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7.

LES HABILETÉS MÉTAPHONOLOGIQUES : ASPECTS THÉORIQUES ET


ÉVALUATION

Philippe Mousty
in Bernadette Piérart, Le langage de l’enfant

De Boeck Supérieur | « Questions de personne »

2005 | pages 133 à 143


ISBN 9782804145620
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7
Les habiletés
métaphonologiques :
aspects théoriques
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et évaluation

Philippe Mousty et Jacqueline Leybaert

INTRODUCTION
Les habiletés métaphonologiques occupent une place particulière dans
l’évaluation du langage, se situant à l’intersection entre les compétences
orales et les compétences écrites. Sous les termes d’« habiletés
métaphonologiques » ou de « conscience phonologique », nous regrou-
pons un ensemble de compétences qui nous permettent de nous repré-
senter mentalement la chaîne parlée comme une séquence d’éléments
distincts (morphèmes, syllabes, phonèmes). Les travaux scientifiques de
ces vingt-cinq dernières années ont permis d’établir de façon exemplaire
l’importance du lien existant entre le développement de la conscience
phonologique, et plus particulièrement de la conscience du phonème, et
l’acquisition des mécanismes de base de la lecture et de l’orthographe.
Par ailleurs, le développement des habiletés métaphonologiques est lui-

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L’évaluation des composantes formelles du langage

même conditionné par celui d’autres habiletés phonologiques et cogniti-


ves sous-jacentes.
Dans ce chapitre, après avoir rappelé quelques notions de base
relatives au concept de conscience phonologique, nous tenterons de faire
le point sur quelques données récentes de la littérature qui tentent
d’éclaircir les relations complexes qu’entretiennent ces habiletés avec,
d’une part, le développement de la lecture et de l’orthographe et, d’autre
part, d’autres habiletés phonologiques évaluées dans des épreuves de
langage oral qui semblent également contribuer au développement du
langage écrit. Dans la mesure où de très nombreux ouvrages et revues de
question ont déjà traité de l’importance des habiletés métaphonologiques
dans l’apprentissage du langage écrit (voir par exemple l’ouvrage de
l’Observatoire National de la Lecture, 1998), nous avons choisi de nous
concentrer ici sur des études censées nous informer avant tout sur le
caractère prédictif des habiletés métaphonologiques lorsqu’elles sont
évaluées avant ou pendant les débuts de l’apprentissage. Nous dégage-
rons enfin de cette brève revue de la littérature quelques implications
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pratiques pour l’évaluation.

1 LA CONSCIENCE PHONOLOGIQUE :
UN CONCEPT UNITAIRE ?
La conscience phonologique nécessite l’établissement de connaissances
sur la structure phonologique des mots de la langue qui vont permettre,
par exemple, de segmenter ces mots en éléments de plus petite taille. Elle
se développe lentement chez l’enfant qui prend d’abord conscience, par
exemple, du fait que les mots peuvent partager des segments communs,
comme une rime ou une syllabe, pour atteindre un niveau de connais-
sance lui permettant d’identifier les traits distinctifs des phonèmes de sa
langue. À ce moment, l’enfant sera capable de répéter un mot en
prononçant isolément chacun de ses phonèmes, ou de produire un
nouveau mot en supprimant ou en ajoutant un phonème particulier à une
position déterminée. Cette connaissance acquise est qualifiée de
métalinguistique car elle implique une capacité d’abstraction qui permet
à l’enfant de se détacher de la signification du mot pour se centrer sur ses
propriétés linguistiques formelles. Il s’agit d’une connaissance consciente
et explicite de la structure de la chaîne parlée et de ses unités distinctives,
qui n’est pas nécessaire lorsqu’il s’agit simplement de parler ou de
comprendre la parole. En effet, les activités de perception et de produc-
tion de la parole reposent sur des processus automatiques qui font appel
à des représentations phonologiques (et orthographiques chez les indivi-
dus lettrés) essentiellement inconscientes.

134
Les habiletés métaphonologiques : aspects théoriques et évaluation

Une question centrale et toujours débattue dans la littérature est de


savoir si la conscience phonologique représente un ensemble homogène
d’habiletés ou si elle peut se décomposer en sous-ensembles d’habiletés
distinctes.
Il est important de garder à l’esprit que les tâches utilisées pour évaluer
la conscience phonologique peuvent se différencier à la fois par la nature
des processus de traitement impliqués, lesquels peuvent requérir l’accès
à des représentations phonologiques conscientes ou non, mais aussi par
la taille des représentations phonologiques à traiter. C’est ainsi que de
nombreux chercheurs ont défendu l’idée selon laquelle il existerait
différents degrés ou niveaux de conscience phonologique. Certaines
opérations métaphonologiques (par ex. : la suppression d’un phonème
ou l’inversion de deux phonèmes au sein d’un énoncé) nécessiteraient le
recours à des représentations phonologiques conscientes et explicites
alors que d’autres (par ex : les jugements de rime ou de longueur, la
détection d’une syllabe commune entre deux énoncés…) pourraient être
réalisées sur la base d’une simple sensibilité aux propriétés phonologiques
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de la langue. Dans une optique analogue, Gombert (1990) qualifie ces
derniers processus d’épilinguistiques, lorsqu’ils s’appliquent à des con-
naissances implicites utilisées de façon automatique par l’enfant sans
contrôle attentionnel. Cette distinction en termes de processus de traite-
ment n’est en fait pas indépendante de celle relative aux unités de
traitement, dans la mesure où les unités plus larges que le phonème
présentent vraisemblablement un degré de saillance plus élevé dans les
traitements perceptifs. Dès lors, on peut aisément concevoir que les
opérations métaphonologiques portant sur l’unité phonémique bénéficie-
ront davantage d’un recours à des représentations phonologiques post-
perceptives, conscientes et explicites.
D’autre part, certains auteurs considèrent que parmi les processus de
traitement impliqués dans les opérations métaphonologiques, il convient
de distinguer au moins deux processus distincts. Le premier consiste à
pouvoir analyser, et segmenter la chaîne parlée en unités plus petites, le
second à pouvoir combiner, ou fusionner des unités petites en unités plus
larges. Les tâches métaphonologiques élémentaires, dites de segmenta-
tion et de fusion, peuvent solliciter isolément chacun de ces processus ;
la plupart des autres tâches sollicitent en proportion variable ces deux
processus et éventuellement d’autres (substitution, inversion, soustrac-
tion…). Par exemple, la tâche d’inversion de phonèmes nécessite succes-
sivement des opérations de segmentation (/ba/ → /b/ + /a/), d’inversion
(/b/ + /a/ → /a/ + /b/) et de fusion (/a/ + /b/ → /ab/).
Si l’on peut considérer ces propositions favorables à une conception
non unitaire de la conscience phonologique, comme fondées d’un point
de vue conceptuel ou théorique, il est nécessaire de vérifier si elles
demeurent valides d’un point de vue empirique. C’est ce que nous

135
L’évaluation des composantes formelles du langage

tenterons d’évaluer ci-après, en examinant les relations qu’entretiennent


ces sous-composantes de la conscience phonologique avec l’acquisition
du langage écrit.

2 CONSCIENCE PHONOLOGIQUE
ET ACQUISITION DU LANGAGE ÉCRIT
Comme nous l’évoquions plus haut, l’existence d’une relation entre le
développement de la conscience phonologique et l’acquisition du lan-
gage écrit n’est plus aujourd’hui contestée. Un nombre très important de
travaux ont en effet démontré que les performances des enfants évaluées
dans des épreuves de conscience phonologique, et en particulier de
conscience phonémique, avant et au début de l’apprentissage de la
lecture sont étroitement corrélées avec leur succès ultérieur en lecture et
en orthographe (Adams, 1990 ; Wagner et Torgesen, 1987). Cette
relation est vraisemblablement de nature causale et réciproque (Alegria,
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Leybaert et Mousty, 1994 ; Bertelson, 1986 ; Morais et al., 1987). Dans un
système d’écriture alphabétique, l’enfant doit être en mesure d’analyser
la chaîne parlée en ses constituants phonémiques pour pouvoir compren-
dre le principe du système alphabétique et ainsi établir les correspondan-
ces entre les unités de la langue écrite et celles de la langue parlée. En
retour, l’utilisation de plus en plus efficiente de la procédure de médiation
phonologique en lecture et en écriture, basée sur l’application des règles
de conversions grapho-phonémiques, va permettre progressivement
d’affiner les capacités d’analyse segmentale de la parole. Il est également
très vraisemblable, comme le suggèrent des travaux montrant l’influence
des connaissances orthographiques dans ce type de tâche (Ehri et Wilce,
1980 ; Treiman et Cassar, 1997), que l’enfant active progressivement et
automatiquement des représentations orthographiques qui viendront
consolider et enrichir les représentations phonologiques conscientes
nécessaires dans les épreuves de conscience phonologique. Ainsi, le fait
de pouvoir s’appuyer sur des représentations orthographiques, même
rudimentaires, est susceptible de modifier la manière dont l’enfant
apprenti lecteur va réaliser de telles épreuves.
Les travaux récents menés dans ce domaine de recherche se sont
attachés à évaluer si la conscience phonologique (et ses présumées
composantes) contribuait de façon spécifique à l’acquisition du langage
écrit. Les performances dans des tâches de conscience phonologique
étant corrélées avec d’autres capacités phonologiques, comme la mé-
moire de travail phonologique ou la capacité à accéder rapidement à des
représentations phonologiques lexicales, on pourrait concevoir cet en-
semble d’habiletés phonologiques et métaphonologiques comme un seul

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Les habiletés métaphonologiques : aspects théoriques et évaluation

ensemble assurant les fondements de l’édifice que constituerait l’acqui-


sition du langage écrit. La question se pose donc de savoir si la conscience
phonologique constitue une entité indépendante des autres compétences
phonologiques, quand il s’agit de mesurer son impact sur les premiers pas
dans l’apprentissage du langage écrit.
Pour aborder cette question, de nombreuses études ont suivi des
enfants en les évaluant à plusieurs reprises avant l’apprentissage de la
lecture et pendant la ou les premières années de leur scolarité. Ces études,
dites longitudinales, tentent ainsi, au moyen de méthodes statistiques
appropriées, d’identifier les facteurs qui, évalués avant le début de
l’apprentissage, permettent de prédire les performances ultérieures des
enfants et d’estimer leur pouvoir prédictif. À cette fin, elles comprennent
généralement un large éventail d’épreuves évaluant différentes habiletés
phonologiques et métaphonologiques, ainsi que celles de lecture et
d’écriture. Plusieurs études ont pris la précaution de vérifier que les
enfants, lors de l’évaluation initiale, n’avaient pas de connaissance
préalable des lettres ou, à défaut, en ont tenu compte en contrôlant
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statistiquement l’influence de ce facteur, de manière à s’assurer que des
effets témoignant d’une influence de la conscience phonologique sur les
capacités de lecture ne soient pas confondus avec l’influence de ce type
de connaissance. Nous savons en effet que la connaissance des lettres est
étroitement corrélée avec la mise en place de la procédure de médiation
phonologique en lecture et en écriture, mais également avec les épreuves
de conscience phonémique.
Dans une revue récente de cette littérature, portant sur une sélection
d’une quarantaine d’études longitudinales répondant à des critères très
stricts d’exigence méthodologique, Castles et Colthaert (2004) tirent des
conclusions intéressantes pour notre propos. Premièrement, toutes les
études retenues, sans exception, démontrent une contribution spécifique,
indépendante de la conscience phonémique sur les mesures ultérieures
de lecture et d’écriture, lorsque les autres facteurs sont contrôlés. Ceci va
dans le sens de l’existence d’un lien causal entre ces habiletés, sans le
démontrer ni remettre en question la notion de réciprocité de cette relation
au sujet de laquelle ces études ne peuvent pas nous informer. Il n’en va
pas de même pour les épreuves de conscience phonologique portant sur
la syllabe et la rime, où les résultats sont plus hétérogènes. Toutefois, la
plupart des études recensées n’ont pas pu mettre en évidence de
contribution spécifique de ces unités larges et celles qui en ont trouvé ne
sont pas dépourvues de problèmes méthodologiques qui rendent l’inter-
prétation de leurs résultats difficile. Deuxièmement, il ne semble pas y
avoir d’arguments suffisants pour considérer que les composantes de
segmentation et de fusion contribuent de façon indépendante à l’acqui-
sition du langage écrit. En effet, mises à part les études de Perfetti et al.
(1987) et celle de Wagner et al. (1994) qui ont observé des dissociations

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L’évaluation des composantes formelles du langage

entre ces deux types de processus, donnant lieu à des interprétations


d’ailleurs divergentes, la plupart des études longitudinales montrent
avant tout que ces processus sont très fortement corrélés. Ces conclu-
sions s’appliquent à des études menées sur des groupes importants
d’enfants tout venant et n’excluent pas l’existence de différences indivi-
duelles, en particulier dans le cadre des troubles, où certains enfants
peuvent présenter parfois des difficultés plus marquées pour l’un ou
l’autre de ces processus.
Afin de pouvoir mieux établir l’existence d’une influence causale de la
conscience phonologique sur le développement des habiletés de lecture
que ne le permettent les études longitudinales, les chercheurs ont eu
également recours à des études dites d’entraînement. Leur principe est
d’entraîner des enfants à faire des exercices métaphonologiques et
ensuite d’évaluer l’effet de cet entraînement sur les performances ulté-
rieures des enfants en lecture (en particulier celle de pseudomots pour
évaluer les capacités de la médiation phonologique) et en écriture. À cette
fin, ces études comparent des conditions différentes d’entraînement ou
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prévoient des conditions contrôles et/ou un groupe d’enfants contrôles
(par ex., un groupe d’enfants appariés ayant bénéficié d’un entraînement
similaire mais ne portant pas sur la dimension métaphonologique). De
très nombreuses études de ce type ont été menées et ont rapporté des
résultats généralement positifs de l’entraînement. Toutefois, ces études
ont souvent procédé à l’entraînement conjoint de différentes unités ou de
différentes sous-composantes (segmentation, fusion, soustraction, subs-
titution…). Dans de nombreuses études, la conscience phonologique a
été entraînée en même temps que l’utilisation des correspondances
phonèmes-graphèmes ou d’autres habiletés phonologiques. Dès lors, de
telles études ne sont pas en mesure de démontrer un réel effet spécifique
de l’entraînement de la conscience phonémique (ou de ses sous-compo-
santes). Dans leur revue de la littérature, Castles et Colthaert (2004) en
arrivent même à la conclusion qu’aucune étude n’est actuellement
disponible, qui montrerait un effet spécifique de l’entraînement à la
conscience phonémique, si l’on considère que celui-ci doit être réalisé
avant l’apprentissage de la lecture et sans connaissance préalable des
lettres. Comme ces auteurs le soulignent, ces contraintes sans doute
souhaitables sur le plan méthodologique, sont peut-être impossibles à
satisfaire sur le plan pratique et l’absence d’étude répondant à de tels
critères d’exigence ne signifie pas que la relation causale n’existe pas. Par
ailleurs, Ehri et al. (2001), se fondant sur la méta-analyse réalisée par le
National Reading Panel (2000) sur une sélection de 52 études d’entraîne-
ment jugées rigoureuses sur le plan méthodologique parmi près de 2 000
travaux publiés, estiment qu’un entraînement à la conscience phonémique
s’avère davantage profitable lorsqu’il est réalisé en même temps que
l’apprentissage des correspondances graphèmes-phonèmes que

138
Les habiletés métaphonologiques : aspects théoriques et évaluation

lorsqu’il est réalisé avant le début de celui-ci (voir aussi la méta-analyse


effectuée par Bus et Van Ijzendoorn, 1999).
En ce qui concerne les sous-composantes de la conscience
phonologique, et contrairement aux conclusions qui semblent se dégager
de l’examen des études longitudinales, plusieurs études d’entraînement
n’ont pu montrer que de faibles effets de transfert entre ses processus. Par
exemple, Davidson et Jenkins (1994) ont comparé des groupes d’enfants
prélecteurs à qui l’on a proposé soit un entraînement spécifique du
processus de segmentation, soit un entraînement spécifique du proces-
sus de fusion, soit une combinaison de ces deux types d’entraînement.
Ces entraînements ont été réalisés exclusivement à l’oral. Ensuite, après
avoir enseigné un nombre restreint de lettres correspondant aux phonè-
mes entraînés, il est apparu que les enfants présentaient de meilleures
performances, par rapport à celles d’un groupe contrôle non entraîné,
dans des activités simples de lecture et d’écriture faisant appel au
processus entraîné mais pas au processus non entraîné. En fait, dans
cette étude, seuls les enfants entraînés à faire seulement de la segmen-
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tation ou une combinaison de segmentation et de fusion ont montré un
effet significatif de l’entraînement (voir aussi Torgesen et al., 1992, pour
des résultats similaires, mais Reitsma et Wessling, 1998, pour une étude
montrant un effet bénéfique d’un entraînement à la fusion).
Enfin, il est sans doute important de mentionner que des études
d’entraînement ont également porté soit sur des groupes d’enfants soit
considérés « à risque », soit diagnostiqués dyslexiques. Les résultats
montrent, dans l’ensemble, des effets bénéfiques d’un entraînement de la
conscience phonologique pour ces deux populations, lorsque celui-ci est
réalisé conjointement avec un travail sur les correspondances grapho-
phonémiques. Toutefois, si l’on se base par exemple sur le rapport de la
méta-analyse réalisée par le National Reading Panel (2000), ces effets
seraient beaucoup plus faibles, et en fait non significatifs, que dans des
études portant sur des enfants tout venant. Ce résultat n’est en soi pas
vraiment surprenant si l’on tient compte de la durée souvent très limitée
de l’entraînement réalisé dans le cadre de telles études. Il pourrait
simplement indiquer que des enfants confrontés à des difficultés spécifi-
ques d’apprentissage nécessitent une prise en charge plus intensive,
comme c’est habituellement le cas dans les rééducations effectuées par
des logopèdes ou orthophonistes.
En résumé, il est raisonnable de penser que la conscience phonémique,
qui implique des capacités de manipulations conscientes et intentionnel-
les de l’unité phonémique, constitue un facteur prédictif important au
début de l’apprentissage du langage écrit, comme en témoignent les
résultats des études longitudinales qui s’accordent pour lui reconnaître
une contribution spécifique, c’est-à-dire indépendante des autres fac-
teurs pris en considération. Toutefois la conscience phonémique n’est

139
L’évaluation des composantes formelles du langage

sans doute pas une condition suffisante pour prédire le développement


ultérieur des habiletés de lecture et d’orthographe. Les études d’entraîne-
ment confortent davantage l’idée, défendue depuis longtemps par de
nombreux auteurs, selon laquelle conscience phonémique et connais-
sance des relations graphophonémiques sont très intimement liées en
début d’apprentissage dans la construction des processus de médiation
phonologique en lecture et en écriture. Ce bref survol de la littérature nous
indique également que la conscience phonologique ne constitue vraisem-
blablement pas un concept unitaire. Les travaux mettent en avant une
dissociation entre le pouvoir prédictif de l’unité phonémique et celles
d’unités plus larges (syllabe et rime). Il en va de même en ce qui concerne
les processus de traitement où des dissociations ont été observées entre
les processus de segmentation et de fusion dans les études d’entraîne-
ment qui n’ont pu mettre en évidence des effets de transfert entre ces deux
processus. À titre informatif, sans que nous ne puissions développer ici
l’argumentation, l’étude du National Reading Panel (2000) recommande
en pratique d’entraîner seulement mais de façon conjointe ces deux types
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de processus ainsi que les connaissances grapho-phonémiques.

3 CONSCIENCE PHONOLOGIQUE
ET AUTRES HABILETÉS PHONOLOGIQUES
Nous nous sommes centrés jusqu’ici sur la relation unissant la conscience
phonologique et le début de l’apprentissage formel du langage écrit. Nous
allons à présent nous pencher brièvement sur les relations entre cons-
cience phonologique et d’autres habiletés phonologiques qui ont égale-
ment été identifiées comme étant liées à l’acquisition ultérieure du
langage écrit.
Pouvoir effectuer une tâche métaphonologique dans de bonnes
conditions suppose bien entendu de bonnes capacités de perception de
la parole. Si le matériel présenté est non familier (pseudomots), l’enfant
devra ensuite se construire des représentations phonologiques précises
sur lesquelles les opérations métaphonologiques pourront s’effectuer. Si
le matériel est familier (mots connus), l’enfant pourra procéder comme
pour du matériel non familier ou s’aider de représentations phonologiques
lexicales préexistantes dont la qualité pourra influencer sa performance.
En outre, de nombreuses tâches nécessitent, à des degrés divers, le
maintien temporaire d’informations phonologiques en mémoire. Outre
des capacités cognitives générales (compréhension des consignes de la
tâche) et de contrôle attentionnel, la réalisation de tâches de conscience
phonologique est donc tributaire de l’efficience de différentes habiletés
phonologiques : perceptives (discrimination et élaboration de représen-
tations phonologiques souslexicales), lexicales (accès à des représenta-

140
Les habiletés métaphonologiques : aspects théoriques et évaluation

tions phonologiques lexicales) et mnésiques (mémoire phonologique de


travail).
Il n’est donc pas étonnant que de fortes intercorrélations aient été
observées entre ces différentes habiletés phonologiques. Par ailleurs,
comme nous l’avons mentionné auparavant, ces différentes habiletés
phonologiques ont toutes également été identifiées comme étant liées au
développement du langage écrit et sont généralement l’objet de déficits
chez les enfants dyslexiques (Wagner et Torgesen , 1987).
Quelques études longitudinales corrélatives ont tenté de voir si
certaines de ces habiletés phonologiques contribuent, au même titre que
la conscience phonologique, de façon unique au progrès ultérieur en
langage écrit. Ces études se sont pricipalement intéressées à deux types
d’habiletés : celles de mémoire phonologique et celles d’accès aux
représentations phonologiques lexicales évaluées par des épreuves de
dénomination rapide. Il apparaît que, après contrôle de la contribution de
la conscience phonologique et des connaissances alphabétiques, ces
deux habiletés peuvent encore montrer une contribution unique, mais
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plus faible que celle observée pour la conscience phonémique et de façon
variable selon les études. Certaines études montrent ainsi une contribu-
tion plus forte pour la vitessse de dénomination (Wagner et al., 1997 ;
Parilla et al., 2004) que pour la mémoire verbale, d’autres montrent le
résultat inverse (Shatyl et Share, 2003).
Les habiletés perceptives, généralement évaluées au moyen d’épreu-
ves de discrimination phonétique, n’ont pas été considérées dans ces
études. Ils semblent en effet que leur pouvoir prédictif soit moindre que
pour les autres habiletés évoquées ci-avant, et qu’elles présentent des
corrélations assez faibles avec l’acquisition ultérieure du langage écrit
(Scarborough, 1998). Ceci ne remet pas en question l’idée qu’un trouble
perceptif pourrait être à la base des difficultés phonologiques des enfants
dyslexiques. De nombreuses données montrent en effet des différences
entre des groupes d’enfants dyslexiques et des groupes d’enfants tout
venant dans des épreuves de perception fine de la parole (voir Morais et
Mousty, 1992 et, pour une discussion critique des hypothèses théoriques
proposées, Morais, 2003). Ces déficits sont dans la plupart des cas très
légers et difficiles à mettre en évidence au niveau d’un examen individuel.
Par ailleurs, les épreuves de discrimination phonétique habituellement
utilisées ne sont probablement pas assez sensibles pour pouvoir les
détecter.

141
L’évaluation des composantes formelles du langage

EN GUISE DE CONCLUSION :
QUELQUES IMPLICATIONS POUR L’ÉVALUATION
DES HABILETÉS MÉTAPHONOLOGIQUES
De ce bref survol de la littérature, nous pouvons conclure que l’évaluation
précoce des habiletés de conscience phonologique se justifie pleinement
en raison du pouvoir prédictif élevé que ces habiletés présentent par
rapport à l’apprentissage ultérieur de la lecture et de l’écriture. Rappelons
que cette association est surtout marquée par rapport à l’acquisition de
la procédure de médiation phonologique et que celle-ci dépend égale-
ment des connaissances acquises par le sujet des correspondances
graphophonémiques. L’évaluation peut être précoce mais pas trop ; il y
a en effet peu d’intérêt à la faire avant l’âge de 5 ans, soit une année avant
le début de l’apprentissage scolaire. Elle sera réalisée à des fins de
dépistage, surtout lorsque l’examen du langage oral révèle des déficits
dans d’autres habiletés phonologiques.
L’interprétation des résultats obtenus devrait idéalement tenir compte
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des connaissances alphabétiques de l’enfant. Il n’y a aucune raison de
s’attendre à ce que sa conscience phonémique se développe en l’absence
de telles connaissances. Par contre, à cet âge, l’enfant sera déjà capable
de faire des opérations métaphonologiques sur des unités plus larges qui,
elles, peuvent se développer sans ces connaissances.
Par la suite, l’examen des habiletés métaphonologiques sera toujours
justifié à des fins diagnostiques tant que l’enfant n’aura pas maîtrisé la
médiation phonologique. Il est important de diversifier les épreuves lors
de l’examen afin de pouvoir examiner plusieurs processus de traitement
(segmentation, fusion, soustraction…) dans des tâches différentes. Un
enfant pourrait échouer dans une épreuve particulière, non pas parce qu’il
ne peut faire les opérations demandées, mais pour d’autres raisons
(distraction momentanée, fatigue, incompréhension de la consigne…).
D’autre part, les épreuves peuvent varier considérablement par la quan-
tité de ressources perceptives, attentionnelles et mnésiques sollicitées.
L’examinateur averti devra en tenir compte dans l’interprétation de ses
résultats et établir les liens nécessaires avec les données recueillies dans
l’examen des autres facettes du langage oral ou des autres fonctions
cognitives.
Il est indispensable en outre de veiller, dans les tâches qui le permet-
tent, à comparer le traitement de l’unité phonémique et celui d’unités plus
larges afin de pouvoir s’assurer que les difficultés ne sont pas générales
et de pouvoir mesurer l’écart de performances entre ces conditions.
En ce qui concerne le choix des épreuves, il est certainement
préférable dans un but diagnostique, d’opter pour des épreuves explicites
appelant une production orale de la part de l’enfant. C’est en effet cette

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Les habiletés métaphonologiques : aspects théoriques et évaluation

dimension explicite des connaissances phonologiques que nous souhai-


tons appréhender avant tout et le mode de réponse permet l’analyse
qualitative des erreurs. Les épreuves implicites, qui ont été beaucoup
utilisées à des fins de recherche, sont généralement des épreuves de
décision (ex : épreuves d’appariement ou de jugement phonologique du
type « même »/« différent ») ou de détection (choix parmi deux ou plu-
sieurs alternatives). Ces épreuves présentent donc l’inconvénient de
comporter un niveau de hasard dans les réponses, s’élevant jusqu’à 50 %
pour les décisions binaires, qu’il faut compenser par un nombre beaucoup
plus important d’items.
Par ailleurs, une même épreuve extraite de batteries différentes pourra
présenter des caractéristiques très différentes en fonction du choix des
items réalisé. Par exemple, l’épreuve classique de soustraction (ou
suppression) phonémique pourra varier considérablement en termes de
processus ou de ressources de traitement, selon que les items sélection-
nés sont des mots ou pas, d’une ou de plusieurs syllabes, contenant des
structures syllabiques simples CV ou plus complexes (CCV)…
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 13/04/2021 sur www.cairn.info via BIU Montpellier (IP: 194.57.207.215)

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Rappelons enfin l’importance de respecter scrupuleusement les con-
signes de passation d’une épreuve, du moins quand il s’agit de comparer
les performances d’un enfant aux normes fournies par son auteur. Cette
règle, certes générale, trouve toute sa justification dans l’administration
d’épreuves métaphonologiques où il a été clairement démontré que des
changements minimes de consigne (tels que rendre la consigne plus ou
moins explicite, fournir plus ou moins de feedback correctif ou d’exem-
ples…) pouvaient radicalement modifier le profil des résultats obtenus.

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