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LES DÉFIS DU TRANSFERT DES CONNAISSANCES DANS LE CADRE

D'UNE FUSION

Mohamed-Larbi Aribou

Association de Recherches et Publications en Management | « Gestion 2000 »

2013/1 Volume 30 | pages 123 à 138


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ISSN 0773-0543
DOI 10.3917/g2000.301.0123
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https://www.cairn.info/revue-gestion-2000-2013-1-page-123.htm
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Mohamed-Larbi Aribou,
Doctorant en Sciences de Gestion,
HuManiS (EA 1347) de l’EM Strasbourg,
Université de Strasbourg - France

Les défis du transfert des ??


connaissances dans le cadre
d’une fusion I le
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L es fusions & acquisitions (F&A) constituent depuis plusieurs années l’un des modes
de développement les plus répandus dans la stratégie des entreprises ayant pour
objectif une amélioration de la performance globale. Or, les résultats de ces opérations
sont incertains, les F&A se terminant plus fréquemment par un échec que par un succès
(Schoenberg, 2006). Des résultats existent dans la littérature spécialisée consacrée à ce
sujet, mais ils ne sont pas toujours convergents (Capron & Hulland, 1999; Homburg &
Bucerius, 2005). Cependant, il est possible de noter qu’au cours des dernières années
plusieurs travaux en management stratégique se sont clairement orientées vers l’impor-
tance croissante du transfert de connaissances pour expliquer le résultat des F & A
(Bresman & al., 1999; Ranft & Lord, 2002; Casal & Fontela, 2007). Les études en la
matière se contentent de faire l’hypothèse selon laquelle, certains types de F & A sont
plus propices que d’autres au processus au transfert des connaissances (Takeishi, 2001).
Selon De Man & Duysters (2005), les causes exactes de ce constat restent peu claires.
Une explication peut être cependant recherchée dans la sous-estimation par les acteurs
des difficultés de réalisation de l’intégration post-fusion, en particulier dans le cas du
transfert de connaissances (Jemison & Sitkin, 1986; Schoenberg, 2001). De ce fait, une
question qui se pose est de savoir quels sont les facteurs influant le transfert de connais-
sances dans le processus d’intégration post-fusion. Malgré l’importance croissante de la
période d’intégration dans le succès d’une F&A et de nombreuses typologies des stra-
tégies d’intégration proposées (Haspeslagh & Jeminson, 1991; Koenig & Meier, 2001),
on constate une faiblesse majeure des études sur le transfert des connaissances dans le
contexte des rapprochements technologiques.

Cette article ambitionne donc d’enri- du transfert des connaissances dans


chir la recherche et la compréhen- le cadre d’une fusion. Dans ce but,
sion des facteurs influant le processus un cadre théorique a été élaboré en

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nous appuyant sur la littérature spé- tence de ces connaissances (le type
cialisée. L’étude empirique proposant des connaissances). La réussite de l’in-
l’analyse d’un cas de fusion entre deux tégration post-fusion est liée à la néces-
entreprises évoluant dans le secteur sité de combiner les talents des deux
des télécommunications, qualifiées de organisations. Le départ des cadres
Alpha et Beta du fait de la confidenti- clés de la cible a des implications né-
alité requise par les entreprises ayant gatives sur la performance post-fusion
accordé les entretiens, permet d’avan- (Cannella & Hambrick, 1993).
cer plusieurs résultats.
Inkpen & Dinur (1998) suggèrent que
le succès du transfert est conditionné
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Les fusions & acquisitions par l’existence d’une complémentarité
entre les deux sociétés au niveau des
et les déterminants bases de connaissances, des structures
du transfert des organisationnelles, de la logique stra-
connaissances tégique et au niveau technologique.
Cette compatibilité porte sur la culture
organisationnelle (Haspeslagh & Jemi-
son, 1992) et sur la nature des acti-
La fusion comme accès
vités et le comportement des acteurs
à des connaissances
(Meier & Missonier, 2006). Dans une
stratégiques étude récente, Van Wikji & al. (2008)
montrent que la confiance constitue
La nature de la connaissance, tout à le déterminant le plus important du
la fois tacite et explicite, individuelle et transfert des connaissances. A un ni-
organisationnelle, rend difficile la réa- veau dyadique, nous pouvons définir
lisation du transfert entre l’acquéreur et la confiance comme la croyance à la
la cible. Les deux organisations doivent fiabilité des engagements du parte-
donc définir et évaluer les ressources et naire et au respect de ses obligations
connaissances à transférer (Puranam inhérente à la relation (Inkpen, 2000).
& al. 2006). Le transfert et la diffusion La confiance réduit ainsi les coûts de
de ces connaissances dans la nouvelle transaction et accroît l’efficacité orga-
organisation créée suppose la collabo- nisationnelle. Elle permet d’obtenir
ration des acteurs des deux entités. De de meilleurs résultats que ceux atten-
ce fait, il convient de s’interroger sur la dus, intensifie la communication et
capacité des managers à identifier les limite les risques de divergence entre
connaissances stratégiques (la nature les partenaires. Des opérations anté-
des connaissances) et à déterminer les rieures réussies peuvent augmenter
causes et les conséquences de l’exis- la confiance. Dans cette perspective,

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Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

les entreprises cherchant à fusionner ment peut être librement consenti ou


doivent veiller à la qualité et à la répu- imposé. Dans la symbiose, c’est la so-
tation de leur futur partenaire (Grant, ciété acquise qui diffuse ses normes, et
1991). Aussi, la volonté des parte- qui enrichit l’acquéreur de ses connais-
naires à partager leurs ressources de sances. L’acquéreur tente d’intégrer
façon équitable contribue fortement au progressivement la cible afin d’éviter la
transfert et à l’intégration des connais- destruction des qualités spécifiques de
sances (Cohen & Levinthal, 1990). Tou- l’entreprise. Dans la préservation, le
tefois, la mise en place d’une nouvelle pluralisme organisationnel est mainte-
organisation peut mettre en péril la nu. L’intégration combinant le meilleur
pérennité et la réalisation du transfert des deux entités est un rapprochement
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des connaissances. Dans ce contexte, où chacun apporte le meilleur de son
Haspeslagh & Jemison (1991) propose organisation. Haspeslagh & Jemison
d’accorder un délai de découverte et (1991) présentent ainsi les trois caté-
de compréhension pour la cible afin gories comme des modes alternatifs de
de déterminer des ressources liées aux F&A.
divergences entre les deux entreprises.
En effet, quels que soient les motifs de Il est important de noter que la réussite
la fusion, les auteurs indiquent que le du transfert de connaissances ne dé-
succès de l’opération dépend de la pend pas du simple accès aux connais-
capacité des acteurs à trouver le juste sances stratégiques, encore faut-il que
équilibre entre la nécessité d’interdé- les acteurs puissent s’en servir.
pendance (favorable au transfert de
connaissances) et le besoin d’autono-
mie que la cible doit conserver pour
Les capacités d’absorption
maintenir ses propres connaissances
stratégiques. L’équilibre requis entre
et de dissémination des
ces deux dimensions (interdépendance connaissances
et autonomie) détermine la stratégie
d’intégration possible : l’absorption, la Selon Kira (2006), l’acquéreur devra
préservation et la symbiose. être d’une part en mesure d’identi-
fier les connaissances prometteuses
Dans l’absorption, l’acquéreur apporte de la cible, et d’autre part capable
de nouveaux systèmes de manage- de les absorber et de les combiner
ment et transforme l’acquis en profon- efficacement avec son propre capital.
deur mais à un rythme qui peut varier. Puranam & al., (2006) définissent la
Schweiger & al., (1994) expliquent capacité d’absorption comme un pro-
que cette combinaison n’est pas néces- cessus d’apprentissage impliquant des
sairement à sens unique. Ce change- difficultés quant à la valorisation du

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capital de connaissances de la cible écart de taille conduit souvent à une


ainsi qu’à l’intégration de ce capital absorption organisationnelle qui com-
dans celui de l’acquéreur. En réalisant porte la possibilité d’une destruction ou
une série d’entretiens avec des acteurs d’un effacement des connaissances de
de l’industrie High-tech, les auteurs la cible.
montrent que les acquéreurs cherchent
en réalité à élargir leurs capacités à La capacité de dissémination s’entend,
innover, tout en préservant les leurs, quant à elle, comme l’aptitude des
afin de profiter d’effets de synergies. partenaires à adapter leurs connais-
sances en fonction de leurs spécificités
Au delà de ces constats, la simple culturelles, stratégiques ou organisa-
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acquisition de connaissances n’est pas tionnelles. Zander & Kogut (1995) ex-
suffisante, mais il faut les transférer à pliquent que la capacité de dissémina-
l’intérieur de l’organisation entre les tion repose essentiellement sur un effort
différentes unités. La capacité d’ab- de formalisation et de codification des
sorption est donc un processus d’inte- connaissances. Dans son étude menée
raction, de partage et de transfert inter- sur les fusions, Zollo (1998) définit
organisationnel mais aussi intra-orga- la formalisation comme un processus
nisationnel (Volberda & al., 2010). La de codification des connaissances
diversité des expériences accroît les acquises par les managers au cours
possibilités d’association, de combi- de leurs expériences en matière de
naison et de fertilisation croisée des fusion (ex. logiciels, manuels d’intégra-
connaissances nouvellement acquises tion…). On entend de l’expérience, le
aux connaissances déjà existantes. nombre d’opérations réalisées par les
Cette dimension évolutive confère à entreprises dans le passé. La littérature
cet actif intangible un caractère dyna- spécialisée avance que la diversité
mique (Zahra & Georges, 2002). des expériences accroît les possibilités
d’échange, de combinaison et de ferti-
La capacité d’absorption dépend ainsi lisation croisée des connaissances nou-
des connaissances maîtrisées par les vellement acquises aux connaissances
partenaires mais aussi de la création déjà existantes. On entend de l’expé-
des conditions et des mécanismes sus- rience, le nombre d’opérations réali-
ceptibles de favoriser le transfert et sées par les acteurs impliqués dans le
l’intégration de ces connaissances tels passé. La littérature en la matière (Ha-
que la communication et l’échange leblian & Finkelstein, 1999; Simonin,
d’information (Bresman & al., 1999). 1999) démontre que l’accumulation de
Selon Chi (1994), l’écart de taille entre l’expérience des coopérations déter-
les partenaires peut influencer les trans- mine une plus ou moins grande capa-
ferts dans la mesure où un important cité à gérer le processus d’intégration.

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Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

Les managers qui ont de l’expérience ment des connaissances et des routines
en matière d’acquisitions disposent de inter-organisationnelles spécifiques
connaissances et compétences mana- au pilotage d’intégration (Zollo & al.,
(Bresman & al., 1999). Selon Chi (1994), l’écart de taille entre les partenaires peut influencer
gériales nécessaires afin de réussir le 2002), la compréhension mutuelle, la
transfert de connaissances
les transferts dans la mesure (Finkelstein
où un important écartrésolution dessouvent
de taille conduit problèmes et le déploie-
à une absorption

& Haleblian, 2002). L’accumulation ment de la confiance (Reuer


organisationnelle qui comporte la possibilité d'une destruction ou d'un effacement des & al.,
d’expériences permet le développe- 2002).
connaissances de la cible.

Cadre
Figure 1 :Figure 1 –d’analyse des facteurs
Cadre d’analyse des facteurs influant le
influant transfert
le transfert desdes
connaissances dans lesdans
connaissances F&A
les F & A.
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Nature des connaissances

Complémentarité des partenaires

Confiance

Niveau d’engagement
Mode Transfert des
d’intégration connaissances

Intensité de la communication

Expériences des partenaires

Ecart de taille

Codification des connaissances

Méthodologie
2. Méthodologie
d’un accès privilégié au terrain : grâce
à un cabinet de consulting1, situé sur
L’analyse du terrain s’est concentrée sur l’étude d’une la région parisienne
fusion entre et spécialisé
deux entreprises évoluant dans
L’analyse du terrain s’est concentrée
le traitement des opérations de F&A
sur l’étude
dans led’une
secteurfusion entre deux en- Il nous faut reconnaitre qu’il pourrait s’avérer
des télécommunications.
technologiques, nous avons eu l’oppor-
treprises évoluant dans le secteur théorique
des
difficile de trouver une justification tunité
forte de rencontrer
à ce choix. En effet, nous le avons
directeurprofitéde la
télécommunications. Il nous faut recon-
société Alpha-Beta. (1) Cela nous a permis
naitred’un
qu’ilaccès
pourrait s’avérer
privilégié difficile
au terrain : grâcedeà un cabinet de consulting , situé sur la région
d’avoir accès à un grand nombre d’in-
trouver une justification
parisienne théorique
et spécialisé dans fortedes opérations de F&A technologiques, nous avons
le traitement
terlocuteurs. Mais au delà de cet as-
à ce choix. En effet, nous avons profité
eu l’opportunité de rencontrer le directeur de la pect, sociéténotre cas présentait
Alpha-Beta. Cela nous desa permiscaracté-
ristiques intrinsèques répondant à nos
1
(1)
Pour –des
Pourraisons
des raisons
de de confidentialité, nous
confidentialité, pouvons ici analyses
nousnene citer son nom.théoriques : même
Le choix de ce cabinet et la si ladefusion
prise
était horizontale, les différences straté-
contact ont été grandement guidés et facilités par notre réseau de connaissances.
pouvons ici citer son nom. Le choix de ce cabi-
net et la prise de contact ont été grandement 6
guidés et facilités par notre réseau de connais-
sances. 127

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giques, culturelles et organisationnelles ment. De nombreux documents ont per-


étaient suffisantes pour donner lieu à mis de compléter la collecte d’informa-
des transferts de connaissances. De tion : informations publiques, rapport
plus, la fusion était totale et couvrait d’activité, dossiers et articles dans la
toutes les activités de la société. Cette presse spécialisée. Cette collecte addi-
diversité des situations à l’intérieur tionnelle a permis la triangulation des
d’une même opération ne pouvait être données et l’augmentation de la validi-
qu’enrichissante. Le choix de ce terrain té de l’étude (Lincoln & Guba, 1985).
a donc bénéficié d’une conjoncture
favorable et répondu à un indéniable
opportunisme méthodologique. Nous Résultats de l’étude
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nous inspirons largement des travaux
de Yin (1994) en la matière qui précise
que le recours à l’étude de cas se jus-
tifie lorsque : «[…] les questions «com- Les objectifs de la fusion
ment» ou «pourquoi» se posent, quand
le chercheur n’a que peu de contrôle Alpha et Beta, deux sociétés de télé-
sur les événements, et lorsque le centre communications, ont décidé de fusion-
d’intérêt porte sur un phénomène ner au milieu des années 2000 afin de
contemporain au sein d’un contexte mettre en place une stratégie commune
social réel» (p.13). Pour respecter la et d’unir leurs compétences et connais-
logique d’échantillonnage théorique sances stratégiques. La motivation pre-
et ne pas construire une représentation mière de l’opération était de pouvoir
biaisée, nous avons essayé de varier créer une nouvelle entité plus forte et
les caractéristiques des répondants qui plus concurrente. Ainsi le D.G de la
viennent d’horizons hiérarchiques, de société explique : «l’objectif principal
fonctions différentes. L’étude a été me- était de fusionner et d’intégrer les deux
née avec des alternances de périodes sociétés pour acquérir des grands parts
d’entretiens et de périodes de retour du marché et créer un phénomène de
à la théorie. Les entretiens menés sont taille qui était incontournable». Préci-
de type semi directif et leur durée sons ici que la fusion était comprise,
moyenne est d’une heure et trente malgré l’écart de taille (mesuré par le
minutes. Les interviews ont été enre- CA), comme une occasion de transfé-
gistrées et retranscrites de manière à rer et partager les connaissances tech-
limiter les biais relatifs à l’interprétation nologiques. Ces dernières constituent
des données. Les répondants ont été in- un ensemble de processus, d’expé-
formés de la confidentialité des propos riences, d’attitudes et de comporte-
tenus et l’enregistrement des entretiens ments, qui ont contribué à leur créa-
n’a été réalisé qu’avec leur consente- tion. Ils sont la résultante de conditions

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Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

historiques uniques, au sens de Barney tion et de son potentiel d’innovations


(1991). Si les acteurs attachent de l’im- apportées aux produits.
portance aux connaissances technolo-
giques, c’est que l’industrie est en effet
beaucoup plus technique et nécessite Forte réputation des partenaires
plus de connaissances rares. L’objectif
était de profiter des acquis de chaque Le poids du passé a influencé positive-
société et de construire une organisa- ment la conclusion de l’accord entre
tion intégrant le meilleur de chaque Alpha et Beta, dans la mesure où les
entreprise : «chaque société a ramené acteurs perçoivent les mêmes priorités
les différentes expériences, savoir-faire
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stratégiques et partagent une vision
technologiques…» (D.G). La fusion commune de l’avenir. Cette complémen-
n’avait pas comme objectif initial de tarité a nettement favorisé l’émergence
prendre la forme d’une absorption et la d’un climat de confiance. La réputation
mise en œuvre s’est voulue égalitaire. d’Alpha a été largement acquise du fait
de l’historique de la société. Elle dispo-
sait d’un savoir-faire dans la gestion de
Un contexte organisationnel l’intégration post-fusion dont les opéra-
favorable tions précédentes pouvaient s’inspirer.
Beta est considérée, par les acteurs d’Al-
pha, comme une société incontournable
et comme la référence sur le marché.
Complémentarité entre les
partenaires

La conduite de l’intégration
Durant la phase de négociation, les
discussions ont porté sur la nouvelle post-fusion
équipe de direction, mais aussi sur la
complémentarité des deux sociétés en Les négociations entre Alpha et Beta se
termes d’objectifs. Ainsi, les partenaires sont conclues de manière extrêmement
partagent les mêmes perspectives rapide. Dans la phase de préparation,
d’avenir avec l’ambition de devenir un les acteurs dirigeants optent pour une
acteur majeur sur le marché. L’analyse politique de collaboration permettant de
des cultures respectives des partenaires partager équitablement les ressources
montre une forte complémentarité : et de favoriser ainsi la mise en commun
«[…] il s’agit de deux cultures diffé- des savoir-faire organisationnels et tech-
rentes mais complémentaires» (D.F). En nologiques. Or, selon la typologie de
effet, Alpha souhaite, par la fusion avec Haspeslagh & Jemison (1991), on peut,
Beta, bénéficier de sa capacité de réac- à partir des propos des acteurs, penser

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que le mode d’intégration choisi a été pas clairement en faveur d’une des deux
l’absorption : «Initialement, c’était une sociétés, il y a adoption d’une position
forme de fusion avec des actionnaires intermédiaire des normes de jugement :
qui acceptaient de devenir minoritaires «Alpha était en forte croissance, alors
alors qu’ils étaient largement majori- que la société Beta était un petit peu blo-
taires à chaque côté […] mais en réa- quée […]» (D.G). Face à cette situation
lité, il y a eu une absorption de Beta par de blocage, Alpha reprend en main la
Alpha» (D.G). L’utilisation de cette typo- nouvelle organisation créée et impose
logie implique de définir l’intégration ses modes de gestion et ses règles de
comme la succession de deux phases : fonctionnement.
la découverte et la rationalisation. Les
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auteurs discutent en effet, la durée de la La deuxième phase de l’intégration
période de découverte à travers le be- s’est produite par une logique de
soin d’autonomie. Ce dernier exprime rationalisation organisée en faveur
la nécessité de conserver le contexte or- d’Alpha. En effet, il y a un lien très fort
ganisationnel de la cible pour accéder entre le rapport de pouvoir et le mode
à ses propres connaissances, en atten- d’intégration. Selon le D.S, «celui qui a
dant de les transférer chez l’acquéreur. plus de pouvoir, c’est sa culture qui va
Ainsi, laisser une autonomie à la cible dominer…». L’intégration s’est trans-
dans une période d’un an minimum formée d’ «un mariage collaboratif»
permet, selon les auteurs, d’identifier à «un mariage traditionnel» au sens
et comprendre les connaissances de la de Cartwright & Cooper (1994) : «…
cible afin de favoriser leur transfert. après les réunions, nous avons décidé
de garder les valeurs d’Alpha» (D.G).
Dans notre cas, le choix d’une phase
de découverte de 4-5 mois découle de
ce diagnostic. La volonté des acteurs fut
d’éviter une possible attitude vainqueur/ Une faible capacité
vaincu et de promouvoir un principe d’ absorption et de
d’égalité entre les deux structures. Ce- dissémination comme frein au
pendant, les personnes interrogées consi- transfert des connaissances
dèrent que la plus grande taille d’Alpha
(CA est 3/2 supérieur que celui de Beta),
La communication du rapprochement
la notoriété supérieure d’Alpha et la per-
formance des partenaires conduisaient à
une situation ingérable. Elle correspon- Aucun entretien ne mentionne des doutes
dait au phénomène de «normalisation» concernant ce qui a pu être communi-
décrit par Moscovici (1996). En effet, qué pendant le processus d’intégration.
dans le cas où le rapport de pouvoir n’est Un des volets de la mission de l’équipe

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Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

d’intégration dans la phase de prépara- plicité des acquisitions réalisées dans


tion était d’intégrer l’historique de Beta le passé. Cependant, l’opération de
au sein d’Alpha et de présenter aussi l’ampleur du rapprochement Alpha-
l’histoire d’Alpha aux employés de Beta. Beta étant considérée par les acteurs
L’autre mission était aussi de préparer comme nouveau et particulièrement
l’intégration des individus : «je réunissais importante : «La fusion avec la société
toutes les 2 semaines avec les managers [Beta] représentait pour nous des meil-
pour donner de l’information même dès leures pratiques de tout ce que nous
fois de manière très répétitive […] on avions appris avant» (D.A.G). Cepen-
communiquait pourquoi on faisait cette dant, le style de management employé
opération pour diminuer les inquiétudes. dans les intégrations précédentes avait,
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On a essayé de communiquer tout ce très autoritaire, laissé des traumatismes
qui est communicable. Tous les mois, il y chez certains acteurs : «On a fait des
avait une réunion des principaux mana- erreurs dans les fusions précédentes. La
gers, pour parler de tous les chantiers première opération avec la société […]
qu’on faisait. On a essayé en tout cas on n’a pas laissé la place au partenaire
de donner énormément d’informations à qui a été décapité […]» (D.S). Selon le
l’ensemble des managers, à l’ensemble D.G. «Notre objectif était de continuer
des salariés quand on pouvait et de de- et continuer malgré les difficultés ren-
mander aux chefs de département de le contrées». Les comportements acquis
faire et de relier cette information» (D.G). peuvent constituer des problèmes non
Toutefois, l’analyse des données montre maîtrisables pour la fusion. En effet, si
que, pendant la phase de rationalisation, les managers considèrent qu’il a été
une communication efficace n’a pas été tenu compte des expériences de fusions
mise en place pour faciliter le transfert précédentes, ils ne sont pas convaincus
des connaissances : absence d’outils de leur transférabilité dans l’opération
de communication permettant de suivre Alpha-Beta. Les comportements domi-
les projets communs de développement nateurs acquis risquent de ne pas être
de technologie, et une fréquence faible adaptés à ce contexte différent.
des réunions. Le D.I. attribue les retards
importants quant au transfert de connais- Ce constat nous renvoie aux travaux
sances au manque de transparence. de Starbuck & Nystrom (1984) où les
auteurs considèrent que l’intégration
des nouvelles idées dans l’organisation
Expériences des partenaires est précédée d’un processus de désap-
prentissage. Ils pensent que le meilleur
Selon les interlocuteurs, les deux enti- moyen de désapprendre est de changer
tés sont «expérimentées» ayant éprou- les managers. Dans le cas Alpha, c’est
vés leur savoir-faire grâce à la multi- la même équipe d’intégration chargée

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des opérations précédentes qui s’en un diagnostic précis des capacités des
occupe pour la fusion avec Beta. Les fu- deux entités. Or, on note une absence
sions qui semblent être similaires, mais totale de formalisations des documents
en faits différents (contexte, spécificités relatifs à des fusions précédentes (Zollo,
de l’opération…) peuvent rendre le 1998). En effet, la simple expérience
transfert des routines organisationnelles acquise par la répétition des actions, est
négatif (Nelson & Winter, 1982). insuffisante. Seuls les degrés de codifi-
cation et d’articulation de l’expérience
améliorent la performance. Selon Pre-
Le faible niveau de codification vot & al., (2003), cette codification se
présente sous la forme de manuels, de
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Certes, comme le remarque Winter listes d’erreurs à ne plus commettre,
(1987), la connaissance non codifiée de tableaux de bord, de bilans… Ces
est riche, mais difficile à enseigner car formes de codification servent d’outils
trop complexe et souvent tacite. La codi- et de mémoire organisationnelle pour
fication des connaissances les rend en l’entreprise, et visent à faciliter la diffu-
effet plus schématiques, simples, faciles
Cette codification est également importante dans sion de la connaissance
son évolution. Opération aprèset opération,
à clarifier les
à articuler et à enseigner. Dans notre rôles et les responsabilités de chacun.
l’acquéreur fait évoluer ses outils, les nuance et formule des idées nouvelles pour les
cas, les partenaires développent, dans Cette codification est également impor-
la phase de futures
intégrations découverte,
(Singh & des
Zollo, plans
1998). tante dans son évolution. Opération
d’action visant à favoriser le travail en après opération, l’acquéreur fait évo-
commun. Ainsi, un contrôle de la qua- luer ses outils, les nuance et formule des
lité duLaprocessus est mis
figure 2 présente en place
les résultats sur et les différents
obtenus idées nouvelles pourle les
éléments influant intégrations
transfert des
l’ensemble des dans
connaissances fonctions permettant
le cas Alpha-Beta. futures (Singh & Zollo, 1998).

Figure 2 : présente les résultats obtenus et les différents éléments influant le transfert
des
Figure 2 - Les connaissances
déterminants dans
du transfert des le cas Alpha-Beta.
connaissances dans le cas Alpha-Beta

Phase de négociation Phase de découverte Phase de rationalisation

Complémentarité forte Identification des Faibles capacités d’absorption


connaissances et de dissémination

- Les objectifs sont a priori identiques -Conserver les savoir-faire des deux - Faible niveau codification des
: devenir leader sur le marché entités tout en créant un sentiment connaissances (Audit)
- Les connaissances sont considérées d’appartenance au sein de la nouvelle - Faible capacité de partage
comme complémentaires : les organisation. -Absence d’évaluation des connaissances
entreprises commercialisaient des - Forte volonté de partage à transférer
produits sur des marchés différents. - Déséquilibre des les équipes -Absence d’un programme efficace de
- Les cultures organisationnelles sont d’intégration communication
très différentes mais considérées - Partage équitable du pouvoir et du
comme complémentaires. contrôle
- Partage de l’information, mais peu
formalisé

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4. Discussion : trois mauvaises pratiques à l’origine de l’échec du transfert
des connaissances

4.1. Au niveau du choix des règles de fonctionnement

L’expression
10_Aribou 1 2103.indd 132 « meilleures pratiques » est fréquemment évoquée dans les propos des acteurs. 19/02/13 08:19
Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

Discussion : trois nigramme était marquée par le départ


des compétences clés de Beta. Ce
mauvaises pratiques
déséquilibre au niveau de la composi-
à l’origine de l’échec tion de la nouvelle équipe de direction
du transfert des laisse supposer que la domination des
connaissances règles de l’acquéreur en négligeant la
phase de découverte a entraîné des
problèmes de fonctionnement de la
nouvelle structure et le départ volon-
Au niveau du choix des taire d’un grand nombre de cadres
règles de fonctionnement de Beta. Ainsi, si les partenaires sont
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assignés à un travail commun et col-
L’expression «meilleures pratiques» est laboratif pour développer de nouvelles
fréquemment évoquée dans les pro- normes et règles de fonctionnement,
pos des acteurs. Elle a été entendue les conflits seront réduits. Cela per-
comme un transfert des connaissances mettra, par conséquent, de garder les
des deux sociétés. Toutefois, en réalité compétences clés et réussir le transfert
se sont les règles de fonctionnement des connaissances.
d’Alpha qui ont été choisies sans tenir
compte des «meilleures pratiques» de
Beta. La volonté de terminer le plus
rapidement possible l’intégration a
Au niveau du choix de la
amené les acteurs à privilégier d’insé- structure de pilotage
rer la cible dans l’acquéreur sans don-
ner d’explications sur les raisons d’un Pour soutenir les «chantiers» dans leur
tel choix. En ce sens, Joffre (2007) ex- travail, il a été décidé de créer un comité
plique que le mode de choix des règles de pilotage constitué de trois membres
unilatéral permet de réduire la durée d’Alpha (qui sont depuis environ neuf
de la phase de découverte et donc de ans dans l’entreprise) et cinq consul-
passer rapidement de structures tempo- tants internes venant des deux sociétés.
raires à des structures stabilisées. De Le comité de pilotage avait pour rôle
nombreux conflits d’intérêts se sont dé- de repérer les «meilleures pratiques»
clenchés pendant la phase de décou- pour chaque domaine dans les deux
verte : «puisque les deux entreprises entités. La règle générale fixée par les
travaillaient dans le même secteur, à deux patrons était de choisir un des sys-
la fin de la journée on était confronté tèmes existant déjà plutôt que de créer
au problème : deux personnes sur un une nouvelle organisation. De plus, au
même poste, beaucoup de doublons» cours du processus d’intégration, aucun
(D.A.G). La définition du nouvel orga- consultant externe n’a été sollicité pour

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mener une réflexion sur le programme et à ce qu’on pouvait faire. Elle était
d’intégration et soutenir l’équipe dans un peu moins rapide et moins active»
son travail. Nous pensons ainsi que le (D.I). La diversité culturelle est vécue
caractère restreint de la structure de par les équipes comme vecteur de
pilotage a limité la capacité de cette confrontation. C’est ce que Dameron
dernière d’identifier les connaissances & Joffre, (2005) appellent «effet-mi-
prometteuses des partenaires et faciliter roir» où lorsqu’une équipe aborde la
ainsi leur transfert. Ces choix semblent question culturelle, elle renvoie sys-
contradictoires avec la littérature. En ef- tématiquement une image négative
fet, Haspeslagh & Jemison (1991) sou- de l’autre culture. Les membres de
lignent l’importance de constituer une l’équipe d’intégration évoquent peu les
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équipe d’interface équilibrée2 à partir problématiques de diversité culturelle
de membres expérimentés des deux dans leurs interactions. Avec le dérou-
sociétés. Ils doivent être des personnes lement de l’intégration, les relations
à la tête de la structure des deux orga- interindividuelles prennent peu à peu
nisations possédant un niveau suffisant le pas sur le choc culturel. Les discours
de l’autorité. des acteurs convergent sur la nécessité
de mettre en contact les membres de
chaque entité, pour que chaque par-
tie comprenne puis surmonte les diffé-
Au niveau des différences rences culturelles de part et d’autre :
culturelles «…nous devrions s’interroger sur leur
culture […] et donner plus de temps
Une forte proximité culturelle influence pour mettre les gens face à face» (D.I).
positivement le processus d’intégration Ainsi, si les partenaires sont assignés
dans la mesure où les acteurs ont une à un travail préparatoire pour discuter
vision commune de la nouvelle orga- de leurs différences culturelles, le choc
nisation (Aldebert & al., 2010). Dans culturel sera réduit favorisant ainsi le
notre cas, l’absence d’un travail cultu- transfert de leurs savoir-faire.
rel préparatoire est considérée comme
une difficulté majeure rencontrée dans
le processus d’intégration : «la diffi- Conclusion
culté majeure était liée à la non prise
en compte des différences culturelles
Le présent article vise à améliorer la
(…) les managers de [Alpha] avaient
compréhension de l’influence des
un esprit très entreprenarial, une solide
facteurs explicatifs du transfert des
culture… alors que la culture de [Beta]
connaissances dans le cadre d’une
était moins entrepreneuriale et avec
plus de temps à accorder à la fusion
2 Selon Joffre (2007), il faut veiller à l’équi-
134 libre des binômes.

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Les défis du transfert des connaissances dans le cadre d’une fusion

fusion technologique. La fusion Alpha- phase de découverte essentielle dans


Beta incite à tirer plusieurs enseigne- l’identification des connaissances :
ments pratiques. Le premier repose «un an après la fusion, notre société
sur l’utilité et la mise en pratique a pu améliorer sa position concurren-
d’une grille d’analyse du transfert tielle et annoncer une hausse de 23%
des connaissances. Ensuite, l’étude de son bénéfice net […] permettant de
de cas met en évidence l’ensemble réaliser 25% de nos objectifs prévus
des facteurs expliquant l’échec de […] la fusion a été un tremplin pour
l’exploitation des connaissances des les deux sociétés.» (D.G). Le déroule-
partenaires. Ainsi, malgré un contexte ment de l’intégration a été marqué par
organisationnel favorable, il semble une rupture de confiance progressive
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que la faiblesse relative des capaci- entre les acteurs engagés dans la fu-
tés d’absorption et de dissémination sion. En effet, la réussite du transfert
a contraint la réussite du transfert des des connaissances dépend du degré
connaissances. Les acteurs étaient per- de confiance qui règne et gouverne
suadés de la compatibilité de leurs les interactions entre les acteurs (Van
savoir-faire techniques respectifs. Or, Wikji & al., 2008). Dans notre cas,
ce n’est que pendant le processus tous les éléments de confiance étaient
d’intégration, que les deux entités ont présents au début du processus notam-
trouvé que leurs méthodes de travail et ment la réputation des partenaires. Ce-
d’organisation étaient particulièrement pendant, cette confiance a évolué au
divergentes. Dès lors, le transfert de sa- cours du processus d’intégration vers
voir-faire semblait plus compliqué que la défiance et a contraint l’exploitation
les acteurs ne l’avaient envisagé. Le des connaissances.
mode d’intégration privilégié était de
sélectionner des règles existantes déjà Les éléments de réponse apportés à
dans l’une des deux organisations que notre question de recherche, à savoir les
la création de nouvelles. Cette solu- facteurs influant le transfert des connais-
tion a permis d’améliorer rapidement sances souffrent de nombreuses fai-
les résultats financiers, mais cela a blesses inhérentes à la méthodologie uti-
contraint la possibilité des transferts lisée, notamment du fait que les résultats
des connaissances. Ce constat rejoint ne sont pas généralisables et qui néces-
l’hypothèse de Haspeslagh & Jemison site d’être renforcée par d’autres études
(1991) dans la mesure où la vitesse de cas. Par ailleurs, la non-atteinte de
d’intégration est largement influencée l’objectif du transfert des connaissances
par la pression du marché financier. laisse entrevoir des opportunités de
En effet, les acteurs ont cherché à réa- recherche. Selon Ranft & Lord (2002),
liser les objectifs déclarés au marché la lenteur et la prudence dans l’implé-
(au bout d’un an), en négligeant la mentation d’une fusion puissent être

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Gestion 2000 1 janvier - février 2013

nécessaires, permettant à l’acquéreur de Chi, T. (1994), “Trading in Strategic Resources:


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tion lente aurait pu favoriser le transfert terly, 35(1), p.128.

des connaissances ? Dans cette perspec- Dameron, S., Joffre, O. (2005), “Rapport coo-
tive, ce travail mérite d’être comparé et pératif et diversité culturelle : le cas de la gestion
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validé auprès d’autres cas de F&A s’ins-
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