LES MODÈLES ÉCONOMIQUES EN ENTREPRENEURIAT SOCIAL :

PROPOSITION D'UN MODÈLE INTÉGRATEUR

Ali Dardour

Direction et Gestion (La RSG) | « La Revue des Sciences de Gestion »

2012/3 n° 255-256 | pages 49 à 57

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ISBN 9782916490342
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Pour citer cet article :

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Ali Dardour, « Les modèles économiques en entrepreneuriat social : Proposition d'un
modèle intégrateur », La Revue des Sciences de Gestion 2012/3 (n° 255-256),
p. 49-57.
DOI 10.3917/rsg.255.0049
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 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation 49

Entrepreneuriat social
Les modèles économiques
en entrepreneuriat social :
Proposition d’un modèle intégrateur
par Ali Dardour

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L
’entrepreneuriat social (ES) est un concept émergent. Apparu
aux États-Unis dans les années 1990, avec notamment la
social enterprise initiative lancée en 1993 par la Harvard
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Business School, il s’est ensuite développé dans plusieurs pays

européens sous des formes variées1 regroupées sous l’ombrelle
« d’entreprises sociales ». En France, suite aux conclusions du
rapport d’Alain Lipietz, la loi sur les coopératives de 1947 a été
adaptée pour intégrer la forme de société coopérative d’intérêt
collectif (SCIC)2 en 2002. Le concept d’entrepreneuriat social
se développe en parallèle avec ceux de l’économie sociale et
de l’économie solidaire dont les racines remontent au milieu du
19e siècle. L’économie sociale s’attache à réunir des personnes
Ali DARDOUR avant de réunir des capitaux, sans chercher en priorité la rémuné-
Docteur en Sciences de gestion, ration du capital3. Elle rassemble des initiatives privées, ce qui
permet de la distinguer du secteur public. Quant au concept
Professeur à Bordeaux Management School, d’économie solidaire, il s’est développé dans les années 1980
Talence, France dans un contexte marqué par la crise économique et le chômage
de masse. Orientées vers des activités de niche que ni l’État,
ni le secteur privé ne sont en mesure de satisfaire, l’économie
solidaire rassemble diverses activités comme le commerce
équitable, la protection de l’environnement, la finance solidaire,
les structures d’insertion par l’activité économique dont le poids
économique ne cesse de croître. Selon une étude de l’Insee
(2009), l’économie sociale et solidaire représentée par les
associations, les coopératives, les mutuelles et les fondations,
représente 10% de l’emploi en France, 215 000 employeurs et
2,3 millions de salariés4.

1. Coopérative sociale en Italie (1991); Entreprise d’intérêt communautaire

en Grande-Bretagne (2004); Société à finalité sociale en Belgique (1995);
Coopérative sociale à responsabilité limitée au Portugal (1999); Entreprise
sociale d’insertion par le travail en Finlande (2004).
2. Le statut de SCIC a été instauré par la Loi du 17 juillet 2001et son Décret du
21 février 2002. Au 31 octobre 2011, on dénombre 189 SCIC en France.
3. La Charte de l’économie sociale définit en 1995 l’économie sociale et
solidaire selon un certain nombre de critères: la libre adhésion, la non-lucrati-
vité, la gestion démocratique, l’utilité collective ou l’utilité sociale du projet et
la mixité des ressources.
4. « Atlas 2009 de l’Economie Sociale et Solidaire », source: INSEE-CLAP 2009
(hors agriculture).

mai-août 2012
Dossier I
 50 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation
Entrepreneuriat social
Il n’existe pas de statistiques propres à l’entrepreneuriat social,
d’où la complexité de l’étude de cette forme entrepreneuriale.
Dans la pratique, lorsque l’on observe la liste des organisations
qui se reconnaissent dans ce concept, nous constatons qu’elles
sont systématiquement affiliées au champ de l’économie sociale
et solidaire. Ce fait révèle que l’entrepreneuriat social s’inscrit
dans une logique de complémentarité et non de rupture avec
l’économie sociale.
L’usage du terme entrepreneuriat au lieu d’économie permet de
reconnaître le rôle de l’entrepreneur qui impulse le projet collectif
et s’assure de son développement. Ce concept est source de
crainte de la part des défenseurs de l’économie solidaire et de
ses principes fondamentaux (liberté d’adhésion, gouvernance
démocratique, lucrativité limitée5, etc.). Ces derniers redoutent
que l’introduction des outils de management du secteur privé et le
développement de l’esprit entrepreneurial dans le champ du social
puissent nuire aux missions sociales et politiques des structures
de l’économie sociale. L’émergence de l’entrepreneuriat social
invite à étudier ses spécificités par rapport aux autres formes
entrepreneuriales et notamment, les modèles économiques
privilégiés pour assurer la pérennité des organisations. La notion
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du business model est elle-même un paradigme de recherche
nouvellement apparu. Le présent article propose d’explorer ces
deux concepts émergents : business model et entrepreneuriat
social. Notre objectif est de proposer un modèle intégrateur qui,
malgré l’extrême diversité des entreprises sociales, permet une
représentation simplifiée des composantes du business model.
Les résultats de nos études de cas montrent que chaque business
model est construit autour de trois composantes explicites : la
proposition de valeur, l’architecture de valeur et l’expérimenta-
tion sociale ainsi qu’une composante implicite qui renvoie à la
recherche de la transformation sociale.
Dans un premier temps, nous présentons une revue de la littéra-
ture des travaux sur les définitions du concept d’entrepreneuriat
social et du business model. Dans un deuxième temps, nous
abordons la méthodologie de recherche ainsi que les résultats
et discussions de nos analyses des deux études de cas. Dans
un troisième temps, nous proposons un modèle intégrateur des
business models des entreprises sociales. Dans un quatrième
temps, nous présentons les implications managériales de notre
étude.
1. Revue de la littérature
1.1. Définition de l’entrepreneuriat social
Aux États-Unis, l’entrepreneuriat social est centré sur l’entrepre-
neur considéré comme un « visionnaire » aspirant à développer
des nouvelles méthodes dans le cadre d’une entreprise sociale
5. Dans les associations de loi 1901, juridiquement la non-lucrativité indique
que les bénéfices et les réserves sont impartageables.
mai-août 2012
Dossier I
pour servir une mission sociétale. Cet individu est en capacité
de réunir les ressources nécessaires pour rendre sa vision
possible (J. Dees, 1998; J. Thompson et al. 2000; G. Sullivan
Mort et al, 2003). Cependant, le concept d’entrepreneuriat social
a été défini de façon différente par plusieurs auteurs. Dans une
étude récente, S. Zahra et al. (2009) identifient 21 définitions
entre 1997 à 2007. Pour ces auteurs, l’entrepreneuriat social
concerne « les activités et processus entrepris pour découvrir,
définir et exploiter les opportunités afin d’accroître la richesse
sociale par la création de nouvelles entreprises ou la gestion des
organisations existantes de façon innovante ». Dans l’ensemble,
la plupart des définitions proposées dans le contexte anglo-
saxon mettent en avant le rôle de l’entrepreneur qui exploite
des opportunités pour servir une mission sociale (J. Thompson,
2008). La mission sociale se définit comme l’amélioration du
bien-être de la personne dans la société. La valeur économique
créée à travers des activités commerciales développées est
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considérée comme une stratégie permettant à l’organisation de
dégager des ressources financières nécessaires à la durabilité
de sa mission sociale. Aux États-Unis, l’entrepreneuriat social
désigne l’individu, « l’entrepreneur social », qui développe des
activités marchandes mises au service d’une mission sociale.
Cette vision anglo-saxonne semble s’imposer progressivement
en Europe, que ce soit au sein des milieux universitaires, écono-
miques classiques ou même de l’économie sociale et solidaire
(J. Defourny et M. Nyssens, 2008). Si les profits réalisés sont
mis à disposition d’une finalité sociale, cette conception se
caractérise par une quête de ressources commerciales et, de
manière générale, l’orientation vers le marché et une logique
« business ». Virginie Seghers et S. Allemand (2007) rappellent
que ce concept est né dans les cercles patronaux et le milieu
des grandes écoles de gestion et non pas dans les « têtes des
militants sociaux, d’opposants à l’économie de marché ou de
marxistes pur jus ».
En Europe, l’entrepreneuriat social se distingue par son approche
collective. Ainsi, se développe la notion d’entreprise sociale,
centre d’intérêt d’un grand réseau de recherche européen sur
l’émergence des entreprises sociales (EMES). Elle est définie
comme « une organisation avec un but explicite de service à la
communauté, initiée par un groupe de citoyens et dans laquelle
l’intérêt matériel des investisseurs est sujet à des limites.
Les entreprises sociales placent une grande valeur dans leur
autonomie et supportent les risques économiques liés à leurs
activités » (J. Defourny et M. Nyssens, 2006, p. 2).
En France, l’installation d’Ashoka6 en 2005 a accéléré la média-
tisation de l’entrepreneuriat social. L’usage de ce concept a été
étendu à plusieurs cercles d’acteurs provocant à la fois un senti-
ment de méfiance chez les uns et une volonté d’adhésion chez
les autres. En février 2010, un « Mouvement des entrepreneurs
6. Organisation non gouvernementale (ONG) fondée par Bill Drayton qui milite
pour le développement de l’entrepreneuriat social dans le monde en propo-
sant un accompagnement professionnel et un soutien financier sous forme
de subvention. Ashoka propose une aide financière et un accompagnement
professionnel sur trois ans pour faciliter le développement des actions des
entreprises sociales à fort potentiel économique et social
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation
sociaux » (Mouves) est constitué. Les adhérents du Mouves
mettent l’accent sur les « pratiques » sociales plutôt que sur
les « formes juridiques » pour qualifier de social, ou pas, les
initiatives entrepreneuriales. L’enjeu principal de ce mouvement
est donc de mettre en cohérence les valeurs avec les pratiques.
À partir des travaux du réseau EMES, un groupe de réflexion au
sein du Mouves parvient à définir l’entreprise sociale à partir d’un
ensemble de critères portant à la fois sur l’objectif et les moyens
utilisés. Quatre critères sont retenus : un projet économique ou
entrepreneurial, une mission sociale ou sociétale, une lucrativité
nulle ou limitée et une gouvernance démocratique et participa-
tive. Il existe autant d’entreprises sociales que de combinaisons
possibles de ces quatre critères (figure 1). Chaque critère peut
être appréhendé par un ensemble d’indicateurs. Il est nécessaire
de prévoir un socle commun composé d’une note minimale sur
chacun des 4 axes. Une note de 0 point sur l’axe « projet écono-
mique » signifie que l’organisation n’a aucune activité commerciale
et sera classée dans le champ d’action sociale. Alors qu’une
note de 0 sur l’axe « mission sociale » et des bonnes notes sur
les trois autres permettra de la ranger dans le champ concur-
rentiel. Cette méthode a l’avantage de refléter la forte diversité
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des entreprises sociales mais elle laisse entrevoir une certaine
ambiguïté dans le choix des indicateurs et de leur pondération.
Les réflexions actuelles du Mouves s’orientent vers la création
d’un label « Entreprise sociale ». Ce dernier permettra d’améliorer
la visibilité et la lisibilité du secteur auprès du grand public, des
acheteurs et des investisseurs, de favoriser son développement
par des mesures incitatives et d’éviter les récupérations et les
dérives (social waching). La labellisation ne doit pas se limiter
à une photographie statique mais aussi inciter l’entreprise à
s’engager dans une démarche de progrès.
Figure 1: Critères de définition d’une entreprise sociale (Mouves, 2011)
Les critères retenus font apparaître que, dans le contexte
européen, l’entrepreneuriat social est orienté vers « l’économie
sociale et solidaire ». De notre point de vue, l’entrepreneuriat social
renvoie à la professionnalisation croissante des organisations
de l’économie sociale et solidaire existantes ou émergentes qui
mai-août 2012
51
Entrepreneuriat social
adoptent une démarche entrepreneuriale et des outils formels
de gestion pour mieux répondre aux besoins sociaux et à une
plus grande échelle. Cette professionnalisation des pratiques
ne semble pas incompatible avec le maintien des valeurs de
solidarité, d’égalité, de démocratie et d’innovation dans les
structures sociales. Nous définissons ainsi l’entrepreneuriat
social comme un processus qui consiste à élaborer des réponses
entrepreneuriales en vue de répondre aux besoins sociaux et/
ou de catalyser le changement social. Cette démarche entre-
preneuriale est collective et implique la contribution de tous les
acteurs concernés, publics et privés.
1.2. Comment identifier un entrepreneur
social ?
Existe-il un profil type d’entrepreneur social ? Quels sont les traits
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qui caractérisent cet individu ? Pour répondre à ces questions,
l’on peut imaginer que les entrepreneurs sociaux ont des profils
différents tant sur le plan des diplômes, que sur le plan des
parcours professionnels, des caractéristiques sociales mais
aussi et surtout des motivations. Selon G. Dees (1998), qui
propose cinq critères pour l’identifier, « l’entrepreneur social »
joue le rôle d’agent de changement dans le secteur social en
: (1) adoptant une mission de création et de pérennisation de
la valeur sociale (social value) et non seulement de la valeur
privée ; (2) identifiant les opportunités nouvelles pour servir
cette mission ; (3) s’engageant dans un processus continu
de recherche d’innovation, d’adaptation et d’apprentissage ;
(4) agissant sans relâche et sans être limité par la disponibilité
des ressources pour mener cette mission et (5) en démontrant
un sens des responsabilités envers les projets défendus et les
impacts de son action.
Les critères de G. Dees sont centrés sur la figure de l’entrepre-
neur et paraissent cohérents avec la conception anglo-saxonne
de l’entrepreneuriat social. En Europe et notamment en France,
l’entrepreneuriat dans le champ de l’économie sociale et solidaire
suppose l’existence d’un collectif pour mener le projet social.
Des groupes de citoyens, des usagers, des professionnels,
des entreprises privées s’engagent pour résoudre un problème
qui les concerne directement ou sur lequel ils estiment devoir
intervenir.
1.3. Quelles différences et quelles
similitudes entre l’entrepreneuriat social
et l’entrepreneuriat classique ?
L’entrepreneuriat social se caractérise par la primauté explicite de
la mission sociale. L’entreprise sociale a pour finalité de répondre
aux besoins sociaux, d’intérêt général ou collectif (sociétaires
d’une coopérative ou d’une mutuelle par exemple), qui ne peuvent
être satisfaits ni par le secteur privé, ni par le secteur public. Elle
Dossier I
 52 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation

Tableau 1. Différences entre entrepreneuriat social et entrepreneuriat commercial

Entrepreneuriat social

peut également avoir pour but la revitalisation économique des

territoires défavorisés. Les personnes directement concernées
Entrepreneuriat social Entrepreneuriat commercial
par ces besoins émergents, résultant des transformations de la
société (vieillissement de la population, insuffisance des services Dimension Primauté de la mission Primauté du profit sur la
publics, etc.), peuvent être à l’origine de la création de l’entreprise sociale sociale sur le profit. mission sociale.
sociale. L’entreprise sociale permet ainsi la co-construction de Dimension Activités économiques Activités économiques
économique pour servir un intérêt pour servir des intérêts
l’offre à ces besoins en associant diverses parties prenantes y
collectif et/ou l’intérêt privés.
compris les bénéficiaires de ses actions. Elle est avant tout un général.
lieu d’expression et de débat démocratique pour faire naître des Dimension Modèles diversifiés : Modèles standardisés :
solutions répondant aux enjeux de la société moderne. gouvernance Gouvernance démocra- Gouvernance dépen-
Concernant l’entrepreneuriat classique, la finalité poursuivie est la tique et participative dante de la structure du
capital.
recherche du profit financier. L’utilité se rapporte à l’intérêt indivi-
Innovation Principalement des Principalement des
duel du client-consommateur, de l’actionnaire ou du producteur.
innovations sociales innovations technolo-
Néanmoins, les entreprises commerciales peuvent développer à essaimer à grande giques à conserver pour
ou s’engager dans des activités sociales dans le cadre de leur échelle. maintenir un avantage
démarche de responsabilité sociale, soit par la prise en charge concurrentiel.
directe de la réalisation de certains projets sociaux, soit par les Source: l’auteur

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différentes aides apportées aux structures sociales.
Dans les entreprises sociales, l’innovation est principalement Dans ce qui suit, nous nous intéressons aux business models
sociale7 et consiste à trouver les nouvelles combinaisons possi- privilégiés par les entreprises sociales.
bles de ressources pour servir un besoin sociétal. Il ne s’agit pas
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d’introduire de nouveaux types de production ou d’explorer de

nouveaux marchés, mais bien de satisfaire de nouveaux besoins,
non couverts par le marché, ou d’offrir de nouvelles formes
d’insertion pour donner aux individus une place et un rôle dans
la production. Les innovations sociales sont supposées renforcer
le développement local par la qualité de la vie et des ressources
humaines et, plus généralement, par la capacité d’un territoire
d’élargir ses perspectives de développement et de régénération.
Les entrepreneurs sociaux n’ont pas pour objectif de protéger ces
nouvelles solutions mais de faciliter leur essaimage par le biais
d’autres groupes de citoyens sur d’autres territoires. À l’opposé,
dans l’entreprise commerciale, l’innovation technologique a pour
but la quête d’un avantage concurrentiel vis-à-vis des concurrents.
La protection des innovations, par le biais des brevets, permet
de garantir une rente financière pour les détenteurs de cet actif.
Le tableau 1 synthétise les principales différences entre les deux
formes entrepreneuriales.
7. Pour le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS), «
l’innovation sociale consiste à élaborer des réponses nouvelles à des besoins
sociaux nouveaux ou mal satisfaits dans les conditions actuelles du marché
et des politiques sociales, en impliquant la participation et la coopération des
acteurs concernés, notamment des utilisateurs et usagers. Ces innovations
concernent aussi bien le produit ou service, que le mode d’organisation, de
distribution, dans des domaines comme le vieillissement, la petite enfance, le
logement, la santé, la lutte contre la pauvreté, l’exclusion, les discriminations…
Elles passent par un processus en plusieurs démarches : émergence, expéri-
mentation, diffusion, évaluation ». http://entrepreneur-social.net/innovation/
innovation-sociale/cest-quoi/.
Pour l’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (OCDE)
« il y a innovation sociale lorsque de nouveaux mécanismes et de nouvelles
normes assurent et améliorent la situation des habitants, des collectivités et
des territoires dans les domaines de l’insertion sociale, de la création d’emplois
et de la qualité de la vie. Les entreprises sociales, et le secteur à but non
lucratif en général, sont considérées comme des éléments‑clés pour atteindre
des objectifs qui soient à la fois économiques et sociaux ». http://www.oecd.
org/about/0,3347,fr_2649_34459_1926064_1_1_1_1,00.html.
1.4. Les business models des entreprises
sociales
Le concept de business model (BM) a connu un intérêt considé-
rable auprès des chercheurs académiques depuis les années
1990 (Ch. Zott et al, 2011). Son usage est particulièrement
répandu dans les entreprises de la nouvelle économie. En
effet, le développement des technologies d’information et de
communication offre de nouvelles sources de génération de
valeur qui contrastent avec les schémas classiques des entre-
prises commerciales et industrielles. Le BM répond à la question
suivante : quelles sont les sources de création de valeur pour une
organisation ? Il décrit comment l’organisation crée et capte la
valeur. En entrepreneuriat, les créateurs des Start-up innovantes
ont eu recours à ce concept intégrateur permettant d’expliquer aux
investisseurs les sources de génération de revenus, notamment
lorsque le service proposé aux clients est totalement gratuit.
Néanmoins, le concept de BM a été étendu à tous les secteurs
d’activités. Son usage est fréquent dans le contexte de création
d’entreprise mais aussi dans les entreprises établies. Il apparaît
comme une grille de lecture permettant d’étudier avec précision
et de comprendre les mécanismes de création de valeur. Cette
analyse ne peut s’affranchir d’une réflexion sur les ressources
dont dispose l’entreprise ou sur les aptitudes organisationnelles
qu’elle a développées en mettant en œuvre son BM. Cette analyse
doit également être complétée par des interrogations autour de
la vision (l’intention stratégique), qui définit ce que l’entreprise
entend être sur le long terme. Le BM est un outil complémentaire
à la réflexion stratégique. Une approche entrepreneuriale du
BM a été développée par Th. Verstraete et E. Jouison-Laffitte
(2009) qui s’appuient sur la théorie des conventions, la théorie
des parties prenantes et la théorie des ressources pour élaborer

mai-août 2012
Dossier I
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation
un modèle conceptuel du BM. Selon ces auteurs, le BM est une
représentation des trois composantes suivantes : la Génération de
la valeur, la Rémunération des ressources permettant la création
de cette valeur et enfin le Partage de cette dernière (modèle
GRP). Ce modèle est également valable pour des initiatives
d’entrepreneuriat social. En effet, le BM inclut trois composantes
explicites. Tout d’abord, la proposition de valeur (G) qui consiste à
définir l’offre pour répondre aux besoins exprimés par un groupe
de citoyens. Ensuite l’architecture de la valeur concerne à la fois
la stratégie de ressources et la stratégie opérationnelle (R). La
stratégie de ressources permet de définir l’origine et les moyens
humains, financiers et matériels nécessaires pour la mise en
place des activités et des programmes d’action. La stratégie
opérationnelle incluant le mode d’organisation interne (chaîne
de valeur) et la gestion des relations avec les parties prenantes
internes et externes (réseau de valeur). La troisième composante
renvoie au partage de la valeur créée (P). De notre point de vue,
le partage de valeur est limité dans les entreprises sociales.
Les bénéfices servent essentiellement à l’expérimentation
de nouveaux programmes et services (M. Yunus et al, 2010).
Enfin, une quatrième composante implicite est la contribution de
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l’entreprise sociale au processus de transformation sociale. Il
s’agit de la dimension politique qui se manifeste par la capacité
de l’entreprise sociale à proposer à ses membres des espaces
publics d’expression et de rompre avec des pratiques jugées non
satisfaisantes (exclusion économique et sociale, destruction de
l’environnement naturel, etc.).
2. É tude de deux cas
d’entrepreneuriat social
2.1. Méthodologie
Le papier repose sur une étude de cas multiples menée auprès de
deux organisations françaises de microfinance que nous nommons
Alpha et Oméga8. L’objectif est de déterminer les spécificités de
leurs business models. Le choix de ces organisations s’explique
par leur importance au niveau national et l’accessibilité des
données. Nous avons volontairement choisi une organisation
jeune de moins de 5 ans et une organisation de plus de 20 ans
d’existence. Ces deux organisations ont des volumes significatifs
d’activités. Nous avons privilégié une démarche qualitative qui
nous est apparue comme une méthode adaptée pour étudier
les business models de ces organisations.
Pour la collecte des données, nous nous sommes adressé en
premier lieu à des dirigeants, salariés et bénévoles d’Alpha et à un
responsable d’Oméga. Six entretiens semi-directifs d’une durée
moyenne d’une heure ont été réalisés. Ces entretiens ont été
centrés sur les axes suivants : le contexte général de la structure,
8. Pour des raisons de confidentialité, nous nommerons le cas n°1 Alpha et
le cas n° 2 Oméga.
mai-août 2012
53
Entrepreneuriat social
son mode de fonctionnement, ses usagers, ses partenaires et
son mode de financement et de développement. Les entretiens
ont été complétés par des données publiques (rapports annuels
et sites Internet). Notre analyse documentaire a été enrichie
par notre connaissance du terrain en qualité d’ancien praticien
du microcrédit. Une grille de codage a permis de structurer les
informations recueillies. L’analyse des données a reposé sur les
recommandations de M. Miles et A. Huberman (1991). Notre
objectif étant d’explorer les spécificités des business models des
entrepreneurs sociaux et de fournir un modèle intégrateur. Pour
atteindre cet objectif nous avons mobilisé les idées, à la fois,
dans la littérature et dans notre compréhension du phénomène
de l’entrepreneuriat social lors de notre étude.
Présentation du cas 1: Alpha
Alpha est une association de loi 19019, reconnue d’utilité
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publique. Elle a été créée en 1989. L’objet social d’Alpha est de
permettre aux personnes exclues du circuit bancaire classique
d’avoir accès à un microcrédit et à un accompagnement profes-
sionnel dans le cadre de leur projet de création ou de dévelop-
pement de petites entreprises. Alpha a opté pour un modèle
de développement centralisé. Son réseau d’agences couvre
l’ensemble du territoire français. Depuis sa création, l’asso-
ciation a accordé plus de 100 000 prêts solidaires. En 2011,
Alpha emploie près de 465 salariés et compte sur l’engagement
de près de 1 770 bénévoles. L’association propose trois types
de produits à ses clients : des prêts professionnels, des micro-
crédits sociaux et des micro-assurances mais l’essentiel de la
production, soit plus de 97%, est représenté par les microcrédits
professionnels. En 2011, l’encours de microcrédits atteint plus
de 52,5 millions d’euros.
Présentation du cas 2: Oméga
Oméga est une Société par Actions Simplifiée dont les statuts
ont été adaptés pour garantir la lucrativité limitée de la struc-
ture. Elle est née de l’idée de deux entrepreneurs sociaux en
septembre 2008. Au moment de sa création, Oméga a levé
2,4 millions d’euros sous forme de trois augmentations de capital
annuelles successives qui lui permettent d’assurer la couverture
de ses besoins jusqu’à l’époque escomptée d’atteinte de l’équilibre
financier prévu en 2014. Oméga est le premier site européen de
microcrédit solidaire en ligne. Elle collecte l’épargne des parti-
culiers pour ensuite le prêter à des Institutions de Microfinance
en France et à l’international. Les IMF doivent poster un résumé
de chaque projet à financer pour permettre aux épargnants de
faire leur choix de projet et suivre son évolution. Oméga apporte
aussi son expertise pour aider les IMF à se structurer et offrir
des services de meilleure qualité aux micro-entrepreneurs.
9. La loi de 1901 définit l’association comme « la convention par laquelle
deux ou plusieurs personnes mettent en commun, d’une façon permanente,
leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager les
bénéfices ».
Dossier I
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Tableau 2. Grille de lecture comparative Alpha/Oméga

Entrepreneuriat social

Critères Alpha Oméga

Forme juridique Association de loi 1901. Société par actions simplifiées à lucrativité limitée.
Investisseurs Pas d’actionnaires. Actionnaires éthiques : personnes physiques et
morales.
Mission sociale Financement et accompagnement des entrepreneurs Plateforme de microcrédit solidaire en ligne de
exclus du circuit bancaire classique. particulier à particulier dont l’objectif est le refinan-
cement des IMF en France et à l’étranger.
Modèle de développement Réseau centralisé d’agences de microcrédit qui couvre Siège social à Paris et possibilité d’élargissement
l’ensemble du territoire français et en Belgique (2011). de la plateforme à d’autres pays (Italie).
Activité d’expérimentation Innovation modes de distribution : Innovation organisationnelle :
sociale • Microcrédit en ligne • Salariés-associés dans la SAS
• Microcrédit en zone rurale • Interactivité avec la communauté des particu-
• Innovation produits financiers : liers prêteurs.
• Micro-assurances
• Microcrédit social
Innovation organisationnelle :
• Accueil téléphonique
• Gestion de la relation client

Ressources humaines
Spécificités
Modèle économique (le R
selon le modèle GRP)
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Salariés, bénévoles, stagiaires.
Ne collecte pas l’épargne publique.
Croissance constante des sources de financement
interne (environ 20% en 2011 contre moins de 5% les
dix premières années de l’activité).
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Salariés, stagiaires.
Collecte l’épargne publique.
Progression rapide du montant de l’épargne
collectée mais insuffisante pour atteindre l’équi-
libre budgétaire souhaité en 2014.

Depuis sa création, Oméga compte 14 500 épargnants et près
de 3 millions d’euros de fonds collectés (chiffres de février 2012).
Oméga emploie environ 10 salariés-actionnaires.
2.2. Analyse du cas Alpha
Le modèle économique d’Alpha a évolué au gré du changement
des règles juridiques régissant l’activité de crédit exercée par
des organismes non bancaires.
De l’intermédiation bancaire vers l’attribution directe
du microcrédit
Concernant les origines des fonds, l’association Alpha a, dans
un premier temps, prêté sur ses fonds propres puis mis en
place des conventions de partenariat avec des banques qui lui
permettaient de décider de l’attribution des crédits sur les fonds
de ces banques. Le versement et le remboursement des prêts
étaient gérés directement par la banque conventionnée. Alpha
ne perçoit aucune commission sur les intérêts des microcrédits.
Les charges de fonctionnement de l’association sont essentielle-
ment couvertes par des subventions publiques. Dans un second
temps, l’association a obtenu par le biais de la Loi n°2001-420 du
15/05/2001, relative aux nouvelles régulations économiques, la
possibilité d’emprunter auprès des banques pour ensuite prêter
à ses clients. Ce qui lui a permis, dès fin 2007, d’attribuer la
quasi-totalité de ses microcrédits directement.
D’une politique de moyens vers une politique
de résultats
L’association développe à la fois des activités de financement
et d’accompagnement des petites entreprises. Le coût moyen
de traitement et de suivi d’un microcrédit demeure élevé par
rapport au revenu d’intérêt qu’il est susceptible d’engendré.
Selon les calculs d’Alpha, ce coût moyen s’élève à 1 600 € alors
qu’un prêt moyen est de l’ordre de 3 000 € et génère moins de
450 € d’intérêts dont une partie revient aux bailleurs de fonds
privés. La couverture du coût de microcrédit ne peut donc se
faire sans augmenter la productivité et par conséquent l’adoption
du management par objectifs.
L’expérimentation sociale
Comme précisé dans les critères de définition d’une entreprise
sociale, développer une activité entrepreneuriale est néces-
saire. L’importance des revenus issus de l’activité dépend de la
solvabilité des usagers/clients. Or dans plusieurs entreprises
sociales, le prix des prestations ou des produits ne permet pas
de couvrir le coût de revient. Des ressources compensatoires
sont ainsi nécessaires pour maintenir durablement l’activité de
l’entreprise sociale. Alpha expérimente de façon très régulière de
nouvelles méthodes d’organisation interne de ses activités et de
nouveaux produits financiers et services d’accompagnement des
porteurs de projets. L’association cherche à améliorer le taux de
couverture du coût du microcrédit par la captation de la valeur
tout au long de la chaîne. L’accompagnement est gratuit pour

mai-août 2012
Dossier I
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l’entrepreneur mais l’association met en avant la spécificité de
son offre « le microcrédit accompagné » pour attirer l’attention de
ces financeurs sur le coût de l’accompagnement et innover sur
les méthodes de collecte de fonds pour couvrir ce coût. Alpha
expérimente également de nouveaux canaux de distribution
(microcrédit et services d’accompagnement sur Internet, agences
mobiles en milieu rural, agences commerciales dans des zones
urbaines denses). C’est cette capacité d’innovation qui permet à
l’association de mobiliser les collectivités publiques et les acteurs
privés. L’équilibre des recettes et des dépenses n’est donc pas
fondé sur une logique d’efficacité économique mais d’efficacité
organisationnelle de l’institution. Autrement dit sur sa capacité
à apporter une réponse professionnelle aux problèmes d’exclu-
sion par le crédit et in fine de reconnaître le « droit à l’initiative
d’entreprendre » des personnes les plus démunies.
La contribution de la société civile
L’engagement des bénévoles10 permet une économie de coûts
financiers induits par le processus de production en contribuant
soit à la gestion de l’association (membres du conseil d’adminis-
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tration par exemple), soit à la réalisation du bien ou du service.
L’implication bénévole constitue une « caution morale » quant
au contrôle démocratique de l’association, dans sa gestion et
dans la poursuite de sa mission d’utilité sociale. L’intérêt que les
bénévoles manifestent en s’impliquant dans la bonne marche
de l’organisation relève généralement plus de l’intérêt commun
que du strict intérêt individuel.
La contribution de la puissance publique
L’interdépendance entre l’entreprise sociale et les pouvoirs publics
est nécessaire, à un degré variable. Les activités à forte utilité
sociale s’adressant à une demande peu ou pas solvable ont
besoin des ressources de la redistribution publique au regard de
la dynamique d’insertion ou du service rendu à la collectivité. Les
subventions compensent le coût de l’accompagnement profes-
sionnel et le surcoût de distribution lié au faible montant des
opérations financières. L’accompagnement professionnel permet
d’aider le jeune entrepreneur à acquérir son autonomie dans la
gestion de son activité. L’État peut réaliser un retour sur investis-
sement positif puisque les coûts évités sont souvent supérieurs
au montant de l’aide accordée à l’institution qui accompagne le
jeune entrepreneur (moins d’indemnité chômage ou de minima
sociaux à verser et davantage de cotisations sociales perçues).
La contribution des partenaires privés
On distingue au moins trois catégories de partenaires privés
avec lesquels une entreprise sociale peut coopérer. La première
10. Le bénévolat est défini par l’Avis du Conseil économique et social du
24 février 1993: « Est bénévole toute personne qui s’engage librement pour
mener une action non salariée en direction d’autrui, en dehors de son temps,
professionnel et familial ».
mai-août 2012
55
Entrepreneuriat social
catégorie est composée des organisations privées non marchandes
(les associations à but non lucratif). Ensuite, une deuxième
catégorie regroupe les réseaux nationaux auxquels l’entreprise
sociale est adhérente. Enfin, la troisième catégorie rassemble
les entreprises capitalistes avec lesquelles l’entreprise sociale
entretient des relations commerciales marchandes ou d’aide.
Chaque catégorie peut fournir des ressources matérielles et/ou
cognitives. Les réseaux des entreprises sociales ont pour objet de
favoriser l’émergence de nouvelles entités ou de défendre leurs
projets auprès des pouvoirs publics. Des relations de coopération
et d’alliance avec d’autres organisations sociales ou capitalistes
favorisent l’accès à ces différentes ressources. On retrouve ici
la notion d’économie plurielle (J.-L. Laville, 1996) mettant en
jeu les trois pôles de l’économie : État-Marché-Société civile.
2.3. Analyse du cas Oméga
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Oméga: la co-construction d’une entreprise solidaire
Oméga se place dans une logique de marché avec des exigences
minimales de profitabilité. L’épargnant devient partie prenante de
l’ensemble du processus de soutien aux micro-entrepreneurs des
pays du Sud et du Nord. Du point du vue de l’épargnant-acteur il
existe une consonance positive très forte dans son acte d’épargne
puisqu’il se situe pleinement dans une démarche de solidarité.
L’épargnant s’engage à verser des frais sur le montant épargné
et accepte de ne pas percevoir des intérêts. Oméga place les
fonds collectés dans des organismes financiers avant de les
prêter à des institutions de microfinance. Ainsi, Oméga crée
de la valeur économique au moment de la collecte, du place-
ment des fonds et du refinancement des IMF. Dès la création
d’Oméga, le collectif des associés de l’entreprise cherche à
obtenir l’adhésion des acteurs externes pour les transformer en
parties prenantes. Le besoin de coopérer avec plusieurs parties
prenantes est nécessaire pour la constitution du capital social
et l’acceptation de la société civile du projet. La diversité des
parties prenantes pose inévitablement la question de la gouver-
nance et la façon de tenir compte de leurs intérêts divergents
(T. Donaldson et L. Preston, 1995). La pérennité de l’entreprise
sociale naissante dépend de la qualité des relations d’échange
avec les parties prenantes internes et externes (M. Clarkson,
1995. Le processus d’adhésion des parties prenantes s’apparente
à une convention proposée par l’équipe entrepreneuriale quant
à la pérennité du projet et ses possibles retombées sociales et
économiques. Comme le souligne fort justement P.-Y. Gomez
(1996; p. 145). « La convention est une construction sociale,
parce qu’elle n’existe concrètement que par l’accumulation de
comportements mimétiques, auxquels elle donne, comme un
miroir social, leur sens » Par exemple, les financeurs peuvent
agir de façon mimétique. Ils sont moins réticents à soutenir un
projet social lorsque ce dernier a conquis la confiance d’autres
financeurs publics ou privés.
Dossier I
 56 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation

3. Proposition d’un modèle

Entrepreneuriat social

bution des salariés, paiement des fournisseurs, des clients,

économique intégrateur
des entreprises sociales
L’étude des cas Alpha et Oméga illustre la diversité des modèles
économiques au sein d’un même secteur d’activité : la microfi-
nance. Partant de ces deux cas, notre objectif est de proposer
un modèle intégrateur que chaque entreprise sociale peut
s’approprier pour définir son BM. La figure 2 constitue ainsi une
représentation conceptuelle du BM d’une entreprise sociale.
Sa partie supérieure concerne le processus organisationnel
qui commence par l’impulsion de l’idée et les motivations de
ses fondateurs (un collectif). La dynamique organisationnelle
peut exister avant même l’institutionnalisation, par le droit, de
l’entreprise sociale.
La dynamique collective autour du projet permet de transformer
etc.). Dès lors que l’entreprise réalise un excédent financier,
elle peut décider de constituer des « réserves impartageables »
(obligatoire dans le cas des coopératives), voire rémunérer les
investisseurs en capital (dividendes limités à un tiers du résultat
pour les coopératives). L’essentiel de l’excédent est réinvesti
dans le projet ou dans l’expérimentation de nouvelles actions et
vient consolider le patrimoine collectif. De notre point de vue, il
n’existe pas de one best way pour construire un modèle écono-
mique viable à partir d’un besoin social non solvable, mais des
solutions « sur mesure » qui correspondent au contexte social,
économique, politique et culturel et au niveau de l’implication
des acteurs pour assurer la continuité des activités.
Le deuxième output représente les impacts des activités écono-
miques sur les personnes et l’environnement. Les indicateurs
d’impact social et les indicateurs d’impact économique sont
essentiels pour appréhender la performance globale d’une

l’idée en une organisation visible pour d’autres acteurs. La
proposition de valeur concerne l’offre de produits et/ou services
que l’entreprise sociale envisage de distribuer auprès de chaque
population cible (les exclus de la banque dans le cas d’Alpha).
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entreprise sociale. Un autre impact indirect est le potentiel de
réplication de l’innovation sociale. Les impacts des innovations
sociales sont donc toujours complexes à mesurer : impacts
économiques, impacts sociaux et impacts indirects.

Le deuxième rectangle concerne l’architecture de valeur, c’est-à-

dire l’origine des ressources nécessaires au développement des Au-delà de sa contribution à l’amélioration des conditions de vie
activités de l’organisation et l’articulation de ces ressources entre du public touché par ses actions, l’entreprise sociale porte le
elles. L’entreprise sociale coordonne les différentes transactions germe du changement des pratiques conventionnelles à l’échelle
avec son réseau de liens avec diverses parties prenantes. La de la société ou encore la possibilité de mobiliser cette même
gestion des relations internes et externes nécessite une réflexion « société paralysée » (K. Polanyi, 1944, 1983) autour de son
sur la gouvernance de l’entreprise sociale. propre avenir. Il s’agit de donner à l’ensemble des acteurs de
La troisième composante d’expérimentation sociale met l’accent la société la capacité d’acquérir de nouvelles façons de penser
sur la dynamique d’innovation sociale dont font preuve les entre- et d’agir. Les acteurs impliqués dans ce processus de transfor-
prises sociales. En effet, les entreprises sociales expérimentent mation structurelle sont nécessairement l’État, les collectivités,
régulièrement de nouveaux programmes, pour la plupart complé- les entreprises et les citoyens.
mentaires à leur cœur de métier. Ces innovations émergent
souvent des pratiques des acteurs et de l’évolution des besoins
des usagers. L’apprentissage par la pratique est à l’origine de
l’innovation.
À titre d’exemple, une association intermédiaire dont le cœur
de métier est l’insertion par le travail peut proposer un service
de location de deux roues, pour venir en aide aux salariés
sans permis ou sans moyen de locomotion, notamment dans
des territoires ruraux peu ou pas desservis par les transports
publics. La démarche d’innovation implique donc de nombreux
tâtonnements : longues phases de recherche et d’identification
d’un besoin social, expérimentation des réponses effectives à ce
besoin au travers de cette innovation, évaluation, ajustement et
déploiement à grande échelle en cas de réussite. La démarche
d’innovation sociale est par conséquent difficile, longue, coûteuse
et risquée.
La partie inférieure de la figure 2 illustre les deux catégories
d’outputs attendus du BM. Le premier output est la production
et la vente de biens et de services à des bénéficiaires ou à des
clients. Cette activité permet de générer de la valeur économique
pour couvrir les charges d’exploitation. Pour générer cette valeur,
l’entreprise sociale doit rémunérer certaines ressources (rétri- Figure 2. Modèle économique type d’une entreprise sociale

mai-août 2012
Dossier I
 La Revue des Sciences de Gestion, Direction et Gestion n° 255-256 – Organisation
4. Implications managériales
Notre article fournit plusieurs implications managériales pour
les dirigeants des entreprises sociales et leurs diverses parties
prenantes, internes et externes. Les deux études de cas montrent la
fragilité des modèles économiques liée à la difficulté de couvrir les
coûts de production. Néanmoins, le besoin des apports financiers
externes (subventions publiques, mise à disposition de fonds privés)
« ne dispensent absolument pas ces structures de la recherche
d’une rentabilité suffisante, leur conférant à minima l’équilibre
budgétaire » (P. Glémain et P. Moulévrier, p. 124). Cette situation
pousse l’organisation à mettre en place de nouvelles pratiques,
avec notamment une attitude commerciale et professionnelle
au niveau de la conception des offres de réponses aux besoins
sociaux, de la recherche de financements via des relations de
partenariat avec les acteurs publics et privés dans une logique
« gagnant-gagnant ». La professionnalisation des structures, par la
formation des permanents et des bénévoles ou le recrutement des
personnes qualifiées, permet d’améliorer la qualité des services
proposés aux usagers/clients tout en conservant l’esprit militant
et humaniste des acteurs du terrain (dimension politique). Les
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activités commerciales développées ne devraient être entreprises
que si elles sont en adéquation avec les attentes des parties
prenantes, notamment les bénévoles et les donateurs financiers
qui souhaitent soutenir la mission sociale d’une organisation.
Cet article montre le rôle de l’expérimentation sociale qui permet
d’explorer de nouveaux services générateurs de revenus ou des
modèles novateurs de création de la richesse sociale.
Conclusion
Une démarche entrepreneuriale visant à servir une finalité sociale
implique la mise en place d’un modèle économique explicite. Ce
modèle prend la forme d’une convention proposée par l’équipe des
entrepreneurs-fondateurs aux parties prenantes. Il fait apparaître
deux types d’outputs : un résultat économique et des impacts
sociétaux. La pérennité financière ne peut pas être obtenue à
travers la marchandisation des biens et services mais par une
approche globale intégrant, d’un côté l’ensemble des ressources
consommées et, de l’autre, les différentes sources de revenus.
Lorsque la population cible est peu solvable, l’engagement des
parties prenantes est indispensable pour assurer la pérennité
de l’entreprise sociale. Dans le cas d’Oméga, la communauté
des épargnants solidaires constitue le maillon fort de la chaîne
de valeur puisque l’argent collecté permet de créer de la valeur
(prélèvement d’une commission sur le montant épargné et intérêts
financiers sur les placements temporaires des fonds disponibles).
La transparence de l’information dont fait preuve Oméga sur ses
activités permet à l’épargnant de s’assurer que cette dernière
ne se détourne pas de sa mission sociale (le refinancement
des IMF à faible coût). Le BM d’Oméga est essentiellement
centré sur la création de valeur par le couple marché–société
civile. La contribution de l’État est essentiellement indirecte,
mai-août 2012
57
Entrepreneuriat social
notamment par la réduction des impôts sur les revenus des
donateurs privés. Dans le cas du modèle associatif d’Alpha,
la pérennité est structurellement dépendante de l’hybridation
des trois pôles de l’économie : État, société civile et marché.
La viabilité d’Alpha tient dans sa capacité d’expérimentation de
nouvelles méthodes organisationnelles ou de services (proximité
géographique et accompagnement) pour démontrer son effica-
cité dans la gestion des ressources de financement, bien que
l’instabilité des financements publics se traduise par un effort
d’ajustement permanent du niveau de contribution de chacun
des trois pôles de l’économie. Les entrepreneurs sociaux, leurs
entreprises et leurs modèles économiques nécessitent d’être
étudiés. Les futurs chercheurs peuvent saisir la diversité des
initiatives sociales pour mettre au jour leurs différences.
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