Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Changement organisationnel
Formation
et évolution des compétences :
Cas des entreprises industrielles tunisiennes
par Lotfi Ben Abdallah et Zeineb Ben Ammar Mamlouk
L
e changement devient, à nos jours, la règle et la stabilité
l’exception (Vandangeon-Derumez, I., 1998). Le change-
ment fait partie de la vie des organisations, soit pour
conserver l’équilibre, soit pour se reproduire soit pour se trans-
former (Guilhon, A, 1998 :105). Devant le caractère naturel du
changement (Giroux, N, 1991), il devient difficile de distinguer
entre changement prescrit et changement construit ou entre
changement volontaire et changement imposé ou entre le
Lotfi BEN ABDALLAH
contenu du changement et de son impact sur l’organisation et sur
Assistant technologue, les processus (Soparnot, R, 2005). Figurant parmi d’autres
Doctorant en Sciences de Gestion, pratiques susceptibles de développer les compétences, le
Faculté des Sciences Economiques changement organisationnel touche aux différentes facettes de
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
134 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
«
Ainsi le changement organisationnel, en tant que pratique conduire à long terme à des transformations majeures, tout
managériale, est à la fois volontaire et imposé. Il peut avoir des comme un programme de reconfiguration à grande échelle peut
effets variables sur l’évolution des compétences. Cependant, n’aboutir à aucun changement réel de l’organisation » (Vas, A et
l’impact du changement organisationnel sur l’évolution des Ingham, M, 2004 :27-28). Mintzberg., H et Westley., F (1992)
compétences devient une question légitime, du fait qu’il est, développent le concept de « progrès réguliers », où le changement
Formation
d’une part, source d’apprentissage organisationnel et d’autre est vu comme un phénomène graduel fait de petites modifica-
part, source de transformation de l’organisation de travail. C’est tions cumulatives. Soparnot, R (2005 : 32-33) partage le même
pour le changement et par lui, que se façonnent les compétences point de vue en disant que « le passage d’un stade à un autre
humaines dans une entreprise. s’effectue pour certains de manière graduelle car la nature ne fait
Par ailleurs, un changement peut avoir des répercutions positives pas de saut ». De même pour Desremeux., A (1996). Giroux, N,
ou négatives sur la structure des compétences. Il peut développer (1991) distingue le changement évolutif incrémental du change-
ou transformer les compétences, mais il peut aussi détruire ment évolutif intrapreneurial selon qu’il vient du sommet hiérar-
certaines d’entre elles. Le changement, en vue d’être mis en chique ou qu’il se produit à un niveau inférieur.
place, demande parfois une formation du personnel concerné. En tant qu’évolution d’un état vécu à un état désiré, le change-
La difficulté de prévoir le niveau et la nature des transformations ment évolutif est inspiré de la biologie des espèces dont le
des compétences engendrées par un changement organisa- principe fondamental est l’évolution progressive, libre et imper-
tionnel constituent la problématique de cette recherche. ceptible. Pour Romelaer, P, (1997 :314), le changement peut être
Comment évoluent les compétences du personnel suite à un conçu comme un processus progressif « par lequel une intention
changement organisationnel compte tenu du fait que la perte des au départ générale, est déclinée dans toutes ses conséquences
acquis professionnels peut provoquer des résistances ? Sans de façon de plus en plus précise, et éventuellement redéfinie à
prétendre être exhaustif, nous allons procéder en deux étapes mesure que des difficultés imprévues sont rencontrées ». Il est
pour répondre à cette question. Une étape, qui consiste à creuser adaptatif et peut être assimilé à un apprentissage implicite
dans l’état de l’art, permettant de construire un modèle de (Guilhon, A., 1998).
recherche, suivie d’une étape de validation empirique auprès
d’un échantillon de 42 entreprises industrielles tunisiennes.
1.1.2. Le changement organisationnel radical
1. L’impact du changement Le changement radical est « un changement majeur, global et
organisationnel sur l’évolution rapide qui survient en situation de crise réelle ou appréhendée »
(Soparnot, R, 2005 :33) et peut surgir suite à de longues périodes
des compétences : de stabilité dont la configuration organisationnelle demeure
Vers la conception inchangée. Il est une réponse volontaire et délibérée des
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 135
marchés sont stagnants ou saturés, la revitalisation et le redres- (un terme polysémique) (Pemartin, D, 1999). La compétence
sement qui ont pour objectif d’améliorer la performance ou reçoit des définitions multiples qui dépendent de l’usage que l’on
d’assurer la survie de l’organisation mal adaptée à son contexte. veut en faire. Elle se confond, parfois, avec la connaissance et
Demers, C, (1999) ajoute la fusion et l’acquisition, le désinvestis- elle apparaît proche de la notion de capacité intellectuelle
sement et la diversification comme des changements radicaux. (Pemartin, D., 1999). Cette confusion naît de la fausse simplicité
Formation
du concept, alors que la réalité est beaucoup plus aiguë qu’il n’y
paraît (Donnadieu, G., 1997). Nous proposons une définition de la
1.1.3. L’apprentissage organisationnel compétence par rapport à son contenu et son contenant.
juillet-octobre 2007
Dossier
136 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
(Zarifian, Ph., 2001). Par contre, la qualification est un jugement Lorsqu’il y a une divergence entre les conduites et les représen-
officiel relevant d’un ensemble de conventions collectives régis- tations d’un individu en situation de travail, Deglaine, J et
sant la relation entre l’individu et l’organisation (Le Boterf, G., François, R, (2001) conseillent de développer les compétences
1997 ; Zarifian, Ph., 2001). Attachée au poste de travail, la quali- essentielles résumées dans les motivations, les traits de person-
fication a duré longtemps pour positionner les salariés dans la nalités et l’image de soi pour remédier à une telle situation. La
Formation
hiérarchie et dans les grilles des salaires. Pour Besson, D et al, compétence individuelle s’institutionnalise à travers les
(2003) la compétence s’inscrit dans une logique économique processus organisationnels, les mécanismes de reconnaissance
alors que la qualification relève d’une inscription sociale de et d’évaluation et la gestion de carrière, appelé aussi processus
l’activité. La première met les préoccupations du personnel au de qualification (Besson, D et al, 2003).
premier plan alors que la logique qualification les met dans des Face à la diversité des situations de travail, l’individu doit avoir un
routines économiques et sociales. Reynaud, J-D (2001) considère portefeuille de compétences ou des compétences transversales
que la compétence ne vient pas remplacer la qualification, mais (Ben Ammar Mamlouk, Z., 2005) qui servent à différentes situa-
en est le supplément. Les gens ont, d’abord, une qualification tions professionnelles. On parle aussi de compétences
puis, ils ont une compétence qu’ils éprouvent dans l’entreprise. génériques au sens de Boyatzis, (1982). Dietrich, A (2000) définit
Dans l’idée de compétence il y a en plus l’idée de responsabilité la compétence générique comme un « processus par lequel
du salarié à l’égard du résultat. l’homme s’adapte à son environnement et s’approprie une situa-
tion ». Elle ressemble, pour Le Boterf, G (1994), à un savoir combi-
b. Le contenant de la compétence natoire qui est à l’origine du développement des réactions perti-
Nous voulons dire par contenant de la compétence, le contexte nentes au moment opportun. Cockerill, Hunt et Schoder (1995)
dans lequel elle s’exerce. Le premier niveau correspond à la situa- définissent un référentiel de onze compétences génériques
tion concrète de travail, face à laquelle l’individu mobilise sa desquelles dépend la performance organisationnelle. Alors que
compétence. En effet, la compétence est indissociable de l’action pour Pelletier, G (1996) il y a quatre compétences ; les compé-
(Veltz P., et Zarifian, Ph., 1994). Elle est un acte réfléchi qui tences techniques, les compétences relationnelles, les compé-
intègre l’intelligibilité de la situation (Pemartin D., 1999). Elle est tences culturelles et les compétences symboliques dont
aussi un attribut individuel du salarié inséparable des situations l’importance dépend de la fonction à accomplir. Bergeron (1997)
de travail concrètes (Castro, J-L et al, 1998). Ou encore une intel- souligne le même nombre de compétences mais avec des appel-
ligence pratique des situations (Zarifian, Ph, 1999). L’intérêt lations différentes. Il s’agit des compétences liées au domaine
accordé au contexte dans lequel s’exerce une compétence veut technique, des compétences liées aux relations interperson-
dire qu’un individu peut être compétent dans un contexte et pas nelles, des compétences liées à la conceptualisation et des
dans un autre. Le second niveau est celui de l’entreprise. La compétences liées à la communication.
compétence se définit par rapport aux dimensions socioculturelle
et socio-organisationnelle, qui tiennent compte du caractère
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 137
fort de compétence collective, mais aussi apprendre à gérer son l’organisation ». Le changement organisationnel remet en cause
renouvellement, en faisant en sorte que le groupe soit ouvert à l’investissement psychologique et matériel fait précédemment et
l’accueil de nouveaux arrivants et sache les intégrer. Avec le transforme la répartition des pouvoirs, des ressources et des
développement des collectifs de travail, l’échange d’information, responsabilités (Giroux, N, 1991).
l’autonomie, la coopération, la coordination et la communication Le changement des compétence des personnes est intimement
Formation
constituent les principaux déterminants du développement d’une lié aux changements organisationnels (Haddadj, S et Besson, D,
compétence collective (Amherdt et al, 2000 ; Le Boterf, G, 1997 ; 2000). Des changements organisationnels qui accentuent les
Zarifian, Ph., 2001). déterminants individuels de l’activité de travail, risquent de
Une compétence collective est différente d’une compétence donner une importance accrue aux nouvelles compétences cogni-
organisationnelle et d’une compétence stratégique (Aubert, J et tives (changements des référents mentaux au travail, initiative,
al., 2002 ; Deglaine, J et François, R, 2001 ; Hamel, G et Prahalad, créativité) et d’empêcher l’émergence des nouvelles compé-
C K, 1994). Les compétences organisationnelles renvoient à « des tences collectives (construction de l’efficience réseau). Selon
modes d’action et à des routines organisationnelles dans Guilhon, A et Trepo, G., (2001) le changement produit, soit le
lesquelles ont pu être incorporés des savoirs et savoir-faire des renouvellement, soit la transformation des compétences.
individus, mais qui ne sont pas seulement ces savoirs et savoir- Les personnes n’acceptent de modifier leurs compétences en
faire » (Aubert, J et al., 2002). Une compétence stratégique est un faveur d’un changement organisationnel que lorsqu’ils bénéfi-
ensemble de plusieurs savoirs et de technologies (Hamel, G et cient d’un partage de connaissances (Dupuy, F, 2004). Pour
Prahalad, C K, 1994). Une compétence stratégique possède trois Tarondeau, J-C et Wright, RW, (1995 :119) « toute action visant à
caractéristiques ; les valeurs aux yeux du client, la différentiation transformer des processus doit s’appuyer sur une évaluation
par rapport aux concurrents et l’élasticité définie comme étant la critique des compétences requises pour mettre en œuvre la
capacité à créer des passerelles vers les marchés de l’avenir. Elle stratégie de l’entreprise ». Divry, C et al (1998 :115) considèrent
peut relever d’une nouvelle technologie, d’un métier ou d’une que la firme est : « une organisation dans laquelle le savoir se
structure organisationnelle. forme, se reproduit, se modifie mais aussi disparaît ».
D’après les témoignages développés ci-dessus, nous pouvons
constater quatre types de relations entre les changements organi-
1.3. L’impact du changement sationnels et l’évolution des compétences. Il s’agit du développe-
organisationnel sur l’évolution ment des compétences individuelles, du renouvellement des
compétences individuelles, de la destruction des compétences
des compétences individuelles et du développement des compétences collectives.
La genèse des compétences est contingente à l’organisation
dans laquelle elle se déroule (Divry, C et al, 1998 :118). Cette
citation montre que les compétences sont incarnées dans 1.3.1. Le développement
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
138 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
l’individu face à une situation événementielle » (Zarifian Ph., produisent le développement des compétences individuelles par
1999 :39). Le travailleur nécessite davantage d’ingéniosité et de le développement de la spécialisation et H1.2 : Les changements
pertinence pour faire face à des exigences de rénovation et organisationnels (évolutif et radical) produisent le développement
d’innovation (Plane J.-M., 2003 :74). En revanche, dans une des compétences individuelles par le développement de la
organisation transversale, la spécialisation en terme de compé- polyvalence. H2.1 : L’apprentissage organisationnel produit le
tences est une dimension critique. Cette forme d’organisation développement des compétences individuelles par le développe-
intègre davantage des compétences d’expert, tout en sauvegar- ment de la spécialisation et H2.2 : L’apprentissage organisa-
dant un certain degré de polyvalence. En effet, « dans tionnel produit le développement des compétences individuelles
l’organisation transversale, les individus doivent être à la fois des par le développement de la polyvalence.
spécialistes (ou experts) et des généralistes » (Tarondeau, J-C et
Wright, RW, 1995 :118). Au niveau cognitif, les compétences
subissent un processus de construction et déconstruction 1.3.2. Le renouvellement
(Pastré, P, 1999). De même, une forte spécialisation peut des compétences individuelles
s’opposer à la communication et au partage des compétences
individuelles et par conséquent au développement des compé- Guilhon, A et Trepo, G., (2001) constatent que le changement
tences collectives (Doz, Y, 1994). radical, qui transforme profondément la structure, crée le besoin
de nouvelles compétences. De même, Doz, Y (1994) montre que
b. Vers le développement de la polyvalence le renouvellement des compétences est la conséquence d’un
La polyvalence peut aller d’une simple capacité à exécuter changement radical et il donne les exemples de repositionnement
plusieurs tâches faisant partie du même poste (Dietrich, A., de Corning dans le domaine des applications de technologie plus
2000), à la capacité de tenir plusieurs postes voire plusieurs avancées dans les années 80, la métamorphose d’Intel des
fonctions. Est polyvalent, un employé qui dispose « d’une gamme mémoires aux processus ainsi que la transition des téléphones
étendue de compétences amplifiant le champ des tâches qu’il est mobiles à des produits de consommation. Toutefois, le change-
susceptible d’accomplir » (Tarondeau, P., 1999 :70). La polyva- ment des structures, des procédures et des compétences
lence veut dire aussi la détention des compétences transversales constitue une boucle d’effets rétroactifs « les restructurations
applicables à plusieurs activités par l’intermédiaire des collectifs demandent de nouvelles compétences — notamment des
de travail (Castro, J-L et al, 1998). Elle désigne « un élargissement ingénieurs, des cadres et des personnels hautement qualifiés —
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 139
tences peut créer un sentiment d’autosatisfaction chez les quatrième hypothèse H4 : Les changements organisationnels
membres de l’organisation mais aussi une source de vulnérabilité (évolutif et radical) produisent la destruction des compétences
aussi bien pour le personnel que pour l’entreprise. L’arbitrage individuelles.
reste aussi valable entre améliorer des compétences existantes
et rester dans la continuité tout en supportant d’éventuels
Formation
risques de dépendance à l’égard de l’inertie des compétences- 1.3.4. Le développement
clés (Doz, Y, 1994) ou de vulnérabilité aux changements des des compétences collectives
technologies ou des liens avec les marchés (Leonard Barton,
1992) et renouveler totalement ses compétences et faire la Dans les collectifs de travail, l’apprentissage organisationnel vise
discontinuité et supporter une éventuelle diminution de le développement d’une compétence collective. L’efficacité de
l’efficacité à court et à moyen terme de l’organisation (March, G, l’apprentissage organisationnel est fortement tributaire de
1991). Ainsi, une troisième hypothèse est soulevée, H3 : Les l’ampleur du changement organisationnel à effectuer puisque
changements organisationnels (évolutif et radical) produisent le « trop d’uniformité bloque l’apprentissage, et trop de variétés
renouvellement des compétences individuelles. bloque sa transformation » (Doz, Y, 1994 :94). Les compétences
collectives, liées au processus d’apprentissage organisationnel,
subissent une évolution sous forme de développement face à un
1.3.3. La destruction changement organisationnel. L’échange d’information,
des compétences individuelles l’autonomie, la coopération, la coordination et la communication
sont les principaux déterminants du développement des compé-
Le recentrage sur les activités de base demande une externalisa- tences collectives. L’échange d’information est la mise en
tion de certaines compétences, donc leur destruction parce que commun d’un ensemble de données, structurées et formatées,
l’entreprise n’y aura plus besoin à l’intérieur. Le groupe Shell — mais inertes et inactives tant qu’elles ne sont pas utilisées par
objet de recherche de Guilhon, A et Trepo, G., (2001)- lors de sa ceux qui ont la connaissance pour les interpréter et les manipuler
transformation, a allégé ses compétences techniques manuelles (David, P, A et Foray, D, 2002). L’autonomie est « la capacité
et de services en faveur des compétences à haut potentiel dynamique à s’insérer dans un collectif » (Pichault, F et Nizet, J,
d’apprentissage. Il y avait aussi destruction de postes par la 2000 : 24). Elle facilite à l’opérateur de prendre l’initiative et
diminution de l’effectif sur le site. Les axes de transformation de d’achever son action. Une distinction est faite entre l’autonomie
l’entreprise Shell se résument dans des points comme la simplifi- individuelle et l’autonomie collective. En fait, l’autonomie indivi-
cation de l’organisation pour qu’elle soit souple et flexible, la duelle désigne le vouloir et le pouvoir individuel de prendre une
responsabilisation des acteurs en les rendant plus autonomes et décision voire même de résoudre un problème et l’autonomie
la procuration en ressources suffisantes. Cependant, collective est formalisée à travers les domaines de responsabi-
l’externalisation des activités « de soutien » a éliminé les compé- lités qu’assure une équipe. L’autonomie et la communication vont
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
140 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
manières spécifiques à une organisation qui orientent le compor- adressés à un échantillon de 42 entreprises industrielles
tement des individus et des groupes et ont tendance à perdurer » tunisiennes qui ont déclaré s’être restructurées. Les question-
(Grimand, A et Vandangeon-Derumez, I, 2004 : 49). Elles entraî- naires sont remplis par des cadres intermédiaires puisqu’ils
nent une sorte d’inertie organisationnelle qui peut limiter la occupent « la position privilégiée de relais » et qu’ils bénéficient
capitalisation et la diffusion des initiatives locales, c’est pourquoi « d’une plus grande polyvalence et d’une plus grande adaptabilité »
Formation
il importe d’initier un processus de délibération collectif favori- pour penser et mettre en œuvre un changement organisationnel
sant l’émergence de nouvelles routines. Des routines efficaces (Gaha, C, 2003). L’application d’une analyse des correspon-
garantissent l’aboutissement et la finalisation du processus de dances multiples telle que présentée par Brigitte, E et Jérôme, P,
changement, faute de quoi les compétences d’aujourd’hui (1998) nous a permis de tester les hypothèses de recherche.
pourraient devenir les rigidités de demain. L’apprentissage Celle-ci a été réalisée à partir de 12 variables de changement
organisationnel qui se fait dans les équipes projets, précise « le organisationnel et de 19 variables d’évolution des compétences
fonctionnement de diverses boucles d’apprentissage dans une (ANNEXE 1). Chaque variable possède deux modalités. Les
équipe ou un réseau constitue un puissant facteur de développe- données sont analysées par le logiciel SPAD. L’encadré ci-
ment de leur compétence collective » (Le Boterf, G, 1997 :85). dessous explique la construction des composantes principales.
Une dernière hypothèse est subdivisée en cinq sous-hypothèses ;
H5.1 : L’apprentissage organisationnel produit le développement Encadré
des compétences collectives par l’échange d’information, H5.2 : Les graphiques A et B montrent comment les variables se situent
L’apprentissage organisationnel produit le développement des dans les plans engendrés par le premier et le deuxième axes
compétences collectives par l’autonomie, H5.3 : L’apprentissage factoriels et par le premier et le troisième axes factoriels. Ces
trois premiers axes représentent 31,1 % de l’inertie totale du
organisationnel produit le développement des compétences nuage des points. L’axe no 1 récupère 12,95 % de l’information,
collectives par la coopération, H5.4 : L’apprentissage organisa- l’axe no 2 récupère 10 % de l’information et l’axe no 3 permet de
tionnel produit le développement des compétences collectives récupérer seulement 8,15 % de l’information. Chaque axe factoriel
par la coordination, H5.5 : L’apprentissage organisationnel produit prend le nom des variables qui participent le plus à sa construc-
tion. La contribution de chaque modalité décrit sa contribution
le développement des compétences collectives par la communi- dans la formation de l’inertie totale de l’axe. Pour l’interprétation
cation. de l’axe, on sélectionne les modalités qui ont les plus fortes
Nous proposons, ci-dessous, un modèle de recherche qui met en contributions. L’analyse compte, après apurement, 62 modalités
commun ces différentes hypothèses. actives. Pour chaque axe, le pourcentage d’inertie théorique
moyen expliqué par chaque modalité est de 1,6 % soit
(100 %/62). Or on constate, par exemple, sur l’axe n° 1 que les
contributions varient de 0,001 % à 5,317 % (ANNEXE 3). Les
2. La validation empirique contributions relatives de chaque modalité à la construction des
cinq premiers axes sont tirées des tableaux du SPAD. Les
du modèle de recherche modalités qui contribuent à la formation des trois premiers axes
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 141
2.1.1. La corrélation entre les variables développement des compétences relationnelles du cadre
figurant sur le premier plan factoriel supérieur (S5).
Dans le cadran, en bas et à gauche, le changement organisa-
On remarque d’après le premier cadran, en haut et à gauche du tionnel radical de la stratégie (R1), de la structure (R3) et de la
premier plan factoriel du graphique A, l’existence d’une corréla- culture (R5) ainsi que l’apprentissage organisationnel par
Formation
tion entre d’une part, le changement organisationnel radical de l’innovation organisationnelle (A5) produisent le développement
type structure (R3) et culture (R5), l’apprentissage organisationnel des compétences organisationnelles de l’opérateur (O1) et le
de type innovation procédés (A3) et innovation organisationnelle développement des compétences collectives par le développe-
(A5) et d’autre part, le renouvellement des compétences en ment de l’autonomie (C3). Le cadran adjacent, à droite, montre
cadres supérieurs (W1), la destruction des compétences (D1) et le que le changement évolutif de la stratégie (E1) provoque le
développement des compétences collectives liées à l’autonomie développement des compétences techniques du cadre intermé-
(C3) et à la coopération (C5). diaire (I3) et d’expert de l’opérateur (O5), le développement des
Le deuxième cadran, en haut et à droite, regroupe le changement compétences organisationnelles du cadre supérieur (S1) ainsi
évolutif et l’apprentissage organisationnel avec le développement qu’un développement de la communication horizontale (C11).
des compétences individuelles et collectives. En effet, le change-
ment évolutif de la stratégie (E1) et de la structure (E3) ainsi que
l’apprentissage organisationnel par l’innovation technologique
(A7) produisent le développement des compétences techniques
du cadre intermédiaire (I3) et le développement des compétences
collectives par le développement de la communication verticale
(C9) et le développement de la communication horizontale (C11).
juillet-octobre 2007
Dossier
142 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
Toutefois, la distinction entre les compétences organisationnelles tences collectives en autonomie (C3), en coopération (C5) et en
et les compétences techniques d’un individu est importante. Les communication horizontale (C11) est due essentiellement au
compétences organisationnelles, appelées aussi compétences changement radical de la structure (R3) et de la culture (R5).
gestionnaires (Besson, D et al, 2003), désignent l’ensemble des L’opérateur devrait apprendre à gérer l’événement même avant
capacités qu’un individu possède pour être en état de veille pour qu’il se produise. Les seules compétences techniques sont insuf-
Formation
le bon fonctionnement de son activité. C’est aussi la capacité fisantes pour qu’un opérateur puisse accomplir ses tâches. La
d’organiser les composantes de son travail. Nous avons considéré vision d’un changement organisationnel radical procure davan-
l’exécution des tâches suivantes comme faisant partie des tage de polyvalence aux opérateurs. Le cadre intermédiaire est
compétences organisationnelles. Pour un cadre intermédiaire, il absent de l’effet du changement radical. Cela implique que lors
s’agit d’effectuer la répartition des tâches entre les opérateurs, d’un tel changement, le cadre intermédiaire joue un rôle limité
même chose pour l’opérateur, alors que pour un cadre supérieur dans sa mise en œuvre contrairement à ce qui a été montré par
il s’agit de la répartition du travail, tout entier, entre ses subor- Gaha, C, (2003). Par contre, les cadres supérieurs développent
donnés. Par contre les compétences techniques, font référence leurs compétences de résolution des problèmes techniques afin
aux savoir-faire utiles au bon fonctionnement de l’activité de faire face aux incidents qui échappent aux autres niveaux
(Pelletier, G, 1996) et pour maîtriser une zone d’incertitude hiérarchiques. Ce changement permet aussi le renouvellement de
(Crozier, M. et Friedberg, E, 1977). Avoir une compétence cette catégorie de personnel.
technique c’est savoir exécuter des tâches précises. Pour un En effet, les entreprises industrielles tunisiennes essayent
cadre intermédiaire, il s’agit d’arrêter la production en cas d’améliorer, par le changement organisationnel, leur encadre-
d’incident, de relancer la production suite à un incident et de ment. Alors que la destruction de certaines compétences est
contrôler la qualité des produits. L’opérateur doit effectuer la expliquée par la sous-traitance des activités non rentables ou par
réparation courante en cas d’incident et faire la maintenance le licenciement du personnel. Un changement organisationnel est
courante. Le cadre supérieur montre à ses subordonnés encore une source de l’émergence du travail collectif, source de
comment faire le travail et règle les problèmes techniques. compétences collectives.
Nous pouvons conclure que l’opérateur tend à avoir des compé-
tences d’expert qui désignent l’ensemble des savoirs portés par
un opérateur à des questions de qualité et de développement 2.2.3. L’impact de l’apprentissage
alors que les cadres intermédiaires perfectionnent davantage organisationnel sur l’évolution
leurs compétences techniques. Pour les cadres supérieurs, le
développement de leurs compétences organisationnelles et des compétences
relationnelles devient plus compatible avec les nouvelles L’apprentissage organisationnel produit, à côté du développe-
exigences du travail post-industriel. Le cadre supérieur intervient ment des compétences collectives, le développement des compé-
de plus en plus aux niveaux inférieurs pour apporter son expertise tences individuelles, leur renouvellement et leur destruction.
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 143
Formation
spécialisés. L’innovation technologique est la pratique la plus structure et des procédures de gestion sont les plus adoptés. Les
influente du fait que la technologie devient la patte à moule du changements radicaux touchent aux différentes composantes de
fonctionnement organisationnel. Tarondeau, J-C, (1999) qualifie l’organisation ce qui confirme les avancées de Guilhon, A, (1998)
les innovations par des « processus et technologies » qui sont de Vas, A et Ingham, M, (2004) et de Soparnot, R, (2005). Il s’agit
utiles pour concevoir, réaliser et distribuer des produits et en fait de changement de la stratégie, de la structure, de la
services. Elles sont aussi qualifiées par Oiry, E et D’Iribarne, A, culture et des procédures de gestion. Pour l’apprentissage organi-
(2001 :60) comme « l’ensemble des applications informatiques au sationnel, les entreprises enquêtées choisissent un apprentis-
domaine de la production industrielle. Les nouvelles technologies sage par l’innovation des procédés, l’innovation organisationnelle
d’information et de communication facilitent la création d’une et l’innovation technologique. L’innovation produit est faible dans
intelligence collective, condition à l’émergence et au développe- ces entreprises. En effet, si l’apprentissage organisationnel est
ment de ce type de compétence (Le Boterf, G, 1994). Les compé- complémentaire des changement organisationnels évolutif et
tences du personnel des entreprises industrielles tunisiennes radical (Guilhon, A, 1998), la réussite de ces derniers est tribu-
doivent suivre cette évolution de la technologie. taire de l’originalité organisationnelle et technologique et de la
Face aux exigences des nouvelles technologies de plus en plus communication
complexes, les entreprises améliorent la mobilité interne du Notre recherche avait pour objectif de montrer l’impact du
personnel d’atelier (Dietrich, A, 2000) et l’enrichissement et changement organisationnel sur l’évolution des compétences
l’élargissement des tâches (Herzberg, 1950). Toutefois, ces dans les entreprises industrielles tunisiennes. A partir d’une
technologies améliorent aussi la qualité et le rythme de la analyse factorielle des correspondances multiples (ACM) les
communication au sein de ces entreprises. résultats ont permis de valider partiellement le modèle théorique
La communication en tant qu’une compréhension réciproque, de la recherche. En effet, les changements organisationnels
suppose de concevoir les systèmes d’information comme aptes à (évolutif et radical) provoquent le développement des compé-
favoriser cette compréhension » (Zarifian, Ph, 1999 :111) devient tences individuelles vers la spécialisation et vers la polyvalence.
une exigence du travail post-industriel puisque le travail est Toutefois, nous remarquons que :
orienté plus vers des collectifs où il y a la création de synergies. – le changement évolutif génère une spécialisation chez les
Ce sont les qualités des interactions entre les acteurs et leur opérateurs par le développement de leurs compétences
capacité d’échanger des savoirs et des expériences qui permet- d’expert,
tent, toutes, le développement des compétences collectives. – le changement évolutif génère le développement des compé-
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
144 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
Bareil, C., et Savoie, A., (1999), « Comprendre et mieux gérer les individus
limitation du rôle du cadre intermédiaire. Ces résultats montrent en situation de changement organisationnel », Gestion, Vol.24, n° 3,
que la première hypothèse est validée. automne, p86-94
La deuxième hypothèse est également validée, puisque Ben Ammar Mamlouk, Z, (2005), « La construction du jeu, entre jeu et hors
l’apprentissage organisationnel permet aux opérateurs de jeu. Ou comment développer les compétences transversales ? », Revue
devenir polyvalents et à l’encadrement de développer leur niveau Marocaine de Commerce et de Gestion, N° 1, juin, p29-46
Formation
juillet-octobre 2007
Dossier
La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation 145
Donnadieu, G., (1997), Manager avec le social, l’approche systémique Revue des Sciences de Gestion, direction et gestion des entreprises,
appliquée à l’entreprise, Les Editions Liaisons p. 105, n° 196-197, p. 105, mai-août.
Doz, Y., (1994), « Les dilemmes de la gestion du renouvellement des Pastre, P., (1999), « Travail et compétences : un point de vue de didacti-
compétences-clés », Revue Française de Gestion, Vol.86, cien », Formation Emploi, n° 67, p109-125
Dupuy, F., (2004), Sociologie du changement pourquoi et comment Pelletier, G., (1996), « Le gestionnaire, le leader et l’artisan », Revue
changer les organisations, Dunod, Paris
Formation
Française de Gestion, janvier-fevrier, p44-57
Ferrary, M. et Trépo, G.,(1997), « Les enjeux méthodologiques de la Pemartin, D., (1999), Gérer par les compétences ou comment réussir
gestion par les compétences », direction et gestions des entreprises, autrement ?, EMS, Coll. l’actualité de la gestion
n° 164-165, p. 7, mars-juin
Persais, E., (2004), « L’excellence durable : Vers une intégration des
Farastier, D-A., (1995), « La GRH au service de la capacité d’adaptation de parties prenantes », La revue des Sciences de gestion,
l’entreprise », Revue Française de Gestion, mars-avril-mai, p 43-65
direction et gestion des entreprises, n° 205, janvier-fevrier, page 5.
Gaha, C, (2003), « Les protagonistes du changement organisationnel »,
Esprit Critique, été, Vol05, n° 3, www.espritcritique.org Pichault, F et Nizet, J (2000), Les pratiques de GRH, Seuil, Paris
Giroux, N., (1991), « La gestion du changement stratégique », Gestion, mai, Picq, Th., (1994) Vers un modèle de management européen multiculturel,
p 8-14 direction et gestion
Greenan, N., (1996), « Progrès technique et changements organisation- des entreprises, n° 145, janvier-février, p. 39
nels : leur impact sur l’emploi et les qualifications », Economie et Picq, Th., (2005), « Comment développer la performance collective ?
Statistique, n° 298, 8, p35-44 Quand le handballeur vient au secours du manager », Gérer et
Gramand, A et Vandangeon-Derumez, I., (2004), « Changez de change- Comprendre, mars, n° 79, p76-83
ment ! », L’Expansion Management Review, juin, p 42-51 Picq, Th et Retour, D (2001), « La coopération dans les organisations par
Guilhon, A et Trepo, G., (2001), « Réussir les changements par le dévelop- projets, les politiques de gestion des ressources humaines », Personnel,
pement de l’apprentissage organisationnel les leçons du cas de Shell », n° 417, p29-39
Gérer et Comprendre, septembre, n° 65, p 41-54
Plane, J-M, (2003), La gestion des ressources humaines, Paris,
Guilhon, A., (1998), « Le changement organisationnel est un apprentis- Economica
sage », Revue Française de Gestion, septembre-octobre, p98-107
Reynaud, J-D., (2001), « Le management par les compétences : un essai
Haddjaj, S et Besson, D., (2000), « Gestion des compétences et relations d’analyse », Sociologie du Travail, N° 1, Vol43, janvier-mars, p7-66
sociales », Revue Française de Gestion, janvier-fevrier, p103-118
Romelaer, P, (1997), « Changement d’organisation et ressources
Hamel, G., Prahalad, C.K., (1994), « Competing for the future », Harvard humaines », Encyclopédie de Gestion, Tome 1, 2e édition, France, p 306-
Business Review, Vol.72, n° 4,
323
Karray, Z., (2003), « Compétences pour innover et coopérations technolo-
Sansaulieu, R (1987), Sociologie de l’organisation et de l’entreprise,
giques, une analyse multivariée de l’industrie française », Revue
Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques et Dalloz
d’Economie Industrielle, n° 102, 1er trimestre, p29-53
Soparnot, R., (2005), « L’évaluation des modèles de gestion du change-
Koenig, G., (1994), « L’apprentissage organisationnel : repérage des lieux »,
ment : de la capacité de gestion du changement à la gestion des capacités
Revue Française de Gestion, janvier-fevrier, p76-84
de changement », Gestion, Vol 29, n° 4, hiver, p 31-42
Le Boterf, G., (1994), De la compétence. Essai sur un attracteur étrange,
© Direction et Gestion | Téléchargé le 08/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 198.16.76.27)
juillet-octobre 2007
Dossier
146 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 226-227 – Organisation
Annexe 2
juillet-octobre 2007
Dossier