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11.

ÉVALUATION DES CAPACITÉS PRAGMATIQUES ET DISCURSIVES

Geneviève de Weck, Mireille Rodi


in Bernadette Piérart, Le langage de l’enfant

De Boeck Supérieur | « Questions de personne »

2005 | pages 195 à 212


ISBN 9782804145620
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/le-langage-de-l-enfant---page-195.htm
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11
Évaluation des capacités
pragmatiques et discursives
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Geneviève de Weck, Mireille Rodi

INTRODUCTION
L’objectif de ce chapitre est de présenter les principes méthodologiques
et quelques outils d’évaluation des capacités pragmatiques et discursives
des enfants, ainsi que leurs fondements. Précisons d’emblée que nous
nous limitons ici à la production langagière1.
Dans la première section de ce chapitre, une définition des principales
caractéristiques des perspectives pragmatique et discursive est propo-
sée, en les différenciant de la perspective structurale, encore actuellement
la plus répandue et préconisée aussi bien par les chercheurs que par les
cliniciens. Afin que l’importance de ces perspectives soit bien comprise,
nous les mettons en lien avec des théories de l’acquisition du langage et
avec les études sur les troubles pragmatiques et discursifs d’une part, et
nous rappelons brièvement les enjeux d’une évaluation logopédique-
orthophonique des capacités langagières d’autre part.
La seconde section est consacrée aux principes méthodologiques
sous-jacents à l’évaluation des interactions verbales. Nous discutons des

1. Voir ch. 9 du présent ouvrage pour l’évaluation de la compréhension des aspects


pragmatiques du langage.

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L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

situations d’interaction dans lesquelles sont réalisées les observations, du


recueil et de la transcription des productions langagières, ainsi que des
caractéristiques de ce type d’observation en regard des critères généra-
lement retenus pour valider un outil d’évaluation.
Dans les troisième et quatrième sections, l’analyse et l’évaluation
proprement dites des capacités pragmatiques d’une part et discursives
d’autre part sont abordées. Pour chaque domaine, nous présentons divers
outils. On notera que les âges des enfants pour lesquels ces outils peuvent
être utilisés varient beaucoup.

1 DÉFINITION DES PERSPECTIVES


PRAGMATIQUE ET DISCURSIVE
Les perspectives pragmatique et discursive ont en commun de se centrer
sur l’utilisation du langage dans les interactions verbales. En tant que
perspectives externes, elles tiennent compte du contexte de production
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et en analysent l’influence sur les productions langagières des partici-
pants à l’interaction. L’adaptation et l’adéquation des productions au
contexte peuvent ainsi être étudiées. Par ailleurs, les dialogues et les
discours, résultats d’une construction collective et donc d’un réseau
d’influences mutuelles, constituent les unités d’analyse privilégiées.
Du point de vue des spécificités de ces approches, la pragmatique
analyse les caractéristiques générales des dialogues (tours de parole,
gestion des thèmes, actes de langage, paires adjacentes de type question
– réponse, etc.). La perspective discursive étudie les genres de discours
en vigueur dans la société et leur appropriation par les enfants ; les
discours peuvent être polygérés ou monogérés, les premiers étant co-
produits par au moins deux interlocuteurs ; la gestion des seconds est
assumée par le seul locuteur. Pour tous les genres, il s’agit d’analyser la
planification discursive et les unités linguistiques qui ont un fonctionne-
ment discursif.
La distinction que nous proposons entre pragmatique et discours n’est
pas retenue par tout le monde, dans la mesure où le terme de pragmatique
peut avoir des extensions variables, incluant parfois des aspects relevant
du discours, tels que la cohésion. Cette frontière mouvante se retrouve
dans les outils que nous présentons dans les sections 3 et 4. Ainsi, la
section 3 concerne des outils privilégiant la dimension pragmatique, et la
section 4 se focalise sur la notion de genre de discours. Des aspects d’une
perspective sont parfois inclus dans l’autre.
Ces deux perspectives s’opposent à la perspective structurale, sous-
jacente à la plupart des tests de langage et à l’analyse du langage
spontané. Cette approche interne se caractérise par une centration sur la
connaissance de la structure de la langue et ne prend pas en considération

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Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

le contexte de production. Les analyses concernent essentiellement les


niveaux phonologique, lexical et (morpho –) syntaxique avec la phrase
comme unité maximale.
Les principes théoriques sous-tendant l’évaluation des capacités
langagières sont toujours dépendants de la façon de concevoir le dévelop-
pement du langage. Il s’agit donc de définir ce que les enfants ont à
acquérir pour déterminer ce qui sera évalué. Les perspectives pragmati-
que et discursive sont en étroite relation avec les théories interactionistes
(Vygotski, 1936/1985 ; Bruner, 1983 et 1987). L’accent y est mis sur
l’acquisition de capacités à gérer des productions verbales qui forment un
tout, et qui sont articulées à des contextes de production diversifiés2. Par
ailleurs, une hypothèse centrale des théories interactionistes postule que
les capacités langagières des locuteurs varient en fonction des genres de
discours à (co-)produire : l’emploi d’unités linguistiques et/ou la gestion
d’une conversation peuvent donc s’avérer aisés dans un genre discursif
donné et l’être beaucoup moins dans un autre.
Dans le même sens, certains troubles du développement du langage
(dysphasies) se définissent aussi selon ces perspectives. Sans entrer dans
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les détails (pour une synthèse en français, voir de Weck et Rosat, 2003),
on rappellera la possibilité que des enfants présentent des troubles
pragmatiques – concernant différents aspects de la gestion des conver-
sations – et/ou des troubles discursifs – relatifs à la planification et à
l’emploi d’unités linguistiques. Ces troubles ne peuvent être mis en
évidence par des tests structuraux et l’analyse du langage spontané,
même si ceux-ci analysent des unités linguistiques également retenues
dans les approches discursives (Dunn et al., 1996). En effet, d’une part
les critères restent essentiellement phrastiques, et d’autre part les tâches
diffèrent grandement : compléter et/ou répéter des phrases, par exemple,
n’impliquent pas les mêmes capacités langagières que la production
d’énoncés dans le cadre d’un genre de discours particulier.
Dans ces conditions, évaluer les capacités langagières des enfants,
dans le cadre d’une consultation logopédique-orthophonique, signifie
évaluer leurs capacités à participer à la co-production de différents genres
de discours. Il s’agit d’analyser la façon dont ils parviennent à gérer une
conversation, à s’adapter à leurs interlocuteurs, à choisir les modèles de
discours appropriés à la situation, à planifier les différentes séquences
discursives, à utiliser les unités linguistiques de façon appropriée, etc.
Cette évaluation vise ainsi à apprécier aussi bien les difficultés que les
ressources des enfants dans les différents domaines cités, ainsi que celles
de leur entourage.

2. Voir les ch. 8 et ch 10 du présent ouvrage pour un aperçu du développement des


capacités pragmatiques et discursives respectivement.

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L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

2 PRINCIPES MÉTHODOLOGIQUES
Plusieurs principes méthodologiques sous-tendent la démarche d’ana-
lyse des interactions verbales. Ils concernent trois aspects : les situations
d’interaction, le recueil et la transcription des données. Faute de place,
nous ne les détaillons pas, mais indiquons quelques éléments principaux
(voir de Weck, 2002).

2.1 Les situations d’interaction


Les situations d’interaction sont définies en termes d’activités langagières
qui permettent de co-produire différents genres de discours, variant du
point de vue du degré de polygestion vs monogestion. Les principales
caractéristiques de ces situations sont précisées en termes de paramètres
contextuels dont on sait qu’ils influencent la production discursive
(Bronckart, 1996). Il s’agit notamment du but, des rôles énonciatifs des
participants, de la relation entre ces derniers (et notamment du degré de
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connaissance partagée du référent), ainsi que de la nature du référent
(événements fictifs, événements vécus, matériel à construire, jeu, etc.) et
de sa relation au contexte (présence vs absence notamment). Que ce soit
dans le cadre de recherches ou d’évaluations cliniques, il importe de
proposer plusieurs activités langagières afin de les comparer. En effet, les
locuteurs n’actualisant pas leurs capacités langagières de façon identique
dans toutes les situations, une évaluation différentielle de cette actualisa-
tion permet d’apprécier le degré de facilité vs difficulté des situations
proposées. Au-delà de l’évaluation, une telle comparaison permet de
préciser les situations les plus favorables ; elles peuvent alors constituer
une base pour l’élaboration de démarches thérapeutiques.
Deux situations d’interaction sont souvent utilisées par les cliniciens
et les chercheurs. Il s’agit d’une part de la communication référentielle
(McTear et Conti-Ramsden, 1992). Dans la mesure où la communication
non verbale y est supprimée en raison de l’écran séparant les interlocu-
teurs, cette situation est considérée par certains auteurs comme étant
performante dans la mise en évidence de troubles pragmatiques (Bishop
et Adams, 1991) ou lors des thérapies (Lamb et al., 1997).
D’autre part, avec les enfants d’âge pré-scolaire surtout, le jeu
symbolique constitue un outil intéressant pour l’évaluation des capacités
langagières (Rescorla et Goossens, 1982 ; Roth et Clark, 1987 ; de Weck,
1996, entre autres). Ce contexte d’interaction peut être envisagé comme
propice à l’exploration des ressources langagières de l’enfant sur le plan
représentatif et communicatif. Dans une situation de jeu symbolique,
l’activité langagière n’est pas perçue exclusivement comme la transmis-
sion d’un contenu informationnel, mais également comme un instrument
de construction d’une relation intersubjective. Les productions verbales

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Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

des deux interlocuteurs et leurs influences réciproques sont prises en


compte (voir 2.2), aucune forme linguistique ne pouvant être observée en
soi. Par ailleurs, les va-et-vient entre réel et imaginaire, entre présence et
absence des référents, actualisent différents genres de discours. De plus,
la présence du référent permet d’observer certaines capacités telles que
la planification locale, thématique, la manifestation de diverses fonctions
communicatives (verbales ou non verbales) notamment au moyen de
l’action. Enfin, une situation d’interaction ancrée dans un contexte
concret, avec un partenaire familier (souvent la mère), permet de mieux
cerner les capacités et les difficultés langagières d’un enfant, de saisir les
manières d’étayer l’enfant, verbalement ou non (Rodi et Moser, 1998).

2.2 Recueil et transcription des productions


L’interaction entre l’enfant et son interlocuteur, un adulte généralement,
est enregistrée et/ou filmée. La durée de cette interaction n’excède
généralement pas 30 minutes. Dans un second temps, les productions
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sont transcrites. Cette transcription permet d’atteindre différents objectifs
concernant le diagnostic ou l’évolution de la thérapie. Elle permet de
« fixer » certains aspects de la production langagière d’un sujet, afin de
pouvoir effectuer des comparaisons ultérieures (Ménager et Abou Haidar,
2002). Le corpus ainsi obtenu est ensuite analysé selon des critères
définis préalablement. C’est l’objet des sections 3 et 4 de ce chapitre.
Sans entrer dans le détail des conventions3 précisons quelques
éléments concernant la transcription. Celle-ci concerne le dialogue dans
son ensemble, dans la mesure où il s’agit le plus souvent d’une production
polygérée de discours. Rares sont les moments où les enfants font preuve
de capacité de monogestion, ces moments-là étant aussi à prendre en
considération.
Considérer le dialogue dans son ensemble signifie en effectuer une
transcription intégrale. Une transcription partielle (les x premières minu-
tes ou tours de parole) ne permet pas une analyse des phénomènes
discursifs globaux, et oblige à se limiter à une analyse de la textualisation
locale. De plus, selon la nature du référent, des indications non verbales
sont également relevées, en fonction de leur pertinence par rapport à la
situation. Dans le jeu symbolique, par exemple, un enfant peut prendre
son tour de façon non verbale, sous forme d’une action et/ou d’un geste
pertinents par rapport au tour de parole précédent, ce qui permet à
l’interlocuteur de poursuivre l’interaction. De même, sont prises en
considération les interventions des deux partenaires. On notera toutefois
que, même si ce principe nous paraît fondamental, il n’est pas respecté

3. Différentes conventions de transcription peuvent être adoptées (voir par exemple


MacWhinney, 2000 ; Mondada, 1994 ; Tetnowski et Franklin, 2002 ; de Weck, 2002).

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L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

dans tous les outils présentés par la suite ; il l’est surtout dans les
approches évoquées dans la quatrième section de ce chapitre.
Pourquoi est-il important de transcrire et d’analyser aussi les interven-
tions de l’interlocuteur de l’enfant ? D’une part, l’analyse conversationnelle
montre que les interventions de chaque participant sont fortement
dépendantes de celles de l’interlocuteur. En ce sens, se limiter à analyser
uniquement les productions de l’enfant peut mener à une évaluation
erronée. La seule prise en compte de ses réponses aux questions de
l’adulte en est un exemple classique. Il peut être considéré à tort comme
économe, alors que l’adulte lui pose essentiellement des questions
fermées.
D’autre part, la participation verbale de l’enfant et celle de l’adulte à
la co-construction discursive peuvent être appréhendées, aussi bien en
termes quantitatifs que qualitatifs (cf. section 4). À certains moments de
l’interaction, les interventions de l’adulte peuvent par ailleurs jouer un rôle
d’étayage verbal, dont on sait le rôle primordial dans l’acquisition des
capacités langagières (Bruner, 1983 et 1987). Son analyse permet de
déterminer les formes et les fonctions des stratégies utilisées par l’adulte
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(Rondal, 1983 ; Rosat, 1998 ; de Weck, 1998, 2000, notamment), et
d’apprécier les réactions de l’enfant. Cette double appréciation vise à
rendre compte de la zone proximale de développement de l’enfant
(Vygotski, 1936/1985) dans le but d’élaborer des priorités pour l’inter-
vention logopédique-orthophonique.
Enfin, la transcription des interventions de l’adulte permet d’estimer
l’effet de la variation de l’interlocuteur sur l’actualisation des capacités
langagières de l’enfant, si ce dernier interagit avec diverses personnes.
Une différence d’interlocuteur peut avoir des répercussions importantes
sur la quantité et la qualité des productions de l’enfant. Des travaux
commencent à montrer la pertinence de comparer des interactions mère
– enfant et logopédiste – enfant, de les analyser non seulement sur le plan
affectif-relationnel, mais également sur le plan des interactions verbales
(Moser et Rodi, 1997). En effet, dans l’idée d’observer un éventail élargi
de capacités langagières, nous pouvons supposer que la mère (souvent
interlocuteur privilégié de l’enfant) joue un rôle facilitateur dans l’actua-
lisation de ses capacités. Elle est susceptible de connaître certaines de ses
ressources et stratégies langagières, de pouvoir en faire l’inventaire et de
les mettre à profit. Ces aspects peuvent être fort instructifs dans le choix
de la mise en place d’une intervention sous forme de guidance par
exemple (Rodi et Seydoux, 2003).
Pour clore cette discussion méthodologique, notons que les outils
pragmatiques et discursifs ne peuvent présenter les mêmes caractéristi-
ques que les tests structuraux4 Sans entrer dans les détails, signalons

4. Pour un rappel de ces caractéristiques, voir Rondal (1997).

200
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

simplement que si l’observation des interactions est moins standardisée


qu’un test structural, certains aspects peuvent l’être : le matériel, la
consigne générale, le rôle des participants, la durée de l’interaction, mais
évidemment pas ce qui s’y passe. Le déroulement d’une interaction relève
de la dynamique conversationnelle, de la variété des genres de discours
co-produits, des types d’intervention des participants, etc., qui par
définition constituent des aspects non totalement contrôlables. Par ailleurs,
qu’en est-il de la validité des instruments d’évaluation dans une perspec-
tive interactioniste ? Si l’on pense notamment au fonctionnement discur-
sif des unités linguistiques, la validité des observations est plus grande
que dans un test structural. En effet, avec une telle perspective, on peut
approcher non seulement le fonctionnement local (intra-énoncés), mais
surtout le fonctionnement global (inter-énoncés). Quant à la rigueur dans
l’analyse des interactions, elle est fonction de la précision des critères
retenus dans les outils d’analyse.
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3 ÉVALUATION DES CAPACITÉS PRAGMATIQUES
Une approche pragmatique de l’évaluation des capacités langagières
implique l’établissement de liens entre la forme d’un énoncé et un
contexte de communication. Dans ce sens, trois questions peuvent
orienter l’observation clinique : le but des productions langagières de
l’enfant (French, 1989), leur contenu (cohérence des topics) et la
manière de s’exprimer. Des auteurs ont ainsi porté leur attention sur l’une
ou l’autre de ces questions par des moyens de formalisation différents
(tests, inventaires, etc.).

3.1 Les épreuves standardisées


Lorsque chercheurs et cliniciens ont commencé à s’intéresser aux as-
pects pragmatiques, ils ont tenté d’élaborer des outils présentant les
caractéristiques des tests. Or ce but est difficile à atteindre en vertu des
domaines considérés. Les premières tentatives ne sont donc pas vraiment
satisfaisantes, d’autant plus que les critères retenus ne concernent que
quelques aspects pragmatiques en plus d’autres aspects structuraux de
la langue. Par ailleurs, les interventions de l’adulte et de l’enfant sont
souvent contraintes par un protocole de passation précis. Nous en
évoquons deux pour le français.
D’une part, la méthode d’Évaluation du langage accompagnant le jeu
(Le Normand, 1986, 1991) a été élaborée dans le but de saisir comment
l’enfant (de 2 à 4 ans) s’exprime dans une situation de jeu symbolique
avec un adulte qui opte pour un comportement peu directif. Plusieurs

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L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

analyses (non verbale, pragmatique, phonologique, lexicale,


morphosyntaxique) sont proposées à partir d’une transcription intégrale
de l’interaction. Pour la dimension pragmatique, l’analyse concerne
certains actes de langage (demande d’information, d’action), types
d’interventions (dénomination, commentaire, humour), ainsi que la prise
de rôles dans le dialogue. Cette situation permet également d’observer
l’évolution du jeu symbolique, de la représentation vers 2 ans à l’utilisation
de scripts vers 4 ans.
D’autre part, Chevrie-Muller et ses collaboratrices (1988) tentent,
dans la Batterie d’évaluation psycholinguistique, de recouvrir les aspects
représentatif et communicatif du langage. Afin d’y inclure le deuxième
aspect, les auteures proposent une épreuve intitulée le Bain de Poupée
constituée d’un matériel standardisé. Le déroulement de l’interaction est
dirigé, impliquant la réalisation d’actions précises et la production de
questions spécifiques de la part de l’adulte. L’évaluation implique diffé-
rents niveaux (lexique et morphosyntaxe pour la dimension structurale de
la langue ; incitation verbale, intérêt pour le jeu, demandes et réponses
pour la dimension pragmatique).
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Plus récemment, des propositions plus satisfaisantes s’inscrivant
dans une approche interactioniste ont vu le jour. Elles concernent des
enfants de différents âges. Nous en décrivons deux5.
L’Échelle d’Évaluation de la Communication Sociale Précoce (ECSP,
Guidetti et Tourette, 1992 et 1993) permet d’évaluer plusieurs dimen-
sions du développement social et communicatif au sein d’une relation
adulte – enfant. Ce test vise l’identification des compétences interaction-
nelles d’enfants de 3 à 30 mois, en se basant sur l’hypothèse d’une
continuité fonctionnelle entre le développement prélinguistique et linguis-
tique (Bruner, 1983 et 1987). Il met en évidence des comportements
(échanges d’objets, attention conjointe ou pointage), certains étant
organisés en routines voire formats. Les vocalises et les premières
productions verbales sont également observées. Trois fonctions interac-
tives sont analysées :
– l’interaction sociale : agir pour attirer l’attention et établir une interac-
tion ludique ;
– l’attention conjointe : l’objet et/ou l’action sont le centre d’intérêt
principal des deux partenaires ;
– la régulation du comportement : agir sur l’autre pour atteindre un but.

Dans chacune de ces dimensions, les enfants peuvent assumer différents


rôles : dans les deux premières, ils peuvent initier un comportement, y
répondre ou encore le poursuivre au-delà de la réponse (maintien) ; dans

5. On peut également citer le Test of Pragmatic Language (Phelps-Teraski et Phelps-


Gunn, 1992), le Test of Pragmatic Skills (Schulman, 1985) et le protocole de Klecan-
Aker et Swank (1988), que nous ne pouvons présenter faute de place.

202
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

la régulation du comportement, seuls les rôles d’initiation et de réponse


peuvent être observés. Ces fonctions articulées aux rôles constituent
autant d’échelles – 8 séries d’items au total – dans lesquelles les compor-
tements possibles des enfants sont répertoriés en différents niveaux.
Richardson et Klecan-Aker (2000) tentent de mesurer au moyen d’un
test les effets d’un programme thérapeutique visant l’amélioration des
comportements pragmatiques d’enfants avec difficultés d’apprentissage.
Les épreuves sont présentées sous forme de questions ou de complétion
d’énoncés abordant des thématiques de la vie quotidienne. Ce test
comprend deux parties évaluant le versant expressif du langage. L’une
concerne les comportements sociaux observés sur la base de données
conversationnelles (4 tours de paroles). Les aspects suivants sont rete-
nus : les questions pour initier, maintenir ou terminer une conversation,
les demandes d’aides, les solutions à des situations problématiques
incluant des aspects de politesse et d’expression des émotions. L’autre
partie porte sur des usages fonctionnels, à savoir la dénomination et la
description d’objets.
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3.2 Les grilles et les inventaires pragmatiques
Les grilles et autres inventaires déterminent une liste de critères spécifi-
ques. Leur absence ou certains de leurs aspects déviants affectent
l’efficacité des actes illocutoires ou leur adéquation par rapport à certai-
nes attentes (Hilton, 1990). Ce domaine de recherche étant encore
récent, ces outils n’ont pas la prétention d’être exhaustifs. Ils contribuent
toutefois à l’établissement d’une taxonomie descriptive permettant l’éta-
blissement de profils de communication, en vue d’un diagnostic. Ils
présentent un degré variable de formalisation, concernent différents
aspects pragmatiques ou se focalisent sur un domaine particulier.

3.2.1 Les grilles d’observation

Plusieurs grilles d’observation sont disponibles, généralement en anglais,


certaines traduites en français. Elles définissent un ensemble de critères
couvrant plusieurs domaines de la gestion des discours. Elles proposent
aussi une formalisation de ces critères sous forme d’un protocole standar-
disé permettant d’estimer l’importance des comportements sur une
échelle à deux degrés (présence vs absence ; approprié vs inapproprié)
ou de fréquence (jamais, rarement, souvent, très souvent, par exemple).
Certaines s’adressent uniquement aux enfants, d’autres aussi aux adultes.
Hilton (1990) présente trois protocoles : les observations pragmati-
ques de Weinrich, Glaser et Johnston (1980), le plan d’intervention de
Hoskins (1987), et la liste de contrôle du langage pragmatique de

203
L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

Tattershall (1988). Ces trois protocoles comportent des similitudes quant


aux critères d’analyse sélectionnés :
– la gestion des topics : sont pris en considération l’introduction, le
maintien, le changement et le maniement des informations nouvelles
et anciennes ;
– certaines compétences conversationnelles telles que le début et la fin
d’une conversation et l’alternance des tours de parole ;
– l’adéquation du langage en fonction du contexte de production ;
– la variété des actes de langage ;
– la communication non verbale.

Pour l’élaboration du Pragmatic Protocol, Prutting et Kirchner (1987) ont


établi une taxonomie descriptive réunissant trente paramètres organisés
selon trois catégories :
– les aspects verbaux : actes de langage, gestion du topic, des tours de
parole, niveau lexical et variations stylistiques ;
– les aspects paralinguistiques : intelligibilité et prosodie ;
– les aspects non verbaux : kinésie et proxémie.
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L’observation est menée dans le cadre d’une conversation entre un enfant
(ou un adulte) avec troubles du langage et un partenaire familier. Chaque
paramètre est défini comme « approprié » ou « inapproprié » (tout paramè-
tre n’ayant pu être observé est ainsi signalé). L’intérêt et la pertinence de
ce protocole résident dans la mise en évidence des habiletés et des
manques sur le plan pragmatique dans une perspective thérapeutique. Il
permet de distinguer divers patterns de troubles pragmatiques. La gravité
des déficits observés ne peut cependant être appréciée, ceci nécessitant
une observation plus approfondie.
La Children Communication Checklist (CCC) de Bishop (1998) inclut
l’évaluation du fonctionnement sémantique et pragmatique. Elle permet
d’investiguer les difficultés de communication et d’obtenir des informa-
tions qualitatives sur leur spécificité chez certains enfants avec troubles
du développement du langage. Les critères sont répartis en neuf catégo-
ries (Nathan, 2002).
– l’intelligibilité et la fluence ;
– la syntaxe : longueur des énoncés, erreurs grammaticales ;
– les initiations inappropriées : capacité de s’exprimer adéquatement
en fonction du partenaire et de la situation d’interlocution ;
– la cohérence : informations appropriées, capacité de parler du futur
ou du passé ;
– les aspects stéréotypés de la conversation : formes redondantes
d’énoncés ou de thèmes de conversation ;
– l’utilisation du contexte conversationnel : compréhension des règles
de conversation, adéquation sociale, modifications linguistiques en
fonction de celles de l’interlocuteur ;

204
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

– le rapport conversationnel : appropriation des initiations et des répon-


ses, modifications en fonction des interventions du partenaire ;
– les relations sociales avec différents partenaires, enfants ou adultes ;
– les intérêts sociaux.

3.2.2 Les inventaires non standardisés

Les deux exemples d’inventaires généraux présentés dans cette section


proposent une liste de critères sans formalisation finale des observations.
Le premier a été établi sur la base de conversations et d’activités
davantage structurées (non précisées), et le second sur la base d’une
situation de jeu avec un matériel déterminé.
Letts et Reid (1994) définissent des catégories de comportements
déviants dans le contexte d’une interaction enfant – adulte, et mettent en
évidence les moments où l’information n’est pas échangée de manière
adéquate entre les participants. Le système comprend trois catégories :
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– les réponses à une initiation : changement radical de topic, réponse
inattendue mais en lien, réponse trop spécifique ou trop générale,
manque de sélection des informations, séquences parallèles ;
– problèmes dans la gestion de séquences d’interaction plus longues :
intervention inadéquate de l’enfant au cours d’un tour de parole de
l’adulte, non-compréhension des implications d’une intervention de
l’interlocuteur ;
– les inadéquations de sens : confusions lexicales, confusions dans
l’emploi de pronoms ou de prépositions, contradictions.

Law et al. (1999) présentent un mode d’analyse de vidéo qui synthétise


d’autres méthodes utilisées dans la clinique. Le contexte défini est une
interaction de 20 minutes entre un parent et son enfant dans une situation
ludique prédéfinie. Les dix premières minutes sont transcrites. Trois types
de catégories sont déterminées, certaines uniquement destinées à l’en-
fant ou à l’adulte, d’autres communes :
– structure du discours (catégories communes) : initiations et répon-
ses, verbales et non verbales, maintien de la continuité du discours
(verbal ou non), commentaires pour soi ;
– fonctions communicatives (adulte) : directive, interrogative, régula-
tion de l’interaction avec un effet positif ou négatif, répétition ;
– comportement linguistique (commun) : correction lexicale avec ou
sans possibilité d’apprentissage (adulte seulement), répétition avec
correction (adultes seulement), longueur moyenne des énoncés et
diversité lexicale (enfant), répétitions partielles diaphoniques (en-
fant), bruitages.

205
L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

Cette méthode a l’avantage de distinguer le comportement linguistique


des deux partenaires, de prendre en compte leurs spécificités et leur
contribution à la co-construction du discours. En outre, l’observation de
l’enfant en interaction avec un adulte familier permet d’obtenir des
informations sur la manière d’interagir des parents, de certaines données
socioculturelles du langage utilisé en famille.

3.2.3 Les inventaires focalisés

Certains inventaires se focalisent sur un aspect particulier de la dimension


pragmatique. Voici deux exemples : l’un concerne les intentions de
communication, et l’autre la gestion des topics.
Pour les très jeunes enfants, des équipes italiennes (voir Vernero,
1996) ont élaboré une échelle d’observation des intentions communica-
tives. Bien que moins ambitieuse, cette échelle est proche du point de vue
théorique de l’ECSP (voir 3.1.). Dans le cadre d’un jeu de construction,
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les comportements non verbaux et verbaux de l’enfant (de 9 à 36 mois)
sont enregistrés, afin d’en déterminer la fonction. Deux fonctions sont
analysées : la demande (d’action, d’information et d’attention) et la
déclaration, sous forme de descriptions d’objets au présent, ou de récit au
passé ou au futur, les descriptions pouvant concerner des objets externes
ou propres au sujet.
Quant à la gestion des topic, elle dépend de la contribution conjointe
des sujets en interaction et repose sur des connaissances à la fois
cognitives et langagières. Elle requiert des capacités relatives :
– à l’introduction du topic, qui permet l’initiation ou le changement de
thème6 ;
– au maintien de ce topic, impliquant la capacité de structurer et
d’organiser des informations liées au thème.

L’évaluation (Mentis, 1994) va porter sur ces deux aspects qui impliquent
l’utilisation d’unités linguistiques particulières. L’observation de l’intro-
duction des topics comprend trois critères : le nombre et le type (repris ou
nouveau) de thèmes introduits, ainsi que la manière de les introduire.
Concernant le maintien d’un topic, chaque apport d’informations des
divers interlocuteurs y contribue. Différents paramètres sont retenus : la
cohérence, locale et globale, la contribution aux informations nouvelles,
le maintien du thème sans apport d’information nouvelle, les séquences
parallèles, et les productions problématiques. Selon les troubles observés
au niveau de l’introduction ou du maintien, divers profils de gestion du

6. Nous utilisons les termes « topic » et « thème » de manière synonyme.

206
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

topic peuvent être définis. Néanmoins, d’autres facteurs interviennent


également sur les plans interpersonnel, sociocognitif, situationnel et
textuel ; il est nécessaire d’en tenir aussi compte lors de l’évaluation.

3.3 Les questionnaires adressés aux proches


L’évaluation clinique peut être complétée par une observation des
personnes familières de l’enfant, parents, grands-parents, enseignant et/
ou thérapeute(s). Des inventaires ont été élaborés à cet effet. Nous en
présentons deux.
Dans la CCC (Bishop, 1998, voir 3.2.1), 70 comportements commu-
nicatifs et verbaux sont répertoriés en neuf catégories. Les personnes
familières de l’enfant déterminent si ces comportements sont présents ou
non chez l’enfant. Certains items décrivent des capacités, d’autres des
difficultés.
Dans un même objectif d’évaluation des capacités communicatives,
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le clinicien peut proposer aux parents un entretien dirigé investiguant les
capacités de communication verbale et non verbale de l’enfant, notam-
ment autiste (Cuny et Gasser, 2000). La récolte des données est réalisée
au moyen d’une grille à double entrée. Cette grille est définie d’une part
par la situation particulière de communication (demande d’entrée en
interaction, demande d’action, d’objet, situation de protestation, com-
mentaires ou déclarations), et d’autre part par la manière d’y répondre
(agressive, passive, par le regard, l’action, la vocalisation, etc.). Cette
procédure permet de répertorier divers modes de communication de
l’enfant, en particulier sur le plan de la demande. L’entretien est suivi
d’une évaluation complémentaire par le thérapeute des capacités récep-
tives et expressives de l’enfant.

4 ÉVALUATION DES CAPACITÉS DISCURSIVES


La plupart des protocoles et tests évoqués dans la section 3 proposent une
analyse des productions de l’enfant pour l’essentiel, même si certaines
tiennent aussi compte de celles de l’adulte. Dans cette section, les
propositions comprennent une analyse des interventions de tous les
interlocuteurs. Diverses activités peuvent être réalisées, qui vont susciter
la production de différents genres de discours (récit d’expériences per-
sonnelles, narration, description, explication, discours injonctif, dialogue
de jeu symbolique etc.). Il s’agit alors d’évaluer les capacités discursives
des enfants, mais également la part de la gestion discursive assumée par
l’interlocuteur, généralement plus compétent que l’enfant, tant que celui-
ci n’est pas encore capable de monogestion. Lorsque les productions

207
L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

discursives sont polygérées, des éléments généraux de la gestion des


dialogues sont également à retenir. Par conséquent, les analyses se
basent sur des critères discursifs avant tout, mais parfois aussi pragma-
tiques. Dans ce qui suit, nous décrivons diverses manières d’évaluer les
capacités discursives. Bien que la notion de diversité des genres de
discours soit centrale dans cette perspective, certaines propositions se
focalisent exclusivement sur un seul genre, la narration, se faisant par là
l’écho de son importance dans les recherches sur l’appropriation des
discours (voir chapitre 10) et ses troubles (de Weck et Rosat, 2003, pour
une synthèse).
Le Systemic Functional Linguistics (SFL) (Halliday, 1994, cité par
Togher, 2001) permet d’évaluer les difficultés de langage chez des
enfants ou des adultes. La conversation y est considérée comme une co-
construction impliquant de la part des interlocuteurs des choix en accord
avec les données du contexte. Ces choix sont effectués en fonction de trois
types de significations :
– les significations idéationnelles : les mots utilisés ;
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– les significations interpersonnelles : l’orientation que prend la cons-
truction conjointe de l’interaction. Trois domaines sont analysés : les
marqueurs de politesse (modalisations de tout type), les structures
d’échanges (demandes et apports d’informations), les genres (narra-
tif, descriptif, expositif) ;
– les significations textuelles : les liens entre les mots sélectionnés et le
contexte d’une part et le co-texte d’autre part.

Cette approche confirme la nécessité d’évaluer divers genres de discours,


ainsi que des interactions avec des interlocuteurs variés, dans la mesure
où il existe un incontestable effet de familiarité du partenaire notamment
sur la cohésion des discours produits (Togher, 2001).
Concernant les types de discours utilisés à des fins d’évaluation, on
peut souligner l’importance de la narration7. En effet, selon Bliss et al.
(1998), la narration peut être considérée comme la base de plusieurs
types d’interactions sociales. Par ailleurs, le récit d’expériences passées
est produit par les enfants de toutes les cultures8. Ainsi, utiliser la narration
comme outil d’évaluation peut s’avérer d’un intérêt certain pour trois
raisons au moins (Botting, 2002). Premièrement, des études ont permis
d’établir des profils développementaux dans l’acquisition des capacités
de narration, et des comparaisons sont réalisables entre différentes
populations d’enfants avec ou sans troubles. Avec une situation impli-

7. On notera que beaucoup d’auteurs utilisent le terme narration de façon générique,


englobant la narration au sens strict, le récit d’expériences personnelles et la description
d’actions. C’est le cas de Bliss, et al. (1998).
8. Des différences culturelles peuvent toutefois être décrites (Bliss et al., 1998).

208
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

quant la narration, on peut observer le langage sous divers angles.


Deuxièmement, certains liens ont été mis en évidence entre la narration
et les capacités d’accès à l’écrit, notamment entre les aptitudes de
production de récits et la compréhension écrite (Cain et Oakhill, 1996).
Observer les capacités narratives peut donc fournir des renseignements
utiles à d’éventuels pronostics cliniques dans le domaine de l’apprentis-
sage du langage écrit. Finalement, l’étude de la production de narrations
peut informer le thérapeute sur certaines capacités et difficultés de
l’enfant sur le plan discursif (planification et textualisation).
Sur le plan de l’évaluation, The Bus Story (Renfrew, 1991, cité par
Botting, 2002) est une épreuve standardisée de rappel d’une histoire,
permettant d’observer les capacités langagières des enfants dans leurs
premières années de scolarisation et les liens entre leurs capacités
actuelles et leur entrée future dans l’écrit. Cette épreuve se base sur un
livre d’images, sans texte. Après avoir entendu le récit de cette histoire,
les enfants doivent la raconter à leur tour. Sont pris en compte le nombre
d’informations rapportées, de propositions subordonnées en fonction de
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l’âge et la longueur moyenne des énoncés. Botting (2002) tente d’évaluer
les capacités de narration d’enfants avec troubles linguistiques ou prag-
matiques au moyen de cette épreuve et d’une activité de production de
récit à partir d’un autre livre d’images sans texte (Frog story). Les critères
pris en compte dans cette évaluation permettent d’observer des aspects
quantitatifs (nombres de mots et de propositions9), certaines caractéris-
tiques narratives (termes référant aux théories de l’esprit, marques de
négation, de causalité, de modalisation et discours direct) et des aspects
de planification (schéma en cinq phases : ouverture, présentation des
personnages et/ou de la situation, mention explicite du thème, résolution
et clôture ; Tager-Flusberg, 1995, cité par Botting, 2002).
Avec le Narrative Assessment Profile (Bliss, McCabe et Miranda,1998),
prévu pour des enfants scolarisés, six aspects de la production d’une
narration peuvent être évalués.
– le maintien du topic se réfère aux interventions en lien avec le thème
principal par des procédés comme l’expansion, la continuité ou la
contradiction ;
– les séquences d’événements (présentation dans un ordre chronologi-
que) ;
– l’explicitation qui implique l’informativité (quantité d’informations
suffisantes), l’élaboration (détails nécessaires à la cohérence du
texte), les composants du schéma narratif (descriptions, actions,
évaluations) ;

9. Une proposition est définie comme contenant au moins un nom et un verbe (Botting,
2002).

209
L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

– la référence concerne l’identification adéquate des personnages et des


événements ; elle contribue au maintien de la cohérence dans le
discours ;
– la « cohésion conjonctive » (ou connexion) caractérise les mots ou
énoncés établissant des liens entre les événements (série d’événe-
ments, liens temporaux, causaux, suppositions et disjonctions) ; il
s’agit aussi des liens pragmatiques incluant diverses fonctions du
discours (marques de début / fin de discours, de changements
chronologiques et de l’ordre des informations données ;
– la fluence : les interruptions dans les productions verbales peuvent
signifier des difficultés d’accès au lexique, de planification du discours
ou de mise en œuvre de processus de réparation.

Enfin, dans le cadre de la psychologie du discours interactioniste,


Bronckart et ses collaborateurs (Bronckart et coll., 1985 ; Bronckart,
1996 ; de Weck, 1991 ; de Weck et Rosat, 2003) soulignent le rôle
prépondérant du contexte d’interaction dans le fonctionnement du lan-
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gage, dans le sens où il exerce un contrôle sur l’organisation du discours
et les unités de surface du texte. Ils décrivent les variables pertinentes de
la situation dans laquelle se déroule l’action langagière, définissant ainsi
l’espace référentiel et différents paramètres physiques et sociaux concer-
nant les partenaires de l’interaction, leurs buts et le cadre spatio-temporel.
Ce modèle met en évidence l’impact de la situation sur les décisions que
les interlocuteurs doivent prendre quant au choix d’un modèle de dis-
cours, et par conséquent sur les capacités langagières actualisées. Il
donne un éclairage sur les capacités langagières de l’enfant, tenant
compte de ses partenaires dans l’interaction. En faisant varier le référent,
les interlocuteurs, leur rôle et le but d’une activité langagière, certaines
études (de Weck et al., 1995 ; de Weck, 1996 ; pour une synthèse, voir de
Weck et Rosat, 2003) soulignent la possibilité de modifier le type de texte
produit et sa planification. Ces aspects mettent en évidence la sensibilité
de l’enfant aux paramètres contextuels et sa capacité à s’y adapter. Trois
principaux niveaux d’analyse sont distingués :
– la gestion générale du discours : la participation verbale de chaque
locuteur (pourcentage de mots produits, tours de parole vs régula-
teurs) permet de définir le degré de polygestion vs de monogestion du
discours ;
– la planification du discours : tout dialogue comprend trois phases
(l’ouverture, la transaction et la clôture ; Adam, 1992), la phase
transactionnelle se caractérisant par la planification spécifique du
genre de discours co-produit. Quant au discours monogéré, il se
caractérise par une ou plusieurs séquences discursives. Dans les deux
cas, il peut s’agir d’une séquence narrative, descriptive, injonctive,
explicative, etc. ;

210
Évaluation des capacités pragmatiques et discursives

– la textualisation se réalise au moyen d’unités linguistiques qui ont un


fonctionnement discursif, c’est-à-dire à la fois global (inter-énoncés)
et local (intra-énoncés). Il s’agit pour l’essentiel des anaphores
(introduction et maintien des référents par des syntagmes nominaux
et des pronoms), des temps des verbes, et des organisateurs textuels.
Ces catégories assurent respectivement la cohésion anaphorique, la
cohésion verbale et la connexion du discours.

En plus de ces niveaux, les dialogues peuvent être analysés du point de


vue de la gestion de l’interaction, selon des critères issus de la pragma-
tique : la gestion des tours de parole (alternance, chevauchements,
régulateurs), des topics (introduction, maintien, transitions, négocia-
tions) et des pannes conversationnelles (types de pannes et de répara-
tions).
La prise en compte de la dimension interactive des productions
discursives permet ainsi une double analyse, à la fois de la participation
de l’enfant et de celle de son interlocuteur, selon les différents niveaux
précédemment décrits. Certaines interventions de l’adulte peuvent être
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interprétées en termes d’étayage verbal (Bruner, 1983) ; il s’agit d’ana-
lyser les stratégies d’étayage (questions, reformulations, répétitions,
voire formulations) utilisées par l’adulte, ainsi que leurs fonctions (de
Weck, 1998 et 2000 ; Rosat, 1998 ; Rosat et von Ins, 1997) articulées aux
différents niveaux de l’interaction.

CONCLUSION
Ce chapitre avait pour objectif de présenter les principes méthodologi-
ques et quelques outils d’analyse des capacités pragmatiques et discur-
sives chez l’enfant. Nous avons distingué les outils permettant une
analyse de la pragmatique de ceux concernant le discours, les premiers
étant actuellement plus nombreux que les seconds. Ce constat reflète
l’état de la recherche tant en linguistique, qu’en psychologie, en psycho-
linguistique ou en orthophonie-logopédie. Pour terminer, nous souhai-
tons d’une part résumer ce qui différencie ces approches de l’analyse du
langage spontané, et d’autre part montrer la complémentarité des appro-
ches pragmatiques et discursives dans le cadre d’une évaluation
logopédique des capacités langagières.
En ce qui concerne les différences entre les modes d’analyse propo-
sés et ceux préconisés pour le langage spontané, nous retiendrons cinq
principaux domaines de comparaison :
– les paramètres contextuels sont différenciés, et leur influence prise en
compte pour la pragmatique et le discours uniquement ;
– la nature des productions : les genres de discours sont distingués dans
la perspective discursive ; la conversation est requise en pragmati-

211
L’évaluation du langage en situation naturelle : pragmatique et discours

que ; l’analyse du langage spontané repose sur un corpus qui se veut


représentatif ;
– l’unité de recueil, de transcription et d’analyse est le dialogue (conver-
sation) ou l’activité langagière pour la pragmatique et le discours ; les
énoncés constituent l’unité de référence pour le langage spontané ;
– la transcription s’effectue intégralement pour les approches interac-
tives ; elle est partielle (50-100 énoncés) pour le langage spontané ;
– les analyses pragmatiques et discursives sont réalisées en tenant
compte des interventions de tous les participants et portent sur
différents aspects de la gestion du dialogue et sur plusieurs niveaux de
la production du discours. Les analyses du langage spontané, effec-
tuées uniquement sur les productions de l’enfant, concernent des
aspects de la phonologie, du lexique, de la morphosyntaxe et de la
syntaxe.

Ces différences confirment bien les divergences relatives aux options


théoriques des diverses approches. Elles permettent aussi de souligner la
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complémentarité des perspectives pragmatique et discursive qui rendent
compte de façon pertinente des capacités langagières des locuteurs,
conformément à une vision interactioniste du développement du langage
et de ses troubles. Ainsi, dans le cadre des consultations – évaluations
logopédiques, il paraît important de privilégier ces deux approches en les
intégrant (de Weck, 2003), ce qui signifie notamment prendre en consi-
dération les influences du contexte sur l’organisation de l’interaction et de
la production discursive. Pour cela, il s’agit de proposer différentes
situations de communication en faisant varier les paramètres contextuels,
dont l’interlocuteur, et de définir les genres de discours sollicités par ces
situations. L’observation consiste à évaluer l’interprétation qui en est
faite. Autrement dit, les interlocuteurs co-produisent-ils les genres de
discours attendus ? Comment gèrent-ils la planification et la textualisation
du discours ? Comment s’adaptent-ils mutuellement à l’autre ? Par ailleurs,
en s’inspirant de l’analyse conversationnelle, l’observation des interven-
tions des différents partenaires vise à mettre en évidence la dynamique
des interactions verbales. Ainsi, la consultation-évaluation en logopédie-
orthophonie doit permettre à l’enfant de recréer ses propres repères, en
fonction de ses connaissances, pour mettre en œuvre des moyens de
communication les plus efficaces possibles. Elle doit aussi chercher à
déterminer les ressources et les difficultés de l’enfant, ainsi que celles de
son entourage, en utilisant des critères relevant des approches pragma-
tiques et discursives. À terme, l’objectif est aussi de mieux cerner les
troubles pragmatiques et discursifs, ainsi que leurs liens de dépendance
ou d’indépendance.

212

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