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L'INFLUENCE DU POUVOIR DU DIRIGEANT SUR LA STRUCTURE DE

L'ENTREPRISE
Une étude à partir des entreprises camerounaises

Jean-François Ngok Evina, Lucien Kombou

Direction et Gestion | « La Revue des Sciences de Gestion »

2006/3 n°219 | pages 89 à 98


ISSN 1160-7742
ISBN 9782916490035
DOI 10.3917/rsg.219.0089
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2006-3-page-89.htm
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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219 — Organisation 89

L’influence du pouvoir du dirigeant

Entrepreneurs, créateurs et repreneurs


sur la structure de l’entreprise :
une étude à partir des entreprises camerounaises
par Jean-François Ngokevina et Lucien Kombou

’apparition de nouveaux modes d’organisation et de

L gestion des entreprises au cours des deux dernières


décennies a renouvelé l’intérêt pour le design organisa-
tionnel comme facteur stratégique (Maronnat-Geffroy,
2001). Ce renouveau pour l’analyse des modes d’organisa-
tion résulte des difficultés auxquelles s’est heurté le
fordisme (appelé aussi « modèle hiérarchique ») par certains
auteurs à la fin des années 60. De nombreux observateurs
ont vu dans ce nouveau mode d’organisation et de gestion
une des sources principales de l’écrasante supériorité des
J e a n - F r a n ç o i s N GO K E V I N A , entreprises japonaises. Parmi les travaux qui cherchent à
Enseignant-chercheur, Université de Douala comprendre et à expliquer les formes organisationnelles
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depuis les travaux initiatiques de Burns et Stalker (1961)
(Cameroun), Chercheur au CREGE, (Centre de jusqu’à ceux de Aoki (1990, 1991) émergent deux principes
Ressources en Economie et Gestion) d’interprétation mettant l’accent sur : le concept de
Bordeaux, (France) cohérence et la définition de deux idéaux-types organisation-
nels réifiés dans les travaux récents sous la forme de
modèles H (horizontal) et V (vertical).
L’avènement des technologies de l’information et de la
communication rend obsolète la « One best way » chère aux
théoriciens classiques. La recherche de la compétitivité des
entreprises peut ainsi être liée non seulement à son outil de
production, mais aussi à la flexibilité de son capital humain.
L’évolution de l’environnement économique impose aux
entreprises une rationalisation des relations avec leurs
clients, leurs fournisseurs, et l’ensemble de leurs partenaires
extérieurs. Elles se retrouvent rapidement confrontées à une
inadaptation de leurs structures organisationnelles (Watiez,
Lu cie n KO M BO U
2002). La mondialisation fait subir de plein fouet ses effets
Agrégé en sciences de gestion, à l’intérieur des entreprises et met à mal les repères qui
Université de Douala paraissaient éternels dans le domaine de management des
(Cameroun) entreprises (Kammoun, 2002).

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On assiste à travers le monde à la montée en puissance des construit. Même si l’on perçoit une opposition naturelle entre
actionnaires, ils font virer les directeurs des grandes entre- ces deux approches, notre objectif n’est pas de nourrir une
prises occidentales. Ces derniers deviennent des interlocu- nouvelle controverse. C’est la raison pour laquelle nous allons
teurs valables et non plus de simples outils de production. présenter les déterminants de la structure organisationnelle
C’est la raison pour laquelle les droits des actionnaires ainsi d’une part et nous essayerons en plus d’établir un lien entre
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs

que de tous les salariés sont désormais garantis. Si le pouvoir du dirigeant et la structure de son entreprise
l’ensemble de ces mesures est salutaire en Occident, elles d’autre part.
ne sont pas encore à l’ordre du jour dans les pays africains
en général et au Cameroun en particulier. Les entreprises
camerounaises évoluent seules sans la protection de l’Etat et 1.1. Les déterminants de la structure
les chefs d’entreprise gèrent comme ils veulent. Le code du organisationnelle
travail de 1992 leur donnent un pouvoir assez large, car ceux-
ci peuvent se séparer de leurs employés à tout moment en Comme l’indiquent Birkinshaw, Nobel et Ridderstrale (2002),
évoquant tout simplement que le licenciement est dû à des l’un des plus importants axes de pensée sur les organisations
problèmes économiques. Comment, dans cette mouvance, est la bien connue théorie contingente, dont le principal
les dirigeants parviennent-ils à exercer leur pouvoir face aux argument est qu’il n’existe pas une meilleure façon d’orga-
salariés non impliqués dans la gestion quotidienne de l’entre- niser mais que la structure organisationnelle optimale
prise ? dépend d’une série de variables contingentes (Pertusa
L’objectif de cet article est d’expliquer l’influence ou non du Ortega et Rienda Garcia, 2005). Traditionnellement, cette
pouvoir du dirigeant sur la manière dont les tâches et les approche s’est centrée sur des variables comme l’incertitude
responsabilités sont réparties au sein de l’entreprise. Une et la complexité environnementale (Burns et Stalker, 1961),
telle étude n’est pas encore entreprise au Cameroun. C’est la la stratégie de la société (Chandler, 1972 ; Child, 1972), la
raison pour laquelle, compte tenu de nos spécificités cultu- taille de la société (Hickson, Pugh et Pheysey, 1969) ou la
relles1 et du contexte caractérisé par un environnement de technologie utilisée (Thompson, 1967 ; Woodward, 1965).
plus en plus turbulent et incertain, il semble nécessaire Comme cela est observé dans les précédents travaux, la
d’entreprendre une telle recherche. La manière dont le théorie contingente a dominé les études de conception et de
dirigeant exerce son pouvoir influence t-elle la manière dont fonctionnement organisationnels pendant les années 60 et
les tâches et les responsabilités sont réparties dans l’entre- 70 mais elle a reçu, dans les années 80, une série de
prise ? Quel style de pouvoir correspond à tel type de struc- critiques conceptuelles et empiriques et, par conséquent,
ture ? L’article se subdivise en deux sections : la première elle a cédé du terrain aux autres perspectives théoriques.
passe en revue les différents travaux existants tandis que la Aujourd’hui, la théorie contingente compte toujours sur ses
seconde présente les résultats de l’étude. adeptes, mais un changement d’emphase a eu lieu dans la
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littérature envers ladite « approche configurationnelle » qui
permet de déterminer l’ensemble des caractéristiques
1. Revue de la littérature environnementales et organisationnelles qui configure un
type déterminé ou une configuration structurelle et examine
Lorsqu’il est question de l’étude des structures organisation- ces configurations pour un meilleur résultat. Henriet (1999)
nelles, deux conceptions sont généralement admises : la trouve que c’est incontestablement l’environnement qui
conception holistique et la conception interactionniste constitue le déterminant incontournable, il est à l’origine de
(Leray, 1999). Relevant d’une vision « institutionnelle » toutes les nouvelles configurations. Il y a systématisation
(analyse de documents officiels, interview des dirigeants), la d’un facteur de contingence et généralisation des systèmes
conception holistique consiste à se référer à l’organigramme de correspondance : à un environnement stable et simple,
formel et à prendre en compte la décomposition des tâches, entreprise mécaniste, à un environnement instable et
les propriétés hiérarchiques, mécanismes de coordination. complexe, entreprise organique (Burns et Stalker, 1961).
Relevant d’une vision d’obédience sociométrique (analyse du Cette contingence environnementale est ensuite systéma-
réseau, perception de l’organisation sous forme de flux, tisée avec les principes d’intégration et de différenciation de
intérêt porté aux individus), la conception interactionniste Lawrence et Lorsch (1973).
consiste à se référer à l’organigramme réel, c’est-à-dire à la
manière dont l’organisation est construite au quotidien, et à
prendre en compte les relations entre les individus de l’orga- 1. L’expérience a montré que, dans les pays sous-développés, quand un
individu occupe un grand poste de responsabilité, c’est en premier lieu pour
nisation.
le bien de sa famille ou de sa région. On assiste d’ailleurs a des festivités lors
D’un côté, la structure relève de l’objectif et du contraignant. de la nomination de certaines personnes à des responsabilités élevées (minis-
De l’autre côté, la structure relève du subjectif et du tres, gouverneurs de province, etc.).

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La perception du risque dans le cadre d’un environnement compétitivité, où les rapports de partenariat entre fournis-
changeant, pour ne pas dire « contingent », est un élément seurs de capital financier et les détenteurs de capital humain
qui, indubitablement, tient une place prépondérante dans le deviennent indispensables, engageant les deux parties dans
processus de décision et de structuration. Les décideurs des formes d’entreprise, de partenariat et de gouvernance
recherchent une vision « précise » des événements futurs modernes qui sont encore en gestation. La question implici-

Entrepreneurs, créateurs et repreneurs


(Legohérel et al. (2003). Mercier-Suissa (1998) confirme la tement posée étant en définitive celle de la fin à assigner à
relation entre l’environnement et le comportement des la « gouvernance » de la société ; celle-ci devant conduire à
dirigeants. Dans un contexte d’incertitude, l’environnement rechercher un nouvel équilibre, c’est-à-dire un nouveau parte-
instable induit de nouveaux comportements managériaux. nariat entre investisseurs financiers et acteurs industriels.
Plusieurs auteurs s’intéressent à l’interaction entre Mazouz (2003), considère les dirigeants comme étant à l’ori-
stratégie-structure. Chandler (1972) est le premier à étudier gine de la diversité et de la différenciation des comporte-
cette relation et postule que c’est la structure qui suit la ments des organisations. Vecteurs à la fois attracteurs et
stratégie. Comme toute thèse managériale, la relation dissipateurs d’informations, de ressources et de valeurs, à
proposée par Chandler est contestée par plusieurs l’intérieur comme à l’extérieur de leur organisation, c’est de
chercheurs. Ainsi, Desreumaux (1992) développe une la qualité de leurs services et de leurs échanges que dépen-
antithèse qui suggère que c’est la structure qui contraint la dent bien des aspects évolutifs de l’organisation. Certes, les
stratégie. Plusieurs auteurs présentent une synthèse de la différences individuelles d’ordre psychologique, liées à la
relation stratégie-structure (Lakhal et Limam, 2000). Il personnalité du dirigeant, sont extrêmement complexes à
semble donc difficile d’opter pour une des séquences « la étudier et à élucider. Par contre, des aspects relatifs aux
structure suit la stratégie » ou « la stratégie suit la struc- comportements décisionnels et aux préférences stylistiques
ture ». sont empiriquement vérifiables et peuvent nous renseigner
Dans l’entreprise, à partir d’une certaine taille, la décentrali- sur le rôle que joue le dirigeant sur la dynamique globale de
sation est considérée comme obligatoire (Bénassy, 2002). Il l’organisation. Parmi ces éléments, nous nous sommes tenu
va de soi que la taille des unités joue un rôle essentiel : dans au pouvoir à l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise
une grande organisation, la division du travail est plus (Mintzberg, 1986 ; Landier, 1996).
poussée, la standardisation renforce la coordination par la Pour Desreumaux (1996), les pratiques de désintégration
hiérarchie, le degré de formalisation est élevé (Charpentier, impliquent un remplacement de la grande entreprise par un
1998). La taille de l’entreprise est considérée comme un système de socio-entrepreneurship. Ces nouvelles formes
facteur explicatif des différences de structure (Kalika, d’organisation sont caractérisées par une réduction du
Guilloux, Laval, 1998). De nombreuses études montrent nombre de niveaux hiérarchiques et l’adoption de structures
l’influence positive de la taille sur la structure des entre- plates avec éventail de subordination. L’implantation de
prises (Dayan, 1999). L’âge de l’organisation joue dans le nouvelles conditions de fonctionnement analogues à celles
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même sens d’une tendance à la complexité, au poids d’une PME valorise l’autocontrôle et le fonctionnement parti-
renforcé de la fonction administrative (Mintzberg, 1982). cipatif par une prise de décision plus décentralisée (Gosse,
Les facteurs de contingence tels que la position concurren- Sargis-Roussel et Sprimont, 2002). Ce nouveau mode de
tielle, les comportements managériaux sont mis au second fonctionnement est facilité par le développement d’un
plan, ce qui paraît contestable. Ils sont pourtant à l’origine système de communication en réseau (intranet) qui permet
de contraintes et exigent des configurations qui leur sont de compenser l’éloignement entre les différentes entités de
spécifiques. C’est la raison pour laquelle nous essayons la nouvelle organisation.
d’établir un lien entre le pouvoir du dirigeant et la structure La raison de l’évolution des structures s’explique par la
de son entreprise. dynamique du jeu social, où des acteurs, disposant de « zones
irréductibles de contrôle de l’incertitude », interagissent sur
les projets, au cours des relations dialectiques de conflits et
1.2. Essai d’établissement d’une relation de coopération (Kammoun, 2002). Cette supposition consi-
entre le pouvoir du dirigeant et la dère que les acteurs peuvent avoir pris sur leur destin, notam-
ment grâce à la création de nouveaux systèmes d’informa-
structure de l’entreprise tion, venant modifier les systèmes de décision existants.
L’analyse du pouvoir dans les sociétés de capitaux suscite Crozier et Friedberg (1977) définissent, à ce propos, la
débats et interrogations à l’heure où s’engage une réforme régulation comme l’ensemble des mécanismes par lequel un
du droit des sociétés en Afrique notamment à travers système naturel se maintient. Ils considèrent que la régula-
l’Ohada2. Hirigoyen (1996) considère qu’une telle évolution
est nécessaire dans une économie productive où le capital
humain et intangible des entreprises est un facteur-clé de 2. Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires.

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tion s’opère par l’action de jeux structurés définissant à 2. Démarche empirique


l’avance quelles sont les possibilités de la stratégie ration-
nelle existant pour chacun des acteurs. La régulation
apparaît donc pour le maintien d’un équilibre « un système 2.1. Méthodologie de la recherche
humain, n’obéit pas à des règles très précises, assorties de
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs

mécanismes automatiques de rajustement. Il se régule dans Elle concerne la démarche d’ensemble de la recherche
la mesure où il tend à revenir, pendant des périodes relative- partant de la procédure de collecte des données, la présen-
ment longues, à l’équilibre que postule la structuration ». tation de l’échantillon, l’instrument de mesure et les
L’élévation du niveau de compétence des employés, le rejet méthodes statistiques utilisées pour le traitement des
de l’autorité et la complexité du travail sont autant de données.
facteurs non exhaustifs qui expliquent que l’injonction et la
coercition soient, dans de nombreux cas, inappropriées
(Seignour et Dubois, 1996). La hiérarchie n’est alors plus à 2.1.1. Procédure de collecte des données
même de maîtriser et de contrôler le travail de ses subor-
donnés. Il s’agit désormais non plus d’imposer et de Les données sont collectées à l’aide d’un questionnaire. Pour
contraindre, puisque l’engagement et l’implication des élaborer ce questionnaire, l’apport des travaux antérieurs, en
salariés semblent devenir des facteurs de performance, mais particulier ceux relatifs au pouvoir du dirigeant et à la struc-
d’intégrer, de convaincre et de responsabiliser un personnel ture des entreprises servent de support théorique. Le
perçu comme détenteur du succès ou de l’échec de l’organi- questionnaire relatif au pouvoir dérive des travaux de
sation. Dans le même ordre d’idées, Rojot (2005) considère Mintzberg (1986) tandis que celui portant sur la structure
qu’une organisation est caractérisée par une multitude organisationnelle provient des travaux de Kalika (1988).
d’incertitudes et leurs interactions. En effet, dans toute
organisation les individus sont interdépendants. L’exécution
satisfaisante des tâches de chacun dépend toujours soit 2.1.2. Echantillon
d’une action directe, soit d’une information transmise par
d’autres. Le pouvoir est lié à l’impossibilité d’éliminer l’incer- La taille de l’échantillon est déterminée selon la méthode non
titude du fonctionnement de l’organisation, elle-même décou- probabiliste, car, dans un pays en voie de développement
lant de l’impossibilité de tout prévoir, c’est-à-dire de la consé- comme le Cameroun, il n’existe pas une base de données
quence directe de la rationalité limitée des acteurs en regroupant toutes les entreprises. Cet état de choses conduit
présence dans toute situation organisationnelle. Nizet et généralement le chercheur à opter pour une démarche non
Pichault (2001) relèvent que l’observation concrète du probabiliste. Trois catégories d’entreprises font partie de
fonctionnement de l’organisation a souvent un décalage l’étude. Il s’agit : des entreprises familiales, managériales et
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entre les mécanismes officiels, ceux qui affirment la contrôlées. L’étude repose sur un échantillon de 84 entre-
présence du pouvoir formel et la manière dont les acteurs prises appartenant à des secteurs d’activité variés. 104
assurent effectivement la coordination de leur travail. Dans entreprises ont été contactées, 14 (13 %) n’ont pas répondu
une telle perspective, l’organisation du travail peut être vue à notre demande et 6 questionnaires ont été inexploitables.
comme un va-et-vient permanent entre la tentative d’imposi- 84 questionnaires ont été retenus, soit un taux de réponses
tion de certains mécanismes par les responsables managé- exploitables de 81 %. L’étude a durée trois mois à travers les
riaux et les stratégies de réappropriation déployées par les principales villes du Cameroun.
opérateurs en vue d’échapper, du moins partiellement, à Les entreprises étudiées exercent majoritairement leurs
l’emprise de ces mécanismes et d’y substituer d’autres, activités dans le secteur industriel (52 % d’entreprises). Il
davantage conformes à leurs intérêts : on peut ainsi citer s’agit des petites industries à savoir : l’industrie du papier,
l’exemple classique du conflit de légitimité entre les l’industrie du bois et la métallurgie. Ces activités sont en
analystes, visant la formalisation et les opérateurs cherchant pleine expansion au Cameroun car elles correspondent aux
à bénéficier d’une plus large autonomie dans le cadre de besoins de développement du pays, avec la création d’un
mécanismes basés sur les relations interpersonnelles. ministère chargé de l’enseignement technique et de la forma-
Compte tenu de tout ce qui précède, les hypothèses ci- tion professionnelle. Plus de 28 % d’entreprises ont été
dessous peuvent être énoncées : créées après 1988. Cette période a été marquée par la ferme-
ture de plusieurs entreprises publiques, parapubliques et
H1 : « Les variables du contexte influencent significativement privées, suite à la crise économique qui a secouée le pays.
le pouvoir du dirigeant » ; Ces entreprises se distinguent ainsi par leur taille. Plus de
H2 : « Le pouvoir du dirigeant détermine la structure de 82 % des entreprises sont des PME : ce résultat correspon-
l’entreprise ». dant aux différentes études empiriques entreprises au

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Cameroun (Bekolo, 2003 ; Ngok Evina, 2004). Plus de 71 % situation est tout à fait différente dans les grandes entre-
des entreprises sont de nationalité camerounaise, c’est-à- prises qui mettent en œuvre des méthodes classiques de
dire que la majorité du capital appartient aux nationaux et gestion. 70 % des entreprises établissent des plans. L’accent
que les dirigeants sont également des camerounais. Les est mis sur les plans à court terme car l’avenir étant devenu
principales grandes entreprises sont parfois dirigées par des incertain il faut que l’outil de production s’adapte à la réalité.

Entrepreneurs, créateurs et repreneurs


nationaux bien que les capitaux appartiennent aux étrangers. La flexibilité est ainsi la lettre de noblesse de ces unités de
C’est le cas par exemple de Aes-Sonel dont les actions sont production. 70 % des entreprises établissent des objectifs.
détenues majoritairement par des Américains mais dont le Ceux-ci sont le plus souvent à court terme et, dans les
poste de directeur général revient à un camerounais. C’est moyennes unités de production, les objectifs sont de plus en
une stratégie de souveraineté nationale. plus précis.
Les entreprises privées représentent 67 % de l’échantillon 56 % des entreprises enquêtées disposent d’un service de
tandis que les entreprises managériales représentent 19 % de contrôle. Ce service est la caractéristique exclusive des
l’échantillon. Ce résultat fait suite à la professionnalisation grandes entreprises et dans quelques moyennes entreprises
des enseignements à l’enseignement supérieur car depuis, la dont l’effectif est supérieur à deux cent employés. 69 % des
réforme de 1993, les jeunes diplômés s’installent à leur entreprises exercent le contrôle par la voie hiérarchique.
propre compte. C’est la raison pour laquelle 56 % de Quand le chef d’entreprise constate des dysfonctionnements
dirigeants ont moins de 60 ans. L’entrepreneuriat est dans certains services, il met immédiatement une équipe
toujours dominé par les hommes, ces derniers représentent pour clarifier la situation et proposer des mesures à prendre
91 % de l’échantillon. Les femmes ne s’intéressent pas pour juguler cet écart par rapport à la situation normale. Plus
encore assez à la création d’entreprise, leurs revendications de 53 % d’entreprises effectuent un contrôle global ; 40,5 %,
par rapport aux hommes se focalisent encore dans le un contrôle sectoriel. Le contrôle sectoriel est celui qui est
domaine public. 82 % des dirigeants ont un niveau d’études exercé uniquement sur le plan financier ou dans certains
supérieures, ce qui est très appréciable compte tenu de l’évo- services stratégiques de l’entreprise. Le contrôle global,
lution économique mondiale. 18 % des dirigeants sont des quant à lui est destiné à toute l’entreprise. Cette fréquence
expatriés, ceux-ci ne sont pas seulement à la tête des entre- de contrôle est liée au contrôle du travail proprement dit et
prises dont le capital est en partie ou en totalité détenu par non au contrôle des ressources financières, car ce dernier
les expatriés, mais ces derniers sont le plus souvent liés à fait le plus souvent l’objet de contrôles inopinés. 73 % des
l’entreprise par un contrat d’agence. En cherchant à tout prix dirigeants optent pour des contrôles mensuels ou semes-
la transparence et la performance de leurs entreprises, les triels. Ce système conduit souvent à des déformations
hommes d’affaires camerounais nouent des accords de d’objectifs de la part des exécutants mais également à la
coopération avec des investisseurs étrangers. 29 % des responsabilisation du personnel. 17 % des dirigeants optent
propriétaires – dirigeants ont été identifiés dans les entre- pour un contrôle quotidien. Ce système est plus coûteux et
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prises étudiées. Cette situation est décriée par les théori- conduit à un esprit de suspicion au sein de l’entreprise.
ciens de la gouvernance des entreprises, parce que le pouvoir La socialisation fait référence au processus d’acquisition et
de direction et de contrôle repose sur un même individu. d’adaptation par lequel le nouvel arrivant apprend le système
L’éventail de subordination moyen des dirigeants situés au de valeurs, les normes et les comportements du poste de
plus haut niveau de l’organigramme est de 10. L’éventail de travail qu’il vient de rejoindre. C’est dans cette logique que
subordination est plus élevé dans les moyennes entreprises les procédures de recrutement se font essentiellement par
où il se situe à 12 employés qui sont sous la responsabilité écrit (63 % des entreprises enquêtées). Cela se justifie par le
du directeur général. Dans les grandes entreprises, il est de sérieux qu’affichent les dirigeants car, avec le phénomène de
11 environ. Le nombre de niveaux hiérarchiques est sensible- faux diplômes, ce n’est pas souvent exactement celui qui
ment le même dans les deux catégories d’entreprise et possède un parchemin qui en est le véritable propriétaire. Le
correspond à 4 dans les moyennes entreprises et à 5 dans les recrutement par écrit permet donc d’éliminer ceux qui n’ont
grandes entreprises. Les moyennes entreprises possèdent vraiment pas le niveau requis malgré la possession d’un
plus de fonctions que les grandes entreprises, mais la diffé- parchemin qui reste avant tout un simple papier.
rence n’est pas significative. Ceci traduit une certaine L’échelle de standardisation d’ensemble permet de différen-
tendance pour créer des postes de responsabilité à tout le cier les entreprises et de distinguer les entreprises plus
monde même si cela n’est pas bénéfique pour l’entreprise. standardisées (trop de procédures, toutes les tâches sont
82 % des dirigeants élaborent une stratégie. Cependant, dans prévues par des procédures). Ceci étant, plus de 64 % des
certaines entreprises étudiées, l’atteinte des objectifs ou entreprises sont standardisées. Le service de gestion des
l’inverse fait toujours recours à des pratiques peu ortho- ressources humaines peut être considéré comme le service
doxes. Quand une entreprise réalise des profits, les concur- le plus standardisé (40 % de procédures), suivi des services
rents allient cette performance aux pratiques occultes. La recherche et développement et comptabilité-finance. Le

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service le moins standardisé est le service contrôle de tout simplement pour certains dirigeants par une association
gestion (32 % de procédures). 88 % des entreprises étudiées de tous à la gestion de l’entreprise.
possèdent un organigramme écrit. Ceci signifie que les
tâches et les responsabilités sont bien définies mais la réalité
est autre. La description des tâches incombant à chaque 2.1.3. Instrument de mesure
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs

poste prend différentes formes selon la nature du poste et


son niveau hiérarchique. Pour le personnel situé en bas de la Les échelles de mesure utilisées sont des échelles d’accord
hiérarchie, celle-ci consiste en une liste des travaux et des en cinq points, de type Likert (1 = pas du tout d’accord ; 5
opérations à accomplir pour chaque poste. Pour les fonctions = tout à fait d’accord). Leur unidimensionnalité est vérifiée
de responsabilité, « la définition s’attarde plutôt à la fonction par des analyses factorielles exploratoires et leur fiabilité
fondamentale du poste, aux secteurs importants dont le testée par l’alpha de Cronbach. Le tableau ci-dessous
titulaire est responsable, aux relations d’autorité correspon- présente les caractéristiques des échelles de mesure utili-
dantes et fait mention du tableau de délégation des pouvoirs sées dans cette recherche.
en vigueur… ». Cette approche de la fiche de fonction est
plus centrée sur les objectifs et les responsabilités que sur
les tâches à accomplir. 86 % des entreprises étudiées possè- 2.1.4. Méthode d’analyse des données
dent des fiches de fonction.
Lorsqu’on parle d’exercice du pouvoir dans l’entreprise, on a Le traitement des données est faite à l’aide du logiciel SPSS.
toujours en tête la centralisation et/ou la décentralisation L’approche descriptive du pouvoir du dirigeant nous a conduit
qui sont les deux continuum. La prise de décision dans les à l’adoption de l’Analyse en Composantes Principales et de
entreprises en ce moment tend vers une responsabilisation l’analyse de régression. La typologie du pouvoir du dirigeant
du personnel, les entreprises camerounaises en sont est obtenue en effectuant une classification ascendante
conscientes pour leur compétitivité car le facteur humain est hiérarchique (CAH) selon la méthode de Ward. Sur la base
considéré comme la ressource première de développement. d’un découpage optimal (valeur du pseudo F et du critère
Plus de 50 % des dirigeants consultent leurs collaborateurs cubique), la CAH conduit à retenir une typologie en trois
avant la prise de décision. Ceci permet à l’équipe dirigeante classes.
de s’enquérir de la situation au bas de la hiérarchie avant la Les coefficients de corrélation entre les variables doivent
prise de décision. La mesure du degré de décentralisation être au préalable étudiés afin de s’assurer que les variables
concerne la localisation de la prise de décision et la partici- entrant dans le modèle ne sont pas colinéaires. Le tableau ci-
pation à la prise de décision. Elle se caractérise tant sur le dessous présente les intercorrélations entre toutes les varia-
plan de l’entreprise dans son ensemble qu’au niveau des bles concernées par l’étude. Ces corrélations sont toutes
services. Il y a une forte tendance à la participation à la prise inférieures au seuil de 0,80, valeur au-delà de laquelle la
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de décision car 50 % des dirigeants sont un peu d’accord colinéarité est considérée comme problématique (Cerdin,
pour la participation à la prise de décision. Ceci se traduit Colle et Peretti, 2005). En outre, les corrélations entre les

Tableau 1 : Caractéristiques des échelles de mesure

Nombre Consistance
Variable mesurée Echelle utilisée Exemple d’item
d’items interne

α = 0,3746
Votre épouse influence votre
Influence de l’environnement Mintzberg (1986) 6
pouvoir

α = 0,4389
Les médias influencent votre
Influence des partenaires externes Mintzberg (1986) 6
pouvoir

α = 0,7150
Votre pouvoir repose sur un
Système d’autorité Mintzberg (1986) 6
système de contrôle personnel

α = 0,6416
Existence d’une mutuelle du
Système idéologique Mintzberg (1986) 8
personnel au sein de l’entreprise

α = 0,0235
Votre pouvoir repose sur vos
Système de compétence Mintzberg (1986) 4
connaissances

α = 0,2752
Déformation des objectifs de
Système politique Mintzberg (1986) 8
l’entreprise

α = 0,3685
Charreaux et Pitol-Belin Existence d’administrateurs
Conseil d’administration 23
(1992) externes

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La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219 — Organisation 95

Tableau 2 : Matrice des corrélations des variables explicatives

Délimitation du Délégation du Instructions aux


Contrôle personnel Relations de travail
pouvoir pouvoir collaborateurs

Délimitation du
1

Entrepreneurs, créateurs et repreneurs


pouvoir

Contrôle personnel 0,4473 1

Relations de travail -0,4596 0,0048 1

Délégation de
-0,3073 -0,5814 -0,2996 1
pouvoir

Instructions aux
-0,1484 0,0724 0,1417 0,0081 1
collaborateurs

variables indépendantes ne dépassent jamais 0,5, ce qui est situer ce nombre dans l’intervalle n/30 et n/50 pour limiter
satisfaisant : la condition d’indépendance entre les variables le nombre de facteurs à deux ou trois. Le « test du coude » ou
indépendantes est donc respectée. la règle de Kaiser nous ont permis de retenir dix facteurs dont
les valeurs propres sont supérieures à l’unité. Par la suite,
nous avons analysé l’accroissement de l’amplitude des
2.2. Les résultats facteurs provoqué par cette réduction ainsi que la possibilité
d’interpréter les résultats, ce qui nous a finalement donné le
2.2.1. Les principaux détenteurs d’influence tableau 3. Une typologie de pouvoir se dégage du tableau 3.
dans les entreprises Le premier style de pouvoir est le pouvoir normatif ou social
qui représente 71 % des dirigeants. C’est une forme de
Pour classer les entreprises étudiées, nous avons utilisé des pouvoir tout à fait légitime. Le dirigeant est à la tête de
facteurs qui résument les variables faisant partie des carac- l’entreprise avec le consentement de tous les principaux
téristiques du pouvoir tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de requérants de l’entreprise. Cette forme correspond au :
l’entreprise. Les facteurs ont été prélevés à l’aide de Système clos (Mintzberg, 1986), au Pouvoir normatif ou
l’Analyse en Composantes Principales, en réalisant une social (Etzioni, 1964).
rotation orthogonale (VARIMAX) de la matrice factorielle afin Le second type de pouvoir rencontré dans les entreprises
de faciliter son interprétation. Le nombre de facteurs retenus étudiées est la « Méritocratie ». 14 % de dirigeants appliquent
a été décidé à l’aide de trois critères : les valeurs propres ce style de pouvoir. Il repose sur la compétence et la connais-
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supérieures ou égales à l’unité (règle de Kaiser), l’examen du sance du dirigeant. Il s’agit de l’expertise dont le dirigeant
graphique de sédimentation et le pourcentage de variabilité fait preuve. Cette forme de pouvoir peut être associée à : la
justifiée. Nous avons réalisé une analyse de groupe à l’aide Méritocratie (Mintzberg, 1986).
de l’algorithme de Ward, en utilisant la distance euclidienne Le « Référent » est un dirigeant qui a un pouvoir reposant sur
au carré comme indice de similitude et les facteurs définis la coalition interne. Son système privilégié est le système de
auparavant comme variables. Pour décider du nombre de politique c’est-à-dire que son pouvoir n’est pas tout à fait
facteurs à considérer, nous avons essayé d’adapter le nombre légitime. C’est un style de pouvoir dominant dans les entre-
de groupes à la dimension de la population (n), de façon à prises étudiées, car il représente 14 % des dirigeantss

Tableau 3 : Moyenne des variables dans les groupes


Principaux modèles de pouvoir
Variables dominantes Total
Normatif ou social (n = 60) Référent (n = 12) Méritocratie (n = 12)

Délimitation du pouvoir 4,65 (1) 4,00 (3) 2,00 (4) 4,23 (1)

Contrôle direct des employés 4,38 (3) 3,79 (4) 1,90 (5) 3,99 (2)

Contrôle de toutes les décisions 4,65 (2) 4,14 (2) 2,00 (3) 3,86 (3)

Existence des relations de travail 3,45 (5) 4,43 (1) 5,00 (1) 3,80 (4)

Délégation du pouvoir 4,10 (4) 3,57 (5) 5,00 (2) 3,76 (5)

Vous donnez des instructions 3,37 (6) 4,00 (4) 5,00 (2) 3,67 (6)

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96 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219 — Organisation

d’entreprise. Ce style de pouvoir correspond à : l’Arène se référer à la maison-mère pour des décisions stratégiques.
politique (Mintzberg, 1986), au Référent (French et Raven, Cette forme structurelle correspond à la structure innovante
1959), à l’organisation coercitive ou utilitaire (Etzioni, de Meschi, Arliaud et Roger (1996) ; et elle peut également
1964). Toutes ces formes de pouvoir traduisent la même être assimilée à la structure mécaniste de Burns et Stalker.
réalité : le pouvoir illégitime du chef d’entreprise. Caractérisée par une décentralisation des décisions limitée,
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs

la « Bureaucratie mécaniste » concerne 19 % d’entreprises. Il


s’agit généralement des entreprises dirigées par des proprié-
2.2.2. Typologie des structures taires autodidactes dont la main d’œuvre est essentiellement
des entreprises étudiées familiale. Le contrôle, en tant qu’outil formel contribue ainsi
à une meilleure coordination et à un meilleur suivi des tâches
Très formalisé, le modèle de la « Bureaucratie profession- décomposées hiérarchiquement, afin de lutter contre les
nelle » comprend 52 % d’entreprises. Ceci s’explique par le limites cognitives des acteurs (Thiétart et Forgues, 1993).
fait que chaque dirigeant veut concentrer le pouvoir de La planification elle aussi se présente comme un moyen privi-
décision à son niveau, malgré le caractère précaire de la légié des firmes pour réaliser leur mission, bien que cette
décentralisation. Ces entreprises sont majoritairement affirmation soit régulièrement remise en cause.
constituées des grandes entreprises appartenant au secteur Très standardisée, « l’Adhocratie » se retrouve dans 29 %
industriel. Il s’agit des activités complexes et des BTP d’entreprises. Ce modèle se caractérise par l’instabilité de
(Bâtiments et Travaux Publics). A la tête de ces entreprises, l’environnement et consiste à remplacer les fonctions par les
on retrouve souvent une dualité de commandement. D’une processus. Ces entreprises sont gérées majoritairement par
part, le maître d’ouvrage et le chef d’œuvre (cas des entre- des dirigeants instruits. Ils mettent plutôt l’accent sur la
prises de travaux publics), et d’autre part, le cas des entre- standardisation et la formalisation. En fait, ces dirigeants
prises contrôlées par la maison-mère. Ces dernières ne dispo- centralisent le pouvoir au plus haut niveau de l’organigramme
sent pas d’une véritable autonomie car elles doivent toujours car ils veulent tout contrôler personnellement.

Tableau 4 : Moyenne des variables dans les groupes

Modèles structurels
Variables dominantes Bureaucratie professionnelle Bureaucratie mécaniste Adhocratie
(n = 44) (n = 16) (n = 24)

La distance hiérarchique 4,20 (1) 4,29 (1) 3,30 (7)

Standardisation service ressources humaines 3,15 (5) 4,07 (2) 5,00 (1)
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Standardisation service R & D 3,20 (3) 3,36 (6) 5,00 (4)

Standardisation service comptabilité 2,98 (6) 3,79 (5) 5,00 (3)

Consultation lors de la prise de décision 3,15 (4) 3,79 (4) 4,00 (5)

Standardisation service production 2,83 (7) 4,07 (3) 5,00 (2)

Formalisation dans l’entreprise 3,22 (2) 3,14 (7) 3,00 (8)

Décentralisation de la prise de décision 2,78 (8) 3,14 (8) 4,00 (6)

Tableau : 5 Relation entre l’âge de l’entreprise, la taille et le pouvoir du dirigeant


Date de création de l’entreprise Forme de l’entreprise
Avant 1980 Après 1980 Grande PME
Normatif 37 23 10 50
Type de pouvoir Referent 12 5 7
Méritocratie 11 1 12
Pearson 10,01000 7,30435
DL 2 2
Signification 0,00670 ** 0,02593 *
* significatif au seuil de 5% ; ** significatif au seuil de 1%.

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Tableau 6 : Analyse de régression : Typologie structurelle/Style de pouvoir du dirigeant

Somme des
Analyse de variance DL Carrés moyens F Signification F Analyse du modèle
carrés

R multiple = 0,56092
Régression 6 14,02374 2,33729 5,89149 0,0000***

Entrepreneurs, créateurs et repreneurs


R2 = 0,31464
R2 ajusté = 0,26123
Résidus 77 30,54768 0,39672 Erreur standard = 0,62986

*** significatif au seuil de 1 %.

2.2.3. Tests des hypothèses de la recherche La distinction est très nette en ce qui concerne le
« Référent » et la « Méritocratie ». Les premiers adoptent
Ainsi, il convient également de tester l’influence de l’âge et généralement une structure « Adhocratique ». Cette forme
de la taille de l’entreprise sur le pouvoir du dirigeant. Ce test structurelle en pleine évolution nécessite vraiment une flexi-
est présenté dans le tableau ci-dessous : bilité et des compétences étant donné que la majorité (82 %)
On constate ainsi que l’âge et la taille de l’entreprise influen- des dirigeants ont un niveau d’études supérieures. Par
cent significativement le pouvoir du dirigeant. Les dirigeants contre, la deuxième typologie est plus orientée vers la
des entreprises créées avant les années 1980 adoptent un style « Bureaucratie professionnelle ». C’est une caractéristique
de pouvoir normatif ; pourtant ces mêmes dirigeants sont à la des jeunes dirigeants instruits qui veulent tout changer en
tête de petites structures. Il existe une relation inverse entre innovant à tous les niveaux de l’entreprise. Ils concentrent
l’âge et la taille de l’entreprise (c = -0, 1573 et p = 0,077). Ceci ainsi tout le pouvoir de décision. La dernière typologie de
voudrait tout simplement dire que la taille de l’entreprise n’aug- pouvoir (logiquement la première) à savoir le « pouvoir
mente pas en fonction de son âge. On rencontre ainsi dans normatif ou social », se contente d’adopter une structure
l’environnement camerounais des entreprises créées dans les dénommée la « Bureaucratie mécaniste ». Ce sont générale-
années 1970 qui sont toujours considérées comme des PME ment des dirigeants autodidactes qui sont à la tête de telles
selon notre critère (le nombre d’employés). structures.
En ce qui concerne la forme structurelle, l’analyse de régres-
sion nous donne un coefficient de corrélation multiple de
0,56092, soit un R2 = 0,31464. La valeur du test F calculée Conclusion
est de 5,89149. Ce test est significatif. Ces résultats
indiquent que l’ajustement global est satisfaisant. Les princi- L’objectif de cet article était de décrire les pratiques
pales dimensions du pouvoir du dirigeant ont un impact signi- camerounaises en matière de structure et de pouvoir d’une
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ficatif sur la structure organisationnelle de l’entreprise. Ainsi part, et d’établir si le pouvoir du dirigeant influence la
on peut conclure que le style de pouvoir du dirigeant manière dont les tâches et les responsabilités sont réparties
influence significativement la structure de l’entreprise. au sein de l’entreprise.

Tableau 7 : Déduction de la forme structurelle à partir du style de pouvoir du dirigeant

Forme structurelle Signification

B. Professionnelle B. Mécaniste Adhocratie Total


32 16 12 Pearson
53,3 % 26,7 % 20,0 % 60 = 44,29091 ;
Normatif
72,7 % 100 % 50,0 % (71,4 %) DL = 4 ;
38,1 % 19,0 % 14,3 % P = 0,00000
0 0 12
0,0 % 0,0 % 100,0 % 12
Style de pouvoir Référent
0,0 % 0,0 % 50,0 % (14,3 %)
0,0 % 0,0 % 0,0 %
12 0 0
100,0 % 0,0 % 0,0 % 12
Méritocratie
27,3 % 0,0 % 0,0 % (14,3 %)
14,3 % 0,0 % 0,0 %
Total 44 (52,4 %) 16 (19,0 %) 24 (28,6 %)

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98 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 219 — Organisation

French J.R.P et Raven B., « The Bases of Social Power », in Studies in


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sationnels liés aux stratégies d’externalisation : le cas d’une entreprise
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normatif ou social ; le référent et la méritocratie. En ce qui 128.
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concerne la structure organisationnelle, le nombre de
Entrepreneurs, créateurs et repreneurs

tions organisationnelles », Revue Française de Gestion, n° 124, 1999,


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Organization Structure : An Empirical Reappraisal », Administravive
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donne des résultats significatifs en ce sens que les princi- relations d’affaires internationales », Economies et Sociétés, Sciences de
pales dimensions du pouvoir influencent significativement la Gestion, n° 8-9, 1998, p. 517-535.
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loin, ou cherche à savoir le style de pouvoir qui conduit à telle de modélisation du fonctionnement des entreprises », Revue des Sciences
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structure organisationnelle. Les résultats de l’analyse des Lakhal L. et Limam M., « La relation stratégie qualité-structure organisa-
corrélations de Pearson donnent que le pouvoir normatif ou tionnelle : une recherche empirique auprès des entreprises tunisiennes »,
Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion, n° 182-183, 2000,
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p. 17-25.
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