant en interne de façon à
avec ses clients et tous les acteurs de son rechercher un optimum collectif plutôt
environnement. Cependant, la création de qu’un maximum par fonction, qu’en
valeur se fait principalement dans les acti- externe vis-à-vis de tous les acteurs de son
vités dites de back-office (services support). environnement grâce à de multiples
conventions renégociables à loisir ;
L’entreprise agile w l’innovation permanente dans son offre
de la société nouvelle client grâce à un mix « coûts maîtrisés-
Les quatre tendances auxquelles elles valeur créée ». Mais l’innovation ne doit
sont confrontées placent les entreprises face pas être systématique pour autant : elle
à un nouveau paradigme managérial, à doit être réellement utile au client et diffé-
l’opposé de tout ce qu’on a appris depuis renciatrice vis-à-vis des concurrents ;
l’émergence de la société de consomma- w une offre globale s’appuyant bien sûr sur
tion. Stratégiquement, l’entreprise d’au- des produits toujours plus performants
jourd’hui doit être plus adaptable et plus mais aussi sur des offres de services et une
flexible qu’hier et évoluer beaucoup plus relation personnalisée avec chaque client.
vite. Si l’entreprise des années 60 peut être Il s’agit là de sortir du paradigme de
considérée comme un bloc unique, hié- volume pour entrer dans le paradigme
rarchique et centralisé, celle d’aujourd’hui relationnel ;
ressemblerait plutôt à un ensemble de w une culture client généralisée dans une
petites unités appartenant ou non juridi- organisation par processus où chacun est
quement à la même société, qui partagent client de l’autre et réciproquement. Nous
des choses, des valeurs, des processus, et parlons depuis peu davantage de « pro-
évoluent dans la même direction. Elles sont opération » et de « pro-laboration », pour >>
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REPÈRES IDÉES
ÊTRE AGILE… LE DESTIN DE L’ENTREPRISE DE DEMAIN

>> indiquer que se coordonner avec les autres limitera le phénomène d’externalisation !
n’est plus suffisant. Il faut désormais tra- Le modèle économique change en consé-
vailler « pour » l’autre, et réciproquement ; quence et on s’oriente davantage vers des
w une complexité à échelle humaine visant pratiques de type leasing qui entretiennent
à favoriser la reconfiguration des équipes bien une relation durable de coresponsa-
ou des services. L’entreprise en réseau est bilité entre le client et le fournisseur.
une excellente réponse tant stratégique Nous convergeons avec Olivier Badot
qu’organisationnelle. Mais elle suppose pour considérer l’entreprise agile comme
l’abandon de la quête absolue du pouvoir étant constituée d’unités à taille humaine
se mesurant à la taille du chiffre d’affaires dotées d’une culture d’agilité et orientées
et au nombre d’employés ; vers une finalité commune claire (24) :
w une culture du changement faisant de w l’entreprise mondiale doit se décompo-
celui-ci un allié souhaité plutôt qu’un ser en unités opérationnelles très proches
ennemi craint. Comme le dit Champy : « Il du client, reconfigurables en permanence
faut améliorer dès maintenant et de façon et donc dotées de processus d’adaptation
radicale les résultats de organisationnelle très rapides. Ces
l’entreprise, tout en sus- unités opérationnelles sont des cap-
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Se coordonner
Printemps 2009

citant l’adhésion enthou- teurs sensibles de l’environnement


siaste de l’ensemble du avec les autres et sont capables de changements
personnel. » (23)
L’entreprise agile, qui
n’est plus suffisant. organisationnels rapides grâce aux
structures de back-office en soutien.
128 adopte ces sept prin- Il faut travailler Celles-ci, avec l’appui de systèmes
cipes, doit proposer une « pour » l’autre et informatiques très performants, les
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solution globale, au prix réciproquement. libèrent des problèmes financiers,


d’une offre standard leur apportent des ressources, les
mais avec un haut ni- accompagnent, mettent à leur dis-
veau de différenciation, incluant service et position des systèmes de partage de l’in-
information. Cette offre se doit d’être formation et de décentralisation de la prise
durable, au sens écologique et au sens tem- de décision ;
porel. Le produit doit donc voir son cycle w la PME adopte les mêmes principes de
de vie s’allonger, devenir solide, réparable. reconfigurabilité organisationnelle. Elle
Sa conception n’est plus le résultat d’une colle au client, développe son écoute de
quête de coût faible et de fragilité. Fini la l’environnement et noue un grand nombre
culture du jetable ! Pour réussir ce pari, d’accords (conventions) avec un grand
l’entreprise ne peut plus répondre seule. nombre d’acteurs pour l’aider à répondre
Elle doit coopérer non seulement avec des aux menaces qui l’entourent et codévelop-
experts ou des sous-traitants mais égale- per sans cesse de nouvelles solutions.
ment avec un concurrent ou avec un four- A l’évidence, les facteurs clés de succès
nisseur. L’alliance se fera au sein d’une de différenciation et de performance de
équipe projet ou d’une entreprise com- l’entreprise agile seront les hommes. L’en-
mune et sera régie par une convention treprise doit profiter de leur connaissance
modifiable dès qu’un acteur de l’alliance intime des clients et de l’environnement,
en ressentira le besoin. Le niveau de com- de leurs savoir-faire, et de leurs capacités
pétence requis pour ces développements, d’imagination et d’initiative qui vont per-
ainsi que la nécessaire proximité du mar-
ché pour entretenir ce parc de produits > (23) J. Champy, Reengineering du management, Dunod,
évolutifs, permettra d’ailleurs de résoudre 1995.
> (24) O. Badot, Théorie de l’entreprise agile, L’Harmattan,
largement le problème de l’emploi local et 1997.
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mettre la reconfiguration permanente de la flexibilité ou encore les principes qui


l’organisation et des produits. Cette évolu- portent l’innovation. Elle est en fait une
tion se fera à tous les niveaux et dans perpétuelle recherche d’équilibre entre une
toutes les dimensions : dans la prise de dimension active (faire et prouver que l’on
décision stratégique, le management, le sait faire), une dimension réactive (être
management de projets et dans opportuniste face aux
toutes les fonctions en général, au changements observés
niveau de chaque équipe et de L’agilité est plutôt pour fidéliser) et une
chaque individu, chacun devant une propension, dimension proactive (re-
s’ouvrir à une vision systémique de cherche d’innovation). Il
l’entreprise pour atteindre un opti-
une aptitude, s’ensuit que l’agilité ne
mum collectif. un cadre général saurait être un état stable
L’histoire de l’entreprise n’est pas à alimenter et définitif, mais une pro-
une simple succession de modèles constamment. pension, une aptitude,
qui s’ignorent. De même que la u n c a d re g é n é r a l à
société se façonne à coups d’évolu- maintenir et alimenter
tions et de révolutions sans pour autant constamment. Elle s’impose dès lors non
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faire disparaître les acquis du passé, les pas comme un nouveau modèle entrepre-
entreprises se construisent par couches suc- neurial mais plutôt comme un ensemble
cessives. L’agilité ne vient donc pas en sub- de principes basiques de comportements
stitution aux modèles préexistants : elle ne qui permettront de réconcilier ces modèles
renie pas l’efficacité de la logique d’expé- entre eux alors qu’on les a toujours décrits 129
rience (économies d’échelle) non plus que comme antinomiques. n

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les modèles managériaux qui permettent

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