Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2010-4-page-162.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.
Résumé
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
d’affaires (Moore, 1993 et 1996, Iansiti et Levien, 2004). Dans un contexte
d’innovation, nous montrerons comment les plateformes informationnelles
participent à la configuration des relations entre organisations et
contribuent à la structuration de l’écosystème. Au sein du duopole de la
construction aéronautique, deux écosystèmes différemment structurés
s’affrontent : Airbus et Boeing. Celui de Boeing est global pour ce qui est
de la conception : plateforme collaborative communautaire, programmes de
formation, circulation internationale des équipes et des idées. A l’inverse,
celui d’Airbus est territorialement ancré, très hiérarchique aussi bien dans
la conception que dans la production, mais mobilisant les liens de proximité
et des logiques de réseaux sociaux. Alors que Boeing présente les traits
d’un écosystème global, Airbus offre l’image d’un ensemble d’écosystèmes
territoriaux.
Abstract
162
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
côté des validations empiriques, force est de constater que les activités qui ont
retenu l’attention de cette approche relèvent prioritairement des technologies de
l’information et de la communication – TIC (Iansiti et Levien, 2004a et 2006 ;
Fransman, 2008) : les systèmes d’exploitation (Gueguen et Torrès, 2004), les
télécommunications, comme les personal digital assistants et smartphones
(Gueguen, 2008), le Wi-Fi (Gunasekaran et Harmantzis, 2008) et la téléphonie
mobile (Basole, 2009), les web services et e-commerce (Iskia, 2009), le hardware
(Moore, 1996 ; Iansiti et Levien, 2004a ; Li, 2009), l’édition de logiciels (Pellegrin-
Boucher et Gueguen, 2005), les semi-conducteurs (Adner et Kapoor, 2010).
163
34
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
une solution cohérente, adaptée aux clients » (Adner, 2006 ; Adner et Kapoor,
2010).
164
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Notre travail repose sur une approche déductive permettant de valider la
pertinence du cadre théorique de l’approche par les écosystèmes d’affaires. Deux
études de cas viennent appuyer notre réflexion ‑ Boeing et Airbus-EADS ‑ que
nous allons confrontées afin d’alimenter notre discussion. Notre étude portera
sur la construction des avions civils de plus de cent places et traitera des cas de
Boeing, à travers le développement du 787 Dreamliner, et de l’Airbus A38086.
Le choix de ces deux projets, en tant qu’illustration de notre propos, s’appuie sur
plusieurs critères.
- En premier lieu, la quasi-simultanéité de ces deux projets d’appareils
dans l’histoire de la construction aéronautique, rendant la comparaison
synchronique possible.
- En second lieu, la mobilisation de la PLM - Product Lifecycle Management -
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
comme outil communautaire de conception de ces deux prototypes
d’avion, faisant de cette TIC un véritable espace collaboratif global entre
organisations. L’enjeu est le partage et l’intégration de connaissances
disparates possédées par une grande variété d’acteurs projet dispersés
dans le monde et appartenant à des univers cognitifs différents. La PLM
repose sur une base de données unique et ouverte à tous et une interface
homme-machine unique pour tous les acteurs du projet, où chacun voit la
contribution de l’autre. Elle permet de disposer d’une représentation virtuelle
d’un produit physique, de concrétiser des idées et de les rendre compatibles
avec les connaissances des autres.
Les données utilisées sont de nature primaires, mais aussi secondaires dans
le cas de Boeing (trois interviews menées au décembre 2008 et janvier 2009,
documents internes, la presse spécialisée, les sites Internet professionnels87).
Des données secondaires ont été mobilisées dans le cas d’Airbus (document
internes et presse spécialisée). Les entretiens semi-directifs et ouverts sont
essentiellement venus valider et étayer les informations secondaires. Ainsi, ce
croisement de différentes sources de données, primaires et secondaires, permet
par la construction de cas, de comprendre leur logique en profondeur (Yin, 1989),
afin de valider le modèle conceptuel des écosystèmes d’affaires à l’industrie
aéronautique civile et de mettre en évidence l’importance des plateformes
technologiques structurant de telles méta-organisations. Cependant, nous avons
cherché à obtenir des informations sur chacun des rôles-types au sein d’un
écosystème d’innovation, tels qu’Adner et Kapoor (2010) les caractérisent.
86. Une comparaison fonctionnelle montre que ces deux modèles d’avion sont plus complémentaires qu’alternatifs (King, 2007).
87. Exemple le site du journaliste bloggeur Jon Ostrower : www.flightglobal.com.
165
34
Aéroports
Equipementiers Régulateurs
Sous-traitants Fabricants de simulateurs d’entrainement
Complémenteur 1
Fournisseur 1
Airbus-EADS
Boeing
Compagnies
Firme leader Client
aériennes
Fournisseur 2
Complémenteur 2
Composants Compléments
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Figure 1. Acteurs et rôles au sein d’un écosystème d’innovation
(adapté d’Adner et Kappor, 2010, p. 309)
Nous précisons que lors de nos échanges, les différents acteurs ont mentionné
le souhait de ne pas être directement identifiés dans notre article ; aussi leur nom
n’apparaît pas, seule leur fonction figure. Chaque entretien a duré un peu plus de
trois heures88 et nous a permis de conforter et de détailler nombre de données
secondaires.
Boeing et ses partenaires amont :
Données primaires : entretiens semi-directifs (novembre 2008) :
Directeur Communication Boeing France.
Assistant chargé du Déploiement Transnational.
• Données secondaires :
Documents internes (deux rapports).
Presse spécialisée (Centre de documentation du Bourget) et non
spécialisée.
Clients (décembre 2008) : entretien ouvert avec le Directeur Flotte & Avions
nouveaux Air France.
88. Nous remercions les personnes rencontrées pour le temps précieux qu’elles ont bien voulu nous consacrer.
166
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
se contentent de définir l’écosystème d’affaires en fonction de ce qu’on y trouve
comme organisations (Iansiti et Levien, 2004b). Un écosystème d’affaires est
une vaste communauté économique, structurée autour d’une ou deux entreprises
leaders à travers des relations plus ou moins fortes de coopétition, rassemblant
des organisations et des personnes variées (cf. figure 1) partageant une même
destinée stratégique, la conception et la diffusion d’un standard, sur lequel
s’appuient la commercialisation de produits et la création de valeur pour leurs
utilisateurs.
167
34
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
afin de bloquer l’entrée de concurrents sur ce segment, Boeing a sous-traité un
grand nombre de composants à des partenaires japonais, les quatre heavies que
sont Mitsubishi, Fuji, Kawasaki et Ishikawajima, acquérant par-là même le statut
de co-traitant.
168
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Bryson et Rusten (2008) ont bien identifié ce changement de modèle de conception
d’un produit complexe. Ils l’assimilent au modèle des « cités globales » où les
firmes transnationales organisent à la fois une division spatiale du travail (quartier
général - divisions - filiales) et une division spatiale de l’expertise associée aux
activités créatives. Autant la première doit-elle reposer sur un principe de contrôle
hiérarchique, autant la seconde correspond à un réseau d’échanges mondial entre
équipes internes et externes à la firme pivot. Par exemple, pour la conception des
ailes, entièrement externalisée aux trois heavies japonaises, l’équipe japonaise
s’est rendue au Global Environment Centre (GEC) à Everett avant que l’équipe
américaine aille travailler au Japon. La dispersion géographique et culturelle
de l’expertise est la clef de la créativité, les échanges se médiatisant via des
Intranets, la circulation des équipes (et des idées), des programmes de formation
(au GEC d’Everett ou au Boeing Design Centre de Moscou). Cette organisation
participe à faire émerger un design concourant.
169
34
(Iansiti et Levien, 2004a, p. 162). Plus généralement, l’enjeu ultime est d’imposer
un standard pour asseoir l’avantage concurrentiel des entreprises, qui peut être
aussi bien de nature technique (Ex. console de jeu, système d’exploitation),
processuel (une norme de qualité) ou organisationnel91.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
édicte, par exemple, les standards techniques que doivent respecter chaque
partenaire lorsqu’il propose une modification d’un composant. Ainsi, Boeing est
capable, grâce à cette standardisation poussée à l’extrême et cette architecture
modulaire, d’assembler des sous-ensembles venus du monde entier en trois
jours à Everett (Etat de Washington)92.
91. Moore (1996, chap. 5) prend l’exemple de l’affrontement des écosystèmes d’affaires dans l’espace d’opportunités automobile, où
se sont affrontés les écosystèmes de General Motors (l’entreprise multidivisionnelle), Ford (la production de masse) et Toyota (la lean
production).
92. L’Europe n’est pas absente de cette bataille des standards dans la conception collaborative, à travers son projet VIVACE (Virtual
Aeronautical Collaborative Enterprise) visant à intégrer de nombreuses opérations de conception et de développement d’un avion en
temps réel et en provenance de nombreux partenaires.
170
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
et son enrichissement, et à sa diffusion pour profiter des rendements croissants
d’adoption (Arthur, 1994). Elle permet ainsi d’internaliser les externalités au
sein de la communauté constituant l’écosystème. Nous pouvons, au travers de
l’exemple de la plateforme de conception, de fabrication et de test (GCE) que
Boeing a mis en place pour le 787 distinguer trois strates.
171
34
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
common knowledge. Egalitaire en ce sens que les échanges de connaissances
sont multilatéraux, que chacun contribue à la performance de l’autre ; et de ce
point de vue, le PLM y contribue. La confiance conduit à un réseau fondé sur le
partage de ses compétences et l’ouverture de ses technologies aux autres. Au
final, la culture collaborative s’appuie sur : (1) une structure, qui prend la forme
pour l’écosystème de conception de Boeing de Life Cycles Product Teams, (2)
une technologie avec l’espace virtuel de collaboration et la constitution de bases
de données partagées, et (3) d’un engagement à coopérer et à comprendre les
autres membres de l’écosystème96. A l’étape de la conception, ce ne sont pas
moins de 6 000 ingénieurs de différentes organisations et de par le monde qui
ont interagi.
������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������������
. Voir la conférence de David Noll, MS HRM Boeing à la Seattle Pacific University, 28 septembre 2006, intitulée “ Managing Virtual
Networks on Large Scale Projects ”.
172
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Peut-on dire que Boeing, du 777 au 787, serait passé d’un leadership de type
« value dominator » à un leadership écosystémique de domination par les
valeurs ? Pour le 777, Boeing a mis en place une structure verticalement intégrée,
où le constructeur aéronautique conservait l’ensemble des responsabilités de la
conception et de la fabrication, mais supportait en même temps le risque, ne sous-
traitant que des composants pointus (motorisation, ailes). Avec le 787, Boeing
a renoncé à ses rôles traditionnels de constructeur et donneur d’ordres pour
celui d’intégrateur de systèmes98, où il s’agit plus de coordonner les contributions
de chaque partenaire en matière de design et de fabrication99. Boeing a donc
renoncé à contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur et s’est forgé une nouvelle
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
compétence dans la coordination et l’intégration d’un ensemble d’acteurs et de
modules. Chesbrough et Appleyard (2007) identifient une nouvelle stratégie,
l’open strategy, qui prend sa source dans les segments des TIC. La question
centrale pour qu’une telle stratégie soit soutenable est la capacité de l’écosystème
à faire migrer son modèle d’affaires ouvert vers un modèle hybride associant
ouverture et propriété. En sens inverse, les segments d’activités plus classiques
intègrent, à certaines étapes de la chaîne de valeur (ici, en amont, la phase de
conception), des logiques d’open innovation (coordination et invention ouvertes),
sans pour autant renoncer à la logique propriétaire sur les autres étapes. Dans
leur typologie création de valeur (en interne ou conduite par une communauté)
- capture de la valeur (par une seule entreprise vs. l’écosystème), alors que la
création de valeur relève très largement d’une logique communautaire, Boeing est
très clairement l’organisation qui capte la valeur du projet (quitte à la redistribuer
selon des règles très classiques contractuelles entre les autres partenaires).
97. On peut qualifier ce type de leadership de « domination par les valeurs » (values dominators) par opposition aux deux catégories
précédentes que Iansiti et Levien identifient : « physical dominators » et « hub landlords ».
98. Un des indicateurs de ce recentrage sur des fonctions de coordination est la réduction des effectifs internes à Boeing dédiés au
787 : 1 000 salariés dans l’usine d’Everett contre 5 000 pour le 777.
99. Par exemple, avec sa division militaire, Boeing maîtrisait des compétences fortes en matière de matériaux composites, élément
essentiel dans l’objectif d’offrir un avion à plus faible consommation en fuel. Malgré cela, Boeing a ouvert ses compétences dans ce
domaine, et a co-développé les matériaux composites, en particulier avec les heavies japonais. Ce n’est pas rien quand on sait que
le 787 est composé pour 57% de matériaux composites (le fuselage est entièrement en fibre de carbone) contre 11% pour le 777 ou
5% pour le MD-80.
173
34
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
plus en plus le nombre de ses fournisseurs100. Ainsi, en juin 2007, ce sont un peu
plus d’une dizaine de co-traitants qui sont intervenus à Toulouse sur le plateau de
développement. Nous sommes donc bien au cœur d’une logique de coopétition
puisque l’entreprise associe à la fois des relations de co-traitance à des relations
de mise en concurrence des fournisseurs les uns par rapport aux autres, et ceci
de façon permanente. Airbus présente la forme d’une structuration verticale de
ces relations, constituée en trois cercles de partenaires.
174
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
L’architecture que nous venons de décrire illustre bien l’idée de modularité des
modèles organisationnels. Des relations traditionnellement verticales tendent à
converger afin d’attribuer à l’ensemble des partenaires directs et indirects de
l’entreprise la conception et la réalisation de sous-ensembles dont la complexité
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
augmente avec le temps. Il semblerait que l’architecture produit évolue vers une
architecture organisationnelle, définie comme une modularisation du système
inter-firmes, à travers notamment un processus d’externalisation des sous-
systèmes auprès de fournisseurs extérieurs. Il est ainsi possible d’observer,
depuis plusieurs décennies, la naissance d’intégrateurs systèmes, associée à
un phénomène de spécialisation et de désintégration de la conception. In fine,
la production est désintégrée verticalement. On procède ici à l’intégration d’un
système éclaté où 80% de l’A380 est acheté à l’extérieur.
175
34
Les deux derniers nés de Boeing et Airbus sont, à cet égard, parlant (King, 2007).
L’A380, un appareil de 550 à 800 places, casse les offres existantes en faisant
le pari d’une organisation en hub des compagnies aériennes et de la recherche
de taux de remplissage maximaux sur les lignes long courrier. L’organisation du
trafic aérien verrait donc, à terme, l’émergence de grands pôles aéroportuaires,
dominés chacun par une ou deux compagnies aériennes. A l’inverse, le
Dreamliner, en offrant une capacité plus classique (210 à 300 places), fait le pari
d’une organisation des dessertes aériennes point à point, s’accompagnant d’une
multiplication des liaisons nationales sans passer par des grands aéroports de
transit, la compensation étant un avion plus économe en énergie. Lequel de ces
deux standards du transport aérien civil l’emportera dans le futur ? Le succès
des commandes du 787 et les difficultés au démarrage de l’A380 ont fait craindre
à Airbus de passer à côté du futur standard dominant en proposant l’A350 (un
avion de 250 à 350 places prévu pour voler en 2012).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Constat 2. L’affrontement entre Boeing et Airbus passe par une bataille des
standards dans l’organisation de la production, dans les modèles d’avion et
l’organisation du trafic aérien mondial, chacun s’appuyant sur des conceptions
différentes et exclusives de l’organisation du transport aérien dans le futur.
176
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Microturbo (Safran), Honeywell font partie de cette catégorie.
177
34
développé chez Boeing. Ces TIC ont une double ambition : d’une part, elles doivent
permettre d’accélérer les échanges d’informations ; d’autre part elles ont pour
mission de contribuer au développement de systèmes d’informations homogènes
et compatibles entre les différents acteurs. Airbus, comme Boeing, a adopté la
plateforme de Dassault Système, CATIA pour le design. Mais contrairement à
son concurrent, avec ces logiques territoriale et politique dominantes, CATIA n’a
pas été utilisé comme plateforme communautaire. L’une des sources majeures
des dysfonctionnements et des retards est précisément l’existence de plusieurs
versions de CATIA (CATIA version 4 sur le site de Hambourg et version 5 sur
le site de Toulouse), chacune fonctionnant localement, mais ne permettant pas
l’identification en amont d’incompatibilités entre les composants conçus par
chacun des sites Airbus (en l’occurrence, ici, des problèmes de câblage).
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
La dimension culturelle et sociale peut être étudiée sous l’angle de l’échange
de d’information et sa transformation en connaissances entre les différents
intervenants et Airbus. Elle s’organise autour de trois pôles susceptibles de bien
identifier la dimension culturelle de l’écosystème. Ces trois pôles permettent
d’illustrer la dimension réseaux inter-entreprises et sociaux et encastrement de
l’architecture de cet écosystème.
Un pôle plus institutionnel structurant les relations entre Airbus, les équipements
et systémiers, et les instituts universitaires et de recherche (écoles d’ingénieurs :
ENSAE ou Sup-Aéro, ENSICA, ENSHEEIT, INSA ; centres de recherche et
laboratoires du CNRS en sciences de l’ingénieur (LAAS) ou en informatique de
l’Université scientifique (IRIT). Les principaux donneurs d’ordres participent à
des programmes de recherche communs avec ces laboratoires et des industriels
d’autres secteurs tels l’automobile, l’électronique ou la recherche médicale. Ces
collaborations permettent des développements en informatique, électronique
embarquée, ingénierie simultanée et nouveaux matériaux (Zuliani, 2004). Une
série de services d’assistance à la commercialisation se développe fortement,
sous l’impulsion d’Airbus. Il intègre le centre de livraison de tous les appareils
de la gamme Airbus, des centres de formation des équipages ou une école de
formation à la vente et maintenance des avions, baptisée Air Business Academy…
On retrouve ainsi une des caractéristiques centrales d’un écosystème d’affaires :
l’appartenance à plusieurs secteurs industriels de ses membres.
178
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Sous l’impulsion d’Airbus et grâce aux efforts déployés par les systémiers et les
équipementiers un système d’échange d’informations, de connaissances et de
compétences qualifiées de Système Local de Compétences s’est développé. Il
est constitué par accumulation de savoirs et de savoir-faire, d’interrelations entre
personnels issus souvent des mêmes lieux de formation, cadres des grandes
écoles et des universités.
Constat 3. Airbus n’a pas cherché à structurer son écosystème à travers une
plateforme communautaire collaborative contrairement à Boeing. Elle fonde
l’esprit de sa communauté stratégique sur plusieurs écosystèmes territoriaux
intégrant des plateformes locales, la proximité géographique, les réseaux sociaux
et la dimension politique.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Conclusion
Il nous semble toutefois important, dans le cadre du terrain que nous avons
mobilisé au cours de cette recherche, de tenir des propos nuancés. Airbus n’a
pas connu la même histoire industrielle que son concurrent et n’évolue pas
au sein d’un environnement politique identique (Europe vs Etats-Unis). Les
contraintes politiques, au sein du contexte européen, ont conduit Airbus à limiter
179
34
VARIABLES
BOEING AIRBUS EADS
CARACTERISTIQUES
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
Design organisationnel Organisation transversale Organisation hiérarchique
Modèle des cités globales Modèle des cités locales
Collaborative et perfectionnée
Locales, avec des versions différentes
Plateforme Communautaire et globale
Moins collaboratives
technologique Soubassement de l’organisation
Peu structurantes de l’organisation
(Global Collaborative Environment)
Relations virtuelles
Relations territoriales de proximité
Echanges d’équipes multiculurielles
Réseaux sociaux
Relations entre acteurs entre pays d’organisations
Organisation hiérarchique
différentes
Equipes nationales internes
Décentralisation des responsabilités
180
Configuration des écosystèmes d’affaires
de Boeing et d’Airbus : le rôle des TIC en
environnement innovant
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
l’apprentissage et de comportements opportunistes ont pu ainsi être réduits.
Bibliographie
Adner R. (2006), Match You Innovation Strategy to Your Innovation Ecosystem, Harvard
Business Review, avril, 98-107.
Adner R. et Kapoor R. (2010), Value creation in innovation ecosystems : How the structure
of technological interdependence affects firm performance in new technology generations,
Strategic Management Journal, 31(3), 306-333.
Arthur B.W. (1994), Increasing Returns and Path Dependence in the Economy. University
of Michigan Press, Ann Arbor.
Astley W.G. (1985), The Two Ecologies: Population and Community Perspectives on
Organizational Evolution, Administrative Science Quarterly, 30, 224-241.
Astley W.G. et Fombrun C.J. (1983), Collective Strategy : Social Ecology of Organizational
Environments, Academy of Management Review, 8(4), 576-587.
Basole R.C. (2009), Visualization of interfirm relations in a converging mobile ecosystem,
Journal of Information Technology, 1-16.
Bryson J.R. et Rusten G. (2008), Transnational corporations and spatial divisions of
‘service’ expertise as a competitive strategy : the example of 3M and Boeing, The Service
Industries Journal, 28 (3), April, 307-323.
Chesbrough H.W. et Appleyard M.M. (2007), Open Innovation and Strategy, California
Management Review, 50(1), 57-76.
Eisenmann T.R. (2008), Managing Proprietary and Shared Platforms, California
Management Review, 50(4), 31-53.
Evans D.S., Hagiu A. Et Schmalensee R. (2006), Invisible Engines. How Software
Platforms Drive Innovation and Transform Industries, The MIT Press.
Fransman M (2008), The new ICT Ecosystem: Implications for Europe, Kokoro,
Edinburgh.
Frigant V. (2004), Vanishing hand versus systems integrators. Une revue de littérature
sur l’impact organisationnel de la modularité, Revue d’Economie Industrielle, n°109, 1er
trim., 29-52.
Fujimoto T. et Takeishi A. (2001), Modularization in auto industry: interlinked multiples
hierarchies of product, production and suppliers systems, Working Paper, CIRJE-F-107,
Tokyo University, March.
Fukuda K. et Watanabe C. (2008), Japanese and US perspectives on the national
181
34
Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 196.64.66.225 - 05/05/2020 15:52 - © Management Prospective Ed.
68-78.
Ibsen A.Z. (2010), The politics of airplane production: The emergence of two technological
frames in the competition between Boeing and Airbus, Technology in Society, 31(4), 342-
349.
Isckia T. (2009), Amazon’s Evolving Ecosystem : A Cyber-bookstore and Application
Service Provider, Canadian Journal of Administrative Sciences, 26, 332-343.
Li Y-R (2009), The technological roadmap of Cisco’s business ecosystem, Technovation,
29, 379-386.
Mazaud F. (2007), De la firme-sous-traitante de premier rang à la firme pivot, l’organisation
du système productif Airbus, thèse de doctorat en Sciences économiques, Université de
Toulouse 1, 4 juillet.
Moore, J.M. (1993), Predators and Prey: A New Ecology of Competition, Harvard Business
Review, May-June, 75-86.
Moore, J.M. (1996), The Death of Competition. Leadership & Strategy in the Age of
Business Ecosystems, HarperBusiness, New York.
Moore, J.M. (2006), Business ecosystems and the view from the firm, The Antitrust Bulletin,
51(1), Spring, 31-75.
Muller P. (1988), Airbus, l’ambition européenne, logique d’Etat, logique de marché, Coll.
Logiques Sociales, l’Harmattan, Paris.
Parker G. et Van Alstyne M. (2008), Managing Platform Ecosystems, ICIS 2008
Proceedings, Paris.
Pellegrin-Boucher E. et Gueguen G. (2005), Stratégie de coopétition au sein d’un
écosystème d’affaires: une illustration à travers le cas de SAP, Revue Finance Contrôle
Stratégie, 2005, 8(1), 109-130.
Tapscott D. et Williams A.D. (2007), Wikinomics. Comment l’intelligence collaborative
bouleverse l’économie, Village Mondial, Pearson, Paris.
Yin R.K. (1989), Case Study Research : Design and methods, Sage, Newbury Park.
Zuliani J.M et Jalabert G. (2005), L’industrie aéronautique européenne : organisation
industrielle et fonctionnement en réseau, L’Espace Géographique, 117-133.
182