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MIRACLES SCIENTIFIQUES
Faouzia Charfi
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Raison présente
3
Jacques Jomier, L’Exégèse scientifique du Coran d’après le Cheikh Amin
Al-Khouli, MIDEO, 4, 1957, p. 272-274.
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Les lectures scientifiques du Coran
4
J. Jomier, Le Cheikh Tantawi Jawhari et son commentaire du Coran,
MIDEO, 5, 1958, p. 115-174.
5
Hamadi Redissi, Lectures musulmanes modernes du Coran, Annali di sto-
ria dell’esegesi, 11(1), 1994, p. 281.
6
J. Jomier, MIDEO, 5, 1958, p. 142.
7
H. Redissi, op. cit., p. 281.
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Raison présente
les ouvrages, les articles sous toutes les formes, les émissions télévi-
sées et, plus récemment, les sites web et les vidéos circulant sur les
réseaux sociaux, montrant que le Texte contient toutes les dernières
avancées scientifiques. Ces « preuves» du « Miracle scientifique du
Coran » (l’i’jaz ilmy) touchent à tous les domaines de la science, la
physique nucléaire, l’envoi de fusées dans l’espace ou la théorie du
Big Bang8… Pour soutenir que la conquête de l’espace est prévue
dans le Coran, les auteurs concordistes invoquent les versets 55:33 :
« Races des génies et des humains, s’il vous est donné un jour de
franchir les bornes des cieux et de la terre, passez-les ! Un pouvoir
réel vous sera nécessaire pour les franchir » et 15:14-15 : « Même
si Nous leur ouvrions sur le ciel une porte, par où ils puissent conti-
nuellement y monter, ils diraient : « c’est seulement que notre vue se
trouble, ou plutôt nous sommes tous ensorcelés » … »9. La confor-
mité du Coran avec la théorie du Big Bang et l’expansion de l’uni-
vers est basée sur les versets 51:47 : « Et le ciel, Nous l’avons bâti en
force : quelle n’est pas Notre profusion !10» et (21:30) « Les déné-
gateurs ne voient-ils pas que les cieux étaient continus avec la terre,
et que Nous les avons séparés, et qu’à partir de l’eau Nous avons
constitué toute chose vivante ?… Ne vont-ils pas croire ? »
Dans sa traduction du Coran en français, Le Coran, essai
d’interprétation du Coran inimitable11, Sadok Mazigh fait part de
son objection à propos de l’interprétation du verset 21:30 par cer-
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8
Voir Faouzia Charfi, La Science voilée, Chap. 2, Ed. Odile Jacob, 2013.
9
Traduction Jacques Berque, Le coran, essai de traduction, Ed. Albin
Michel, 2002.
10
Ibid. Le verset 51:47 fait l’objet de nombreuses conclusions concordistes
auxquelles Jacques Berque réagit dans une note de son Essai de traduction.
Il propose de comprendre musi’una comme « Notre profusion », (interpré-
tation minimale, précise-t-il) et non comme « Nous l’élargissons » comme
de nombreux auteurs. Il objecte que « certaines lectures contemporaines
voient ici une allusion à l’expansion de l’Univers ! ».
11
Sadok Mazigh, Le Coran, essai d’interprétation du Coran inimitable, Les
éditions du Jaguar, Paris, 1985.
12
Ibid., p. XCIII.
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Les lectures scientifiques du Coran
13
Mohamed Arkoun, Lectures du Coran, Alif-éditions de la Méditerranée,
1991, p. XIX.
14
Voir Faouzia Charfi, Sacrées questions… Pour un islam d’aujourd’hui,
Ed. Odile Jacob, 2017, Chap. 1.
15
À l’appui de cette proposition, les versets 23:12-14 : « – Oui, Nous avons
créé l’homme d’une quintessence d’argile ; puis Nous en fîmes une goutte de
liquide, déposé en réceptacle sûr ; puis ce peu de liquide, Nous le créâmes
adhérence, et créâmes l’adhérence mâchure, et créâmes la mâchure ossature,
et revêtîmes l’ossature de chair, après quoi Nous le promûmes d’une autre
création… – Béni soit Dieu, le plus beau des créateurs ! » (Traduction J.
Berque, op. cit.).
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Raison présente
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Voir les références in « L’exégèse scientifique du Coran d’après le Cheikh
Amin al-Khouli », J. Jomier, MIDEO, 4, 1957, p. 269-280.
17
Ibid., p. 273-274.
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Les lectures scientifiques du Coran
des Cieux et de la Terre, ce qui est dans les lointains horizons, tout
comme ce qui est enfoui dans le sous-sol18 ».
Les exégèses scientifiques du xxe siècle, auxquelles nous avons
fait référence précédemment, se basent sur l’affirmation d’une vérité
unique, celle de la Révélation, source de tout le savoir. Elles met-
tent en avant non pas le miracle « littéraire » du Coran mais son
miracle « scientifique » et, compte tenu de la forte prégnance de la
science dans l’ensemble des activités humaines, ces commentaires
s’attachent à développer les arguments d’ordre scientifique, au détri-
ment de l’analyse des versets. Les auteurs ne sont pas des savants
en sciences religieuses (oulémas), dans le sens traditionnel du terme,
ils sont les nouveaux gardiens de l’islam, prédicateurs, promoteurs
de l’islam politique, promoteurs d’un islam rigoriste. Certains sont
devenus des stars médiatiques dans les années 1990 avec la multi-
plication des télévisions satellitaires des pays du Golfe, très suivies
dans les pays arabes à une époque où les télévisions nationales ne
faisaient que répercuter le discours des gouvernants. Les prédica-
teurs musulmans se sont imposés comme les « savants de l’islam »
et prêchent la vérité de la religion grâce aux technologies les plus
avancées, dans un mode très inspiré de celui des prédicateurs évan-
gélistes. Ils traitent de tous les sujets, y compris la science, puisque,
comme le déclare Youssef al-Qaradawi, devenu célèbre par ses pré-
dications sur la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira, « la religion
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Citation in Réflexions sur le Coran, Professeur Mohamed Talbi, Docteur
Maurice Bucaille, Ed. Seghers, Paris, 1989, p. 57.
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J. Jomier, op. cit., MIDEO, 4, 1957, p. 269-280.
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Raison présente
sieurs siècles. Mais cette opposition a fini par être oubliée même par
des gens cultivés contemporains d’al-Khuli. C’est le constat que ce
dernier fait à l’occasion d’une rencontre qui eut lieu au Caire, suite
au lancement réussi du Spoutnik en octobre 1957. La rencontre était
organisée par une revue de vulgarisation religieuse musulmane, Liwa
al-Islam, qui réunissait chaque mois, autour d’une question, des per-
sonnalités connues, diplômées de l’université d’Al-Azhar ou d’autres
universités, donnant ainsi, sur un certain nombre de sujets, l’opinion
des cercles autorisés. La performance scientifique soviétique inau-
gurait l’ère de la conquête spatiale et ne pouvait passer inaperçue
dans ce lieu de débat. La réunion d’octobre 1957 de la revue Liwa
eut pour ordre du jour : le Spoutnik et le Coran. L’illustre assemblée
avait la difficile tâche de préciser s’il y a dans le Coran un passage
sur le Spoutnik. À la question de savoir si le Coran contient tout ce
qui a trait aux sciences exactes, les avis étaient partagés, comme ce
fut le cas dans le temps anciens. Certains sont intervenus dans le
même sens que le professeur al-Khuli, convaincus que, si le Coran
« ouvre la voie à l’invention des sciences » en appelant à « réfléchir
sur les phénomènes de la nature », il a surtout pour but de guider
les hommes dans le domaine religieux. Le vice-doyen de la Faculté
de Droit de l’université d’État du Caire, Abu-Zahra, insista sur l’in-
terprétation du verset 6:38, à la base des exégèses scientifiques du
Coran : « Nous n’avons rien omis dans le Livre » ; rien, signifiant
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Les lectures scientifiques du Coran
mieux ne pas s’adonner à une telle exégèse scientifique, car cela n’est
d’aucune utilité pour le Coran lui-même ».
Une autre personnalité égyptienne a laissé sa marque
dans cette confrontation. Il s’agit de la femme d’al-Khuli, Aïcha
Abderrahman (1913-1998), professeur de littérature à l’université
du Caire, plus connue sous son pseudonyme Bint al-Shati. Elle pro-
pose dans son ouvrage Le Coran et le commentaire moderne (al-
Quran wa-l-tafsir al-asri) de démonter celui de Mustapfa Mahmud,
Le Coran, essai pour une compréhension moderne, paru dans les
années 1970. Médecin égyptien, très connu du grand public par ses
émissions télévisées sur la science, Mahmud est passé du marxisme
à l’antimarxisme islamiste. Il se révéla alors comme un adepte de
l’exégèse scientifique et de l’anti-darwinisme.
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École théologique rationaliste très influente aux viiie et ixe siècles.
23
Al-Jahiz, Livre I, t. VI, p. 35.
24
Voir Abdou Filali-Ansary, Réformer l’islam ? Une introduction aux débats
contemporains, Ed. La découverte, Paris, 2005.
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