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LA CONSTRUCTION DE LA THÉORIE FINANCIÈRE MODERNE : DE LA

FINANCE NÉOCLASSIQUE À LA FINANCE NÉOINSTITUTIONNELLE ET


COMPORTEMENTALE. UNE INTRODUCTION AUX GRANDS AUTEURS EN
FINANCE

Gérard Charreaux, Michel Albouy


in Michel Albouy et al., Les Grands Auteurs en Finance

EMS Editions | « Grands auteurs »


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2017 | pages 4 à 54
ISBN 9782376870456
DOI 10.3917/ems.albou.2017.01.0004
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-finance---page-4.htm
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La construction de la théorie
financière moderne :
de la finance néoclassique à la
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finance néoinstitutionnelle
et comportementale.
Une introduction aux grands
auteurs en finance

Gérard Charreaux et Michel Albouy


5
Introduction

À l’instar des autres ouvrages de la collection « Les grands auteurs »,


l’objectif premier du présent ouvrage est de donner un aperçu de l’évolu-
tion scientifique d’un domaine – la finance – à travers l’analyse des travaux
de ses principaux auteurs, tant en matière de contenu que de méthodes.
Nous cherchons, tout spécialement, à mettre en évidence les principales
questions posées, les réponses qui y ont été apportées et les grands débats
qui ont agité et continuent à agiter la discipline. Au-delà de ces points
fondamentaux, nous cherchons également à montrer les méthodes utili-
sées par les chercheurs en finance de façon, là aussi, à révéler les éventuelles
spécificités du champ et à aider à percevoir clairement les chemins qui ont
été suivis par les grands auteurs.
Un tel travail peut intéresser différents publics. En premier lieu, il est à
même d’attirer l’attention des chercheurs, étudiants et praticiens spéciali-
sés en finance. Pour les premiers, l’accroissement de la spécialisation fait
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que la connaissance du domaine est, sauf exception, très fragmentaire. Les
spécialistes, par exemple, de l’évaluation des produits dérivés, mécon-
naissent, fréquemment, les développements en finance d’entreprise et en
gouvernance et inversement. Or, comme le révèlent les travaux des grands
auteurs, il y a souvent de fortes interconnexions entre les différents champs
de la finance. Les doctorants ont habituellement tendance à ignorer l’his-
toire de la discipline, les enseignements en histoire des idées étant tombés,
sauf exception, en désuétude. Une meilleure connaissance de cette histoire
peut les aider à mieux comprendre comment leur propre domaine, à tra-
vers sa genèse et son évolution, s’inscrit dans le champ plus large de la
finance et, enfin, à mieux se préparer pour leurs futurs recrutements et
enseignements dans la mesure où il leur sera demandé d’avoir une
connaissance qui dépasse amplement le seul thème de leur thèse. Quant
aux étudiants moins avancés et aux praticiens, qui retiennent usuellement
une vision très technicienne de la discipline, la lecture d’un tel ouvrage est
à même de leur faire connaître l’origine et les limites des outils qu’ils uti-
lisent – par exemple, des différentes modalités d’estimation du coût du
capital –, et donc à « éclairer » leurs pratiques en les incitant à la prudence.
Notre ambition est, cependant, de dépasser le seul public financier
pour nous adresser, plus largement, aux économistes et gestionnaires,
quels que soient leurs domaines de prédilection. À travers cet ouvrage, le
lecteur découvrira que des ponts s’établissent de plus en plus dans cer-
taines recherches financières avec la théorie des organisations, la stratégie,
le management, la psychologie, la psychologie sociale, la gestion des res-
sources humaines, la sociologie, le droit, l’histoire, et différentes compo-
santes de l’économie (économie monétaire, économie des organisations,
économie publique…). Il nous est fréquemment arrivé, lors de nos
6 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

propres recherches, de faire appel aux théories et aux résultats d’autres


disciplines et certains ouvrages de la collection des grands auteurs ont
grandement facilité notre appréhension de ces disciplines. Plus simple-
ment, la seule curiosité intellectuelle éveillée, par exemple, par des
échanges avec des collègues venant d’autres horizons nous a conduits, là
aussi, à devoir prendre connaissance des contenus d’autres champs de
l’économie et de la gestion ainsi que des méthodes scientifiques qu’elles
privilégient. Une collection comme celle des grands auteurs facilite gran-
dement cette prise de contact. Et cette dernière, même superficielle, per-
met d’enrichir les questions posées, les réponses apportées, les méthodes
mobilisées. Elle permet aussi, à l’occasion, d’éviter certains malentendus et
de donner naissance à des projets de collaboration.
Les récentes crises financières ont fréquemment conduit à émettre des
jugements très sévères sur la théorie financière qu’ils émanent du grand
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public, de la presse ou des enseignants-chercheurs spécialisés ou non en
finance1. Citons-en quelques-uns : les économistes financiers auraient été
incapables de prévoir les crises financières ; la finance en employant des
modèles fondés sur des hypothèses irréalistes serait totalement déconnec-
tée de la réalité et de la pratique financière ; la finance en privilégiant une
approche individualiste s’appuyant sur une hypothèse de rationalité forte
empruntée à l’économie néoclassique aurait conduit à former des indivi-
dus égoïstes, prêts à faire courir des risques extrêmes à leurs organisations,
ce qui expliquerait en grande partie la crise financière. Même si certaines
de ces critiques comportent une part de vérité, elles sont souvent outrées
et injustes (Albouy, 2012) et la lecture de cet ouvrage montre une réalité
parfois bien différente. Certains grands auteurs (spécialement Shiller) ont
été à même de prévoir les récentes crises financières et avaient mis en garde
contre leur survenance. Sur le plan de la pratique, la finance a su dévelop-
per de nombreux outils (en particulier d’évaluation) et même si ces outils
ont des limites (connues fréquemment dès leur origine), il est difficile de
prétendre que le lien avec la réalité, notamment avec la pratique est inexis-
tant, même si certaines études montre qu’il est fragile dans certains com-
partiments de la finance (Graham et Harvey, 2001).
Enfin, la théorie financière est souvent perçue de façon caricaturale, au
vu de ses développements des trois dernières décennies. Comme le
montrent, par exemple, les chapitres dédiés à la finance comportementale,
la finance a su profondément se renouveler en intégrant des dimensions
psychologiques et institutionnelles fortes. Le courant de la finance com-
portementale (Albouy et Charreaux, 2005 ; Schinckus, 2009 ; Baker et
Wurgler, 2013) a permis de renouveler l’étude du fonctionnement des
1. Par exemple Bourguinat et Briys (2009).
7
Introduction

marchés financiers et des décisions financières en prenant en compte les


biais comportementaux et de commencer à résoudre de nombreux puzzles
face auxquels la théorie financière traditionnelle restait sans réponse. En
faisant des questions de gouvernance, axées à l’origine sur les problèmes
posés par les conflits d’intérêts entre actionnaires et dirigeants, un champ
de recherche à part entière, la finance a su intégrer et, ce, depuis plus de
quarante ans les dimensions institutionnelles – par exemple, juridiques –
qu’elle ignorait dans le paradigme traditionnel. Ce faisant, en devenant
plus humaine et plus sociale, la finance s’est singulièrement enrichie et a
su proposer des approches mieux à même d’expliquer la réalité tant du
fonctionnement des marchés financiers que des décisions financières des
entreprises et des banques. Elle a su proposer des réponses plus adaptées à
des problèmes comme, par exemple, les modalités de la régulation finan-
cière à mettre en place pour éviter les krachs. Cet enrichissement s’est aussi
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traduit par un élargissement des questions traitées, par exemple, en direc-
tion du lien entre qualité des institutions juridiques et performance finan-
cière, du bon fonctionnement des conseils d’administration ou, encore, de
la structure des rémunérations des dirigeants ou de la structure des sys-
tèmes financiers. Cette évolution est particulièrement perceptible à la
lecture des différents chapitres de l’ouvrage et il est difficile de continuer
de définir la finance de façon étroite, en fonction du seul objectif d’allo-
cation optimale de ressources risquées à travers le temps.
Pour atteindre les objectifs précités, nous allons proposer au lecteur un
voyage à travers la finance où les œuvres des grands auteurs constituent
autant d’étapes. Le choix de ces étapes n’a pas été aisé. La finance est l’un
des champs les plus féconds des sciences économiques et de gestion
comme en témoigne la liste des prix Nobel d’économie qui ont contribué,
de façon souvent décisive, à son développement, à commencer par des
économistes aussi prestigieux que Hicks, Samuelson ou Arrow, même si
les travaux de ces derniers ont largement dépassé les frontières de la
finance. En dépit d’une vision relativement restrictive, sur les 22 grands
auteurs retenus dans cet ouvrage, on compte neuf récipiendaires de ce prix
prestigieux (par ordre de réception, Markowitz, Sharpe, Miller, Merton,
Scholes, Stiglitz, Fama, Shiller et Hart). Ce seul énoncé montre la diffi-
culté à figurer parmi les grands auteurs en finance. Il témoigne aussi de
l’ingratitude de la tâche à laquelle nous avons été confrontés, en notre
qualité de coordinateurs de cet ouvrage, pour dresser la liste des auteurs
retenus, en raison du nombre important de grands auteurs potentiels en
concurrence.
Pour opérer cette sélection, sur le détail de laquelle nous reviendrons,
nous nous sommes appuyés, au-delà de certains critères objectifs, sur notre
8 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

expérience d’enseignants-chercheurs en finance qui s’est étendue sur plus


de quarante années en ayant commencé au début des années 1970. Cette
longue expérience nous a permis de voir l’évolution des idées et des
méthodes qui ont construit et animé la théorie financière et, dans certains
cas, profondément influencé les pratiques des entreprises et des institu-
tions financières, si ce n’est leur architecture même. Pour les plus anciens
des grands auteurs, nous avons découvert leurs travaux pendant nos études
de doctorat et ils ont inspiré nos propres recherches pendant de longues
années. Ils ont aussi constitué la base de nos enseignements de finance et
puis, au cours du temps, de nouveaux auteurs sont apparus. Leurs idées
ont profondément fait évoluer le champ de la finance à tel point que le
paysage actuel de la théorie financière est parfois difficilement reconnais-
sable par rapport à celui qui s’était établi pendant les décennies 1960-
1970. On a souvent qualifié, et à juste titre, les travaux de cette période de
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(première) révolution de la pensée financière, mais nous montrerons, à
travers les travaux de grands auteurs plus récents, que les dernières décen-
nies représentent une révolution d’ampleur comparable, même si elle peut
paraître moins évidente à première vue. Cette dichotomie entre la
construction de la théorie financière dominante – la finance néoclas-
sique – dans les décennies 1960-1970 et sa crise actuelle avec l’émergence
d’un nouveau paradigme correspond approximativement à la différence
existant entre la première édition de cet ouvrage en 2003, qui reposait,
pour l’essentiel, sur les auteurs fondateurs de la finance néoclassique, et
cette seconde édition. Cette dernière y ajoute, principalement, les auteurs
ayant contribué à fissurer l’édifice mis en place – ce que Thaler appelle le
« vieux » paradigme – et à opérer une seconde révolution en faisant émer-
ger un paradigme différent, même si certains de ces « nouveaux » grands
auteurs peuvent être considérés, au moins pour partie, comme des conti-
nuateurs, si ce n’est des défenseurs, de l’ancien paradigme.
Pour accompagner ce long voyage, nous allons, en premier lieu, préci-
ser les contraintes qui nous ont orientés pour établir la liste des grands
auteurs et les modalités précises de la sélection qui a été faite. En deuxième
lieu, nous présenterons la logique que nous avons adoptée pour structurer
l’ordre de présentation des différentes contributions dont nous donnerons
un bref aperçu. En troisième lieu, nous tenterons de tirer un certain
nombre d’enseignements de ce voyage en pays de finance. Enfin, nous
conclurons.
9
Introduction

1. LES CONTRAINTES ET LES MODALITÉS DE SÉLECTION


Avant d’entrer dans le détail du processus de sélection des grands
auteurs en finance, il nous faut préciser les contraintes, relativement
lourdes, auxquelles nous avons été confrontés.

1.1. Les contraintes


La façon d’atteindre les objectifs précités a été subordonnée à un cer-
tain nombre de contraintes. La contrainte de taille fut, bien évidemment,
la première. La première édition ne portait que sur onze grands auteurs et
comportait environ 300 pages. Cette seconde édition a été élargie à onze
auteurs supplémentaires et, compte tenu des mises à jour concernant les
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chapitres de la première édition, sa taille en a été plus que doublée. La
question de l’élargissement a été traitée en fonction de l’objectif de faire
connaître et comprendre la nature de la recherche financière récente. Une
autre option aurait été – à l’instar de ce qui s’est fait dans d’autres ouvrages
de la collection – d’introduire des auteurs historiquement importants
ayant influencé les auteurs retenus dans la première édition. Nous ne
l’avons pas retenue, d’une part, parce qu’elle ne répondait pas à notre
objectif premier, d’autre part, parce que la présentation des pionniers de
la finance les plus anciens a déjà été remarquablement faite par Poitras
(2006, 2007) dans une perspective historique. De nombreux travaux en
histoire de la finance se sont d’ailleurs développés depuis deux décennies.
Ils montrent, par exemple, qu’une première tentative de création d’une
science financière avait été faite, dès 1870, par l’actuaire français Henri
Lefèvre (Jovanovic, 2002), auteur ayant inspiré Walras et Bachelier et dans
l’œuvre duquel figurent déjà les célèbres diagrammes décrivant les opéra-
tions conditionnelles sur les actions. De même, le schéma selon lequel les
cours boursiers suivent une marche aléatoire apparaît, semble-t-il, pour la
première fois, en 1863, dans les travaux de Jules Regnault (Jovanovic,
2000, 2004, 2006, 2009 ; Jovanovic et Le Gall, 2002). Ces travaux seront
à la base de ceux de Bachelier (1900) considéré habituellement comme un
des pères de la finance moderne, dont les travaux redécouverts2 dans les
années (19)50, inspireront fortement Samuelson, Merton, Black et
Scholes pour construire la théorie des options. On remarquera, à l’occa-
sion, l’importance des Français dans le développement de la pensée finan-
cière au XIXe siècle, qu’il faut mettre en parallèle avec le développement
2. Ils furent « redécouverts » aux États-Unis par L.J. Savage, un mathématicien de l’Université de Chicago
à la fin des années 1950. Ce dernier fit part de cette « découverte » à Samuelson.
10 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

du marché financier français à cette période. Selon Jovanovic (2004), de


trois titres cotés en 1800, la Bourse de Paris est passée à plus de 1 000 titres
en 1900. Au-delà de ces premiers pionniers dans l’étude du marché bour-
sier, la théorie financière a également une dette très importante envers des
économistes aussi éminents que Fisher, Cowles, Hicks, Arrow et Samuelson,
voire Vickrey3.
Fisher (1907, 1930), par sa théorie de l’intérêt, a fourni le socle sur
lequel s’est construite la théorie du choix des investissements, avec, tout
spécialement, le théorème de séparation entre le choix des investissements
et les préférences de consommation des actionnaires. Cette théorie dont
l’aboutissement est le critère de la valeur actuelle nette fournissait une base
objective pour choisir les investissements. Cowles, dès 1933, sur la base de
différents tests empiriques portant sur le marché financier américain,
montrait qu’il était très difficile de battre le marché sur la base des prédic-
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tions des experts, les cours suivant approximativement une marche aléa-
toire4. Il confirmait ainsi les travaux pionniers de Regnault et Bachelier.
Ses travaux mettaient, néanmoins, déjà en évidence des effets d’inertie et
de momentum dans les cours boursiers5. En mettant en place des indices
boursiers dont les valeurs furent reconstituées à partir de 1871 et en
contribuant au développement de l’économétrie, il joua aussi un rôle fon-
damental dans la construction de la recherche empirique en finance.
Hicks (1939) est l’auteur de contributions fondamentales portant sur la
structure à terme des taux d’intérêt et le rôle des anticipations dans l’éva-
luation des actifs. L’étude des échanges dans une économie en présence
d’incertitude a conduit Arrow (1953) à proposer, avec la théorie des mar-
chés contingents6, un modèle permettant d’intégrer l’incertitude. Ce
modèle constitue un outil fondamental pour analyser de nombreux phé-
nomènes financiers et comprendre le rôle des titres et des marchés finan-
ciers. Ceux-ci permettent, dans une certaine mesure et sous certaines
conditions, de pallier l’inexistence d’un système complet de marchés
contingents ; ils conduisent ainsi à une meilleure allocation des risques et,
de ce fait, à une meilleure performance du système économique.
Samuelson a fait des apports essentiels à la théorie de l’efficience des mar-
chés financiers (Samuelson, 1965a) et à celle de l’évaluation des actifs
conditionnels (Samuelson, 1965b). Enfin, Vickrey (1961), dans un article
particulièrement cité du Journal of Finance, a fait une contribution cen-
3. Arrow, Hicks, Samuelson et Vickrey ont tous les quatre reçu le prix Nobel d’économie. Leurs travaux
dépassent largement le domaine de la finance et leurs apports dans ce domaine, bien que très importants,
restent secondaires par rapport au reste de leur œuvre.
4. V. Dimand (2009).
5. Le fait que les cours ne suivent pas véritablement une marche aléatoire sera notamment confirmé par
Lo et MacKinlay (1988).
6. Cette théorie trouve également ses sources dans les travaux de Debreu.
11
Introduction

trale à la théorie des enchères, à la théorie de la spéculation et à la compré-


hension de la microstructure des marchés financiers.
Markowitz, le créateur de la théorie moderne du portefeuille, habituel-
lement considéré comme le fondateur de la finance moderne, auquel est
consacré le premier chapitre de cet ouvrage, montre dans un article de
nature historique (Markowitz, 1999) comment certaines de ses idées ont
été anticipées en partie par Hicks (1935) ou Marschak (1938) ou com-
ment des idées proches des siennes ont été développées par Roy (1952) ou
Tobin (1958). On peut pareillement penser qu’il aurait été nécessaire de
consacrer des chapitres à des contributeurs aussi importants que Williams,
le créateur de l’analyse fondamentale et du modèle d’actualisation des
dividendes (voir en particulier, Williams, 1938) ou, encore, dans la même
perspective, à Gordon et à sa célèbre version de ce dernier modèle connue
de tous les étudiants en finance (Gordon, 1959). Selon certains, la Law of
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the Conservation of Investment Value énoncée par Williams anticipait, mais
de façon moins rigoureuse et élaborée, le principe de neutralité de la struc-
ture de financement démontré par Modigliani et Miller (1958). Les histo-
riens de la finance (Jovanovic, 2008) montrent que des auteurs comme
Roberts, Working et Cootner ont été les premiers à émettre certaines idées
fondamentales. Ainsi, l’idée de recourir au principe d’arbitrage pour expli-
quer le comportement aléatoire des cours semble due à Roberts (1959),
celle de lier l’efficience au caractère imprévisible de l’arrivée des informa-
tions sur le marché, à Working (1956). Quant à l’idée même de marché
efficient, elle aurait été émise en premier par Cootner, en 1962. Un auteur
hétérodoxe comme Mandelbrot (voir Cont, 2013) aurait pareillement
mérité de se voir consacrer un chapitre ; ses travaux sur la présence de
variations extrêmes – donc d’un risque « sauvage » – dans les cours bour-
siers (Mandelbrot, 1963) laissaient entendre que le risque de crise finan-
cière était beaucoup plus important que ce que permet de conclure la
modélisation financière traditionnelle fondée sur l’hypothèse de normalité
des distributions (le risque « sage »).
La deuxième contrainte que nous avons rencontrée traduit la préoccu-
pation d’éviter le risque de redondance. Lorsqu’on remonte dans l’histoire
de la théorie financière, on constate que les grands auteurs collaboraient
assez peu dans l’écriture de leurs œuvres. Inversement, après le milieu du
XXe siècle, les travaux cosignés se sont multipliés. Il en résulte que la noto-
riété, qui a valu à certains chercheurs en finance de figurer dans le présent
ouvrage, est en fait partagée. Les exemples célèbres de partage sont nom-
breux : Modigliani et Miller, Black et Scholes, Jensen et Meckling, Fama
et French, Campbell et Shiller, Shleifer et Summers, Shleifer et Vishny,
Hart et Holmström, Grossman et Stiglitz, Grossman et Hart, Rajan et
12 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

Diamond, Rajan et Zingales… De façon à éviter les redondances, nous


avons été ainsi conduits à faire des choix probablement très injustes et à
ne retenir, sauf exception, qu’un des cosignataires des travaux. Nous avons
ainsi négligé de présenter les travaux de Modigliani, Meckling, French,
Campbell, Vishny, Holmström, Grossman, Summers ou Rajan, certains
de ces auteurs ayant pourtant reçu le prix Nobel (Modigliani et
Holmström). Une seule exception a été faite à ce principe pour Black et
Scholes qui se sont vus chacun consacrer un chapitre. Toutefois, le cha-
pitre portant sur Scholes, afin d’éviter d’être trop répétitif par rapport à
celui dédié à Black, a reçu un traitement original : il reprend le discours
prononcé par Bertrand Jacquillat à l’occasion de la réception d’un doctorat
honoris causa décerné à Scholes, ainsi que la réponse faite par ce dernier.
Par ailleurs, même lorsqu’il ne s’agit pas d’un coauteur, le même souci
nous a également amenés à ne pas retenir certains grands auteurs poten-
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tiels comme, par exemple, Lintner ou Mossin à qui on attribue habituel-
lement, à parité avec Sharpe (Lintner, 1965 ; Mossin, 1966), la paternité
du célèbre Modèle d’Équilibre Des Actifs Financiers (le MEDAF).
La troisième contrainte a consisté à ne pas retenir les auteurs dont il
aurait été difficile de présenter les contributions sans mobiliser des tech-
niques mathématiques ou statistiques relativement complexes de façon à
conserver un caractère accessible à cet ouvrage pour les non-spécialistes de
finance quantitative. Les contributions des grands auteurs ainsi écartés
concernent deux principaux domaines : l’économétrie financière et la
modélisation financière fondée sur la théorie des martingales. Pour le pre-
mier domaine, deux auteurs aussi importants que Engel et Hansen, tous
deux récipiendaires du prix Nobel d’économie, n’ont ainsi pas été retenus.
Tous deux ont eu des apports fondamentaux en économétrie appliquée à
la finance. Engle est principalement connu pour ses apports sur la cointé-
gration et les processus Arch (Autoregressive Conditional Heteroskedasticity)
qui ont révolutionné l’étude empirique des séries temporelles financières.
Quant à Hansen, son principal apport en économétrie est associé à la
méthode des moments généralisée qui a permis de renouveler l’étude des
modèles d’évaluation dynamique des actifs financiers7. Pour le second
domaine, le caractère complexe de la théorie des martingales a conduit à
ne pas retenir un auteur comme Harrison dont les travaux ont profondé-
ment transformé la modélisation8 de l’approche dynamique des marchés
des titres financiers ainsi que l’évaluation de ces derniers (Harrison et
Kreps, 1979 ; Harrison et Pliska, 1981).
7. Voir la présentation de Campbell (2014) pour appréhender les apports de Hansen en finance.
8. Voir l’article de Walter (2015) sur les deux types de quantifications pour avoir une idée de l’apport de
ces auteurs.
13
Introduction

Enfin, la quatrième et dernière contrainte est associée au souhait de


couvrir au mieux les principaux domaines et courants qui constituent le
champ de recherche actuel de la finance. Les chapitres de la première édi-
tion de cet ouvrage portaient pour l’essentiel sur les domaines de la gestion
de portefeuille, de l’évaluation des actifs financiers et de la finance d’entre-
prise avec, à l’occasion, quelques éléments sur la microstructure des mar-
chés financiers. Les travaux considérés lorsqu’ils comportaient une dimen-
sion pratique ou empirique avaient été réalisés, quasi exclusivement, dans
le cadre de l’économie américaine. Le lecteur découvrira que les chapitres
ajoutés permettent de survoler d’autres domaines importants de la
recherche financière contemporaine comme la finance des banques et des
institutions financières, l’étude des systèmes financiers, la finance immo-
bilière et la finance internationale. Leur lecture permet également de
constater qu’alors que la recherche empirique en finance se limitait aupa-
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ravant et pour l’essentiel aux institutions et aux marchés boursiers des
États-Unis, son extension internationale a permis de renouveler l’étude des
questions traditionnelles composant la finance de marché et la finance de
la firme. Les questions de gouvernance d’entreprise ont ainsi été profon-
dément revisitées dans un cadre de comparaison internationale. Cette
extension géographique de la recherche financière est due, entre autres, à
la constitution de bases de données financières à caractère international.
Au-delà de la couverture des principaux domaines d’application, il
nous importait aussi de rendre compte des principaux courants théoriques
qui influencent la finance. Si le courant néoclassique traditionnel qui sup-
pose une rationalité forte des acteurs et l’efficience des marchés financiers
regroupait, pour l’essentiel, les auteurs sélectionnés dans la première édi-
tion (à l’exception notable de Jensen et, à un degré moindre, de Myers), il
était important que la finance comportementale qui tend à s’imposer
comme nouveau paradigme dominant prenne sa juste place dans cette
nouvelle édition. Toutefois, ces deux courants ne suffisent pas à rendre
compte de la diversité actuelle de la théorie financière et l’ouvrage aurait
été très incomplet si un courant aussi important en finance d’entreprise
que celui qui s’appuie sur la théorie des organisations – la finance néoins-
titutionnelle contractuelle –, tout spécialement sur la théorie de l’agence
et la théorie des contrats incomplets, n’avait pas été représenté avec des
auteurs aussi emblématiques que Jensen et Hart.

1.2. Les modalités de sélection


Si les objectifs et les contraintes que nous venons d’évoquer ont défini
un cadre général pour sélectionner les grands auteurs, ils ne sont parado-
14 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

xalement intervenus que dans un second temps, après qu’une première


liste des grands auteurs potentiels ait été constituée.
La liste des grands auteurs retenus dans la première édition avait été
établie en consultant un panel d’experts composés de collègues spécialisés
dans la recherche et l’enseignement en finance. La présence de ces pre-
miers grands auteurs dont la notoriété et l’importance ne souffraient
aucun doute ne s’est pas vue remise en cause lors de l’élaboration de cette
seconde édition. Le souci d’élargir la sélection à des auteurs parfois moins
consacrés et la préoccupation de prendre en compte une génération plus
récente, afin de montrer l’évolution du champ, nous ont conduits à recou-
rir à une méthode différente reposant davantage sur des données objec-
tives.
La démarche utilisée a eu pour point de départ deux listes d’auteurs. La
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première liste a été composée à partir de deux sources : (1) la liste des
présidents de l’American Finance Association (AFA), depuis 1974 ; (2) la
liste des Fellows désignés par le conseil d’administration de cette même
association, depuis 2000. Ces Fellows sont regroupés en une société dont
l’objectif est de recruter chaque année un nouveau membre. Le critère de
recrutement est d’avoir fait une « contribution remarquable » au champ
de la finance et, donc, d’être reconnu comme un « grand auteur » par ses
pairs. Au-delà des membres qui sont recrutés selon cette procédure spéci-
fique, les présidents et anciens présidents sont membres d’office de cette
société. Il y a, bien entendu, un fort taux de recouvrement entre ces deux
listes. Sans surprise, la liste finale des grands auteurs compte 19 Fellows de
la société actuelle et deux anciens présidents décédés9 (Merton Miller et
Fischer Black). Le seul grand auteur retenu à ne pas figurer sur cette liste
est Joseph Stiglitz, par ailleurs, prix Nobel d’économie. Nous reviendrons
ultérieurement sur les raisons de ce choix.
Il faut préciser, toutefois, que le croisement des deux listes a fait émer-
ger un nombre de grands auteurs très sensiblement supérieur à la capacité
d’accueil de l’ouvrage et aux 22 auteurs sélectionnés. Il fallait, donc, d’une
part, réduire sensiblement cette liste, d’autre part, s’assurer que des contri-
buteurs particulièrement importants du champ de la finance n’avaient pas
été oubliés. Pour réparer cet éventuel oubli, nous avons recensé les articles
ayant reçu plus de 1 000 citations dans Google Scholar, dans quatre grandes
revues de finance (Journal of Finance, Journal of Financial Economics,
Review of Financial Studies, Journal of Financial and Quantitative Analysis)
et les articles à contenu financier satisfaisant au même critère de citation
dans cinq revues d’économie de premier plan dans lesquelles ont été
9. Depuis l’établissement de cette liste, nous avons eu le regret d’apprendre le décès de Stephen Ross en
mars 2017.
15
Introduction

publiés de nombreux articles fondamentaux de finance (Journal of Business,


American Economic Review, Journal of Political Economy, Quarterly Journal
of Economics et Economic Journal). Ce recensement nous a permis de détec-
ter les articles les plus réputés du champ et leurs auteurs, ce qui nous a
amenés à ajouter Stiglitz. Certains articles ont été identifiés par une inter-
rogation directe sur les noms des grands auteurs potentiels.
La réduction finale permettant d’aboutir aux 22 auteurs s’est opérée
finalement sur une base multicritères, et de façon relativement subjective,
en combinant le nombre d’articles ayant reçu plus de 1 000 citations, le
nombre total de citations et le nombre total de citations en finance. Le
critère de réception du prix Nobel a joué aussi, ainsi que l’influence indé-
niable de certains articles sur la recherche en finance, par exemple, pour
Stiglitz. L’application du critère de redondance a conduit aussi à éliminer
certains auteurs qui, autrement, auraient pu figurer légitimement dans la
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liste, par exemple Modigliani, prix Nobel d’économie.
Si les auteurs sélectionnés ont tous contribué très significativement à
l’avancée de la théorie financière, on peut, malgré tout, faire deux com-
mentaires. Le premier concerne la présence de Stiglitz qui est plus connu
comme économiste que comme théoricien de la finance. Il faut cependant
préciser que, lorsqu’on interroge Google Scholar, parmi les trois articles les
plus cités de cet auteur figurent deux articles, très célèbres, qui ont forte-
ment influencé la recherche financière (Grossman et Stiglitz, 1980 ;
Stiglitz et Weiss, 1981). La qualification de Stiglitz comme grand auteur
en finance n’est donc pas usurpée. Cette discussion pourrait s’étendre à des
auteurs non inclus comme, par exemple, Tirole, auteur d’un ouvrage par-
ticulièrement remarquable, The Theory of Corporate Finance (Tirole,
2006), dont le cas, toutefois, est différent. Même si les contributions à la
finance de ce dernier sont substantielles (Albouy, 2015), ses travaux les
plus connus ne se situent pas dans le domaine de la finance et ceux qui
touchent directement à la finance sont sensiblement moins cités et moins
influents que ceux de Stiglitz. On pourrait appliquer le même commen-
taire au cas de Robert Lucas, autre récipiendaire du prix Nobel, même si
son article « Asset Prices in an Exchange Economy » (Lucas, 1978) a pro-
fondément influencé la pensée financière. Le second commentaire porte
sur l’importance relative des auteurs. Les grands auteurs sont plus moins
grands… De fait, il y a les incontournables, souvent nobélisés, auxquels
on associe immédiatement un ou deux articles particulièrement célèbres
(voir annexe) ayant joué un rôle central dans le développement de la pen-
sée financière. Les auteurs sélectionnés dans la première édition relevaient
tous de cette catégorie. On peut leur adjoindre, parmi les nouveaux
entrants, et sans hésitation, Shiller, Stiglitz et Hart, tous trois prix Nobel
16 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

d’économie, ainsi que Shleifer et Thaler. D’autres auteurs ont su, malgré
tout, faire des contributions très notables dans de nombreux domaines
sans émerger de façon aussi forte. Il serait injuste de les priver du qualifi-
catif de grand auteur, tant leurs contributions sont substantielles à divers
titres et ont enrichi la recherche financière.

2. LES DIFFÉRENTES CONTRIBUTIONS


Avant de présenter brièvement le contenu des différents chapitres, il
nous faut préciser la logique qui a prévalu pour définir leur ordre de pré-
sentation.
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2.1. La logique de la présentation
Comme la lecture des différents chapitres le révèle, et sauf exception,
les travaux des grands auteurs ont fréquemment abordé différents champs
de la finance et, pour certains d’entre eux, largement débordé la finance
pour, dans certains cas (par exemple, Stiglitz, Shleifer, Shiller ou Zingales),
aborder des questions économiques centrales concernant le développe-
ment économique et le fonctionnement du capitalisme. Il est donc diffi-
cile de structurer la présentation de leurs travaux en fonction d’une typo-
logie opposant, par exemple, la finance de marché à la finance d’entreprise,
la plupart des grands auteurs ayant contribué aux deux champs.
Il est difficile, de même, de retenir une classification par grande
période, car les contributions des grands auteurs s’étalent souvent sur un
demi-siècle pour les plus anciens et leur pensée a parfois sensiblement
évolué par rapport à leurs premiers travaux, comme, par exemple, le cha-
pitre sur Jensen le met en évidence.
L’objectif, néanmoins, étant de faire comprendre au lecteur l’évolution
des idées financières à travers les travaux des grands auteurs, nous avons
retenu un plan qui nous semble le mieux à même d’atteindre cet objectif.
Prenons l’exemple d’un auteur aussi emblématique que Fama. Même si ses
contributions à l’évaluation des actifs avec les modèles multi-facteurs et à
la théorie de l’agence sont très connues, on associe son nom, habituelle-
ment, à ses travaux fondateurs sur l’efficience de marché. Et c’est cette
dimension que nous avons privilégiée pour positionner le chapitre qui lui
a été consacré. Un autre auteur pareillement difficile à situer est Shleifer.
Faut-il l’inclure dans la rubrique réservée à la finance comportementale,
ses travaux ayant joué un rôle pionnier dans ce domaine ou dans celle
17
Introduction

consacrée à la finance néoinstitutionnelle en raison de l’importance de ses


articles portant sur les systèmes de gouvernance qui sont les plus cités ?
Après de nombreuses hésitations, nous l’avons inclus dans la partie consa-
crée à la finance comportementale qui nous semble la mieux à même de
traduire son projet global.
Cette démarche nous a conduits à retenir dans une première sous-sec-
tion (2.2.) intitulée « La constitution du paradigme dominant : la finance
néoclassique », les chapitres relatifs à huit auteurs : Markowitz, Sharpe,
Miller, Fama, Ross, Black, Scholes et Merton. Ces différents auteurs, à
travers leurs travaux sur l’évaluation du risque et l’efficience des marchés,
ont jeté les bases de la finance moderne qui peut être considérée comme
pouvant s’inscrire, sous différentes hypothèses, dans le cadre plus vaste du
modèle d’équilibre général de Arrow et Debreu, qui est au cœur de la
théorie économique néoclassique.
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Au-delà de la dimension explicative de certains des modèles proposés
par ces auteurs, leurs travaux ont également été à l’origine de nombreux
outils qui ont révolutionné les pratiques de la gestion de portefeuille et de
la finance d’entreprise en ayant induit la création de nombreux marchés
de produits financiers, en particulier les marchés de dérivés, ou de vecteurs
de placement comme les fonds mutuels. Ce courant dominant – la finance
néoclassique – même s’il est aujourd’hui fortement contesté, reste le réfé-
rentiel qu’il faut connaître impérativement pour comprendre les avancées
plus récentes qui se sont fréquemment constituées en réaction contre lui.
Ces avancées sont loin d’être homogènes. Pour les présenter, il nous a
paru logique de les structurer de la façon suivante. Dans la deuxième sous-
section (2.3.) titrée « Des fissures importantes dans l’édifice néoclassique »,
seront présentés certains travaux critiques particulièrement importants par
les arguments qu’ils soulèvent pour révéler et illustrer les failles de l’édifice
néoclassique. On y trouvera les chapitres dédiés à Stiglitz, Roll, Harvey et
Titman. Les failles évoquées portent sur la cohérence de la théorie et sur
certains problèmes empiriques importants qu’elle rencontre.
Dans la troisième sous-section (2.4.) « Une première voie de recons-
truction : la finance néoinstitutionnelle contractuelle », nous avons
regroupé les travaux, relativement disparates, associés aux conséquences de
l’introduction de l’asymétrie d’information et des conflits d’intérêts, à
l’origine de différents courants et qui ont révolutionné tant l’approche de
la politique financière des entreprises (et également des banques) que celle
de leur gouvernance. Ces courants s’inscrivent tous dans une logique
contractuelle même si cette logique prend des formes diverses. Les travaux
auxquels ils ont donné naissance reposent sur des branches diverses de la
18 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

théorie économique des organisations (théorie des droits de propriété,


théorie des coûts de transaction, théorie normative et positive de l’agence,
théorie des contrats incomplets…). Ils conduisent tous, de façon plus ou
moins explicite, en introduisant une dimension institutionnelle, à faire
éclater le cadre a-institutionnel caractérisant la finance néoclassique, où
l’organisation est considérée comme une boîte noire. Leur objectif, à des
degrés divers, est de proposer une reconstruction de la finance qui repose
sur une vision contractuelle des organisations. Ont été rattachés à cette
sous-section, les chapitres traitant des travaux de Myers, Jensen, Stulz,
Diamond, Hart et Zingales.
Enfin, la quatrième et dernière sous-section (2.5.) « Vers un nouveau
paradigme dominant : la finance comportementale » porte sur les auteurs
ayant joué un rôle pionnier dans le développement de la finance compor-
tementale, laquelle rompt de façon beaucoup plus profonde avec la
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finance néoclassique en affectant profondément un des éléments du noyau
dur de la finance néoclassique, l’hypothèse de rationalité substantive des
acteurs. On y trouvera une présentation des travaux de Shiller, Thaler,
Shleifer et Stein.

2.2. La constitution du paradigme dominant :


la finance néoclassique
Il est fréquent (voir par exemple Miller, 2009) de considérer que les
cinq principaux piliers sur lesquels s’est constituée initialement la théorie
financière néoclassique sont le modèle de sélection des portefeuilles, le
modèle d’équilibre des actifs financiers, l’hypothèse d’efficience des mar-
chés financiers, la théorie de la neutralité de la structure financière et la
théorie des options. Ces différents travaux ont permis d’apporter des solu-
tions au problème de l’évaluation des actifs financiers risqués. Certains
d’entre eux ont contribué à mettre en évidence le rôle central joué par le
principe d’arbitrage selon lequel, sur un marché parfait deux actifs qui
offrent le même profil de flux risqués doivent avoir le même prix (la loi du
prix unique), faute de quoi il serait possible aux investisseurs d’obtenir des
profits d’arbitrage sans risque et sans mise de fonds. Les principaux auteurs
de ces travaux sont Markowitz, Sharpe, Miller, Fama, Ross et le trio Black,
Scholes et Merton. Pour la plupart d’entre eux, leurs travaux ont été cou-
ronnés du prix Nobel d’économie.
Harry Markowitz a profondément changé la manière d’appréhender les
questions financières à partir d’une idée-force : la rentabilité de tout actif
financier peut être assimilée à une variable aléatoire suivant une loi nor-
19
Introduction

male. Il s’en suit que le « risque » d’un actif peut-être mesuré par l’écart-
type des taux de rentabilité et qu’il devient possible de construire des
portefeuilles optimaux offrant la rentabilité maximale pour un risque
donné (ou le risque minimal pour une rentabilité donnée), appelés porte-
feuilles « efficients ». En mettant en évidence les limites de la diversifica-
tion grâce à la loi de covariance moyenne, Markowitz a donné naissance à
la construction scientifique des portefeuilles. Ses travaux ont servi de
fondations pour la construction du célèbre MEDAF par Sharpe, Lintner
et Mossin.
William Sharpe a initialement élargi les travaux de Markowitz afin de
déterminer de façon simplifiée la frontière efficiente composée des porte-
feuilles efficients, en utilisant un modèle « diagonal ». Sa contribution
fondamentale, toutefois, à la théorie financière est l’élaboration du
MEDAF fondé sur l’hypothèse que tous les investisseurs sur le marché se
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conforment au schéma élaboré par Markowitz pour sélectionner leurs
portefeuilles. L’équilibre du marché se caractérise alors par une relation
fondamentale entre la rentabilité attendue d’un titre et son risque systéma-
tique non diversifiable. De ses travaux sur l’évaluation des actifs financiers,
Sharpe déduit une célèbre mesure de performance, le « ratio de Sharpe »
très utilisée pour classer les performances des fonds d’investissement.
Merton Miller est considéré comme l’un des pères de la finance
moderne. Il a d’ailleurs dirigé les thèses de plusieurs des grands auteurs
présents dans cet ouvrage, dont plusieurs prix Nobel. On lui doit, ainsi
qu’à Franco Modigliani, autre récipiendaire du prix Nobel, deux théo-
rèmes célèbres en matière de structure de financement et de politique de
dividendes des firmes cotées. Ils ont été les premiers à appliquer l’analyse
économique aux problèmes de finance d’entreprise et à recourir au célèbre
raisonnement d’arbitrage pour démontrer leurs propositions de neutralité
qui ont révolutionné la vision de la finance d’entreprise en lui donnant des
bases rigoureuses. Leurs résultats reposent sur des hypothèses de perfec-
tion des marchés financiers, de complétude, entre autres, et sont d’autant
plus robustes que ces marchés sont efficients sur le plan informationnel.
Leurs propositions qui conduisent à traiter séparément les décisions d’in-
vestissement et de financement – c’est-à-dire à considérer que la taille du
gâteau est indépendante de la façon dont on le partage –, seront ultérieu-
rement remises en cause par les auteurs qui montreront que ces décisions
perdent leur indépendance lorsque les hypothèses simplificatrices, à la base
de ces propositions, sont enfreintes.
Malgré certains travaux précurseurs évoqués dans ce chapitre introduc-
tif, Fama doit prioritairement sa notoriété à la théorie de l’efficience infor-
mationnelle des marchés financiers dans la construction de laquelle il a
20 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

joué un rôle central et dont il demeure le défenseur inconditionnel : pour


Fama, les cours de bourse ont un sens – ils sont le reflet et l’expression de
l’activité économique. Le chapitre qui lui est consacré revient dans le
détail sur ce rôle. Il serait, malgré tout, injuste de réduire l’apport de Fama
à la question de l’efficience des marchés. Un apport tout aussi important
est constitué par sa proposition d’un modèle à trois facteurs, en remplace-
ment du MEDAF, pour évaluer les actifs financiers, de façon à prendre en
compte les différentes sources de risque dans l’économie. Le MEDAF en
se limitant à ne considérer qu’une seule source de risque ne permet pas de
rendre compte de façon correcte du lien entre rentabilité et risque. Fama
a aussi fortement contribué au développement de la finance d’entreprise
et de la finance organisationnelle en relation avec la théorie de l’agence10.
De fait, les travaux de Fama couvrent toutes les décisions financières en
accordant un rôle central aux mécanismes de marché. Comme le lecteur
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pourra le découvrir, il se dégage des travaux de Fama une grande cohé-
rence et l’idée que le marché est une interface très efficace pour faciliter les
prises de décisions financières.
Les recherches de Stephen Ross portent sur les marchés financiers, la
finance d’entreprise et l’économie de l’incertain. Il est, tout particulière-
ment, connu pour ses travaux sur le modèle d’évaluation par arbitrage
(APT – Arbitrage Pricing Theory) et sur la valorisation des actifs condition-
nels, fondés sur l’utilisation du principe d’arbitrage. Le modèle d’évalua-
tion par arbitrage a permis de proposer une autre solution que celle des
modèles d’équilibre comme le MEDAF pour évaluer les actifs financiers
et a ouvert la voie, dans une certaine mesure, aux modèles d’évaluation
multifactoriels. Au-delà de ce modèle et de sa contribution fondamentale
à l’évaluation des options, Ross a aussi joué un rôle central dans la dériva-
tion des modèles dynamiques d’évaluation permettant ainsi d’étendre le
champ d’application de la théorie néoclassique. Il a tout autant été un
précurseur en posant les bases de la théorie des signaux et de la théorie de
l’agence qui, en sapant, les fondements de la finance néoclassique11 et en
contribuant à la création de la finance néoinstitutionnelle ont, toutes
deux, profondément bouleversé la modélisation théorique de la finance
d’entreprise.
Le dernier pan de la finance néoclassique est constitué par la théorie des
actifs conditionnels. Même si Sharpe et Ross ont eu des apports significa-
tifs dans ce domaine, en relation, tout spécialement, avec le modèle bino-
10. Sa contribution principale dans ce domaine, à l’exception de Fama (1980), se situe dans les articles
coécrits avec Jensen. Voir le chapitre consacré à cet auteur.
11. Voir, par exemple, l’analyse de Brennan (1995).
21
Introduction

mial, les trois principaux contributeurs dans l’élaboration de cette théorie


sont Black, Scholes et Merton.
Fischer Black est principalement connu pour avoir, conjointement avec
Myron Scholes, proposé un des modèles les plus célèbres de la finance, le
modèle d’évaluation des options sur actions qui jouera un rôle central
dans le développement des marchés des actifs conditionnels, en permet-
tant aux opérateurs de disposer d’un outil d’évaluation relativement
simple à utiliser. Au-delà de ce modèle universellement connu des finan-
ciers, le célèbre article publié en 1973, « The Pricing of Options and
Corporate Liabilities », et qui, pour la petite histoire, fut rejeté deux fois
avant d’être publié par le Journal of Political Economy grâce à l’insistance
de Merton Miller, comporte d’autres résultats très importants pour la
finance d’entreprise. Il propose une analogie très féconde : les capitaux
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propres peuvent être assimilés à une option d’achat que détiendraient les
actionnaires sur les actifs de la firme. Cette idée allait ouvrir de nom-
breuses pistes pour évaluer les titres financiers. Black allait aussi faire des
contributions très importantes à l’étude du MEDAF tant dans ses dimen-
sions empiriques qu’en proposant certaines extensions, par exemple,
lorsque les possibilités d’emprunt sont limitées. Son travail pionnier en
matière d’évaluation des actifs conditionnels allait donner lieu à d’autres
développements concernant les options sur taux d’intérêt ou sur les
matières premières. Enfin, la distinction qu’il a introduite entre deux caté-
gories d’investisseurs – les investisseurs rationnels qui agissent selon les
préceptes de la théorie et ceux qui interviennent sur la base de bruits non
fondés, les noise traders – sera le point de départ de nombreux modèles à
la base de la finance comportementale12. Son décès prématuré l’empê-
chera malheureusement de recevoir le prix Nobel d’économie en même
temps que Myron Scholes et Robert Merton.
Il était impensable de présenter l’œuvre de Fischer Black sans l’accom-
pagner de celle de Myron Scholes. C’est à travers l’allocution prononcée à
l’occasion de la remise du doctorat honoris causa de l’Université Paris
IX-Dauphine à Myron Scholes que le lecteur découvrira l’œuvre de cet
auteur incontournable pour tous ceux qui s’intéressent aux actifs condi-
tionnels. Si, à l’instar de Black, Scholes est avant tout connu pour la
célèbre relation d’évaluation des options, il est l’auteur de nombreuses
autres contributions importantes touchant aux tests empiriques du
MEDAF, à la politique de dividendes ou, encore, à l’importante question
de la relation entre la fiscalité et la stratégie financière de l’entreprise.
12. Voir le chapitre consacré à Shleifer.
22 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

Robert Merton est le troisième grand nom de la célèbre trilogie associée


à l’évaluation des actifs conditionnels. Ses contributions apparaissent,
néanmoins, peut-être encore plus importantes que celles de Black et
Scholes. Tout d’abord, comme ces deux derniers l’ont reconnu, c’est à
Merton qu’on doit l’introduction du raisonnement d’arbitrage dans la
construction des modèles d’évaluation des options. Au-delà de cet apport
décisif, ses travaux en matière d’évaluation des actifs conditionnels ont un
caractère plus général qui fait qu’il n’est pas excessif de le considérer
comme le fondateur de la finance en temps continu et de la théorie des
actifs conditionnels. Il a largement étendu le champ d’application de cette
théorie en intégrant au raisonnement l’existence de taux d’intérêt aléa-
toires. De plus, ses apports à la finance d’entreprise ont été déterminants
en proposant, toujours sur la base de la théorie des actifs conditionnels,
une évaluation de la dette risquée des entreprises et de la prime de défaut.
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Au-delà de la finance d’entreprise, il a fait des contributions décisives à la
théorie de la finance bancaire que ce soit en matière d’évaluation de la
garantie des dépôts ou de l’assurance des crédits. Enfin, il a participé très
activement au débat sur l’efficience des marchés financiers et proposé des
outils importants pour la gestion de portefeuille.

2.3. Des fissures importantes dans l’édifice


néoclassique
La construction de la finance néoclassique ne s’est pas achevée avec
l’introduction de la théorie des actifs conditionnels. De multiples travaux
ont permis de consolider cet édifice en relation, tout particulièrement,
avec la notion de complétude des marchés et son importance pour appré-
hender le raisonnement d’arbitrage à la base des relations d’évaluation.
Quelle que soit l’importance de ces travaux, ils n’ont pas, tout au moins
du point de vue de l’histoire de la théorie financière, le caractère décisif
qu’ont eu ceux des contributeurs que nous venons de présenter. Si la
finance néoclassique a continué de se construire et de se perfectionner,
l’évolution de la finance, sur les dernières décennies, s’est orientée bien
davantage vers sa remise en cause, des fissures importantes étant apparues
dans cet édifice à la cohérence impressionnante, certaines d’entre elles
ayant d’ailleurs déjà été identifiées par les fondateurs mêmes.
Un certain nombre de grands auteurs ont joué un rôle très important
dans l’évolution de la finance en mettant en évidence certaines fissures ou
anomalies particulièrement significatives. Pour illustrer ce rôle, nous avons
choisi de retenir les quatre grands auteurs suivants : Stiglitz, Roll, Harvey
23
Introduction

et Titman. Ils ont contribué, à des titres divers et à des époques différentes,
à saper les fondements de la finance néoclassique tant sur la base d’argu-
ments théoriques que d’arguments empiriques, voire méthodologiques.
Bien entendu, d’autres grands auteurs auraient pu figurer dans cette sous-
section comme, par exemple, Shleifer et ses travaux sur les limites de
l’arbitrage, voire Jensen pour sa redéfinition de l’efficience des marchés en
introduisant des coûts de transaction, mais au vu du rôle qu’ils ont joué
dans la construction de la finance comportementale et de la finance
néoinstitutionnelle, nous avons préféré les considérer dans les deux der-
nières sous-sections.
En proposant le paradigme informationnel articulé sur la notion d’asy-
métrie d’information, Stiglitz attaque directement les fondements de
l’édifice économique néoclassique et, par suite, de la finance néoclassique.
Deux points sont particulièrement critiques pour le paradigme financier
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dominant, l’invalidation de la loi du prix unique et le « paradoxe de l’in-
formation » selon lequel, si l’efficience des marchés financiers était avérée,
les investisseurs n’auraient plus aucune incitation à rechercher de l’infor-
mation, ce qui aurait pour conséquence l’absence d’échange sur les mar-
chés et donc leur effondrement. L’introduction des asymétries d’informa-
tion entre agents économiques et le fait que les agents puissent émettre des
signaux informationnels posent des problèmes redoutables au bon fonc-
tionnement des marchés financiers et des institutions financières. Stiglitz
va explorer les conséquences des dimensions informationnelles pour le
crédit bancaire, le marché des assurances et le financement des entreprises.
Ses contributions vont permettre d’expliquer de nombreux phénomènes
incompréhensibles dans le cadre de la finance néoclassique tels que le
rationnement du crédit et la réticence des firmes à émettre des actions. Le
paradigme informationnel conduit à rompre la traditionnelle séparation
entre décisions d’investissement et de financement et à faire émerger le
champ de la gouvernance des entreprises. Dans ce dernier domaine, les
travaux de Stiglitz joueront un rôle pionnier pour discuter des questions
des objectifs attribués aux dirigeants, de leur capacité à neutraliser les
mécanismes de gouvernance comme les offres de contrôle hostiles ou,
encore, des systèmes incitatifs à leur appliquer.
Une deuxième illustration des failles du paradigme financier néoclas-
sique peut-être trouvée dans l’œuvre de Richard Roll. Elle a, avant tout,
un caractère méthodologique. Le statut scientifique d’une théorie dans
l’épistémologie traditionnelle est habituellement associé à son caractère
testable. De nombreux travaux ont mis en évidence que les prédictions du
MEDAF pouvaient être considérées comme infirmées en raison des nom-
breuses anomalies identifiées au vu de la relation rentabilité-risque systé-
24 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

matique prévue par ce modèle central. La critique de Roll est plus destruc-
trice puisqu’en remettant en cause le caractère testable du MEDAF, elle lui
dénie tout caractère scientifique, tout au moins, dans les approches
méthodologiques standards qui prévalaient à cette époque. Dans des tra-
vaux ultérieurs, Roll tentera, malgré tout, de réhabiliter le MEDAF. La
dimension critique des travaux de Roll se manifestera dans bien d’autres
domaines qu’ils soient relatifs au modèle multifactoriel de Fama et French,
à la validité de certains tests portant sur des séries temporelles ou sur la
théorie de la parité des pouvoirs d’achat, à la robustesse de l’hypothèse
d’efficience des marchés ou à la théorie du ratio d’endettement cible. Il
serait, toutefois, très abusif de présenter les contributions de Roll sous un
angle exclusivement critique. Nombre de ses travaux ont été des avancées
constructives qu’il s’agisse de la célèbre méthode des études d’événements,
des analyses et des outils proposés dans le domaine de la microstructure
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des marchés financiers, de l’évaluation des options, de l’identification éco-
nomique des facteurs dans les modèles multifactoriels ou, encore, d’une
des premières tentatives d’intégration d’une dimension comportementale
– l’hubris des dirigeants – dans l’étude des fusions-acquisitions.
Les premiers travaux qui ont assis la notoriété de Campbell Harvey
portent sur différents problèmes que rencontrent, sur le plan empirique,
les modèles d’évaluation des actifs financiers tant dans un cadre national
que dans un cadre international. L’importance de ces problèmes conduit,
là aussi, à douter fortement de la robustesse de la finance néoclassique. Sur
le plan national, à l’aide de nouvelles méthodes d’estimation statistique,
Harvey montre que le MEDAF est dans l’incapacité de prédire correcte-
ment la rentabilité des actifs financiers. Ses critiques s’étendent au modèle
multifactoriel de Fama et French qui se révèle aussi inapte à expliquer la
rentabilité des actifs financiers. Il remet également en cause l’approche
espérance-variance en montrant l’importance du moment de troisième
ordre (l’asymétrie) dans l’évaluation des actifs financiers qui pourrait être
à l’origine de l’effet momentum. Au-delà de ces critiques, les travaux
d’Harvey sont particulièrement remarquables dans le domaine de l’évalua-
tion des actifs financiers dans un cadre international. Il réexamine, entre
autres, les questions de segmentation et de libéralisation et s’intéresse aux
marchés émergents et aux phénomènes de contagion. Il reconsidère aussi
la gestion de portefeuille, tout particulièrement, dans un cadre internatio-
nal, en montrant comment certains biais statistiques peuvent conduire à
contester des mesures de performance comme le ratio de Sharpe. Il met en
garde contre le caractère significatif de certains résultats qui lui semble dû
à du data mining. Plus généralement, de nombreux travaux de Harvey
témoignent de la difficulté d’obtenir des résultats empiriques robustes
25
Introduction

dans le domaine de l’évaluation des actifs financiers. C’est peut-être cette


fragilité qui l’a conduit à explorer d’autres voies empiriques fondées sur
l’exploitation de questionnaires adressés à des praticiens de la finance,
alors que cette méthode est rarement utilisée en finance. Il montre ainsi,
dans le champ de la finance d’entreprise, que la plupart des théories finan-
cières ne reçoivent pas un accueil favorable auprès des décideurs financiers
et ne sont pas à même d’expliquer leurs décisions. Dans ses travaux les plus
récents, Harvey cherche à introduire des dimensions psychologiques en
lien avec la finance comportementale pour expliquer ces décisions.
Les travaux sur l’évaluation des actifs financiers menés par Sheridan
Titman se positionnent de façon critique envers l’APT et le modèle mul-
tifactoriel de Fama et French. Ainsi, Titman propose un modèle mettant
en avant des déterminants associés aux biais comportementaux et à la
liquidité plutôt que les facteurs évoqués par Fama et French. Toutefois,
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Titman est surtout célèbre, dans ce domaine, pour avoir découvert l’effet
momentum, attribué à un phénomène de sous-réaction des marchés finan-
ciers. Un tel effet confirme, une fois de plus, la fragilité de la finance
néoclassique en remettant en cause l’hypothèse centrale d’efficience des
marchés. Il ouvre la voie à des explications fondées sur la finance compor-
tementale et, plus spécifiquement, les biais de surconfiance et d’autoattri-
bution. Les travaux en finance d’entreprise de Titman contribuent aussi à
contester les conclusions de la finance néoclassique en portant l’attention
sur l’importance des coûts de faillite pour expliquer la structure de finan-
cement et, plus généralement, sur le caractère contingent de la politique
de financement. Cette politique dépendrait de l’environnement de la
firme et des relations qu’elle entretient avec les différentes parties pre-
nantes. Titman fera d’autres apports importants à la finance d’entreprise
en insistant sur les interactions entre décisions d’investissement et de
financement et en soulignant l’influence des questions d’asymétrie d’in-
formation et de gouvernance sur ces décisions. Enfin, il jouera un rôle
pionnier dans le domaine peu exploré de la finance immobilière.
Ces quatre chapitres ne sont, répétons-le, que des illustrations des
nombreuses failles qui traversent la théorie financière néoclassique.
Au-delà des problèmes rencontrés sur les plans théorique et empirique par
cette théorie qu’ils mettent en évidence, ils proposent, à l’occasion,
d’autres voies pour reconstruire la finance en considérant les dimensions
organisationnelles et institutionnelles ainsi que les dimensions psycholo-
giques qui se manifestent par des biais comportementaux.
26 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

2.4. Une première voie de reconstruction :


la finance néoinstitutionnelle contractuelle
La voie ouverte par Stiglitz avec l’introduction du paradigme informa-
tionnel allait se révéler très fructueuse pour reconstruire la finance d’entre-
prise. Un des auteurs pionniers dans ce domaine fut Myers avec sa théorie
du financement hiérarchique. L’asymétrie d’information est la condition
nécessaire pour que les conflits d’intérêts entre acteurs, tout spécialement
entre actionnaires et dirigeants, trouvent à s’exprimer. Il reviendra à la
théorie de l’agence articulée sur cette notion centrale de conflits d’intérêts,
qui entraîne l’effondrement des propriétés de neutralité mises en évidence
par Modigliani et Miller, de proposer le projet le plus ambitieux en
matière de refondation de la finance d’entreprise en l’associant à la vision
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de la firme proposée par les théories des droits de propriété et des coûts de
transaction, celle du nœud de contrats.
Même si la notion de relation d’agence apparaît dans certains travaux
pionniers (Spence et Zeckhauser, 1971 ; Ross, 1973), sa première applica-
tion significative à la finance d’entreprise est habituellement attribuée à
l’article de Jensen et Meckling (1976), qui est le plus cité de toute la litté-
rature économique et financière, l’objectif de cet article dépassant d’ail-
leurs largement la seule finance. Cet article, qui constitue la pierre centrale
de l’œuvre de Jensen, plaçait désormais au cœur de la finance les questions
de gouvernance des dirigeants. Il faisait ainsi émerger, dans le champ de la
finance, des préoccupations organisationnelles qui lui étaient étrangères
comme la structure de rémunération des dirigeants ou la composition des
conseils d’administration ou, encore, des questions juridiques comme la
protection des droits des actionnaires et des créanciers financiers.
Ces deux pionniers (Myers et Jensen) dans la refondation de la finance
d’entreprise ont été suivis de nombreux autres grands auteurs, parfois avec
un appareillage théorique différent, comme Stulz qui approfondira la
question du lien entre latitude managériale et politique de financement,
Diamond qui fera des contributions centrales à l’analyse de l’intermédia-
tion financière et du rôle des banques, ou Hart. En formulant la théorie
des contrats incomplets, ce dernier propose, peut-être, l’approche la plus
féconde et la plus cohérente en matière de lecture des décisions financières
des firmes, approche qui sera enrichie par Zingales, afin de prendre en
compte l’importance du capital humain et du capital organisationnel dans
les firmes modernes. Au-delà de Myers et Jensen, des chapitres seront en
conséquence consacrés à la présentation des travaux de Stulz, Diamond,
Hart et Zingales.
27
Introduction

Myers a fortement contribué à remettre en cause la vision de la finance


d’entreprise instaurée par Modigliani et Miller qui se caractérisait par la
séparation des décisions d’investissement et de financement. L’analyse des
interactions entre ces deux types de décisions est au centre des travaux de
Myers, que ces interactions dépendent de la fiscalité ou des asymétries
d’information entre l’entreprise et ses financeurs. Les travaux qu’il va pro-
duire en privilégiant l’hypothèse d’asymétrie d’information vont être à
l’origine de la théorie du financement hiérarchique (Pecking Order Theory)
qui s’appuie, comme son nom l’indique, sur une hiérarchie des finance-
ments et qui s’oppose à la vision, plus traditionnelle en finance, associée à
la théorie du compromis (Static Trade-Off Theory) qu’il a également
contribué à établir. Selon cette dernière, la structure de financement opti-
male s’obtient par arbitrage entre les différents coûts associés à l’endette-
ment et ceux associés au financement par fonds propres. Un des apports
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les plus significatifs de Myers aura été de mettre en évidence les coûts
d’agence liés au sous-investissement en présence d’endettement. Dans des
travaux ultérieurs, il préconisera, cependant, d’abandonner la recherche
d’une structure financière optimale pour privilégier la seule question qui
lui semble pertinente, celle de la mise en place d’une architecture finan-
cière – dont la structure de financement n’est qu’un élément –, adaptée au
contexte institutionnel.
Si les questions d’asymétrie d’information soulevées par Stiglitz et
Myers ont profondément renouvelé la lecture des décisions financières, le
bouleversement introduit par Jensen en proposant de reconsidérer ces
décisions à travers le prisme de la théorie positive de l’agence, qui se veut
une théorie générale des organisations, est encore plus profond. Cette
nouvelle perspective, en raison de son adossement à la théorie des organi-
sations, est parfois qualifiée de finance organisationnelle. Comme le rap-
pelle Jensen, et à l’instar d’autres innovations théoriques majeures, l’article
de Jensen et Meckling, fut, initialement, mal reçu par la communauté
académique financière. La cause vraisemblable de cette réaction négative
est probablement liée au fait que cette théorie issue du courant écono-
mique néoinstitutionnaliste, et, plus spécifiquement, de la théorie des
droits de propriété affectait certaines hypothèses clés du noyau dur de la
finance néoclassique. En particulier, la rationalité présumée substantive
des acteurs se voyait remplacée par une rationalité plus limitée. Le cadre
retenu s’écartait de la perspective normative de la théorie principal-agent
plus proche de la perspective néoclassique. En tentant d’expliquer les déci-
sions financières, par exemple, la structure de financement, la politique de
dividendes ou les prises de contrôle et, plus généralement, les arrange-
ments organisationnels comme moyens de minimiser les coûts d’agence
28 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

entre les dirigeants et les apporteurs de ressources financières, Jensen


apportait des réponses radicalement nouvelles et ouvrait un vaste champ
d’investigation, celui de la gouvernance des dirigeants. Cela allait le
conduire à proposer des explications à l’existence des différentes formes et
architectures organisationnelles ainsi qu’à jeter les bases d’une théorie des
systèmes de gouvernance très riche. Les travaux les plus récents de Jensen,
par exemple, ceux qui traitent des coûts d’agence de la surévaluation ou de
l’intégrité des dirigeants, révèlent une évolution vers des dimensions com-
portementales et éthiques. Si on considère que Jensen a participé dans ses
premières recherches à la construction de la finance néoclassique avec des
contributions importantes à l’étude de l’efficience et à la mesure de la
performance des portefeuilles, on ne peut qu’être impressionné par sa
capacité à faire évoluer ses grilles d’analyse.
Si Stulz a fait de multiples apports significatifs à l’économie et à la
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finance internationale, qu’il s’agisse de l’explication des taux de change, de
l’évaluation des actifs financiers, de la gestion de portefeuille ou, encore,
du comportement des marchés de capitaux, ses contributions les plus
citées se situent dans le domaine de la finance d’entreprise. Dans ce der-
nier domaine, il a produit de nombreux résultats originaux sur le lien entre
latitude managériale et politique financière qu’il s’agisse des offres
publiques d’achat ou de la politique d’endettement. Sur ce dernier point,
il a apporté des compléments très pertinents à la théorie du Free Cash Flow
due à Jensen et aux analyses de Myers en proposant un modèle considérant
simultanément les phénomènes de sous- et de surinvestissement. Toujours
en finance d’entreprise, les travaux de Stulz ont singulièrement enrichi
l’analyse des stratégies de diversification, des opérations de désinvestisse-
ment, du marché interne du capital des grandes firmes, de la gestion des
risques ou de la détention de liquidités importantes. Enfin, il a apporté de
nombreux éclairages originaux aux questions de gouvernance des firmes et
à l’explication des crises financières.
L’asymétrie de l’information est également au coeur des travaux de
Douglas Diamond. Si ses premiers travaux significatifs ont porté sur la
question de la fixation des prix d’équilibre sur les marchés financiers en
présence d’asymétrie d’information, Diamond est principalement réputé
pour ses contributions à la finance bancaire où la notion de liquidité joue
un rôle central, qu’elles concernent les questions de régulation de la
banque ou l’influence de la relation avec la banque sur la structure tempo-
relle de la dette des entreprises. Sa démarche s’inscrit dans la perspective
de la théorie de l’agence normative qui cherche à déterminer la forme
optimale d’un contrat permettant de gérer au mieux les relations entre les
déposants et les firmes financées. La forme optimale trouvée comme solu-
29
Introduction

tion à un problème formulée à partir de la théorie des jeux non coopératifs


peut être utilisée pour expliquer l’intérêt de l’intermédiation financière,
mais aussi pour identifier des modalités plus efficaces pour gérer, par
exemple, les relations entre firmes, banques et déposants. Diamond
montre ainsi que le financement intermédié par les banques se révèle supé-
rieur au financement direct en raison de l’efficacité de la surveillance
effectuée. Au-delà des recommandations très importantes faites en matière
de régulation bancaire afin d’éviter les paniques bancaires (les bank runs),
Diamond propose une théorie explicative de la structure par maturité des
dettes des entreprises et apporte des éclairages particulièrement importants
pour construire le droit de la faillite et comprendre le rôle de la réputation.
L’approche située dans la perspective économique néoinstitutionnelle
qui a le plus enrichi les réflexions sur la finance des entreprises et la finance
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bancaire est, peut-être, celle de la théorie des contrats incomplets dans le
développement de laquelle Oliver Hart a joué un rôle majeur. Parfois vue
comme une version formalisée de la théorie des coûts de transaction
(TCT) de Coase et Williamson13, voire de la théorie des droits de pro-
priété, la théorie des contrats incomplets se distingue tant de la théorie
principal-agent (ou théorie normative de l’agence) que de la théorie posi-
tive de l’agence (TPA) proposée par Jensen14. En conservant une hypo-
thèse de rationalité plus forte que dans la TPA ou la TCT, la théorie des
contrats incomplets, pour justifier l’incomplétude des contrats – c’est-à-
dire l’impossibilité de rédiger et de faire exécuter des contrats adaptés à
toutes les situations futures possibles –, met principalement l’accent sur le
coût de rédaction des contrats et la possibilité pour une tierce partie de
disposer de l’information suffisante pour en permettre et en vérifier la
bonne exécution. Sur la base de cette grille de lecture, Hart revisite l’ana-
lyse du financement et de la gouvernance des entreprises en renouvelant
l’analyse des offres publiques d’achat. La problématique du contrôle des
firmes, à travers des aspects comme les droits de vote associés aux actions
ou la réglementation des faillites, en sortira profondément transformée.
Au-delà de la finance d’entreprise, Hart a aussi fait, plus récemment et en
relation avec la crise financière, des apports importants à la théorie de la
régulation bancaire. Précisons que certains travaux récents de Hart mobi-
lisent la finance comportementale afin de mieux justifier l’incomplétude
des contrats.
13. Pour une analyse comparée de la TCT et de la théorie des contrats incomplets, on consultera Farès
et Saussier (2002).
14. On trouvera une présentation détaillée des principaux courants théoriques en économie des organisa-
tions dans Chabaud et al. (2008), dont l’ouvrage est consacré aux grands auteurs en économie des
organisations. Un chapitre de cet ouvrage est également consacré à Hart (Farès, 2008).
30 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

La théorie des contrats incomplets est aussi à la base des travaux de


Luigi Zingales dont le directeur de thèse a été Hart. Après avoir reconsi-
déré dans la perspective contractuelle, un certain nombre de dimensions
de la finance telles que la valeur des droits de vote, les introductions en
bourse, le lien entre investissement et niveau des cash flows, ou encore les
déterminants des structures financières sur un plan international, il a fait
un certain nombre d’apports particulièrement significatifs à la micro-gou-
vernance (la gouvernance des entreprises). Ces apports s’appuient sur une
prolongation de l’analyse de la firme proposée dans la théorie des contrats
incomplets visant à mieux prendre en compte le capital humain et le capi-
tal organisationnel qui sont au centre de la création de valeur dans les
économies modernes. Cette démarche l’a conduit à adopter une vision
partenariale de la gouvernance dont l’objectif n’est plus de gérer les conflits
entre actionnaires et dirigeants, mais de préserver l’intégrité du capital
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organisationnel qui est au cœur de la création de valeur par la firme. Ses
travaux en micro-gouvernance ont été suivis de travaux tout aussi impor-
tants dans le domaine de la macro-gouvernance où il a fait des apports
déterminants aux courants politiques et culturels15 (par exemple, sur le
rôle des pouvoirs en place, de la confiance, de la religion et des médias)
afin d’expliquer le développement des systèmes financiers et, plus globale-
ment, du capitalisme, y compris les crises financières récentes qui l’ont
frappé.

2.5. Vers un nouveau paradigme dominant :


la finance comportementale
Si Jensen, en proposant la théorie positive de l’agence, avait déjà porté
atteinte à l’hypothèse de rationalité forte retenue par la finance néoclas-
sique, le fait que la TPA soit usuellement interprétée comme une simple
variante de la théorie principal-agent, qui continue à retenir une hypo-
thèse forte de rationalité, a fait que cette attaque contre le noyau dur de la
théorie néoclassique n’a pas toujours été véritablement perçue et, ce,
d’autant plus que Fama, défenseur acharné de la finance néoclassique,
avait contribué de façon significative à la construction de la TPA. Il en est
tout autrement du courant comportemental qui attaque beaucoup plus
sévèrement l’hypothèse de rationalité au cœur de la modélisation finan-
cière qui s’accompagne de l’objectif de maximisation de l’utilité au sens de
von Neumann et Morgenstern. Ce courant a d’ailleurs des sources
anciennes en économie, par exemple, dans les travaux d’Allais (1953) qui
15. Voir, par exemple, son éditorial consacré à « The“cultural revolution” in finance » dans le Journal of
Financial Economics (Zingales, 2015).
31
Introduction

avaient montré que l’axiomatique sous-jacente à la théorie de l’utilité neu-


manienne, au cœur de la finance néoclassique, était souvent violée dans la
réalité. On peut même lui trouver des racines en relation avec la Théorie
générale de Keynes, l’œuvre de ce dernier étant fréquemment citée dans
les travaux de finance comportementale.
La finance comportementale trouve son origine dans l’observation de
nombreuses anomalies par rapport à ce que prédit la finance néoclassique.
Le désir d’expliquer ces anomalies a amené Thaler et Shiller à mobiliser les
théories psychologiques pour construire une finance à même de satisfaire
cet objectif, sur la base des travaux réalisés en économie comportementale.
Il en est de même pour Shleifer qui a remis en cause l’efficacité du méca-
nisme d’arbitrage, pilier central de l’efficience des marchés. Cette
démarche l’a conduit, d’une part, à tenter de reconstruire la finance en
prenant en compte les biais comportementaux, d’autre part, compte tenu
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des failles dans la discipline assurée par les marchés, à renouveler l’analyse
des systèmes de gouvernance en portant l’attention sur le rôle central joué
par le droit. Enfin, Stein a fait des apports très importants au développe-
ment de la finance comportementale en privilégiant la dimension sociale
associée aux interactions entre les acteurs du marché comme déterminant
de leurs comportements. En conséquence, les quatre derniers chapitres
seront respectivement consacrés à la présentation des travaux de Thaler,
Shiller, Shleifer et Stein.
Richard Thaler influencé par ses mentors Kahneman et Tversky issus
du champ de la psychologie et ayant fondé le champ de l’économie com-
portementale – Kahneman a obtenu le prix Nobel d’économie en 2002 –
peut être considéré comme un pionnier de l’application de l’approche
comportementale à la finance. Un de ses premiers apports a été de mettre
en évidence des anomalies particulièrement importantes par rapport à
l’hypothèse d’efficience des marchés qu’il s’agisse de phénomènes de sur-
réaction des cours ou de l’énigme que représente l’existence de la décote
des fonds fermés. Ces anomalies seraient dues, selon lui, à des biais com-
portementaux liés, par exemple, au sentiment de l’investisseur. De façon à
mieux comprendre la formation des anomalies, Thaler va se lancer dans
l’étude des processus effectifs qui président aux décisions financières en
recourant au concept de « comptabilité mentale » qui le conduit à recon-
sidérer la notion d’utilité et le rôle des coûts d’opportunité dans les choix.
Il met ainsi en évidence la dépendance de l’aversion pour le risque relati-
vement à la fréquence des choix (myopic loss aversion). Il montre qu’une
grande partie des biais analysés dans le cadre de la comptabilité mentale
peuvent s’expliquer dans le cadre de la théorie des perspectives de
Kahneman et Tversky. Par ailleurs, la myopic loss aversion lui permet de
32 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

proposer une solution à l’énigme que constitue le niveau élevé de la prime


de risque offerte par les actions (equity premium puzzle). Les travaux de
Thaler constituent un pas décisif pour que les chercheurs en finance
écartent les hypothèses comportementales de la finance néoclassique au
profit d’une théorie de l’utilité permettant d’appréhender le comporte-
ment réel des investisseurs.
Robert Shiller, qui a collaboré avec Richard Thaler, est l’autre grand
nom de la finance comportementale. Ses premiers travaux qui ont porté
sur les taux d’intérêt et les marchés d’actions ont fortement contribué à
remettre en cause l’hypothèse d’efficience des marchés financiers. Il
démontre que la volatilité des actions est beaucoup trop importante pour
pouvoir être expliquée dans le cadre de la finance néoclassique. Cela le
conduit à mettre en évidence l’existence de bulles spéculatives et à les
expliquer sur la base de phénomènes culturels et psychologiques. Les résul-
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tats de ces travaux lui permettront d’être un des rares économistes finan-
ciers à prédire les krachs de 2000 et 2007. En mobilisant des explications
psychologiques et sociologiques, il s’éloigne définitivement du cadre de la
finance néoclassique pour fonder la finance comportementale. L’originalité
et la pertinence de ses travaux en matière d’évaluation des actifs financiers
lui vaudront de recevoir le prix Nobel d’économie. Au-delà de ses apports
à l’évaluation des actifs financiers, il fera également des contributions
décisives dans un domaine relativement délaissé, celui de la finance immo-
bilière, dont les marchés, qui font l’objet d’une spéculation très active,
s’écartent aussi fortement du schéma de l’efficience.
S’il est un auteur qui a pareillement contribué à affaiblir la finance
néoclassique et à proposer une reconstruction de la finance en y intégrant
des dimensions comportementales, il s’agit bien d’Andrei Shleifer auteur
de très nombreuses contributions fondamentales dans différents champs
de la finance. Shleifer, à l’instar de Thaler et Shiller, peut être aussi consi-
déré comme un des fondateurs de la finance comportementale. Sur la base
de la distinction entre les investisseurs rationnels et les noise traders due à
Black, il a proposé de nombreux modèles visant à expliquer les différentes
anomalies constatées sur les marchés financiers. Son argumentation met
en avant les nombreuses limites que rencontre, dans la pratique, le proces-
sus d’arbitrage censé garantir l’efficience du marché. Mais au-delà de ces
explications pionnières, il a été un des premiers à établir un lien explicite
entre la littérature sur les anomalies et la littérature comportementale, au
développement de laquelle il a fortement contribué avec ses travaux
récents fondés sur la théorie de la saillance. Cette préoccupation l’a
conduit à proposer une révision du CAPM (c’est-à-dire du MEDAF), le
X-CAPM (Extrapolative CAPM) qui intègre les biais comportementaux
33
Introduction

des investisseurs. Le caractère innovateur de ses travaux en finance com-


portementale aurait suffi à lui attribuer une place dans cet ouvrage. Et
pourtant, sa contribution à la théorie de la gouvernance des entreprises lui
a valu encore davantage de notoriété.
Ses travaux en gouvernance, contrairement à ce qu’une réflexion super-
ficielle pourrait laisser supposer, ne sont d’ailleurs pas déconnectés de ceux
qui portent sur l’efficience des marchés. C’est parce que les marchés sont
insuffisamment efficients, en raison, tout particulièrement, des biais com-
portementaux, qu’il est nécessaire de faire reposer la gouvernance des
dirigeants sur d’autres mécanismes, notamment juridiques, au moins à
titre complémentaire. Cette thèse centrale a conduit Shleifer à émettre de
nombreuses idées originales en matière de gouvernance qu’elles soient
fondées sur la théorie des contrats incomplets ou la finance comportemen-
tale, visant plus spécifiquement à contester l’efficacité de mécanismes tels
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que les offres publiques de contrôle, ne serait-ce que parce que les diri-
geants via leurs manœuvres d’enracinement s’opposent activement à la
discipline qu’on veut leur imposer. Les réflexions de Shleifer ont abouti à
une reformulation de la problématique même de la gouvernance action-
nariale afin de mettre non plus en avant la relation actionnaires/dirigeants,
mais celle entre actionnaires dominants et actionnaires minoritaires, afin
de disposer d’une grille de lecture à même d’appréhender la grande varié-
té des systèmes nationaux de gouvernance. Il a été ainsi amené à proposer
des analyses très originales de la politique de dividendes, du rôle de l’en-
dettement ou des fusions-acquisitions. Son apport le plus célèbre se situe,
toutefois, dans le domaine de la macro-gouvernance avec la mise en avant
du droit comme facteur déterminant du développement économique et
financier à travers sa célèbre théorie de l’origine légale des différents sys-
tèmes nationaux de gouvernance, opposant les systèmes de Common Law
anglo-saxons aux systèmes de droit civil. Brièvement énoncée, cette théo-
rie très provocatrice énonce que la tradition juridique anglo-saxonne en
offrant une meilleure protection aux apporteurs de capitaux est plus favo-
rable au développement. Cette contribution, même si elle est très forte-
ment contestée, occupe une place centrale dans les réflexions sur le fonc-
tionnement des systèmes financiers au niveau international. De fait,
l’œuvre de Shleifer est certainement celle, à l’heure actuelle, qui représente
le mieux les tentatives d’intégrer dans une théorie financière renouvelée les
différents courants de la finance associés soit à la finance néoinstitution-
nelle, soit à la finance comportementale.
Si la finance comportementale s’est constituée contre le paradigme
dominant de la finance néoclassique, il lui reste à se doter d’un cadre théo-
rique plus général pour pouvoir s’ériger en nouveau paradigme. Dans une
34 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

certaine mesure, les travaux de Jeremy Stein ont l’ambition de contribuer


à construire ce cadre théorique général en portant l’attention sur les inte-
ractions entre les investisseurs présents sur les marchés financiers pour
expliquer les différentes anomalies par rapport à l’hypothèse d’efficience.
Cet auteur suppose ainsi, à l’instar de Shleifer, que ces anomalies résultent
de la confrontation de plusieurs catégories d’investisseurs dont les degrés
de rationalité diffèrent. Stein suppose une rationalité limitée des investis-
seurs en leur prêtant une capacité d’attention limitée, des difficultés de
compréhension de l’environnement informationnel, ou encore une sur-
confiance dans l’information qu’ils détiennent. Ses analyses fondées sur
différentes modélisations des interactions sociales lui permettent de mieux
appréhender les phénomènes de mimétisme sur les marchés et de proposer
de nouvelles explications à l’effet momentum ou aux krachs boursiers en
relation, pour ces derniers, avec la notion de sentiment de l’investisseur.
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Les apports de Stein, néanmoins, ne se limitent pas à l’étude des marchés
financiers. Ils portent aussi sur la finance d’entreprise. Tout d’abord dans
le cadre traditionnel des asymétries d’information et des conflits d’intérêts,
il a cherché à analyser les déformations qui en résultaient pour la politique
d’investissement, tout particulièrement, les phénomènes de court-ter-
misme. Il s’est particulièrement intéressé aux problèmes d’allocation opti-
male des fonds qui se posent dans les groupes en raison de la possibilité de
« socialiser » les ressources internes. Enfin, Stein, à la suite de la dernière
crise financière et de ses fonctions à la Réserve fédérale américaine, a porté
une grande attention aux questions de régulation monétaire et aux pro-
blèmes posés par le shadow banking.

3. QUELQUES ENSEIGNEMENTS À TIRER…


Au terme de ce long voyage à travers les œuvres des grands auteurs de
la finance moderne, il semble qu’on puisse en tirer plusieurs enseigne-
ments qui tiennent au périmètre de la finance, à son positionnement
épistémologique et à ses relations avec la pratique financière.

3.1. Un élargissement du champ de la finance


Considérons, tout d’abord, l’évolution du champ de la finance
moderne telle qu’elle apparaît à travers les travaux des grands auteurs. Les
premiers chapitres consacrés aux fondateurs de la finance néoclassique
sont principalement focalisés sur la gestion de portefeuille, l’efficience des
marchés et l’évaluation des actifs financiers conditionnels ou non. Ils
35
Introduction

donnent au lecteur une vision de la finance centrée pour l’essentiel sur les
marchés financiers et qui cherche à aider les investisseurs à répartir au
mieux leurs ressources en tenant compte des dimensions du risque et du
temps. Les développements sont habituellement normatifs et techniques.
Le passage à l’explicatif se fait sur la base d’un raisonnement du type. Que
se passerait-il sur les marchés si tous les investisseurs se comportaient de
façon totalement rationnelle et optimale ? Les prédictions issues des
modèles d’évaluation sont alors confrontées à la réalité avec des résultats
fréquemment décevants, par exemple pour le MEDAF qu’on peut consi-
dérer comme un modèle abandonné par la recherche, tout au moins dans
sa version première. Au mieux, on constate de nombreuses anomalies.
Malgré ces résultats décevants si on se situe dans une perspective explica-
tive ou prédictive, cette finance a, cependant, eu une influence transfor-
mative importante en fournissant des outils d’évaluation (même impar-
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faits), en aidant à créer de nouveaux marchés permettant, en principe, de
mieux gérer le risque et, surtout, en contribuant à créer un cadre de pen-
sée, un référentiel cognitif.
Les développements en finance d’entreprise semblent moins impor-
tants. De facto, si on considère que les marchés financiers sont parfaits et
que la firme est une boîte noire, alors, comme le montrent Modigliani et
Miller, les questions associées à la définition d’une politique financière
optimale perdent toute pertinence en raison de l’arbitrage. Il faut réintro-
duire une dimension institutionnelle liée à la fiscalité ou à la faillite pour
les faire resurgir. Il en est de même d’ailleurs avec l’analyse proposée par la
théorie des options. Si on reprend la réflexion très novatrice de Black et
Scholes consistant à considérer que les capitaux propres sont une option
d’achat sur les actifs de la firme, on s’aperçoit qu’elle repose sur l’existence
de la clause de responsabilité limitée des actionnaires, donc sur une
dimension institutionnelle qui introduit d’ailleurs implicitement l’idée du
conflit d’intérêts entre actionnaires et créanciers. Au total, on voit que la
finance néoclassique est surtout une théorie des marchés financiers et que,
finalement, elle ne commence à dire des choses intéressantes pour la
finance d’entreprise que lorsqu’on introduit des dimensions institution-
nelles…
Si on analyse alors le contenu des travaux des auteurs qui ont suivi, on
constate que leurs principaux apports sont liés, soit à l’introduction d’une
dimension institutionnelle, soit d’une dimension comportementale, les
deux pouvant être liées, et que cette introduction a conduit à une trans-
formation profonde du champ de la finance. L’introduction des asymétries
d’information et des conflits d’intérêts a, non seulement, renversé les
36 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

piliers fondateurs de la finance néoclassique16, mais a surtout permis de


reconsidérer, sous un jour nouveau, d’anciennes questions et, point encore
plus important, d’ouvrir le champ de la finance à de nouvelles questions.
Or, ces notions d’asymétrie d’information et de conflits d’intérêts ont
systématiquement une dimension institutionnelle, que celle-ci passe par
les contrats ou les organisations, qui sont d’ailleurs le plus souvent perçues
elles-mêmes comme des nœuds de contrats. Le périmètre de la finance
d’entreprise en a été fortement modifié. Non seulement les politiques
d’investissement et de financement se sont trouvées analysées de façon
beaucoup plus fine (sous- et surinvestissement, introduction d’une dimen-
sion contrôle dans l’analyse des différents types de financement, politiques
de dividende et de rachats d’actions, introduction en bourse, financements
hybrides, fusions et acquisitions…), mais, surtout, des questions qui se
trouvaient traditionnellement hors du champ de la finance en sont deve-
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nues des composantes importantes, qu’il s’agisse de questions dévolues
autrefois aux seuls juristes (droits de vote des actions, forme et composi-
tion des conseils d’administration, droit de la faillite, droit du travail,
comparaison des systèmes juridiques nationaux…), aux seuls spécialistes
de gestion des ressources humaines (systèmes de rémunération, protection
des salariés…), aux seuls spécialistes de science politique (lien entre droit
et système politique, et, plus largement, entre gouvernance des dirigeants
et politique, rôle des médias…). On ajoutera que les outils développés par
les grands auteurs en finance ont sensiblement influencé des pans impor-
tants de la science économique, qu’il s’agisse d’économie industrielle,
d’économie publique et, bien entendu, d’économie monétaire et d’écono-
mie internationale. Tous ces développements ont fortement contribué à la
porosité des frontières disciplinaires. Ce phénomène s’est encore accru
avec la finance comportementale qui a fait pénétrer la finance dans des
champs nouveaux où interviennent des dimensions de psychologie, de
psychologie sociale et de sociologie touchant tant au comportement des
investisseurs que des décideurs financiers.
On ne peut plus aujourd’hui, au vu des travaux des grands auteurs,
définir la finance uniquement comme une simple question de répartition
optimale des ressources, à travers le marché, dans une économie risquée.
L’élargissement du champ de la finance qui s’est produit avec la prise en
compte des dimensions institutionnelle et comportementale et qui d’ail-
leurs s’inscrit dans un mouvement plus général affectant les sciences éco-
nomiques, conduit à faire resurgir des dimensions oubliées lors de la prise
de pouvoir par la finance néoclassique. La redécouverte de la dimension
16. Brennan (1995, p. 11) parle d’effondrement (breakdown) du paradigme néoclassique. Tout en
attribuant le rôle principal dans cet effondrement à l’introduction des asymétries d’information et des
conflits d’intérêts, il en voit les premiers signes dans l’incomplétude des marchés.
37
Introduction

institutionnelle, même dans un cadre très différent, revient à faire réappa-


raître certaines dimensions de la finance institutionnaliste qui prédomi-
nait avant la révolution initiée par la finance néoclassique dans les années
1950-1960 et qui, à l’époque, avait fortement agité l’Association améri-
caine de finance. Il en est de même pour la finance comportementale dont
les articles fondateurs citent fréquemment Keynes comme une source
d’inspiration importante et dont on redécouvre la pertinence des analyses.
Rappelons que Keynes avait une grande expérience de la pratique des
marchés financiers et avait pleinement saisi le rôle crucial des dimensions
psychologiques.

3.2. Un positionnement épistémologique


incertain et évolutif
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À l’instar de l’économie, et contrairement à ce qui est parfois avancé, la
finance n’a pas de statut épistémologique très établi17. Même si les déve-
loppements épistémologiques occupent habituellement une place très
réduite dans les travaux de finance, et plus spécifiquement des grands
auteurs, la lecture des différents chapitres fait apparaître, parfois de façon
très allusive, quelques éléments permettant d’avoir une idée de la variété
des options retenues. Éric de Bodt, auteur du chapitre consacré à Roll,
rappelle, en la considérant apparemment comme une doctrine établie, la
position instrumentaliste de Roll, inspirée directement de Milton Friedman
(École de Chicago oblige…), selon laquelle on ne doit pas discuter du
réalisme des hypothèses18 ; ce qui importe, c’est le pouvoir prédictif du
modèle. Patrick Roger, dans le chapitre consacré à Thaler, fait apparaître
une position différente ; il rappelle que Thaler ne déconseille pas aux éco-
nomistes de construire des modèles théoriques fondés sur des hypothèses
comportementales erronées, il leur dit simplement qu’il faut cesser de
croire que les conclusions de ces modèles sont vraies. On voit donc appa-
raître en filigrane de ces deux positions, des débats importants sur le rôle
des théories en finance, instrumentalisme contre réalisme, réalisme contre
irréalisme des hypothèses. À l’occasion, chez certains autres grands auteurs,
on découvre des ralliements plus ou moins explicites à la démarche infir-
mationniste défendue par Popper, voire au pragmatisme.
Au vu du rôle central joué par l’Université de Chicago dans la construc-
tion de la finance moderne, on pourrait penser que la méthodologie fried-
17. Concernant l’économie, on lira avec profit l’ouvrage de Hands (2001) pour prendre conscience de
la variété et de la richesse de l’épistémologie économique.
18. Cette référence à Friedman est aussi faite par B. Jacquillat, dans le chapitre consacré à Scholes.
38 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

manienne est largement dominante en finance. Il faut toutefois distinguer


les pratiques effectives des déclarations parfois faites. Ainsi, Brav et al.
(2004), à l’occasion d’une discussion comparative entre la finance néoclas-
sique (la finance « rationnelle »… selon leur expression) et la finance
comportementale (la finance « irrationnelle »), montrent que, contraire-
ment à ce qu’avancent les partisans de la finance rationnelle, son pouvoir
prédictif est loin d’être avéré et n’est pas supérieur à celui de la finance
comportementale. De leur point de vue, la méthodologie friedmanienne
n’est pas respectée par la finance néoclassique, ce qui est mis en avant étant
non pas son pouvoir prédictif, mais bien davantage sa capacité à rationa-
liser ex post. On peut d’ailleurs comprendre que ce repli de l’objectif de
prédiction à celui de rationalisation ex post se soit produit, car la possibi-
lité de faire de véritables prédictions à base scientifique suppose l’exis-
tence, sinon de lois universelles, tout au moins de régularités suffisamment
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stables, or certains épistémologues (par exemple, Cartwright, 1983 ;
Lawson, 1989, 1997) doutent qu’on puisse identifier de telles régularités
dans le domaine des sciences sociales à l’inverse du domaine des sciences
dures. N’oublions pas que les comportements adaptatifs des acteurs ont
pour résultat de modifier les relations observées. Si, par exemple, l’intro-
duction d’administrateurs indépendants est un facteur identifié d’amélio-
ration de la performance, les acteurs modifieront les compositions des
conseils d’administration en conséquence et la relation statistique établie
finira par s’estomper… puisque la cause de l’origine de la différence de
performance aura disparu.
Charreaux (2008), tout en écartant l’interprétation friedmanienne de
la recherche financière montre, au vu des pratiques de recherche les plus
fréquentes en finance, qu’il est tout autant difficile de retenir la vision
infirmationniste poppérienne. La très grande majorité des travaux empi-
riques en finance ne cherchent pas à infirmer les prédictions des modèles
théoriques, mais bien davantage à les corroborer. Certains chapitres de
l’ouvrage (par exemple, ceux consacrés à Harvey et à Ross) font d’ailleurs
explicitement référence à des pratiques de data mining, habituellement
favorables aux hypothèses émises. On ajoutera que, même avec une volon-
té infirmationniste affirmée, au vu des résultats des multiples tests qui
figurent dans les travaux des grands auteurs, il est difficile de réfuter une
hypothèse en finance, car, en raison de la thèse de la sous-détermination19
de Duhem-Quine20, toute théorie peut être immunisée contre la réfuta-
tion. Il semble que ce soit tout spécialement le cas pour l’hypothèse d’effi-
cience pilier central de la finance néoclassique. Comme on peut le consta-
19. Selon cette thèse, les théories sont sous-déterminées par les faits. Autrement dit, elles peuvent prédire
une infinité de faits…
20. Voir McGovern, 2006 pour une illustration en finance.
39
Introduction

ter, en confrontant les résultats obtenus par deux auteurs aussi embléma-
tiques que Fama et Shiller, leurs conclusions sont totalement opposées…
Et pourtant cette hypothèse a fait l’objet de milliers de recherches empi-
riques… On pourrait transposer cette conclusion aux modèles multi-fac-
teurs d’évaluation, ici aussi, en confrontant les positions fortement contra-
dictoires qui opposent Fama à des auteurs comme Roll, Harvey et Titman.
Il en est de même des multiples tests qui ont tenté de trancher entre la
théorie du compromis et la théorie du financement hiérarchique pour
expliquer les structures financières, comme le révèle la lecture de certains
chapitres de cet ouvrage.
Cette perspective infirmationniste semble d’ailleurs disqualifiée au vu,
par exemple, du type de modélisation (ce que certains appellent la No Fat
MIT Style Theory) qui sous-tend les travaux de courants comme celui de
la théorie des contrats incomplets. Dans ce courant, on part usuellement
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d’un phénomène observé et inexpliqué et on cherche à proposer un
modèle ad hoc21 reposant sur des hypothèses minimalistes à même de
l’expliquer. Le problème de cette approche est que, d’une part, les modèles
proposés sont souvent inaptes à expliquer des phénomènes au-delà de
celui pour lequel ils ont été conçus (ils ont un caractère ad hoc), d’autre
part, il est difficile de construire une théorie unifiée en agrégeant les diffé-
rents modèles qui reposent fréquemment sur des hypothèses hétérogènes,
comme le reconnaît d’ailleurs Tirole (2006, p. 6) malgré sa tentative très
ambitieuse de procéder à une telle agrégation. Précisons, toutefois, comme
le souligne Charreaux (2008) que ce type de modélisation, même s’il a pris
une importance croissante, ne caractérise pas tous les courants de la
finance.
Ne pouvant être véritablement rattachée ni à l’instrumentalisme dans
la version de Friedman, ni à l’infirmationnisme, il semblerait que la
recherche en finance puisse s’inscrire dans le cadre de la méthode déduc-
tive inexacte définie par Hausman (1992) qui est une résurgence moderne
de la méthode déductive formulée par Stuart Mill et qui conduit à
conclure qu’on ne peut établir dans le domaine de l’économie, et donc de
la finance, que des quasi-lois. Dans cette démarche, les confrontations
entre prédictions et réalité ne sont jamais des tests visant à infirmer les lois.
Les lois étant fondées sur des déterminants « connus » ne peuvent être
réfutées ; les tests permettent uniquement de cerner leur « domaine d’ap-
plication ». Hausman, dans son adaptation de la méthode de Mill, s’en
écarte néanmoins, en substituant à la connaissance a priori des facteurs de
causalité, la notion de « généralisation » crédible. S’interrogeant sur le rôle
21. On retrouve la critique adressée par Brennan (1995, p. 13) aux modèles associés à la théorie du
signal.
40 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

et les caractéristiques des quasi-lois, il conclut qu’elles permettent de faire


des assertions contrefactuelles sur ce qu’on devrait observer « en l’absence »
de facteurs de perturbation et seraient caractérisées par des clauses ceteris
paribus « vagues ».
Au-delà de la difficulté à identifier la démarche épistémologique en
finance sur la base des travaux des grands auteurs, on peut souligner la
variété grandissante des méthodes auxquelles ils ont recours, soit pour
proposer de nouvelles pistes théoriques, soit pour mettre à l’épreuve les
théories existantes. Pendant longtemps, la recherche financière a été carac-
térisée par un usage quasi exclusif de la modélisation mathématique (prin-
cipalement des modèles d’optimisation) et de l’économétrie, accompa-
gnées à l’occasion de simulations numériques. La nature de ces méthodes
a d’ailleurs évolué, puisque, par exemple, le courant fondé sur la théorie
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des contrats incomplets a fait de la théorie des jeux un outil à part entière.
La finance apparaît ainsi comme un domaine où les méthodes quantita-
tives jouent un rôle central. Pourtant, certains travaux des grands auteurs
montrent une évolution sensible vers le recours aux méthodes qualitatives.
Il en est ainsi des courants associés à la théorie positive de l’agence ou à la
finance comportementale, qui, tout en ne rejetant pas l’utilisation des
méthodes quantitatives, n’hésitent pas à recourir, à titre principal ou com-
plémentaire, aux études de cas, aux questionnaires, aux interviews de
praticiens, aux études expérimentales en laboratoire ainsi qu’à certaines
approches utilisées par les historiens, les juristes et les sociologues. Ce
souci d’ouvrir la réflexion théorique financière à des éléments issus d’autres
disciplines relevant des sciences humaines et sociales, à « humaniser » la
finance, est particulièrement notable, sinon revendiqué, chez des auteurs
comme Jensen, Shiller, Shleifer ou Zingales. Plus la finance intègre des
dimensions institutionnelles et comportementales, autrement dit une
dimension humaine, plus elle gagne à se rapprocher des autres sciences
sociales comme semblent le démontrer les travaux de certains des grands
auteurs de cet ouvrage.
Cet élargissement des méthodes semble confirmer les changements de
paradigme qui se sont produits et continuent de se produire dans le champ
de la finance et qui semblent d’une ampleur comparable (tout en étant
moins brutaux) que ceux qui se sont produits dans les années 1950-1960
avec la constitution de la théorie financière néoclassique. Ainsi, l’émer-
gence de la finance comportementale est habituellement perçue comme
témoignant d’un changement de paradigme (Albouy et Charreaux, 2005 ;
Schinckus, 2009), même si un auteur comme Shiller (2006) relativise la
distinction entre la finance néoclassique et la finance comportementale :
41
Introduction

« Les distinctions entre la finance standard et comportementale ont


parfois été exagérées. La finance comportementale n’est pas totalement
différente de la finance néoclassique. La meilleure manière de résumer la
différence entre ces deux courants est, sans doute, de dire que la finance
comportementale est plus éclectique, plus ouverte aux contributions des
autres sciences sociales et moins concentrée sur l’élégance des modèles en
soulignant l’évidence qu’elle décrit avant tout des comportements
humains. »22
Cette question de l’évolution des paradigmes en finance ne débute pas,
cependant, avec la finance comportementale. Comme nous l’avons précé-
demment écrit, la finance néoclassique peut s’interpréter comme un pre-
mier changement de paradigme par rapport à la finance pratique et insti-
tutionnaliste qui prévalait jusqu’au début des années 1960 et elle a mis un
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certain temps à devenir le paradigme régnant en raison de la résistance que
lui ont opposé les chercheurs qui dominaient les réseaux académiques de
l’époque. La reconnaissance des travaux de Markowitz a pareillement été
assez longue et, au départ, comme il le souligne lui-même, on ne considé-
rait même pas qu’il s’agissait de finance. Même à l’intérieur de la finance
néoclassique, un article aussi novateur que celui de Black et Scholes por-
tant sur l’évaluation des options a également eu beaucoup de mal à être
publié. Et il semble que les oppositions rencontrées aient été encore plus
fortes pour l’article de Jensen et Meckling.
Les thèmes des modalités d’évolution des paradigmes scientifiques et
des changements de paradigme occupent une place centrale en épistémo-
logie des sciences avec des auteurs aussi emblématiques que Kuhn, Popper
et Lakatos. Nous ne reviendrons pas ici sur leurs positions très connues.
Nous souhaitons juste mentionner que la lecture des différents chapitres
consacrés aux grands auteurs donne une idée assez exacte de cette évolu-
tion paradigmatique. L’identification d’une rupture paradigmatique se fait
principalement en fonction des atteintes portées au noyau dur d’une théo-
rie. Si on suit l’évolution de la finance moderne, la première atteinte
significative au noyau dur de la finance néoclassique a été faite avec l’intro-
duction de l’asymétrie d’information et des conflits d’intérêts. La seconde
atteinte porte sur une composante encore plus centrale celle de l’hypothèse
de rationalité forte. Elle commence, à notre sens, non pas avec la finance
comportementale, mais avec la théorie positive de l’agence qui repose sur
la même hypothèse de rationalité limitée que la théorie des coûts de tran-
saction. La finance comportementale ne fait que poursuivre dans cette
voie, de façon encore plus accentuée.
22. Cette traduction est issue de Schinckus (2009, p. 121).
42 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

À travers les travaux des grands auteurs, on peut percevoir l’histoire des
luttes continuelles qui les opposent et qui permettent de bien illustrer la
relative brutalité de la concurrence scientifique et la fragilité des connais-
sances tenues pour acquises. S’il y a changement de paradigme, la résis-
tance exercée par la finance néoclassique, la « vieille » finance reste très
forte, en raison, entre autres, de sa plasticité. D’une certaine manière,
certains considèrent, aujourd’hui, que les travaux de finance associés à
l’asymétrie d’information s’ils conservent l’hypothèse de rationalité forte
sont à rattacher à la finance néoclassique. Cette résistance se traduit aussi
au niveau des travaux empiriques. Dès qu’une étude empirique met en
évidence une anomalie par rapport au cadre néoclassique, on voit appa-
raître une autre étude qui, en modifiant une hypothèse auxiliaire, parvient
à un résultat permettant d’éliminer l’anomalie, confirmant la non-réfuta-
bilité qu’on peut déduire de la thèse de Duhem-Quine. L’article d’Albouy
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(2005) qui fait le point des travaux empiriques portant sur l’hypothèse
d’efficience illustre très bien cette résistance du paradigme dominant.
Ce que révèle également la lecture des chapitres, c’est que certains
grands auteurs n’hésitent pas, en fonction du problème traité et en fonc-
tion de l’évolution du champ, à contribuer aux différents paradigmes de
la finance. Même des auteurs très ancrés dans le paradigme néoclassique
ont fait des contributions hétérodoxes importantes. Fama a été un des
auteurs fondateurs du courant de la théorie positive de l’agence. Roll a
produit un des premiers articles importants en finance comportementale
appliquée à l’entreprise. Ross a joué un rôle pionnier dans la construction
de la théorie du signal et de la théorie de l’agence. Shleifer, parallèlement
à ses travaux fondateurs en finance comportementale, a fortement contri-
bué au développement de la finance d’entreprise à partir d’approches
standards en théorie de l’agence. Autrement dit, même s’il y a des guerres
de religion parfois féroces dans le domaine de la finance, il semble que de
nombreux grands auteurs aient adopté une attitude très souple et pra-
tiquent, de fait, un agnosticisme financier…
La plasticité de la finance néoclassique semble d’ailleurs être pareille-
ment revendiquée par la finance comportementale dans la mesure où elle
manifeste, parfois, la volonté d’absorber la finance néoclassique comme
cas particulier (Thaler, 1999 ; Shinckus, 2009). Une telle attitude « impé-
rialiste » peut aussi s’observer dans le courant de la théorie des contrats
incomplets appliquée à la finance, comme en témoignent certains travaux
récents de Hart et de Tirole qui intègrent une forte dimension comporte-
mentale. Aujourd’hui, la lecture de certains articles (par exemple, Lo,
2004) laisse à penser qu’un certain syncrétisme est en train de s’établir en
finance.
43
Introduction

3.3. Les relations de la théorie financière avec la


pratique
Le troisième enseignement qu’on peut tirer de la lecture de cet ouvrage
concerne les rapports compliqués qu’entretient la théorie financière avec
la pratique de la finance.
Comme MacKenzie (2007) le rappelle « When in 1968 David Durand,
a leading figure from the older form of the academic study of finance, inspected
the mathematical models that were beginning to transform his field he com-
mented that ’The new finance men... have lost virtually all contact with terra
firma’ ».
Ce manque de contacts des chercheurs en finance avec la réalité est
souvent invoqué pour expliquer le fait que la théorie financière aurait un
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faible impact sur les décideurs financiers, comme semble le confirmer le
célèbre article de Graham et Harvey (2001) ou, encore, l’étude de
Copeland (2002), qui, à l’issue d’une série d’interviews de praticiens de la
finance, conclut que la majeure partie de ce qui est enseigné en finance est
de peu d’utilité pratique, que les revues scientifiques de finance sont rare-
ment lues par les praticiens, y compris par ceux qui ont reçu une forma-
tion doctorale et que les compétences qui leur sont utiles pour exercer
leurs fonctions ont été acquises par l’expérience.
Cette conclusion, très pessimiste, peut néanmoins être sinon contestée,
du moins très fortement nuancée, sur la base de deux arguments princi-
paux.
Premièrement, elle semble bien davantage s’appliquer à la finance
d’entreprise qu’à la finance de marché. Il suffit de voir l’évolution des
produits financiers proposés et des pratiques de gestion du risque, pour
constater l’empreinte profonde de la théorie financière sur la pratique dans
ce domaine via sa fonction transformative et performative (McKenzie et
Millo, 2003 ; McKenzie, 2004). La seule lecture d’ailleurs des pages finan-
cières d’un journal ou des informations diffusées sur Internet à l’intention
des investisseurs suffit à confirmer cette influence, puisqu’on y trouve des
indicateurs directement issus de la recherche en finance. On ajoutera que
la lecture des notices biographiques des grands auteurs montre qu’ils ont
exercé fréquemment des fonctions de conseils ou de gestionnaires de fonds
d’investissement, parfois qu’ils ont créés. Certains d’entre eux ont accom-
pli également une partie importante de leur carrière dans la banque privée,
d’autres auprès de la Banque fédérale. Il est donc difficile de leur dénier
tout contact avec la réalité…
44 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

Cette influence sur la pratique d’ailleurs n’a pas eu que des effets posi-
tifs. Alors que l’application des enseignements de la théorie financière était
censée améliorer l’efficience des marchés financiers et permettre une bien
meilleure gestion des risques, comme dans beaucoup d’autres domaines,
on a assisté à l’émergence d’effets pervers en raison de la complexité crois-
sante des systèmes financiers à laquelle a conduit la création des nouveaux
produits financiers et la sophistication croissante de la gestion des risques
(Albouy, 2012). Autrement dit, en transformant la réalité, les applications
de la théorie financière semblent, au moins pour partie, responsables de la
fragilité des systèmes financiers à l’origine des récentes crises financières.
Certains vont même jusqu’à prétendre que les enseignements de la théorie
financière, à travers des grilles de lecture telles que la théorie de l’agence
(Goshal, 2005), auraient modifié les comportements des acteurs en ren-
forçant l’opportunisme et les infractions à l’éthique. La théorie financière
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serait ainsi à l’origine, au moins pour partie, des crises récentes. À l’évi-
dence, les comportements contraires à l’éthique sont aussi anciens que
l’Humanité et sont loin d’être cantonnés à la sphère financière. Toutefois,
on peut être troublé par les résultats des études expérimentales qui ont été
conduites sur les comportements des étudiants ayant suivi des études
d’économie et de gestion, lesquels apparaissent effectivement sensiblement
plus égoïstes et opportunistes (Frank et al., 1993).
Deuxièmement, au-delà des effets évidents de la théorie financière sur
l’évolution tant de l’organisation des marchés financiers que des pratiques
des opérateurs et des effets présumés sur les comportements éthiques des
financiers, on peut également mettre en avant, comme le fait Charreaux
(2008), l’influence cognitive de la théorie financière. Comme le rappelle
Morgan (1998, p. 320) « […] the function of models […] would be to bring
into focus, and help us to understand or interpret, the economic world and,
perhaps, our economic theories ». Une telle conception, proche de la pers-
pective rhétorique de McCloskey (1990) qui compare les modèles à des
métaphores, met en avant le rôle « cognitif » des modèles en tant qu’ins-
truments d’investigation, de formulation de conjecture et d’exploration
conceptuelle. Un modèle, même s’il est manifestement faux ou caricatural,
constitue un outil permettant d’apprendre sur le monde, voire de le trans-
former. Il suffit pour s’en convaincre de voir comment les concepts de
valeur actionnariale et de gouvernance d’entreprise forgés par la théorie
financière ont imprégné les discours des dirigeants et des praticiens de la
finance ainsi, d’ailleurs, que ceux des opposants à la finance. Il en est de
même de nombreux outils issus de la théorie financière qui, même s’ils
sont appliqués parfois de façon inadéquate, ont fortement influencé le
langage de la pratique financière.
45
Introduction

Cette importance des cadres cognitifs avait d’ailleurs été soulignée, à


juste titre, par Keynes (1936) dans sa conclusion de la Théorie générale
qui s’applique tout autant aux idées financières.
« […] les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’économie et de
la politique ont plus d’importance qu’on ne le pense généralement. À vrai
dire le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes
d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales
sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. […] ce sont les
idées et non les intérêts constitués, qui, tôt ou tard, sont dangereuses pour
le bien comme pour le mal. »

Conclusion
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Pour conclure cette longue introduction aux travaux des grands
auteurs, nous souhaitons évoquer brièvement deux points qui nous
semblent importants. Le premier concerne les limites de cette introduc-
tion, le second, les axes potentiels de renouvellement de la théorie finan-
cière.
En proposant cette introduction, dont l’objectif est de guider le lecteur
dans sa lecture de l’histoire de la finance moderne à travers les œuvres des
grands auteurs, nous avons livré notre propre vision qui est le fruit de
notre expérience, de notre (in)culture économique et financière, de notre
subjectivité. Toute interprétation historique est une reconstitution subjec-
tive et la nôtre n’échappe à la règle. Un enseignant chercheur en finance
de marché aura fréquemment une interprétation différente de celle d’un
de ses collègues spécialiste de finance d’entreprise. Il en sera souvent de
même en fonction des méthodes qu’il privilégie, mais aussi du moment où
il a commencé sa carrière et de l’université où il a fait ses études, puis des
postes qu’il aura occupés. Si on revient aux chapitres décrivant les apports
des grands auteurs, on perçoit clairement des différences très sensibles
entre les grands auteurs qui ont obtenu leur doctorat à l’Université de
Chicago et les autres. Ce déterminisme, malgré tout, n’est que partiel et la
pensée d’un grand auteur évolue au cours de sa carrière en fonction des
collègues auxquels il se confronte et de l’évolution de ses recherches. Ainsi,
si Jensen a été, au début de sa carrière, très marqué par ses études docto-
rales à Chicago où il a subi l’influence de Miller et Fama, on perçoit net-
tement comment son rattachement ultérieur à Harvard a influencé ses
idées, par exemple, quant à l’intérêt des études de cas, aux limites de la
valeur actionnariale ou à la question de l’intégrité des dirigeants.
46 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

Le second point porte sur les pistes d’évolution potentielle de la théorie


financière qui peuvent être perçues. Un ouvrage consacré à de grands
auteurs privilégie nécessairement des travaux relativement anciens compte
tenu du temps nécessaire à leur reconnaissance par le milieu scientifique.
Les travaux qui ont valu leur notoriété aux grands auteurs sélectionnés ont
habituellement plus de trente ans. Même si les grands auteurs choisis ont
su, pour certains, faire évoluer leur pensée et continuer à être très créatifs,
on peut penser que les travaux les plus novateurs aujourd’hui sont ceux
qui sont entrepris par les futurs grands auteurs, ceux qui seront présents
dans les éditions ultérieures de cet ouvrage. Si la collection des grands
auteurs existe encore, il est fort probable que ce seront nos successeurs qui
coordonneront ces nouvelles éditions. Toutefois, nous aimerions faire un
bref effort de prospective, malgré les limites bien connues de ce type de
tentative (Rainelli-Le Montagner, 2008), en tentant d’identifier quelques
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axes prometteurs.
L’économie a fortement influencé le développement de la finance
comme on peut le voir à travers la construction de la finance néoclassique
et de la finance comportementale. On peut vraisemblablement supposer
que certains développements récents en économie trouveront leur traduc-
tion en finance. Les tentatives faites par Benabou et Tirole23, depuis plus
d’une décennie, pour intégrer les « croyances motivées » – par exemple les
excès de confiance, les dénis de réalité, les aveuglements délibérés –, et
leurs conséquences au niveau individuel et social, dans le champ de l’éco-
nomie, semblent être une voie particulièrement prometteuse, spéciale-
ment pour expliquer les crises financières. Elles participent de ce mouve-
ment d’humanisation de l’économie et de la finance déjà évoqué et d’inté-
gration de dimensions psychologiques et sociales dans la théorie écono-
mique. Il en est de même pour certains travaux récents de Shiller (2017)
qui se rattachent à la psychologie sociale, en mettant l’accent sur les nar-
ratives, c’est-à-dire les histoires que se racontent les acteurs économiques,
pour expliquer les crises à travers leur diffusion. Au-delà de l’étude des
marchés financiers, les dimensions comportementales issues de la psycho-
logie et de la psychologie sociale ont commencé à transformer les
approches en finance d’entreprise et en gouvernance (Charreaux, 2005 ;
Baker et Wurgler, 2013 ; Malmendier et Tate, 2015). On peut s’attendre
en conséquence à ce que la dimension psychologique, déjà très présente,
imprègne de plus en plus la théorie financière qu’elle traite de finance de
marché, de finance d’entreprise ou de gouvernance.
Au-delà de l’économie comportementale, qui paraît être l’axe le plus
dynamique de développement de la finance, d’autres axes semblent poten-
23. Pour un aperçu récent de leurs travaux, on consultera Bénabou (2015) et Bénabou et Tirole (2016).
47
Introduction

tiellement prometteurs. Deux de ces axes sont évoqués par Jovanovic


(2012). Le premier est adossé aux sciences sociales, tout particulièrement,
à la sociologie et à l’anthropologie et vise à expliquer le fonctionnement
des marchés en fonction de la personnalité des acteurs et de leur position-
nement dans les réseaux financiers (Knorr Cetina et Preda, 2012). Cette
logique sociologique permet de mieux appréhender le comportement des
investisseurs qui décident fréquemment de leurs placements en fonction
des conseils de leur voisinage familial ou professionnel. L’explication du
home bias au niveau international peut, par exemple, trouver à s’expliquer
sur la base de cette perspective. Le second axe résulte d’un adossement de
la finance non plus aux sciences sociales, mais au contraire, aux sciences
dures, à travers l’éconophysique24. L’ambition de cette approche est de
substituer à l’économie, les modèles issus de la physique pour étudier les
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phénomènes financiers. Un troisième axe peut également être identifié à
travers les travaux de Lo (2004, 2017) qui tente d’appliquer la biologie
évolutionniste et les neurosciences à l’analyse des marchés et des institu-
tions financières. Si les axes qui viennent d’être évoqués mobilisent
d’autres sciences que l’économie, il est aussi possible de proposer des voies
d’investigation plus proches en faisant appel à l’économie évolutionniste
ou à certaines branches des sciences de gestion comme le management
stratégique ou le marketing. Le recours de plus en plus fréquent à l’hypo-
thèse de rationalité limitée dans le champ de la finance devrait faciliter, à
terme, un rapprochement entre les littératures financières et stratégiques,
ces dernières ayant particulièrement étudié les processus à l’origine même
de la création de valeur à travers les courants des ressources et des compé-
tences (Charreaux, 2002 ; Dempsey, 2014). Le rapprochement entre
finance et marketing25 peut également être fructueux pour mieux com-
prendre, par exemple, le rôle du marketing financier dans les processus de
décision des investisseurs. La voie ouverte par la littérature sur les styles
d’investissement peut être considérée comme participant de ce rapproche-
ment.
Dans un dernier mot, nous souhaiterions dire le plaisir que nous avons
eu à coordonner cet ouvrage et à collaborer avec les auteurs des différents
chapitres qui, pour nombre d’entre eux, sont de vieux amis qui nous ont
accompagnés tout au long de notre carrière et auxquels nous souhaitons
rendre hommage.
24. Pour une synthèse, voir Chakraborti et al. (2011a et b).
25. Un auteur comme Thaler a d’ailleurs fait un certain nombre de contributions au marketing (Thaler,
1980 et 1985).
48 LES GRANDS AUTEURS EN FINANCE - 2e ÉDITION

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Annexe
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(juillet 2016 ; en italiques figurent les noms des auteurs non retenus
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