Vous êtes sur la page 1sur 17

LE CLIMAT ÉTHIQUE AU TRAVAIL, BAROMÈTRE DE L'ÉTHIQUE

DANS L'ORGANISATION. UNE EXPLORATION DES PERCEPTIONS


DES EMPLOYÉS DANS DES ENTREPRISES TUNISIENNES
Afef Chouaib

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »

2014/4 n° 168 | pages 43 à 58


ISSN 0302-3052
ISBN 9782804192181
Article disponible en ligne à l'adresse :

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2014-4-page-43.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Afef Chouaib, « Le climat éthique au travail, baromètre de l'éthique dans
l'organisation. Une exploration des perceptions des employés dans des entreprises
tunisiennes », Mondes en développement 2014/4 (n° 168), p. 43-58.
DOI 10.3917/med.168.0043
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)




'2,PHG






/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOEDURPqWUHGHO¶pWKLTXH
GDQVO¶RUJDQLVDWLRQ8QHH[SORUDWLRQGHVSHUFHSWLRQV
GHVHPSOR\pVGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV
Afef CHOUAIB1

L a profusion des travaux sur l’éthique des affaires témoigne de la prise de


conscience de la plus-value sociale et économique de l’éthique en

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


management. Plus qu’une simple valeur morale, l’éthique dans l’entreprise est
une préoccupation managériale, visant à concilier les objectifs économiques et
les objectifs sociaux. Dans ce sens, plusieurs travaux s’accordent sur le fait que
l’intégration de l’éthique dans les pratiques et les processus de décision
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

managériaux devient source d’avantage compétitif (Boyer, 2002 ; Pesqueux et


Biefnot, 2002), un support de la légitimité sociale (Castello et Lozano, 2011 ;
Mercier, 2004) et un levier des relations de confiance (Chouaib et Zaddem,
2012) desquels les entreprises ne peuvent plus se soustraire.
Toutefois, il importe de souligner que sur le plan pratique, et contrairement aux
pays développés, où l’éthique occupe une place prépondérante dans les
entreprises, force est de constater que son intégration dans la gestion des
entreprises tunisiennes semble être absente ou ambigüe entre le dire et l’agir
éthique. De plus, les managers semblent le plus souvent privilégier le fait de
remplir leurs obligations éthiques et formelles vis-à-vis des parties externes, au
détriment des parties internes, à savoir les salariés. La révolution tunisienne et
les mutations et réformes qu’elle défend viennent rappeler l’impératif de
respecter la dignité humaine en s’opposant à toutes les formes de pratiques a-
éthiques, comme l’aliénation, l’injustice, l’abus de pouvoir, la corruption, le
népotisme. Ces aspects constituent des modèles comportementaux dominants
que les générations présentes contestent inlassablement, aspirant à une vie
sociale plus équitable, plus juste et plus éthique. Asseoir les fondements d’une
démarche éthique plaçant l’employé au centre des préoccupations managériales
s’avère être un enjeu puissant pour concilier les impératifs économiques et les
enjeux sociaux et humains (Belet et Yanat, 2004). En effet, une éthique
d’entreprise forte envoie un signal solide aux employés, qu’ils travaillent pour
une entreprise juste et équitable, ce qui renforce leur sentiment de fidélité et


 6FLHQFHV GH JHVWLRQ ,QVWLWXW VXSpULHXU GH JHVWLRQ ,6* 7XQLV  HW ,QVWLWXW VXSpULHXU
G¶DGPLQLVWUDWLRQGHVDIIDLUHV 6ID[ FKRXDLEBDIHI#\DKRRIU


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

d’engagement à son égard et les incite à faire preuve de comportements
performants. Ceux-ci favorisent l'efficacité, la productivité et même le bien-être
au travail (Chua et Rahman, 2011) et vice versa.
Dans le cadre de cet article, nous nous intéressons essentiellement à l’éthique
dans l’organisation, ses manifestations et ses facettes telles que perçues par les
employés interrogés dans des entreprises tunisiennes et d’y proposer des
implications managériales adéquates. Pour mieux appréhender le niveau de
développement éthique dans les organisations, nous engageons une réflexion
sur le concept de « climat éthique au travail », reflétant, à notre sens, l’orientation
et les valeurs éthiques de l’entreprise. Ce climat est jugé comme le « miroir » des
valeurs éthiques prédominantes, des comportements organisationnels, des
pratiques et des politiques éthiques gérant le vécu des employés dans
l’organisation (Arnaud, 2010 ; Martin et Cullen, 2006 ; Cullen et al. 2003).
L’objectif de cet article est double : un premier vise à explorer en profondeur
dans quelques entreprises tunisiennes la réalité éthique vécue par ses membres,

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


à caractériser ses aspects, à déterminer les actions, les pratiques et les
perceptions qui lui sont associées. Un second se rapporte à une réflexion sur les
implications managériales qui s’adapteraient au mieux à chacun des climats
éthiques identifiés, et ce pour une meilleure intégration de l’éthique dans ces
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

entreprises. Pour ce faire, une investigation portant sur le concept de climat


éthique au travail sera engagée (I), puis ses fondements théoriques et ses
modélisations empiriques examinés (II). Ensuite, la méthodologie exploratoire
mobilisée sera exposée (III) et une discussion des résultats dégagés sera
présentée (IV). Enfin, quelques implications managériales seront formulées (V).

1. L’ÉTHIQUE DANS LES ORGANISATIONS :


ENTRE LE DISCOURS ET LA RÉALITÉ
D’une manière générale, l'éthique correspond à l'ensemble des valeurs,
principes, normes et standards de conduites qui orientent les comportements
des individus et des groupes (Trevino et Brown, 2004). Elle implique, selon
Mercier, une recherche identitaire, en vue de distinguer les bonnes et les
mauvaises manières d’agir et de parvenir à un équilibre dans « un champ de
tensions qui se situe entre l’intérêt de l’entreprise, l’intérêt général et les intérêts
d’autrui » (Mercier, 2004, 9). L’éthique constitue donc un enjeu majeur pour les
organisations. L’intérêt croissant pour une telle valeur n’est pas toujours la
résultante du manque de comportements éthiques dans les organisations
(Zaddem, 2010). Il s’inscrit aussi dans une perspective proactive visant à éviter
les comportements non éthiques (McLean, 2001), à travers la création d’un
référentiel commun et d’un moyen de régulation interne.
Bien que l’éthique dans l’entreprise ait connu un engouement conceptuel
considérable pendant les dernières décennies, beaucoup interprètent cet essor
avec scepticisme, et ce, au regard d’une réalité paradoxale vécue en milieu
organisationnel. Les efforts déployés par les entreprises en matière d’éthique ne

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

conduisent pas toujours à des réactions favorables de la part des employés. Des
constats issus du contexte des entreprises viennent expliquer ce fait.
Premièrement, on constate, par exemple, que dans plusieurs entreprises, même
celles qui sont supposées être compétitives et prospères, le bien-être collectif et
humain est souvent sacrifié au nom des impératifs économiques2. La course
rude à la compétitivité et le triomphe de l’affairisme, font que certaines
entreprises n’hésitent pas à commettre des actes frauduleux et des dérives
morales (Le Flanchec et al. 2006). Ces entreprises semblent le plus souvent
privilégier le respect de leurs obligations éthiques et formelles vis-à-vis des
parties externes, au détriment de celles internes, envers les salariés (Hirèche,
2003). De multiples incidents, tels que les licenciements abusifs, le travail des
enfants, la corruption et plusieurs autres scandales financiers, constituent autant
d’exemples frappants qui remettent en cause les systèmes de valeurs éthiques
des entreprises. Ils sont à l’origine d’une crise économique et d’une fragilisation
du système social (Mercier, 2004).

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


Un deuxième constat renvoie à la portée essentiellement symbolique (Hirèche,
2003) et instrumentale (Pesqueux et Biefnot, 2002) de l’éthique. Nombre de
dirigeants n’en font qu’un discours d’incantation, embellissant la place capitale
des travailleurs dans l’entreprise. Cet « effort » est déployé dans l’objectif de les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

émouvoir et de les amener, sans contrepartie réelle, à faire preuve d’une plus
grande loyauté et d’une mobilisation fructueuse au travail (Le Tourneau, 2000).
Paradoxalement, une réalité dégradante marquée par la précarité des emplois,
les contrats de travail à durée déterminée, le recours aux intérimaires, les
licenciements massifs pour pur intérêts financiers témoignent d’une « morale
débridée » (Ballet, De Bry, 2001, 9). Une telle situation traduit un gap grandissant
entre les intentions affichées et les réalisations effectives.
Un troisième constat tient parfois à la simplification de l’éthique à un effet de
mode, peu à peu « instrumentalisé » au service d’un projet de médiatisation
éthique (Pesqueux et Biefnot, 2002). L’éthique en entreprise se trouve réduite à
un pur outil de communication, à une étiquette vantant l’image « saine et
morale » que l’entreprise désire diffuser. Les codes éthiques et les chartes de
valeurs ont constitué autant d’instruments utilisés dans ce sens. Ces documents
formels et ces procédures, introduits quelquefois par mimétisme, cachent, dans
certains cas, des déviances majeures et des actes d’immoralité3.
Pourtant, loin d’être un simple instrumentent idéologique ou une mode
passagère, l’éthique dans l’entreprise pourrait imprégner les pratiques


 (Q VHSWHPEUH  0LFKHOLQ D DQQRQFp VLPXOWDQpPHQW XQ EpQpILFH VHPHVWULHO HQ
DXJPHQWDWLRQGHHWOHOLFHQFLHPHQWGHVDODULpVVRLWGHO¶HIIHFWLIHXURSpHQ
HQWURLVDQV

/HVH[HPSOHVVRQWPXOWLSOHV2QSHXWFLWHUOHVFDQGDOHILQDQFLHUGHODILUPH(QURQELHQTXH
FHOOHFL DLW pWp LGHQWLILpH SDU OHV DJHQFHV GH rating SDUPL OHV HQWUHSULVHV pWKLTXHV 8Q
GHX[LqPH H[HPSOH FRQFHUQH OD FRPSDJQLH PXOWLQDWLRQDOH 1LNH TXL I€W DFFXVpH G¶DYRLU
EDIRXp OHV GURLWV GHV HQIDQWV HQ HQFRXUDJHDQW OHV VRXVWUDLWDQWV j OHV HPSOR\HU 3RXUWDQW
1LNHpWDLWSRUWHXVHGHYDOHXUVSRVLWLYHVHWG¶XQSRVLWLRQQHPHQWpWKLTXH


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

managériales et les relations interpersonnelles pour pouvoir mobiliser et
motiver durablement le personnel. Les dirigeants pourraient consolider leur
légitimité en s’efforçant de démontrer leur volonté et leur engagement honnête
pour améliorer le vécu éthique des employés et valoriser le bien-être commun
au sein de leurs entreprises.
Tous ces enjeux, et d’autres, contribuent à accentuer le besoin de réflexion
éthique au niveau des entreprises. Ces constats nous amènent à expliciter l’objet
de notre recherche, se rapportant à l’étude de la notion de climat éthique au
travail comme un baromètre de l’éthique dominante dans l’organisation et à
travers les relations interpersonnelles. En effet, à un niveau intra-
organisationnel, avoir une position éthique consiste, pour l’entreprise, à adhérer
à un ensemble de principes, de valeurs et de règles ayant pour objectif
d’orienter les conduites des membres, décideurs et employés, dans une logique
morale. Cela induit le développement d’un climat éthique propre à
l’organisation.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


Dans la partie suivante, nous tracerons le bilan des connaissances sur le concept
de climat éthique, ses fondements théoriques et ses principales modélisations
empiriques.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

2. LE CLIMAT ÉTHIQUE AU TRAVAIL :


POUR QUELLE ÉTHIQUE D’ENTREPRISE ?
2.1 Du climat organisationnel au climat éthique au travail
Selon Schneider (1975, 474), le climat organisationnel peut se définir comme un
construit « qui comprend les perceptions psychologiques partagées par un
ensemble d’individus pour caractériser les pratiques et les procédures d’un
système ». Il est considéré comme l’ensemble des perceptions partagées d’un
groupe d’individus de la façon dont il est géré. Ces perceptions partagées
s’appuient sur un jugement des caractéristiques à la fois structurelles et
relationnelles, décrivant la relation des individus avec les autres membres dans
l’entreprise ou avec l’entreprise elle-même. De telles caractéristiques renvoient,
par exemple, au degré d’autonomie, au degré de contrôle de leur travail, à la
qualité de l’environnement physique, à la qualité des relations intergroupes, au
respect au travail… (Brunet et Savoie, 1999). Le climat de travail agit comme
un « système normatif qui guide les comportements des individus » (Schneider,
1975, 480) et constitue un référent pour interpréter les pratiques, mécanismes et
règles (formelles ou informelles) qui agissent sur les comportements des
individus dans les entreprises (Reichers et Schneider, 1990)
Le climat éthique au travail (Ethical Work Climate) est un thème en vogue.
Depuis deux décennies, une pléthore de travaux, à la fois théoriques et
empiriques, se sont intéressés à ce concept, à ses antécédents, ses
manifestations et ses conséquences. Inscrit dans une perspective collective de
l’éthique, le concept de climat éthique considère le poids du contexte social


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

dans le développement d’un comportement au travail. Ce contexte éthique
constitue pour les employés le miroir des valeurs, des normes et des pratiques
éthiques qui prévalent dans leurs organisations (Arnaud, 2010 ; Martin et
Cullen, 2006 ; Trevino et Brown, 2004 ; Victor et Cullen, 1988), et influence
leurs perceptions et leurs réactions au travail. Victor et Cullen (1988, 101),
reconnus comme les pères de la théorie du climat éthique, définissent ce
concept comme « l’ensemble des perceptions partagées de ce qui est un
comportement éthiquement correct et de la manière dont les problèmes
éthiques devraient être traités dans une organisation. ». Plus récemment,
Arnaud (2010, 346) définit ce même concept comme « les perceptions globales
et partagées des individus au sein d'une organisation reflétant le contenu et la
force des valeurs éthiques, des normes, des attitudes, des sentiments et des
comportements qui prévalent dans un système social. »
Ces définitions soulignent davantage l’ensemble des perceptions partagées par
des membres quant à la manière dont ils sont traités éthiquement par les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


différents systèmes organisationnels. De telles perceptions positionnent
l’employé dans une relation de réciprocité avec l’organisation et créent chez eux
un sentiment d’obligation de retour de ces traitements éthiques sous forme de
comportements adéquats (Cropanzano et Mitchell, 2005).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

2.2 Principales modélisations du climat éthique


Différentes modélisations du climat éthique ont émergé au fil du temps et ont
enrichi la littérature sur ce concept. Nous présenterons les principaux modèles
du climat éthique en détaillant davantage le modèle de Victor et Cullen (1988 ;
1987) qui est le plus testé empiriquement.
- Le modèle de Reidenbach et Robin (1990) propose de classer les climats
éthiques de l’entreprise en fonction de leur degré de maturité morale, à l’image
du modèle de développement moral individuel mis au point par Kohlberg
(1984). Les auteurs distinguent cinq degrés de moralité des climats éthiques :
amoral (recherche du profit maximum par n’importe quel moyen), légaliste (ce
qui est légal est éthique), responsable (reconnaissance de la responsabilité
sociale de la firme dans son intérêt économique), éthique émergente (recherche
de l’équilibre entre l’éthique et le profit) et éthique développée (orientation de la
firme par des principes soigneusement fixés).
- Le modèle de Vidaver-Cohen (1998) appréhende le climat éthique d’une
organisation comme un phénomène unidimensionnel sous forme d’un
continuum. Il peut tendre vers l’extrême, négative ou positive tout au long du
continuum. Bien que ce modèle soit considéré comme conceptuellement
intéressant (Arnaud et Schminke, 2007), il n'a pas fait l’objet d’une validation
empirique.
- Le modèle de Logsdon et Yuthas (1997) consiste en une transposition du
modèle de développement moral individuel de Kohlberg (1984) sur
l’organisation, pour comprendre le développement éthique de celle-ci. À un
niveau préconventionnel du développement moral, les organisations ne

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

prennent pas en considération les intérêts de leurs parties prenantes ; leurs
décisions sont souvent perçues comme illégitimes, similairement à l’attitude
égoïste de l’individu jugée comme immorale (Logsdon et Yuthas, 1997). Au
niveau conventionnel, les organisations mettent en avant le respect de
standards légaux pour légitimer leurs actions. Au troisième niveau,
postconventionnel, elles acceptent de nouer diverses relations avec les parties
prenantes et se révèlent plus concernées par la légitimité légale et sociale de
leurs actions qu’au niveau conventionnel (Logsdon et Yuthas, 1997).
- Le modèle d’Arnaud (2010) est relativement récent en comparaison des
autres modèles du climat éthique. Il s’inspire du modèle de prise de décision de
Rest (1986), et suggère qu’un climat éthique de l’entreprise est constitué de
quatre composantes (Arnaud, 2010) : la sensibilité morale, le jugement moral, la
motivation morale et le caractère moral collectif.
ƒLa sensibilité morale collective est la perception qu'ont les personnes des
membres de l'organisation pour ce qui a trait à leur sensibilité et à leur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


vigilance à l'égard des enjeux de nature morale.
ƒLe jugement moral s’appuie sur deux dimensions : le focus égoïste et le focus sur
autrui.
ƒLa motivation morale collective reflète les perceptions de l’étendue de
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

motivation de l’entreprise et de ses membres à agir suivant des valeurs


éthiques dans l’organisation, ou non.
ƒLe caractère moral collectif représente le degré avec lequel des caractéristiques
personnelles (notamment la maîtrise de soi et le sens de responsabilité) sont
perçues comme étant présentes et valorisées par le système social.
- Le modèle de Victor et Cullen (1988 et 1987) : celui-ci a occasionné une
majorité des écrits sur le concept de climat éthique. Il se base sur une typologie
bidimensionnelle. La première dimension, nommée « critère éthique », renferme
trois critères de raisonnement moral, à savoir l’égoïsme, l’utilitarisme ou la
bienveillance et la déontologie (Fritzsche et Becker, 1984). L’égoïsme
correspond à la maximisation de l’intérêt personnel lors d’une décision éthique ;
le critère « bienveillant » se caractérise par une reconnaissance des attentes et
des intérêts de la collectivité et une considération de son bien-être (Arnaud et
Schminke, 2007; Victor et Cullen, 1988). Le troisième critère, « déontologique »,
favorise une transcendance du raisonnement moral en faveur des principes
moraux universels. À chaque critère éthique est associée une deuxième
dimension nommée « lieu d’analyse ». Trois lieux d’analyse sont retenus, à
savoir l’individuel, le local et le cosmopolite. Le niveau individuel apporte un
climat valorisant l’intérêt exclusivement individuel. Le niveau local valorise
l’intérêt de l’organisation et le bien-être de ses membres. Le niveau cosmopolite
correspond à un niveau sociétal valorisant l’adhésion à des normes universelles
et à des codes professionnels.
En combinant ces deux dimensions dans une matrice 3x3, Victor et Cullen
(1988) identifient neufs types théoriques de climats éthiques (tableau 1). Ces
climats éthiques sont des structures normatives qui guident la prise de décision
dans l’organisation et ne présentent pas des niveaux différents de

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

développement moral (Martin et Cullen, 2006 ; Victor et Cullen, 1988). Pour
ces auteurs, bien que les organisations aient souvent un type de climat éthique
dominant, plusieurs types de climats éthiques peuvent coexister dans une même
organisation (Victor et Cullen, 1988 et 1987).
Tableau 1 : Les différents types théoriques de climats éthiques
Individuel Local Cosmopolite
Égoïsme Intérêt de l’entreprise Profit de l’entreprise Efficience
Bienveillance Amitié Intérêt de l’équipe Responsabilité sociale
Déontologie Morale personnelle Règles et procédures de Lois et codes professionnels
l’entreprise
Source : Victor et Cullen, 1988, 104.

Le cadre théorique de notre recherche étant exposé, nous présentons,


successivement, la méthodologie de notre enquête, les résultats dégagés et les
implications managériales qui en découlent dans le cadre des entreprises

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


étudiées.

3. MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE


Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

La présente recherche porte sur un phénomène relativement peu étudié dans le


contexte tunisien, à savoir le climat éthique dans l’entreprise. Compte tenu de la
complexité et de la nature subjective de la thématique étudiée, ainsi que de la
rareté des travaux dans notre contexte de recherche, nous avons jugé pertinent
de mener une démarche qualitative exploratoire basée sur des entretiens semi-
directifs. Cette démarche qualitative a pour objectif de nous éclairer, avec des
descriptions et des explications riches et solidement fondées, sur les processus
et les pratiques éthiques ancrés dans les contextes organisationnels enquêtés, en
dépassant l’abstraction inhérente aux études quantitatives (Miles et Huberman,
2003). Pour mener cette étude qualitative, nous avons veillé à travailler avec un
petit échantillon varié d’employés (n=26) ayant des profils différents et
exerçant leurs activités dans neuf entreprises de secteurs différents (tableau 2).
Un guide d’entretien a été élaboré, visant à comprendre le contexte de travail, la
nature des relations qui existent entre les membres de l’entreprise, le style de
leadership adopté, le traitement éthique au travail subi par les répondants… Ce
guide nous a servi essentiellement comme ligne directrice à la conduite des
entretiens durant lesquels d’autres questionnements spontanés, non prévus
initialement, ont été amplement discutés avec les interviewés. Le codage des
données a été assisté par le logiciel d’analyse qualitative Nvivo. Une analyse de
contenu thématique a été ensuite effectuée.


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

Tableau 2 : Caractéristiques des entreprises et des interviewés dans l’étude
qualitative
Code de Type d’entreprise Personnes interrogées
l’entreprise
1 responsable ressources humaines
A Banque (RH)
1 responsable financier
1 caissier
B 2 cadres du service personnel
C Entreprises publiques 3 cadres administratifs
1 responsable technique
Petite ou moyenne 1 responsable commercial
D entreprie (PME) privée de 1 responsable RH
confiserie 1 responsable en production
E 2 responsables RH
Filiales de firmes 2 Ingénieurs

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


F multinationales pétrolières 1 responsable des projets
1 cadre financier
1 cadre administratif
G PME privée de textile 1 responsable chaine
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

1 directeur technique
H Très petite entreprise 1 ingénieur informatique
privée en informatique 1 cadre en télécommunications
PME en industrie 1 responsable marketing
I céramique 1 cadre technique
1cadre commercial
9 entreprises 2 6 personnes

4. INTERPRÉTATION ET DISCUSSION DES


RÉSULTATS
En choisissant d’étudier le climat éthique dans les organisations, nous avons
voulu explorer la réalité éthique dans les entreprises, les valeurs éthiques
prédominantes, les pratiques, les comportements à caractère moral tels que
vécus et perçus par les employés dans les entreprises tunisiennes. Les
perceptions partagées qui nous ont été communiquées constituent une grille
d’évaluation de l’éthique dominante dans l’organisation. Plus particulièrement,
ces entretiens visent à décrire les manifestations et les pratiques qui leur sont
associées, les traitements interpersonnels jugés comme liés à l’éthique en
vigueur. Le climat éthique perçu par les employés serait, à notre sens, un
baromètre de l’éthique dominante dans l’organisation. Des implications
managériales seront ensuite formulées à la lumière des résultats déduits.
Avant de solliciter les personnes interviewées pour exprimer leurs perceptions
sur la nature du climat éthique vécu dans leurs entreprises, nous les avons
interrogées, tout d’abord, sur l’importance de l’éthique dans la vie
professionnelle et dans les relations au travail. L’analyse de contenu fait


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

ressortir un consensus quant au besoin de plus en plus accentué pour
l’existence d’une telle valeur au travail.
Une analyse des discours par individu, nous a permis, ensuite, d’identifier des
groupes homogènes incluant les interlocuteurs ayant développé des perceptions
rapprochées quant au climat éthique qui règne dans leurs entreprises
respectives. Les types de climats éthiques identifiés lors de l’analyse thématique
ne renvoient pas toujours à des individus différents ou à des entreprises
différentes. Certains interviewés ont fait référence, à différentes étapes de leurs
discours, à des climats éthiques distincts. Ce résultat pourrait apporter un degré
de complexification à l’analyse, mais il n’en reflète pas moins la richesse des
contextes étudiés et leur apport pour l’approfondissement de cette recherche.
En outre, ce résultat confirme encore une fois l’argument de Victor et Cullen
(1988), et aussi de Schneider (1975), qu’il est possible d’identifier pour un
groupe ou une organisation plus qu’un type de climat éthique. Néanmoins, on
peut souligner l’existence d’un climat dominant qui influence profondément les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


décisions et les actions managériales. En effet, s’il arrive parfois que les
interlocuteurs appartenant à une même entreprise n’interprètent pas de la
même manière les pratiques et les décisions managériales, ceux-ci sont
généralement d’avis similaire dans leur jugement du climat éthique dominant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

dans leurs organisations.


4.1 La perception d’une éthique bienveillante à dominante
informelle
Un premier groupe d’entreprises (D, G et I) a été perçu par ses employés interviewés
comme dominé par un climat bienveillant. Des unités de texte qui évoquent des
mots tels que soutien, aide, empathie, éthique, valeurs, écoute, dirigeant, intérêt pour
l’autre, coopération, moralité, échange, support, compromis, communauté, cohésion, collectif,
famille,…, ont été identifiées dans cette première catégorie. Les répondants
décrivent ce climat en lui associant trois idées principales, à savoir le support
organisationnel, l’écoute de l’employé et l’équité perçue.
Pour ces personnes, dont les avis convergent parfaitement, leurs entreprises
manifestent un intérêt réel pour le bien-être des employés. Elles les soutiennent
dans les grands évènements de leur vie personnelle et prennent en
considération leurs besoins. Les entreprises D, G et I traduisent le support
institutionnel de l’employé de différentes manières (accords de prêts, acompte
sur salaire, dons, organisation de colonies de vacances, de voyages…) : «
(…) Moi, en tant que chef, je partage avec l’agent ses problèmes, je l’aide matériellement
lorsque l’occasion se présente (maladie, mariage…). Notre entreprise (I) nous a enseigné cette
attitude permissive. Nos supérieurs nous ont habitué à ceci : « la famille est avant tout » :
lorsque l’on demande des nouvelles d’un agent, on l’interroge avant tout sur la famille, les
enfants, les parents, la santé, c’est l’essentiel ; ensuite on parlera du travail, car en l’absence de
cette aisance familiale, l’agent restera perturbé et moins performant dans son travail » (cadre
commercial de l’entreprise I). Le cas de l’entreprise (G), une PME de textile, se
révèle aussi illustratif et édifiant. Cette entreprise a réussi à faire partager des

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

valeurs d’empathie, de solidarité et d’entraide entre employés. Selon les
interviewés de (G), un tel climat s’est amplifié suite à la création d’une tontine
d’entreprise. Celle-ci a pour objectif de collecter des fonds d’aides symboliques
et régulières de la part des employés et de les redistribuer d’une manière
rotative à ceux qui en ont besoin pour des dépenses personnelles (maladie,
mariage, rentrée scolaire…). L’éthique basée sur le support organisationnel
semble être à la fois une valeur partagée et une culture enracinée chez (G).
Deuxièmement, l’accent a été mis par les répondants sur l’idée d’écoute dans les
climats perçus comme bienveillants. Des mots comme entente, communication,
proposer, écoute, portes ouvertes, participer, réclamer, ont été relevés à maintes reprises.
Les interlocuteurs dans ces entreprises ont souligné le rôle de la communication
informelle pour être à l’écoute de l’employé, de ses attentes, de ses besoins et
de ses problèmes au travail. C’est le cas, par exemple, de l’entreprise (D),
entreprise privée de confiserie dont le responsable RH affirme que : « La
transparence au niveau de (D) est un facteur important pour l’existence d’un bon climat

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


social. La relation entre direction et salariés se caractérise, à mon sens, par une relation
d’écoute et d’entente parfaite. Les portes sont toujours ouvertes devant l’employé pour proposer,
réclamer, demander de l’aide ». Un tel constat converge avec les travaux de Hosmer
(1995) et de Ruppel et Harrington (2000) qui placent la communication comme
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

un attribut fondamental du développement d’un climat éthique bienveillant.


Le troisième aspect révélateur de ce climat est lié à l’idée d’équité perçue. Les
interlocuteurs, adhérant à cette idée, associent à la perception du climat
bienveillant, la perception d’un traitement équitable, juste et correct avec les
employés. Ils soulignent le poids de certaines pratiques de gestion des
ressources humaines (GRH) (la formation, l’évaluation et la rémunération) pour
veiller à cette équité perçue. Le respect de normes objectives dans l’évaluation
du potentiel et du mérite de chacun et le souci des décideurs pour le
développement et l’amélioration des compétences des personnes d’une manière
égalitaire, reflètent leurs bonnes intentions et le caractère éthique de leurs
décisions.
Il ressort des discours des interviewés que l’existence de telles valeurs partagées
de soutien, d’équité, et d’écoute s’explique, en premier lieu, par le rôle de
leadership, qui se manifeste dans la personnalité du dirigeant, dans son éthique
personnelle et, par conséquent, dans ses comportements et ses décisions
managériales. Nous citons, à ce propos, l’exemple de deux interviewés chez
(G), dont les avis convergent parfaitement. Selon ces deux employés, leur
dirigeant reflète « l’exemple éthique » pour les membres dans l’entreprise, à
travers ses actions et ses comportements avec le personnel, ainsi qu’à partir
d’un jugement de ses décisions. D’après les propos des interviewés, les actions
du dirigeant constituent un référentiel pour le comportement des membres de
l’entreprise. Le style de leadership basé sur la participation, le partage,
l’autonomie et le support de l’employé émergent au cœur d’une éthique
bienveillante dans l’organisation. Fonder une éthique managériale est soutenu
par une conviction profonde et une conscience de la part des dirigeants de ces
entreprises, qu’un comportement éthique n’est pas incompatible avec une

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

meilleure performance financière, mais, au contraire, il contribue à créer un
environnement institutionnel favorable à l’exercice des activités économiques
de l’entreprise, d’une part, et conciliant entre les besoins de l’organisation et
ceux des employés, d’autre part. Leur attitude bienveillante constitue un volet
important de la politique de motivation du personnel, axée sur la valorisation de
la dimension sociale et morale de la gestion des hommes. Des expressions
comme « Les ressources humaines sont le cœur de notre système » et « les employés sont des
ressources primordiales pour le succès et la pérennité de la société » portées par le
responsable RH chez (D), témoignent de ce fait.

4.2 La perception d’une éthique déontologique formalisée


L’analyse des discours des interviewés dans un groupe bancaire tunisien (A) et
dans deux filiales de firmes multinationales pétrolières (E et F) a dévoilé la
perception d’un contexte éthique formalisé et relativement stable régissant

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


l’ensemble des relations et l’exercice dans différentes fonctions. Les répondants
perçoivent la domination d’une éthique déontologique reflétée dans les codes,
chartes et procédures éthiques de ces entreprises.
De l’avis des responsables des ressources humaines dans E et A, l’instauration
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

des fondements d’un tel climat déontologique soutient la volonté de l’entreprise


d’autoréguler les comportements et de délimiter les conduites que les managers
s’engagent à respecter à l’égard de toutes les parties prenantes de l’entreprise.
Plusieurs domaines et valeurs sont soulignés dans cette éthique déontologique :
la transparence, la lutte contre la corruption, l’équité, la communication,…, un
tel processus de formalisation vise « à promouvoir et à s’acculturer d’un modèle idéal de
comportement auquel les salariés doivent tendre », affirme un ingénieur chez (F).
Les normes éthiques, formalisées dans les documents de l’entreprise A, ne sont
pas le produit d’un modèle de gestion pré-établi par une élite managériale ; elles
sont co-construites sur la base d’un dialogue sur les problèmes sociaux et les
attentes éthiques des employés. Pour les répondants, l’existence d’une structure
et de mécanismes formels prônant une culture participative, témoigne de la
volonté managériale de veiller à la transparence et à la conciliation entre les
besoins de l’entreprise et ceux des employés (feedback, cercles de qualité, espaces
d’expression…).
Au niveau de ces entreprises, la formalisation des processus et des valeurs
partagées et la création d’un référentiel éthique commun ont pour finalité de
faire de l’éthique un aspect inhérent à l’organisation, qui perdurerait au fil du
temps, indépendamment des personnes et des lieux. L’objectif ultime, dans ces
entreprises, est de « travailler dans les règles de l’art, avec le plus grand
professionnalisme », en vue de préserver les acquis de la compagnie, y compris les
acquis humains. Il se dégage des propos recueillis que l’éthique dans cette
entreprise est l’affaire de tous. Elle est considérée comme holistique et
constitue, par conséquent, un aspect fondamental du travail de chaque fonction
et de chaque individu dans l’organisation, qui, de façon collective, vit et
alimente cette philosophie managériale.

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

4.3 La perception d’une éthique égoïste négative
À l’encontre des analyses ci-dessus, où les répondants déclarent percevoir dans
leurs entreprises un climat éthique positif, qu’il soit de nature formelle ou
informelle, d’autres interviewés soulignent la domination d’un climat éthique
égoïste dans leurs entreprises. C’est le cas de la plupart des répondants dans les
entreprises publiques B et C et dans l’entreprise privée (H).
Ces répondants mettent en avant la domination d’une culture instrumentale
priorisant l’intérêt individuel et l’objectif lucratif de l’entreprise, quelquefois au
détriment des besoins et des intérêts des autres membres dans l’entreprise.
Mobilisés par la quête du pouvoir, les décideurs au sein de ces institutions font
preuve de comportements autoritaires, opportunistes, hautains et en
contradiction avec les règles élémentaires de l’éthique dans la gestion des
hommes. Des expressions liées à la perception de comportements non éthiques
caractérisant ce climat égoïste ont été repérées dans les discours des interviewés

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


dans B et H (malhonnête, non convenable, iniquité, favoritisme, dénonciation, détournement,
opportunisme, abus de pouvoir...). Ces comportements dysfonctionnels s’accroissent
généralement par effet de « boule de neige », se propagent dans l’entreprise, au
point de devenir parfois la culture « privilégiée », voire récompensée par les
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

décideurs. Le traitement non éthique des employés et l’ignorance de leurs


besoins et de leurs intérêts au travail semblent être renforcés par l’absence
d’une entité de GRH, qui veille au développement humain et à la mise en
œuvre d’une gestion équitable et éthique des hommes. Les décisions relatives à
la formation, à l’évaluation, à la récompense au mérite…, sont prises d’une
manière informelle, subjective, non planifiée, ce qui induit, généralement, des
perceptions d’iniquité chez les employés. Certains salariés subissent les
systèmes managériaux non éthiques comme une fatalité et souvent par crainte
des représailles. Plusieurs sont unanimes quant à la nécessité pour les décideurs
de repenser cette éthique prédominante et de prôner davantage des valeurs
humaines morales, d’équité, etc. Ils soulignent, de ce fait, l’importance du rôle
conjoint des dirigeants et des DRH dans cet effort.

5 IMPLICATIONS MANAGÉRIALES
Si des entreprises ont réussi à instaurer les bases d’un climat éthique et à unifier
les membres autour de valeurs bienveillantes communes, d’autres n’ont pas
traduit leurs attentes éthiques en démarches concrètes. De telles attentes
demeurent encore comme « faisant partie du monde de l’idéal ». Les différents cas
étudiés montrent la diversité des types de climats éthiques perçus dans
l’entreprise. L’égoïsme véhicule une éthique négative, puisque la préoccupation
centrale et exclusive est la maximisation du « gain personnel » au détriment des
autres. Les deux autres types de climats reflètent les efforts déployés pour
l’ancrage de valeurs et la mise en place de dispositifs managériaux intégrant
l’éthique comme déterminant crucial des actions individuelles et collectives. La
perception d’un climat bienveillant soutient la promotion d’une éthique positive

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

informelle de partage de valeurs de support, d’équité et d’écoute à l’égard des
employés et instaurant le bien-être de la communauté. En revanche, la
perception d’un climat déontologique s’inscrit plutôt dans une approche
formelle, visant à allier les comportements des membres aux intentions
managériales et à promouvoir une éthique « holistique » comme partie
intégrante du travail de chaque fonction et de chaque individu.
Dans une perspective managériale, les résultats de cette étude proposent
plusieurs enseignements. Tout d’abord, ils fournissent un appui supplémentaire
à l’aspect multidimensionnel du construit de climat éthique (Martin et Cullen,
2006 ; Cullen et al. 2003 ; Victor et Cullen, 1988). Ce constat implique, pour le
manager, d’identifier le climat éthique dominant afin de décider des politiques
et des pratiques managériales adéquates et nécessaires à la gestion des dilemmes
éthiques qui se présentent (Barnett et Vaicys, 2000). En effet, différents types
de climats éthiques requièrent des stratégies managériales distinctes. Plusieurs
managers mettent en place divers mécanismes pour promouvoir l’éthique, sans

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


pouvoir anticiper leur efficacité. Par exemple, la présence d’un code éthique
pourrait être efficace en présence d’un climat professionnel réglementé ;
toutefois, elle peut être sans intérêt en présence d’un climat bienveillant
prônant des liens de convivialité et des relations informelles largement
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

affectives et empathiques (Wimbush et Shepard, 1994). Une formation éthique,


par contre, pourrait être efficace dans le cadre d’un climat égoïste en vue
d’accroître la sensibilité éthique des managers et d’améliorer leur niveau de
développement moral (Victor et Cullen, 1988).
Le rôle majeur des dirigeants dans le développement d’un climat éthique est mis
en avant par les résultats de cette recherche. Perçus comme les premiers
représentants de l’organisation, ces dirigeants agissent comme des « modèles
éthiques ».4 Leurs valeurs, décisions, comportements et styles de management
fournissent des signaux sur le contrat relationnel et éthique avec les employés
(Fang, 2006 ; Schminke et al. 2005 ; Grojean et al., 2004). Cela implique de
développer une stratégie de suivi et de formation axée sur le leadership éthique.
Une telle démarche contribuerait à développer les compétences éthiques de ces
managers et à les sensibiliser à l’importance de la confiance et de l’éthique dans
leurs relations avec les subordonnés.
Ensuite, nos résultats démontrent que les gestionnaires tunisiens devraient se
préoccuper davantage des valeurs éthiques dans les relations interpersonnelles,
et traduire effectivement de telles valeurs dans les pratiques managériales et de
GRH. Cela pourrait stimuler, d’une manière significative, l’engagement, les
comportements de citoyenneté et réduire le turnover. Plaidoyer en faveur d’une
GRH éthique et responsable, via l’intégration de valeurs et de principes


/DSV\FKDQDO\VHGpFULWOHSURFHVVXVG¶LGHQWLILFDWLRQTXLHVWFHQWUDOGDQVODFRQVWUXFWLRQGHOD
SHUVRQQDOLWpHWGHO¶LGHQWLWp&RPPHO¶HQIDQWTXLV¶LGHQWLILHDX[PRGqOHVSDUHQWDX[SRXUVH
GpYHORSSHU OH FROODERUDWHXU SHXW V¶LGHQWLILHU j XQ OHDGHU LQFDUQDQW GHV YDOHXUV MXVWHV
UHVSHFWDQWOHVFRGHVIRUPHOVRXLQIRUPHOVG¶pWKLTXH


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

d’équité, de transparence et de bienveillance, au niveau des pratiques
managériales (Ballet et De Bry, 2001), encouragerait davantage l’émergence des
termes d’un contrat éthique et relationnel.

CONCLUSION
L’objectif de la présente recherche était d’évaluer la situation éthique dans un
échantillon d’entreprises à travers une exploration des perceptions des
employés du climat éthique qui règne dans leurs entreprises. Il est, certes,
insuffisant de parler éthique sans agir dans son sens ou de réduire celle-ci à
l’application d’un ensemble de procédures et de recettes ; encore faut-il qu’elle
soit réellement ancrée dans le vécu quotidien, (pratiques, traitement…) et
qu’elle fasse l’objet d’une prise de position effective de la part du dirigeant et
d’un engagement réel pour améliorer les conduites éthiques à l’égard des

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


travailleurs (Chua et Rahman, 2011). Conduite dans le contexte tunisien, la
présente recherche contribue à élargir les résultats des recherches antérieures
sur le climat éthique à un contexte culturel peu exploré et requérant de
profondes analyses et réformes sociales et éthiques.
Toutefois, certaines limites liées aux risques de biais inhérents à toute recherche
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

qualitative et au nombre restreint des entreprises enquêtées sont à souligner.


Une triangulation méthodologique apportant la profondeur d’une recherche
qualitative et la rigueur d’une recherche quantitative pourrait être envisagée
comme une piste de recherche future de la thématique du climat éthique dans
les entreprises tunisiennes. Une autre voie intéressante serait, par exemple, de
s’attacher davantage au rôle du dirigeant dans la promotion d’un climat éthique,
à travers une approche par les styles de leadership. Cette nouvelle perspective
permettrait de tester les effets des différents styles dichotomiques, tels que le
style transformationnel versus le style transactionnel, le style autocratique versus le
style participatif, etc., et d’évaluer la contribution de chacun d’entre eux au
climat éthique et aux échanges sociaux.

BIBLIOGRAPHIE

ARNAUD A. (2010) Conceptualizing and Measuring Ethical Work Climate:


Development and Validation of the Ethical Climate Index, Business & Society, vol.
49, n° 2, 345-358.
ARNAUD A., SCHMINKE M., (2007) Ethical Work Climate. A Weather Report and
Forecast, Managing Social and Ethical issues in Organizations, 181-227.
BALLET J., DE BRY F. (2001) L’éthique et l’entreprise, Paris, Seuil, Coll. Points.
BARNETT T., VAICYS C. (2000) The moderating effect of individuals' perceptions of
ethical work c1imate on ethical judgments and behavioral intentions, Journal of
Business Ethics, 27(4), 351-362.
BELET D., YANAT Z. (2004) L’éthique managériale : responsabilité sociale et enjeux de
performance durable pour l’entreprise, 22e Université d'été IAS, Luxembourg, septembre.

0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
/HFOLPDWpWKLTXHDXWUDYDLOGDQVGHVHQWUHSULVHVWXQLVLHQQHV

BOYER A. (2002) L’impossible éthique de l’entreprise, Paris, Éditions d’Organisation.
BRUNET L., SAVOIE A. (1999) Le climat de travail, Montréal, Éditions Logiques.
CASTELLO I., LOZANO J. M. (2011) Searching for New Forms of Legitimacy
Through Corporate Responsibility Rhetoric, Journal of Business Ethics, vol. 100, 11-29.
CHOUAIB A., ZADDEM F. (2012) Le climat éthique au travail : pour promouvoir des
relations interpersonnelles de confiance, Revue interdisciplinaire pour le management,
l’humanisme et l’entreprise, n° 1, 53-70.
CHUA F., RAHMAN A., (2011) Institutional Pressures and Ethical Reckoning by
Business Corporations, Journal of Business Ethics, 98, 307-329.
CROPANZANO R., MITCHELL M. S. (2005) Social Exchange Theory: An
Interdisciplinary Review, Journal of Management, vol. 31, 1-27.
CULLEN J. B., PARBOTEEAH K. P., VICTOR B. (2003) The effects of ethical
c1imates on organizational commitment: A two-study analysis, Journal of Business
Ethics, 46(2), 127-141.
FANG M. L (2006) Examining ethical intentions of individual employees of Taiwan

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


from theory of planned behavior, The Business Review, 6(1), 257-263.
FRITZSCHE D., BECKER H. (1984) Linking management behaviour to ethical
philosophy: an empirical investigation, Academy of Management Journal, 27, 166-175.
GROJEAN M. W, RESICK C. J., DICKSON M. W., SMITH D. B. (2004) Leaders,
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

values and organizational climate: examining leadership strategies for establishing an


organizational climate regarding ethics, Journal of Business Ethics, 55, 223-241.
HIRÈCHE l. (2003) L’influence de l’éthique des managers sur les comportements au
travail et la performance organisationnelle : esquisse d’un modèle conceptuel, Actes
du 14ème Congrès AGRH, Grenoble, 20-22 novembre.
HOSMER L. (1995) Trust: the connecting link between organizational theory and
philosophical ethics, Academy of Management Review, vol. 20 (2), 379-403.
KOHLBERG L. (1984) Essays on Moral Development. The Psychology of Moral Development,
San Francisco, CA, Harper and Row.
LE FLANCHEC A., ROJOT J., FOURBOUL C. (2006) Rétablir la confiance dans
l’entreprise par le recours à la médiation, Industrial Relations/Relations Industrielles, vol.
61, n° 2, 271-295.
LE TOURNEAU P. (2000) L’éthique des affaires et du management au XXI siècle, Paris,
Dunod.
LOGSDON J. M., YUTHAS K. (1997) Corporate social performance, stakeholder
orientation and organizational moral development, Journal of Business Ethics, vol. 16,
1213-1226.
MARTIN K., CULLEN J. B. (2006) Continuities and Extensions of Ethical Climate
Theory: A Meta-Analytic Review, Journal of Business Ethics, 69 (2), 175-194.
McLEAN G. N. (2001) Ethical Dilemmas and the many hats of HRD, Human Resource
Development Quarterly, 12(3), 219-221.
MERCIER S. (2004) L’éthique dans les entreprises, Paris, La Découverte, Coll. Repères.
MILES M., HUBERMAN M. (2003) Analyse des données qualitatives, Bruxelles, De Boeck
Université (2e éd.).
PESQUEUX Y., BIEFNOT Y. (2002) L’éthique des affaires, Paris, Éditions
d’Organisation.


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ
$IHI&+28$,%

REICHERS A. E., SCHNEIDER B. (1990) Climate and Culture: An Evolution of
Constructs, in B. Schneider (Ed.) Organizational Climate and Culture, San Francisco,
Jossey-Bass, 5-39.
REIDENBACH E., ROBIN D. P. (1990) Toward the development of
multidimensional scale for improving evaluations of business ethics, Journal of
Business Ethics, 9, 639-653.
REST J. R. (1986) Moral Development: Advances in Research and Theory, New York, Praeger.
RUPPEL C. P., HARRINGTON S. J. (2000) The relationship of communication,
ethical work climate, and trust to commitment and innovation, Journal of Business
Ethics, 25(4), 313-328.
SCHMINKE M., AMBROSE M. L., NEUBAUM D. O. (2005) The effect of leader
moral development on ethical c1imate and employee attitudes, Organizational
Behavior and Human Decision Processes, 97(2), 135-151.
SCHNEIDER B. (1975) Organizational-climates: An Essay, Personnel Psychology, 28(4),
447-479.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur


TREVIÑO L. K., BROWN M. (2004) Managing to be ethical: Debunking five business
ethics myth, Academy of Management Executive, 18, 69-81.
VICTOR B., CULLEN J. B. (1988) The organizational Bases of Ethical Work
Climates, Administrative Science Quarterly, 33 (1), 101-125.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.82.93.2 - 23/03/2018 11h11. © De Boeck Supérieur

VICTOR B., CULLEN J. B. (1987) A Theory and measure of ethical climate in


Organizations, Research in Corporate Social Performance and Policy, 9, 51-71.
VIDAVER-COHEN D. (1998) Moral c1imate in business firms: A conceptual
framework for analysis and change, Journal of Business Ethics, 17(11), 1211-1232.
WIMBUSH J. C., SHEPARD J. M. (1994) Toward an understanding of ethical climate:
Its relationship to ethical behaviour and supervisory influence, Journal of Business
ethics, 13 (8), 637-647.
ZADDEM F. (2010) Déterminants, conséquences et modes d’approche des dilemmes
éthiques, Revue internationale sur le travail et la société, vol. 8, n° 1, 53-71.

***


0RQGHVHQ'pYHORSSHPHQW9ROQƒ

Vous aimerez peut-être aussi