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PEUT-ON MODÉLISER LA RELATION D'ACCOMPAGNEMENT

ENTREPRENEURIAL ?

Thierry Lévy-Tadjine

Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion »

2011/5 n° 251 | pages 83 à 90


ISSN 1160-7742
ISBN 9782916490304
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 251 – Ressources humaines 83

Peut-on modéliser la relation

Formation et culture de « responsabilités » – II


d’accompagnement entrepreneurial ?*
par Thierry Levy-Tadjine

S
i l’appui et l’accompagnement à la création ou reprise
d’entreprise visent à permettre le montage de projets
entrepreneuriaux pérennes, la prise en compte de la
personnalité de l’entrepreneur potentiel est évidemment essen-
tielle. Pour Catherine Leger-Jarniou (2008, p. 74) dans l’accompa-
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gnement, « il s’agit, en effet, d’un processus qui consiste à faire
passer une personne d’un état à un autre, voire à l’influencer
pour qu’elle prenne ses décisions ». Dans cette perspective,
considérer isolément la personnalité de l’entrepreneur en herbe
sans mesurer comment elle interfère avec celle de l’accompa-
Thierry LEVY-TADJINE gnateur, n’a aucun intérêt. À notre connaissance, peu de travaux
Professeur HDR offrent une modélisation de ce qui se joue alors entre les deux
interlocuteurs dans la relation d’accompagnement. Tel est l’objet
Université St Joseph et ISAE-CNAM de cette contribution, basée autant sur la réflexion académique
Beyrouth (Liban) que sur l’expérience de terrain de l’auteur. Sylvie Sammut
Membre du Laboratoire ICI (2003) qui offre l’une des rares tentatives d’explication de la
Université de Bretagne Occidentale relation d’accompagnement, définit cette dernière comme une
relation symbiotique entre le chargé de mission de la structure
d’appui et le porteur de projet. Une telle représentation occulte
l’intervention d’acteurs extérieurs à la relation, qu’il s’agisse des
prescripteurs de l’accompagnement ou de proches de l’entre-
preneur. Cette approche altère la symbiose présupposée et,
finalement, donne au processus d’aide à l’entrepreneuriat, une
vision idéalisée qui n’explique pas les échecs d’accompagnement
alors que ceux-ci sont au cœur des réalités du terrain. Au sein
du réseau des Boutiques de Gestion, on estime qu’à l’issue de
la première rencontre, destinée à présenter au porteur de projet
la méthodologie d’accompagnement tout en prenant le temps
d’écouter le porteur de projet, notamment pour identifier ses
motivations et les faits déclencheurs de son projet et établir un

* Même si l’auteur reste seul responsable des propositions de ce texte, celles-


ci doivent beaucoup aux échanges et au partage d’expériences qu’il a pu entre-
tenir avec le professeur Robert Paturel et avec Louis-Michel Barnier, Délégué-
General d’ALEXIS-Lorraine. Que tous deux en soient remerciés.

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premier bilan Forces/Faiblesses pour lui prodiguer de premiers autour de l’entrepreneur et de son projet. Le modèle des 3 P se
conseils, une personne accueillie sur deux ne donne pas suite. fonde sur un triptyque porteur (du projet ou entrepreneur poten-
De plus, parmi ceux qui s’engagent, un sur deux abandonne tiel, soit P 1), portants (experts ou partenaires qui valideront,
en cours de processus. Les chiffres varient toutefois suivant infléchiront le projet, soit P 2) et portés (synthétisant le projet
les établissements et les époques, la crise socio-économique lui-même et les partenaires qui en sont tributaires, sans avoir la
Formation et culture de « responsabilités » – II

actuelle semblant inciter les candidats-créateurs sollicitant une possibilité d’en influencer directement la réalisation immédiate,
aide à davantage d’implication. Ainsi sur A.L.E.X.I.S.1, structure soit P 3). Dans le cas « FAK », l’interférence de la sœur de la
généraliste d’accompagnement entrepreneurial, en 2008, on créatrice, « portée » du projet, a profondément modifié la relation
observe que 9 créateurs sur 10 s’inscrivent dans un processus Accompagnateur-Porteur puisqu’il est apparu ex post que redonner
d’accompagnement après le premier accueil. Parmi ceux-ci, des droits au chômage à cette dernière en la salariant, constituait
23 % vont jusqu’à la création reprise de leur affaire et 41 % l’un des motifs essentiels et inavouables à l’accompagnant du
abandonnent l’accompagnement2. L’examen révèle que, bien projet entrepreneurial. De ce fait, après quelques entrevues
souvent, dans les cas d’abandon en cours de route, il y a tension « très productives », de l’avis des deux protagonistes, la créatrice
entre la représentation que le porteur de projet se fait du travail cessa brutalement le processus d’accompagnement pour créer,
d’accompagnement et ce qui lui est proposé. La nature de la contre l’avis de son conseiller, dans une Zone Franche Urbaine.
prescription est, parfois, à l’origine de cette tension. De ce fait, En plus des portés, d’autres acteurs sont également susceptibles
pour rendre compte de la relation d’accompagnement entrepre- de modifier la relation d’accompagnement. Il s’agit, en l’occur-
neurial en laissant place au jeu de l’altérité, nous proposerons, rence, des prescripteurs qui, dans certains cas, attendent de
dans ce travail, de recourir à la superposition de trois modèles la structure d’accompagnement du remplissage de dossier à la
qui structureront notre propos. Dans une première partie, nous place du porteur et, dans d’autres, donnent à cette entité un
insisterons sur le fait que la relation entre l’accompagnant et rôle décisionnaire dans la conclusion sur la viabilité du projet et,
le porteur de projet est altérée par des acteurs externes, en donc, dans l’attribution ou non d’aides ou de subventions. Ce
recommandant la généralisation du « modèle des 3P » proposé dernier cas de figure est notamment visible avec l’AGEFIPH4 qui,
par Thierry Levy-Tadjine et Robert Paturel (2006). Même en en orientant un entrepreneur potentiel susceptible de bénéficier
faisant abstraction des ingérences, la relation d’accompagne- de ses dispositifs d’aide vers un organisme d’accompagnement
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ment est plus complexe qu’il n’y paraît en vertu des histoires qu’elle a agréé, demande à celui-ci un avis sur le projet. Du fait
et des aspirations personnelles de ses deux interlocuteurs de l’agrément, le point de vue circonstancié est généralement
majeurs. La modélisation de scenarios d’interaction cognitive suivi pour la prise de la décision d’octroi de la subvention. La
entre l’accompagnant et l’entrepreneur potentiel sera l’objet de relation « Porteur-Portant-Porté » qui constitue le cœur de la
la deuxième partie. Enfin, pour prolonger la perspective, nous relation d’accompagnement doit donc intégrer une influence
montrerons que ces différentes situations s’inscrivent dans une déformante extérieure (Figure 1).
dynamique d’apprentissage du porteur de projet supportant une
triple dimension (psychologique, cognitive et sociopolitique) que
pourrait formaliser « un modèle des 3 A ».

1. La relation d’accompagnement
et l’ingérence des acteurs
gravitationnels
S’appuyant sur l’analyse d’un cas traumatisant pour l’accom- Figure 1 : L’altération du triptyque Porteur(s)-Portant(s)-Porté(s).
pagnant d’une Boutique de Gestion, le cas « FAK »3, Thierry
Levy-Tadjine et Robert Paturel (2006) proposent de recourir au Plus précisément, comme c’est le cas pour l’AGEFIPH, les
modèle des 3P pour souligner que l’accompagnement ne peut être prescripteurs (que l’on pourrait désigner par P 4 pour prolonger
appréhendé indépendamment des autres acteurs qui gravitent la terminologie du modele des « 3 P ») affecte la relation entre
le porteur et le portant en induisant certaines attentes plus ou
1. Créé en 1982 pour accompagner les restructurations industrielles de la moins justes chez le premier et en contribuant à donner un modèle
région, l’Atelier Lorrain pour l’Expérimentation et l’Innovation Sociale, est
implanté sur tous les départements de la région lorraine et s’assimile de fait, d’accompagnement au second. En effet, le chargé de mission doit
par sa philosophie et par son champ d’intervention, à une Boutique de Gestion. souvent superposer la méthodologie d’accompagnement de son
2. Les 36 % restant sont considérés comme toujours actifs dans l’étude de leur
projet sur l’année civile considérée. Il est à noter aussi que certains abandons
organisme et celle que sous-tend la prescription dont il prend le
sont motivés par le fait de retrouver un emploi. Ce cas concernait en 2008, relais. Ainsi, en France, lorsque le créateur potentiel inscrit son
48 personnes sur les 617 ayant abandonné le processus d’accompagnement.
3. Ce cas était d’ailleurs mis en discussion plus détaillée dans cette revue par
Thierry Levy-Tadjine (2007, page 42). 4. Agence de Gestion du Fonds pour l’Insertion Professionnelle des Handicapés.

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projet dans une logique de contournement du chômage et qu’il 2. L a confrontation des économies
est envoyé par le Pôle Emploi, la démarche du premier accueil
et le début de l’accompagnement doivent répondre au cahier
de la grandeur dans la relation
des charges de l’EPCRE (Evaluation Préalable à la Création ou d’accompagnement
Reprise d’Entreprise). Le respect de cette convention engage

Réflexions sur le « pouvoir » – I


l’accompagnant à concevoir une progression des entretiens Une telle perspective a déjà été proposée par Patrick Gianfaldoni
de suivi du projet sur dix heures (soit six entretiens sur 3 à 4 et alii (2001) pour caractériser la diversité des postures des
semaines) alors que dans certains cas, il aurait d’ordinaire, chargés de mission accompagnant des porteurs de projet
envisagé une réorientation plus précoce de son interlocuteur. entrepreneuriaux. Pour ces auteurs, les accompagnateurs ont
De ce fait, l’influence du prescripteur est pertinente dans la à résoudre un travail d’accommodation entre la convention
mesure où elle affecte le processus d’intercommunication qui civique, qui motiverait leur engagement au service d’autrui (une
caractérise la relation d’accompagnement. Globalement, la approche centrée sur l’individu et la personne et, donc, a priori,
relation entre l’accompagnateur et le porteur du projet, interlo- très ouverte sur l’interculturel), et la convention industrielle/
cuteur inévitable et exclusif de celui qui apporte son aide, peut marchande à laquelle leur action en faveur de la création d’entre-
ne pas être facile et positive en raison : prise obéit (approche davantage centrée sur le projet et sur
– de l’incompréhension possible entre les deux personnes ; son évaluation économique). Ces deux profils ont fait l’objet de
– de l’impossibilité pour l’accompagnant d’alerter l’accompagné, validations empiriques auprès des chargés d’accompagnement
campé sur ses idées et imperméable à toute remise en cause, d’A.L.E.X.I.S. (cf. Levy-Tadjine, 2004). Ces accompagnements
sur l’incohérence prouvée du projet (certains diraient « hors ont permis, toutefois, de souligner que, comme le suggèrent
zone de cohérence » du modèle des 3 E) ; Luc Boltanski et Laurent Thevenot (op. cit.), des compromis sont
– du refus pur et simple de l’accompagné de suivre les remarques possibles. Plusieurs chargés de mission adoptent, en effet, un
de l’accompagnant. positionnement « dialectique » entre les deux modèles décrits.
Ces diverses situations proviennent souvent d’écarts culturels La grammaire des Économies de la Grandeur permettrait paral-
entre les deux acteurs, accompagnant et accompagné, dûs à lèlement de distinguer les entrepreneurs motivés par l’éthos
des origines différentes en matière de formation, milieu social, du profit (« convention marchande et industrielle ») de ceux
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profession et nationalité. Il est pourtant important de pouvoir en stimulés par un but altruiste, plus en relation avec une convention
rendre compte. Pour y parvenir, il semble naturel de repérer les « civique ». Comme le proposent Thierry Levy-Tadjine et Robert
économies de la grandeur des deux protagonistes et d’identifier Paturel (2006), l’instrumentalisation d’une telle typologie repose
dans quelles configurations, elles sont susceptibles d’entrer en sur l’identification des motivations du porteur de projet et en se
tension. L’ancrage de notre modélisation de la relation d’accom- projetant sur la manière dont il compte évaluer la performance
pagnement, sur les travaux de Luc Boltanski et Laurent Thevenot de son affaire. On peut alors mobiliser le modèle opérationnel
(1987, 1991), se justifie d’autant plus que leur grammaire vise de performance structurant des 3 F qui distingue trois groupes
à décrire la coordination interindividuelle en fondant celle-ci sur de critères de mesure de la performance, à savoir l’efficacité
la justification, par chacun, de sa propre action à l’aune d’un (F 1), l’efficience (F 2) et l’effectivité (F 3). Plus précisément :
principe supérieur commun. Les auteurs identifiaient six principes – F 1 est à approcher par comparaison des objectifs avec les
supérieurs communs constituant, selon Nicolas Postel (1998, réalisations sur la base d’indicateurs précis reprenant la
p. 1480), « six conceptions du juste faisant l’objet d’un consensus définition des objectifs de l’entrepreneur, fonction de la vision
dans la société occidentale actuelle » : stratégique et opérationnelle qu’il a de son organisation ;
les cités « marchande »5, « industrielle »6, « domestique »7, « civique »8, – F 2 se rapporte à la façon dont les ressources et compétences
« du renom »9 et « inspirée »10. sont utilisées pour parvenir à telle ou telle production (biens
ou services) de l’entreprise. Il est clair que les critères à
suivre concernent la façon dont l’entreprise consomme ses
moyens de production par rapport aux normes existantes ou
prévisibles qui permettront de rester compétitif dans l’activité
et le segment de marché ciblés ;
– F 3, enfin, se focalise sur le niveau de satisfaction des parties
prenantes de l’entreprise. Les critères pertinents en la matière
touchent aussi bien les parties prenantes internes (satisfaction
du personnel au travail avec suivi de l’évolution des conditions
5. Les actions sont légitimées sur la base de principes marchands. de travail, de rémunération, etc.) que celles externes (satisfac-
6. Les actions sont évaluées et légitimées à partir de standards attendus.
7. C’est la tradition ou la réputation qui servent à guider les comportements.
tion des clients, des fournisseurs, etc.).
8. L’action est évaluée par rapport au bien commun. Or, l’observation et l’accompagnement d’entrepreneurs révèlent
9. L’action serait estimée à partir de l’opinion. que certains individus et groupes d’entrepreneurs (femmes,
10. Dans la « cité de Dieu », l’action est fondée sur la grâce ou sur l’inspiration
divine. immigrés, africains, sportifs, etc.) ont une propension plus

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grande que d’autres à privilégier la recherche de l’effectivité le cas 3, au contraire, l’accompagnant exerce sa fonction en
plutôt que l’atteinte de l’efficience ou de l’efficacité. Étudiant rappelant l’entrepreneur à la réalité économique. Dans certains
des femmes réunies dans un projet d’accompagnement et de cas, ce dernier peut considérer son conseiller comme « un casseur
financement collectif, Anne Mione (2006) montre ainsi, au terme de rêve ». Il est à noter que ce cas se rencontre également dans
d’une enquête ethnographique de plusieurs mois, que l’efficacité la phase de démarrage, notamment lorsque le dirigeant de TPE
Formation et culture de « responsabilités » – II

et l’efficience du dispositif étaient très faibles, mais que les sollicite un conseil. Cette extension attesterait de la possibilité
participantes survalorisaient l’effectivité et l’affectivité liées au de généralisation de l’emploi de cet outil.
projet11. C’est, cependant, sur ce point que la responsabilité de Ainsi, lorsque A.K., qui dirigeait depuis le Liban une entreprise
l’animateur ou de l’accompagnant se trouve également engagée. familiale intervenant comme transitaire puis dans le négoce en
Il importe donc de le situer face à celui qu’il accompagne. Tel Afrique, se rendit compte, après six ans d’exercice, qu’avec le
est l’objet du modèle esquissé au moyen de la Figure 2. Ainsi, développement de ses affaires il lui manquait des outils pour
il insiste sur la non immédiateté du compromis interindividuel contrôler la performance respective de ses managers et des diffé-
dans la relation d’accompagnement et autorise l’appréhension rentes sociétés qu’il dirigeait, il fit appel à un cabinet d’audit et
de configurations de tension, sur lesquelles il est possible d’agir de conseil en management. Il mit pourtant rapidement un terme
avec les acteurs. à l’intervention qu’il avait commandée car les recommandations
Les configurations 1 et 4 correspondent à des symbioses entre des consultants entraient en conflit avec son mode de gestion,
l’accompagnateur et le porteur de projet qui partagent une même centré sur la famille et marqué par une grande générosité. La
vision du monde, ce qui ne garantit pas pour autant le succès logique marchande-industrielle des intervenants entrait ouver-
de l’accompagnement. Dans le cas 4, en particulier, l’empathie tement en tension avec son orientation civique et domestique.
de l’accompagnateur risque de lui faire omettre d’alerter l’entre- Il résolut finalement le problème, après avoir rompu le contrat
preneur potentiel sur les contraintes économiques. Nous avons avec le cabinet de conseil, en chargeant un membre de sa famille
assisté à un de ces cas de figure dans lequel un individu, un peu et un ami proche, de la mise en place d’outils informatiques
idéaliste mais très ingénieux et altruiste, a, pendant un temps, de suivi des performances et de la direction administrative et
convaincu l’accompagnateur par son enthousiasme partagé financière de son groupe.
sur son projet d’écotourisme, alors que le marché était limité.
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Les situations 2 et 3 sont, cependant, les plus intéressantes Avec cet espace de configurations, cet outil générique décrit la
dans le cadre de la présente discussion puisqu’elles mettent en relation d’accompagnement de l’entrepreneuriat tout en restituant
scène des tensions avérées entre les logiques des deux acteurs. la diversité des parcours des porteurs de projet. Il suggère, surtout,
L’issue de celles-ci dépend du potentiel d’accommodation des comme le suggèrent Gaëlle Dechamp et al. (2005), que l’issue
deux interlocuteurs. Du point de vue du professionnel de la et la performance de la relation d’accompagnement dépendent
création, quelques travaux antérieurs conduits sur le public d’un double processus d’appropriation de la démarche proposée
immigré laissent à penser que la troisième situation est la plus par le porteur de projet d’une part, et du projet du porteur par
critique (cf. Th. Levy-Tadjine, 2004). L’orientation industrielle et le chargé de mission d’autre part. L’accompagnement apparaît
marchande du porteur de projet dans le cas 2, lui permettra, en comme un scénario ouvert d’interactions cognitives dont le
effet, de garder le cap de son projet en se laissant simplement contenu ne se réduit pas à sa dimension technique. Comme tous
questionner et interpeller sur ses aspirations profondes, par un les dispositifs de gestion, l’accompagnement entrepreneurial
accompagnant dont il mobilisera peu l’expertise technique. Dans véhicule une dimension sociopolitique, cognitive et psycholo-
gique. Cette reconnaissance justifie l’existence de structures
11. Ces observations prolongent celles d’Isabelle Huault (2004) soulignant
spécialisées sur certains publics. Ainsi en est-il :
que l’individu qui s’engage en accompagnement (ou, plus généralement, dans de l’Institut de Recherche-Formation-Education et Développement
un réseau quelconque), n’y recherche pas seulement des ressources dont, à Paris et du Collectif des Femmes de Louvain, focalisés sur
notamment, de l’information, mais aussi un sentiment d’appartenance et une
reconnaissance sociale. l’accueil de femmes immigrées ;

Figure 2. Un modèle configurationnel de la relation d’accompagnement.


Attitude du Chargé de Mission
Convention Marchande-Industrielle Convention Civique-Domestique
(Chargé de Mission Technicien) (Chargé de Mission plus « social »)
Positionnement Convention Marchande-Industrielle ; 1 2
du Porteur de projet Ethos du profit ; Symbiose centrée sur l’économique Tension mineure
Logique de l’Efficacité et de l’Efficience
(F1, F2)
Convention Civique-Domestique ; 3 4
Ethos altruiste ; Forte prégnance de la Tension critique Symbiose idéaliste
logique de l’Effectivité (F3 + F1, F2)

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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 251 – Ressources humaines 87

du GRDR (Groupement de Recherche et de Développement Rural) d’accompagnement, si les protagonistes parviennent à sortir des
à Paris, qui s’intéresse aux migrants d’Afrique Centrale ayant un zones de tension critique.
projet de retour au pays ;
de la fondation 3CI, experte dans l’accompagnement de porteurs
en difficulté sociale. 3. L’accompagnement,

Formation et culture de « responsabilités » – II


A l’opposé de ces institutions aux cibles précises, des dispositifs un espace d’apprentissage
d’accompagnement généralistes comme les Boutiques de Gestion,
se veulent aptes à accueillir et à accompagner tout porteur de et de socialisation :
projet sans distinction, cette orientation n’excluant pas leur vers un modèle des « 3 A »
adaptabilité, sous réserve de la vigilance de l’accompagnant. On
peut, en effet, relire la première orientation politique comme un L’accompagnement joue, en effet, un rôle facilitateur pour la
pari pour faciliter le processus de double appropriation préalable- bonne intégration socioéconomique (et notamment bancaire) des
ment décrit, en cherchant à réduire les distances culturelles entre porteurs de projet13. Lorsqu’on les interroge, les bénéficiaires de
porteur de projet et accompagnant. Il n’est pas anodin de relever ces appuis soulignent l’empathie de l’accompagnant et le rôle de
que les structures privilégiant un accompagnement générique et « sociabilisation » du dispositif. Ces mises en exergue rejoignent
individualisé mettent en place des actions institutionnalisées ou les prescriptions de Annabelle Jaouen, Stéphanie Loup et Sylvie
des formations et des sensibilisations pour les accompagnants Sammut (2005) qui encourageaient le candidat-créateur ou
qui leur permettent d’adapter leur dispositif d’accompagnement repreneur à appartenir à un cercle de créateurs ou repreneurs
en lissant les différences de perception subjective des chargés ou à un club d’entrepreneurs ou encore à être parrainé par un
de mission face à tel ou tel public. Dans les termes de notre dirigeant d’entreprise, ceci concourant à la mise en place de sa
modélisation, la réduction du risque d’occurrence d’une confi- stratégie de réseautage et à son apprentissage.
guration de tension est recherchée. Ces résultats ne sont pas sans conséquences. Alors que l’on
La pratique d’A.L.E.X.I.S. est, à ce titre, révélatrice. Face à discute souvent des compétences de l’accompagnant, les
des discriminations constatées en matière d’entrepreneuriat lignes précédentes suggèrent qu’au corpus de compétences
féminin, A.L.E.X.I.S. a conceptualisé un dispositif volontariste techniques et standardisées aisées à répertorier, il convient
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en faveur des porteuses de projet. En complément de l’appui d’adjoindre l’exercice d’une vigilance active et empathique. Si
individuel et global, le Cercle des créatrices organise et met en certains aspects caractérisant cette compétence singulière au
œuvre des temps collectifs entre femmes. Ces derniers sont métier de l’accompagnement font l’objet d’apprentissages par
apparus comme déterminants pour asseoir la nécessaire mise en le biais de formations (sensibilisation à l’interculturel…) ou de
confiance des créatrices qui doivent s’imposer dans leur projet, mises en place de routines (proposition systématique d’un accès
dans l’environnement, mais aussi et souvent dans la sphère internet au porteur de projet par exemple), d’autres s’appuient
familiale. Les résultats de ces dispositifs d’abord développés sur la perception subjective de l’accompagnant et reposent sur
dans le bassin minier mosellan à faible taux d’activité féminin son expérience. Comme dans le cas du Cercle des créatrices,
puis généralisés sur Metz et Thionville et plus récemment à St le seul moyen de dépasser cette subjectivité est de faire de
Dié-des-Vosges, sont encourageants. Le Cercle des créatrices l’accompagnement, des « communautés de pratique ». Jean
a bancarisé en moyenne 6 projets portés par des femmes sur Lave et Etienne Wenger (1991) définissent ces entités comme
1012 et encouragé, pour les entrepreneuses potentielles, l’adhé- des groupes de personnes, engagées dans la même pratique,
sion à un dispositif d’accompagnement, tout en améliorant, communiquant régulièrement entre eux sur leurs activités (cf. la
par rapport à d’autres structures, leur taux de concrétisation. recension de Patrick Cohendet et alii, 2003).
Enfin, le dispositif a corrigé substantiellement une discrimina- Sur ces bases, nous proposons de transposer les observations
tion en matière de création liée à l’âge. Les femmes du Cercle de Marc Bollecker et Laurence Durat (2006) sur l’apprentissage
des créatrices, âgées de moins de 26 ans et de plus de 50 décisionnel de dirigeants d’entreprise et, ainsi, d’identifier trois
ans, créent plus que les femmes, quel que soit leur âge, de la dimensions qui permettent l’apprentissage dans les structures
région Lorraine. Ces moyens expérimentaux, mis en œuvre avec d’accompagnement. Les espaces d’empathie (A1), les lieux de
l’appui de la Délégation Régionale aux Droits des Femmes et à
l’Egalité, complètent efficacement, sans le remettre en cause,
13. L’équipe d’A.L.E.X.I.S. est également en pointe dans l’accompagnement de
le mécanisme générique d’accompagnement individualisé de la publics issus de l’immigration qui représentent 25 % des porteurs accompa-
structure. Ils soulignent aussi l’enjeu multi-niveau du processus gnés. Les constats effectués sur ce public (cf. ALEXIS, 2006) rejoignent ceux
rapportés plus haut à propos des femmes créatrices. L’intérêt essentiel des
publics issus de l’immigration, au sein d’une structure non dédiée, réside dans
le processus d’intégration et d’égalité des chances que la relation d’accom-
12. Ce ratio est identique au taux de bancarisation des hommes accompagnés pagnement génère. Plusieurs des créateurs issus de l’immigration interviewés
par A.L.E.X.I.S., ce qui prouve la performance du dispositif dans la lutte contre soulignent, en effet, que l’accompagnement leur a permis d’obtenir un finan-
les discriminations liées au genre, d’autant que la bancarisation des porteurs cement bancaire. Comme pour les femmes, on a pu constater que les projets
accompagnés excède très nettement le taux de bancarisation moyen calculé portés par des immigrés, accompagnés par A.L.E.X.I.S., étaient bancarisés
sur la base des enquêtes SINE pour l’ensemble des entrepreneurs, accompa- dans une même proportion que les projets portés par des personnes non
gnés ou non, qui n’est que de 22 %. issues de l’immigration

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mémoire organisationnelle (A2) et la communauté de pratique tive15. Si l’accompagnant et le porteur de projet y parviennent, ce
(A3) seront retenues comme les dimensions facilitant l’appren- qui suppose qu’ils entrent en symbiose et surmontent les zones
tissage. Comme l’illustre le tableau 1, ces trois objectifs de critiques (2 et 3) du modèle proposé plus haut, ils construiront
l’accompagnement renvoient à la triple dimension des objets de ensemble, autour du projet entrepreneurial et du plan d’affaires
gestion (psychologique, cognitive14 et sociopolitique) et du plan du second, des significations partagées qui « correspondent
Formation et culture de « responsabilités » – II

d’affaires en particulier, telle que la décrit François-Xavier de (au sens de Vincent Descombes, 1996) à un consensus, à une
Vaujany (2005). La réalisation et la validation du plan d’affaires convergence du jugement entre deux individus indépendants… »
offrent une matérialisation et une objectivation du processus (Christian Bessy, 2006, p. 168).
d’accompagnement. Si, pour le construire, le porteur de projet Il y a lieu de noter que la confrontation des verbatim associés
bénéficie de l’expertise de l’accompagnant sur des projets aux perspectives cognitive et politique prouve la proximité entre
similaires (A2), les échanges avec d’autres apprentis créateurs les deux dimensions. Pour un dirigeant éprouvé, la perspective
(A3) lui permettent aussi de s’exercer au jeu de la conviction. cognitive renvoie à sa capacité d’interroger ses pratiques et les
Ce dernier constitue, pour Pierre-Yves Gomez (1996) comme solutions qu’il a mises en en place dans des situations antérieures.
pour Luc Marco et Emile-Michel Hernandez (2002), l’une des Dans le cas d’un entrepreneur néophyte accompagné, ce sont
principales compétences attendues de l’entrepreneur qui fera, l’accompagnant et sa structure qui incarnent la mémoire d’autres
par la suite, adhérer d’autres acteurs à sa convention d’effort. contextes analogues (avec par exemple, des points de compa-
Si l’accompagnement revêt, à l’évidence, une dimension cogni- raison pour des études de marché ou pour le montage financier
tive et sociopolitique pour le porteur de projet, il est aussi un sur des projets proches de celui qu’il conseille). La perspective
espace consacré à la légitimation et à la rationalisation du projet politique renvoie davantage à la création de communautés de
entrepreneurial (A1). pratique. En d’autres termes, si dans A2, l’entrepreneur interpelle
Comme l’a souligné Christian Bruyat (1993), la prise en considé- sa mémoire ou celle de l’accompagnant pour y détecter des
ration, par l’accompagnant, de l’intensité du changement induit équivalences objectivées, en A3, il se réfère aux équivalences
par le choix de l’aventure entrepreneuriale, est primordiale. Dans éprouvées par d’autres subjectivités. C’est donc à la lumière de
certains cas, l’accompagnant doit d’ailleurs souligner l’importance la production de représentation commune qu’il serait possible
de ce changement et ses implications pour alerter et questionner d’évaluer la performance de l’accompagnement, comme le
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celui qu’il conseille, voire pour le dissuader de se lancer en soulignent également Christophe Schmitt et alii (2008). Une
affaires. Cette attention vouée au porteur de projet autant qu’aux telle modélisation du processus d’accompagnement place la
aspects techniques et financiers de l’entrepreneuriat, oblige représentation au cœur de l’analyse et invite au renouvellement
l’accompagnant à adopter une attitude empathique, c’est-à- des approches du phénomène (cf. Louis-Jacques Filion, 2008).
dire, en suivant Jean Decety (2001), « à épouser la perspective Schématiquement, comme nous le proposons sur la Figure 3,
subjective » et le cadre de référence interne de l’accompagné, notre analyse autorise l’élaboration d’une typologie renouvelée
sans pour autant se laisser emporter par une dimension affec- des stratégies d’accompagnement.

14. La perspective cognitive de l’accompagnement est très bien analysée par


Sylvie Sammut (2003) qui mobilise les travaux d’Ikujiro Nonaka pour décrire
le rôle du conseiller vis-à-vis du porteur de projet. Dans cette perspective,
enrichissant le savoir du créateur potentiel par sa mémoire entrepreneuriale, 15. L’introduction d’une proximité affective relève, en effet, de la sympathie
l’accompagnant facilite aussi pour son bénéficiaire, l’énonciation des savoirs tandis que dans l’attitude empathique, l’individu se met à la place de l’autre
tacites en savoirs explicites. mentalement, tout en restant à distance de lui.

Tableau 1 : Les fondements du modèle des « 3 A » de l’accompagnement entrepreneurial.

Les dimensions de l’apprentissage entre-


Les dimensions de l’apprentissage Verbatim illustratif proposé par M. Bollecker et L.
preneurial dans le cadre d’un processus
décisionnel Durat (2006)
d’accompagnement
Perspective psycho- Mobilisation des réseaux - « Pourquoi on se plante pas ? Parce qu’on A1. Un espace d’empathie
logique interne et externe écoute. Autour de soi, y’a des gens compé-
tents ; chacun amène sa vision et influe sur
la décision »
Perspective cogni- Un répertoire d’actions - « Mémoire de ce que tu as pu accumuler A2. Un lieu de mémoire organisa-
tive passées : une inspiration au fil du temps, où tu peux avoir des situa- tionnelle
situationnelle tions équivalentes ou s’ approchant… »
Perspective socio- Le mimétisme - « Je sais pas si j’ai une méthode ; non, je A3 = Accompagnement par
politique pense que sur le plan professionnel, il y a « Benchmarking » et création de
d’abord l’expérience, c’est-à-dire avoir vu communautés de pratique entre
d’autres en situation pour pouvoir ensuite porteurs de projet et entrepreneurs
penser à telle personne qui était dans cette
situation comment elle a réagi… »

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Dossier
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2004), la structure a simplement développé des actions de


sensibilisation de ses accompagnants aux dimensions intercul-
turelles et surtout, a matérialisé la mise en place d’un contrat
d’accompagnement passé (et signé lors du premier entretien)
avec la personne d’origine étrangère (et cependant accompagnée),

Formation et culture de « responsabilités » – II


afin de clarifier les modalités de l’aide pour qu’elles ne soient
pas l’expression réelle ou perçue de discriminations.
Avec la zone A, zone de cohérence des 3 A, on peut donc
penser que cette zone (zone b) décrit également un modèle
optimal d’accompagnement. En effet, les deux autres zones
Figure 3 : Les configurations schématiques du modèle des 3 A. d’intersection (zones C et D) incarnent les risques de dérive du
processus. La zone C (A2∩A3) est une généralisation de l’écueil
On peut, en premier lieu, identifier et illustrer les pratiques dénoncé par Sanjy Ramboatiana (2001) et caractéristique de la
d’accompagnement unidimensionnelles (zones 1, 2, 3). zone 2. Dans ce cas, l’accompagnant, qui convoque également
Ainsi, dans la zone 1, privilégiant une attitude empathique (A1) le collectif, demeure trop distant des aspects humains des
et la mobilisation de ses réseaux, l’accompagnant écoute le projets. L’auteur a pu rencontrer ce cas de figure en Rhône-
porteur de projet et est attentif à ses aspirations mais les aspects Alpes, dans le cadre d’un stage long de formation à la création
techniques et financiers du projet seront moins questionnés d’entreprise pour demandeurs d’emploi, mis en place en milieu
qu’ils ne pourront l’être par un accompagnant localisé en zone universitaire, plus exactement au sein d’un IUT, et financé par
2 (A2). Par contraste, la zone 1 peut caractériser les chargés l’Agence Nationale Pour l’Emploi (avant son intégration à Pôle
d’accompagnement débutants ou encore peu expérimentés Emploi). Dans ce cas, comme le soulignaient Thierry Levy-Tadjine
et peu entourés. De ce fait, ils ne possèdent pas de mémoire et Jean-Pierre Vaudelin (2003), les échanges entre stagiaires
entrepreneuriale susceptible de leur permettre de confronter étaient essentiels et facteurs d’apprentissage entrepreneurial
le projet qu’ils accompagnent à d’autres projets analogues. Tel tandis que les enseignants, impliqués dans la formation, se
n’est pas le cas du praticien qui situe son intervention en zone dévouaient pour transmettre la technicité financière et marke-
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2 et mobilise ses expériences passées de conseil mais qui, ting au public d’adultes qu’ils accueillaient ainsi sur six mois.
négligeant l’empathie, risque comme le note Sanjy Ramboatiana Pourtant, les sessionnistes regrettaient une insuffisance de
(2001), de jouer l’expert, par trop distant. tutorat spécifiquement orienté sur leur propre projet. À l’opposé,
L’inscription (rare) de l’accompagnement entrepreneurial en seule la zone D (A1€A3) est typique de l’accompagnement privilégiant le
zone 3, fait surtout du chargé de mission, un animateur, capable socioculturel et risquant de mal préparer l’entrepreneur en herbe
de faire bénéficier le porteur de projet, de ce qui a le mieux réussi aux exigences de gestion qui seront les siennes. Le dispositif
dans d’autres situations du même type que la sienne. est réellement un espace d’empathie et les animateurs encou-
Les pratiques les plus fréquentes croisent au moins deux des ragent les échanges d’expériences entre bénéficiaires. Seule la
éléments du modèle des 3 A. formation et l’expertise techniques sont insatisfaisantes. Cette
En croisant A1 et A2 (zone B), on retrouve les situations d’accom- difficulté est souvent résolue par le biais de partenariats avec des
pagnement individualisé telles que les revendique le réseau des structures reconnues dans l’accompagnement entrepreneurial.
Boutiques de Gestion. Seule manque au processus de conseil, Ainsi, l’association A ta Turquie en Lorraine ou Africum-Vitae sur
l’organisation de temps collectifs entre porteurs de projet dans Marseille, qui relèvent de ce positionnement, s’en accommodent
le but de créer entre eux une communauté de pratique (A3). Pour en ayant mis en place des coopérations éprouvées avec respec-
les publics et les projets standards, une telle pratique est parfai- tivement A.L.E.X.I.S. et la Boutique de Gestion de Marseille. Ces
tement convenable et n’est d’ailleurs pas revendiquée par les accords permettent aux animateurs de ces institutions, dont
bénéficiaires. En revanche, lorsque la spécificité sociale d’un public l’accompagnement entrepreneurial n’est pas l’objectif premier,
est affirmée (ce qui semble le cas pour les femmes), l’adjonction de replacer la dynamique de celui-ci au cœur de la zone de
de A3 permet d’optimiser les performances de l’accompagnement. cohérence du modèle des 3 A.
Comme nous le mentionnions plus haut, c’est cette perspective
qui a poussé A.L.E.X.I.S. à créer le cercle des créatrices (faisant
ainsi évoluer leur pratique envers cette population, de la zone Conclusion
B vers la zone A). Les travaux déjà cités de l’équipe montraient
qu’une telle disposition n’était en revanche, pas nécessaire pour En superposant trois éclairages, qui intègrent tous l’intersubjec-
le public issu de l’immigration qui était accueilli et qui s’adaptait tivité, caractéristique de la relation d’accompagnement, notre
au dispositif générique d’accompagnement individualisé en réflexion prend le contrepied des approches qui se focalisent sur
place (A.L.E.X.I.S., 2006). Dans ce cas, pour compléter l’offre l’un ou l’autre des protagonistes, isolément de son vis-à-vis et des
standard envers un public partiellement singulier, et cependant acteurs gravitationnels du processus, notamment en prétendant
susceptible de percevoir des discriminations (Th. Levy-Tadjine, élaborer un référentiel de compétences de l’entrepreneur, comme

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modes endogènes et exogènes, Chapitre 2 de l’ouvrage collectif de


le font Olivier Toutain et Alain Fayolle (2008), ou de l’accompa-
PREACTIS édité par F.X. de Vaujany, De la conception à l’usage : la
gnant, en soulignant que le processus d’accompagnement est un gestion de l’appropriation des objets de gestion, E.M.S.
scénario ouvert d’interactions cognitives. Nous avons notamment Descombes V. (1996), Les Institutions du sens, Editions de Minuit,
suggéré qu’il puisse exister des configurations d’interaction collection Critique, Paris.
entre l’accompagnant et le porteur de projet qui ne soient pas De Vaujany F.-X., (2005), (Ed), De la conception à l’usage : vers un
Formation et culture de « responsabilités » – II

management de l’appropriation des outils de gestion, préface de A.


porteuses d’apprentissage pour ce dernier. Ces remarques
Hatchuel, E.M.S.
ouvrent la voie à l’appréhension des « échecs » d’accompagne- Filion L.J. (2008), Les représentations entrepreneuriales : un champ
ment, encore trop peu observés par la littérature. Sur ces bases, d’études en émergence, Revue Internationale de psychosociologie,
si nos travaux devaient donner lieu à des approfondissements XIV, 1, 11-43.
par monographie au sein de structures d’accompagnement, ils Gianfaldoni P., Richez-Battesti N. (2001), Les Réseaux d’accompagne-
offrent aux praticiens un outil d’interrogation sur leurs actions. ment à la création de très petites entreprises…, Communication aux
Deuxièmes Journées d’Etudes du LAME, Economie Sociale, Mutations
Tel est, en effet, l’objet de la grille configurationnelle de la
systémiques et nouvelle économie, Université de Reims-Champagne-
relation d’accompagnement, proposée dans la partie 2 de ce Ardennes, 29-30 novembre 2001.
texte, comme de la représentation schématique du modèle des Gomez P.Y. (1996), Le gouvernement de l’entreprise, InterEditions, Paris.
3 A. Sur le plan théorique, nos travaux remettent en cause les Huault I. (2004), Une analyse des réseaux sociaux est-elle utile pour le
approches idéalisant la relation symbiotique, entre porteur de management ?, Puissances et limites d’une théorie de l’encastrement
structural, in I. Huault (Ed), Institutions et gestion, Vuibert, pp. 49-67.
projet et accompagnant, au profit de situations peut-être plus
Jaouen A., Loup S., Sammut S., (2005), L’accompagnement par les
en relation avec la pratique de l’accompagnement constatée sur pairs : du transfert de connaissances à l’apprentissage conjoint, Actes
le terrain. Mais, ce terrain étant unique, d’autres investigations du IVème congrès de l’Académie de l’Entrepreneuriat, Novembre, Paris.
sont indispensables afin de conforter les propos défendus ici ou Lave J., Wenger E.C. (1991), Situated Learning : legitimate peripheral
de les nuancer. Enfin, le choix effectué dans ce travail, d’éclairer participation, Cambridge University Press, New-York.
les jeux d’acteurs au cœur de la dynamique d’accompagnement Leger-Jarniou C., (2008), Accompagnement des créateurs d’entreprise :
regard critique et propositions, in G. Kizaba (Ed), Entrepreneuriat et
entrepreneurial, a certainement atrophié les médiations objectives accompagnement, L’Harmattan, Paris, pp. 73-99.
de la relation, alors même que d’autres recherches montrent que Levy-Tadjine T. (2004), L’entrepreneuriat immigré et son accompagnement
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l’élaboration et l’évaluation du plan d’affaires par le porteur de en France., Thèse de Doctorat en Sciences de Gestion, réalisée sous
projet accompagné, sont des objets d’apprentissage significa- la direction du Professeur Robert Paturel, Université du Sud-Toulon-Var.
tifs (Nathalie Claret et al., 2006). Les modélisations futures du Prix FNEGE de la meilleure thèse en entrepreneuriat ; téléchargeable et
consultable sur www.alexis.fr et www.adreg.net
processus d’accompagnement devront donc traiter conjointement
Levy-Tadjine T. (2007), L’entrepreneuriat des immigrés nécessite-t-il
l’objectivité des outils mobilisés et l’intersubjectivité. un accompagnement spécifique ?, La revue des Sciences de Gestion,
226-227, 39-52.
Levy-Tadjine T., Paturel R. (2006), Essai de modélisation trialogique
Bibliographie du phénomène entrepreneurial, in La stratégie dans tous ses états.
Mélanges en l’honneur de M. Marchesnay, EMS, pp. 311-321.
A.L.E.X.I.S. (2006), L’entrepreneuriat immigré, facteur d’intégration,
Levy-Tadjine T., Vaudelin J.P. (2003), L’entrepreneuriat est-il énonçable
Rapport réalisé pour le compte du FASILD. URL :
et enseignable, Actes du colloque Entrepreneuriat en action, Agadir,
http://www.alexis.fr/TELECHARGER/document/entrepreneuriat_
immigre_facteur_d_integration_synthese.pdf octobre, CD-rom.
Bessy C. (2006), La place de l’intersubjectif et du commun dans Marco, L., Hernandez, E.M. (2002), L’entrepreneuriat et les théories de
l’approche de l’économie des conventions, in F. Eymard-Duvernay (Ed), la firme, Revue Française de Gestion, Dossier « De l’entrepreneuriat au
L’économie des conventions, méthodes et résultats, Tome 1 : Débats, modèle entrepreneurial », Vol. 28, N° 138 ; Avril-juin.
La Découverte, paris. Mione A. (2006), L’évaluation par l’accompagnant de la performance d’une
Bollecker M., Durat L. (2006), L’apprentissage organisationnel et structure d’aide à la création d’entreprise, Management International,
individuel dans le processus de décision, La Revue des Sciences de Fall 2006. Vol. 11, No. 1 ; p. 31.
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Boltanski L., Thevenot L. (1991), De la Justification, Gallimard, Paris. Ramboatiana S. (2001), Pourquoi il est utile d’accompagner les créateurs
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et modélisation, Thèse de doctorat es sciences de gestion, sous la direc- et Conjoncture Sociale, N° 600, 12 mars 2001.
tion du Pr. Robert Paturel, Université Pierre Mendès-France, Grenoble 2.
Sammut S. (2003), L’accompagnement de la jeune entreprise, Revue
Claret N., Ben-Mahmoud-Jouini S., Charreire-Petit S. (2006), Quand l’éva-
Française de Gestion, Vol. 29, N° 144, Mai-Juin 2003 (N° Spécial
luation constitue un objet d’apprentissage significatif pour l’entreprise
consacré à « la petite entreprise »), p. 153-163.
en création, La Revue des sciences de Gestion, 219, 45-55.
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de communautés : croyances collectives et culture d’entreprise, Revue concevoir une vision : besoins des entrepreneurs et proposition d’une
d’Economie Politique, N° 5, Sept.-Oct., p. 697-721. démarche, in C. Schmitt (Ed.), Regards sur l’évolution des pratiques
Decety J. (2001), Cerveau, perception et action, Presses Universitaires entrepreneuriales, Presses de l’Université du Québec.
de Grenoble. Toutain O., Fayolle A. (2008), Compétences entrepreneuriales et pratiques
Dechamp G., Goy H., Grimand A., Levy T., De Vaujany F.X. (2005), d’accompagnement : approche exploratoire et modélisation, in G.
Gestion stratégique et perspective appropriative : comparaison des Kizaba (ED), Entrepreneuriat et accompagnement, L’Harmattan, 31-72.

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