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Gunther Capelle-Blancard
2003/3 - Vol. 54
pages 663 à 673
ISSN 0035-2764
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Marchés dérivés
et trading de volatilité
Gunther Capelle-Blancard*
L’objectif de cet article est d’examiner sous quelles conditions les marchés
d’options facilitent l’intervention des investisseurs informés. Plus précisément,
nous étudions l’effet du trading de volatilité sur le comportement des agents infor-
més et sur la microstructure des marchés au comptant et à terme. Nos résultats
remettent en question l’argument selon lequel le marché des options, pour peu qu’il
soit suffisamment actif, devance le marché au comptant en termes de diffusion des
informations.
Pour la plupart des observateurs, les marchés d’options sont avant tout des
marchés où se confrontent l’offre et la demande de volatilité (Nandi et Wagonner
[2001]). En effet, les opérateurs qui s’engagent dans l’achat ou la vente d’options
misent principalement sur leur habilité à prévoir la volatilité future des actifs
sous-jacents, tout en se couvrant contre les variations de prix (couverture en
delta-gamma neutre). Une attention particulière a d’ailleurs été portée au
pouvoir prédictif de la volatilité implicite – et de la densité implicite – extraite
du prix des options, et, aujourd’hui, il est largement admis que celle-ci a un
contenu informationnel significatif (Jondeau et Rockinger [1999]). Ce résultat
était plutôt attendu dans la mesure où les techniques adoptées ne font que traduire
les pratiques mises en œuvre par les opérateurs.
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Nous considérons deux actifs financiers, une action et une option d’achat
européenne, de prix d’exercice K et d’échéance T, dont nous suivons les évolu-
tions à trois dates : la date 0, la date 1, et la date T. À la date 0, le prix de l’action
est égal à S . À la date 1, le prix de l’action est égal, de façon équiprobable, à S L
ou à S H , avec S H > S L , et sa volatilité d’ici à l’échéance T, est égale, de façon
équiprobable, à σ H ou à σ L , avec σ H > σ L 2. À la date 1, il existe donc quatre
états possibles : { S H, σ H } , { S L, σ H } , { S H, σ L } , { S L, σ L } 3. À la date T, le prix
de l’actif risqué est distribué selon une loi log-normale de paramètres
( S i, σ i ) i = L, H . Le jeu se déroule alors en quatre étapes. 1) Le hasard décide, à la
date 0, du niveau de la volatilité et du prix de l’action à la date 1. Dès la date 0,
certains agents sont informés du prix ou de la volatilité futurs de l’actif sous-
1. Ceci n’exclut pas la possibilité que des investisseurs négocient des options, ponctuellement,
sur la base d’informations privilégiées.
2. Le fait que chaque situation soit équiprobable à la date 1 n’a pas de conséquence sur la portée
du modèle dans la mesure où les paramètres S H, S L, σ H, σ L ne sont pas contraints.
3. Le niveau de la volatilité est donc indépendant du prix futur de l’actif sous-jacent; si tel n’était
pas le cas, un agent informé du prix (de la volatilité) futur(e) de l’actif sous-jacent pourrait également
spéculer sur la volatilité (le prix). Cette hypothèse est également adoptée par Nandi [1999].
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1. En réalité, un tel agent peut acheter des contrats à terme fermes, acheter des calls ou vendre
des puts. À la différence des options, les contrats à terme ne permettent de prendre position que sur
le prix futur; les introduire revient donc simplement à diminuer la profondeur relative du marché des
options. En revanche, l’hypothèse selon laquelle une seule option est disponible pourrait avoir un
effet important sur les stratégies des investisseurs (même si en pratique seules les options à-la-
monnaie sont activement traitées). En particulier, l’introduction de plusieurs séries d’options permet-
trait de considérer un troisième type d’agents informés dont les anticipations portent sur l’asymétrie
de la fonction de distribution de l’actif sous-jacent (stratégie de risk reversal). Voir également
Cherian [1998] et Bourghelle [1998] qui s’intéressent au choix des volatilistes en présence, respec-
tivement, de deux options de prix d’exercice différents ou d’un call et d’un put de même prix d’exer-
cice.
2. De la même manière, il est tout à fait possible d’endogénéiser les variables α et β en fonction
des paramètres γ, θ, a, b, c et d. Dans un modèle dynamique, la répartition entre les agents qui cher-
chent des informations sur le prix ou sur la volatilité future dépend en effet des profits espérés, qui
eux-mêmes dépendent des caractéristiques du marché.
3. En réalité, les investisseurs qui souhaitent spéculer sur la volatilité combinent généralement
plusieurs options. La stratégie la plus courante (le straddle) consiste à acheter un call et un put de
même caractéristique.
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Quel que soit le marché considéré, le prix d’achat (de vente) des teneurs de
marché est égal à l’espérance de la valeur future de l’actif, conditionnellement à
l’arrivée d’un ordre de vente (d’achat). Sur chacun des marchés, un ordre de vente
(d’achat) augmente la probabilité associée à une baisse (hausse) du prix de l’actif
sous-jacent ou de l’option, et provoque donc une révision à la baisse (hausse) des
croyances du teneur de marché, qui adapte ces cotations en conséquence.
Prenons le cas où un teneur de marché au comptant reçoit un ordre de vente.
Cet ordre de vente lui a été adressé soit par un agent non informé, pour des
raisons exogènes, avec une probabilité ( 1 – α – β )b , soit par un investisseur
directionnel, qui sait que le prix futur de l’action sera égal à S L , avec une proba-
bilité αη L ⁄ 2 . Dans le premier cas, le teneur de marché évalue le prix de l’action
à son espérance inconditionnelle ( E [ S ] ) ; dans le second cas, il évalue le prix de
l’action à S L . De la même manière, avec la probabilité ( 1 – α – β )a , un ordre
d’achat peut provenir d’un agent non informé, ou avec la probabilité αη H ⁄ 2 ,
d’un investisseur qui sait que le prix de l’action à la date 1 sera égal à S H . Dans
le premier cas, le teneur de marché évalue le prix de l’action à son espérance
inconditionnelle ( E [ S ] ) ; dans le second cas, il évalue le prix de l’action à S H .
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1. Notons que l’effet est le même dans le cas d’une augmentation (diminution) de S H ( S L ) , ou
d’une augmentation de la probabilité associée à l’état favorable (défavorable). Aussi, le fait de
supposer que ces différents états sont équiprobables n’a pas d’impact sur le degré de généralité du
modèle.
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Encore une fois, les prix d’achat et de vente encadrent l’espérance non condi-
tionnelle du prix de l’actif. Comme sur le marché au comptant, s’il n’existe
aucun investisseur informé, les prix d’achat et de vente des options sont égaux
et correspondent à l’espérance inconditionnelle de la valeur de l’actif. Mais alors
qu’il suffit qu’il n’y ait pas d’asymétrie d’informations concernant le prix futur
de l’actif sous-jacent ( α = 0 ) pour que, sur le marché au comptant, le prix
d’achat soit égal au prix de vente, et ce quelle que soit la part des volatilistes
( β > 0 ), il faut qu’il n’y ait d’informations ni sur le prix, ni sur la volatilité future
( α = β = 0 ) pour que la fourchette de prix soit nulle sur le marché de options.
À l’opposé les asymétries d’informations concernant le prix futur de l’actif sous-
jacent ( α > 0 ) suffisent à ce que la fourchette de prix soit strictement positive
sur le marché au comptant, comme sur le marché des options. Par ailleurs,
comme dans le cas de l’actif sous-jacent, la fourchette de prix est une fonction
décroissante de la profondeur du marché des options (paramètres c et d) et de la
part des investisseurs non informés ( 1 – α – β ). Elle est également fonction
croissante de l’avantage informationnel des agents informés, mais cette fois-ci à
plus d’un titre. Non seulement une hausse de l’écart de prix augmente la four-
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(Easley et al. [1998]) et c’est aussi celui auquel nous nous intéresserons par la
Tout ce qui augmente le profit des investisseurs informés sur l’un des marchés
augmente la part de ces investisseurs présents sur ce marché. Ainsi, les investis-
seurs informés du prix de l’action à la date 1 ont d’autant plus intérêt à passer
leurs ordres sur le marché au comptant (des options) que i) le nombre γ d’actions
qu’il est possible d’acheter au comptant est élevé (faible); ii) le nombre θ
d’actions que l’option permet d’acheter à l’échéance est faible (élevé); iii) la
sensibilité du prix de l’option aux variations de prix de l’actif sous-jacent, le
delta, est faible (élevé); iv) la sensibilité du prix de l’option aux variations de la
volatilité de l’actif sous-jacent, le véga, est élevé (faible).
La stratégie des investisseurs informés dépend également de la plus ou moins
grande facilité avec laquelle ils peuvent camoufler leurs ordres. Ainsi, η dépen-
dent positivement de la profondeur du segment de marché sur lequel ils décident
d’intervenir et de la part 1 – α – β des investisseurs non informés.
1. Dans ce cas, bien que les coûts de transaction (i.e. la fourchette de prix) sur le marché au
comptant (des options) soient maximum, du fait de la concentration des directionnels, aucun de ces
investisseurs n’a intérêt à vendre des options (actions).
2. En effet, dans le cas contraire, les agents informés sont incités à migrer vers le marché où le
profit est plus élevé et l’équilibre n’est pas atteint.
3. Voir Capelle-Blancard [2002] pour les autres cas.
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Les options sont des instruments d’autant plus intéressants pour les investis-
seurs informés que leurs prix sont sensibles à la dynamique du prix de l’actif sous-
jacent. Aussi, lorsque le prix des options réagit fortement aux variations de prix de
l’actif sous-jacent – i.e. lorsque le delta est proche de 1 – l’intérêt des direction-
nels pour ce support s’accroît, et les teneurs de marché sur le marché des options
sont contraints d’augmenter leur fourchette de prix ( ∂ ( a c* – b c* ) ⁄ ∂∆ > 0 ), tandis
que sur le marché au comptant, ils peuvent la réduire ( ∂ ( a s* – b s* ) ⁄ ∂∆ < 0 ) .
Lorsque le prix des options est sensible à l’évolution de la volatilité future –
i.e. lorsque le véga est élevé – les teneurs de marché craignent de faire face à un
agent qui possède une meilleure information concernant la volatilité future.
Toutes choses égales par ailleurs, ils augmentent donc leur fourchette de prix
( ∂ ( a c* – b c* ) ⁄ ∂∇ < 0 ). L’augmentation des coûts de transaction conduit alors
une part des directionnels à migrer vers le marché au comptant. À l’équilibre,
cela ne suffit pas à compenser l’augmentation initiale de la fourchette de prix des
options, mais cela a un impact positif sur la fourchette de prix au comptant
( ∂ ( a s* – b s* ) ⁄ ∂∇ > 0 ) 1.
Par ailleurs, le delta d’une option est d’autant plus proche de 1 que l’option
est dans-la-monnaie (le prix d’exercice est élevé) et à court terme, tandis que le
véga d’une option est plus élevé lorsque l’échéance est lointaine et le prix d’exer-
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CONCLUSION
Il est largement admis que la volatilité implicite est un bon estimateur des anti-
cipations de volatilité future. Cet aspect fondamental des marchés d’options était
cependant complètement ignoré des modèles théoriques avant les travaux de
Cherian [1998] et Cherian et Jarrow [1998]. Le trading de volatilité est pourtant
1. Notons par ailleurs que l’effet d’une variation du véga sur les prix d’achat et de vente sur le marché
des options est d’autant plus fort que la part des volatilistes est importante ( ∂ 2 ( a c* – b c* ) ⁄ ∂∇β > 0 ), mais
qu’il est indépendant de la part des directionnels ( ∂ 2 ( a c* – b c* ) ⁄ ∂∇α = 0 ).
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une des caractéristiques essentielles des marchés d’options. C’est même ce qui
le distingue fondamentalement des autres marchés, en particulier des marchés à
terme fermes. Cet article cherche justement à examiner en quoi l’introduction
d’agents qui spéculent sur la base de leurs anticipations de volatilité affecte la
fixation des prix, la diffusion de l’information, et le comportement des autres
agents.
Nos résultats remettent en question l’argument selon lequel le marché des
options, pour peu qu’il soit suffisamment actif, devance le marché au comptant
en terme de diffusion des informations. En effet, aussi nombreuses peuvent être
les transactions, lorsqu’une part importante des agents spécule sur les variations
de la volatilité future, les teneurs de marché exigent pour se couvrir des coûts de
transactions importants, de sorte que les investisseurs qui souhaitent spéculer sur
les variations des prix futurs peuvent avoir davantage intérêt à intervenir au
comptant ou sur les marchés à terme fermes1. Le trading de volatilité, qui semble
être la norme sur les marchés d’options, permet donc de relativiser les perfor-
mances prédictives des rendements, calculés sur les marchés d’options, sur les
rendements de l’actif sous-jacent2. Nos résultats sont, à ce titre, compatibles avec
les études empiriques qui étudient les relations d’avance-retard (de type lead-
lag) entre les marchés au comptant et les marchés d’options, et dont les conclu-
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Ce qui n’exclut pas qu’un investisseur peut avoir intérêt à négocier sur le marché des options,
dès lors que son information est suffisamment différente des anticipations du marché.
2. D’autant qu’une translation vers le haut ou vers le bas de la fourchette de prix des options peut
être le signe d’une augmentation ou d’une diminution de la volatilité anticipée, ce qui n’a pas d’effet
direct sur le prix de l’actif sous-jacent, à moins que le niveau de la volatilité soit inversement et forte-
ment corrélé avec les prix.
3. Il serait d’ailleurs intéressant de pouvoir étudier ces relations en distinguant les périodes où
les volatilistes dominent le flux d’ordre, même s’il faut pour ce faire imposer des hypothèses supplé-
mentaires sur le comportement des agents (Cherian et Weng [1999]).
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