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LE CAPITAL HUMAIN EN GESTION DES RESSOURCES HUMAINES :

ÉCLAIRAGES SUR LE SUCCÈS D'UN CONCEPT


Alexandre Guillard, Josse Roussel

Management Prospective Ed. | « Management & Avenir »

2010/1 n° 31 | pages 160 à 181


ISSN 1768-5958

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Alexandre Guillard, Josse Roussel« Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d'un concept », Management & Avenir 2010/1
(n° 31), p. 160-181.
DOI 10.3917/mav.031.0160
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Le capital humain en gestion des ressources


humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

par Alexandre Guillard et Josse Roussel

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Résumé
Cet article s’interroge sur la solidité du concept de capital humain aujourd’hui
utilisé en gestion des ressources humaines. Il prend pour point de départ le
paradoxe suivant: d’un côté, le grand succès que rencontre le concept de par
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sa diffusion auprès des journalistes, consultants et professionnels des RH, de


l’autre, les limites de nature épistémologique, éthique et pratique auxquelles
est confronté le concept, qui le cantonnent à être dans le meilleur des cas
une simple métaphore. Pour éclairer ce paradoxe, nous commençons par
retracer la généalogie du concept et nous analysons les principales critiques
qui peuvent être adressées à l’encontre de la théorie du capital humain tant
en économie que dans la recherche en gestion des ressources humaines.
Nous faisons appel ensuite à la théorie des conventions, pour expliquer
comment, en dépit de ses limites, le concept de capital humain, au travers
de la relation d’emploi, trouve pleinement sa place dans la recherche en
GRH. En nous appuyant sur la théorie de Gibbard et les travaux de Boudon,
nous cherchons ensuite les raisons qui fondent la convention de capital
humain.

Abstract

This paper questions the soundness of the concept of human capital as it is


used today in human resources management. The following paradox gets
the analysis started : on the one hand, this concept is very successful and
widely used by journalists, consultants and human resources professionals,
on the other hand, its epistemological, ethical and practical limits restrain
the human capital concept to at best a mere metaphor. So as to shed light
on this paradox, we begin by tracing back the concept’s genealogy, and we
analyze the main criticisms that can be raised against human capital theory
both in economics and in human resources management research. We then
resort to convention theory – la théorie des conventions – in order to explain
how, in spite of its limits, the human capital concept, through the employment
relation, is fully legitimate in human resources management research.
Relying on the bodies of research developed by Gibard and Boudon, we
investigate on the reasons grounding a human capital convention.

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Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

Le capital humain est devenu un concept central pour l’analyse des organisations
et la gestion des ressources humaines. Ce n’est pas le moindre des paradoxes
étant donné les limites importantes relatives à l’utilisation de ce dernier notamment
en gestion des ressources humaines. Nous montrons dans une première partie,
après avoir brièvement esquissé une genèse du concept de capital humain, que
la théorie du capital humain a fait l’objet de nombreuses critiques au sein des
sciences économiques et qu’en outre son application à la gestion des ressources
humaines se heurte à des difficultés importantes.

Dans une seconde partie nous tentons d’expliquer le succès paradoxal de la

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théorie du capital humain en gestion des ressources humaines. Le marché du
travail fonctionnerait grâce à une convention de capital humain entendue comme
convention d’évaluation de la compétence des personnes dont l’objet est de fonder
la hiérarchie des salaires, sans laquelle employeurs et employés ne pourraient
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faire face à l’incertitude caractérisant la relation d’emploi. Cette convention de


capital humain imposerait l’utilisation de la notion de capital humain comme
évidente dans la gestion de la relation d’emploi et par voie de conséquence dans
la gestion des ressources humaines.

1 Fondements théoriques et implications du concept

1.1. Le concept de capital humain en économie


Le concept de capital humain a été façonné par les travaux d’économistes
fondateurs comme Shultz (1961) et Becker (1975). Le point de départ de ce courant
de recherche consistait à s’interroger sur le rendement d’un investissement en
éducation pour un individu donné. Afin d’évaluer le retour sur investissement de
l’éducation, les économistes ont tout d’abord tenté de cerner le coût afférent à
l’investissement en formation. De manière simplifiée, il correspond à la somme
des frais de scolarité ou de formation et du coût d’opportunité lié à cette activité
(rémunérations sur le marché du travail auxquelles l’apprenant renonce en
s’engageant dans une formation) (Chamak et Fromage, 2006). Le bénéfice
attendu, quant à lui, se mesure par le surcroît de rémunération que l’apprenant
peut obtenir sur le marché du travail tout au long de sa vie active. Ainsi, en
investissant dans les études et la formation, les individus augmentent leur
« capital humain », en l’occurrence leurs aptitudes et connaissances, ce qui leur
permet d’occuper des emplois plus rémunérateurs. Le marché du travail étant au
centre du raisonnement économique appliqué au capital humain, de nombreux
économistes du travail ont poursuivi et développé des recherches tendant à
montrer que des niveaux élevés d’éducation sont le plus souvent associés à des
salaires plus élevés mais aussi à des risques plus faibles de chômage (Mincer,
1974). Ce faisant, elles permettent de donner une appréciation tangible du taux
de rendement de l’éducation. Les études empiriques montrent d’ailleurs que ce

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dernier n’est pas homogène au sein des nations de l’Union Européenne (Denny,
Hamon et Lydon, 2001).

D’autres économistes ont privilégié l’impact au niveau macroéconomique de


l’augmentation du stock de capital humain dans une économie donnée. Le
capital humain est ainsi perçu comme un facteur endogène de la croissance
et du développement au même titre que les infrastructures de transport et de
communication. Il est un déterminant de la productivité d’une économie (Romer,
1989; Foray, 2000).

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1.1.1. Définition
Le capital humain d’un individu se définit donc surtout par les connaissances et
compétences que ce dernier maîtrise. Ces connaissances et compétences se
sont accumulées tout au long de la scolarité, au cours des diverses formations
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suivies et à l’occasion des expériences vécues (Fuente et Ciccone, 2002).


On peut en distinguer trois composantes essentielles (Fuente et Ciccone,
2002) : les compétences générales (alphabétisation, calcul de base, capacités
d’apprentissage), les compétences spécifiques liées aux technologies ou aux
processus de production (programmation informatique, entretien et réparation
des pièces mécaniques) et les compétences techniques et scientifiques
(maîtrise de masses organisées de connaissances et de techniques analytiques
spécifiques).

Au sein de l’entreprise, le capital humain tisse des liens féconds tant avec le
capital organisationnel (compétences collectives, routines organisationnelles,
culture d’entreprise) qu’avec le capital relationnel (capital confiance auprès des
clients, fournisseurs et investisseurs) (Burlaud, 2000). Cette représentation est
d’ailleurs proche de celle proposée par Edvinson et Malone (1997) articulant les
notions de capital structurel, de capital clients et de capital humain. Cependant,
la littérature managériale et gestionnaire met en avant des représentations
différentes du capital humain. Dès lors, il convient d’en donner une typologie
aussi précise que possible.
1.1.2. Typologie
Si le capital humain se définit, au niveau d’une entreprise, par les connaissances
maîtrisées par un individu, force est de constater qu’il recouvre des catégories
représentant des enjeux différents pour les firmes en terme de contrôle.

Il est en effet possible de dresser une typologie du capital humain qui distingue
les catégories suivantes : capital humain général, capital humain spécifique à la
firme, capital humain spécifique à une tâche (Gibbons et Waldman, 2004 ; Hatch
et Dyer, 2004).

Le capital humain général correspond à des connaissances qui ne sont ni

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Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

spécifiques à une entreprise, ni à une fonction ou à une tâche singulière. Il s’agit


de connaissances et de compétences génériques (discernement, capacités
d’analyse, intelligence des situations) essentiellement accumulées par les
expériences professionnelles et l’éducation.

Le capital humain spécifique à la tâche se constitue essentiellement au moyen


de formations professionnelles et d’expériences professionnelles. Il correspond
à des compétences qui sont spécifiques à un poste de travail comme assistant
de direction, auditeur financier où risk-manager.

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Quant au capital humain spécifique à la firme, il correspond à des compétences
et des connaissances maîtrisées par un salarié basées sur un corpus de
connaissances et de connaissances collectives (capital organisationnel)
spécifique à une entreprise donnée. Le capital humain spécifique à la firme octroie
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à un collaborateur des capacités directement liées à des besoins spécifiques à


une entreprise en particulier. Aussi, lorsqu’un individu doté d’un capital humain
spécifique à la firme quitte celle au sein de laquelle il l’a essentiellement développé
pour une autre société, une grande partie de ce capital humain ne sera pas
utilisé (les attentes et les besoins de la nouvelle entreprise sont différents de
la précédente) (Gibbons et Waldman, 2004). C’est pourquoi, ce type de capital
humain, parce qu’il se déprécie dès que son détenteur (le salarié) quitte la firme
au sein de laquelle il a accumulé le capital, s’avère moins intéressant pour
d’autres entreprises. C’est la raison pour laquelle il est plus aisé à contrôler pour
l’entreprise au sein de laquelle il s’est développé.

En revanche, le capital humain général et le capital humain spécifique à la tâche,


sont facilement « expropriables » dans la mesure où ils ont presque autant de
valeur pour la firme au sein de laquelle les collaborateurs « louent » ce type de
capital que pour d’autres entreprises.

Quelles que soient la catégorie, le capital humain correspond à des connaissances


susceptibles d’améliorer la productivité de la firme. Cette relation de causalité
(capital humain → accroissement de la productivité → accroissement du revenu
d’emploi) est un des postulats de la théorie néoclassique du capital humain.
Reste à fonder cette proposition, ce qui, comme on va le voir, soulève plusieurs
difficultés épistémologiques.

1.2. Le capital humain : des fondements théoriques fragiles


Le concept de capital humain tel qu’il est utilisé en économie repose sur
l’hypothèse selon laquelle les différences entre les salaires correspondent à celles
des niveaux de productivité de ses salariés. Ces écarts de productivité entre les
salariés résultent des différences de niveau de capital humain qu’ils ont accumulé
par le biais d’investissement. Ainsi, le capital humain est considéré comme un
facteur de production qui permet de rendre compte de la productivité des salariés

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et en conséquence d’évaluer le niveau de rémunération correspondant (Poulain,


2001).

Dès lors, la causalité suivante peut être mise en évidence : l’investissement en


éducation permet de développer le stock de capital humain d’un salarié, qui
entraîne une hausse de sa productivité. Cette dernière a pour conséquence
une hausse des salaires. La causalité investissement en capital humain →
hausse de la productivité → hausse des salaires repose fondamentalement
sur le postulat néoclassique selon lequel les individus sont rémunérés à leur
productivité marginale. En d’autres termes, la solidité de cette causalité repose

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sur un marché du travail concurrentiel dénué « d’imperfections ». On mesure
la fragilité du raisonnement néoclassique en terme de capital humain dès lors
que l’on prend conscience des nombreuses « imperfections » caractérisant le
fonctionnement du marché du travail.
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En effet, celui-ci diffère de manière très significative d’un marché parfait et ce


pour plusieurs raisons :
-- Le marché du travail est très réglementé (droit du travail, conventions
collectives) notamment, mais pas exclusivement, au niveau des
salaires ;
-- Les coûts de transaction sont élevés, les processus de recrutement
et de recherche sont coûteux pour l’employeur et le demandeur
d’emploi ;
-- De nombreuses asymétries d’information persistent notamment sur
les prix (salaires) pertinents ;
-- Le capital humain n’est pas une marchandise de type commodité : il
est constitué d’une somme de connaissances et de compétences qui
sont souvent difficiles à évaluer.

En conséquence, étant donné les imperfections du marché du travail, il apparaît


clairement que l’hypothèse selon laquelle les salariés sont rémunérés selon leur
productivité marginale est difficilement soutenable. Cependant, les économistes
argumentent en s’appuyant sur la méthodologie positiviste du « comme si »
mise en avant par Friedman (1953). Une théorie ne peut être jugée selon le
réalisme de ses hypothèses mais selon la qualité de ses prédictions. Pour ce
faire, une théorie se doit d’être « falsifiable », c’est-à-dire produire des résultats
susceptibles d’être contredits par les faits. Ainsi, on peut faire « comme si » les
salariés sont rémunérés à leur productivité marginale – le réalisme de l’hypothèse
importe peu - si la théorie du capital humain permet de produire des propositions
« falsifiables » notamment au moyen de tests économétriques.

Si la construction conceptuelle sous-tendant la théorie néoclassique du capital


humain est fragile, il en va tout autrement des travaux économétriques. En effet,
la théorie du capital humain offre un cadre conceptuel solide aux recherches

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Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

économétriques portant sur les salaires. En outre, les propositions issues de la


théorie du capital humain au sujet des rémunérations sont confirmées, c’est-à-
dire non falsifiées, par la grande majorité des travaux empiriques : le salaire croît
avec le niveau de formation et le rendement de l’investissement en éducation est
décroissant (Poulain, 2001). Cependant, les indicateurs retenus pour mesurer le
capital humain n’expliquent que 20 à 50% de la variance des salaires (Mincer,
1993).
1.3. La productivité de l’éducation en question
Sur le plan théorique, plusieurs courants de recherche mettent en question l’impact

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de l’éducation sur la productivité des individus et par là même la pertinence de
la théorie du capital humain. Trois champs peuvent être identifiés : la théorie
sociologique de la sélection, la théorie du signal et la théorie des incitations
salariales.
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La théorie de la sélection remet en question la capacité qu’a l’éducation à


entraîner, en tant que telle, une hausse de la productivité des individus. Son
rôle est davantage de reconnaître parmi le vivier des salariés, ceux bénéficiant
a priori de meilleures aptitudes. Ces dernières sont perçues comme acquises
par le biais d’un héritage socioculturel. L’éducation est représentée comme une
institution favorisant la reproduction des élites. L’éducation a donc moins pour
fonction de développer des aptitudes et des connaissances que de sélectionner
les individus appartenant à l’élite sociale. Ce champ s’inscrit dans la lignée des
travaux de la sociologie de l’école (Bourdieu et Passeron, 1968 ; Euriat et Thélot,
1995). A l’évidence, ce courant théorique est une critique radicale de la théorie
néoclassique du capital humain.

La théorie du signal (Spence, 1973) fournit quant à elle une critique plus nuancée
de la théorie du capital humain. Son postulat fondamental est l’incertitude à
laquelle l’employeur est confronté quant à la productivité d’un salarié. L’éducation,
et notamment la durée des études et le niveau des diplômes, est utilisée comme
un signal. Elle permet à l’entreprise de réduire l’asymétrie d’information à
laquelle elle est confrontée. Le signal fournit par l’éducation permettra à la firme
de sélectionner les collaborateurs les plus performants. Le niveau de formation
n’est pas le seul signal permettant de lever cette asymétrie d’information. Ainsi,
l’âge, le sexe, les emplois précédemment occupés constituent autant de signaux.
Cependant, l’éducation est perçue comme un signal de meilleure qualité. Dans
le cadre de cette approche, l’éducation en tant que telle n’a pas d’impact causal
sur la productivité, ce qui remet en question l’un des postulats essentiels de la
théorie du capital humain.

Les tenants de la théorie des incitations salariales (Alchian et Demsetz, 1972 ;


Lazear, 1981 ; Akerlof, 1982) s’opposent à la théorie du capital humain quant
à la causalité qui associe salaires et productivité. En effet, la théorie du capital

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humain postule la causalité suivante :


Investissement en capital humain → hausse de la productivité → hausse des
salaires.
Or, dans la théorie des incitations, le lien de causalité entre salaires et productivité
est inversé :
Incitations fournies par les entreprises → salaires plus élevés → hausse de la
productivité.

Ainsi, pour Lazear (1981), il n’est pas besoin de recourir à l’hypothèse d’une
productivité croissante pour rendre compte de la corrélation entre ancienneté, et

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donc développement de l’expérience - une des dimensions du capital humain -
et salaires. Si l’on suppose que les salariés, dotés de la même productivité
« potentielle », sont susceptibles de fournir des efforts plus ou moins importants,
il en résulte que les collaborateurs fournissant peu d’effort auront une productivité
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médiocre. Ainsi, les travailleurs les plus expérimentés perçoivent un salaire


élevé, non pas en raison d’une plus grande productivité, mais parce que bien
rétribuer les salariés confirmés incite les salariés les plus jeunes à fournir des
efforts importants afin de pérenniser leur emploi et d’acquérir de l’ancienneté.
Mieux payer les salariés expérimentés est une politique salariale rationnelle non
pas parce qu’ils sont plus productifs grâce à l’accumulation d’expérience et au
développement du capital humain qui en résulte, mais en raison des puissantes
incitations que cette politique offre aux jeunes salariés, appelés à fournir plus
d’efforts pour faire carrière au sein de l’entreprise. La conséquence positive pour
la firme est que les jeunes salariés, en fournissant plus d’effort, se rapprochent
de leur productivité maximale.

Ces trois courants de recherche limitent la portée universelle prêtée par certains
auteurs à la théorie néoclassique du capital humain. Il n’est pas question ici
d’examiner la manière dont elle a répondu à ce type de critiques et les conclusions
sur la validité que l’on peut en retirer. Ce qui apparaît nettement, c’est que ces
limites ont ouvert la voie à une analyse critique sur la validité du concept en
tant que tel. Dès lors, qu’en est-il de sa pertinence en sciences de gestion et
notamment en gestion des ressources humaines ?

1.4. Le concept de capital humain : une analogie pertinente ?


Le concept de capital humain a débordé la sphère de l’analyse économique et
irrigué les sciences de gestion à partir de la fin des années 1990, notamment par
le biais de chercheurs en gestion stratégique des ressources humaines (Lepak
et Snell, 1999 ; Galunic et Anderson, 2000 ; Hitt, 2001). Le capital humain dans
la perspective gestionnaire représente un stock que l’on peut créer, développer,
accumuler et utiliser (Autier, 2005). C’est un capital d’un genre particulier
puisque immatériel, c’est-à-dire constitué d’aptitudes et de compétences qui ne
peuvent être distinguées des individus. Le capital humain est ainsi la propriété

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Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

des individus et non pas de la firme. Ce point est essentiel et explique que
certains chercheurs (Davenport, 1999 ; Walker, 2001) se sont éloignés de la
représentation des collaborateurs de l’entreprise comme des actifs (« people as
assets »). En effet, considérer les salariés d’une entreprise comme des actifs
revient implicitement à supposer que l’entreprise détient des droits de propriété
sur ces derniers. A l’évidence une telle supposition est des plus contestables
et ce pour plusieurs raisons : d’une part, l’entreprise ne détient pas de droits
de propriété formels sur les salariés qu’elle emploie ; de l’autre, le déclin de la
loyauté et de l’attachement des salariés à leur entreprise remet en question la
« propriété » informelle, de nature affective, que la firme aurait sur ses salariés.

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Dès lors, les collaborateurs peuvent être considérés comme des propriétaires
de capital humain louant ce dernier au profit de l’entreprise. Pour Davenport
(1999), il faut aller plus loin et considérer les salariés d’une entreprise comme
des investisseurs en capital humain qui recherchent un retour sur investissement
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sous la forme d’une rémunération en salaires ou en capital financier (participation


au capital de l’entreprise, distributions d’actions gratuites, stocks-options).

Cependant, l’utilisation du concept de capital humain pour désigner les ressources


humaines d’une entreprise est critiquée par deux courants de recherche
importants (Autier, 2005). Le premier courant procède à une analyse critique
de l’utilisation du capital humain dans la recherche en gestion stratégique des
ressources humaines (Coff, 1997 ; Galunic et Anderson, 2000). Le second est
développé par des théoriciens des droits de propriété, économistes et juristes,
qui analysent de manière critique les implications de l’utilisation de la notion de
capital humain au sein des entreprises (Blair, 1995 ; Blair & Kochan, 2000).

Le premier courant de recherche sous l’impulsion de Coff (1997) remet en question


le bien fondé de l’utilisation du concept de capital humain dans la recherche
en gestion stratégique des ressources humaines. Cela passe par la mise en
évidence des différences fondamentales entre le capital humain et les autres
types de capitaux utilisés par l’entreprise (capital financier, capital technologique,
capital matériel, etc.). Il identifie quatre différences fondamentales :
- les entreprises ne peuvent être propriétaires du capital humain à la différence
des autres capitaux ; il n’est ainsi pas possible « d’acquérir » du capital humain
- le capital humain peut très bien ne pas contribuer à la marche de l’entreprise au
meilleur de ses capacités (motivation insuffisante) ;
- le capital humain peut être en désaccord avec les décisions prises par
l’entreprise (par exemple une restructuration ou une fusion) et en conséquence
quitter l’entreprise ou s’engager dans des actions collectives de contestation ;
- le capital humain recherche des rémunérations extra financières sous la forme
de reconnaissance, de conditions de travail de qualité, etc.
Ainsi, ce qui fait la spécificité du capital humain (non appropriable, connaissances
tacites détenues par des individus) rend sa gestion délicate. Investir en capital
humain au sein de l’entreprise consiste à développer le stock de connaissances

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et de compétences des salariés. Ce faisant, l’entreprise peut espérer un retour


sur investissement car des salariés dotés d’un capital humain de haut niveau
sont susceptibles d’être plus performants. Cependant, à aucun moment la firme
n’est propriétaire du capital humain de ses collaborateurs alors même qu’elle a
activement contribué à le développer ce capital humain. En somme, pour mettre
en valeur le capital humain il ne faut pas traiter les individus comme du capital !
Selon ce premier courant de recherche, le capital humain représente donc une
analogie intéressante mais trompeuse car elle tend à négliger ce qui fait la
spécificité de la gestion des ressources humaines dans l’entreprise : la motivation,
l’implication dans le travail, le besoin de reconnaissance, la fidélité et la loyauté

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à l’entreprise, etc.

Le deuxième courant de recherche analyse les implications en termes de


gouvernance d’entreprise de l’utilisation du concept de capital humain.
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L’entreprise utilise différents types de capitaux pour fonctionner. Parmi eux,


on peut établir une symétrie entre le capital financier et le capital humain. Les
salariés apportent à l’entreprise du capital humain de la même manière que les
investisseurs apportent à l’entreprise du capital financier. Investisseurs et salariés
sont donc deux parties prenantes dotant l’entreprise de deux types de capitaux
essentiels à son fonctionnement: le capital financier et le capital humain dont ils
sont bien les propriétaires respectifs. Ces deux types de capital sont des inputs
génériques que la firme utilise pour produire. Le capital humain est ainsi un
input que l’entreprise va louer sur le marché du travail, qu’elle peut développer
via des politiques de recrutement et de formation, ou réduire (capital humain
trop coûteux et ou inadapté aux besoins de l’entreprise). Cependant, comme
le montrent Blair et Roe (1999) ainsi que Blair et Kochan (2000), alors que les
investisseurs bénéficient de dividendes (en fonction de la politique de dividendes
de l’entreprise) et de droits de vote dans le cadre du contrôle du management, les
salariés n’ont l’avantage d’un revenu régulier. Les investisseurs disposent d’une
place privilégiée dans la gouvernance de l’entreprise, alors que les salariés en
sont encore largement absents, malgré les progrès des administrateurs salariés.
Selon ces chercheurs, les entreprises profitent largement des investissements
en capital humain spécifique à la firme mais non les salariés qui ne pourront pas
le valoriser en quittant l’entreprise où il s’est développé. Les salariés subiront
donc une perte en terme de capital humain. De nombreuses études empiriques
tendent à confirmer ce phénomène. Ainsi, Topel (1990) montre que les salariés
licenciés ayant une ancienneté élevée subissent une perte de salaire de l’ordre
de 15 à 25% dans leur nouvel emploi.

A mesure que le capital humain devient une ressource de plus en plus importante
pour la compétitivité de l’entreprise, les employés vont de plus en plus remettre
en question les règles de gouvernance actuelles qui accordent aux apporteurs de
capitaux financiers une place prédominante. Les apporteurs de capital humain,
à l’instar des apporteurs de capital financier, devraient bénéficier de droits de

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humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

contrôle sur l’élaboration de la stratégie de l’entreprise (Blair et Kochan, 2000,


Autier, 2005 ; 2006).

Ces deux courants de recherche remettent en cause la pertinence du concept


de capital humain, soit parce qu’il apparaît inapproprié (critique de la gestion
stratégique des ressources humaines), soit parce qu’il aboutit à des conclusions
sur le plan des pratiques de gouvernance assez radicales (le salarié – investisseur)
qui sont encore loin d’être observées. Ils débouchent sur une forme d’aporie
épistémologique que nous allons tenter d’éclairer à présent.

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2. Le capital humain comme convention

En dépit de ses limites tant sur le plan de l’analyse économique que dans le
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domaine des sciences de gestion, le concept de capital humain est de plus en


plus utilisé. Certaines recherches en ressources humaines y font explicitement
référence et les praticiens l’évoquent fréquemment. On constate par exemple
dans le secteur du consulting le développement sans précédent de practice
consacré au « Human Capital ». Cela touche toutes les catégories : les cabinets
spécialisés en ressources humaines (Hay Management, Hewitt, …), les auditeurs,
les grands noms de la stratégie et du management, les spécialistes des systèmes
d’information. Certes, ce panorama recouvre des situations différentes. Dans
de nombreux cas, le terme de capital humain ne constitue qu’une opération de
marketing pour renommer des activités dédiées aux ressources humaines. Dans
d’autres, il existe un véritable investissement et une armature conceptuelle à
l’image du Human Capital Index du cabinet Watson Wyatt, qui vont jusqu’à des
recherches dans le milieu académique (voir par exemple, au sein de PWC, le
Saratoga Institute animé par J. Fitz- Enz28).

La notion de capital humain apparaît ainsi comme convaincante dans les cercles
journalistiques et les milieux d’affaire. Elle bénéficie également d’un certain écho
au sein de la communauté universitaire en sciences de gestion même si elle est
en concurrence avec d’autres approches. Il convient donc de s’interroger sur les
raisons qui rendent compte de son succès alors même que ses fondations sont
fragiles. Le concept de capital humain peut être ainsi réinterprété à la lumière de
la théorie des conventions (Boltanski et Thévenot, 1991; Salais, 1989; Gomez,
1996).

2.1. Le sens de la convention


Les conventions constituent de véritables référents informationnels pour les
agents. En d’autres termes, elles sont de véritables stocks d’informations
et de connaissances à la disposition des acteurs. Elles évitent ainsi aux

28. Voir Fitz-Enz (2000)

169
31

agents économiques d’avoir à traiter, manipuler et interpréter de nombreuses


informations. Ainsi, les conventions permettent aux agents d’économiser de
l’information. Grâce à elles, l’univers social est moins ambigu.

La convention fait sens dans la mesure où elle contribue à normer l’univers social.
En effet, grâce au sens qu’elle véhicule, elle pose des limites aux comportements
des agents. Autrement dit, le sens de la convention définit ce qui est compatible
avec elle et ce qui ne l’est pas. Ainsi, le comportement de l’agent, notamment
la manière dont il rationalise ses actes, se définit en fonction de la convention,
s’il l’a validée. Dans le cas contraire, il rationalisera ses actes par rapport à une

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négation de cette convention - une anticonvention29 - ou par rapport à une
convention alternative.

De manière plus précise, le sens de la convention peut être décomposé en trois


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éléments fondamentaux (Boltanski et Thévenot, 1991) : un référent normatif


(c’est-à-dire un principe supérieur), une distinction et une sanction. C’est à partir
de ces trois éléments fondamentaux que les individus vont être en mesure de
normer l’univers social qui les entoure et ainsi de rationaliser leurs actes.

-- Le référent normatif
Le référent normatif indique le critère essentiel à travers lequel l’agent se reconnaît
à l’intérieur ou en dehors de la convention. Autrement dit, le référent normatif
identifie la valeur ou l’ensemble des valeurs qui constituent la convention. L’agent
est ainsi en mesure de se justifier, c’est-à-dire de se positionner par rapport à
la valeur que recèle la convention. Par exemple, si le référent normatif de la
convention A est la loyauté, l’individu peut justifier ses actes en fonction de cette
valeur - loyauté - ou en opposition à cette même valeur. On comprend dès lors
pourquoi la valeur en question contribue à normer le réel, c’est-à-dire à poser
une norme, un repère par rapport auquel les agents vont être en mesure de
justifier et de rationaliser leurs actes. Cependant, la convention ne se limite pas
simplement à un référent normatif, c’est-à-dire à une valeur. La convention offre
également aux agents une information sur leurs positions relatives au sein d’un
univers social donné. En d’autres termes, la convention définit une distinction
sociale entre les différentsacteurs.

-- La distinction
La convention apporte également une distinction entre ceux qui valident la
convention, c’est-à-dire entre ceux qui rationalisent leurs actions au regard de
cette dernière. Nous avons montré que la convention, étant donné le référent
normatif - valeur - qui y est afférent, avait pour principale caractéristique de normer
l’univers social. Elle est également en mesure de normer les positions ainsi que

29. C’est ainsi qu’il est possible d’analyser le comportement de conformisme et d’anticonformisme. L’anticonformiste qui ne valide pas
la convention A énonçant de se conformer à certaines règles se comporte en référence à la convention A puisque son comportement
est un conformisme au regard de l’anticonvention A.

170
Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

les comportements relatifs des individus qui la valident. En informant sur le rôle
des différentes catégories d’agents qui la valident et l’adoptent, elle opère une
distinction entre eux, elle renseigne sur leur hiérarchie, sur leur position sociale,
leur comportement normal, etc. La distinction permet de normer les relations
interindividuelles en définissant le rôle que chaque adopteur de la convention
doit tenir.

En termes d’information, la distinction qui s’opère par la position sociale des


agents remplit une fonction essentielle en termes d’information puisqu’elle
permet d’économiser de l’information sur le comportement d’autrui. La distinction,

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deuxième caractéristique d’une convention, en indiquant la position sociale
d’autrui, renseigne l’agent sur le comportement normal de celui-ci, c’est-à-dire un
comportement conforme à la convention. La distinction contribue donc à limiter
l’information que l’agent doit traiter afin de prendre une décision.
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-- La sanction
La convention se caractérise également par un système de sanction. Cependant,
il convient de préciser ce que recouvre la notion de sanction de manière à être en
cohérence avec ce que nous avons développé jusqu’alors. En effet, nous avons
montré que la convention n’existait que dans la mesure où elle était validée
par les agents, c’est-à-dire acceptée par eux et non imposée par une autorité
supérieure. La sanction n’est donc pas un dispositif mis au point par une autorité
supérieure afin de punir les individus n’ayant pas respecté la convention ; elle
précise et définit, d’une part, les conditions selon lesquelles l’agent se maintien
dans la convention - sanction positive ; d’autre part, les conditions d’exclusion
de la convention - sanction négative. La sanction permet d’identifier les contours
de la convention.

2.2. La convention comme dispositif concret


Nous avons montré avec Boltanski et Thévenot (1991) que l’énoncé de la
convention se déclinait selon trois dimensions essentielles : un référent normatif,
une distinction et une sanction. Cependant, il convient de s’interroger sur la
manière dont est véhiculé son sens. En d’autres termes, il s’agit d’identifier les
procédés concrets qui transmettent le sens de la convention aux agents, c’est-à-
dire ceux qui permettent à la convention de se réaliser comme un processus de
transfert d’information.

Parmi tous ces procédés concrets, le contrat est bien évidemment primordial,
même s’il n’est pas l’unique procédé concret support de la convention. Cependant,
en se référant à une ou à des conventions, le contrat est contingent à la notion
de convention, ses modalités faisant référence à des normes, à des usages,
c’est-à-dire à des conventions. Ainsi, les notions de justice, de bon usage, de
réciprocité, de ponctualité - délais de livraison par exemple - sont établies en

171
31

référence à des conventions. Le contrat, en tant que modalité d’interaction,


dépend de l’environnement conventionnel, mais il constitue également une
modalité concrète, un dispositif matériel de la convention. En d’autres termes,
le contrat est à la fois contingent aux conventions et vecteur de conventions
(Gomez, 1996). Cependant, le contrat et la négociation qui y est afférente ne sont
qu’une des modalités d’interaction à la disposition des agents. D’autres existent
qui diffèrent du contrat dans la mesure où elles n’en ont pas le caractère explicite.
Ce sont des modalités d’interaction tacites. Leur point commun avec la modalité
de coordination contractuelle est qu’elles s’appuient également sur une ou un
ensemble de conventions. Comme le contrat, les autres modes d’interaction sont

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à la fois contingents aux conventions et vecteurs de convention en permettant
à la convention de se réaliser comme processus de transfert d’information,
c’est-à-dire comme vecteur de sens. En revanche, le rôle de la négociation
n’est pas comparable à celui qu’elle joue dans le mode d’interaction basé sur
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le contrat. Par exemple, certaines conventions de comportement - la conduite à


droite - permettent aux agents de coordonner leurs actions sans recourir à une
négociation préalable. Dans ce cas précis, le support matériel de la convention se
réduit à une signalisation - panneaux de signalisation routière - qui est validée par
autrui. En d’autres termes, le support matériel de cette convention est totalement
décentralisé et prégnant dans l’environnement social. La convention est ainsi
common knowledge, car les objets matériels qui la véhiculent sont également
common knowledge.

Le tableau ci-dessous nous donne une représentation synthétique des deux


types majeurs de support matériel d’une convention.

CONVENTION

C omment se pratiquent les contacts entre adopteurs d’ une convention : ils utilisent des supports matériels

Suppor ts matér iels Supports matériels


tacites explicites

• échanges verbaux informels • échanges contractuels


• utilisation d’ objets de common knowledge • utilisation d'objets créés par
• rôle subalterne de la négociation les agents : clauses contractuelles, etc.
• ambiguïté très limitée : • rôle primordial de la négociation
peu de possibilité d’ interprétation • ambiguïté importante :
l’ interprétation est possible

On remarque que les supports matériels tacites ne laissent pas ou peu de place
à l’interprétation, puisqu’ils ne sont pas ambigus. C’est la raison pour laquelle la
négociation y tient une part peu importante. En revanche, les supports matériels

172
Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

explicites, étant donné leur plus grande ambiguïté, laissent une place plus
importante à la négociation.

2.3. Relation d’emploi et incertitude de la valeur du « capital


humain »
La relation d’emploi est singulière en ce sens que le salarié ne vend pas ses
compétences à l’employeur mais les met à sa disposition, et ce, au moyen d’un
contrat incomplet. L’incomplétude contractuelle s’explique par l’incertitude qui
entache la relation d’emploi : les compétences d’un individu sont difficiles à

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évaluer, notamment en phase de recrutement, et de plus, évolutives. L’employé
peut tergiverser sur son implication dans la réalisation des objectifs de l’entreprise,
étant donné les incertitudes sur l’évolution de ses rémunérations ; l’effort produit,
c’est-à-dire la compétence réellement fournie à l’entreprise, est donc incertain.
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En retour, l’employeur s’interroge sur la pertinence des rémunérations versées


puisqu’il lui est très difficile d’apprécier l’implication du collaborateur et d’évaluer
ses compétences.

Les théoriciens des conventions apportent une solution radicale au problème


posé par l’incertitude relative à la relation d’emploi. Pour Salais (1989),
l’incertitude remet en question la capacité du marché à gérer cette relation. Il y
a certes un marché du travail, mais ce dernier fonctionne grâce à un ensemble
de conventions qui vont palier l’incertitude afférente à la relation entre salariés et
employeurs. Des conventions de production et de chômage (Salais, 1989) sont
identifiées pour résoudre le problème posé par l’incertitude relative à l’implication
et à la rétribution. Ces conventions, pour jouer leur rôle, sont adoptées par les
parties prenantes à la relation d’emploi, à savoir les employés et les employeurs.
En outre, chaque partie prenante agit selon les conventions de production et de
chômage, ce qui lui permet de « rationaliser » son comportement (Gomez, 1996)
et de pouvoir justifier ses actions en s’appuyant sur ces mêmes conventions.
La relation d’emploi est également sous-tendue par une convention de capital
humain dont l’objet est de « rationaliser » l’échelle des rémunérations.

2.4. La convention de capital humain


La convention de capital humain sert donc à normer l’univers social afférent à
la relation d’emploi puisque le marché du travail est en effet caractérisé par une
incertitude radicale quant à la valorisation des compétences. Par conséquent,
l’incertitude relative à la valorisation des compétences se traduit par une incertitude
quant à la hiérarchie des salaires. Les agents économiques, employeurs et
salariés, sont ainsi sans repère pour négocier le niveau des rémunérations :
employeurs et salariés sont confrontés à un problème « d’indécidabilité ».

La convention de capital humain permet de résoudre le problème que pose cette

173
31

incertitude ; Elle fournit en effet aux agents économiques les repères sans lesquels
la prise de décision serait impossible. La convention de capital humain est ainsi
une convention d’évaluation de la compétence des personnes (Favarque, 2004)
dont l’objet est de fonder la hiérarchisation des salaires (Poulain, 2001). Comme
on l’a vu précédemment, cette convention se caractérise par un référent normatif,
une distinction et une sanction (Boltanski et Thévenot, 1991).

Le référent normatif de la convention de capital humain repose sur deux


éléments : un système de diplômation, c’est-à-dire un système de production
des titres et des diplômes ainsi que sur l’expérience professionnelle. Le système

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de production des diplômes et l’expérience professionnelle sont reconnus par
les parties prenantes sur le marché du travail. Les salariés et les employeurs
agissent en fonction de ces deux parties constitutives du référent normatif de la
convention de capital humain.
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L’échelle des diplômes et des formations et la valorisation différenciée des


expériences professionnelles constituent la distinction de la convention de capital
humain. Pour le cas français, l’échelle des diplômes et des formations est très
fortement structurée autour du clivage grandes écoles / universités. Les grilles de
rémunération adoptées par les entreprises tiennent compte de cette échelle.

La sanction de la convention de capital humain est structurée autour du contrat


de travail, qui constitue « l’épreuve modèle de cette convention », et du marché
du travail. Ainsi, une formation prestigieuse sera sanctionnée de manière positive
sur le marché du travail par l’obtention d’un contrat de travail stable doté d’une
rémunération élevée. Le marché du travail joue un rôle privilégié dans la mesure
où il permet les échanges relatifs à la relation d’emploi de se concrétiser. C’est sur
ce marché que les individus et les entreprises rencontrent le succès où l’échec.

La convention de capital humain repose également sur des procédés concrets


qui véhiculent le sens de la convention aux agents, c’est-à-dire qui permettent à
la convention de se réaliser comme un processus de transfert d’information.

Le contrat de travail est un procédé concret primordial. Remarquons que le contrat


de travail, procédé concret de la convention de capital humain, fait référence
à un certains nombres d’autres conventions. Ainsi, les notions de bon usage,
de réciprocité, de ponctualité sont établies en référence à des conventions. La
convention de capital humain, comme convention d’évaluation des compétences
et des rémunérations, est très structurante quant à la définition des seuils de
rémunération qui vont faire l’objet de négociation.

Le contrat, ici le contrat de travail, en tant que modalité d’interaction, dépend


de l’environnement conventionnel, mais il constitue également une modalité
concrète, un dispositif matériel de la convention, ici la convention de capital

174
Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

humain. En d’autres termes, le contrat de travail est à la fois contingent aux


conventions et vecteur de conventions.

3. Bonnes raisons et convention de capital humain

Nous avons montré la pertinence de l’approche conventionnelle de la notion


de capital humain. Nous souhaitons désormais mettre en lumière les bases
sur lesquelles reposent les croyances des individus qui fondent la convention
de capital humain. En effet, comme l’a montré R. Boudon, les croyances des

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individus, qu’elles soient positives ou normatives, reposent sur des bonnes
raisons (Boudon, 1995) qui les rendent cohérentes avec le réel.

Pour ce faire, nous allons utiliser une typologie des raisons développée par le
philosophe Gibbard (1990). Cette typologie nous permettra d’esquisser une
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représentation des croyances et des raisons qui fondent la convention de capital


humain.

3.1. Action, raison et convention


Le contexte social peut être modélisé30 par la convention, c’est-à-dire par un
système de normes. Or, le système de normes est bien évidemment relié au
système de raisons sur lequel l’agent s’appuie pour fonder ses croyances positives
et normatives. Un système de normes a évidemment des conséquences pour
l’action étant donné les liens qui associent le système de normes aux raisons
qui fondent les croyances et donc l’action des individus. En effet, un système
de normes a pour propriété d’assigner un poids relatif aux différentes raisons.
Comme l’indique Gibbard (1990, p. 211) :

« Quand une personne appelle une chose - R - une raison pour faire X, elle
exprime son acceptation de normes qui disent de traiter R comme pesant en
faveur de X. »

Ainsi, le système de normes - convention - qui modélise le contexte social est-il


en relation avec le processus cognitif universel qui représente les relations entre,
d’une part, les raisons que l’agent se donne pour justifier ses croyances et ses
actes, et d’autre part, le réel.

30. La modélisation du contexte social par une ou un ensemble de conventions nous semble satisfaisante. En effet, les conventions,
en tant que systèmes de normes, définissent ce qui est optionnel, exigé ou interdit, c’est-à-dire le contexte social au sein duquel les
agents évoluent.

175
31

Figure 2 : Une modélisation de l’action


Action

Positives

Désirs C royances
N ormatives
R aisons
S ystème
de normes
Preuve C onvention
R éel

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Le système de normes - convention - a un impact sur les croyances de l’agent
dans la mesure où il pondère les raisons sur lesquelles s’appuie ce dernier
pour fonder ses croyances. Nous avons placé sur le schéma une double flèche
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entre les raisons et le système de normes. En effet, il convient de se détacher


d’une représentation du système de normes - convention - selon laquelle cette
dernière détermine le comportement de l’agent en déterminant ses croyances.
Le système de normes, la convention, sont des réalités sociales qui ne peuvent
être dissociées de l’action des agents qui contribuent à les créer, les altérer, voire
les faire disparaître. Ainsi, les agents sont-ils à l’origine des systèmes de normes
qui vont pondérer les raisons à partir desquelles ils fondent leurs croyances.

En ce sens, nous rejoignons l’approche de la théorie des conventions. En


revanche, nous présentons ici une avancée significative par rapport à cette
théorie, en ce que nous élaborons un modèle de l’action rationnelle mettant en
évidence le processus cognitif par lequel les agents sont convaincus de leurs
croyances.

3.2. Une typologie des raisons


L’apport essentiel du modèle de l’agir rationnel développé dans cette partie
repose sur la prise en compte des raisons sur lesquelles les agents s’appuient
afin de fonder leurs croyances positives et normatives. Il nous semble pertinent
d’approfondir le concept des raisons – essentiel au mécanisme de l’agir humain
développé ici en nous inspirant de la typologie proposée par Gibbard. Il est
ainsi possible de distinguer trois types fondamentaux de raisons : les raisons
indépendantes des préférences, les raisons correspondant à un engagement
existentiel et les raisons correspondant à des normes d’ordre supérieur.
3.2.1. Les raisons indépendantes des préférences
Ces raisons ne peuvent être réduites à de simples préférences ; elles ne relèvent
donc pas d’une simple affaire de goût. En effet, les raisons sont articulées par une
structure qui leur confère une valeur31, à savoir le système de normes - convention.
31. Le système de normes opère une pondération entre les différentes raisons. Si nous considérons les raisons comme moteurs de
l’action, au travers des croyances notamment, cela signifie que tourtes les raisons n’ont pas la même valeur à cet égard.

176
Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

Or, cette structure dépasse la simple subjectivité du goût et des préférences.


Le système de normes schématise le contexte social dans lequel l’agent se
trouve plongé. Il est pertinent pour une collectivité d’individus, indépendamment
de leurs préférences respectives. Ainsi, un agent peut juger qu’une raison est
valable pour entreprendre une action, même si ses préférences lui indiqueraient
d’en entreprendre une autre. Il perçoit la raison comme légitime même s’il ne la
partage pas. La légitimité de la raison est ainsi évaluée à l’aune du système de
normes, indépendamment des préférences.

Par exemple, lorsqu’un agent motive son action en référence au devoir, il

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exprime le fait qu’il agit que cela lui plaise ou non. Le devoir qui motive son
action est indépendant de ses préférences. Il peut même être en contradiction
avec elles. Simplement, les raisons qui motivent l’action ne sont pas du ressort
des préférences.
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3.2.2. Les raisons correspondant à un engagement existentiel


Les raisons que les agents adoptent et sur lesquelles ils fondent leurs croyances
et sélectionnent leurs actions correspondent à un idéal de vie, à un choix de vie.
C’est en ce sens que nous qualifions ces raisons avec Gibbard d’engagement
existentiel. L’engagement existentiel correspond au choix du type de personne
qu’un individu désire être. En ce sens, l’engagement existentiel n’est pas du
domaine de la simple préférence. En effet, les idéaux sont bien différents des
goûts. Un individu peut poursuivre un idéal même si les conséquences que cet
idéal entraîne ne correspondent ni à ses préférences ni à ses goûts. L’engagement
existentiel ne relève pas non plus du calcul - rationalité instrumentale.

L’engagement existentiel peut prendre différentes formes, se matérialiser par des


choix de vies divers. Par exemple, consacrer sa vie à la réussite professionnelle
ou améliorer le sort d’autrui en servant dans les organisations humanitaires et
caritatives relève de l’engagement existentiel. Les actions motivées par ce type
de raisons permettent à ceux qui les entreprennent de donner du sens à leur
existence plutôt que d’assouvir une satisfaction immédiate.
3.2.3. Les raisons relevant de normes d’ordre supérieur
Certaines normes, dites d’ordre supérieur, ont pour caractéristique d’en faire
accepter d’autres. Ainsi, un système de normes d’ordre supérieur permet
d’accepter tout système de normes d’ordre inférieur qui lui est compatible.
Rappelons qu’un système de normes permet de catégoriser les actions selon
qu’elles sont optionnelles, exigées ou interdites. La relation qui associe un système
de normes d’ordre supérieur avec un ou plusieurs systèmes de normes d’ordre
inférieur est identique. Un système de normes supérieur peut ainsi autoriser,
requérir ou interdire un ou plusieurs systèmes de normes d’ordre inférieur.

177
31

Il arrive que le système de normes d’ordre supérieur soit compatible avec plusieurs
systèmes de normes d’ordre inférieur mutuellement incompatibles. Dans ce cas,
des croyances et des actes motivés par des raisons se référant à un système de
normes supérieur peuvent être incohérents.

La politesse peut être considérée comme une norme d’ordre supérieur compatible
avec différents systèmes de normes qui représentent des manières concrètes de
codifier la politesse. Bien entendu, ces différentes codifications de la politesse
sont susceptibles d’être contradictoires, alors qu’elles sont toutes compatibles
avec un système de normes d’ordre supérieur qui indique le respect de la

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politesse.

3.3. Croyances, raisons et convention de capital humain


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En nous inspirant de l’approche de Boltanski et Thévenot (1987, 1991), nous


avons brossé une représentation de la convention de capital humain. Rappelons
que celle-ci est une convention d’évaluation de la compétence des personnes
(Favarque, 2004) dont l’objet est de fonder la hiérarchisation des salaires
(Poulain, 2001). Cette convention repose d’une part sur un référent normatif
(système de production des diplômes et expérience professionnelle), d’autre
part, une distinction fondée sur l’échelle des diplômes et des formations ainsi
que la valorisation différenciée des expériences professionnelles, et enfin sur
une sanction structurée autour du contrat de travail. La convention de capital
humain structure les croyances relatives au fonctionnement du marché du travail
au travers de raisons qu’il nous faut dès lors identifier.

Sur quelles raisons la convention de capital humain repose-t-elle ? En nous


appuyant sur la typologie offerte par Gibbard (1990), nous formulons l’hypothèse
selon laquelle les raisons fondant la convention de capital humain relèvent des
raisons indépendantes des préférences par opposition aux autres types de
raisons.

H1 : Les raisons sur lesquelles repose la convention de capital humain relèvent
des raisons indépendantes des préférences.
Les raisons à la base de la convention de capital humain justifient des croyances
normatives et positives structurantes pour le bon fonctionnement du marché du
travail. A ce titre nous formulons deux autres hypothèses.

H2 : les croyances positives justifiant la convention de capital humain énoncent


que a) le montant des salaires est déterminé par le marché du travail, b) le système
de formation est un élément clé de la hiérarchie des salaires, c) l’expérience
professionnelle est un déterminant essentiel de la hiérarchie des salaires.
H3 : les croyances normatives justifient la convention de capital humain en tant
que a’) la hiérarchie des salaires est légitime, b’) le marché du travail est le mieux
à même de fixer les salaires.

178
Le capital humain en gestion des ressources
humaines : éclairages sur le succès d’un
concept

Les trois hypothèses que nous avons formulées illustrent ce que d’aucuns
analysent comme la progression de la notion de « marchandisation » des rapports
salariaux. A une vision fondée sur les rapports de force et le conflit social est
en train de se substituer une représentation des relations sociales fondées sur
la logique marchande. Le marché du travail remplace ainsi progressivement le
conflit social comme institution de régulation des relations entre employeurs et
employés. Les raisons normatives et positives, socles de la convention de capital
humain, mettent en évidence la dimension cognitive des processus sociaux à
l’œuvre sur le marché du travail. Les marchés, et en particulier le marché du
travail, fonctionnent parce que les agents agissent en fonction de raisons qui

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non seulement donnent du sens à leurs actes, mais les justifient. Nous nous
inscrivons ainsi dans le tournant cognitif en économie (Orléan, 2002) qui plaide
pour l’ouverture de la théorie économique aux croyances et représentations
tant individuelles que collectives. La convention de capital humain, étant donné
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les croyances qui la sous-tendent, joue un rôle cognitif essentiel : en réduisant


l’incertitude elle favorise la coordination entre les agents permettant ainsi au
marché du travail de fonctionner.

Conclusion

L’analyse critique de la théorie du capital humain permet de resituer la portée


et la validité du concept. Nous avons montré que les champs touchant à
l’économétrie des salaires disposent d’une solidité indéniable. Reste néanmoins
les nombreuses imperfections dont souffre la théorie du capital humain lorsqu’on
l’applique à la firme et à la gestion des ressources humaines, qui devraient nous
conduire à abandonner l’utilisation de cette théorie. Or, en dépit de ses limites,
le concept de capital humain est de plus utilisé dans la recherche en gestion
des ressources humaines. Comment rendre compte d’un tel paradoxe ? Nous
formulons l’hypothèse selon laquelle la théorie des conventions est spécialement
bien adaptée pour résoudre cette énigme. Le fonctionnement du marché du
travail est structuré autour d’une convention de capital humain entendue comme
convention d’évaluation de la compétence des personnes dont l’objet est de
fonder la hiérarchie des salaires. Naturellement il conviendra d’étayer cette
hypothèse par des tests empiriques et des études de cas. Il serait également
intéressant de faire appel à d’autres courants de recherche comme la sociologie
des organisations pour analyser la manière dont les acteurs se positionnent
par rapport à la convention de capital humain. Nous nous attacherons en
particulier, dans des recherches à venir, à examiner la manière dont le directeur
des ressources humaines et le directeur financier s’emparent différemment de
la convention de capital humain. S’agissant des pratiques de la GRH, il sera
également pertinent de se pencher, par le biais d’une analyse d’histoire des
idées et de la sociologie de la connaissance, sur la façon dont un concept
issu de l’analyse économique - le capital humain - s’est diffusé pour devenir
progressivement une idée dominante.

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