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ENTREPRENEURES
Quel modèle d’accompagnement pour les femmes créatrices de très petites
entreprises ?
Typhaine Lebègue
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L’accompagnement institutionnel
des femmes entrepreneures
Quel modèle d’accompagnement
pour les femmes créatrices de très petites entreprises ?
Typhaine LEBÈGUE, Dr1
Enseignant-Chercheur
ESCEM, Tours
COMUE Centre Val de Loire
1 rue Léo Delibes – 37200 Tours
tlebegue@escem.fr
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1. Typhaine Lebègue est docteur en Sciences de Gestion, elle est enseignant-chercheur à l’ESCEM Tours. Elle est une
spécialiste des problématiques liées à l’entrepreneuriat féminin, ses travaux de thèse ayant étudié plus spécifiquement le
processus entrepreneurial des femmes en France. Elle s’intéresse aux problématiques de carrière et d’accompagnement
des femmes entrepreneures. Elle cherche à répondre aux préoccupations managériales qui en découlent et intervient régu-
lièrement lors de conférences publiques et auprès des femmes entrepreneures pour des missions d’accompagnement.
Ses travaux ont été publiés dans des revues francophones et des ouvrages internationaux spécialisés sur la question des
femmes entrepreneures.
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ery little research has been carried out on institutional support for women entre-
preneurs despite the recognized role of support plans in developing female
entrepreneurship. This study thus aims to identify the terms and conditions of
this support, so specific to the female entrepreneurial process of very small
business creation.
Our results show that the female entrepreneurial process requires specific and relevant
support services and that a lack of provision of this specific aid means that female entre-
preneurs may not wish to benefit from the support for business initiatives that is available.
We show that gender sensitivity, as a socially constructed categorization, can help offer
new types of support. This research also describes the importance of particular support
programs including several different learning methods and practices.
l’entrepreneuriat des femmes qui met en évidence une évolution critique dans les questionne-
ments. Ensuite, il insiste sur la pertinence de mobiliser le concept de genre pour interroger les
situations d’accompagnement. La prise en compte du genre, en tant que catégorisation socia-
lement construite, permet de proposer de nouveaux modèles d’accompagnement. Enfin, cet
article montre l’intérêt d’un accompagnement différencié qui combine plusieurs méthodes et
pratiques d’apprentissage.
La première partie de cet article présente le cadrage théorique de l’étude. Nous expo-
sons les travaux consacrés à la diversité des accompagnements entrepreneuriaux avant de
mettre en lumière les spécificités des femmes entrepreneures (FE), et de nous pencher sur les
résultats des études empiriques consacrées à l’accompagnement des FE. Après avoir présenté,
dans la seconde partie, les aspects méthodologiques de la recherche, nous exposons les résul-
tats dans la troisième partie. Nous dévoilons d’abord la logique entrepreneuriale des femmes
créatrices de TPE. Nous plongeons ensuite au cœur d’une situation d’accompagnement qui
nous permet de faire émerger les premiers éléments de compréhension des attentes des FE
concernant le soutien institutionnel. Enfin, ces éléments sont approfondis avec une présenta-
tion des caractéristiques de l’accompagnement « idéal » selon la perception des répondantes.
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1. Revue de littérature
Dans la première partie de ce travail, nous commençons par rendre compte de la néces-
sité d’adapter l’accompagnement au profil des entrepreneurs (1.1) puis nous nous intéressons
aux obstacles spécifiques auxquels sont confrontées les FE (1.2) avant d’exposer une recension
des travaux portant sur l’accompagnement des FE (1.3).
dispositifs de soutien plus personnalisés, en fonction des types de profils de créateurs (Léger-
Jarniou, 2005).
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et Welter, 2007 ; Manolova, Brush et Edelman, 2008), les politiques nationales et régionales de
soutien à l’entrepreneuriat, et les services d’appui proposés sont prépondérants (Costin, 2012).
L’accompagnement institutionnel peut, en effet, permettre aux FE de soutenir le développement
de leur entreprise et d’en assurer la pérennité (Treanor et Henry, 2011).
Bliss et Accompagnement des pays Pologne Analyses de 12 associations de FE Proposition d’un cadre de travail pour une
Garratt en transition et identification de + Historique de l’accompagnement association polonaise de FE et élaboration de
(2001) recommandations pour faire des FE en Pologne. recommandations pour les pays
progresser le nombre de FE en transition économique.
Peu de soutien formel auprès 1/ définir des objectifs clairs dès la création des
des entrepreneurs hommes ou associations, 2/ une approche « best practice »
femmes, expliqué par le fait que permet de passer outre les différences/
la Pologne est récemment passée méfiances culturelles, 3/ le benchmark doit
d’une économie socialiste au inclure des organisations de pays en transition
capitalisme économique, pas seulement d’économies
matures, 4/ il faut former les membres
fondateurs au marketing, levées de fonds, 5/
les efforts initiaux doivent se focaliser sur le fait
d’intégrer de nouveaux membres et
de lever de fonds.
Wilson, Analyse critique du développement Royaume-Uni Mobilisation de trois approches Le paradigme interventionniste de réduction
Whittam récent des politiques publiques théoriques développées en de la pauvreté est très présent dans la
et Deakins d’accompagnement des FE sciences politiques politique du Royaume-Uni car il met l’accent
(2004) 1/ paradigme néolibéral sur l’hétérogénéité des femmes (expérience,
2/ feminist empowerment paradigm origine ethnique et motivations).
3/ paradigme interventionnisme de
réduction de la pauvreté
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Tillmar Étude approfondie d’un projet Suède Étude longitudinale de deux années Les programmes d’accompagnement
(2007) destiné aux femmes propriétaires auprès de femmes en projet et de spécifiques aux FE ne garantissent pas une
de petites entreprises gérées par conseillers à la création d’entreprise impartialité dans la sélection des femmes
la grande organisation suédoise de accompagnées.
soutien aux entreprises. Les organismes d’accompagnement doivent
Question soulevée : avoir un haut niveau de compréhension
Dans quelle mesure le système de des attentes des FE pour éviter l’influence
genre a-t-il influé sur le processus de normes masculines. Cela implique que
de sélection des femmes les accompagnateurs soient conscients de
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Treanor et Étude auprès de tous les Irlande Étude quantitative et qualitative La faible proportion d’entreprises dirigées par
Henry (2010) incubateurs financés par menée auprès des dirigeants des femmes au sein des incubateurs en Irlande
l’organisme public « Enterprise d’incubateurs et des entrepreneurs vient essentiellement du fait que les démarches
Ireland » incubés de « recrutement » des entreprises incubées ne
Question soulevée : s’adressent pas spécifiquement aux femmes.
Pourquoi les femmes sont-elles Méconnaissance des besoins :
sous-représentées dans les l’accompagnement proposé est standard, et
incubateurs basés sur les campus les représentants des incubateurs estiment
irlandais ? à 88 % que les besoins des hommes et des
femmes accompagnés sont les mêmes.
Les entreprises appartenant à des femmes ne
jouissent pas du même soutien ni des mêmes
avantages que celles de leurs homologues
masculins.
Revue de
Dhaliwal Identification des principaux défis Royaume-Uni Étude quantitative auprès de Inadéquation entre l’offre d’accompagnement
(2010) que connaissent les femmes qui 1000 FE et les attentes des FE.
entreprennent La focalisation sur le résultat crée des
approches standardisées d’accompagnement.
Méconnaissance des services proposés par les
organismes d’accompagnement.
Besoin d’être conseillées par des personnes
ayant l’expérience de direction d’entreprise.
Lee, Sohn et Efficacité des politiques Corée du Sud Étude quantitative auprès de Les FE sont beaucoup plus satisfaites grâce
Ju (2011) d’accompagnement mises en 120 FE coréennes au processus de soutien gouvernemental.
place par le gouvernement coréen Entretiens face à face et Cependant, le degré de soutien du
à partir du degré de satisfaction questionnaires internet gouvernement est faible et doit donc être
des FE. augmenté.
La vie de famille, le réseau social,
l’environnement professionnel,
l’accompagnement mis en place par les
pouvoirs publics ont des effets directs sur la
satisfaction des FE.
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Drine et Degré de satisfaction des Tunisie Étude quantitative et qualitative Les services d’appui existants ne sont pas
Grach (2012) entrepreneurs (H/F) concernant auprès de 50 hommes et 50 FE, adéquats pour promouvoir l’entrepreneuriat
les 3 facteurs-clés de succès de détenant une majorité dans le féminin.
l’accompagnement : information, capital de l’entreprise, et gérant 47 % des personnes interrogées (H/F)
formation, financement. effectivement l’activité. pensent que les mesures d’aide permettent
d’augmenter le taux de survie des entreprises.
84 % disent avoir bénéficié des aides.
Information : les FE n’ont pas beaucoup
utilisé les aides par manque d’information/
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néolibéral.
Les 3 autres pays considérés (Suède, Finlande,
Islande) se situent entre ces deux extrêmes.
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2. Méthodologie
97 % des entreprises en France sont des très petites entreprises (TPE) et plus de la moi-
tié des femmes travailleures indépendantes (55 %) sont dirigeantes de micro-entreprises n’em-
ployant qu’elles-mêmes (Fouquet, 2005, Bernard, Le Moigne et Nicolaï, 2013). Parce qu’elle
concerne plus de la moitié des femmes chefs d’entreprise, la structure juridique micro-entre-
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leur projet – et leurs attentes quant à un accompagnement « idéal ». Pour celles qui n’ont pas
été accompagnées par un organisme, des questions ont été posées sur les raisons de ce choix.
Nous avons questionné les accompagnants sur leurs pratiques, la forme et le contenu de l’ac-
compagnement, la mesure de son efficacité, le processus de sélection et leurs perceptions de
l’entrepreneuriat des femmes. Des questions sur les projets des cinq créatrices ayant suivi l’ac-
compagnement ont également été posées. Cela nous a permis de confronter les perceptions
des créatrices et des accompagnateurs sur le projet de création d’entreprise de ces femmes.
26 entretiens d’une durée moyenne de 120 minutes ont été conduits avec les dix créa-
trices. Il faut noter que cette recherche sur l’accompagnement s’intègre dans une recherche
plus longue que la seule période de création puisqu’elle étudie le processus entrepreneurial des
femmes sur une durée de trois années. Nous avons mené entre deux et quatre entretiens avec
chaque créatrice. Les questions sur les motivations entrepreneuriales et sur l’accompagnement
tel qu’il était vécu par les femmes étaient posées au cours du premier entretien tandis que le
thème des caractéristiques de l’accompagnement idéal était évoqué au cours des entretiens
suivants. Quatre entretiens avec la directrice et avec deux de ses salariés ont été menés. Nous
avons eu l’occasion d’échanger avec la directrice et ses salariés de manière plus informelle lors
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des salons sur la création d’entreprise. Il faut noter que la directrice de la structure a aussi un
rôle d’accompagnatrice. Tous les entretiens ont été enregistrés et ont fait l’objet d’une retrans-
cription intégrale
La méthode retenue pour le traitement des données est l’analyse de contenu thématique
(Miles et Huberman, 2003). Nous avons élaboré une liste de codes : ce sont des « étiquettes »
ayant pour fonction de contribuer au traitement des données. La progression de notre analyse a
observé le passage du codage descriptif au codage plus explicatif.
Alors que le codage descriptif consiste à synthétiser des segments de données, le
codage explicatif vise à « regrouper ces résumés en un nombre plus réduit de thèmes ou d’élé-
ments conceptuels plus synthétiques » (Miles et Huberman, 2003 : 133). L’utilisation d’un logi-
ciel de traitement des données qualitatives – le logiciel Nvivo 8 – a facilité la structuration du tra-
vail d’analyse.
Cette démarche méthodologique, associant d’un côté les discours sur les pratiques qui
caractérisent une structure d’appui et, de l’autre, les récits des femmes sur leurs attentes en
matière d’accompagnement et le rôle qu’a pu y jouer la structure d’appui, nous paraît particuliè-
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3. Résultats
Afin d’atteindre cet objectif, nous répondrons aux questions suivantes :
—— Quelle est la logique entrepreneuriale des créatrices de TPE ? (3.1)
—— L’accompagnement actuel est-il adapté aux besoins des créatrices ? (3.2)
—— Comment les créatrices de TPE se représentent-elles l’accompagnement idéal ?
Recommandent-elles de mettre en place un accompagnement spécifique à l’entre-
preneuriat des femmes ? (3.3)
Les créatrices que nous avons rencontrées cherchent à donner du sens à leur action,
qu’elles inscrivent dans un véritable projet de vie. Il est intéressant de relever que plusieurs entre-
preneures dans notre échantillon font référence au terme « tripal » pour qualifier leur entrepreneu-
riat. Le terme « tripal » se rapporte à celui de « tripe » qui signifie dans ce contexte « ce qu’il y a
de plus intime, de plus profond en soi »2.
« Demain, on m’aurait dit “bon voilà écoute j’ai un super plan, on ouvre une
entreprise de vente de chaussures High-Tech avec des bulles d’air. J’ai un ami
qui a ouvert la même chose, il est milliardaire. Cela va marcher”. Je n’y serais
pas allée. Parce que c’est tripal, il y aurait eu la motivation de gagner de l’argent
certes, mais il n’y aurait pas eu la motivation d’un mieux-être dans ma vie, c’est-
à-dire pas un mieux-être matériel mais un mieux-être personnel » (Suzie).
Ainsi, l’authenticité et le souhait de vérité avec soi-même animent la démarche entrepre-
neuriale de ces femmes. Le souci des autres qui renvoie à la notion d’altruisme, est également
manifeste. L’analyse des données met en évidence une propension des entrepreneures à utiliser
leur expérience entrepreneuriale afin de faire progresser la société.
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2. Le Nouveau Littré. Edition augmentée du Petit Littré. (2004), Paris : Editions Garnier, p. 1440.
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3.2.1. Une demande focalisée sur les aspirations face à une offre concentrée
sur l’environnement
La logique socio-émancipatrice dans laquelle les créatrices inscrivent leur entrepreneu-
riat les conduit à vouloir travailler prioritairement sur leurs aspirations avant de se questionner
sur leurs ressources ou leur environnement. Mais l’offre proposée ne semble pas aller dans cette
direction. Au contraire, l’organisme d’accompagnement se focalise sur l’étude de l’environne-
ment sectoriel et sa composante : l’étude de marché.
« À la réunion d’information, les statistiques sont toujours évoquées en premier.
C’est important mais quand même, une entreprise commence par une idée, ça
ne commence pas par des chiffres. Les chiffres viennent après. Eux font l’in-
verse » (Françoise).
« L’accompagnement est bien perçu par les créateurs qui savent ce qu’ils
veulent faire, mais sans avoir aucune idée de l’environnement de la création
d’entreprises » (Organisme d’accompagnement).
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Ce témoignage montre les réticences des FE à s’adresser à une structure de soutien par
peur de vivre cette évaluation-sélection de leur projet, certaines préférant alors ne pas faire appel
à leurs services. Pour celles qui ont bénéficié de l’appui institutionnel, le fait d’inscrire leur projet
de création d’entreprise dans un véritable projet de vie rend d’autant plus difficile la prise de recul
par rapport à l’évaluation de l’organisme. En phase d’émergence d’idées, elles font appel à l’or-
ganisme d’accompagnement afin de les aider à faire aboutir ce projet de vie. Toutefois, l’étude
empirique montre que la structure d’appui peine à adapter sa démarche d’accompagnement à
ces modèles entrepreneuriaux et leur permet difficilement de passer « du rêve à la réalité ».
« Il s’agit juste de les faire parler de la façon dont ils comprennent le défi que
s’est lancé la personne. Comment le vivent-ils ? Qu’en pensent-ils ? […]
Sont-ils prêts car on sait que se lancer dans la création d’une entreprise, c’est
un défi […] Dire à la famille comment être armé pour vivre ça. Je ne sais pas
quels mots il faudrait utiliser avec des enfants » (Christelle).
Le conjoint est perçu par les créatrices comme ayant un rôle très important dans le déve-
loppement de leur projet entrepreneurial. Elles insistent particulièrement sur l’importance d’obte-
nir le soutien et la compréhension de la personne qui partage leur vie. Selon les répondantes, les
dispositifs d’appui pourraient développer des modules de formation à destination des proches
afin de leur expliquer les conséquences d’un choix de carrière entrepreneuriale et de leur don-
ner des conseils pour soutenir au mieux la créatrice. L’implication du conjoint dans l’accompa-
gnement est, par conséquent, considérée par les FE comme pouvant réellement améliorer les
chances de succès du projet de création (Chasserio, Lebègue et Poroli, 2014).
Elles insistent sur le sentiment de solitude qu’elles éprouvent tout au long de ce parcours
de création d’entreprise et les effets positifs que génèrent les discussions avec d’autres FE.
La notion d’échange est donc au cœur du processus d’apprentissage entrepreneurial, selon les
FE, et renvoie à leur volonté de pouvoir se retrouver autour de problématiques communes et ainsi
de bénéficier de l’expérience des unes et des autres.
« Aux étapes de la création, il faut au début comme on est fragile un côté plus
féminin. Mais très vite quand tu es dans le concret, c’est un côté plus mascu-
lin qui se développe dans l’action, la décision. Donc je pense que c’est complé-
mentaire. Et c’est dans l’accompagnement où tu as besoin qu’il y ait les deux
versions » (Françoise).
Par conséquent, les créatrices qui souhaitent être encouragées avec dynamisme et dou-
ceur, dans la prise en compte de ce qu’elles sont, insistent sur l’idée de mettre la créatrice au
cœur de la démarche d’accompagnement.
4. Discussion
Le soutien institutionnel auprès des FE connaît des résultats mitigés, tant au niveau de
leur fréquentation des dispositifs d’appui, qu’au nombre de femmes décidant de créer leur entre-
prise après avoir été accompagnées. Il y a donc un réel besoin de mieux comprendre les attentes
des FE concernant le soutien institutionnel. La question du possible décalage entre les attentes
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donc aux structures de soutien d’identifier les besoins réels des entrepreneures concernant la
structure genrée de la société et d’intégrer ces connaissances aux programmes destinés aux
FE. Si cette information n’est pas communiquée aux entrepreneures, celles-ci ne peuvent effec-
tuer aucune avancée dans leur façon d’appréhender leur nouveau rôle de femme entrepre-
neure (Tillmar, 2007). Une démarche d’accompagnement mettant en avant la coopération entre
les créatrices et l’échange d’expériences concernant l’impact des processus de genre sur la
démarche entrepreneuriale semble donc bien adaptée. La pratique de l’accompagnement entre
paires paraît dans ce cas être une solution adéquate pour amener les FE à évoluer dans leur
positionnement d’entrepreneure à travers la co-construction de leurs expériences (Richomme-
Huet et d’Andria, 2013). Il s’agit par exemple d’instaurer des temps d’échanges sur la manière de
gérer l’influence des normes genrées sur le processus entrepreneurial. Les créatrices qui déve-
loppent une réflexion sur la socialisation sexuée et ses implications, seront, en effet, plus à même
de s’affranchir des croyances et attentes que la société entretient vis-à-vis des femmes.
Les répondantes témoignent finalement de leur souhait de recevoir un accompagne-
ment équilibré, conjuguant action, alliance et adaptation, intégration des problématiques profes-
sionnelles et personnelles, implication de l’entourage proche et mise en relation avec d’autres
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Englobant
Approche de Considération de la femme entrepreneure dans les sphères professionnelle
l’accompagnement et personnelle
Intégration de la dimension genrée
Développement personnel
(valorisation de soi, conciliation des vies personnelle et professionnelle,
Thématiques de
gestion du temps, relation à l’argent)
l’accompagnement
Développement professionnel
(comptabilité, relation aux clients)
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Temporalité Longue : une année avant le démarrage et deux années après le démarrage
Séances individuelles et collectives
Méthodes Modules spécifiques réservés aux femmes
Séances avec les proches de l’entrepreneure (conjoint, enfants, etc.)
Coaching
Pratiques de soutien Formation
Accompagnement par les pairs
Alliance
Relation
Action
d’accompagnement
Adaptation
Conclusion
Souhaitant saisir la complexité du phénomène d’accompagnement des femmes créa-
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disposition car ni les objectifs ni les moyens ne sont neutres pour le développement de l’en-
trepreneuriat des femmes. Les politiques publiques sont, en effet, sous-tendues par diverses
approches que sont notamment les paradigmes néolibéraux et féministes (Wilson, Whittam et
Deakins, 2004 ; Pettersson, 2012). Si les pouvoirs publics poursuivent des objectifs de crois-
sance économique, les femmes doivent être encouragées à contribuer à cette croissance, via un
meilleur accès au capital et aux réseaux. Mais si le but des pouvoirs publics est aussi de partici-
per au changement du caractère genré de l’entrepreneuriat et de faire en sorte que l’accompa-
gnement bénéficie réellement aux femmes, les programmes d’accompagnement doivent profon-
dément évoluer pour s’adapter aux attentes de ces dernières.
En s’appuyant sur les approches du féminisme libéral et du féminisme social, les acteurs
politiques pourraient construire des programmes d’accompagnement répondant à ce double
objectif. Il s’agirait donc d’identifier et d’éliminer les obstacles empêchant les FE d’accéder aux
ressources importantes pour le développement de leur projet tout en respectant leur « voix » et
ainsi de soutenir que « la façon de faire des femmes, et spécifiquement l’approche féminine de
l’entrepreneuriat, doit être célébrée comme un apport unique et précieux » (Barrett, 1995 : 323).
Si le passé s’est construit autour de la pensée entrepreneuriale des hommes, le futur ne peut
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3. La fédération Pionnières est par exemple une structure dédiée à l’accompagnement des femmes entrepreneures, plus
spécifiquement de celles qui créent une entreprise innovante.
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