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FINANCE, MATHÉMATIQUES ET PROBABILITÉS

Xavier De Scheemaekere

De Boeck Supérieur | « Finance & Bien Commun »

2008/2 No 31-32 | pages 145 à 151


ISSN 1422-4658
DOI 10.3917/fbc.031.0145
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-finance-et-bien-commun-2008-2-page-145.htm
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F
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inance, mathématiques et
probabilités

Xavier De Ces dernières décennies, le déve- Le contraste entre les aspects ma-
Scheemaekere loppement considérable de la modé- thématique et philosophique de la
Aspirant du FNRS, lisation en finance s’est traduit par probabilité est saisissant. En mathé-
Solvay Brussels une utilisation des outils mathéma- matique, les axiomes de la théorie des
School of Economics tiques les plus compliqués. Lors de probabilités (et les théorèmes qui en
and Management la crise financière récente, la mathé- découlent) font consensus. Par con-
matisation de la finance a été vive- tre, du point de vue philosophique,
ment critiquée, aussi bien pour son on recense plusieurs interprétations
incroyable complexité que pour son (ou théories) qui divergent profon-
faible ancrage dans la réalité écono- dément sur la question du fondement
mique concrète. Il est dès lors utile du concept de probabilité. Un simple
de proposer une réflexion de fond exemple permet de comprendre ce
sur l’usage et l’interprétation des qui divise si fondamentalement ces
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In recent decades the modèles mathématiques en finance différentes théories.
considerable develo- de marché. Quand on joue à « pile ou face »
pment of models in avec une pièce de monnaie bien équi-
finance has involved Les théories librée, on considère que la probabi-
the use of most highly
complicated mathe-
philosophiques de lité d’obtenir « pile » lors d’un lancer
matical tools, a fact la probabilité est de 1/2. Par contre, après avoir ob-
that has been heavily servé une très longue série de lancers
La formule d’évaluation des op- (avec une pièce dont on ne sait rien)
criticised in the present
crisis. tions de Black et Scholes est l’exem- au cours de laquelle la fréquence de
ple typique du modèle mathémati- l’événement « pile » est de 26/100,
que en finance. on estime que la probabilité d’ob-
Ce modèle, qui suppose que le tenir « pile » lors du lancer suivant
cours d’une action est représenté par est approximativement de 1/4. Ces
un processus stochastique (ou aléa- deux exemples illustrent chacun une
In the field of finance,
three distinct philoso- toire), est de nature probabiliste. Si interprétation du concept de proba-
phical theories try to l’on répète souvent que les résultats bilité. Dans le premier, la probabilité
determine the notion dégagés sont « relatifs », et qu’ils est déterminée de manière a priori, à
of probability. doivent être interprétés avec pru- partir de considérations (idéalisées)
dence, on précise rarement quelles sur la structure et l’équilibre de la
sont les causes de cette relativité, et pièce de monnaie, tandis que dans
les conséquences sur l’interprétation le second la probabilité est déduite
des résultats. de la fréquence relative observée. Le

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premier concept est purement théo- tive que nous percevons entre, d’une
rique, le second est exclusivement part, certaines données empiriques
empirique : on parle d’une part de et, d’autre part, une hypothèse quant
probabilité abstraite (ou a priori) et à l’état futur du monde, relativement
The first major philo-
sophical theory of pro-
d’autre part de probabilité fréquen- à ces données. Le point central est
bability is the objective tielle (ou a posteriori). Ce qui di- que cette relation possède une objec-
theory. vise fondamentalement les théories tivité qui la rend indépendante des
philosophiques, c’est que certaines individus : sur la base des mêmes
considèrent que la probabilité est, en données, tout le monde assigne à un
dernière instance, un concept abs- événement aléatoire la même proba-
trait (théorique), tandis que d’autres bilité, sous peine d’irrationalité.
considèrent que c’est un concept fré-
The relationship
quentiel (empirique). Seulement une
between the empirical Quelle est l’interprétation appro- approximation
facts and a hypothesis priée au concept de probabilité utili- de la réalité
as to the future state sé en finance et dès lors aux modèles
of the world, has a formalisés de la finance de marché ? De ce point de vue, la probabilité
degree of objectivity Trois théories philosophiques dis- d’un événement aléatoire est détermi-
that makes individuals née de manière totalement a priori,
tinctes nous aideront à aborder ces
independent: based et unique, à partir de considérations
on identical facts, all questions et à cerner la nature de
abstraites concernant certains objets
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people a priori will la notion de probabilité en finance.
designate the same Nous mettrons ainsi en parallèle les intervenant dans le processus aléa-
degree of probability to théories (philosophiques) objective, toire considéré. Prenons par exem-
a random event; failing subjective et fréquentielle de la pro- ple un dé à six faces non pipé. Le fait
to do so would appear babilité avec l’objectivité des modè- que le dé soit non biaisé permet de
irrational. les mathématiques, la subjectivité déduire, par des considérations sur
des anticipations des agents sur les la symétrie et l’homogénéité de la
marchés, et le caractère fréquentiel structure physique (idéalisée) du dé,
(ou empirique) de la calibration des que la probabilité d’obtenir un six
modèles stochastiques en finance. est égale à 1/6. Du point de vue de
When we declare in la théorie logique, cette probabilité
finance, subject to Une vision objective est unique, et elle est indépendante
certain hypotheses, de toute observation empirique -
that the price of a stock
Commençons par la première
grande théorie philosophique de la c’est-à-dire, de tout jet de dé ; elle n’a
is determined by the été déterminée qu’en observant, de
Black and Scholes for- probabilité : la théorie objective (ou
logique). Initiée par J.M. Keynes, manière a priori, l’espace des possi-
mula, we are de facto
adopting the view of elle présente la probabilité comme bilités associées à l’événement idéa-
the logical theory. un concept épistémique, c’est-à-dire lisé : « lancer un dé à six faces non
relatif à la connaissance humaine (et pipé ».
non au monde réel), et pourtant émi- De manière similaire, quand en
nemment objectif. Pour cette théorie, finance on affirme, sous certaines
la probabilité est une relation objec- hypothèses (complétude des mar-

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chés, absence d’opportunités d’arbi- lois sont les hypothèses que l’on
trage, volatilité constante, etc.), que fait concernant l’option, tandis que
le prix d’une option est déterminé les événements particuliers sont les
par la formule de Black et Scholes, conditions concrètes de la réalité,
on adopte de facto le point de vue qui dépassent toujours, par essence,
Mathematical for- de la théorie logique. En effet, on toute formalisation (par exemple, si
malism is, however, soutient alors, indépendamment les taux d’intérêts varient alors que
linked to models of de tout fait empirique, que le prix le modèle considère des taux d’inté-
laws and not to specific obtenu est déterminé de manière rêts constants, ou encore si certains
events. unique et totalement a priori par investisseurs, pour des raisons parti-
la relation entre certaines données culières, sont prêts à acheter une op-
concrètes et une hypothèse quant à tion à un prix très élevé - et non au
l’état futur du monde. Les données prix considéré comme rationnel). De
The underlying hypo-
concrètes sont par exemple la vola- ce point de vue, le pouvoir prédictif
theses of models such tilité et la moyenne du processus de des mathématiques concerne uni-
as Black-Scholes are prix du sous-jacent, le taux d’intérêt, quement les événements particuliers
only idealised forms of les coûts de transactions, etc., tandis qui peuvent avoir lieu au sein de
a concrete reality, one que l’hypothèse quant à l’état futur structures hypothétiques prédéfinies
that is always richer du monde est donnée par la struc- : les prix de Black-Scholes résultent
than any given abstract ture de l’option (le fait qu’il s’agisse des possibilités que la structure du
model could be. The- d’une option d’achat ou de vente sur
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refore even the most modèle permet d’envisager, et non
tel ou tel actif, à une échéance et à un de la totalité des conditions réelles
perfect model is unable
to supply us with exact prix d’exercice déterminés, etc.). du marché.
predictions as to mar- Ceci revient à dire que le pouvoir
ket prices (and their Un pouvoir
prédictif des modèles de type Black-
associated risks). prédictif limité Scholes est limité par les hypothèses
Le calcul des prix de type Black- sous-jacentes et qu’il ne constitue en
Scholes se place d’emblée dans une aucun cas une prévision exacte du
logique qui, d’un point de vue épis- (futur) prix de marché. Cela n’a rien
témologique, s’apparente à la théorie d’étonnant - d’autant plus qu’une
The whole art is objective des probabilités, puisque la telle prévision est, nous le verrons,
therefore to find the relation entre des données observa- impossible. Ce qui l’est davantage,
right balance between bles et un phénomène hypothétique c’est que cette conclusion est valable
the complexity of the
est évaluée objectivement, à l’aide quel que soit le caractère réaliste des
model and the realism
of the hypotheses.
d’une syntaxe de nature mathémati- hypothèses envisagées. En effet, ces
que. Par conséquent, la description dernières ne sont que des idéalisa-
qui en résulte ne peut être, au mieux, tions d’une réalité concrète toujours
qu’une approximation de la réalité. fondamentalement plus riche que
En effet, le formalisme mathé- n’importe quelle abstraction. Dès
matique s’attache à la modélisation lors, même le modèle le plus parfait
des lois et non des événements par- ne pourrait, d’un point de vue théo-
ticuliers. Dans notre exemple, les rique, fournir des prévisions exactes

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des prix de marchés (et des risques parfaitement familiarisé avec l’idée
associés). Bien qu’il soit banal de d’une ligne sans largeur mais, qu’en
rappeler que les modèles mathémati- outre, ce concept s’est révélé assez
ques sont limités, il est intéressant de fécond pour générer les idées visuel-
During the recent
noter que cette limitation est intrin- les nécessaires au fonctionnement de
financial crisis, the
sophistication of sèque et qu’elle résulte de la nature l’intuition créative - qui permet à une
mathematical models même de la mathématisation. science d’avancer véritablement.
was pushed almost to Il semble que lors de la crise finan-
its limits, that is to say Complexité et réalité cière récente, on ait poussé très loin la
the complexity of the sophistication des modèles mathéma-
underlying hypotheses,
Tout l’art consiste alors à trouver
le bon équilibre entre la complexité tiques, c’est-à-dire la complexité des
but without asking the
question as to whether du modèle et le réalisme des hypo- hypothèses sous-jacentes, sans pour
there was any compen- thèses. Un réalisme accru des hypo- autant se demander si cette complexi-
sation in order to bring thèses de départ ne garantit en rien té était compensée par une meilleure
this complexity closer des résultats plus facilement applica- approximation de la réalité, et surtout
to reality. bles à l’arrivée. En effet, des hypothè- sans voir que de nombreux modèles
ses plus réalistes sont généralement ont fini par noyer dans une complexi-
plus complexes, et la théorie qui en té formelle inégalée l’intuition écono-
découle risque également d’être plus mique des phénomènes étudiés. Ainsi
compliquée - au détriment, parado- s’est perdue la simplicité minimale
The subjective theory,
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for its part, takes the xalement, des applications. Prenons nécessaire au fonctionnement de l’in-
subjective nature of un exemple tiré de la géométrie. Les tuition économique, et ce, sans que
probability into ac- succès incontestables des applica- l’efficacité des applications pratiques
count, as it is the result tions de cette science reposent sur ne s’en trouve améliorée.
of the sum total of fo-
une hypothèse assez idéaliste, à sa-
recasts of all the actors
voir que le modèle théorique de la
La probabilité :
present in the market.
ligne droite est une ligne qui n’a pas une notion subjective
de largeur. On a tenté, sans succès, La théorie logique insiste sur le
de développer une théorie géométri- caractère objectif et rationnel de la
que sur la base d’un concept de li- probabilité. Or, en finance, la pro-
Probabilities (which gne droite très fine (donc, avec une babilité a également un caractère
are considered as largeur différente de zéro), dans l’es- subjectif, puisqu’elle résulte de l’en-
degrees of individual
poir, partant d’une hypothèse plus semble des anticipations des agents
belief) are therefore
intrinsically subjective réaliste, de développer une théorie présents sur le marché. C’est pour-
notions, and their co- plus aboutie du point de vue des ap- quoi nous allons examiner l’autre
herence is guaranteed plications. L’échec de ces tentatives grande théorie épistémique des pro-
by the formal rules of vient du fait que la complexité for- babilités : la théorie subjective, ini-
calculation of proba- melle nécessaire à la réalisation de tiée par F.P. Ramsey et B. de Finetti.
bility. ce projet n’était pas compensée par Elle comporte une critique virulente
une meilleure approximation de la de l’objectivité de la théorie logi-
réalité. De plus, l’expérience montre que. Selon cette dernière, il n’existe
que, non seulement, notre esprit s’est qu’une seule probabilité rationnelle

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étant donné une certaine quantité empiriques déterminées et avec des
d’informations. La théorie subjec- hypothèses subjectives. Ce point
tive, en revanche, identifie la proba- de vue est d’autant plus pertinent
bilité avec le degré de croyance d’un qu’une grande partie des modèles
individu particulier. Elle ne suppose mathématiques en finance concerne
From the financial donc pas que tous les êtres humains l’évaluation d’actifs contingents (de-
point of view, we mi- rationnels entretiennent le même de- rivatives) dont la nature même est
ght be tempted to draw gré de croyance dans une hypothèse de dépendre d’un autre actif. Par
the following parallel: sur la base des mêmes données : les conséquent, le prix de ces produits
the prices that are the différences d’opinion sont permises dérive d’un raisonnement formel qui
result of mathematical car la probabilité est une notion émi- considère comme une hypothèse
models are in themsel- nemment subjective. (connue) la dynamique du processus
ves neither objective,
not rational. They are Du point de vue de la finance, la sous-jacent ; en ce sens, le prix n’est
simply coherent with théorie subjective offre une inter- garant que de la cohérence vis-à-vis
the given empirical prétation intéressante du concept de de cette hypothèse. Cependant, cette
data and subjective probabilité, car elle est, paradoxale- cohérence n’est pas sans intérêt car
hypotheses. ment, la théorie philosophique qui elle permet de réduire, fût-ce sous
conteste le moins le formalisme ma- des hypothèses assez contraignantes,
thématique. En effet, les mathéma- le nombre de phénomènes que nous
tiques garantissent la cohérence des considérions auparavant comme in-
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probabilités (qui sont considérées dépendants - comme, par exemple,
comme des degrés de croyance indi- la relation entre le prix d’une option
This coherence enables viduelle). En lieu et place de la ra- sur une action et le prix de cette der-
us to reduce the num- tionalité, la théorie subjective met en nière. Notre connaissance du « mon-
ber of phenomena that avant le concept, plus large, de cohé- de » s’en trouve donc accrue.
we previously consi- rence. Les probabilités sont donc des
dered as independent
Reste à savoir si cette nouvelle
notions intrinsèquement subjectives, connaissance nous permettra d’amé-
- such as, for exam-
ple, the relationship
dont la cohérence est garantie par les liorer nos prédictions quant à l’état
between the price of règles formelles du calcul des pro- futur du monde et, plus précisé-
a stock option and babilités. Pour la théorie subjective, ment, quant au prix de marché futur
the actual price of the la théorie mathématique ne garantit de l’option. En pratique, on estime
latter stock on the mar- pas l’objectivité (ni même la rationa- les futurs prix en calibrant les mo-
ket. Our knowledge of lité) des probabilités mais seulement dèles stochastiques sur les données
the ‘world’ is therefore leur cohérence.
improved. réelles du marché, de façon à pou-
voir calculer les valeurs exactes des
Des prix « cohérents » paramètres des modèles, qui fourni-
Du point de vue financier, on ront des prix de références. Ces der-
pourrait tenter le parallèle suivant : niers doivent être considérés comme
les prix qui découlent des modèles des prix de marchés « fictifs » car,
mathématiques ne sont, en soi, ni en fait, estimer un prix de marché
objectifs, ni rationnels, ils sont sim- est, en soi, une aberration. En effet,
plement cohérents avec des données au sens strict, un prix ne peut être

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véritablement déterminé que lorsque ne peut être déterminée qu’à partir
qu’un vendeur et un acheteur se sont de statistiques empiriques. Concrè-
mis d’accord sur une transaction tement, cela signifie par exemple
For the third theory, particulière. La calibration des mo- qu’une pièce de monnaie qui n’est
which is the frequen-
dèles mathématiques revient donc à jamais lancée ne possède pas, en soi,
tial theory, probability
is considered as an estimer les valeurs futures d’un mo- de probabilité de retomber (hypothé-
empirical concept. This dèle à partir des valeurs passées de tiquement) sur le côté pile (ou face)
is the frequency with certains paramètres. Cette approche, - pour faire une comparaison, une
which a specific event tout à fait empirique, nous amène à pièce qui n’a jamais été mesurée n’en
occurs in the course discuter une autre théorie philoso- possède pas moins un diamètre. La
of a given sequence of phique des probabilités, de nature probabilité d’un événement ne serait
events. empirique, qui repose sur l’utilisa- donc pas liée à des caractéristiques
tion des fréquences observées d’un intrinsèques de ce dernier, mais uni-
événement aléatoire. quement au nombre de réalisations
de cet événement au cours d’une sé-
The future probability Une conception physique rie d’observations.
of an event therefore de la probabilité Le mérite de cette théorie est de
depends on past fre-
Pour la théorie fréquentielle, la rappeler que le concept de probabi-
quency.
probabilité est un concept empiri- lité a un ancrage fondamentalement
que. C’est la fréquence avec laquelle empirique dans les phénomènes de
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un événement particulier survient au masse. Du point de vue fréquentiel
cours d’une séquence d’événements (c’est-à-dire empirique), la probabi-
In finance however, déterminés. Cette approche du con- lité future d’un événement est donc
nothing guarantees cept de probabilité est radicalement issue des fréquences passées. Or,
that past observations différente des approches précéden- en finance, rien ne garantit que les
(distribution of the observations passées (distributions
tes (théories logique et subjective),
probability of price,
car au lieu de tirer la probabilité des de probabilité des prix, rendements,
yield etc.) will prove
similar in future obser- propriétés spécifiques (idéalisées) etc.) soient semblables aux observa-
vations. de certains objets intervenant dans tions futures. La relativité des modè-
le processus aléatoire, elle la déduit les mathématiques en finance vient
directement des populations statis- donc également du fait que le passé
tiques, en identifiant la probabilité d’un phénomène ne garantit en rien
d’un événement avec la fréquence son futur - pour cela, il faudrait avoir
relative de cet événement au cours accès à un nombre infini d’observa-
d’une série d’observations. C’est une tions, ce qui est impossible en pra-
We would however be
entitled to expect that conception physique de la probabi- tique.
finance should have lité, dénuée de toute idéalisation a On serait pourtant en droit d’at-
predictive efficiency, priori - telle que l’objectivité, la ra- tendre de la finance une efficacité
even if it is somewhat tionalité, ou la subjectivité. prédictive, fut-elle approximative,
approximate. En refusant toute abstraction, comparable aux autres sciences -
la théorie fréquentielle considère comme la physique, d’où sont issus
que la probabilité d’un événement la majorité des modèles mathémati-

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ques utilisés en finance. La puissan- lativité vient du fait que l’objecti-
ce de la physique est d’avoir identifié vité des modèles est, par définition,
In finance, although la richesse du continu mathématique idéale. Pour reprendre la compa-
we have mathematical
avec la densité de l’espace physique. raison géométrique esquissée plus
tools for calculating
in real time, we try to En finance, les choses sont plus com- haut, un prix de modèle et un prix
create a random time pliquées, car bien que l’on dispose de marché sont deux choses aussi
model where nothing des outils mathématiques du calcul distinctes que la droite euclidienne
provides an intrinsic en temps continu, on ne modélise pas et l’arrête d’un meuble. Deuxième-
guarantee of stabi- une structure physique aussi dense ment, le caractère mathématique des
lity, that is to say the et stable que l’espace, mais bien une modèles ne garantit, en soi, aucune
uncertainty linked to objectivité ou rationalité, mais seule-
structure temporelle aléatoire dont
the future state of the ment la cohérence entre des données
(economic) world. rien ne garantit intrinsèquement la
stabilité, à savoir : l’incertitude liée à empiriques déterminées et des hy-
l’état futur du monde (économique). pothèses théoriques arbitraires. Du
En clair, donner le prix d’une op- point de vue épistémologique, cette
Clearly speaking, to tion, c’est évaluer l’avenir. La finance cohérence est l’élément prépondé-
attribute a price to a modélise donc des phénomènes qui rant de l’interprétation des modèles
stock means evaluating mathématiques en finance. Enfin,
sont non seulement aléatoires, mais
the future. troisièmement, la relativité des prix
également hautement instables, et
c’est cette instabilité qui rend diffi- issus de ces modèles est temporelle
car intrinsèquement dépendante des
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cile toute prédiction.
The predictive nature
données passées qui ne garantissent
of mathematical mo- La finance : en rien les prix futurs.
dels in finance is there- la modélisation On peut donc conclure que le
fore highly fragile. caractère prédictif des modèles ma-
de l’incertitude
thématiques en finance est extrê-
En résumé, les différentes théo- mement fragile, et que l’objectivité
ries philosophiques de la probabilité qu’apportent les mathématiques n’a
apportent un triple éclairage sur la de sens que si les hypothèses sous-
relativité des modèles stochastiques jacentes ont un fondement économi-
en finance. Premièrement, cette re- que solide. •

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