Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
chadli_elmostafa@yahoo.fr
Abstract
La question de la réception de l’œuvre de Dalā’il al-Khayrāt [Guide des bonnes actions] d’al-
Faquih al-Jazouli se pose pour un lecteur ou un audient d’aujourd’hui et ce, pour deux raisons
au moins : la première est sa pérennité comme pratique mystique. Le texte est toujours en
vigueur, non seulement dans les zaouïas ou confréries de la Jāzoulya ou de ses consœurs
Chādiliya et Tijāniya, mais dans les autres ordres confrériques où il est psalmodié dans les
mausolées, mosquées et sanctuaires de piété lors des fêtes religieuses, surtout durant les mois
sacrés de Rajab, de Chaabane et de Ramadan.
La seconde raison est son statut de patrimoine spirituel majeur dans l’ensemble des milieux
soufis à travers le Royaume marocain et le Maghreb.
Mots-clés : Dalā’il al-Khayrāt, al-Jazouli, psaumes/louanges, Prophète Mūhammad, réception
textuelle.
Abstract
The question of the reception of the work of Dalā’il al-Khayrāt [Guide to Good Deeds] by al-
Faquih al-Jazouli arises for a reader or a listener of today for at least two reasons : the first is
its durability as a mystical practice.
The text is still in force, not only in the zaouïas or brotherhoods of the Jāzoulya or his sisters
Chādiliya and Tijāniya, but in the other brother hood orders where it is chanted in the
mausoleums, mosques and sanctuaries of piety during religious festivals, especially during the
holy months of Rajab, Chaabane and Ramadan.
The second reason is its status as a major spiritual heritage in all Sufi circles throughout the
Moroccan Kingdom and the Maghreb.
Keywords : Dalā’il al-Khayrāt, al-Jazouli, Psalms/Praises, Prophet Mūhammad, Text
reception.
3
Texte intégral
Nous sommes en présence d’un livre bien connu de l'héritage mystique marocain, écrit
par Mūhammad ben Souleiman al-Jazouli, dans lequel il a condensé des psaumes et des
louanges relatifs à la prière sur le Messager de l'Islam Mūhammad [Bénédictions et Paix soient
sur lui].
Mon intérêt pour ce livre remonte à mes premières recherches universitaires sur le conte
populaire et puis mes travaux sur le conte merveilleux marocain1 où je rencontrais souvent,
dans nombre de récits, le motif du héros en quête muni, entre autres dispositifs essentiels de
voyage (cheval, arme, pécule, provisions de route, …), du livret de Dalā’il al-Khayrāt que je
présumais être un texte arabe de préceptes de bonne conduite. Je n’eus le plaisir de voir le
recueil entre les mains et de le feuilleter qu’en 2003, lors du lancement officiel de la nouvelle
mouture du livre par le Ministère des Habous et des Affaires islamiques2. Par la suite, j’ai fini
par acquérir une réédition classique en papier et une autre en format numérique.
Dalā’il al-Khayrāt est un Kitāb (ouvrage) de Salawāt [bénédictions] sur le bien-aimé
Prophète. Il est considéré comme l’œuvre la plus célébrée et la plus populaire parmi les œuvres
de prières et d’invocations de par le monde musulman. Etat de choses qui a fait de cette
composition singulière le centre de l'attention de nombreux érudits, anciens et modernes, et en
particulier parmi les soufis. Le recueil a attiré l'attention tout à la fois des élites dirigeantes
musulmanes, des savants et des chercheurs universitaires, qui ont déployé de grands efforts
pour le transcrire, le copier et le distribuer entre les pays et les régions du Maghreb,
d’Andalousie, d’Afrique du Nord et du Sahel ouest-africain avec l’appui bienveillant des
sultans marocains.
1
El Mostafa Chadli (2000), Le conte merveilleux marocain. Sémiotique du texte ethnographique.
2
Réimpression luxueuse de l’ouvrage, avec coffret en bois. Imprimé par ADEVA, à Graz, en Autriche.
4
Evocation des Noms d’Allah
Evocation des Noms du Prophète
Invocation d’Intention
Partie 1
- Jours Invocation d’Intention
2-7 Evocation d’Allah et de son Prophète
Parties 2, 3 et suivantes
- Jour 8 Evocation d’Allah et de son Prophète
Partie 8
Invocation ultime.
3
Dhikr signifie « évocation », « rappel de Dieu », « répétition rythmée des Noms d’Allah » ou encore « séances
de psalmodie rituelle ».
5
dans les mausolées, mosquées et sanctuaires de piété lors des fêtes religieuses, surtout durant
les mois sacrés de Rajab, de Chaabane et de Ramadan. La seconde raison est son statut de
patrimoine spirituel majeur dans l’ensemble des milieux soufis à travers le Royaume marocain
et le Maghreb.
La réception du texte patrimonial de Dalā’il al-Khayrāt nous impose de tenir compte de
son contexte de production, qui nous est parvenu parcimonieusement par des écrits épars et par
la tradition orale, et de la réception du recueil par les savants et érudits depuis le XVI ème siècle.
Il est indéniable que l’ouvrage et son aura ont dérangé les institutions religieuses en place. En
effet, la position exprimée par maints imams et juristes traditionnalistes4 était défavorable au
texte des bénédictions, car ils considéraient les hadiths présentés par l’Imam al-Jazouli comme
faibles, voire faux, et les formules dans la prière sur le Prophète [Que la Bénédiction et la Paix
soient sur lui], entachées d'exagération excessive et peut-être de polythéisme. Ceci étant,
l’œuvre a eu un tel retentissement dans le monde arabo-musulman qui n’a jamais été démenti
depuis. Au Maroc et au Maghreb en général, il est admis que l’enracinement de l’Islam et sa
perpétuation dans les villes et les campagnes est dû en grande partie à la circulation du Livre
des Bienfaits ou des bonnes actions, d’autant plus que sa récitation est agréable à l’oreille et
qu’elle imprègne profondément l’audient, c’est-à-dire le récepteur du texte psalmodié ou
chanté.
4
On peut citer, au niveau des oulémas hostiles, les positions du mauritanien Mohammed Lakhdar Chinguetti
(1868-1935), du saoudien Abdellah Ben Mohammed Ben Ahmed Douwiych (1954-1989) et du marocain
Mohammed Abderrahmane al-Maghraoui (né en 1948).
6
Aussi son chemin spirituel, de par son enseignement et la popularité de son recueil de
bénédictions sur le Prophète, ont-ils attiré autour de lui des milliers de disciples qui allaient
parcourir le pays, répandre son enseignement et insuffler une influence énorme sur la société
marocaine et maghrébine.
7
▪ Celle, par contre, qui est liée à un temps précis comme les prières du Witr et d’ad-
Dohā.
▪ Celle qui est liée, au demeurant, à un acte obligatoire, comme celles qui
accompagnent les cinq prières obligatoires (ar-Rawātib).
▪ Celle qui est liée à un motif particulier comme la prière de salutation à la mosquée
ou après l’accomplissement des ablutions.
Il est avéré, dans les milieux soufis, que les prières surérogatoires génèrent de nombreux
bienfaits parce qu’elles complètent les prières obligatoires tout en aidant à leur bon
accomplissement. Elles favorisent le désir et le besoin spirituel de se rapprocher d’Allah et de
prétendre faire partie de la communauté des al-Muqarrabîn [Gens proches d’Allah], à l’opposé
de la majorité des croyants [Gens de Droite] qui se contente d’accomplir les prescriptions et
d’éviter les interdits.
8
"Et il a ajouté : « Plus vous priez sur moi, plus vous obtiendrez de bienfaits au Paradis ».
Dans le même sens, les travaux de Herbert Benson (1975)6, chercheur au HMS de
l’Université d’Harvard, ont mis en évidence le fait que la répétition de la prière, des versets du
Coran ou des invocations, procure une relaxation qui a pour effets immédiats de faire baisser la
pression sanguine et la consommation d’oxygène. Cet état d’apaisement fait ralentir les rythmes
cardiaque et respiratoire.
5
Auteur de l’ouvrage L’Humain, cet inconnu (1935). Citation prise de l’Url :
https://www.dicocitations.com/auteur/850/Alexis_Carrel.php [Consulté le 12/02/202].
6
Médecin et professeur au Harvard Medical School a mis en place un dispositif de relaxation appelé The
Relaxation Response et qui s’articule sur 4 éléments-clés : environnement calme, un objet sur lequel s’attarder,
une attitude passive et une position confortable.
9
Dalā’il al-Khayrāt une énonciation polyphonique
De prime abord, il est frappant de souligner, au niveau des traductions françaises de
l’intitulé du recueil, les nombreuses dénominations sémantiques dudit syntagme nominal. En
voici les occurrences relevées :
- Guide des bienfaits
- Guide des bonnes actions
- Guidance des bonnes actions
- Preuves des bonnes actions
- Signes des bienfaits
- Chemins ou moyens d’être guidé vers le bien
- Marques de chemin des bienfaits (ou avantages)
- Les indices des grâces prophétiques
- Les voies du bonheur et le rayonnement des lumières à travers la prière sur le
Prophète [Traduction complète du titre premier].
Il est évident que ces fluctuations de sens, observées dans la traduction, manifestent des
postures interprétatives. En effet, le terme Dala’il est le pluriel de Dalil qu’on peut traduire
dénotativement par ‘’signe’’, ‘’trace’’, ‘’indice’’, ‘’marque’’ ou ‘’preuve’’, selon le contexte
discursif. Sur le plan connotatif, effectivement, il est recevable d’accepter les termes
correspondants, tels que ‘’chemin’’, ‘’voie’’, ‘’guide’’ ou ‘’guidance’’.
En second lieu, le titre originel, en langue arabe classique, inscrit bien la dimension
énonciative du recueil de prières et de psaumes sur le Prophète Mūhammad [saw] avec le
croisement significatif de deux paradigmes : al-Khayrat et al-Anouār, lesquels sont guidés et
maintenus par Dala’il (Guide ou Guidance) et Macha’riq pour atteindre les bonnes grâces d’un
côté et le rayonnement de l’autre. Et c’est dans le creux de cette double tension, celle de la voie
spirituelle, faite d’humilité, d’abstinence, de charité et celle de l’élévation mystique que se
forgent le corps et l’âme du croyant en quête d’absolu divin.
À ce propos, Jaafar Kansoussi (1994 : 60) commente la démarche de l’Imam par ces
termes :
Lorsque Jazûlî consacra la salât 'alâ an-Nabî, la Prière pour le Prophète comme élément
privilégié de ses dhikrs, il a pu ainsi réactualiser et trancher une question centrale de la
doctrine : le modèle prophétique (al-‘ourwa al-ḥassana). Car le Prophète (Mūhammad) est
le paradigme de toute perfection.
10
Ainsi, sur le plan énonciatif, deux plans superposés se dégagent et tendent à se confondre
pour ceux et celles qui tendent vers cette voie de l’acquisition des bonnes œuvres :
Dala’il al Khayrat, dans sa simplicité de composition, est construit sur une figure
rhétorique, celle de l’enthymème, composé de prémisses et qui conduit à une conclusion. La
prémisse majeure, qui est en fait un axiome général, de rang supérieur, se déroule ainsi :
عله ْي َِّهَّ هو ه
ْ سلِمواَّت ه
[سلِي ًما صلُّواَّ ه َّي َِّيهاأهيُّههاَّالذ ه
ِينَّآ همنوا َّ ه َّ ِعلهىَّالنب َّصلُّ ه
ونَّ ه نَّّللاهََّّ هو هم هَلئِ هكتههََّّي ه
َّ ِ]إ
« Certes, Allah et Ses Anges prient sur le Prophète ; ô vous qui croyez priez sur lui et
adressez [lui] vos salutations. » Sourate al-Aḥzāb, verset 56.
D’autre prémisses mineures peuvent être générées, à partir de celle-ci que résume si
bien J. Kansoussi (1994 : ibid.) : « C’est dans le Prophète que se trouve le modèle, la source et
la fin de toute walāya7. »
Projeté sur le carré sémiotique greimassien8, cela donnerait la configuration sémantique
suivante :
Guide Lumière
Voie
Schéma 1
Le parcours initiatique du croyant est ainsi schématisé dans un triangle qui débute par
la guidance spirituelle laquelle mène vers les bonnes actions et donc vers la voie de la piété et
du renoncement aux biens terrestres pour pouvoir s’élever, par la suite, vers le spirituel et la
lumière divine.
7
Walāya ou Wilāya du Faquih, terme du droit musulman qui désigne l’autorité ou la tutelle du chef spirituel ou
d’une instance religieuse.
8
A.J. Greimas (1917-1992), linguiste et sémioticien français, d’origine lituanienne, est considéré comme le
fondateur et le chef de file de l’Ecole de sémiotique de Paris, dont la renommée est mondiale.
11
En d’autres termes, la récitation quotidienne des psaumes sur le Prophète génère
durablement des bienfaits et autant d’attributions au croyant qui vont se multiplier en
rétributions de mérite ou grâces divines. Leur distribution sur le carré sémiotique se déploierait
comme suit :
Attributions Rétributions
Récitation
Schéma 2
La récitation étant l’acte oratoire et prosodique [symbolisé par non-S1] qui médiatise le passage
du pôle des Attributions [S1] à celui des Rétributions [S2] par l’opération sous-jacente de
l’implication, telle que préconisée dans le fonctionnement du carré sémiotique. Cette récitation
présuppose un potentiel déclamatoire propre au chant mystique et une connaissance parfaite du
rituel des séances. Elle implique, tout autant, une tension suffisante du sujet performant pour
faire surgir l’émotionnel et faire partager le pathos à l’ensemble de l’auditoire. Le cheminement
tensif, avec ses dimensions interne et externe, pourrait, éventuellement, expliciter cette fusion
émotionnelle et spirituelle.
A ce propos, on peut relever le fait que le schéma tensif, introduit par C. Zilberberg (2006)9 est
un dispositif expérimental de la sémiotique dite post-greimassienne. Dans le schéma tensif, une
valeur donnée est constituée par la combinaison de deux « valences » (ou dimensions),
l’intensité (vocale et émotionnelle) et l’extensité (ou étendue). L’extensité est l’étendue à
laquelle s’applique l’intensité. En l’occurrence, celle-ci est observable dans le rituel de l’oraison
ou de la prière dans les sanctuaires et mausolées, en termes d’étendue spatiale, de temporalité,
de quantité nombrable et de variété de style. Quant à l’intensité, elle se module en vibrations
prosodiques et émotionnelles, irradiant ainsi l’ensemble de l’auditoire et amenant un état
euphorique exceptionnel d’adhésion collective, comme on pourrait l’observer encore, lors des
fêtes religieuses dans les mausolées réputés du Royaume chérifien, tels ceux du Cheikh el-
9
Éléments de grammaire tensive, publié par les Presses Universitaires de Limoges.
12
Kamel de Meknès, de Sidi Abdellah Ben Hassoun de Salé ou de celui de Sidi Larbi ben es-
Sayeh de Rabat.
Cette adhésion se distribue sur une échelle, allant d’un état diffus (au tout début de la récitation,
lorsque l’assistance suit passivement la séance de psalmodie) à un autre état, moins diffus, mais
néanmoins encore faible (des gens y participent en psalmodiant à voix basse) puis gagnant,
progressivement, des degrés plus élevés (la majorité s’y met et les voix se font plus fortes)
jusqu’à atteindre une symbiose quasi-parfaite entre récitants et audience.
Extensité
Schéma 3
Tout bien considéré, le paradigme des bonnes actions et bienfaits rendus, des
attributions dues, des rétributions et grâces reçues ne peut que conduire vers le but suprême ou
al-Falaḥ [Salut], symbolisé par le rayonnement des lumières, seule voie praticable du bon
croyant.
Nous allons examiner, dès lors, le texte de l’Invocation de l’Intention du double point
de vue de sa structuration énonciative, impliquant déictique et modalisation et de son contrat
implicite de communication.
13
prière, par effet de Ta générosité et de Ta bonté. Ôte de mon cœur le voile de la distraction
et considère-moi comme un de Tes vertueux serviteurs !
Élève son degré parmi les Envoyés et son rang parmi les rangs des Prophètes !
Que la prière d’Allah et son salut soient sur notre seigneur Mūhammad, Sceau des
prophètes et Imam des envoyés, sur sa famille et tous ses Compagnons. Que la paix soit
sur les Envoyés et louange à Allah, Seigneur des univers. »
14
Dans les paragraphes 3 et 4, l’entame discursive est différente des précédentes :
(6) « Je Te demande Ton agrément et le sien, Ô Seigneur des univers… »
(7) « Pardonne-moi les pêchés que j’ai commis, par un effet de Ta Grâce, de Ta
générosité absolue (jûd) et particulière (karam) … »
(8) « Que la prière d’Allah et son salut soient sur notre seigneur Mūhammad … »
(9) « Que la paix soit sur les Envoyés et louange à Allah, Seigneur des univers »
Dans l’énoncé (6), la demande d’agrément est accompagnée du souhait de santé
perpétuelle (‘âfiyah), de bonne pratique prophétique (Sunnah), d’appartenance au groupe
rassemblé (al-jamâ’ah) et de témoignage de foi (chahâdah). Elle se termine par la sollicitation
du Pardon divin, telle qu’exprimée dans l’énoncé (7), au nom de la générosité et de la
munificence divines.
En complément à cette invocation, le dernier paragraphe, construit sur 2 énoncés (8) et
(9), constitue une sorte de prière de clôture, avec la prière sur le Prophète, sa Famille et ses
Compagnons et sur les Envoyés de Dieu.
Au niveau énonciatif, le texte de l’invocation est agencé, lexicalement et
prosodiquement10, par la structure de l’énonciation discursive Je/Tu/Il, telle que stipulée par E.
Benveniste (1970)11. Le /il/ étant l’actant absent de la communication. Il renvoie à l’instance
du Prophète. Structure qui génère, comme il se doit, un certain nombre de modalités et de
processus modaux.
Il est à relever que, de prime abord, l’objectif de l’invocation est posé et le contrat
souhaité est clairement établi entre le Destinateur (al-Jazouli) et le Destinataire (Dieu). Les
énoncés suivants le montrent parfaitement :
(10) « Je nourris l’intention de prier sur le Prophète … »
(11) « obéissant à ton ordre, comme une confirmation véridique de
Ton Prophète Mūhammad… »
(12) « Accepte de moi cette prière, par effet de Ta générosité et de Ta Bonté »
(13) « Ôte de mon cœur le voile de la distraction et considère-moi comme un de Tes
vertueux serviteurs !
La suite des énoncés n’est que l’expansion thématique et sémantique de ce vœu de piété
et de droiture asserté et revendiqué depuis l’intitulé du recueil de prières.
10
Je fais référence ici au texte psalmodié de Dalā’il al-Khayrāt. On peut l’écouter sur You Tube.
11
Texte intitulé « L’appareil formel de l’énonciation » in Langages, 1970/17, p. 12-18.
15
Quant aux modes et processus modaux, il est à signaler que le mode grammatical
dominant est l’indicatif, suivi du subjonctif, avec deux occurrences seulement (exemples (8) et
(9), en plus de la formule usuelle de prière sur le Prophète). Au niveau de l’énonciation de
phrase, nous avons relevé l’usage de l’injonctif, lequel exprime une doléance ou un souhait de
contrition, avec 6 occurrences : exemples (2), (5), (7), (12) et (13).
En ce qui concerne l’énonciation d’énoncé, nous pouvons relever les modalités
suivantes, de type aléthique, épistémique, déontique, appréciatif et intersubjectif :
▪ Modalité aléthique qui regroupe les vérités logiques et les fondamentaux de l’ordre
du vivant, du spirituel et de la nature ; en somme, tout ce qui relève du certain, du nécessaire et
du possible. En fait, tout le texte de l’Intention est traversé par cette modalité du certain et du
nécessaire : « nourrir l’intention de prier sur le Prophète … », « obéir à ton ordre … », « par
amour pour lui… », « magnifier sa valeur et son existence … », « leur [Communauté des
premiers croyants] vérité profonde … »
▪ Modalité épistémique qui est la marque de la connaissance du monde, en termes
de croyances et d’opinions, est bien présente dans notre extrait, surdéterminant souvent les
autres modalités de type aléthique, déontique ou axiologique. On peut donner comme exemples
toutes les doléances exprimées : « santé perpétuelle… », « mourir accroché au Coran… »,
« appartenir au groupe de la Tradition prophétique… », « Faire acte de foi avec la
Chahādah… ».
▪ Modalité déontique avec l’injonction, les verbes modaux, semi-modaux et tout ce
qui exprime l’obligation et la prescription ou l’interdiction : « obéissant à ton ordre… », « Ôte
de mon cœur le voile de la distraction… ».
▪ Modalité intersubjective avec la structure énonciative du Je/Tu qui cimente tout
le réseau conceptuel et prosodique de la prière-ci.
▪ Modalité axiologique est bien actualisée, depuis le titre du recueil jusqu’aux
prières journalières de la semaine, car elle relève de l’ordre du jugement et de l’appréciation et
elle est souvent rendue, voire confondue, par la modalité appréciative.
Dans ce contexte, on peut postuler, à l’instar de P. Charaudeau (2015 : 2)12, l’existence
d’un contrat de communication qui lie énonciateur (siège de l’argumentation et de l’ethos) et
énonciataires virtuels (visée du discours et du pathos, lequel se dessine par les affects et les
croyances communes). Ce contrat de communication, selon l’auteur, se décline ainsi :
12
Patrick Charaudeau, « Le contrat de communication dans la situation classe » in Inter-Actions, J.F. Halté,
Université de Metz, 1993, [consulté le 22 février 2022sur le site] de Patrick Charaudeau - Livres, articles,
publications. Url : http://www.patrick-charaudeau.com/Le-contrat-de-communication-dans.html
16
Le contrat de communication est ce qui structure une situation d’échange verbal en
conditions de réalisation des actes de langage qui s’y produisent pour que ceux-ci soient
reconnus valides, c’est-à-dire correspondent à une intentionnalité du sujet communiquant
et puissent être interprétés par le sujet recevant-interprétant.
13
H. Parret (1989) « La communication et les fondements de la pragmatique », revue Verbum, T.XII, Presses
Universitaires de Nancy, [s.p], cité par P. Charaudeau (1993), op.cit.
17
Pour conclure brièvement, on peut avancer quelques éléments d’appréciation de la
réception de l’œuvre de l’Imam al-Jazouli :
- Dalā’il al-Khayrāt demeure encore, de nos jours, un texte soufi de grande
importance. Il est lu, récité et psalmodié, voire chanté dans toutes les confréries et voies de la
chādiliya à travers l’ensemble des pays du Maghreb, d’Orient et d’Afrique musulmane.
- Sa popularité exceptionnelle tient à sa simplicité même et à son potentiel de
mémorisation. De plus, les séances rituelles de récitation collective avec prosodie et rythme lui
confèrent un halo d’enchantement et de magie incomparable.
- Il est indéniable que le corpus de prières et de louanges sur le Prophète Mūhammad
[saw] est en réalité un hymne de beauté et d’adoration envers l’Elu et le Sceau des prophètes.
- Dans la prière sur le Prophète, médiatisée par l’Invocation et l’Eloge, le plus
important n’est pas le message en lui-même, mais l’effet produit sur le récitant (dimensions
conative et pathémique), ainsi que sur l’ensemble de la communauté réunie dans la louange du
Prophète et l’adoration du Dieu unique. La prière devient ainsi un vecteur puissant de lien
ontologique, de paix et d’harmonie au sein de la communauté des croyants et au bénéfice de
celle-ci.
Bibliographie
Benveniste, E. (1970), « L’appareil formel de l’énonciation » in Langages, 1970/17, p. 12-18.
Chadli, M. (2000), Le conte merveilleux marocain. Sémiotique du texte ethnographique. Rabat,
Publications FLSH de Rabat.
Charaudeau, P. (1993), « Le contrat de communication dans la situation classe » in Inter-
Actions, J.F. Halté, Université de Metz, 1993, publié sur le site de Patrick Charaudeau - Livres,
articles, publications. Url: http://www.patrick-charaudeau.com/Le-contrat-de-communication-
dans.html [consulté le 22 février 2022].
Dalâil el-Khayrât (traduction) – Imâm Jazulî – Le Porteur...
Url : https://leporteurdesavoir.fr/dalail-el-khayrat-imam-jazuli [Consulté le 02/02/2022].
Kansoussi, J. (1994), « Al Jazûlî, auteur des Dalâ'il al-Khayrât » in Horizons Maghrébins - Le
droit à la mémoire, N°23-24, 1994. Marrakech – Seuil/Lectures, p. 56-61.
doi : https://doi.org/10.3406/horma.1994.1501 [Consulté le 12/02/2022].
Karel, A. (1912), L’Humain, cet inconnu. Paris, Librairie Plon.
Url :https://www.dicocitations.com/auteur/850/Alexis_Carrel.php [Consulté le 12/02/2022].
Zilberberg, C. (2006), Eléments de grammaire tensive. Limoges, Presses Universitaires de
Limoges.
18