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LE MÉTIER DE MANAGER : DE L'EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

Eric Delavallée

L'Express - Roularta | « L'Expansion Management Review »

2010/3 N° 138 | pages 120 à 130


ISSN 1254-3179
DOI 10.3917/emr.138.0120
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-expansion-management-review-2010-3-page-120.htm
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REPÈRES ANALYSE

L’HABIT NE FAIT PLUS LE MOINE : LE FAIT D’ ACCÉDER AU STATUT DE MANAGER NE SUFFIT


PLUS À ÉTABLIR AUTOMATIQUEMENT SA LÉGITIMITÉ, IL RESTE ENCORE À LE DEVENIR.

Le métier de manager :
de l’expérience à la compétence
> Eric Delavallée
orce est de constater qu’un nombre Focus
F croissant de managers exercent leur
fonction seulement en partie, voire
pas du tout. Ils « laissent faire », dit-on cou-
Devenir manager, comme on devient parent,
met en jeu un processus à la fois social,
culturel et psychologique.
ramment ! Ce déficit de management, pré-
La fonction même, qui consiste à transformer
judiciable à la performance des entreprises, du travail en performance, est une pratique
est parfois expliqué par la réduction du ancrée dans un contexte particulier.
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nombre de niveaux hiérarchiques et, en L’expérience est au cœur du processus


conséquence, l’accroissement du « span of d’apprentissage de cette fonction.
control » (nombre de collaborateurs ratta- En faire une compétence requiert une
démarche de développement du manager et
chés à un même manager). Pour des ques- un système de management favorable.
120 tions de performance organisationnelle, de
climat social, et même, dans certains cas,
L’Expansion Management Review

de « harcèlement managérial », un retour


en arrière serait nécessaire. Comme sou- faire. Pour toutes ces raisons, certains ne
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vent, le balancier est sans doute allé trop deviennent jamais les managers qu’ils
loin. Mais l’arbre ne doit pas cacher la auraient pu être.
forêt ! Si l’accroissement du span of control De ce constat, nous tirons l’enseignement
participe bien, au même titre que d’autres suivant, fondamental pour le développe-
évolutions organisationnelles, à complexi- ment du management : la nomination à un
fier les conditions d’exercice du manage- poste de responsabilités managériales ne
ment, il ne peut expliquer, à lui seul, le fait fait plus automatiquement le manager.
que certains managers n’exercent pas suf- Cela serait une des conséquences de la
fisamment leur fonction. crise de l’autorité. Le costume et les galons
Ne jetons pas trop vite non plus la pierre ne font plus, à eux seuls, le manager. Sta-
aux managers. Ils ne jouent pas ou pas tut n’est plus synonyme de légitimité. Cette
complètement leur rôle, moins par manque dernière n’est plus une donnée, mais un
d’appétence et de compétence que par construit, social notamment.
absence de leviers d’action. Parfois, ils ne Hier, après avoir été nommé, il ne restait
disposent pas des moyens de manager. plus au manager qu’à acquérir une poi-
Souvent, ils sont dans des situations telle- gnée de compétences en formation. Il n’en
ment paradoxales que la moins mauvaise va plus de même aujourd’hui. On n’est
des solutions consiste, pour eux, à laisser- plus manager, on le devient ! Il faut ainsi
changer de paire de lunettes pour penser
> Eric Delavallée est directeur de l’Institut de la managé-
le management et appréhender le mana-
rialité® (www.institut-managerialite.com). Il est l’auteur ger. Là où les raisonnements étaient sta-
de plusieurs ouvrages, de nombreux articles et publie
régulièrement sur son blog www.questions-de-manage-
tiques et centrés sur le contenu (les compé-
ment.com tences à posséder), ils doivent dorénavant
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être dynamiques et construits à partir du tiques.


processus de transformation (comment on La deuxième dimension de la managé-
devient un manager). rialité est sociale. Le manager exerce sa
fonction au sein d’un réseau de relations :
La managérialité, un processus N + 1, N – 1, pairs, services fonctionnels…
en trois dimensions On devient manager aussi, et peut-être
Dans la mouvance des travaux de Linda avant tout, dans le regard des autres. Tony
Hill (1), Tony Watson et Pauline Harris (2), et Watson et Pauline Harris citent le cas de
par analogie à la notion de parentalité, Kevin Berry, responsable de secteur dans
nous avons imaginé, il y a quelques années une entreprise d’extraction minière, qui
déjà, le terme « managérialité » pour nom- raconte que, de son point de vue, il est
mer le processus par lequel une personne devenu manager le jour où ses collabora-
devient manager (3). Au moment de la nais- teurs ont arrêté de l’appeler par son pré-
sance d’un premier enfant, soudainement, nom pour lui donner du « Monsieur ». Là
on devient père ou mère. L’enfant aussi, les coutumes
est là, il faut s’en occuper. Mais y varient, mais le titre, seul,
est-on prêt ? Combien de temps
On devient ne fait plus le manager.
manager aussi, Sans un minimum de

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faut-il pour l’être réellement ? Il y a
une différence entre avoir un enfant et peut-être pouvoir personnel, celui
et être parent. C’est la même chose avant tout, que ses collaborateurs lui
en matière de management. On se reconnaissent, le mana-
voit confier des responsabilités dans le regard ger ne peut user du pou- 121
managériales du jour au lendemain. des autres. voir institutionnel, celui

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Mais, à coup sûr, on ne devient pas qui est attaché à sa fonc-
immédiatement manager. Surtout dans le tion, celui que l’institution pour laquelle il
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contexte actuel. œuvre lui a délégué. Ce processus de légi-
On ne devient plus manager par décret, timation passe par l’acceptation, toujours
pour plagier l’expression célèbre de Michel plus ou moins explicite, du manager par
Crozier sur le changement. La managéria- les parties prenantes à l’exercice de sa fonc-
lité est un processus de transformation qui tion. Sans légitimité, point d’autorité. Et
débute avant et qui se poursuit longtemps sans autorité, pas de manager !
après la nomination. Ce processus com- Enfin, la troisième dimension est psycho-
porte trois dimensions. logique. Etre un manager nécessite de pos-
La première est culturelle. Le manage- séder certaines ressources intrapsychiques
ment ne s’exerce jamais dans l’absolu, tou- requises par l’exercice de la fonction. Par
jours au sein d’un contexte fait de plusieurs exemple, pour faire faire, essence du tra-
cultures enchevêtrées les unes aux autres : vail de management, le manager doit chan-
nationale, de métier, d’entreprise… Deve- ger ses habitudes, mais aussi, être au clair
nir manager nécessite d’intérioriser un sys- avec son ego. Il lui faut accepter qu’un de
tème de valeurs et de croyances, et de se ses collaborateurs puisse faire mieux que
conformer à un ensemble de normes de lui, supporter de ne pas être irrempla-
comportement. Cela, le manager l’apprend çable… Il doit renoncer à sa toute-puis- >>
avec le temps, même sans en avoir
conscience. C’est au moment d’un change- > (1) L. A. Hill, Becoming a Manager : How New Managers
ment, d’entreprise en particulier, qu’il Master the Challenges of Leadership, Harvard Business
School Press, 1992.
s’aperçoit que codes et manières d’être dif- > (2) T. Watson et P. Harris, The Emergent Manager, Sage,
1999.
fèrent, et que l’exercice de sa fonction > (3) E. Delavallée, Le Manager idéal n’existe pas !, Les Edi-
nécessite l’apprentissage de nouvelles pra- tions d’organisation, 2005.
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REPÈRES ANALYSE
LE MÉTIER DE MANAGER : DE L’EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

>> sance, passer du stade de l’indépendance d’une personne en situation de responsa-


à celui de l’interdépendance disent les psy- bilités managériales? Comment aider quel-
chologues. Il y a toujours beaucoup de qu’un à devenir un manager à part
fausses bonnes raisons de continuer à faire entière ? Répondre à ses questions néces-
soi-même : « Je le ferai plus vite moi-même; site un rapide détour par la notion de
cela sera mieux fait si c’est moi qui le management elle-même.
prends en charge ; je suis seul à en être
capable ; si je ne le fais pas moi-même, je Le management, une pratique
vais perdre mon pouvoir; la reconnaissance ancrée dans un contexte
va m’échapper; etc. » Un bon manager, dit- Le terme management a probablement la
on couramment, c’est quelqu’un qui n’hé- même racine latine que ménagement, mot
site pas à recruter des personnes meilleures français du XVIe siècle, dérivé de ménager
que lui. Cela exige une confiance en soi suf- qui signifie disposer, régler avec soin et
fisante pour ne pas se sentir menacé par adresse, précise le Petit Robert. Son étymo-
quelqu’un qui possède logie est plus claire que sa signifi-
des compétences qu’on cation actuelle. Il est, en effet,
n’a pas.
L’autorité ne va employé de multiples manières :
pas de soi. Le
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Reste la question de pour qualifier une activité profes-


l’autorité ! Son exercice premier obstacle, sionnelle (les managers font du
ne va pas de soi. Il faut c’est la culpabilité management), un ensemble de per-
en être capable, au sens sonnes (le directeur général ne
122 psychologique du terme, qu’on éprouve à parle-t-il pas de son management?),
ne pas avoir trop de l’exercer. un corpus de connaissances ou
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choses à se reprocher. encore des techniques. Utilisé seul,


Sans quoi, par culpabilité, on l’exerce mal, il est aussi accolé à d’autres : management
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à moitié ou par défaut. Le premier ennemi des compétences, des stocks, du change-
du manager, c’est sa propre culpabilité (4). ment, par projet… voire « enrichi » de
Le syndrome de l’usurpateur le guette tou- divers attributs ou épithètes comme situa-
jours de près ou de loin. Y compris quand tionnel, participatif, transverse, global…
il est au clair avec lui-même, faire la diffé- La liste pourrait être poursuivie sur plu-
rence entre être respecté et être aimé, entre sieurs pages sans épuiser le sujet. Une
construire des relations de coopération et chose est sûre, la profusion témoigne
des relations amicales… n’est pas immé- d’abord et avant tout de la confusion.
diat. Il faut du temps pour admettre qu’un Le terme est tellement galvaudé qu’on
désaccord sur ses idées n’est pas forcément oublie l’essentiel : le management est une
une atteinte, voire une remise en question fonction qui vise à transformer du travail
de son autorité. Le manager doit apprendre en performance (5). Nous en avons tous fait
que ses collaborateurs peuvent avoir l’expérience : si on peut difficilement être
un point de vue différent du sien ; qu’en performant sans travailler, on peut très
l’exprimant, ils cherchent à lui faire part de bien travailler, même beaucoup, sans être
leur opinion, pas forcément à remettre en performant. Les services les plus efficaces
cause son autorité. A l’opposé, il peut ne sont pas forcément ceux où l’on fournit
confondre autorité et autoritarisme. Il le plus d’efforts. Dans d’autres, on s’agite
devient alors un autocrate, quelqu’un qui beaucoup pour un résultat médiocre, des
domine les autres, qui cherche à écraser ses > (4) M. Kets de Vries, «The Danger of Feeling Like a Fake »,
collaborateurs avec les dégâts psycholo- Harvard Business Review, septembre 2005.
giques que l’on connaît. > (5) E. Delavallée et B. Galambaud, « Management et
managers. Vers un changement de doctrine », Etude Entre-
Comment favoriser la managérialité prise & Personnel, 2004.
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prestations dont l’utilité ou la qualité sont mesurer les performances de ses collabo-
insuffisantes au regard de l’énergie dépen- rateurs dans une entreprise globale sur des
sée. Les rapports que les destinataires ne marchés ultra-concurrentiels à coup d’ob-
lisent pas sont légion. Les réunions qui jectifs quantitatifs et d’indicateurs écono-
s’éternisent mais n’aboutissent pas à grand miques, et apprécier le travail des membres
résultat ne sont pas exceptionnelles. Bref, de son équipe dans une petite entreprise
de nombreux rituels professionnels locale où rien n’est formalisé et où tout est
consomment temps et énergie, et servent affaire de relations interpersonnelles ?
seulement à « faire tourner la machine ». Aucune ! Ces deux pratiques relèvent du
Faire faire et performance : deux mots même rôle, mais n’ont rien à voir l’une
clés au cœur de la fonction de manage- avec l’autre. Elles ne mobilisent pas les
ment. Au-delà d’une certaine taille, à par- mêmes compétences et exigent des atti-
tir d’un certain volume d’activité… dans tudes radicalement différentes, voire oppo-
un groupe d’individus, il vaut mieux un sées : la rigueur et l’objectivité dans un cas,
« barreur » qu’un « rameur » supplémen- la souplesse et la subjectivité dans l’autre.
taire pour obtenir la meilleure perfor- Le contexte compte tant qu’une même
mance. Le problème n’est pas propre à personne peut être un très bon manager

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l’entreprise, mais à toute forme dans une situation, et un
d’action collective finalisée. Deux Au-delà d’une très mauvais dans une
amis organisent une fête pour l’an- autre. Les managers mul-
niversaire d’un troisième : l’un s’oc-
certaine taille, ticartes sont une vue de
cupe des plats et de la boisson, il vaut mieux l’esprit. Pour bien mana- 123
l’autre de la salle, des invitations et un barreur ger, précise John Kot-

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de la musique. Pour se coordonner, ter (6), il faut connaître
ils se rencontrent régulièrement.
qu’un rameur intimement un métier,
supplémentaire. une entreprise, une
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Mais que se passe-t-il dans le cas
d’une fête plus importante à l’orga- industrie… autant d’ap-
nisation de laquelle participent non plus prentissages qui nécessitent du temps, par-
deux mais dix amis ? Assez rapidement fois une carrière entière. Ce constat conduit
l’un d’eux se charge de répartir le travail Henry Mintzberg (7), autre auteur prolixe
entre les neuf autres, de le coordonner et sur le travail des managers, à appréhender
de contrôler qu’il est correctement réalisé. le management comme une pratique,
Sinon, il y a un risque non négligeable que ancrée dans un contexte particulier, et
personne ne s’occupe des disques, que les résultant d’une expérience.
convives aient trop à boire et pas assez à
manger. L’expérience au cœur du
Cette fonction, transformer du travail en développement des managers
performance, le manager l’exerce dans un C’est bien parce que le management est
contexte tout à la fois technique (son métier d’abord une pratique, ancrée dans un
d’origine), organisationnel et culturel. Or, contexte particulier, que l’expérience du
les compétences qu’il doit posséder pour manager est la pierre angulaire de son
réaliser son travail dépendent au moins apprentissage. « C’est en forgeant qu’on
autant du contexte que de la fonction de devient forgeron » dit le dicton. C’est aussi
management elle-même. Le manager éva- en manageant qu’on devient manager. On >>
lue les résultats de ses collaborateurs, per-
sonne ne lui contestera ce rôle. Mais, au- > (6) J. P. Kotter, The General Managers, Free Press, 1982.
delà, toute généralité est dangereuse. En > (7) H. Mintzberg, Managers not MBA : A Hard Look at the
Soft Practice of Managing and Management Development,
effet, quelles similitudes y a-t-il entre, Prentice Hall, 2004 ; et Managing, Prentice Hall, 2009.
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REPÈRES ANALYSE
LE MÉTIER DE MANAGER : DE L’EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

>> peut aller en formation, accéder aux « bonnes pratiques » étant censées émer-
« bonnes pratiques » de ses pairs par des ger des échanges entre managers. Pourtant,
démarches de benchmarking, se faire coa- de l’avis même de certains pionniers, les
cher… rien ne remplacera la pratique. résultats sont décevants. Un atelier mana-
Cependant, l’expérience est nécessaire, gement se transforme fréquemment en café
mais pas suffisante. On peut faire du du commerce et débouche souvent, seule-
management, y compris depuis longtemps, ment, sur du GBS (Gros Bon Sens). Même
et ne rien avoir appris du tout, pas même au sein d’un groupe de personnes enthou-
qu’on ferait mieux de faire autre chose. siastes, l’expérience ne se transforme pas
Si l’expérience consti- toute seule en compétence. On n’ap-
tue bien le cœur de l’ap- On n’apprend prend pas forcément plus vite et
prentissage des mana- mieux à nager en se jetant dans la
gers, elle doit néanmoins
pas mieux à nager piscine à plusieurs que seul. Une
être transformée pour en se jetant méthodologie et un dispositif spé-
devenir une compétence. dans une piscine cifiques sont nécessaires.
Suppléer les situations Depuis plusieurs décennies, les
de travail, des lieux d’ap-
à plusieurs pédagogues réfléchissent aux
que seul...
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prentissage nécessaire- moyens d’intégrer l’expérience dans


ment imparfaits, pour les processus d’apprentissage. John
aider les managers à faire de leur expé- Dewey (9) et Kurt Lewin (10) en furent des
rience une compétence : tel est le rôle des précurseurs. David Kolb (11) a élaboré une
124 dispositifs de développement des mana- démarche intégratrice formalisant le pro-
gers ! Il n’y a aujourd’hui plus un disposi- cessus d’apprentissage en quatre étapes :
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tif qui n’intègre pas, à un moment ou à un L’expérience concrète (étape 1) consiste


autre, leur expérience. Mais tous ne se à ce que l’individu entre en contact avec
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valent pas ! un fait, un événement ou une situation.
Les démarches classiques de formation Cette rencontre fait émerger un problème
sont conçues en deux parties : acquisition ou une question à laquelle il souhaite
de connaissances, puis applications pra- répondre.
tiques. L’expérience des managers est L’observation réflexive (étape 2) conduit
seconde, leur situation de travail étant l’individu à envisager cette expérience sous
appréhendée seulement comme un lieu différentes facettes.
d’application des connaissances préalable- Durant la conceptualisation abstraite
ment transmises par le formateur. Les (étape 3), il établit des relations de cause à
démarches dites d’action learning, pensées effet entre les éléments de la situation
par Reginald Revans (8) et popularisées par vécue, puis observée. Il intègre cette nou-
Jack Welch à la General Electric, introdui- velle expérience, soit en l’interprétant à
sent un projet de la vie réelle comme partir de représentations existantes, soit en
espace d’application, mais conservent trop faisant évoluer sa vision du monde.
souvent les séquences des démarches tra- Lors de l’expérimentation active (étape 4),
ditionnelles. Sur la place de l’expérience l’individu utilise les ressources nouvelle-
dans le processus d’apprentissage, contrai- ment acquises pour répondre à la question
rement aux apparences, rien n’a véritable-
> (8) R. W. Revans, The A.B.C of Action Learning, Chartwell-
ment changé. Bratt, 1983.
En revanche, les ateliers management ou > (9) J. Dewey, Experience and Education, Macmillan Com-
pany, 1967.
les communautés de pratique résultent > (10) K. Lewin, Field Theory in Social Sciences, Harper &
d’une autre logique. Ces dispositifs font Row, 1951.
> (11) D. A. Kolb, Experiential Learning : Experience as the
une place plus centrale à l’expérience : les Source of Learning and Development, Prentice Hall, 1984.
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initiale ou résoudre un nouveau problème, des modèles qui leur ont été enseignés
ce qui peut le conduire à relancer chacune (théories professées) qu’au regard de ceux
des étapes du processus à travers un nou- qui les guident au quotidien (théories pra-
vel apprentissage. tiquées), c’est-à-dire leurs modèles d’ac-
Ces quatre étapes se réalisent rarement tion. Pourquoi? Ils sont les principales vic-
entièrement au sein de la situation de tra- times d’un des plus grands mystères du
vail du manager. C’est la raison pour management : on en parle d’une manière,
laquelle une expérience, aussi riche et on le pratique d’une autre.
variée soit-elle, ne suffit souvent pas à faire Qui est responsable de ce décalage entre
un manager compétent. Ce processus ne théorie et pratique ? Les formateurs et
peut pas non plus se dérouler complète- consultants qui, à longueur de journées,
ment en dehors de sa situation de expliquent comment
travail. Ainsi, toute démarche cher- Les formateurs faire ce que souvent ils
chant à favoriser la managérialité, n’ont jamais fait eux-
c’est-à-dire transformer l’expérience enseignent mêmes à des managers
des managers en compétence, doit à longueur de qui, eux, le pratiquent
se situer à la fois au sein et hors de journée ce qu’ils tous les jours. « Quand

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leur situation de travail et doit être on connaît le manage-
composée de deux parties étroite-
n’ont jamais ment, on le pratique ;
ment articulées : le développement fait eux-mêmes. quand on ne le connaît
des managers d’une part, le sys- qu’en partie, on le
tème de management d’autre part. Le sys- conseille ; quand on ne le connaît pas du 125
tème de management doit réunir les condi- tout, on l’enseigne.» Voilà une blague facile

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tions permettant au manager de finaliser sur les formateurs et les consultants, des
les apprentissages initiés lors du ou des cibles vite trouvées. Ils sont responsables,
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programmes de développement à travers mais ne sont pas les seuls. De quoi parlent
l’exercice de sa fonction au quotidien. les managers quand ils échangent entre
eux ? Relativement peu de leurs pratiques,
Les modèles d’action, encore moins de leurs modèles d’action.
moteur de l’apprentissage Plus de ce qu’ils devraient faire que de ce
Un des principaux freins à l’apprentissage qu’ils font réellement. Sur le management,
du manager se situe au niveau de ce que il n’y a souvent pas plus langue de bois
Chris Argyris et Donald Schön (12) appel- que les managers eux-mêmes. Un peu
lent ses modèles d’action, c’est-à-dire les comme si cela était honteux d’avouer
cadres de référence qui guident ses pra- qu’on ne fait pas ce que les manuels recom-
tiques. Ces cadres, issus de son expérience, mandent. Et pourtant, le contenu des
sont constitués des représentations que le ouvrages correspond rarement à la « vraie
manager se fait de la réalité, représenta- vie ».
tions habitées de ses valeurs et croyances. Autre exemple qui illustre ce décalage
Deux grandes catégories de raisons expli- entre théories professées et théories prati-
quent pourquoi les modèles d’action font quées : les descriptions de poste, les réfé-
obstacle à l’apprentissage du manager. rentiels de compétences et les chartes de
La première tient au décalage, substan- valeurs. Arrêtons-nous un court instant sur
tiel dans le domaine du management, entre le contenu du référentiel de management
théorie et pratique. Chris Argyris et Donald d’une grande entreprise de services. On
Schön notent que, interrogés sur leurs pra- peut y lire que le manager écoute et prend >>
tiques, les managers expliquent leurs > (12) C. Argyris et D. Schön, Theory in Practice : Increa-
manières de faire beaucoup plus à partir sing Professional Effectiveness, Jossey-Bass, 1974.
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REPÈRES ANALYSE
LE MÉTIER DE MANAGER : DE L’EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

>> en compte les idées de ses collaborateurs, Par exemple, le manager exerce sa fonc-
forme, fait évoluer, valorise, donne des tion dans une entreprise dont la culture est
signes de reconnaissance, sait s’entourer, peu propice au management. Dans les
établit la confiance, développe l’esprit de bureaucraties dites professionnelles par
solidarité, décline la exemple, lieux d’exercice de la
stratégie, fixe des objec- médecine, de l’enseignement, du
tifs clairs et précis,
Les modèles journalisme… où souvent seule
donne du sens, favorise d’action sont l’expertise technique est valorisée,
la prise d’initiative, fait fréquemment le management est secondaire. On
évoluer l’organisation, n’y manage que par défaut. Le
délègue et développe
pollués par des terme management est même par-
l’autonomie, donne approches trop fois banni du vocabulaire courant,
l’exemple, fait preuve intellectuelles. les managers perçus comme ayant
d’équité, favorise la trahi leurs valeurs d’origine et
créativité, décide, récompense et sanctionne accepté de composer avec le diable. Un
de manière juste et impartiale, accepte les autre cas de figure, corollaire du premier,
désaccords, donne le droit à l’erreur, main- est celui dans lequel le manager n’a aucun
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tient l’enthousiasme… Et la liste continue ! levier d’action à sa disposition (ni carotte,


A partir de quelle représentation du ni bâton ). Il peut en plus être confronté à
manager ces outils sont-ils construits ? une contradiction entre ses objectifs et les
Celle du manager « idéal », qui n’existe que moyens qu’on lui alloue pour les atteindre.
126 dans la mythologie (13). Les modèles d’ac- Le bon vieux principe organisationnel dit
tion du manager, c’est-à-dire les représen- de la parité n’est pas respecté. Par ces
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tations de la réalité qui guident ses pra- temps de crise, de telles situations sont de
tiques, sont polluées par des approches plus en plus nombreuses. Le « faire plus
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« intellectuelles » du management, véhicu- avec moins » a des limites ! Enfin, d’autres
lées par des personnes qui ne l’ont jamais managers ont, dans leur équipe, un ou plu-
pratiqué. Ces représentations sont souvent sieurs membres qui présentent une patho-
contradictoires avec celles issues de la pra- logie psychologique. Contrairement à ce
tique. Non seulement elles ne l’aident pas que vantent certains ouvrages, le manager
à apprendre, mais, plus grave, elles l’indui- n’est pas un psy ! Il ne peut pas gérer seul
sent en erreur, le perturbent, le font culpa- certains collaborateurs qui finissent par être
biliser et finissent par inhiber son action et pathogènes pour toute l’équipe.
son développement : « Je ne suis pas fait Pour toutes ces raisons au moins, le
pour être manager ; me concernant, il y a manager est parfois obligé de composer
eu erreur de casting… » avec une situation de travail peu favorable
La deuxième catégorie de raisons, qui à son développement, voire carrément
expliquent que les modèles d’action soient contre-productive pour son apprentissage.
un des principaux freins à l’apprentissage
managérial, est liée à la situation dans Appropriation, questionnement
laquelle se trouvent certains managers, et confrontation
situation peu propice à l’exercice de la Une démarche de développement doit per-
fonction de management. Pour faire leur mettre au manager de dépasser, voire
travail, ils sont obligés de trouver des stra- déconstruire, les théories professées, d’ac-
tégies de compensation et, ainsi, acquièrent céder à ses modèles d’action, d’en évaluer
de mauvaises habitudes génératrices de la pertinence et, le cas échéant, de les faire
modèles d’action inefficaces.
> (13) Eric Delavallée, op. cit., 2005.
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évoluer. Le manager ne peut pas, ou très nouvelles représentations à ses propres


difficilement, franchir ces étapes indispen- modèles d’action;
sables à son apprentissage dans le cadre de ◗ confrontation de l’expérience. Le mana-
sa situation de travail. D’abord pour des ger enrichit ses modèles d’action et, le cas
raisons matérielles : il n’a pas le temps ; il échéant, imagine des alternatives inspirées
a le « nez dans le guidon ». Mais surtout des pratiques de ses pairs, des complices
parce que, pris dans l’action, il est compli- légitimes à ses yeux.
qué de réfléchir à ses pratiques et quasi- Chacun de ces trois moments a son
impossible d’accéder à ses modèles d’ac- importance, mais le troisième est crucial.
tion. Pour ce faire, il faut prendre Les managers, y compris
du recul. Quand on est pris de la même entreprise,
Toute démarche de développe- vivent des choses simi-
ment des managers doit ainsi être dans l’action, il est laires et différentes en
centrée sur les étapes 2 (observation compliqué de même temps. Ils sont à la
réflexive) et 3 (conceptualisation réfléchir à ses fois dans et hors de leur
abstraite) du processus d’apprentis- réalité managériale res-
sage de David Kolb, étapes que le
pratiques et à ses pective. Cela explique
modèles d’action. pourquoi la confronta-

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manager accomplit difficilement
seul au sein de sa situation de tra- tion d’expériences est
vail. Ces deux étapes peuvent avantageu- extrêmement favorable au changement de
sement être décomposées en trois moments pratiques. Pour reprendre la terminologie
qui doivent structurer toute démarche de de Paul Watzlawick (16) sur le changement 127
développement : d’un côté, et de Chris Argyris et Donald

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◗ appropriation, ou réappropriation, de l’ex- Schön sur l’apprentissage de l’autre, les
périence. A partir d’une observation situations de confrontation d’expériences
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réflexive diachronique, le manager prend sont extrêmement favorables aux change-
conscience des problèmes qu’il doit ments de type 2 (consistant à changer les
résoudre et repère, parmi les solutions qu’il perceptions), résultant d’apprentissages en
a déjà envisagées, celles qui ont fait leurs double boucle, et pas seulement aux chan-
preuves, celles qui ont débouché sur des gements de type 1 (changer la réalité pour
impasses. Cette réflexion porte sur le maintenir le statu quo), issus d’apprentis-
contenu, le processus et les prémisses de sages en simple boucle.
l’expérience (14); La confrontation d’expériences est déter-
◗ questionnement, puis réinterprétation, de minante dans l’apprentissage du manager,
l’expérience. Ce moment est composé de mais pas suffisante. Sa valeur ajoutée
deux parties : (1) des apports théoriques et dépend étroitement de la qualité des deux
méthodologiques, explicatifs et non nor- étapes précédentes, l’appropriation et le
matifs, élaborés à partir de la réalité telle questionnement de l’expérience. Cela >>
qu’elle est et non telle qu’elle devrait être
dans un monde idéal (15), permettent au > (14) J. Mezirow, Transformative Dimensions of Adult Lear-
ning, Jossey-Bass, 1991.
manager de dépasser, voire déconstruire, > (15) Les analyses sur le travail des managers, telle celles
les théories professées, d’accéder à ses de Sune Carlson (Executive Behaviour, Strombergs, Stock-
holm, 1951), Henry Mintzberg (The Nature of Managerial
modèles d’action et d’estimer le besoin de Work, Harper & Row, New York, 1973), Rosemary Stewart
les faire évoluer ; (2) des applications pra- (The Reality of Management, Pan Books, 1979), Len Sayles
(Leadership. What Effective Managers Really Do, 1979) ou
tiques, directement issues de sa situation encore John Kotter (What Effective General Managers
de travail, qui invitent le manager à éprou- Really Do, 1982), sont de précieuses ressources pour conce-
voir de telles grilles de compréhension.
ver ces grilles de compréhension et d’in- > (16) P. Watzlawick, J. Weakland et R. Fisch, Changements :
terprétation pour favoriser l’intégration de paradoxes et psychothérapie, Editions du Seuil, 1975.
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REPÈRES ANALYSE
LE MÉTIER DE MANAGER : DE L’EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

>> explique pourquoi les résultats produits contexte dans lequel il exerce sa fonction,
par des démarches telles que les ateliers ou quelle est sa latitude d’action ? Quelles
les communautés de pratiques, centrées contraintes s’imposent à lui ? Autant de
seulement sur l’échange d’expériences, questions auxquelles il doit apporter des
sont souvent décevants. éléments de réponse pour « grandir ».
Ces trois phases se décomposent en cinq
Du contenu au processus points de passage :
Tout manager a commencé à acquérir cer- ◗ adéquation culture managériale, style de
taines des ressources culturelles, sociales, management ;
cognitives et émotionnelles nécessaires à ◗ logiques organisationnelles, jeu de
l’exercice de sa fonction bien avant sa contraintes et espace de liberté ;
nomination (souvent depuis son plus jeune ◗ travail de management, rôles du mana-
âge) et continuera longtemps après. Recou- ger : paradoxes et contradictions ;
rir à la notion de managérialité pour conce- ◗ pouvoir et motivation comme leviers
voir une démarche de développement, d’action ;
c’est s’intéresser plus au processus d’évo- ◗ changement : processus, démarches et
lution du manager qu’aux connaissances postures.
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et savoir-faire qu’il doit acquérir pour être Ces points de passage constituent les
un manager idéal. Il ne s’agit pas, comme sujets sur lesquels le manager doit mobili-
classiquement, de construire un référentiel ser et/ou faire évoluer ses modèles d’ac-
de compétences, d’identifier des besoins tion pour développer ses compétences.
128 en formation et d’inciter le manager à se Pourquoi ceux-là et pas d’autres ? Ce sont
conformer au modèle prédéfini. Mais plu- les sujets sur lesquels l’écart entre théories
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tôt de l’accompagner tout au long de son professées et théories pratiquées est le plus
parcours de transformation, de l’aider à important, les sujets sur lesquels le dis-
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franchir les étapes lui permettant de deve- cours sur le management correspond le
nir, non pas le Manager moins aux pratiques des managers,
avec un M… mais un
manager à part entière.
Il ne s’agit pas de les sujets sur lesquels il y a le plus
de lieux communs et de contre-véri-
Ce parcours comporte devenir le Manager tés à déconstruire. Un exemple : la
trois phases. La première avec un grand motivation au travail et, plus parti-
concerne l’environne- « M », mais culièrement, la relation entre moti-
ment immédiat du vation et performance.
manager. Ce dernier doit un manager Il y a quelques décennies, la
être capable de décrypter à part entière. notion de motivation était l’apa-
les logiques culturelles et nage d’une poignée de psycho-
organisationnelles au carrefour desquelles logues. Son succès a débouché sur un cer-
il œuvre. Il doit apprendre à en repérer les tain nombre d’applications simplificatrices.
enjeux pour se positionner de manière Le mot motivé est aujourd’hui employé à
judicieuse. La fonction de management tout bout de champ. Il est même utilisé
proprement dite constitue la deuxième pour différencier les personnes entre elles :
phase. Le manager doit pouvoir appréhen- les motivées d’un côté, les non-motivées
der les spécificités du travail de manage- de l’autre. Ce qui ne rend compte que
ment et les particularités de son rôle. Enfin, d’une partie des choses. Etymologique-
la troisième phase est centrée sur ses leviers ment, motivation se rattache à motif : ce
d’action et de changement. Le manager qui pousse à faire quelque chose. Tout le
n’est jamais ni impuissant ni tout puissant. monde est motivé, mais pas par la même
Compte tenu des caractéristiques du chose. La motivation est le « petit moteur »
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que nous avons chacun en nous. Moteur der à interroger poncifs et contre-vérités
que nous n’alimentons pas tous avec le sur la notion de motivation au travail et,
même carburant. Le travail salarié est un sur la relation entre motivation et perfor-
échange socio-économique : des contribu- mance. Seul un questionnement à partir de
tions contre des rétributions à la fois maté- représentations de la réalité conformes à
rielles (salaire, avantages en nature…) et son vécu, et les éventuelles réinterpréta-
immatérielles (intérêt du travail, autono- tions qu’il produira, lui permettront d’accé-
mie, responsabilités…). Ce que chaque der à ses modèles d’action d’en élaborer de
salarié, quel que soit son niveau hiérar- nouveaux. C’est tout le challenge des
chique, obtient en échange de son travail apports théoriques et méthodologiques de
est un « mix ». Tous n’attachent pas la la phase de questionnement de l’expé-
même valeur aux différents types de rétri- rience, apports conçus à partir de la situa-
butions. La nature du poste compte : com- tion managériale telle qu’elle est dans la
merciaux et chercheurs n’ont, en général, réalité quotidienne du manager et non telle
pas les mêmes attentes à l’égard du travail. qu’elle devrait être dans un monde idéal.
Les dispositions psychologiques, sociales,
culturelles des titulaires jouent aussi. Cer- Le système de management, un
complément indispensable

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tains valorisent l’intérêt du travail et la pos-
sibilité de s’y épanouir plus que la rému- Le système de management est le second
nération. Pour d’autres, c’est l’inverse. volet de toute démarche favorisant la
La relation entre motivation et perfor- managérialité. Il doit permettre l’appren-
mance est plus complexe que ce que don- tissage du manager au sein de sa situation 129
nent à croire certains discours. Quelques de travail dans le prolongement des dispo-

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idéologies, anciennes pour certaines, ont sitifs de développement. Centré sur les
largement participé à ancrer dans l’imagi- étapes 1 (expérience concrète) et 4 (expéri-
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naire collectif qu’un salarié motivé est per- mentation active) du processus d’appren-
formant ; qu’un salarié non motivé ne l’est tissage de David Kolb, le système de mana-
pas. Cette proposition ne se vérifie que gement doit garantir au manager un
dans certaines situations. Sur une minimum de cohérence
chaîne de montage, par exemple, la La relation entre entre les principales
performance des opérateurs pro- caractéristiques de sa
vient moins de leur motivation que
motivation et situation de travail et les
de l’organisation du travail. Ils tra- performance est exigences de la transfor-
vaillent sous fortes contraintes, de plus complexe que mation de son expérience
cadence notamment. Les postes en compétence.
sont spécialisés, les tâches simples,
ce qu’on en dit Toute démarche pourra
l’autonomie limitée. Ne pas être dans les manuels. ainsi avantageusement
performant est impossible. Cela débuter par un audit de
reviendrait à se mettre « hors jeu ». Les dif- managérialité permettant d’identifier les
férences individuelles en termes de perfor- facteurs favorables et défavorables à son
mance, quand elles existent, sont très apprentissage managérial. Cinq grandes
faibles. Non parce que les titulaires des catégories de facteurs sont à examiner :
postes sont tous identiques, mais parce que ◗ Culturels : quel est le style de management
leur espace de liberté est tellement réduit dominant dans l’entreprise ? Quelles sont
qu’ils sont contraints de se comporter tous les valeurs, croyances et normes de com-
de la même manière. portement qui lui sont associées ?
Pour permettre au manager de mieux ◗ Organisationnels : quelle est la distribution
appréhender ses leviers d’action, il faut l’ai- des responsabilités au sein de la ligne hié- >>
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REPÈRES ANALYSE
LE MÉTIER DE MANAGER : DE L’EXPÉRIENCE À LA COMPÉTENCE

>> rarchique ? Comment le pouvoir de déci- des référentiels de management ? Si oui,


sion est-il réparti entre les fonctionnels et quelles représentations du manager ces
les opérationnels ? Quelles sont les princi- outils véhiculent-ils ? Quels types de pro-
pales instances managériales? Quel est leur grammes de développement des mana-
rôle ? Leur surface d’action ? gers et de formation au management l’en-
◗ Instrumentaux : quels sont treprise a-t-elle mis en place ?
les outils d’évaluation, de Un audit peut L’audit consiste à apporter
développement, de pilo- des éléments de réponse à
tage… à la disposition des mettre au jour les chacune de ces questions pour
managers ? facteurs favorables les trois grandes catégories de
◗ Informationnels : quelle ou défavorables à managers : top management
place les managers tiennent- (direction), management
ils et quel rôle jouent-ils l’apprentissage intermédiaire et management
dans la diffusion et la circu- managérial. de proximité. Ce n’est qu’au
lation de l’information ? prix d’un minimum de cohé-
Quels sont les principaux modes de reporting? rence entre tous ces facteurs que le
◗ Gestion des ressources humaines : comment manager pourra mobiliser les modèles
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les managers sont-ils recrutés ? évalués ? d’action travaillés lors des programmes
rémunérés ? promus ? Enfin, quelles com- de développement, et achever le cycle de
pétences et attitudes valorise-t-on ? transformation de son expérience en
◗ Développement : existe-t-il des chartes et compétence. ■
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