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L'ENTREPRISE
Une étude à partir des entreprises camerounaises
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mai-juin 2006
Dossier
90 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219 — Organisation
On assiste à travers le monde à la montée en puissance des construit. Même si l’on perçoit une opposition naturelle entre
actionnaires, ils font virer les directeurs des grandes entre- ces deux approches, notre objectif n’est pas de nourrir une
prises occidentales. Ces derniers deviennent des interlocu- nouvelle controverse. C’est la raison pour laquelle nous allons
teurs valables et non plus de simples outils de production. présenter les déterminants de la structure organisationnelle
C’est la raison pour laquelle les droits des actionnaires ainsi d’une part et nous essayerons en plus d’établir un lien entre
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs
que de tous les salariés sont désormais garantis. Si le pouvoir du dirigeant et la structure de son entreprise
l’ensemble de ces mesures est salutaire en Occident, elles d’autre part.
ne sont pas encore à l’ordre du jour dans les pays africains
en général et au Cameroun en particulier. Les entreprises
camerounaises évoluent seules sans la protection de l’Etat et 1.1. Les déterminants de la structure
les chefs d’entreprise gèrent comme ils veulent. Le code du organisationnelle
travail de 1992 leur donnent un pouvoir assez large, car ceux-
ci peuvent se séparer de leurs employés à tout moment en Comme l’indiquent Birkinshaw, Nobel et Ridderstrale (2002),
évoquant tout simplement que le licenciement est dû à des l’un des plus importants axes de pensée sur les organisations
problèmes économiques. Comment, dans cette mouvance, est la bien connue théorie contingente, dont le principal
les dirigeants parviennent-ils à exercer leur pouvoir face aux argument est qu’il n’existe pas une meilleure façon d’orga-
salariés non impliqués dans la gestion quotidienne de l’entre- niser mais que la structure organisationnelle optimale
prise ? dépend d’une série de variables contingentes (Pertusa
L’objectif de cet article est d’expliquer l’influence ou non du Ortega et Rienda Garcia, 2005). Traditionnellement, cette
pouvoir du dirigeant sur la manière dont les tâches et les approche s’est centrée sur des variables comme l’incertitude
responsabilités sont réparties au sein de l’entreprise. Une et la complexité environnementale (Burns et Stalker, 1961),
telle étude n’est pas encore entreprise au Cameroun. C’est la la stratégie de la société (Chandler, 1972 ; Child, 1972), la
raison pour laquelle, compte tenu de nos spécificités cultu- taille de la société (Hickson, Pugh et Pheysey, 1969) ou la
relles1 et du contexte caractérisé par un environnement de technologie utilisée (Thompson, 1967 ; Woodward, 1965).
plus en plus turbulent et incertain, il semble nécessaire Comme cela est observé dans les précédents travaux, la
d’entreprendre une telle recherche. La manière dont le théorie contingente a dominé les études de conception et de
dirigeant exerce son pouvoir influence t-elle la manière dont fonctionnement organisationnels pendant les années 60 et
les tâches et les responsabilités sont réparties dans l’entre- 70 mais elle a reçu, dans les années 80, une série de
prise ? Quel style de pouvoir correspond à tel type de struc- critiques conceptuelles et empiriques et, par conséquent,
ture ? L’article se subdivise en deux sections : la première elle a cédé du terrain aux autres perspectives théoriques.
passe en revue les différents travaux existants tandis que la Aujourd’hui, la théorie contingente compte toujours sur ses
seconde présente les résultats de l’étude. adeptes, mais un changement d’emphase a eu lieu dans la
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La perception du risque dans le cadre d’un environnement compétitivité, où les rapports de partenariat entre fournis-
changeant, pour ne pas dire « contingent », est un élément seurs de capital financier et les détenteurs de capital humain
qui, indubitablement, tient une place prépondérante dans le deviennent indispensables, engageant les deux parties dans
processus de décision et de structuration. Les décideurs des formes d’entreprise, de partenariat et de gouvernance
recherchent une vision « précise » des événements futurs modernes qui sont encore en gestation. La question implici-
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mécanismes automatiques de rajustement. Il se régule dans Elle concerne la démarche d’ensemble de la recherche
la mesure où il tend à revenir, pendant des périodes relative- partant de la procédure de collecte des données, la présen-
ment longues, à l’équilibre que postule la structuration ». tation de l’échantillon, l’instrument de mesure et les
L’élévation du niveau de compétence des employés, le rejet méthodes statistiques utilisées pour le traitement des
de l’autorité et la complexité du travail sont autant de données.
facteurs non exhaustifs qui expliquent que l’injonction et la
coercition soient, dans de nombreux cas, inappropriées
(Seignour et Dubois, 1996). La hiérarchie n’est alors plus à 2.1.1. Procédure de collecte des données
même de maîtriser et de contrôler le travail de ses subor-
donnés. Il s’agit désormais non plus d’imposer et de Les données sont collectées à l’aide d’un questionnaire. Pour
contraindre, puisque l’engagement et l’implication des élaborer ce questionnaire, l’apport des travaux antérieurs, en
salariés semblent devenir des facteurs de performance, mais particulier ceux relatifs au pouvoir du dirigeant et à la struc-
d’intégrer, de convaincre et de responsabiliser un personnel ture des entreprises servent de support théorique. Le
perçu comme détenteur du succès ou de l’échec de l’organi- questionnaire relatif au pouvoir dérive des travaux de
sation. Dans le même ordre d’idées, Rojot (2005) considère Mintzberg (1986) tandis que celui portant sur la structure
qu’une organisation est caractérisée par une multitude organisationnelle provient des travaux de Kalika (1988).
d’incertitudes et leurs interactions. En effet, dans toute
organisation les individus sont interdépendants. L’exécution
satisfaisante des tâches de chacun dépend toujours soit 2.1.2. Echantillon
d’une action directe, soit d’une information transmise par
d’autres. Le pouvoir est lié à l’impossibilité d’éliminer l’incer- La taille de l’échantillon est déterminée selon la méthode non
titude du fonctionnement de l’organisation, elle-même décou- probabiliste, car, dans un pays en voie de développement
lant de l’impossibilité de tout prévoir, c’est-à-dire de la consé- comme le Cameroun, il n’existe pas une base de données
quence directe de la rationalité limitée des acteurs en regroupant toutes les entreprises. Cet état de choses conduit
présence dans toute situation organisationnelle. Nizet et généralement le chercheur à opter pour une démarche non
Pichault (2001) relèvent que l’observation concrète du probabiliste. Trois catégories d’entreprises font partie de
fonctionnement de l’organisation a souvent un décalage l’étude. Il s’agit : des entreprises familiales, managériales et
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Cameroun (Bekolo, 2003 ; Ngok Evina, 2004). Plus de 71 % situation est tout à fait différente dans les grandes entre-
des entreprises sont de nationalité camerounaise, c’est-à- prises qui mettent en œuvre des méthodes classiques de
dire que la majorité du capital appartient aux nationaux et gestion. 70 % des entreprises établissent des plans. L’accent
que les dirigeants sont également des camerounais. Les est mis sur les plans à court terme car l’avenir étant devenu
principales grandes entreprises sont parfois dirigées par des incertain il faut que l’outil de production s’adapte à la réalité.
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service le moins standardisé est le service contrôle de tout simplement pour certains dirigeants par une association
gestion (32 % de procédures). 88 % des entreprises étudiées de tous à la gestion de l’entreprise.
possèdent un organigramme écrit. Ceci signifie que les
tâches et les responsabilités sont bien définies mais la réalité
est autre. La description des tâches incombant à chaque 2.1.3. Instrument de mesure
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs
Nombre Consistance
Variable mesurée Echelle utilisée Exemple d’item
d’items interne
α = 0,3746
Votre épouse influence votre
Influence de l’environnement Mintzberg (1986) 6
pouvoir
α = 0,4389
Les médias influencent votre
Influence des partenaires externes Mintzberg (1986) 6
pouvoir
α = 0,7150
Votre pouvoir repose sur un
Système d’autorité Mintzberg (1986) 6
système de contrôle personnel
α = 0,6416
Existence d’une mutuelle du
Système idéologique Mintzberg (1986) 8
personnel au sein de l’entreprise
α = 0,0235
Votre pouvoir repose sur vos
Système de compétence Mintzberg (1986) 4
connaissances
α = 0,2752
Déformation des objectifs de
Système politique Mintzberg (1986) 8
l’entreprise
α = 0,3685
Charreaux et Pitol-Belin Existence d’administrateurs
Conseil d’administration 23
(1992) externes
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Délimitation du
1
Délégation de
-0,3073 -0,5814 -0,2996 1
pouvoir
Instructions aux
-0,1484 0,0724 0,1417 0,0081 1
collaborateurs
variables indépendantes ne dépassent jamais 0,5, ce qui est situer ce nombre dans l’intervalle n/30 et n/50 pour limiter
satisfaisant : la condition d’indépendance entre les variables le nombre de facteurs à deux ou trois. Le « test du coude » ou
indépendantes est donc respectée. la règle de Kaiser nous ont permis de retenir dix facteurs dont
les valeurs propres sont supérieures à l’unité. Par la suite,
nous avons analysé l’accroissement de l’amplitude des
2.2. Les résultats facteurs provoqué par cette réduction ainsi que la possibilité
d’interpréter les résultats, ce qui nous a finalement donné le
2.2.1. Les principaux détenteurs d’influence tableau 3. Une typologie de pouvoir se dégage du tableau 3.
dans les entreprises Le premier style de pouvoir est le pouvoir normatif ou social
qui représente 71 % des dirigeants. C’est une forme de
Pour classer les entreprises étudiées, nous avons utilisé des pouvoir tout à fait légitime. Le dirigeant est à la tête de
facteurs qui résument les variables faisant partie des carac- l’entreprise avec le consentement de tous les principaux
téristiques du pouvoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de requérants de l’entreprise. Cette forme correspond au :
l’entreprise. Les facteurs ont été prélevés à l’aide de Système clos (Mintzberg, 1986), au Pouvoir normatif ou
l’Analyse en Composantes Principales, en réalisant une social (Etzioni, 1964).
rotation orthogonale (VARIMAX) de la matrice factorielle afin Le second type de pouvoir rencontré dans les entreprises
de faciliter son interprétation. Le nombre de facteurs retenus étudiées est la « Méritocratie ». 14 % de dirigeants appliquent
a été décidé à l’aide de trois critères : les valeurs propres ce style de pouvoir. Il repose sur la compétence et la connais-
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Délimitation du pouvoir 4,65 (1) 4,00 (3) 2,00 (4) 4,23 (1)
Contrôle direct des employés 4,38 (3) 3,79 (4) 1,90 (5) 3,99 (2)
Contrôle de toutes les décisions 4,65 (2) 4,14 (2) 2,00 (3) 3,86 (3)
Existence des relations de travail 3,45 (5) 4,43 (1) 5,00 (1) 3,80 (4)
Délégation du pouvoir 4,10 (4) 3,57 (5) 5,00 (2) 3,76 (5)
Vous donnez des instructions 3,37 (6) 4,00 (4) 5,00 (2) 3,67 (6)
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d’entreprise. Ce style de pouvoir correspond à : l’Arène se référer à la maison-mère pour des décisions stratégiques.
politique (Mintzberg, 1986), au Référent (French et Raven, Cette forme structurelle correspond à la structure innovante
1959), à l’organisation coercitive ou utilitaire (Etzioni, de Meschi, Arliaud et Roger (1996) ; et elle peut également
1964). Toutes ces formes de pouvoir traduisent la même être assimilée à la structure mécaniste de Burns et Stalker.
réalité : le pouvoir illégitime du chef d’entreprise. Caractérisée par une décentralisation des décisions limitée,
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs
Modèles structurels
Variables dominantes Bureaucratie professionnelle Bureaucratie mécaniste Adhocratie
(n = 44) (n = 16) (n = 24)
Standardisation service ressources humaines 3,15 (5) 4,07 (2) 5,00 (1)
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Consultation lors de la prise de décision 3,15 (4) 3,79 (4) 4,00 (5)
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Somme des
Analyse de variance DL Carrés moyens F Signification F Analyse du modèle
carrés
R multiple = 0,56092
Régression 6 14,02374 2,33729 5,89149 0,0000***
2.2.3. Tests des hypothèses de la recherche La distinction est très nette en ce qui concerne le
« Référent » et la « Méritocratie ». Les premiers adoptent
Ainsi, il convient également de tester l’influence de l’âge et généralement une structure « Adhocratique ». Cette forme
de la taille de l’entreprise sur le pouvoir du dirigeant. Ce test structurelle en pleine évolution nécessite vraiment une flexi-
est présenté dans le tableau ci-dessous : bilité et des compétences étant donné que la majorité (82 %)
On constate ainsi que l’âge et la taille de l’entreprise influen- des dirigeants ont un niveau d’études supérieures. Par
cent significativement le pouvoir du dirigeant. Les dirigeants contre, la deuxième typologie est plus orientée vers la
des entreprises créées avant les années 1980 adoptent un style « Bureaucratie professionnelle ». C’est une caractéristique
de pouvoir normatif ; pourtant ces mêmes dirigeants sont à la des jeunes dirigeants instruits qui veulent tout changer en
tête de petites structures. Il existe une relation inverse entre innovant à tous les niveaux de l’entreprise. Ils concentrent
l’âge et la taille de l’entreprise (c = -0, 1573 et p = 0,077). Ceci ainsi tout le pouvoir de décision. La dernière typologie de
voudrait tout simplement dire que la taille de l’entreprise n’aug- pouvoir (logiquement la première) à savoir le « pouvoir
mente pas en fonction de son âge. On rencontre ainsi dans normatif ou social », se contente d’adopter une structure
l’environnement camerounais des entreprises créées dans les dénommée la « Bureaucratie mécaniste ». Ce sont générale-
années 1970 qui sont toujours considérées comme des PME ment des dirigeants autodidactes qui sont à la tête de telles
selon notre critère (le nombre d’employés). structures.
En ce qui concerne la forme structurelle, l’analyse de régres-
sion nous donne un coefficient de corrélation multiple de
0,56092, soit un R2 = 0,31464. La valeur du test F calculée Conclusion
est de 5,89149. Ce test est significatif. Ces résultats
indiquent que l’ajustement global est satisfaisant. Les princi- L’objectif de cet article était de décrire les pratiques
pales dimensions du pouvoir du dirigeant ont un impact signi- camerounaises en matière de structure et de pouvoir d’une
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