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CONFIGURATION DES ÉCOSYSTÈMES D'AFFAIRES DE BOEING ET

D'AIRBUS : LE RÔLE DES TIC EN ENVIRONNEMENT INNOVANT

Serge Edouard et Anne Gratacap

Management Prospective Ed. | « Management & Avenir »

2010/4 n° 34 | pages 162 à 182


ISSN 1768-5958
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Configuration des écosystèmes d’affaires


de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

par Serge Edouard82 et Anne Gratacap83

Résumé

L’objectif de notre article est d’étudier le rôle des Technologies de l’Information


et de la Communication (TIC) dans la structuration d’un écosystème
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d’affaires (Moore, 1993 et 1996, Iansiti et Levien, 2004). Dans un contexte
d’innovation, nous montrerons comment les plateformes informationnelles
participent à la configuration des relations entre organisations et
contribuent à la structuration de l’écosystème. Au sein du duopole de la
construction aéronautique, deux écosystèmes différemment structurés
s’affrontent : Airbus et Boeing. Celui de Boeing est global pour ce qui est
de la conception : plateforme collaborative communautaire, programmes de
formation, circulation internationale des équipes et des idées. A l’inverse,
celui d’Airbus est territorialement ancré, très hiérarchique aussi bien dans
la conception que dans la production, mais mobilisant les liens de proximité
et des logiques de réseaux sociaux. Alors que Boeing présente les traits
d’un écosystème global, Airbus offre l’image d’un ensemble d’écosystèmes
territoriaux.

Abstract

The main objective of our research is to study the role of Information


Technologies in the organizational design of a business ecosystem (Moore,
1993 and 1996; Iansiti and Levien, 2004). In an intense innovative context,
building platform can structure the relations between the leader and the
other members of this strategic community. The competition between the
two leaders Airbus – Boeing takes the form of a struggle between two
different business ecosystems. The Boeing ecosystem presents these main
characteristics: global, IT structuration, international diffusion of ideas and
teams circulation, commonality by accommodation. The Airbus business
ecosystem is more fragmented, territoriality structured, more hierarchic and
based on a commonality by dependence.

L’approche en termes d’écosystème d’affaires cherche à rompre avec une


approche purement sectorielle de l’organisation des activités productives.
D’un côté, en prenant un point de vue macro, elle fait état d’une structuration
à la fois dynamique et complexe des interactions stratégiques entre un grand
82. Serge Edouard, Maître de conférences, PESOR, Université Paris-Sud 11, serge.edouard@wanadoo.fr
83. Anne Gratacap, Maître de conférences, PRISM, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, anne.gratacap@univ-paris1.fr

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Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

nombre d’organisations appartenant à différentes industries en vue de fonder


une communauté de destin stratégique pour s’imposer dans un environnement
d’opportunités et d’activités84 (Moore, 1996). Certains travaux remplacent
même les systèmes nationaux d’innovation par les écosystèmes nationaux
d’innovation, en identifiant des phases cycliques dans le développement
de technologies impulsées par des réseaux d’acteurs nationaux (Fukuda et
Watanabe, 2008). De l’autre, à un niveau plus micro, c’est une nouvelle forme
organisationnelle qui nous est proposée, l’entreprise éco-systémique (Moore,
1998). Cette dernière cherche à créer différentes communautés économiques
en vue d’imposer plusieurs standards sur plusieurs espaces d’opportunités, mais
aussi de faciliter et de profiter de la convergence technologique85. Cette approche
en management stratégique est ancienne (Moore, 1993), mais a fait l’objet de
peu de développements tant théoriques qu’empiriques, et la plupart récents. Du
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côté des validations empiriques, force est de constater que les activités qui ont
retenu l’attention de cette approche relèvent prioritairement des technologies de
l’information et de la communication –  TIC (Iansiti et Levien, 2004a et 2006  ;
Fransman, 2008)  : les systèmes d’exploitation (Gueguen et Torrès, 2004), les
télécommunications, comme les personal digital assistants et smartphones
(Gueguen, 2008), le Wi-Fi (Gunasekaran et Harmantzis, 2008) et la téléphonie
mobile (Basole, 2009), les web services et e-commerce (Iskia, 2009), le hardware
(Moore, 1996 ; Iansiti et Levien, 2004a ; Li, 2009), l’édition de logiciels (Pellegrin-
Boucher et Gueguen, 2005), les semi-conducteurs (Adner et Kapoor, 2010).

Les écosystèmes sont des vastes réseaux complexes où des organisations


variées coexistent et interagissent dans des relations de symbiose en vue
d’adapter leur offre et de profiter, collectivement, d’environnements changeants.
Quelles sont les logiques à l’œuvre afin de structurer de telles communautés de
destin stratégique ? Notre première piste de recherche est de mettre en avant
le rôle joué par les TIC (les plateformes de conception) dans la structuration de
nouvelles relations et configurations organisationnelles pour l’activité d’innovation.
Pour cela nous mobilisons l’approche par les écosystèmes d’affaires pour
comprendre l’organisation de Boeing autour de la conception du 787 Dreamliner.
Mais nous souhaitons aussi alimenter la discussion dans le cadre d’une approche
moins déterministe en montrant que, de façon complémentaire, les logiques
de proximité géographique et d’encrage territorial, de réseaux sociaux et
d’encastrement apparaissent tout aussi pertinentes, complémentaires à la logique
de plateforme technique globale. Cette seconde piste de recherche souligne que
la structuration de l’écosystème minimise le rôle joué par le système d’information
communautaire. Au-delà de cette question de recherche sur l’importance d’une
84. Moore (1996) définit un environnement d’opportunités comme un « espace de possibilités d’affaires caractérisé par des besoins
de consommation non satisfaits, des technologies non déployées, des ouvertures potentielles réglementaires, des investisseurs
importants et beaucoup d’autres ressources inexploitées » (p. 16). Un tel espace peut se voir progressivement occupé par plusieurs
écosystèmes d’affaires cherchant à exploiter ces opportunités. Iansiti et Levien (2006) considèrent que les technologies de l’information
constituent un tel espace.
85. L’exemple souvent pris est celui de Microsoft qui tente d’imposer ses standards dans les espaces des systèmes d’exploitation, des
consoles de jeux, des smartphones, des réseaux sociaux, les moteurs de recherche. L’écosystème de Microsoft, en 2004, comprenait
38 338 organisations appartenant à 32 segments sectoriels (Iansiti et Levien, 2004a).

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stratégie de plateforme technique pour asseoir une organisation des activités


inter-organisationnelles en écosystème, cet article, contrairement aux validations
empiriques du cadre conceptuel des écosystèmes dans les TIC, montre qu’il est
aussi pertinent pour analyser des activités plus traditionnelles, ici la construction
aéronautique. De plus, si les écosystèmes d’affaires s’affirment comme une
modalité d’organisation globale des activités amont (recherche, développement,
production) et aval (assemblage, commercialisation), il est aussi possible à un
groupe d’organisations, sous l’impulsion d’une entreprise leader, de structurer
une partie de leurs activités communes suivant les principes des écosystèmes
d’affaires, sans pour autant l’étendre à l’ensemble des autres activités partagées.
Nous préférons, ici, plutôt parler d’écosystème d’innovation, pour limiter le
périmètre de notre recherche, entendu comme « un ensemble d’arrangements
collaboratifs à travers lesquels les firmes combinent les offres individuelles en
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une solution cohérente, adaptée aux clients » (Adner, 2006 ; Adner et Kapoor,
2010).

1. Démarche de recherche et méthodologie

Notre question de recherche vise à étudier le rôle des TIC communautaires


comme facteur structurant, mais pas exclusif, d’activités innovantes collectives,
dans le cadre d’un écosystème d’affaires. Au sein d’un contexte d’innovation, une
première proposition, illustrée par le cas de Boeing, nous permettra de montrer
comment les plateformes techniques participent à la configuration des relations
entre organisations et, ainsi, à la structuration d’un écosystème performant. Mais
ce facteur technologique n’est pas exclusif. Une seconde illustration mettra en
avant le rôle complémentaire joué par d’autres facteurs -relations territoriales et
sociales-. Dans cette deuxième proposition, nous montrerons la place qu’occupent
les facteurs historiques, géographiques et culturels dans le développement
de l’écosystème Airbus EADS. Nous soumettrons alors un certain nombre de
propositions sur l’importance de l’organisation en écosystème d’affaires, les
relations partenariales de deux entreprises cherchant à développer et imposer
deux innovations majeures dans le même espace d’opportunités et d’activités :
le transport aérien.

Bon nombre d’auteurs font de la stratégie de plateforme technique - ensemble de


bases de données, serveurs, applications et services partagés ‑ de l’entreprise
leader la ressource clé de réussite d’un écosystème : diversité des acteurs, en
particulier la capacité à permettre des stratégies de niches, économies de coûts
de coordination via une «  open coordination  », déploiement de compétences
collectives, diffusion d’un standard, résilience à des chocs externes, équilibre
entre création et captation de la valeur, permettre l’« open innovation » (Iansiti et
Levien, 2004a ; Evans et al., 2006 ; Chesbrough et Appleyard, 2007 ; Parker et
Van Alstyne, 2008).

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Notre travail repose sur une approche déductive permettant de  valider la
pertinence du cadre théorique de l’approche par les écosystèmes d’affaires. Deux
études de cas viennent appuyer notre réflexion ‑ Boeing et Airbus-EADS ‑ que
nous allons confrontées afin d’alimenter notre discussion. Notre étude portera
sur la construction des avions civils de plus de cent places et traitera des cas de
Boeing, à travers le développement du 787 Dreamliner, et de l’Airbus A38086.

Le choix de ces deux projets, en tant qu’illustration de notre propos, s’appuie sur
plusieurs critères.
- En premier lieu, la quasi-simultanéité de ces deux projets d’appareils
dans l’histoire de la construction aéronautique, rendant la comparaison
synchronique possible.
- En second lieu, la mobilisation de la PLM - Product Lifecycle Management -
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comme outil communautaire de conception de ces deux prototypes
d’avion, faisant de cette TIC un véritable espace collaboratif global entre
organisations. L’enjeu est le partage et l’intégration de connaissances
disparates possédées par une grande variété d’acteurs projet dispersés
dans le monde et appartenant à des univers cognitifs différents. La PLM
repose sur une base de données unique et ouverte à tous et une interface
homme-machine unique pour tous les acteurs du projet, où chacun voit la
contribution de l’autre. Elle permet de disposer d’une représentation virtuelle
d’un produit physique, de concrétiser des idées et de les rendre compatibles
avec les connaissances des autres.

Les données utilisées sont de nature primaires, mais aussi secondaires dans
le cas de Boeing (trois interviews menées au décembre 2008 et janvier 2009,
documents internes, la presse spécialisée, les sites Internet professionnels87).
Des données secondaires ont été mobilisées dans le cas d’Airbus (document
internes et presse spécialisée). Les entretiens semi-directifs et ouverts sont
essentiellement venus valider et étayer les informations secondaires. Ainsi, ce
croisement de différentes sources de données, primaires et secondaires, permet
par la construction de cas, de comprendre leur logique en profondeur (Yin, 1989),
afin de valider le modèle conceptuel des écosystèmes d’affaires à l’industrie
aéronautique civile et de mettre en évidence l’importance des plateformes
technologiques structurant de telles méta-organisations. Cependant, nous avons
cherché à obtenir des informations sur chacun des rôles-types au sein d’un
écosystème d’innovation, tels qu’Adner et Kapoor (2010) les caractérisent.

86. Une comparaison fonctionnelle montre que ces deux modèles d’avion sont plus complémentaires qu’alternatifs (King, 2007).
87. Exemple le site du journaliste bloggeur Jon Ostrower : www.flightglobal.com.

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Aéroports
Equipementiers Régulateurs
Sous-traitants Fabricants de simulateurs d’entrainement
Complémenteur 1
Fournisseur 1
Airbus-EADS
Boeing
Compagnies
Firme leader Client
aériennes

Fournisseur 2
Complémenteur 2

Composants Compléments
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Figure 1. Acteurs et rôles au sein d’un écosystème d’innovation
(adapté d’Adner et Kappor, 2010, p. 309)

Nous précisons que lors de nos échanges, les différents acteurs ont mentionné
le souhait de ne pas être directement identifiés dans notre article ; aussi leur nom
n’apparaît pas, seule leur fonction figure. Chaque entretien a duré un peu plus de
trois heures88 et nous a permis de conforter et de détailler nombre de données
secondaires.
Boeing et ses partenaires amont :
 Données primaires : entretiens semi-directifs (novembre 2008) :
Directeur Communication Boeing France.
Assistant chargé du Déploiement Transnational.
• Données secondaires :
Documents internes (deux rapports).
Presse spécialisée (Centre de documentation du Bourget) et non
spécialisée.

Airbus EADS et ses partenaires amont :


 Données primaires : entretiens ouverts avec des ingénieurs du site de
Toulouse et de la Société sous-traitantes Ratier-Figeac.
 Données secondaires :
Documents internes (sources : chef de projet SC, janvier 2009).
Presse spécialisée et non spécialisée.

Clients (décembre 2008)  : entretien ouvert avec le Directeur Flotte & Avions
nouveaux Air France.
88. Nous remercions les personnes rencontrées pour le temps précieux qu’elles ont bien voulu nous consacrer.

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Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

2. La structuration d’un écosystème d’affaires autour de Boeing :


le rôle de la plateforme collaborative communautaire

L’approche par les écosystèmes d’affaires est à la fois ancienne (Moore,


1993) mais peu mobilisée hors de ses domaines de prédilection que sont
les technologies de l’information (Iansiti et Levien, 2006). Elle poursuit les
différentes approches écologiques, souvent marginales, en management
stratégique  : l’écologie sociale des stratégies collectives (Astley et Fombrun,
1983), l’écologie des populations d’organisations (Hannan et Freeman, 1977),
mais surtout l’écologie des communautés (Astley, 1985), sans pour autant s’y
référer explicitement. Moore (1993, 1996, 1998) la présente comme étant une
rupture radicale, un «  changement de paradigme stratégique  », relativement
aux approches classiques de la concurrence sectorielle. Souvent, les auteurs
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se contentent de définir l’écosystème d’affaires en fonction de ce qu’on y trouve
comme organisations (Iansiti et Levien, 2004b). Un écosystème d’affaires est
une vaste communauté économique, structurée autour d’une ou deux entreprises
leaders à travers des relations plus ou moins fortes de coopétition, rassemblant
des organisations et des personnes variées (cf. figure 1) partageant une même
destinée stratégique, la conception et la diffusion d’un standard, sur lequel
s’appuient la commercialisation de produits et la création de valeur pour leurs
utilisateurs.

Cette section se propose de dresser, brièvement, les éléments conceptuels au


cœur de cette approche par les écosystèmes d’affaires, tout en les illustrant par
l’exemple de Boeing et de la conception du 787 Dreamliner, plus précisément sur
les phases amont de la conception (design et prototype)89. Il sera alors possible
d’analyser Boeing comme une entreprise leader cherchant à organiser ses parties
prenantes en écosystème d’innovation et fonder une « keystone strategy » (être
l’organisation pivot), c’est-à-dire «  une stratégie opérationnelle qui améliore la
santé de l’ensemble de l’écosystème et profite à la performance durable de la
firme. Les caractéristiques principales de cette stratégie sont le management
de ressources externes, leur partage, la structuration d’un réseau externe, le
maintien et le renforcement de la santé externe » (Iansiti et Levien, 2004a, p. 82).
L’écosystème d’affaires apparaît alors comme un modèle de coordination ouverte
(open coordination) de l’open invention (Chesbrough et Appleyard, 2007).

2.1. Nature des interactions : co-évolution et coopétition


Comme l’écrit Moore (1993, p. 76), « dans un écosystème d’affaires, les entreprises
voient leurs capacités co-évoluer autour d’une nouvelle innovation: elles travaillent
89. Nous ne traiterons pas de la fabrication du Dreamliner. Cette phase est en cours et, comme pour son concurrent Airbus avec
son A380, elle connait certains couaques, en particulier des retards de près de trois ans dans la livraison. Une forme décentralisée
de la production, voire dispersée, n’est donc pas sans risques, ce qui se pose moins à la phase de conception : ainsi, l’arrêt de la
production de pièces de fuselage du 787 par un sous-traitant italien en août 2009 a bloqué toute la chaîne d’assemblage mobilisant
une quarantaine de sous-traitants (Wall Street Journal du 14 août 2009).

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en coopérant et en se concurrençant pour développer de nouveaux produits,


satisfaire les besoins des clients, et éventuellement y intégrer les prochaines
innovations ». Cette co-évolution permanente, ce qui fait la dynamique perpétuelle
d’un écosystème, conduit à ce que les décisions d’un de ses membres affectent
les décisions et les gains des autres. L’enjeu est de parvenir à faire en sorte
que les organisations partagent leurs compétences, leurs savoir-faire, tout en
sachant qu’elles seront concurrentes sur les services et biens.

Boeing, de par son histoire (fusions et acquisitions successives), est parvenu


à contrôler l’ensemble de la chaîne de production de ses avions, en particulier
le 777. Pour ce dernier, Boeing a conçu 70% de l’avion et assuré 30% de la
fabrication des composants, en plus de l’assemblage et commercialisation
maîtrisés à 100%. La coopétition n’est a priori pas le mode de coordination de
son réseau stratégique naturel, très hiérarchique et centralisé. Historiquement,
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afin de bloquer l’entrée de concurrents sur ce segment, Boeing a sous-traité un
grand nombre de composants à des partenaires japonais, les quatre heavies que
sont Mitsubishi, Fuji, Kawasaki et Ishikawajima, acquérant par-là même le statut
de co-traitant.

A l’occasion de la phase de conception du 787 Dreamliner, Boeing a décidé


de procéder différemment, en décentralisant les responsabilités et en tentant
de forger une culture de la diversité. Boeing garde la responsabilité du design
d’ensemble, de l’intégration des systèmes et de l’assemblage final ; elle délègue
le design spécifique de chaque élément. Cette phase de conception mobilise
quarante-trois partenaires globaux, appartenant à onze pays et quatre continents.
Mais quatre sont réellement de premier rang : trois Japonais ‑ Kawasaki Heavy
Industries, Mitsubishi Heavy Industries, Fuji Heavy Industries ‑ et un Italien
-  Alenia Aeronautica. Boeing évolue vers un rôle de concepteur-assembleur
(plus les essais et la commercialisation). Des ensembles et des sous-ensembles
fabriqués par des partenaires, qui choisissent eux-mêmes leurs sous-traitants et
assument les études et le financement de la production en maîtrisant les coûts
(risk sharing partnerships), deviennent les partenaires privilégiés de la firme.
« Pour ce nouveau modèle, Boeing traite ses fournisseurs comme de véritables
partenaires, voire comme des pairs, et les implique très en amont dans la
fabrication » (Tapscott et Williams, 2006, p. 261).

L’originalité est d’avoir cherché à capter l’imagination de ses partenaires tout en


mettant les fournisseurs en concurrence sur le design pour désigner celui qui
serait le sous-traitant de premier rang, à travers une plateforme électronique de
partage des informations et des idées (le Global Collaborative Environnement -
GCE). Chaque partenaire était ainsi invité à faire des propositions sur le design,
en même temps que les compagnies aériennes, ou les passionnés d’aviation. Par
la suite, Boeing lance des appels d’offre pour désigner le fournisseur de premier
rang pour le composant ou le module. Nous sommes bien dans l’incitation à

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de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
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coopérer, en facilitant le partage des idées en amont, en faisant en sorte que la


proposition d’un partenaire devait être compatible avec les autres propositions des
autres partenaires sur les autres composants de l’aéronef, mais aussi dans leur
mise en concurrence pour la fourniture lors de la phase plus aval de la fabrication.
Ceci a des avantages énormes en termes de coûts de transaction. Pour le 777,
Boeing a dû rédiger un cahier des charges extrêmement précis, comprenant plus
de 2  500 pages, où les spécificités de chaque composant étaient décrites. Il
confiait ensuite leur fabrication à des sous-traitants, selon des directives très
précises, puis assemblait l’ensemble. En faisant participer les fournisseurs dès
la conception, puis en livrant les sous-ensembles ou modules pour lesquels ils
ont été retenus, Boeing n’a eu besoin que d’une vingtaine de pages, plus proches
d’une lettre de cadrage que d’un véritable cahier des charges, et ne met plus que
trois jours pour assembler le 78790.
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Bryson et Rusten (2008) ont bien identifié ce changement de modèle de conception
d’un produit complexe. Ils l’assimilent au modèle des « cités globales » où les
firmes transnationales organisent à la fois une division spatiale du travail (quartier
général - divisions - filiales) et une division spatiale de l’expertise associée aux
activités créatives. Autant la première doit-elle reposer sur un principe de contrôle
hiérarchique, autant la seconde correspond à un réseau d’échanges mondial entre
équipes internes et externes à la firme pivot. Par exemple, pour la conception des
ailes, entièrement externalisée aux trois heavies japonaises, l’équipe japonaise
s’est rendue au Global Environment Centre (GEC) à Everett avant que l’équipe
américaine aille travailler au Japon. La dispersion géographique et culturelle
de l’expertise est la clef de la créativité, les échanges se médiatisant via des
Intranets, la circulation des équipes (et des idées), des programmes de formation
(au GEC d’Everett ou au Boeing Design Centre de Moscou). Cette organisation
participe à faire émerger un design concourant.

2.2. Innovation et bataille des standards


Un écosystème se structure autour d’une trajectoire d’innovation continue (Moore,
1996). La viabilité de cette trajectoire s’appuie sur la capacité de l’écosystème,
et de son leader en particulier, à créer des niches toujours plus nombreuses et
rentables pour des entreprises spécialistes, à attirer un plus grand nombre de
complémenteurs. Cette structure réticulaire cherche, prioritairement, à concevoir
et diffuser un standard, défini comme « une interface qui facilite l’interopérabilité.
Cette interopérabilité peut être entre les organisations (comme entre le FBI et la
CIA ou entre le département achat d’une entreprise et sa direction des ressources
humaines), entre des appareils ou les technologies (par exemple entre un PC
et une console de jeu, ou entre un appareil photo numérique et un poste de
télévision), ou entre des formats de données (tels que les différents types d’XML) »
90. En aval, Boeing a su mettre en place des systèmes interactifs, développés par son LabNet, permettant des simulations et de tests
en réseau, où les matériels sont testés et les résultats reçus en direct par les utilisateurs (civils ou militaires) qui peuvent les modifier
en retour.

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(Iansiti et Levien, 2004a, p. 162). Plus généralement, l’enjeu ultime est d’imposer
un standard pour asseoir l’avantage concurrentiel des entreprises, qui peut être
aussi bien de nature technique (Ex. console de jeu, système d’exploitation),
processuel (une norme de qualité) ou organisationnel91.

Pour Boeing, il s’agit d’imposer un nouveau produit modulable en fonction des


besoins spécifiques de compagnies aériennes (elles peuvent concevoir leur
avion idéal au sein du GCE) à travers de nouveaux matériaux et l’optimisation
du nombre de places (répondre aux exigences d’économies d’énergie et de
rationalisation des coûts des compagnies aériennes). Boeing, comme Airbus,
impose donc, à ses pairs, une matrice de standardisation (Commonality Matrix).
Il s’agit d’un cadre qui dresse les grands traits des standards des processus et les
spécifications pour une centaine d’applications informatiques et des documents
de formation, accessibles, via le portail Web, par tous les partenaires. Boeing
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édicte, par exemple, les standards techniques que doivent respecter chaque
partenaire lorsqu’il propose une modification d’un composant. Ainsi, Boeing est
capable, grâce à cette standardisation poussée à l’extrême et cette architecture
modulaire, d’assembler des sous-ensembles venus du monde entier en trois
jours à Everett (Etat de Washington)92.

Suivant une interprétation plus politique de cette matrice de standardisation,


assimilée à un déterminant d’une idéologie comme soubassement de la
constitution d’une communauté stratégique (compagnies aériennes, pilotes,
agences de régulation du transport aérien, motoristes, équipementiers), Ibsen
(2010) montre que celle de Boeing a respecté, depuis le 747 au moins, un principe
simple : s’assurer le soutien des pilotes des compagnies aériennes. Ainsi, l’un des
standards techniques de Boeing est de maintenir le contrôle manuel du manche
de pilotage en dernier ressort. Cette matrice partagée repose, pour Boeing, sur
l’idéologie de l’accommodation.

2.3. Une communauté de destin stratégique : plateforme et


vision stratégique
Au cœur d’un écosystème se tient une plateforme comme élément structurant.
«  Les plateformes offrent un mode de réalisation de fonctions qui constituent
la fondation de l’écosystème  ; elles assemblent et présentent aux membres
de l’écosystème un ensemble commun d’interfaces » (Iansiti et Levien, 2004a,
p. 148-9). Il s’agit donc d’un ensemble d’outils et de services applicatifs, de
bases de données partagées et de technologies mis à la disposition de chaque
membre de l’écosystème par l’entreprise leader, mais développés et enrichis par

91. Moore (1996, chap. 5) prend l’exemple de l’affrontement des écosystèmes d’affaires dans l’espace d’opportunités automobile, où
se sont affrontés les écosystèmes de General Motors (l’entreprise multidivisionnelle), Ford (la production de masse) et Toyota (la lean
production).
92. L’Europe n’est pas absente de cette bataille des standards dans la conception collaborative, à travers son projet VIVACE (Virtual
Aeronautical Collaborative Enterprise) visant à intégrer de nombreuses opérations de conception et de développement d’un avion en
temps réel et en provenance de nombreux partenaires.

170
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

la communauté toute entière. On distingue traditionnellement les plateformes


à vocation d’améliorations, à caractère propriétaire (Windows de Microsoft,
la supply chain de Wal-Mart, etc.), des plateformes d’interfaces à vocation
collaborative (Eisenmann, 2008), ce qu’Evans et al., (2006) dénomment les
« invisibles engines » (les APIs, Application Programming Interfaces, comme les
Web services d’Amazon.com ou de Linux). Ce sont les secondes qui font sens au
niveau de la dynamique d’un écosystème, où le partage des connaissances se
fait dans les deux sens, via la plateforme de partage, de l’entreprise leader aux
utilisateurs et fournisseurs. Les écosystèmes d’affaires illustrent parfaitement une
« économie de plateformes multilatérales » (Evans et al., 2006). Plusieurs groupes
de concepteurs et d’utilisateurs, issus d’industries différentes, interagissent
directement à travers la plateforme (échanges d’idées, de biens et services, de
connaissances, d’applications, etc.). Chacun utilise les fonctionnalités offertes par
la plateforme, ouverte, mais contribue en même temps à ses perfectionnements
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et son enrichissement, et à sa diffusion pour profiter des rendements croissants
d’adoption (Arthur, 1994). Elle permet ainsi d’internaliser les externalités au
sein de la communauté constituant l’écosystème. Nous pouvons, au travers de
l’exemple de la plateforme de conception, de fabrication et de test (GCE) que
Boeing a mis en place pour le 787 distinguer trois strates.

La plateforme technique constitue le premier niveau de la collaboration, et la


première force de structuration d’un écosystème d’affaires autour de Boeing
comme entreprise leader. Avec Dassault Systèmes, Boeing a mis en place le
Global Collaborative Environment, qui est une réelle place de travail digitale,
de type Web Interface. Cette plateforme collaborative regroupe un ensemble
de compétences et de services informatiques en permettant une maquette
digitale (émergence du design, via l’application CATIA 3D V5 for CAD93 Design),
la fabrication et le test des composants, et enfin la modalisation des processus
de production et d’assemblage. L’outil de Dassault Système est un Product
Lifecycle Management (PLM)94 où le chef de file et ses partenaires alimentent la
coopération asynchronique, suivent les contributions de chacun, et l’avancement
de la maquette, le tout en temps réel. L’origine de ce GCE, telle que la présente
les dirigeants de Boeing95, tient aux déboires d’Airbus avec l’utilisation de
versions différentes de CAD par les différents partenaires, induisant problèmes
de coordination et dysfonctionnements dans l’assemblage (les retards dans le
programme de l’A380).

Le second niveau est la plateforme culturelle. Comment intégrer une telle


diversité culturelle tenant aux multiples origines des partenaires  ? Il s’agit de
forger une culture de la coopération, décentralisant les responsabilités, les
93. CAD : Computer Assisted Design
94. La plateforme PLM de Dassault Système offre différents modules applicatifs en fonction de l’étape du cycle de vie : CATIA Version
5 pour le design, DELMIA pour la production et ENVOIA comme outils collaboratif. Des applications CRM et ERP peuvent lui être
ajoutées.
95. Voir l’interview de Kevin Fowler, vice président des systèmes d’intégration de Boeing à Seattle, Design News, 4 juin 2007. “ There
were no good examples of companies using different systems being able to do global design collaboration ”.

171
34

expérimentations, les contrôles. Cela passe par exemple par la constitution de


seize groupes de travail, rassemblant de 15 à 115 personnes issues de Boeing
et de ses partenaires (fournisseurs, compagnies aériennes). Chaque groupe
est centré sur une application spécifique à un moment du cycle de vie du
787. L’objectif est le partage des connaissances et des retours d’expériences.
Le management de la connaissance ne repose donc pas entièrement sur la
plateforme technique. On assiste aussi à des échanges de personnels, surtout
d’ingénieurs et de techniciens, dans les deux sens : des partenaires chez Boeing
(261 ingénieurs des heavies japonais travaillent à Everett), mais aussi de Boeing
vers ses fournisseurs. Cela pose la question, plus centrale, des règles du jeu
d’un écosystème robuste : il s’agit, à travers une culture émergente de « créer un
écosystème transparent et égalitaire » (Tapscott et Williams, 2007). Transparent,
en ce sens que les règles de partage de la rente de réseau ont la propriété de
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common knowledge. Egalitaire en ce sens que les échanges de connaissances
sont multilatéraux, que chacun contribue à la performance de l’autre ; et de ce
point de vue, le PLM y contribue. La confiance conduit à un réseau fondé sur le
partage de ses compétences et l’ouverture de ses technologies aux autres. Au
final, la culture collaborative s’appuie sur : (1) une structure, qui prend la forme
pour l’écosystème de conception de Boeing de Life Cycles Product Teams, (2)
une technologie avec l’espace virtuel de collaboration et la constitution de bases
de données partagées, et (3) d’un engagement à coopérer et à comprendre les
autres membres de l’écosystème96. A l’étape de la conception, ce ne sont pas
moins de 6 000 ingénieurs de différentes organisations et de par le monde qui
ont interagi.

Le troisième niveau est la plateforme stratégique, la vision partagée de ce qu’on


veut faire ensemble, mais initiée par l’entreprise leader. Cette plateforme permet
de maintenir les deux précédents ensembles. Cette vision stratégique offre des
guides, à chaque partenaire, pour savoir ce qu’il a à faire, ce qu’il ne doit pas
faire, ce qui n’est pas négociable ou ce qui l’est. Le rôle de l’entreprise leader
est de communiquer cette vision à l’ensemble des membres de l’écosystème,
d’identifier les produits qui seront développés par la communauté, mais aussi
d’assurer son élargissement en vue de réduire la probabilité de voir émerger de
nouveaux écosystèmes concurrents.

2.4. Le leadership : à la recherche d’un « keystone advantage »


Il ressort qu’un écosystème performant et robuste est associé à un leadership
fort ; afin d’entretenir la cohérence communautaire et d’empêcher les invasions.
Mais pas n’importe lequel. Iansiti et Levien (2004a et b) insistent bien sur la
nécessité de déployer un leadership de type « keystone » (espèce pivot) fondé
sur des valeurs collectives de partage des connaissances, de la vision stratégique

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. Voir la conférence de David Noll, MS HRM Boeing à la Seattle Pacific University, 28 septembre 2006, intitulée “ Managing Virtual
Networks on Large Scale Projects ”.

172
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

et de la valeur97. L’enjeu est sa capacité à recruter des « niche players » en vue


d’élargir les services offerts par l’écosystème, à diffuser ses standards pour les
rendre incontournables.

Peut-on dire que Boeing, du 777 au 787, serait passé d’un leadership de type
«  value dominator  » à un leadership écosystémique de domination par les
valeurs ? Pour le 777, Boeing a mis en place une structure verticalement intégrée,
où le constructeur aéronautique conservait l’ensemble des responsabilités de la
conception et de la fabrication, mais supportait en même temps le risque, ne sous-
traitant que des composants pointus (motorisation, ailes). Avec le 787, Boeing
a renoncé à ses rôles traditionnels de constructeur et donneur d’ordres pour
celui d’intégrateur de systèmes98, où il s’agit plus de coordonner les contributions
de chaque partenaire en matière de design et de fabrication99. Boeing a donc
renoncé à contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur et s’est forgé une nouvelle
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compétence dans la coordination et l’intégration d’un ensemble d’acteurs et de
modules. Chesbrough et Appleyard (2007) identifient une nouvelle stratégie,
l’open strategy, qui prend sa source dans les segments des TIC. La question
centrale pour qu’une telle stratégie soit soutenable est la capacité de l’écosystème
à faire migrer son modèle d’affaires ouvert vers un modèle hybride associant
ouverture et propriété. En sens inverse, les segments d’activités plus classiques
intègrent, à certaines étapes de la chaîne de valeur (ici, en amont, la phase de
conception), des logiques d’open innovation (coordination et invention ouvertes),
sans pour autant renoncer à la logique propriétaire sur les autres étapes. Dans
leur typologie création de valeur (en interne ou conduite par une communauté)
- capture de la valeur (par une seule entreprise vs. l’écosystème), alors que la
création de valeur relève très largement d’une logique communautaire, Boeing est
très clairement l’organisation qui capte la valeur du projet (quitte à la redistribuer
selon des règles très classiques contractuelles entre les autres partenaires).

3. La structuration d’un écosystème d’affaires autour d’Airbus :


une dimension territoriale et sociale plus marquée

L’histoire organisationnelle d’Airbus est ponctuée de mutations majeures, dont


leur analyse permet de caractériser le degré de structuration selon le modèle
de l’écosystème d’affaires, en particulier la nature des relations avec les sous-
traitants. Le passage d’une logique d’arsenal à une logique de marché apparaît
de façon évidente à la fin des années 1980 (Muller, 1988). C’est le signe

97. On peut qualifier ce type de leadership de « domination par les valeurs » (values dominators) par opposition aux deux catégories
précédentes que Iansiti et Levien identifient : « physical dominators » et « hub landlords ».
98. Un des indicateurs de ce recentrage sur des fonctions de coordination est la réduction des effectifs internes à Boeing dédiés au
787 : 1 000 salariés dans l’usine d’Everett contre 5 000 pour le 777.
99. Par exemple, avec sa division militaire, Boeing maîtrisait des compétences fortes en matière de matériaux composites, élément
essentiel dans l’objectif d’offrir un avion à plus faible consommation en fuel. Malgré cela, Boeing a ouvert ses compétences dans ce
domaine, et a co-développé les matériaux composites, en particulier avec les heavies japonais. Ce n’est pas rien quand on sait que
le 787 est composé pour 57% de matériaux composites (le fuselage est entièrement en fibre de carbone) contre 11% pour le 777 ou
5% pour le MD-80.

173
34

annonciateur de la remise en cause du modèle traditionnel de sous-traitance.


L’organisation décide de déléguer à certains sous-traitants la réalisation de
l’ensemble des composants. Cette organisation est fondée sur une spécialisation
métier des pays.

3.1. Nature des interactions : co-évolution et coopétition


Chez Airbus, le nombre de collaborations n’est pas identique en fonction des
phases de développement de l’avion. Ainsi, durant l’étape de conception, ce
sont les personnels d’Airbus stricto sensu qui sont en charge de l’opération.
Les fournisseurs disposant du statut de co-traitant ne sont pas totalement
absents puisque leur rôle est consultatif, mais reste cependant assez mineur.
Les intervenants extérieurs augmentent en nombre en phase de développement,
pour diminuer de nouveau durant l’industrialisation. Airbus souhaite limiter de
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plus en plus le nombre de ses fournisseurs100. Ainsi, en juin 2007, ce sont un peu
plus d’une dizaine de co-traitants qui sont intervenus à Toulouse sur le plateau de
développement. Nous sommes donc bien au cœur d’une logique de coopétition
puisque l’entreprise associe à la fois des relations de co-traitance à des relations
de mise en concurrence des fournisseurs les uns par rapport aux autres, et ceci
de façon permanente. Airbus présente la forme d’une structuration verticale de
ces relations, constituée en trois cercles de partenaires.

Le premier cercle regroupe les sous-traitants de premier rang, parmi lesquels


Airbus distingue deux types de partenaires : les systémiers et les équipementiers.
Tous deux fabriquent des ensembles complets ou quasi-complets, et sont
risk sharing partners. Ils participent à des procédés d’ingénierie concourante
i.e. transversale, sur le principe de l’organisation du travail en plateau. Mais
la qualification de systémier est plus fonctionnelle (Ex. fonction d’atterrissage
coordonnées par Messier-Bugatti) alors que celle d’équipementier plus technique
(Goodrich pour les trains d’atterrissage centraux de l’A380) (Mazaud, 2007). Les
entreprises qui appartiennent au réseau des systémiers et des équipementiers
ont le statut de co-traitant d’Airbus et non de sous-traitant. Ces partenaires ont
la responsabilité financière et technique d’un module. Ils en assument un risque
véritablement partagé avec la firme leader et sont parties prenante en termes
d’investissement en R&D (Zuliani et Jalabert, 2005). Ils ont aussi pour mission de
fournir, sur la base d’un cahier des charges précis rédigé par Airbus, un module
de fabrication à Airbus ou à un de ses systémiers.

Le second cercle de fournisseurs est composé de sociétés de services (SSII,


sociétés dédiées à la gestion de production, prévision budgétaire, gestion des
process… et entreprises spécialisées dans le marketing, la maintenance…). Un
autre type de partenaires caractérise les membres du second-rang, ce sont les
co-traitants de spécialité.
100. Plus globalement, le plan Power 8 ambitionnait de réduire le nombre de sous-traitants de 3 000 à 500.

174
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

Enfin, le troisième cercle est constitué de co-traitants de capacités (production


en série de composants ou de pièces). Ils travaillent pour les co-traitants de
spécialité ou les équipementiers.

Les échanges d’informations entre les différents niveaux de la pyramide sont


constants mais ils sont particulièrement intenses entre le premier et le deuxième
niveau ce qui illustre bien la dimension verticale et hiérarchisée de l’organisation,
et surtout ne concernent que les étapes de développement et de production.

L’architecture que nous venons de décrire illustre bien l’idée de modularité des
modèles organisationnels. Des relations traditionnellement verticales tendent à
converger afin d’attribuer à l’ensemble des partenaires directs et indirects de
l’entreprise la conception et la réalisation de sous-ensembles dont la complexité
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augmente avec le temps. Il semblerait que l’architecture produit évolue vers une
architecture organisationnelle, définie comme une modularisation du système
inter-firmes, à travers notamment un processus d’externalisation des sous-
systèmes auprès de fournisseurs extérieurs. Il est ainsi possible d’observer,
depuis plusieurs décennies, la naissance d’intégrateurs systèmes, associée à
un phénomène de spécialisation et de désintégration de la conception. In fine,
la production est désintégrée verticalement. On procède ici à l’intégration d’un
système éclaté où 80% de l’A380 est acheté à l’extérieur.

Constat 1. Alors que Boeing a mis en place un modèle d’open innovation et


de design concourant faisant de ses fournisseurs de véritables designers
et innovateurs, Airbus s’est constitué un réseau dense de partenaires, plus
hiérarchisé, et cantonnés à leur activités traditionnelles de développement et de
production, gardant en interne la conception et le design.

3.2. Innovation et bataille des standards


Chez Airbus, tout ceci participe d’une démarche de partenariat stratégique visant
à imposer des standards qui seront par la suite déclinés sur les différentes
familles de produit Airbus (A 320, 330, 340, etc.). En effet, la particularité de ce
constructeur, notamment face à Boeing, est d’avoir toujours fonctionné sur des
familles de produits, dont la commonalité des systèmes est forte, ce qui permet
de minimiser les coûts de transfert d’un modèle à l’autre. Innovation partagée
avec les sous-traitants de premier rang essentiellement, efficience du processus
de production et de logistique (gestion des achats rigoureuse), commonalité des
systèmes… constituent des principes de gestion de l’organisation qui permettent
de minimiser les coûts, sur la base d’une déclinaison de famille de produits. Ibsen
(2009) qualifie la matrice de standardisation d’Airbus de « cadre technologique
fondé sur la dépendance » : dépendance des pilotes dans leur pratique de vol et
des compagnies aériennes dans leur pratique de maintenance et d’organisation
du travail.

175
34

Les deux derniers nés de Boeing et Airbus sont, à cet égard, parlant (King, 2007).
L’A380, un appareil de 550 à 800 places, casse les offres existantes en faisant
le pari d’une organisation en hub des compagnies aériennes et de la recherche
de taux de remplissage maximaux sur les lignes long courrier. L’organisation du
trafic aérien verrait donc, à terme, l’émergence de grands pôles aéroportuaires,
dominés chacun par une ou deux compagnies aériennes. A l’inverse, le
Dreamliner, en offrant une capacité plus classique (210 à 300 places), fait le pari
d’une organisation des dessertes aériennes point à point, s’accompagnant d’une
multiplication des liaisons nationales sans passer par des grands aéroports de
transit, la compensation étant un avion plus économe en énergie. Lequel de ces
deux standards du transport aérien civil l’emportera dans le futur  ? Le succès
des commandes du 787 et les difficultés au démarrage de l’A380 ont fait craindre
à Airbus de passer à côté du futur standard dominant en proposant l’A350 (un
avion de 250 à 350 places prévu pour voler en 2012).
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Constat 2. L’affrontement entre Boeing et Airbus passe par une bataille des
standards dans l’organisation de la production, dans les modèles d’avion et
l’organisation du trafic aérien mondial, chacun s’appuyant sur des conceptions
différentes et exclusives de l’organisation du transport aérien dans le futur.

3.3. Une communauté de destin stratégique : plateformes


régionales et vision stratégique
Airbus, à l’instar de Boeing, se présente comme une communauté de destin
stratégique, mais selon une pondération des éléments constitutifs différente  :
forte dimension régionale et sociale, faiblesse de la dimension technologique.
L’étude de l’organisation française d’Airbus en région Midi Pyrénées101, que l’on
peut dupliquer à l’organisation rhénane, anglaise ou espagnole, est explicite sur
le sujet.

La dimension spatiale informationnelle. L’organisation d’Airbus, que ce soit au


niveau français ou des autres pays partenaires repose, non sur une dominante
technologique (plate-forme électronique d’échange d’information), mais sur
une forte attache territoriale, sur une proximité physique. La répartition spatiale
des activités illustre le degré de concentration géographique des activités tant
en Allemagne, qu’en Grande-Bretagne ou en Espagne. A l’image du modèle
toulousain pour la France, nous notons une concentration autour de Hambourg
pour le partenaire rhénan, autour de Chester et Bristol en Grande-Bretagne et enfin
tout près de Madrid et dans une moindre mesure de Séville pour l’organisation
espagnole (Casa).

Ce site est dédié à l’assemblage et au montage des pièces venues notamment


de l’étranger, des Etats-Unis ou de Grande-Bretagne (en faisant un détour par
101. Le site toulousain stricto sensu d’Airbus comprend 9 000 salariés dans les bureaux d’études et les ateliers, et 4 000 au siège, à
la commercialisation, et aux essais.

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Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

l’usine General Electric/Groupe Safran ou Rolls-Royce/Safran au dessus de


la Loire) pour les tronçons de fuselages, accrochage des voilures au fuselage
et des moteurs sous les ailes. Les trains d’atterrissage (usine Messier,
région paloise) sont aussi assemblés à Toulouse. D’autres assemblages plus
complexes (mâts des moteurs pour lesquels les sous-ensembles électroniques
et hydrauliques nécessitent des connaissances pointues) sont fabriqués dans le
Nord de la ville, pour toute la famille des airbus. Les équipements électroniques et
informatiques de commandes de bord, ordinateurs de vol et de pilotage, outils de
communications, moteurs de conditionnement d’air et plus largement systèmes
de propulsion sont prédéfinis par Airbus. Ils sont réalisés essentiellement par des
équipementiers ou des systémiers qui se situent dans la banlieue toulousaine.
Leur rôle est primordial pour Airbus à un double niveau : la conception et la
fabrication. Liebherr Aerospace, Latécoère, Ratier-Figeac, Rockwell Collins,
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Microturbo (Safran), Honeywell font partie de cette catégorie.

A côté de cette proximité géographique qui assure d’un partage d’informations


grâce à des plateformes communes et des échanges physiques, la mobilité
humaine est aussi importante. Trois types d’échanges peuvent être identifiés au
niveau européen :
- Séjours de longue durée de salariés de pays d’origines différentes ;
- Séjours de moyenne durée liée à la mise au point d’une partie d’un
programme, encore appelé travail sur plateau ;
- Migrations quotidiennes ou de quelques journées de travail entre les
différents sites.

C’est essentiellement Toulouse qui bénéficie de la présence de personnels


allemands, britanniques et, à un degré moindre, espagnols. Deux types de
communication doivent être distingués selon Zuliani et Jallabert (2005) : (i) « les
communications locales, dépendantes d’un site, relevant de plus en plus des
réseaux locaux qui se sont mis en place dans les grandes agglomérations, sous
forme de boucles locales à débit élevé, mais qui exigent, pour être performants,
de ne desservir que de courtes distances  »  ; (ii) les «  réseaux externes entre
établissements de l’entité Airbus », à la fois humains et techniques102.

La complexité de l’organisation a conduit à associer à cette nécessaire mobilité de


l’organisation l’utilisation des TIC. Donc si la proximité géographique et physique
est une variable structurante de l’écosystème, nous ne devons pas pour autant
totalement négliger le rôle dévolu aux TIC dans l’organisation et la structuration de
l’organisation. En effet, les TIC constituent le support de mise en œuvre du modèle
concourant appliqué ici, même s’il ne peut bien sûr pas être assimilé au GCE
.
102 Des lignes sécurisées avec Bristol, Hambourg et Madrid de 1 à 2 mégabits ont été mises en place. La sécurisation est l’un
des soucis majeurs dans l’utilisation des technologies d’information et de communication, avec cryptage et contrôle permanents,
particulièrement lors des échanges majeurs, par exemple envoi des plans d’ensemble des avions aux motoristes américains.

177
34

développé chez Boeing. Ces TIC ont une double ambition : d’une part, elles doivent
permettre d’accélérer les échanges d’informations  ; d’autre part elles ont pour
mission de contribuer au développement de systèmes d’informations homogènes
et compatibles entre les différents acteurs. Airbus, comme Boeing, a adopté la
plateforme de Dassault Système, CATIA pour le design. Mais contrairement à
son concurrent, avec ces logiques territoriale et politique dominantes, CATIA n’a
pas été utilisé comme plateforme communautaire. L’une des sources majeures
des dysfonctionnements et des retards est précisément l’existence de plusieurs
versions de CATIA (CATIA version 4 sur le site de Hambourg et version 5 sur
le site de Toulouse), chacune fonctionnant localement, mais ne permettant pas
l’identification en amont d’incompatibilités entre les composants conçus par
chacun des sites Airbus (en l’occurrence, ici, des problèmes de câblage).
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La dimension culturelle et sociale peut être étudiée sous l’angle de l’échange
de d’information et sa transformation en connaissances entre les différents
intervenants et Airbus. Elle s’organise autour de trois pôles susceptibles de bien
identifier la dimension culturelle de l’écosystème. Ces trois pôles permettent
d’illustrer la dimension réseaux inter-entreprises et sociaux et encastrement de
l’architecture de cet écosystème.

En amont, un pôle entreprises entre les personnels systémiers et équipementiers


et ceux d’Airbus, auxquels s’ajoutent ceux des SSII effectuant des contrôles, des
développements, des mises au point, des tests de fiabilité et de maintenance. Des
niches se sont développées autour d’activités telles que les études, la simulation,
la qualité des logiciels, les systèmes informatiques embarqués. Le rôle de la
proximité géographique n’est pas neutre ici car les différents personnels sont
souvent amenés à travailler directement dans les locaux d’Airbus.

Un pôle plus institutionnel structurant les relations entre Airbus, les équipements
et systémiers, et les instituts universitaires et de recherche (écoles d’ingénieurs :
ENSAE ou Sup-Aéro, ENSICA, ENSHEEIT, INSA ; centres de recherche et
laboratoires du CNRS en sciences de l’ingénieur (LAAS) ou en informatique de
l’Université scientifique (IRIT). Les principaux donneurs d’ordres participent à
des programmes de recherche communs avec ces laboratoires et des industriels
d’autres secteurs tels l’automobile, l’électronique ou la recherche médicale. Ces
collaborations permettent des développements en informatique, électronique
embarquée, ingénierie simultanée et nouveaux matériaux (Zuliani, 2004). Une
série de services d’assistance à la commercialisation se développe fortement,
sous l’impulsion d’Airbus. Il intègre le centre de livraison de tous les appareils
de la gamme Airbus, des centres de formation des équipages ou une école de
formation à la vente et maintenance des avions, baptisée Air Business Academy…
On retrouve ainsi une des caractéristiques centrales d’un écosystème d’affaires :
l’appartenance à plusieurs secteurs industriels de ses membres.

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Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

Sous l’impulsion d’Airbus et grâce aux efforts déployés par les systémiers et les
équipementiers un système d’échange d’informations, de connaissances et de
compétences qualifiées de Système Local de Compétences s’est développé. Il
est constitué par accumulation de savoirs et de savoir-faire, d’interrelations entre
personnels issus souvent des mêmes lieux de formation, cadres des grandes
écoles et des universités.

Constat 3. Airbus n’a pas cherché à structurer son écosystème à travers une
plateforme communautaire collaborative contrairement à Boeing. Elle fonde
l’esprit de sa communauté stratégique sur plusieurs écosystèmes territoriaux
intégrant des plateformes locales, la proximité géographique, les réseaux sociaux
et la dimension politique.
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Conclusion

L’organisation industrielle de Boeing forme un écosystème d’affaires très structuré


par les TIC à travers la plateforme commune de partage des connaissances,
les centres de formation à distance, la circulation internationale des équipes
et leur coordination par un intranet mondial. Le modèle européen semble
répondre à une logique moins déterministe d’un point de vue technologique, plus
spatiale et socio-culturelle si l’on introduit la dimension territoriale, les réseaux
sociaux et l’encastrement des organisations et des institutions. Autour des
pôles géographiques (Toulouse, Hambourg pour l’A380) de conception et de
production s’organisent des écosystèmes territoriaux. Le tableau 1 nous permet
de synthétiser les caractères de ces deux écosystèmes.

Mais nous ne pouvons considérer les deux approches, technologique et sociale,


comme exclusives l’une de l’autre. Elles participent d’une même logique
permettant d’avoir une approche plus fine de ce que sont les écosystèmes. En
effet, dans le cadre d’un contexte d’innovation technologique fort, les conditions
d’émergence et de développement des écosystèmes font ici l’objet d’une
analyse discriminante, valorisant tantôt la technologie, tantôt une perspective
plus sociale. De plus, notre recherche permet d’appliquer l’approche en termes
d’écosystèmes à un terrain original. La plus grande partie des études concernant
les écosystèmes portent sur le secteur des TIC. Or il nous semble pertinent
de mobiliser d’autres terrains d’expérimentation susceptibles d’accueillir et de
valoriser de nouvelles investigations, sous conditions d’avoir pour facteur clé de
succès l’innovation.

Il nous semble toutefois important, dans le cadre du terrain que nous avons
mobilisé au cours de cette recherche, de tenir des propos nuancés. Airbus n’a
pas connu la même histoire industrielle que son concurrent et n’évolue pas
au sein d’un environnement politique identique (Europe vs Etats-Unis). Les
contraintes politiques, au sein du contexte européen, ont conduit Airbus à limiter

179
34

son espace collaboratif aux pays partenaires de la communauté, (même si


certaines contraintes commerciales obligent les dirigeants à s’ouvrir, à collaborer
avec les compagnies aériennes et les sous-traitants des pays émergents (chaîne
d’assemblage de l’A320 en Chine). Ces éléments de nature géopolitique ne sont
pas neutres sur l’émergence de l’écosystème et son évolution.

Tableau 1. Synthèse des caractéristiques des écosystèmes de Boeing et Airbus

VARIABLES
BOEING AIRBUS EADS
CARACTERISTIQUES

Innovation semi fermée (closed)


Open innovation associant un grand
Modèle d’innovation associant un petit nombre de
nombre de parties prenantes
contributeurs essentiellement internes

Modèle concourrant Réseau dense de partenaires


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Design organisationnel Organisation transversale Organisation hiérarchique
Modèle des cités globales Modèle des cités locales

Collaborative et perfectionnée
Locales, avec des versions différentes
Plateforme Communautaire et globale
Moins collaboratives
technologique Soubassement de l’organisation
Peu structurantes de l’organisation
(Global Collaborative Environment)

Relations virtuelles
Relations territoriales de proximité
Echanges d’équipes multiculurielles
Réseaux sociaux
Relations entre acteurs entre pays d’organisations
Organisation hiérarchique
différentes
Equipes nationales internes
Décentralisation des responsabilités

Coopétition avec dominante de Coopétition avec dominante de mise en


Nature des interactions
colloboration concurrence

Leadership Keystone Value Dominator

Commonalité de type Effets de dépendance


Innovation et bataille
« accommodation technologique » Commonalité de type « dépendance
de standards
Philosophie de l’accommodation technologique »

Ecosystème global sur une phase


de la chaîne de valeur : le design et Ensemble d’écosystèmes territoriaux
Synthèse la conception mais gestion fermée (écosystème fragmenté) sur l’ensemble
des autres phases (fabrication, des étapes de la chaîne de vakeur
assemblage, comemrcialisation)

Si on considère que l’écosystème d’affaires est plus un mode de coordination


original intermédiaire des activités (Moore, 1998) entre le marché, le clan, la
hiérarchie, la quasi-intégration, etc., son hypothèse de base est qu’il existe plus
d’intelligence à l’extérieure de l’organisation qu’à l’intérieur, et que l’écosystème
émerge pour capter ces intelligences dispersées pour les canaliser vers un but
stratégique sans les brider. Les plateformes de participation forment un socle,
structurent les écosystèmes émergents, équilibrent entre auto-organisation et
dirigisme. L’innovation et la diffusion d’un standard dépendent de la capacité de

180
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus  : le rôle des TIC en
environnement innovant

l’entreprise leader à ouvrir sa plateforme collaborative aux autres, c’est-à-dire


son code source ou ses bases de données. La plateforme globale n’est pas sans
limites : elle facilite l’échange de connaissances codifiées, mais rarement tacites,
ce que permettent plus aisément des réseaux territoriaux. Boeing s’est aussi
retrouvé confronté au dilemme du devenir des droits de propriété intellectuelle,
incitations classique à l’innovation, et le degré d’ouverture et de partage au
sein de son GCE : le risque de fuite des connaissances de l’écosystème vers
des concurrents potentiels, pouvant à terme faire émerger des écosystèmes
concurrents. Enfin, elle a dû résoudre l’implication des différents acteurs à
une innovation ouverte, où les connaissances de chacun deviennent common
knowledge. Ceci n’a été possible que parce que la plupart des partenaires sur
le Dreamliner ont déjà été associés aux projets antérieurs, mais aussi que leur
collaboration amont sur le design et la conception leur ouvrait les portes d’une
association contractuelle aux phases de fabrication. Les risques de courses à
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