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LE SLOW MANAGEMENT, ANTIDOTE AU STRESS

Loïck Roche

L'Express - Roularta | « L'Expansion Management Review »

2011/2 N° 141 | pages 42 à 49


ISSN 1254-3179
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-expansion-management-review-2011-2-page-42.htm
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Dossier
Le slow management,
antidote au stress
IL NE SUFFIT PAS D’INVOQUER LES MAUX DONT SOUFFRENT LES SALARIÉS. AGIR SUR EUX C’EST
D’ABORD REVENIR À UN MANAGEMENT METTANT LES PERSONNES AU CENTRE DES ORGANISATIONS.

> Loïck Roche Quand dire, c’est faire (1). Le dire, ce n’est pas

A
la fin des années 60 et dans les faire. Le management n’a pas à voir avec
années qui suivirent Mai 68, ce qu’Austin appelle un énoncé performa-
lorsque l’on prenait la parole dans tif comme peut l’être, par exemple, lors-
les amphis bondés ou même dans la rue, qu’il est formulé par un édile dans le cadre
revenait toujours cette même question. de ses fonctions, un : « Je vous marie. »
« D’où parles-tu camarade ? » Qu’est-ce Dans le même temps, je ne crois pas qu’il y
que cela voulait dire ? Cela signifiait, avant ait, pour ce qui touche au management, de
même de faire cas du fond, qu’il importait relation entre la compréhension intellec-
– c’était finalement cela seul qui comptait – tuelle des choses et la compréhension phy-
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de connaître les engagements politiques de sique des choses. Comme « la théorie n’a
celui qui voulait prendre part au débat. Un jamais délivré personne de ses angoisses
42 débat mort-né : seuls ceux affichant les ni de ses névroses » (Françoise Giroud), la
mêmes convictions pouvaient s’exprimer. vérité du management, s’il y a, doit être
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Si aujourd’hui cette question ne fait plus recherchée dans la compréhension phy-


sens, il semble sage, si l’on veut prendre la sique de ce qui se passe au sein de l’entre-
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parole, pour être audible – d’autant plus prise. Après seulement il sera toujours
quand on souhaite parler de management, temps de conceptualiser, de mettre des
dire les choses telles qu’on les voit, tirer un mots sur ce que je ressens et essayer, alors,
signal d’alarme ou, plus simplement, dire d’apporter des réponses. Dit autrement, je
« Assez ! » –, de poser les limites, l’objectif peux tout connaître des théories du mana-
et le cadre de ses écrits et interventions. gement et être un piètre manager comme,
à l’inverse, je peux n’en rien connaître et
Ce que parler de management être remarquable dans mon activité de
veut dire aujourd’hui dirigeant au quotidien.
Ainsi donc, avant de définir ce que j’en- Ce que je vais dire, enfin, n’est pas nou-
tends par slow management, un concept sur veau. Tout au plus cela ambitionne-t-il ce
lequel nous avons travaillé avec Domi- que Loïc Wacquant, sociologue engagé,
nique Steiler et John Sadowsky, je vais pré- appelle « réveiller le déjà-su ».
ciser dans quelle démarche s’inscrivent
mes propos. L’objectif. Participer justement à vous
aider, vous, cadre, dirigeant, manager, à
Les limites. Parler de management n’a pas transformer en compétences et postures le
à voir avec l’ouvrage de John Langshaw « déjà-su », autrement dit, des savoir-faire,
Austin, philosophe anglais du XXe siècle, des savoir-être, souvent intuitifs mais per-

Loïck Roche est le directeur adjoint de Grenoble Ecole de management. Il est le coauteur, avec Dominique Steiler et John
Sadowsky, de l’ouvrage Eloge du bien-être au travail, 2010, Presses universitaires de Grenoble, dont des extraits sont
repris dans le présent article.
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tinents car cadrés par le « bon sens », un – il y a bien assistance à personnes en dan-
bon sens que vous possédez déjà ! ger –, il convient, tout autant, de tout
mettre en œuvre pour que cela ne se repro-
Pour ce qui est du cadre… « Ce que je duise plus. Car si l’effet est l’incendie, le
crois », pour reprendre le titre d’une col- stress, la cause doit être recherchée, pour
lection chez Flammarion, c’est qu’un poursuivre sur l’analogie avec l’incendie
article n’a de sens que si celui-ci est relié à de cheminée, dans l’absence de gainage.
la réalité, qu’à la condition qu’il se nour-
risse des externalités et, évidemment donc, Les points forts
de ce qui se passe dans les entreprises,
dans les organisations. D’où la question : Le manque de préparation des
peut-on encore parler de management si managers et de leurs équipes aux
l’on considère ce qui se passe aujourd’hui bouleversements que vivent les entreprises
dans les entreprises ? est à l’origine d’un engrenage de peur et
Car, s’il doit être entendu qu’il y a de d’impuissance qui rend l’organisation
malade.
très belles choses au sein des entreprises,
des gens formidables, et ce à tous les éche- Remettre les choses, et les
lons sans exception, il doit aussi être responsabilités, à l’endroit impose aux
entendu que tel n’est pas toujours le cas. cadres de « perdre » le temps d’aller à la

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Loin, très loin de là ! Les organisations mal rencontre des personnes qui forment leurs
équipes, de leur parler, de les écouter.
dirigées ne sont pas seulement des véhi-
cules de stress, de violences, de disqualifi- Ce slow management permet la 43
cations, elles peuvent, nous le savons construction d’une légitimité et d’une

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désormais, conduire à la mort. C’est confiance, l’inscription de chacun dans
important de « revenir là-dessus », car un projet collectif et le retour du sens
du travail.
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c’est bien sur la base de ce constat que
s’originent les actions que je préconise.
Parmi ces actions, parce qu’il en est à la Ramenée à l’entreprise, c’est l’absence
fois le contenant et le contenu : le slow dramatique de préparation des managers,
management. c’est le déficit abyssal d’accompagnement
« Revenir là-dessus », sans évidemment des salariés au(x) changement(s) dont on
faire commentaire, c’est poser les éléments sait bien pourtant qu’ils sont évidemment
clés ; c’est, à l’aune des enjeux, la mise en et urgemment nécessaires, qu’il faut poin-
œuvre des bouleversements nécessaires ter. Si vous ne faites pas cela, si nous ne
des organisations, dénoncer sans relâche savons que déverser les quelques seaux
le déficit tragique de préparation des d’eau dont nous disposons encore, si notre
managers, le déficit tout aussi tragique seule réponse est la salle de relaxation – il
d’accompagnement des salariés. Surtout, faudrait là alors parler de pompiers pyro-
c’est s’élever contre l’absence cruelle de manes tant ce type de mesure va à l’en-
discernement – je ne vois pas d’autre contre de ce qu’il conviendrait de faire –,
mot – qui veut que l’on confonde les effets c’est toute la maison entreprise qui, un
et la cause. Invoquer le stress, les risques jour, partira en fumée.
psychosociaux, tous ces bons mots et vrais Agir ne veut pas dire seulement agir sur
maux, c’est invoquer l’effet, ce n’est pas le stress (l’effet) mais, et surtout, agir sur
invoquer la cause. Voilà pourquoi, si évi- la cause pour, de surcroît, éliminer l’effet >>
demment, et comme il peut y avoir des
> (1) J. L. Austin, Quand dire c’est faire, Seuil, 1970 ; tra-
feux de cheminée, il convient de tout duction de How to do Things with Words, Oxford Univer-
mettre en œuvre pour éteindre l’incendie sity Press, 1962.
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Dossier
>> et donc obtenir ce que Freud aurait appelé femmes qu’il dirige. Parce qu’il a peur, le
la guérison. Sans compter, même, que ne manager nie cette peur – ce n’est jamais
vouloir agir que sur le stress, ce serait faire très agréable de reconnaître que l’on a
porter la responsabilité sur les salariés, peur –, il va donc se réfugier dans son
« pauvres natures » qui ne supportent pas bureau, dans ses mails, son téléphone por-
la pression. Double peine en quelque table, ses déplacements… et même dans ce
sorte ! Agir sur la cause, c’est remettre les qu’il abhorrait mais adore aujourd’hui –
responsabilités, à la fois, à l’endroit et… au car pour être consommateur de temps,
bon endroit ! c’est… consommateur de temps –, le
reporting ! Prisonnier de ce qui va devenir
Le problème : identifier le problème. Le faux confort mais vraie excitation : « Tout,
problème, mais encore faut-il qu’on le plutôt qu’avoir à faire face aux hommes et
veuille vraiment et qu’on y consacre le aux femmes ! »
temps nécessaire, peut s’énoncer claire- Deuxième mouvement : pour « conjurer
ment. Incidemment, sachons nous garder sa peur », le manager va développer des
de ces faux prophètes pour qui « il n’existe comportements agressifs. Il va se montrer
pas de problème, il n’existe que des solu- méprisant, disqualifiant, humiliant, vio-
tions », puisque, justement, tout le pro- lent, qui sait même tyrannique… Et s’il est
blème, c’est bien plutôt que le pleinement inconscient de son
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problème n’a pas été identifié. incompétence à faire du


Ici, on a dit : « A la fin de l’an- Agir sur la cause, management, alors il n’aura
44 née, je veux 15 % de personnes c’est remettre de cesse de harceler morale-
en moins dans ton service » les responsabilités ment les hommes et les
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(sic !). Un service où exer- femmes de ses équipes !


çaient des personnes qui, leur à la fois Quand comprendrons-nous
à l’endroit
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vie durant, avaient – sem- que le harcèlement par un
blables à Sisyphe – roulé le et au bon endroit. manager (et ce n’est évidem-
même rocher, fait chaque jour ment pas une excuse) est l’ex-
le même métier. Des per- pression de son impuissance
sonnes non préparées donc à quelque à faire du management ? Quand com-
changement que ce soit, et un manager prendrons-nous – cela ferait l’objet d’un
qui, parce qu’il n’avait pas davantage été autre article – que le harcèlement moral est
préparé ni aidé, n’a pu que prendre peur. toujours quelque part aussi une forme de
C’est important de comprendre cela parce harcèlement sexuel. Comme l’écrivait déjà
que la peur, c’est toujours l’expression de Nietzsche : « Le plaisir de faire souffrir
son incompétence. Qu’il s’agisse de la peur apporte un accroissement du sentiment de
des chiens, expression de son incompé- puissance. » Ce faisant, si le manager se
tence à y faire face, ou de la peur en entre- soigne, certes – car c’est là sa façon de
prise, expression de notre incompétence à composer et donc de survivre à cette pres-
répondre à la demande qui nous est faite. sion insupportable qui est la sienne depuis
Pour un manager, la peur, c’est donc tou- qu’il a reçu l’ordre de « faire en sorte » de
jours la peur de son incompétence à faire diminuer de 15 % les effectifs de son
du management. Ce qui n’est pas rien ! équipe –, c’est sur le dos de l’organisation.
Alors que s’est-il passé ? Que se passe-t- Comme on peut se passer la folie de géné-
il d’ailleurs malheureusement encore… ? ration en génération, c’est l’organisation
même qui devient malade, incompétente.
De la peur au harcèlement. Premier mou- La solution – le problème une fois
vement, l’éloignement des hommes et des exprimé – existe pourtant. C’est celle que
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LE SLOW MANAGEMENT, ANTIDOTE AU STRESS

nous préconisons avec Dominique Steiler toujours que ce contact privilégié avec
et John Sadowsky. Il faut que les cadres, leurs équipes et le rappel des valeurs qui
les dirigeants, les managers, renoncent à pouvaient être faits en cette occasion
leur importance à être débordés – débor- étaient encore plus importants. » (1)
dement qui s’exprime dans l’incapacité à Le slow management, c’est cela. C’est cette
faire face aux mille tâches du quotidien idée que, régulièrement, les responsables
mais qui n’est jamais qu’un se ménagent du temps en
déplacement de l’incapacité à dehors des réunions, des
faire face à sa réelle mission Le fait d’être appels téléphoniques, de la
(celle-ci, fort heureusement, débordé n’est lecture des e-mails, pour réel-
dans ses conditions d’exécu- qu’un lement essayer de com-
tion, n’étant pas toujours prendre ce qui se joue chez les
aussi tragique que dans déplacement hommes et les femmes qu’ils
l’exemple pris ci-dessus ; mais de l’incapacité à dirigent ; du temps pour les
c’est bien là aussi la vertu remplir sa mission. écouter, du temps pour
pédagogique de l’exemple : apprendre, du temps pour
non forcer le trait mais enseigner.
prendre appui sur ce qu’on voudrait voir « Il n’y a pas de leaders, de managers, de
exception) –, et apprennent à faire ce que cadres même, dignes de ce nom qui ne fas-

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nous appelons du slow management. sent pas du slow. Que ce soit dans le
domaine des entreprises, bien sûr, mais
Le slow, du temps aussi dans d’autres domaines comme le 45
pour les personnes sport, les expéditions, ou même les armées,

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Le slow management ambitionne cette le fil rouge et point commun est le slow
chose à la fois évidente et très difficile à management.»
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mettre en œuvre : mettre « pour de vrai » – Les cadres, dirigeants, managers, doi-
au-delà des discours donc – les hommes et vent apprendre – voire se forcer car cela
les femmes au centre des organisations. n’est pas toujours naturel – à multiplier les
Les origines du slow management sont à occasions de rencontres avec leurs équipes.
rechercher chez les dirigeants et managers Prendre l’escalier plutôt que l’ascenseur,
américains. Parmi ceux-ci, les fondateurs arriver plus tôt pour voir des personnes
de HP, Bill Hewlett et Dave Packard, qui qu’ils ne verraient pas autrement. Aller
ont toujours pratiqué ce que les Anglo- dans les ateliers, entrer dans les bureaux…
Saxons appellent le management by walking La cafétéria, la machine à café, tout autant,
around (MBWA), un type de management sont des moments privilégiés qui doivent
qui exige des managers qu’ils passent du être cultivés.
temps hors de leur bureau pour aller à la «L’ancien CEO de Procter & Gamble, Alan
rencontre de ceux qui font l’entreprise. George Lafley, pour garder le contact avec
« Bill Hewlett et Dave Packard prati- ses employés et pour se donner de l’éner-
quaient cette activité tous les jours. Qui gie, utilisait une technique qu’il appelait
plus est, ils encourageaient leurs managers l’interval training. Cela consistait à tra-
à sortir eux-aussi de leurs bureaux pour vailler très dur pendant deux heures, puis,
créer d’autres contacts que ceux unique- à faire une pause de dix à quinze minutes
ment formels avec leurs équipes. Par ce – pause durant laquelle il sortait de son >>
temps d’écoute et de discussion, ils pou-
vaient diffuser et promouvoir les valeurs > (1) Cet extrait ainsi que les suivants sont tirés de l’ouvrage
de Dominique Steiler, John Sadowsky et Loïck Roche,
de la société. Lorsque HP connaissait des Eloge du bien-être au travail, Presses universitaires de Gre-
moments difficiles, Bill et Dave disaient noble, 2010.
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Dossier
>> bureau pour marcher dans les couloirs du  Les messages explicites
bâtiment. Durant ces courtes pauses – – Soyez rassurant, diffusez des émotions
comme un conducteur s’arrêterait pour positives, dites – ce qui est vrai – que vous
faire un break toutes les deux heures –, il se travaillez à comprendre et donc à résoudre
ressourçait et, surtout, il prenait le temps les problèmes.
de rencontrer et de discuter avec les per- – Mais dites la vérité. « On ne transige pas
sonnes de l’entreprise. » avec la vérité », affirmait déjà Socrate. Un
manager doit être authentique, accorder
Ce que véhicule cette présence. Le seul ses mots à ses sentiments, prendre le
fait de faire du slow dans l’entreprise per- temps de rencontrer ceux qui font avancer
met la diffusion de messages implicites et le navire et leur dire la vérité !
de messages explicites. – Rappelez les grandes étapes passées de
 Les messages implicites l’entreprise. Mettez le présent et les défis à
– Votre présence parmi les hommes et les venir en perspective.
femmes est d’abord une incarnation phy- – Répétez et répétez encore les mêmes mes-
sique, réelle, tangible. Les personnes que sages. Chacun alors peut être certain de les
vous dirigez ont besoin de vous voir. La avoir bien entendus, qui plus est, à leur
seule présence du général auprès de ses source. Et donc, communiquez, communi-
troupes, c’est 50 % des forces armées, 50 % quez encore ! C’est un moyen sûr d’éviter
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du moral du soldat. Votre ou de mettre fin aux contre-


présence physique au centre communications si celles-ci
46 de vos équipes, c’est 50 % du Ceux que vous venaient à se propager.
travail qui est le vôtre. dirigez ont besoin « Le vétéran de la marine
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– Votre présence atteste que


vous prenez vos responsabili-
de vous voir. Votre américaine Michael Abrashoff
[ancien capitaine de la frégate
présence signifie USS Benfold] croit, plus que
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tés, que vous ne vous cachez
pas ou ne vous abritez pas qu’il y a un pilote tout, que les hommes et les
derrière la complexité et ver- dans l’avion. femmes qui appartiennent à
ticalité, tellement confortable, un groupe veulent un leader-
de l’organisation. ship authentique et rassurant.
– Votre présence signifie on ne peut plus “Les hommes et les femmes, explique-t-il,
clairement qu’il y a un pilote dans l’avion. ont besoin de croire en vous comme le
Comme vous le savez, lorsque vous êtes à modèle vivant d’un but très précis que
bord, et tout particulièrement dans les vous leur communiquez chaque jour, à
moments de turbulences, c’est plutôt une votre manière.” »
bonne chose…
« Lorsqu’on a demandé à Indra Nooyi, Prendre du temps avec chacun pour diri-
CEO (PDG) de Pepsi – la femme la plus ger l’ensemble. L’efficacité du slow mana-
puissante du monde selon Fortune en date gement vient du fait qu’il permet de
du 28 septembre 2009 –, ce qui a changé répondre aux deux besoins fondamentaux
dans son quotidien depuis le début de la des personnes qui travaillent au sein d’une
crise, sa réponse a été claire. Pour elle, le organisation : le besoin de sens et le besoin
fait d’être visible est devenu incroyable- de reconnaissance. Or, c’est parce que ces
ment important. “Les employés, a-t-elle éléments manquent cruellement dans trop
expliqué, ont besoin de sentir qu’ils comp- d’entreprises aujourd’hui que les effets
tent pour leur CEO… C’est pour cela que je d’un management qui n’en a alors plus
voyage le plus possible pour visiter le plus que le nom sont si dévastateurs. Je ne dis
grand nombre de sites.” » pas que, si les hommes et les femmes com-
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LE SLOW MANAGEMENT, ANTIDOTE AU STRESS

prennent en quoi leur travail fait sens et, mille bras, qui se lèveraient pour acclamer
dans le même temps, s’ils reçoivent des cet orateur au charisme décidément hors
signes de reconnaissance, ils seront imper- pair. Mais nous sommes là dans le
méables à la souffrance ; ce que je dis, c’est domaine de l’illusion ! Les grands mana-
que, comme l’a écrit Nietzsche, « si l’on est gers, les grands dirigeants d’entreprise ne
clair sur le pourquoi, on fait procèdent jamais comme cela.
bon ménage du comment ». C’est, au contraire, parce que
Ce que je dis, c’est que si vous Il faut apprendre vous vous serez obligé à ren-
êtes capable de donner de la à perdre contrer, à parler, à convaincre
reconnaissance aux hommes le plus de personnes possible,
et aux femmes, alors vous
du temps que le jour J – jour du grand
leur montrez qu’effective- pour ses équipes. raout – vous récolterez les
ment, parce qu’ils sont réelle- Ainsi peut-on fruits mûrs de l’adhésion
ment importants pour vous, les valoriser. patiemment semée en amont
ils sont réellement importants dans le cœur de chacun. C’est
pour l’entreprise. parce que, tout autant, vous
Toutes et tous, nous connaissons ces aurez été capable de récolter les bonnes
mots d’Antoine de Saint-Exupéry dans Le idées, parce que vous vous serez ouvert
Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le aux autres, que ceux-ci auront développé

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cœur. L’essentiel est invisible pour les un sentiment d’appartenance, une capacité
yeux ». Mais qui connaît la suite ? Telle- à s’intégrer dans un dessein et un destin
ment plus importante : « C’est le temps collectifs, et accepteront dès lors de s’ou- 47
que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose vrir à vous et, ce faisant, de vous faire

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si importante. » confiance.
Le slow management, c’est exactement Parce que les hommes acceptent désor-
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cela : c’est ce temps que vous, cadre, diri- mais de s’ouvrir à un but collectif, parce
geant, manager, vous devez apprendre à qu’ils vous reconnaissent la légitimité
perdre pour les personnes de vos équipes. acquise sur le terrain de les diriger, tout
En agissant ainsi, vous les valoriserez, devient possible. Il vous appartient dès
vous les apprivoiserez, vous leur montre- lors de créer et de partager avec eux un
rez – parce que c’est vrai – parce que vous futur désirable. Dans vos contacts au quo-
vous en sentez responsable, qu’elles sont tidien avec les personnes de votre organi-
vraiment les plus importantes pour vous sation, vous ne devez jamais oublier en
et, donc, pour l’organisation. effet – et c’est tout particulièrement vrai en
« Avec les technologies modernes, avec temps de crise – qu’elles ont besoin de
les règles de la globalisation et de la com- rêver. « La lutte elle-même vers les som-
pétition que se livrent les entreprises, la mets suffit à remplir un cœur d’homme »,
ressource qui, aujourd’hui, manque le plus a pu écrire Albert Camus. Y compris dans
dans l’entreprise, celle donc qui a le plus les moments les plus difficiles pour une
de valeur, c’est le temps. Il est important entreprise, pour une organisation.
pour un cadre, un dirigeant, un manager, « Quand Paul Dolan est devenu CEO de
de pouvoir dire : “Je suis là, je suis là pour l’entreprise vinicole Fetzer Winery, la
te parler, je suis là pour t’écouter”.» firme était en crise d’identité, et les résul-
Donner du temps à chacun, c’est aussi tats financiers chaque jour plus inquié-
renoncer au fantasme de toute-puissance tants. Pour sortir l’entreprise de cette très
qui voudrait que, dans l’entreprise, le mauvaise passe, Paul Dolan a dessiné un
génie du dirigeant se mesure à l’applaudi- projet qui alliait croissance durable et res-
mètre. Deux cents bras, mille bras, dix ponsabilité environnementale. Il a pris le >>
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Dossier
>> temps de rencontrer ses équipes, il a lines, que l’on retrouve aujourd’hui encore
écouté ses employés et, ensemble, ils ont chez Yvon Chouinard, fondateur et diri-
créé un futur meilleur. C’est parce qu’il a geant de Patagonia, chez Sylvain Bou-
pratiqué le slow management, parce qu’il a teiller, PDG de Coquant Imprimerie et chef
pris le temps de tracer un nouveau chemin d’orchestre à ses heures, et chez beaucoup
en concertation avec ses employés qu’il a d’autres…) est une partie intégrante du
pu réussir. » slow management. L’idée est celle-ci : si, par
le temps que vous savez consacrer à vos
Résistances. De même qu’il y a des limites équipes, vous réussissez à créer un envi-
– nous les avons soulignées –, il existe des ronnement où chacun va s’investir réelle-
résistances. La première d’entre elles est la ment, alors il n’y a plus besoin de contrôle.
volonté de contrôle : comme la vie serait Tous savent ce qui doit être fait et ils le
belle si les personnes que je font. Tous alors se sentent
dirige pensaient comme moi, investis du devoir d’agir au
leur dirigeant, je pense. Le Si vous créez un mieux des intérêts de l’entre-
slow management, c’est exacte- environnement où prise. »
ment l’inverse. Le slow mana- Autre résistance, le non-res-
gement, c’est cette idée – diffi-
chacun s’investit pect dont peut faire montre le
cile à concevoir au premier réellement, il n’y a cadre, le dirigeant, le mana-
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abord – que le but du mana- plus besoin ger, envers les hommes et les
gement, c’est justement… la de contrôle. femmes avec qui il est amené
48 cessation du management. à travailler. Comme d’ailleurs
« Cette attitude (que l’on parfois – les torts pouvant
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retrouvait chez Herb Kelleher lorsqu’il être aussi du côté des équipes – les non-
présidait aux destinées de Southwest Air- qualités des salariés. Les fausses excuses,
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On dirige des individus
«
A u cours de ces dernières années, on a beau-
coup lu et écrit sur le comment construire
une équipe et sur comment diriger une équipe. Si
commence par la capacité à se concentrer sur le
développement de relations profondes avec cha-
cune des personnes qui composent la division ou
cela est évidemment fondamental, notre travail de l’équipe. […] Pour Michael Abrashoff, le com-
recherche et de consultant avec des équipes et mandant renommé de la marine de guerre, pas-
leurs dirigeants nous a amenés à la conclusion ser du temps avec chaque membre de l’équipage
que le fondement du leadership repose sur la est le facteur décisif pour construire une équipe
relation personnelle du leader avec chacun des qui, parce qu’elle est unie, pourra performer.
membres de l’équipe et non, simplement et “Vous ne pouvez pas ordonner aux personnes
comme on pourrait l’imaginer, avec l’équipe tout d’être capables de cohésion. Vous ne pouvez pas
entière. Les leaders ne dirigent pas des équipes ordonner de grandes performances. Vous devez
en soi ; ils dirigent des individus qui, parce qu’ils créer la culture et le climat qui rendent cette
réussissent à les faire grandir, vont se transfor- cohésion et ces performances possibles. Vous
mer d’individus centrés sur eux-mêmes en indivi- devez construire des liens de confiance. Quand
dus liés les uns aux autres par leurs compétences j’étais sur le Benfold, le seul moyen que j’ai trouvé
et leur loyauté et ainsi, de fait, vont créer des pour réussir a été de parler et de convaincre cha-
équipes. […] Les commandants militaires et les cun des membres de l’équipage, l’un après
entraîneurs sportifs ont, depuis longtemps, com- l’autre.” » I
pris que le meilleur moyen pour diriger une équipe D. Steiler, J. Sadowsky et L. Roche, op. cit.
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LE SLOW MANAGEMENT, ANTIDOTE AU STRESS

Retourner les énergies négatives

T
« oute crise bien comprise peut devenir un for- organisations pour se soigner. […] Comme une
midable ferment sur lequel il va être possible voiture qui monterait un col enneigé, il est beau-
de faire lever de nouvelles énergies. Mieux, y coup plus juste de braquer, de contrebraquer…,
compris si les choses ont été prises par le plus même si cela demande pour le coup un vrai pilo-
mauvais bout. Les salariés de telle ou telle orga- tage. Cela permet de garder de la vitesse indis-
nisation ne sont plus fiers de leur entreprise, c’est pensable pour continuer. Si l’on s’arrête, même
là une force sur laquelle il faut travailler. Si l’on pour faire un point, il n’est pas sûr que l’on puisse
parvient à la retourner, elle peut être un moteur repartir… Cette montée dans un col enneigé,
extrêmement puissant. Vouloir nier cette force, c’est exactement ce qu’a fait Anne Mulcahy,
faire table rase, comme on voudrait réviser l’his- ancienne CEO de Xerox. Par la pratique du slow
toire, ce serait la pire des choses. Il faut retour- management, elle a réussi, sans jamais perdre de
ner cette énergie aujourd’hui très négative en la dynamique de ses équipes, à retourner cette
énergie tout aussi puissante mais positive cette force de pleine dépression et de désespoir – qui,
fois. C’est cela le management. C’est travailler les aux débuts des années 2000, avait envahi les
hommes et les femmes au corps, ce n’est pas équipes de Xerox – en une quête héroïque. » I
vouloir se faire aimer et moins encore utiliser les D. Steiler, J. Sadowsky et L. Roche, op. cit.

Juin 2011
enfin : « Ce n’est pas le moment… avec les ment, c’est travailler autrement. C’est tra-
difficultés que nous traversons… avec la vailler d’abord avec les hommes et les
crise… » Il me semble, au contraire, que femmes. C’est comprendre que leur don- 49
l’on pourrait appliquer à l’organisation les ner du temps, c’est travailler à donner du

L’Expansion Management Review


mots de Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas sens à leur travail. Tout autant, c’est tra-
me rend plus fort. » vailler à leur donner des signes de recon-
© L'Express - Roularta | Téléchargé le 18/12/2020 sur www.cairn.info (IP: 207.241.231.83)

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naissance. Parce que le slow management est
Pour une performance durable l’outil le plus puissant pour travailler au
Le management est mort, les hommes bien-être des personnes, de surcroît,
l’ont tué ! Aveuglés par la recherche de la comme la cause à l’effet, il est un élément
performance à tout crin, les hommes ont déterminant dans la performance durable
jeté l’eau avec le bébé du bain. Comme on des entreprises.
ne montre jamais autant que ce qu’on veut
cacher – c’est bien là un des enseignements – Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est
de la psychanalyse –, ils n’ont eu de cesse très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur.
de répéter : « Les hommes et les femmes L’essentiel est invisible pour les yeux.
sont au cœur des organisations » comme – L’essentiel est invisible pour les yeux,
on crierait : « Les femmes et les enfants répéta le petit prince, afin de se souvenir.
d’abord ». On leur fera crédit de leur hon- – C’est le temps que tu as perdu pour ta rose
nêteté, sans doute y avait-il là des accents qui fait ta rose si importante.
de sincérité. Mais ce qu’ils ont donné à – C’est le temps que j’ai perdu pour ma rose…
voir est édifiant. Il n’est que de regarder fit le petit prince, afin de se souvenir.
autour de nous ; et si ce n’est dans notre – Les hommes ont oublié cette vérité, dit le
propre entreprise, sauf à être sourd et renard. Mais tu ne dois pas l’oublier. Tu deviens
aveugle, il n’est que d’entendre et voir les responsable pour toujours de ce que tu as
récits des personnes de notre entourage. apprivoisé. Tu es responsable de ta rose…
Vouloir faire du slow management, ce – Je suis responsable de ma rose… répéta le
n’est sûrement pas vouloir renoncer à la petit prince, afin de se souvenir.
performance. Bien au contraire. Simple- (A. de Saint-Exupéry, Le Petit Prince.) I

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