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Afef Chouaib, « Le climat éthique au travail, baromètre de l'éthique dans
l'organisation. Une exploration des perceptions des employés dans des entreprises
tunisiennes », Mondes en développement 2014/4 (n° 168), p. 43-58.
DOI 10.3917/med.168.0043
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d’engagement à son égard et les incite à faire preuve de comportements
performants. Ceux-ci favorisent l'efficacité, la productivité et même le bien-être
au travail (Chua et Rahman, 2011) et vice versa.
Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons essentiellement à l’éthique
dans l’organisation, ses manifestations et ses facettes telles que perçues par les
employés interrogés dans des entreprises tunisiennes et d’y proposer des
implications managériales adéquates. Pour mieux appréhender le niveau de
développement éthique dans les organisations, nous engageons une réflexion
sur le concept de « climat éthique au travail », reflétant, à notre sens, l’orientation
et les valeurs éthiques de l’entreprise. Ce climat est jugé comme le « miroir » des
valeurs éthiques prédominantes, des comportements organisationnels, des
pratiques et des politiques éthiques gérant le vécu des employés dans
l’organisation (Arnaud, 2010 ; Martin et Cullen, 2006 ; Cullen et al. 2003).
L’objectif de cet article est double : un premier vise à explorer en profondeur
dans quelques entreprises tunisiennes la réalité éthique vécue par ses membres,
émouvoir et de les amener, sans contrepartie réelle, à faire preuve d’une plus
grande loyauté et d’une mobilisation fructueuse au travail (Le Tourneau, 2000).
Paradoxalement, une réalité dégradante marquée par la précarité des emplois,
les contrats de travail à durée déterminée, le recours aux intérimaires, les
licenciements massifs pour pur intérêts financiers témoignent d’une « morale
débridée » (Ballet, De Bry, 2001, 9). Une telle situation traduit un gap grandissant
entre les intentions affichées et les réalisations effectives.
Un troisième constat tient parfois à la simplification de l’éthique à un effet de
mode, peu à peu « instrumentalisé » au service d’un projet de médiatisation
éthique (Pesqueux et Biefnot, 2002). L’éthique en entreprise se trouve réduite à
un pur outil de communication, à une étiquette vantant l’image « saine et
morale » que l’entreprise désire diffuser. Les codes éthiques et les chartes de
valeurs ont constitué autant d’instruments utilisés dans ce sens. Ces documents
formels et ces procédures, introduits quelquefois par mimétisme, cachent, dans
certains cas, des déviances majeures et des actes d’immoralité3.
Pourtant, loin d’être un simple instrumentent idéologique ou une mode
passagère, l’éthique dans l’entreprise pourrait imprégner les pratiques
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managériales et les relations interpersonnelles pour pouvoir mobiliser et
motiver durablement le personnel. Les dirigeants pourraient consolider leur
légitimité en s’efforçant de démontrer leur volonté et leur engagement honnête
pour améliorer le vécu éthique des employés et valoriser le bien-être commun
au sein de leurs entreprises.
Tous ces enjeux, et d’autres, contribuent à accentuer le besoin de réflexion
éthique au niveau des entreprises. Ces constats nous amènent à expliciter l’objet
de notre recherche, se rapportant à l’étude de la notion de climat éthique au
travail comme un baromètre de l’éthique dominante dans l’organisation et à
travers les relations interpersonnelles. En effet, à un niveau intra-
organisationnel, avoir une position éthique consiste, pour l’entreprise, à adhérer
à un ensemble de principes, de valeurs et de règles ayant pour objectif
d’orienter les conduites des membres, décideurs et employés, dans une logique
morale. Cela induit le développement d’un climat éthique propre à
l’organisation.
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dans le développement d’un comportement au travail. Ce contexte éthique
constitue pour les employés le miroir des valeurs, des normes et des pratiques
éthiques qui prévalent dans leurs organisations (Arnaud, 2010 ; Martin et
Cullen, 2006 ; Trevino et Brown, 2004 ; Victor et Cullen, 1988), et influence
leurs perceptions et leurs réactions au travail. Victor et Cullen (1988, 101),
reconnus comme les pères de la théorie du climat éthique, définissent ce
concept comme « l’ensemble des perceptions partagées de ce qui est un
comportement éthiquement correct et de la manière dont les problèmes
éthiques devraient être traités dans une organisation. ». Plus récemment,
Arnaud (2010, 346) définit ce même concept comme « les perceptions globales
et partagées des individus au sein d'une organisation reflétant le contenu et la
force des valeurs éthiques, des normes, des attitudes, des sentiments et des
comportements qui prévalent dans un système social. »
Ces définitions soulignent davantage l’ensemble des perceptions partagées par
des membres quant à la manière dont ils sont traités éthiquement par les
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Tableau 2 : Caractéristiques des entreprises et des interviewés dans l’étude
qualitative
Code de Type d’entreprise Personnes interrogées
l’entreprise
1 responsable ressources humaines
A Banque (RH)
1 responsable financier
1 caissier
B 2 cadres du service personnel
C Entreprises publiques 3 cadres administratifs
1 responsable technique
Petite ou moyenne 1 responsable commercial
D entreprie (PME) privée de 1 responsable RH
confiserie 1 responsable en production
E 2 responsables RH
Filiales de firmes 2 Ingénieurs
1 directeur technique
H Très petite entreprise 1 ingénieur informatique
privée en informatique 1 cadre en télécommunications
PME en industrie 1 responsable marketing
I céramique 1 cadre technique
1cadre commercial
9 entreprises 2 6 personnes
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ressortir un consensus quant au besoin de plus en plus accentué pour
l’existence d’une telle valeur au travail.
Une analyse des discours par individu, nous a permis, ensuite, d’identifier des
groupes homogènes incluant les interlocuteurs ayant développé des perceptions
rapprochées quant au climat éthique qui règne dans leurs entreprises
respectives. Les types de climats éthiques identifiés lors de l’analyse thématique
ne renvoient pas toujours à des individus différents ou à des entreprises
différentes. Certains interviewés ont fait référence, à différentes étapes de leurs
discours, à des climats éthiques distincts. Ce résultat pourrait apporter un degré
de complexification à l’analyse, mais il n’en reflète pas moins la richesse des
contextes étudiés et leur apport pour l’approfondissement de cette recherche.
En outre, ce résultat confirme encore une fois l’argument de Victor et Cullen
(1988), et aussi de Schneider (1975), qu’il est possible d’identifier pour un
groupe ou une organisation plus qu’un type de climat éthique. Néanmoins, on
peut souligner l’existence d’un climat dominant qui influence profondément les
5 IMPLICATIONS MANAGÉRIALES
Si des entreprises ont réussi à instaurer les bases d’un climat éthique et à unifier
les membres autour de valeurs bienveillantes communes, d’autres n’ont pas
traduit leurs attentes éthiques en démarches concrètes. De telles attentes
demeurent encore comme « faisant partie du monde de l’idéal ». Les différents cas
étudiés montrent la diversité des types de climats éthiques perçus dans
l’entreprise. L’égoïsme véhicule une éthique négative, puisque la préoccupation
centrale et exclusive est la maximisation du « gain personnel » au détriment des
autres. Les deux autres types de climats reflètent les efforts déployés pour
l’ancrage de valeurs et la mise en place de dispositifs managériaux intégrant
l’éthique comme déterminant crucial des actions individuelles et collectives. La
perception d’un climat bienveillant soutient la promotion d’une éthique positive
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informelle de partage de valeurs de support, d’équité et d’écoute à l’égard des
employés et instaurant le bien-être de la communauté. En revanche, la
perception d’un climat déontologique s’inscrit plutôt dans une approche
formelle, visant à allier les comportements des membres aux intentions
managériales et à promouvoir une éthique « holistique » comme partie
intégrante du travail de chaque fonction et de chaque individu.
Dans une perspective managériale, les résultats de cette étude proposent
plusieurs enseignements. Tout d’abord, ils fournissent un appui supplémentaire
à l’aspect multidimensionnel du construit de climat éthique (Martin et Cullen,
2006 ; Cullen et al. 2003 ; Victor et Cullen, 1988). Ce constat implique, pour le
manager, d’identifier le climat éthique dominant afin de décider des politiques
et des pratiques managériales adéquates et nécessaires à la gestion des dilemmes
éthiques qui se présentent (Barnett et Vaicys, 2000). En effet, différents types
de climats éthiques requièrent des stratégies managériales distinctes. Plusieurs
managers mettent en place divers mécanismes pour promouvoir l’éthique, sans
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d’équité, de transparence et de bienveillance, au niveau des pratiques
managériales (Ballet et De Bry, 2001), encouragerait davantage l’émergence des
termes d’un contrat éthique et relationnel.
CONCLUSION
L’objectif de la présente recherche était d’évaluer la situation éthique dans un
échantillon d’entreprises à travers une exploration des perceptions des
employés du climat éthique qui règne dans leurs entreprises. Il est, certes,
insuffisant de parler éthique sans agir dans son sens ou de réduire celle-ci à
l’application d’un ensemble de procédures et de recettes ; encore faut-il qu’elle
soit réellement ancrée dans le vécu quotidien, (pratiques, traitement…) et
qu’elle fasse l’objet d’une prise de position effective de la part du dirigeant et
d’un engagement réel pour améliorer les conduites éthiques à l’égard des
BIBLIOGRAPHIE
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