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Denis Gril
La vision en rêve (ruʾyā) tient une place importante dans la vie et l’enseigne-
ment du Prophète, comme en témoignent le Coran et la Sunna. Selon son
épouse ʿĀʾisha, la vision « sainte » (ṣāliḥa) fut pour lui la première manifesta-
tion de la prophétie1. Cette vision perpétue d’une certaine manière la prophé-
tie2 et même y participe : « La vision du croyant est l’une des quarante-six parts
de la prophétie »3. Ceci concerne la vision en général, laquelle participe de la
prophétie dans la mesure où elle donne accès à un monde qui dépasse celui
des sens ordinaires. Mais quand son objet est le Prophète lui-même, la vision
actualise de plus, pour celui qui en est gratifié, la présence du Prophète. De
très nombreux récits, depuis le tout début de l’islam jusqu’à nos jours illustrent
les multiples manières dont se manifeste cette présence et dont elle inter-
vient dans la vie des croyants, dans tous les domaines de l’activité humaine. Le
Prophète apparaît ainsi en rêve à tous, les plus grands et les plus humbles. Cette
vision est perçue généralement comme un gage de félicité, à moins qu’elle ne
comporte un avertissement. Le Prophète a lui-même préparé sa communauté
à recevoir une telle vision, en garantissant son authenticité et en la déclarant
préservée de la ruse de Satan. Elle bénéficie donc, à son niveau, d’un statut
d’infaillibilité analogue à celui du Prophète. Même si elle a déjà fait l’objet d’un
certain nombre d’études, la vision du Prophète en rêve à travers les siècles et
dans l’ensemble du monde musulman reste un vaste domaine de recherche4.
A travers elle, la présence du Prophète se diffuse dans l’intime des consciences
ou plus largement, quand les récits de vision connaissent une certaine publi-
cité. Ces récits contribuent à encourager les pratiques dévotionnelles liées à
la personne du Prophète, en particulier la prière sur lui, car celle-ci pratiquée
avec assiduité et amour peut conduire à sa vision en rêve5.
Même si la vision du Prophète en rêve est un phénomène qui touche l’en-
semble de la communauté musulmane, c’est avant tout dans les milieux où la
piété est la plus intense qu’elle se manifeste, plus particulièrement dans les
cercles du soufisme. Comme l’ont montré une série d’études sur le soufisme
médiéval et moderne, la sainteté à laquelle aspirent les cheminants vers Dieu
se traduit par une double proximité, celle de Dieu et celle du Prophète dont
l’héritage caractérise les saints et la mission qu’ils ont à mener auprès des
hommes. C’est dans un tel contexte, où la réalité supra-temporelle du Prophète
inspire et guide les saints et les maîtres spirituels, que la vision du Prophète
franchit pour certains le monde imaginal du rêve pour revenir vers le monde
sensible et gagner ainsi en intensité. Le Prophète l’avait annoncé : « Celui qui
m’a vu en rêve, me verra à l’état de veille ». On reviendra sur ce ḥadīth et les
commentaires qu’il a suscités. En dépit de cette annonce, et à notre connais-
sance, la vision du Prophète à l’état de veille ne semble pas ou peu attestée
avant les VIe-VIIe/XIIe-XIIIe siècles dans la littérature doctrinale du soufisme
ou dans les récits hagiographiques. C’est plus tard, aux IXe-Xe/XVe-XVIe siècles,
qu’un certain nombre de maîtres et de saints seront plus couramment recon-
nus comme gratifiés d’une telle vision6. Une relecture à cette époque de la
littérature hagiographique antérieure y retrouve plusieurs témoignages de la
vision du Prophète à l’état de veille, même si ces textes ne qualifient pas ainsi
la relation de ces maîtres avec le Prophète. À partir de ce temps charnière,
entre l’époque médiévale et moderne, la vision du Prophète à l’état de veille
semble constituer pour certains l’indice d’un haut degré de sainteté. Pour
certains maîtres, comme pour d’autres auparavant, le lien direct et privilégié
qu’elle induit les rend indépendants à l’égard des voies initiatiques auxquelles
ils étaient rattachés. On a souvent mis ce fait en relation avec la ṭarīqa muḥam-
madiyya aux XVIIIe et XIXe siècles, jusqu’au début du XIXe siècle. Les cas de
Tījānī (m. 1815) et d’Aḥmad Ibn Idrīs (m. 1837) sont bien connus, mais il s’agit
en réalité d’un phénomène plus diffus qui n’est pas nécessairement lié à la fon-
dation de nouvelles voies. Il semblerait que par la suite la vision du Prophète
à l’état de veille soit moins attestée. Toutefois l’intérêt pour cette marque
5 On se référera dans ce volume aux articles de N. Amri sur les assemblées de prières sur le
Prophète et d’A. Hamidoune sur la prière sur le Prophète.
6 E. Geoffroy a signalé l’intensité des débats autour de cette question à cette époque, cf. Le
soufisme en Égypte et en Syrie, 435-36.
7 Sans le préciser à chaque fois, nous devons reconnaître notre dette envers deux auteurs : Nab-
hānī dans son chapitre de Saʿādat al-dārayn sur la vision du Prophète à l’état de veille et en
rêve et Fritz Meier dans ses Nachgelassene Schriften, Band 1 Bemerkungen zur Mohammedve-
rehrung, Teil 2 Die taṣliya in sufischen Zusammenhängen. Sans eux, de nombreuses références
nous auraient échappé.
8 Bukhārī, Ṣaḥīḥ, taʿbīr, 10 ; Ibn Ḥanbal, Musnad, 1:400 : fa-inna l-shayṭān lā yatamaththalu
ʿalā ṣūratī ; Haythamī, Majmaʿ al-zawāʾid, 7:182 (d’après Abū Bakra).
9 Muslim, Ṣaḥīḥ, ruʾyā, 11 ; Abū Dāwūd, Sunan, adab, 88 ; Ibn Ḥanbal, Musnad, 5:306.
10 Muslim, Ṣaḥīḥ, ruʾyā, 11 ; Tirmidhī, Jāmiʿ, ruʾyā, 4 ; Tirmidhī, Shamāʾil, 194, n° 389 et n° 390 :
lā yataṣawwaru aw lā yatashbbahu bī, n° 394 : lā yatakhayyalu bī ; Dārimī, Sunan, ruʾyā, 14 :
lā yatamthathalu mithlī.
11 Bukhārī, Ṣaḥīḥ, taʿbīr, 10.
12 Haythamī, Majmaʿ al-zawāʾid, 7:181.
13 Bayn al-rajulayn : de taille moyenne ou entre Abū Bakr et ʿUmar.
14 Ibn Ḥanbal, Musnad, 1:361-62.
C’est en Égypte, entre la fin du XVe et le XVIe siècle, entre la fin de l’époque
mamelouke et le début de l’époque ottomane, que la mise en valeur de la vision
du Prophète à l’état de veille s’impose avec évidence. Elle donne lieu à des
ouvrages ou à des développements spécifiques qui s’appuient sur des témoi-
gnages antérieurs et, de plus en plus, contemporains. Nous suivrons donc, pro-
gressivement, l’évolution de cette littérature qui emprunte aux prédécesseurs
mais non sans apporter, avec chaque auteur, sa propre touche.
19 Sakhāwī, Ḍawʾ al-lāmīʾ, 2:266-7 ; GAL 2:122, Suppl. 1:152 ; Kaḥḥāla, Muʿjam al-muʾallifīn,
5:286.
20 Sur celui-ci mort peu après 910/1505, voir Shaʿrānī, Ṭabaqāt, 2:104-7.
21 Ibn Mughayzil, al-Kawākib al-zāhira, 26.
au second titre que l’auteur donne à son ouvrage : al-Fatḥ al-mubīn fī maqāmāt
al-ṣiddīqīn (L’illumination manifeste dans les stations des très-véridiques)22,
c’est avant tout d’un traité sur la sainteté qu’il s’agit. L’auteur prend pour point
de départ l’antériorité de la réalité prophétique et du monde des esprits. Il
puise largement dans la littérature hagiographique, égyptienne en particulier
(la Risāla de Ṣafī al-Dīn Ibn Abī l-Manṣūr, le Waḥīd de ʿAbd al-Ghaffār al-Qūṣī
et le Minan d’Ibn ʿAṭāʾ Allāh). Il s’intéresse à la relation entre le monde des
corps et celui des esprits et aux miracles des saints sur lesquels il s’étend abon-
damment. Il s’arrête un moment sur la Shādhiliyya, manifeste une certaine
connaissance de l’œuvre d’Ibn al-ʿArabī et de son école et commente la poésie
d’Ibn al-Fāriḍ. La dernière partie des Kawākib al-zāhira revient à la vision du
Prophète à l’état de veille ; plusieurs exemples sont tirés de la littérature déjà
citée, même si la vision à l’état de veille n’y est pas mentionnée comme telle.
D’autres exemples ne se trouvent que chez Ibn Mughayzil :
On vient ainsi dire au faqīh Ibrāhīm al-Bajalī qu’un certain Ibn al-Muʾ-
min raconte de nombreuses visions du Prophète et d’autres à l’état de
veille. – Ne le démentez pas, répond le faqīh, car je me tenais auprès de la
tombe du Prophète dans l’espoir qu’une affaire soit réglée. Je vis alors Ibn
al-Muʾmin arriver par les airs. La Coupole s’ouvrit pour lui, il entra auprès
du Prophète – sur lui la grâce et le salut –. Il resta un certain temps avec
lui puis ressortit. Il me dit : – Ô faqīh, l’Envoyé de Dieu te fait dire que ton
affaire est réglée23.
pied, mais le front sur le seuil des Banū l-Wafā car la plupart d’entre eux
sont sur mes pas25.
Ce propos illustre non seulement le caractère électif de cette vision, mais aussi
ce qu’elle révèle, chez ceux qui en sont gratifiés, de la présence lumineuse du
Prophète. Qu’Ibn Mughayzil s’inspire de certains de ses contemporains ou qu’il
les ait inspirés, il révèle en cette fin du IXe/XVe siècle l’importance prise, dans
l’économie de la sainteté, par la vision du Prophète à l’état de veille, au point
qu’elle constitue dans l’ouvrage d’Ibn Mughayzil le point de départ et d’arrivée
de l’hagiologie. Chez Suyūṭī également, cette perspective inspire une relecture
des sources hagiographiques précédentes.
Un bédouin vint nous trouver trois jours après que nous eûmes inhumé
l’Envoyé de Dieu. Il se jeta sur la tombe et se mit de la terre sur la tête en
disant : – Ô envoyé de Dieu, tu as dit et nous avons entendu ta parole et
l’avons retenue comme venant de Dieu et nous l’avons retenue de toi. Il t’a
été révélé : « Si, alors qu’ils se sont fait injustice à eux-mêmes, ils venaient
à toi, te demandaient pardon et que l’Envoyé demandait pardon pour
eux, ils trouveraient Dieu acceptant le repentir, très miséricordieux »
(Q 4:64). J’ai été injuste envers moi-même et je suis venu à toi pour que
tu demandes pardon pour moi. On entendit alors de la tombe : – Il t’a été
pardonné.
Ce récit exemplaire est le plus souvent cité, par divers auteurs, jusqu’à nos jours
comme un argument prouvant l’intercession du Prophète dans ce monde. Pour
Suyūṭī, il atteste, dans le contexte de ce traité, la vie du Prophète dans sa tombe
et donc la possibilité de le voir après sa mort. Pour lui, comme pour tous ceux
qui écrivent sur ce thème, la mort n’est qu’une limite relative car elle n’affecte
pas le monde intermédiaire de l’âme et celui impérissable de l’esprit. Suyūṭī
tire des différents récits qu’il rapporte la conclusion suivante :
avoir salué, il prononça cette invocation : « Ô mon Dieu, fais de nous des
guides bien guidés, ni égarés, ni égarant, sans convoitise pour ton bienfait
ni désir de ce qui est auprès de toi, car tu nous as fait la grâce de nous faire
venir à l’existence avant que nous existions. À toi la louange pour cela ;
pas de dieu si ce n’est Toi »30.
On voit bien que dans l’esprit de Suyūṭī, il ne s’agit pas de la vue ordinaire mais
plutôt d’un état dont sont gratifiés dans ce monde ceux qui vivent dans l’inti-
mité de la présence prophétique. Comme on le verra d’après Shaʿrānī, Suyūṭī
estimait faire partie de ceux-là. Il s’inscrit dans une double tradition de science
et de sainteté lesquelles témoignent à part égale de la présence visible du
Prophète pour ceux dont les cœurs sont ouverts. Dans un court traité visant
à montrer que Jésus redescendu sur terre à la fin des temps jugera selon la loi
de l’islam et qu’il pourra en avoir connaissance directement de la bouche du
Prophète, il fait le lien avec la question de la vision :
Tout un ensemble d’imams de la Loi ont établi que c’est un don miracu-
leux du saint que de voir et de rencontrer le Prophète à l’état de veille et
de recevoir de lui ce qui leur est donné de connaissances et d’inspira-
tions. Parmi les imams des shāfiʿites, en ont apporté la preuve Ghazālī,
Bārizī31, al-Tāj al-Subkī, al-ʿAfīf al-Yāfiʿī et parmi les mālikites, Qurṭubī,
Ibn Abī Jamra et Ibn al-Ḥājj dans le Madkhal. On rapporte qu’un saint
assistait à la séance d’un juriste qui citait un ḥadīth. Le saint lui dit : – Ce
ḥadīth est faux (bāṭil). – D’où tiens-tu cela ? demanda le juriste. Le saint
répondit : – Le Prophète se tient près de ta tête et dit : Je n’ai pas dit ce
ḥadīth. Le juriste eut un dévoilement et vit le Prophète32.
33 Dans la quatrième partie (maqṣad) sur les miracles (muʿjizāt) du Prophète, quatrième
section sur ses mérites et ses dons miraculeux (al-faḍāʾil wa-l-karāmāt) ; cf. 15:433-41.
34 Il revient sur le ḥadīth en question (taʿbīr, 10) dans son volumineux commentaire de
Bukhārī : Irshād al-sārī li-sharḥ Ṣaḥīḥ al-Bukhārī, composé après les Mawāhib. Il en
reprend ce passage : « On rapporte qu’un certain nombre de soufis ont vu le Prophète en
rêve puis à l’état de veille et l’ont interrogé sur des faits qu’ils appréhendaient. Le Prophète
leur a montré comment en être soulagés et il en a été comme le Prophète le leur avait dit »
(15:411).
35 Hagiographie de ʿAlī Wafā par son disciple Abū l-Laṭāʾif Aḥmad b. Fāris, composée aux
alentours de 830/1426 ; cf. McGregor, Sanctity and Mysticism, 181n21.
36 Lit. l’inclinaison de l’alif maqṣūra, rime des versets de cette sourate, vers la voyelle i, ce qui
donne l’équivalent d’un è accent grave, prononciation propre à la lecture de Warsh, pra-
tiquée surtout en Occident musulman. Le père de ʿAlī, Muḥammad Wafā, était originaire
d’Ifrīqiyya.
Les textes de ces trois auteurs ont chacun leur particularité mais ils partagent
en grande partie les mêmes références et la même orientation. Ils reviennent
sur le passé pour conforter leur conviction et conforter leur argumentation
face aux critiques et aux sceptiques39. Shaʿrānī prend en cela leur suite mais
tout en fondant dans le présent et celui de ses maîtres, dont Suyūṭī, une doc-
trine pratique de la sainteté que ses nombreux ouvrages diffusent largement.
2.4 Shaʿrānī
La fin de l’époque mamelouke en Égypte a connu une intense activité dans les
sciences religieuses et la vie spirituelle. ʿAbd al-Wahhāb al-Shaʿrānī (898-973/
1492/93-1565) en a reçu le double héritage par l’intermédiaire de ses nombreux
maîtres issus de différents milieux et l’a fait fructifier en invoquant leur auto-
rité. Dans ces deux domaines, l’arrivée des Ottomans ne constitue pas une
rupture mais elle renforce l’autorité des maîtres soufis et les affranchit d’une
certaine censure des ʿulamāʾ exotériques. Certes les auteurs précédemment
cités étaient profondément convaincus du parfait accord de la Loi, de la Voie
et de la Réalité ultime dont les saints ont le dévoilement. Shaʿrānī l’exprime
encore plus fortement et fait même de la sainteté le critère de la science véri-
table. Sous l’autorité de son maître illettré, ʿAlī al-Khawwāṣ, il affirme dans l’in-
troduction du Mīzān al-kubrā :
Les imams des écoles juridiques les ont fondées en suivant conjointe-
ment les règles de la Réalité essentielle et celles de la Loi, en étant les
savants des deux voies. … Comment auraient-ils pu s’écarter de la Loi,
alors que leurs avis sont fondés sur le Livre et la Sunna, les paroles des
J’ai vu une feuille écrite de la main du cheikh Jalāl al-Dīn al-Suyūṭī chez
l’un de ses disciples, le cheikh ʿAbd al-Qādir al-Shādhilī. C’était une lettre
adressée à une personne lui demandant son intercession auprès du
Sultan Qāytbāy. Il lui répondait : « Sache, mon frère, que jusqu’à présent,
j’ai rencontré l’Envoyé de Dieu soixante-quinze fois à l’état de veille et en
lui parlant directement. Si je ne craignais qu’un voile soit mis entre moi et
l’Envoyé de Dieu à cause de la fréquentation des hommes du pouvoir, je
serais monté à la Citadelle et j’aurais intercédé pour toi auprès du Sultan.
Je suis un homme au service du ḥadīth du Prophète – sur lui la prière et
le salut –. J’ai besoin de lui pour authentifier les ḥadīths que les tradi-
tionnistes ont déclarés faibles du point de vue de leur transmission. Or
l’utilité de ce service l’emporte sur le tien, mon frère »41.
40 Shaʿrānī, al-Mīzān al-kubrā, 35. Sur cet ouvrage, voir l’article de S. Pagani, “The Meaning of
the Ikhtilāf al-Madhāhib”.
41 Shaʿrānī, al-Mīzān al-kubrā, 35.
Celle-ci signifie l’éveil du cœur et non l’éveil des sens corporels. Celui qui
se trouve dans un état de parfaite prédisposition spirituelle et de proxi-
mité devient bien-aimé de Dieu. Quand Dieu l’aime, son sommeil, du fait
de l’intense éveil du cœur, devient comme l’état d’éveil pour autrui. Dès
lors, il voit l’Envoyé de Dieu lui apparaître avec son esprit qui a pris la
forme des corps, sans que son noble être ne se déplace et ne vienne du
monde intermédiaire (barzakh) jusque-là où se trouve celui qui en a la
vision, ceci en raison des grâces miraculeuses (karāmāt) dont il est l’objet
et qui le dispensent de prendre la peine de venir et de repartir. Ceci est
la pure vérité44.
Sache, mon frère, que l’Envoyé de Dieu est le maître véritable de toute la
communauté qui a répondu à son appel (ummat al-ijāba)46, il convient
donc que nous disions dans l’énoncé de tous les engagements mention-
nés dans ce livre : « Nous avons pris avec l’Envoyé de Dieu l’engagement
général … », c’est-à-dire pour toute la communauté muhammadienne,
car quand il adresse à ses Compagnons un ordre, une interdiction, une
incitation, une mise en garde, leur statut concerne toute sa communauté
jusqu’au Jour de la Résurrection. Il est donc le maître véritable, par l’inter-
médiaire des maîtres de la Voie ou sans intermédiaire, tels les saints qui se
réunissent avec lui à l’état de veille selon les conditions connues des ini-
tiés47. J’ai en ai connus, Dieu soit loué, plusieurs qui avaient atteint cette
station, Sayyidī ʿAlī al-Khawwāṣ (m. 939/1532), le cheikh Muḥammad
al-ʿAdl48, le cheikh Muḥammad b. ʿInān (m. 922/1516), le cheikh Jalāl
al-Dīn al-Suyūṭī et leurs pairs49.
Pour y parvenir, il conseille de suivre la voie de ses maîtres qui avaient fait
de la prière sur le Prophète, pratiquée intensément et avec amour, le meilleur
moyen d’accéder à Dieu :
Telle était la voie de notre maître et guide vers Dieu, le cheikh Nūr al-Dīn
al-Shūnī … et du cheikh, le connaissant par Dieu, Aḥmad al-Zawāwī50 …
Le cheikh Nur al-Dīn récitait chaque jour dix-mille prières et le cheikh
Aḥmad quarante-mille51. Il me dit une fois : – Notre voie consiste à pra-
tiquer abondamment la prière sur le Prophète jusqu’à ce qu’il s’assoie
avec nous à l’état de veille. Nous nous tenons en sa compagnie comme les
46 La communauté des croyants qui a répondu à l’appel du Prophète, comme dans le verset :
« Ô vous qui croyez, répondez à Dieu et à l’Envoyé quand il vous appelle à ce qui vous fait
revivre » (Q 8:24).
47 Bi-l-shurūṭ al-maʿrūfa ʿinda al-qawm. Cette expression se répète sous sa plume sans qu’il
n’en dise beaucoup plus.
48 Al-Ṭanāḥī, sur lui, voir Shaʿrānī, Ṭabaqāt, 2:114. La date de son décès n’est pas précisée.
49 Shaʿrānī, Lawāqiḥ al-anwār al-qudsiyya, 5.
50 Nūr al-Dīn al-Shūni (m. 944/1537) était originaire de Shūnā, localité proche de Tanta
et Aḥmad al-Zawāwī (m. 923/1517) de Damanhūr. Sur l’institution par Shūnī du maḥyā,
séance de prière sur le Prophète et sa diffusion à l’époque ottomane, voir l’article
de J. Allen : „Up All Night Out of Love for the Prophet“. Sur les majālis de prière sur le
Prophète au Maghreb et notamment en Ifrīqiya, voir l’article de N. Amri dans ce volume.
51 Respectivement 30000 et 50000 dans Shaʿrānī, Lawāqiḥ al-anwār al-qudsiyya, 16.
Dans les Anwār al-qudsiyya fī maʿrifat qawāʿid al-ṣūfiyya (Les lumières saintes
sur la connaissance des règles des soufis), Shaʿrānī mentionne tout d’abord les
voies par lesquelles il a été initié au soufisme et à la pratique du dhikr (talqīn)
et à la formation des disciples (tarbiya). La troisième passe par ʿAlī al-Khawwāṣ
qui l’a reçue d’Ibrāhīm al-Matbūlī qui l’a reçue lui-même directement du
Prophète, à l’état de veille et de vive voix. Peu avant sa mort, ʿAlī al-Khawwāṣ l’a
reçue directement du Prophète, comme son maître. Shaʿrānī considère donc
que dans cette transmission, il n’y a qu’un intermédiaire entre le Prophète et
lui. Un autre de ses maîtres, Aḥmad al-Shinnāwi (m. 932/1525) l’informe de son
côté sur une voie spécifique, entièrement fondée sur la prière sur le Prophète :
Shaʿrānī constate que cette voie est aussi celle des maîtres égyptiens qu’il a
connus : Shūnī, Zawāwī, Suyūṭī et d’autres54. Par ces propos, Shaʿrānī semble
ouvrir une voie nouvelle, rompant avec les exigences rigoureuses du taṣawwuf,
dans un dévouement total à la personne du Prophète. Il rappelle toutefois,
pour prévenir toute prétention, que seul un petit nombre de maîtres ont réa-
lisé une telle intimité avec le Prophète. Ibrāhīm al-Matbūlī affirmait que seuls
cinq n’avaient eu d’autre maître que l’Envoyé de Dieu : lui-même, Abū Madyan,
ʿAbd al-Raḥīm al-Qināwī (= al-Qināʾī), Abū l-Suʿūd Ibn Abī l-ʿAshāʾir et Abū
l-Ḥasan al-Shādhilī55. Or, à l’exception de Matbūlī, les quatre autres sont du
VIe/XIIe et VIIe/XIIIe siècles ! En réalité, pour Shaʿrānī, il ne s’agit nullement
d’une voie nouvelle. Il cite conjointement Abū l-ʿAbbās al-Mursī qui affirmait :
« La station spirituelle d’un pauvre en Dieu ne sera accomplie que lorsqu’il se
réunira avec l’Envoyé de Dieu et le consultera comme le disciple fait avec son
maître » et le disciple de Mursī, Yāqūt al-ʿArshī qui disait :
D’un côté, en tant que maître spirituel, Shāʿrānī se doit de rappeler que la vision
du Prophète est « une station rare que tout un chacun ne peut atteindre »57 ;
de l’autre, il transmet et diffuse ce qu’il a reçu de ses maîtres : on n’entre pas
dans la présence de Dieu sans passer par celle de son Prophète. Il ne dit rien de
nouveau, mais ses écrits clairs et accessibles n’ont cessé de conforter maîtres et
disciples dans cette conviction et de servir de référence pour les siècles à venir.
possible ? »58. Dans sa réponse, Haytamī puise aux mêmes sources que les
auteurs précédents et sans doute s’en inspire. Il cite, comme eux, diverses
anecdotes tirées de la littérature hagiographique, dont une concernant ʿAbd
al-Qādir al-Jīlānī, d’après les Ṭabaqāt al-awliyāʾ d’Ibn Mulaqqin59 :
C’est le contexte bien sûr qui fait de cette histoire un argument en faveur de
la vision à l’état de veille. Haytamī revient à la fin de sa seconde fatwa sur les
modalités de la vision, privilégiant la vision de l’image (mithāl) du Prophète,
sans exclure non plus celle de sa personne elle-même (dhāt). Sans apporter du
nouveau à la question, ces fatwas montrent combien elle occupait les esprits
au Xe/XVIe siècle. Tout en reprenant en partie les mêmes références, Haytamī
apporte cependant une note plus personnelle dans son commentaire du vers
153 de la Hamziyya de Būṣīrī : « Plût à Dieu qu’il m’accorde le privilège d’une
vision / De quiconque l’a vu le malheur est écarté »61. Il relève tout d’abord
le désir de voir le Prophète exprimé par la particule layta (plût à Dieu que)
où que cette vision ait lieu. Il est évident pour lui que Būṣīrī entendait par la
vision, celle à l’état de veille, lui qui était disciple d’Abū l-ʿAbbās al-Mursī dont
il cite le propos bien connu, sous cette forme : « Si j’étais séparé du Prophète
par un voile, ne serait-ce que le temps d’un clin d’œil, je ne me considérerais
pas comme musulman ». Il évoque aussi l’exemple de son propre maître :
58 Ibn Ḥajar al-Haytamī, al-Fatāwā ḥadīthiyya, 297 et 298-300. Sur cet ouvrage, voir l’article
d’Éric Geoffroy : “Le soufisme au verdict de la fatwa”.
59 Nous ne l’avons pas retrouvée dans l’édition de Nur al-Dīn Shurayba, Le Caire.
60 Ibn Ḥajar al-Haytamī, al-Fatāwā ḥadīthiyya, 299.
61 Laytahu khaṣṣanī bi-ruʾyatin / zāla ʿan kulli man raʾāhu l-shaqāʾu.
Mon maître et celui de mon père, Shams al-Dīn Muḥammad Ibn Abī
l-Ḥamāʾil62 voyait souvent le Prophète à l’état de veille, au point que,
lorsqu’on l’interrogeait sur une question, il répondait : – Attendez que je
l’expose au Prophète. Il entrait la tête dans l’échancrure de sa tunique et
répondait : – Le Prophète dit à ce sujet telle et telle chose. Et il en était
toujours comme cela lui avait été dit. Garde-toi de nier cela, car c’est un
poison mortel63.
2.6 Munāwī
ʿAbd al-Raʾūf b. Tāj al-Dīn al-Munāwī (952-1031/1545-1622), même s’il a eu de
nombreux maîtres dans les diverses sciences et dans le soufisme, peut être
considéré comme un continuateur de Shaʿrānī, en tant qu’hagiographe en
particulier. Cependant la question de la vision à l’état de veille ne semble pas
occuper une place considérable dans son œuvre. Il l’aborde dans son traité sur
l’interprétation des rêves. Comme ses prédécesseurs, il l’admet mais en sou-
ligne la rareté. Elle est pour lui réservée aux prophètes et aux saints64. Dans sa
somme hagiographique, il consacre une notice à un personnage connu pour
voir le Prophète à l’état de veille, Ghunaym al-Muṭawwiʿī (m. vers 950/1543),
connu pour cette vision, sa relation particulière avec le Prophète et d’autres
miracles65. Dans un autre recueil, il mentionne le cheikh Khalīfa b. ʿAbd Allāh
qui voyait le Prophète à l’état de veille et en rêve. Une nuit, il le vit dix-sept fois.
Le prophète lui dit :
Khalīfa, ne te lasse pas de moi (lā taḍjar minnī) ; beaucoup de saints sont
morts, tant ils espéraient me voir (bi-ḥasratī). Quand la mort se présenta
à lui, il prononça la profession de foi, son visage s’illumina et il dit : Voici
Muḥammad et ses Compagnons qui m’annoncent l’agrément de Dieu66.
62 Connu aussi sous le nom de Muḥammad al-Sarawī, m. au Caire en 932/1526 ; sur lui voir
Shaʿrānī, Ṭabaqāt, 2:115 ; Munāwī, al-Kawākib durriyya, 3:443-46, n° 81.
63 Ibn Ḥajar al-Haytamī, al-Minaḥ al-makkiyya, 339-43.
64 Voir l’étude de son œuvre par Tayeb Chouiref, Soufisme et ḥadīth dans l’Égypte ottomane,
369-71. Son traité d’onirocritique, al-Fuyūḍ al-ilāhiyya bi-sharḥ al-Alfiyya est, comme son
nom l’indique, un commentaire de la alfiyya d’Ibn al-Wardī (m. 749/1349) sur l’interpréta-
tion des rêves.
65 Munāwī, al-Kawākib al-durriyya, 3:430-31 ; voir également Nabhānī, Jāmiʿ karāmāt
al-awliyāʾ, 2:231 et 433. Ce cheikh vivait près de Bilbeis, à l’est du Delta.
66 Munāwī, al-Kawākib al-durriyya, 4:278. Le tome IV est en réalité un autre livre de Munāwī :
Irghām awliyāʾ al-Shayṭān bi-dhikr manāqib awliyāʾ al-Raḥmān. Il semble que ce cheikh
soit le même que Khalīfa b. Mūsā al-ʿIraqī : Munāwī, al-Kawākib al-durriyya, 4:280 ; cf.
Nabhānī, Jāmiʿ karāmāt al-awliyāʾ, 2:4 et que Khalīfa b. Mūsā al-Nahrmalikī auquel est
attribué la même vision répétée du Prophète cf. Nabhānī, Jāmiʿ karāmāt al-awliyāʾ, 2:61.
3.1 Ghazālī
Tous les auteurs que nous avons vus citent ce texte de Ghazālī, tiré de
l’apologie du soufisme dans le Munqidh min al-ḍalāl ou y font allusion. Il a
67 Sur lui, voir l’introduction de son ouvrage : ʿUyūn al-nāẓirīn fī sharḥ Manāzil al-ṣāʾirīn
par Muḥammad Amīn al-Ghuwaylī. Celui-ci rapporte p. 60 le récit de la vision d’après
Ibn ʿAskar, Dawḥat al-nāshir, 16-17, n° 5. Voir aussi pp. 68-70 sur la question de la vie du
Prophète.
En effet par le rêve ce qui est caché se dévoile. Si cela est possible durant le
sommeil, cela n’est pas impossible à l’état de veille car la différence entre
le sommeil et l’éveil ne réside que dans le repos des sens et le fait qu’ils ne
sont pas sollicités par les choses sensibles. Combien d’hommes réveillés
sont plongés dans la distraction, sans entendre ni voir, ne pensant qu’à
eux-mêmes69.
soit la forme sous laquelle il l’a vu »72. La différence entre la vision oculaire et la
vision en rêve réside surtout dans le fait que cette dernière doit être interprétée
puisqu’elle procède du monde imaginal (khayāl) où les idées apparaissent sous
des formes sensibles. Il s’en explique dans les Fuṣūṣ al-ḥikam, à propos du rêve
d’Abraham qui n’aurait pas eu à sacrifier son fils s’il avait interprété son rêve. Il
rapproche ce récit prophétique de l’expérience du traditionniste andalou Baqī
b. Makhlad (201-76/817-89). Ayant vu en rêve le Prophète lui faire boire du lait,
il se fit vomir à son réveil, pour vérifier l’authenticité de sa vision, et rendit
effectivement du lait. Ibn al-ʿArabī considère que s’il avait interprété son rêve
une grande science ne lui aurait pas ainsi échappé, à la mesure de ce qu’il avait
bu. Il passe de là à la vision du Prophète :
En effet ce n’est plus de la forme du Prophète qu’il s’agit. Sans faire allusion
explicitement à son propre cas, Ibn al-ʿArabī, évoque à plusieurs reprises ceux
qu’il appelle « les prophètes d’entre les saints » (anbiyāʾ al-awliyāʾ). Ceux-ci
reçoivent les statuts de la Loi directement de l’esprit du Prophète qui leur appa-
raît comme Gabriel interrogeant le Prophète apparaissait aux Compagnons.
Cette vision se situe dans « la présence de l’apparition imagée » (ḥaḍrat
al-tamthīl) correspondant à la vision en rêve, alors que pour ces saints, comme
pour les prophètes, il n’y a pas de différence entre le sommeil et l’éveil74. Cette
précision permet de comprendre dans une certaine mesure les diverses expli-
cations données par tous ceux qui s’attachent à définir la ou les modalités de la
vision à l’état de veille. C’est dans une telle présence que le Prophète apparaît
aux saints et les instruit de l’authenticité ou non des ḥadīths :
Il est des saints qui ont un échange de parole (ḥadīth) avec le Prophète
au cours d’un dévoilement, se tiennent en sa compagnie dans le monde
du dévoilement et de la contemplation et reçoivent de lui ses paroles. Ils
seront rassemblés avec lui comme les Compagnons dans le plus noble des
lieux et le plus sublime des états. Une telle vision doit avoir lieu en état
d’éveil. Ce saint reçoit alors directement du Prophète qui lui confirme
l’authenticité de certains ḥadīths dont la transmission a été critiquée75.
J’ai vu tous les envoyés et les prophètes de mes propres yeux (mushāha-
dat ʿayn). Parmi eux, j’ai parlé à Hūd, le frère de ʿĀd. J’ai vu tous les
croyants de même, ceux qui ont été et ceux qui seront jusqu’au Jour de la
Résurrection. Dieu me les a montrés sur une même terre, à deux temps
différents. Outre Muḥammad – sur lui la prière et le salut – j’ai été le com-
pagnon (ṣāḥabtu) de plusieurs envoyés. Parmi eux, Abraham devant qui
j’ai récité le Coran ; Jésus, par qui je suis revenu à Dieu ; Moïse qui m’a
donné la science du dévoilement et de l’explication claire ainsi que la
science de l’alternance de la nuit et du jour … ; Hûd, je l’ai interrogé sur
une question qu’il m’a fait connaître et qui est survenue dans l’existence
telle qu’il me l’avait fait connaître, jusqu’à mon époque. Voici les envoyés
que j’ai fréquentés (ʿāshartu) : Muḥammad, Abraham, Moïse, Jésus, Hūd
et David. Les autres, je les ai vus, mais sans compagnonnage (ruʾyā lā
ṣuḥba)76.
Ce texte est à mettre en relation avec tout ce qu’Ibn al-ʿArabī a écrit sur la conti-
nuité entre la sainteté et la prophétie, l’héritage prophétique et la fonction de
Sceau de la sainteté muhammadienne qu’il revendique pour lui-même. Son
75 Ibn al-ʿArabī, al-Futūḥāt al-makkiyya, 3:50, chap. 313. Voir à ce sujet Gril, “Le ḥadīth dans
l’œuvre d’Ibn ʿArabī”, 134-35 et Addas,“‘The Radiant Way’”, 45-47.
76 Ibn al-ʿArabī, al-Futūḥāt al-makkiyya, 4:77, ed. Manṣūb 10:370, chap. 463.
Bien qu’Ibn al-ʿArabī, dans l’envoi (khuṭba) des Fuṣūṣ al-ḥikam, dise clairement
qu’il a vu le Prophète lui donner ce livre, au cours d’un rêve (mubashshira),
Muʾayyad al-Dīn al-Jandī (m. 690/1291), disciple de Qūnawī, commente ce pas-
sage en affirmant que celui qui prend le Prophète comme modèle, sous tous les
rapports, de la manière la plus parfaite et le suit en toute chose, ce qu’il verra à
l’état de veille, en rêve ou « entre les deux » sera d’une perfection à la mesure
de la conformité au modèle et à son héritage « dans toutes les vertus, les quali-
tés, les états, les comportements et les œuvres ». Un tel être peut dire en toute
légitimité, comme l’auteur des Fuṣūṣ : « J’ai vu l’Envoyé de Dieu ». Pour Jandī,
comme pour ses maîtres, ce qui compte est moins la vision elle-même que ce
qui la légitime : l’héritage prophétique dans la science et la pratique79.
77 Sur lui, voir l’article de W. Chittick, “Sadr al-Dīn Kūnawī” ; Todd, The Sufi Doctrine of Man.
78 Qūnawī, Sharḥ al-arbaʿīn ḥadīthan, 141-42.
79 Cf. Jandī, Sharḥ Fuṣūṣ al-ḥikam, 106.
4 Le témoignage de l’hagiographie
Je me rendis à Jérusalem. Dès que j’y eus posé le pied, je vis le ciel et la
terre, le Trône et le Marchepied, emplis de la présence de l’Envoyé de Dieu.
Je reviens à mon cheikh, me dis-je, car je n’ai plus besoin de Jérusalem.
Je revins donc et il me demanda : – Tu as connu l’Envoyé de Dieu ? – Oui,
répondis-je. – Maintenant ta voie est accomplie, me dit-il. Il ajouta : –
Marie-toi, mon fils, les pôles ne sont devenus pôles, les « piliers » (awtād)
ne sont devenus piliers et les saints ne sont devenus saints, que par sa
connaissance – sur lui la prière et le salut90.
88 Sur ce cheikh et son ouvrage, voir Gril, “Le soufisme en Égypte au début de l’époque
mamelouke”.
89 Cf. Ibn Abī l-Manṣūr, Risāla, 157-58, texte arabe 63.
90 Qūṣī, al-Waḥīd, f. 74a.
ne donne une information de sa part »91. Udfuwī affirme de son côté qu’« il
prétendait voir le Prophète et le rencontrer » et fait état de ses déboires avec les
fuqahāʾ qui ne pouvaient admettre sa négation du châtiment. ʿAbd al-Ghaffār
la justifie par son état spirituel. La vision et la rencontre avec le Prophète sont
ici clairement explicitées.
Ce fut une grande nuit, la Nuit du destin. J’ai vu l’Envoyé – sur lui la prière
et le salut – qui me disait : – Ô ʿAlī, purifie tes vêtements92 de toute souil-
lure, tu obtiendras le soutien de Dieu à chaque souffle93.
Abū l-Ḥasan demande alors au Prophète quels sont ses habits. Ce dernier lui
explique qu’ils représentent l’amour, la connaissance, la réalisation de l’Unité,
la foi et l’islam et lui transmet d’autres enseignements. La vision peut être légi-
timement considérée comme à l’état de veille. Elle est présentée par Ibn ʿAṭāʾ
Allāh comme le signe de l’élection de Shādhilī car il rapporte aussitôt après une
vision de Mursī qui confirme la supériorité de son maître sur les autres saints,
même Abū Madyan, puis cette réponse de Shādhilī :
91 Qūṣī, al-Waḥīd, f. 96a. Il était disciple d’Abū Yaḥyā b. Shāfiʿ, successeur d’Ibn al-Ṣabbāgh,
lui-même successeur de ʿAbd al-Raḥīm à Qéna. Sur ce M. b. Yaḥyā b. Abī Bakr al-Aswānī,
voir Udfuwī, al-Ṭāliʿ al-saʿīd, 640-42, n° 496 ; Garcin, Qūṣ, 163n4 et index ; Gril, “Une source
inédite”, 491.
92 Allusion à Q 74.4.
93 Ibn ʿAṭāʾ Allāh al-Iskandarī, Lāṭāʾif al-minan, 48.
94 Ibn ʿAṭāʾ Allāh al-Iskandarī, Lāṭāʾif al-minan, 48. Voir la version de ʿAbd al-Nūr al-ʿAmrānī
dans le Taqyīd, dans Amri, Les saints en islam, 150-51.
Une autre source de la vie de Shādhilī nous apprend, d’après son serviteur Māḍī
b. Sulṭān, qu’il pratiquait un mode d’authentification du ḥadīth concordant
avec l’enseignement d’Ibn al-ʿArabī et annonçant ce que rapportent Shaʿrānī
et d’autres :
4.4 Yāfiʿī
ʿAbd Allāh b. Asʿad al-Yāfiʿī (v. 698-768/1298-1367) « affirmait avoir vu souvent
en rêve ou à l’état de veille » le Prophète99. Son anthologie hagiographique,
le Rawḍ al-rayāḥīn fī ḥikāyāt al-ṣāliḥīn (le parterre des plantes odoriférantes
dans les histoires des saints) a été abondamment exploitée par les auteurs ulté-
rieurs. Dans l’hagiographie qu’il consacre en partie à ʿAbd al-Qādir al-Jīlānī,
il rapporte la vision d’un de ses contemporains, le cheikh Baqā. Celui-ci voit
ʿAbd al-Qādir en chaire descendre de la première marche, s’arrêter de parler
puis redescendre et remonter s’asseoir sur la seconde marche. Il voit alors la
première marche s’étendre à perte de vue ainsi que le Prophète et les quatre
Califes. Dieu se manifeste dans sa théophanie à ʿAbd al-Qādir qui manque de
tomber s’il n’était retenu par le Prophète. Après cela, il voit ʿAbd al-Qādir dimi-
nuer jusqu’à la taille d’un moineau puis croître de manière formidable. Ici s’ar-
rête la vision du cheikh Baqā qu’on interroge sur la vision du Prophète et de ses
Compagnons. Il répond : leurs esprits ont pris forme. Dieu les a assistés par une
force qui leur a permis d’apparaître, si bien que les voit celui à qui Dieu a donné
la force de les voir dans les formes de la foi et les attributs des êtres particuliers
( fī ṣuwar al-iʿtiqād wa-ṣifāt al-aʿyān), comme le prouve le récit de l’Ascension
Citons encore deux cas de vision directe, dans d’autres contextes. Aḥmad
al-Sharjī de Zabīd (802-93/1410-88) mentionne dans ses ṭabaqāt des saints
du Yémen un certain Muḥammad b. Yaʿqūb b. al-Kumayt, surnommé Abū
Ḥarba (m. 724/1324), connu pour ses nombreux miracles. Il déclarait : « Je n’ai
jamais demandé le secours de l’Envoyé sans qu’il ne me réponde et sans que
je ne le voie de mon œil charnel » (bi-ʿaynī al-shaḥmiyya)101. Ṭās̲h̲köprüzāde
(m. 968/1561) consacre dans ses ṭabaqāt des ʿulamāʾ ayant vécu dans le
Bilād al-Rūm sous la dynastie ottomane une longue notice à Shams al-Dīn
Muḥammad al-Jazarī (751-833/1350-1429). Celui-ci est surtout connu pour ses
manuels de lecture coranique et un petit recueil de prières, très populaire, le
Ḥiṣn al-ḥaṣīn. Originaire de Damas, après des déboires avec le sultan mame-
louk Barqūq, il se retire à Bursa. Après sa victoire sur les Ottomans, Tamerlan
l’amène avec lui à Samarqand où il reste jusqu’à la mort du souverain. Il passe
la fin de sa vie à Shiraz.
100 Cf. Yāfiʿī, Khulāṣat al-mafākhir, 210-11, anecdote n° 143. Dans ce recueil hagiographique,
seule la seconde partie est consacrée à Jīlānī, la première concerne en grande partie Abū
Madyan et ses contemporains. Haytamī a emprunté le récit concernant Jīlāni, cité plus
haut, à cet ouvrage, pp. 230-31, n° 174.
101 Sharjī, Ṭabaqāt al-khawāṣṣ, 120-21. Cité par Meier, Ṭaṣliya, 376.
Cette réponse inclut Jazarī parmi les savants entourés d’une auréole de sain-
teté pour leur relation privilégiée avec le Prophète, même si la vision directe du
Prophète n’est pas ici explicitée. Une telle consultation prophétique est donc
attestée chez des maîtres de diverses époques et confirme leur sainteté.
Comme le rappelle Nelly Amri, les saints de l’Ifrīqiya ont eu leur part de
cette vision. C’est le cas de ʿĀʾisha a-Mannūbiyya (m. 665/1267) qui affirme
son rang parmi les saints et l’accomplissement de sa vocation spirituelle : « Je
suis le pôle des Ashrāf ; j’ai vu le Prophète 25 fois au début, 25 fois à la fin,
25 fois dans l’état de perfection et 25 fois dans l’état de félicité ; il m’a parlé et
m’a abreuvée de sa main ; il m’a serré la main … ».
Plus tard Aḥmad al-Tibāsī (m. 928/1521) est lui gratifié d’une vision directe
du Prophète (ruʾyat al-Rasūl ʿiyānan) au cours de laquelle ce dernier l’institue
son vicaire (khalīfa) sur sa communauté103. La vision à l’état de veille est donc
liée ici soit à la transmission d’une science, soit à l’accès à une haute fonction
dans la hiérarchie de la sainteté.
6 Littérature doctrinale
Sache que le but visé par la prière sur le Prophète – sur lui la prière et
le salut – est l’impression de sa noble forme dans l’âme, de manière fer-
mement établie et continue. La pratique constante de la prière sur le
Prophète avec intention sincère, respect des règles et convenances et
méditation de sa signification de sorte que son amour s’installe avec une
pureté sincère dans l’intérieur de l’être, réunisse l’âme de l’invocateur à
celle du Prophète dans un accord et un état de proximité et de sérénité,
à la mesure de l’amour qui s’installe dans l’âme, car « l’homme est avec
celui qu’il aime »105.
L’amour oblige de se conformer au bien-aimé et cette conformité
annonce l’union … Quand l’amour du Prophète investit l’âme, sa noble
forme n’échappe pas un instant à l’œil de la vue intérieure (baṣīra).
Celle-ci est la vue véritable car la vue sensible n’a pour fonction que de
transmettre la réalité de ce qui est vu à l’oeil de la vue intérieure … Il n’y
a pas de doute que lorsque l’inspiration de la prière sur le Prophète est
épurée, ses lumières illuminent l’être intérieur et l’âme devient le miroir
de sa forme – sur lui la prière et le salut – qui devient omniprésente. …
Les hommes, dans l’impression de sa noble forme dans l’âme, ne sont
pas tous au même degré de véridicité et de présence, selon leurs inspi-
rations et leurs connaissances gustatives. Il en est pour qui la forme du
Prophète dans l’âme ne s’installe qu’après méditation et effort, en raison
de résidus individuels encore attachés à l’âme. …
Il en est pour qui cette forme se stabilise au moment où elle est invo-
quée, en particulier lorsque la pensée se concentre sur la signification
de la prière, mais qui s’absente quand la pensée faiblit … Il en est qui,
en fermant les yeux, en s’endormant et en s’abstrayant légèrement des
sens, le voient le plus souvent. Il en est qui en fermant les yeux, à l’état
de veille ou en dormant, le voient avec l’œil de la vue intérieure et en
toutes circonstances. Ce sont ceux qui sont parvenus au terme, ceux dont
« les cœurs s’apaisent par le souvenir de Dieu », si bien que leurs âmes
se sont élevées jusqu’aux paradis de la proximité. … Au-delà de cela, il y
a un degré plus haut encore, c’est de voir le Prophète avec l’œil sensible,
directement (bi-ʿayn raʾsihi ʿiyānan). Ne nie pas cela, car il se peut que
Dieu honore certains de ses serviteurs en leur permettant de contempler
la forme du Prophète. Ceci relève des dons miraculeux dont Dieu gratifie
ses saints106.
107 Voir la thèse de Hamidoune, “La pratique de la prière sur le Prophète” et son article dans
ce volume.
108 Voir l’analyse du Qāb qawsayn par Claude Addas dans La Maison muhammadienne,
chapitre 7.
109 « La distance de deux arcs ou plus près » est l’expression coranique (Q 53:9) de l’extrême
proximité de Dieu atteinte par le Prophète lors de l’Ascension. Jīlī interprète ici les deux
arcs comme l’expression du Principe et de sa manifestation. L’interprétation d’Ibn al-ʿA-
rabī se situe sur un plan purement métaphysique : le Prophète dans sa réalité principielle
représente ce qui, en Dieu, rend possible son auto-détermination par le passage de l’Unité
absolue (aḥadiyya) à l’unicité relative (wāḥidiyya), laquelle implique, virtuellement, la
multiplicité. Il nomme le Prophète dans la Ṣalāt fayḍiyya : « … La ligne de l’Unité totale
entre les deux arcs de l’Unité absolue et de l’Unicité relative et la médiation de la des-
cente du ciel de la prééternité vers la terre de la postéternité … » (khaṭṭ al-waḥda bayna
qawsay al-aḥadiyya wa-l-wāḥidiyya wa-wāsiṭat al-tanazzul min samāʾ al-azaliyya ilā arḍ
al-abadiyya) ; voir Ibn al-ʿArabī, “Prière sur le Prophète”. La question de l’attribution de la
Ṣalāt fayḍiyya à Ibn al-ʿArabī se pose car elle n’est connue que par des manuscrits relative-
ment tardifs. Toutefois ʿAbd al-Ghanī al-Nābulusī, à la fin du commentaire de cette prière,
le Wird al-wurūd, mentionne les chaînes de transmission par lesquelles elle lui est parve-
nue. Par ailleurs, les termes par lesquels le Prophète est désigné dans cette prière corres-
pondent à l’enseignement d’Ibn al-ʿArabī sur l’Insān al-kāmil et la ḥaqīqa muḥammadiyya.
110 Jīlī, Qāb qawsayn, 91-96. On peut rapprocher la représentation mentale de la tombe du
Prophète (istiḥḍār fī dhihnika qabrahu) que conseille Jīlī de son image, quelque temps
plus tard, dans les Dalāʾil al-khayrāt de Jazūlī. La prière sur le Prophète, en tant qu’actua-
lisation de sa présence, tient lieu dans cet ouvrage de ziyāra.
111 Jīlī, Qāb qawsayn, 99.
112 Jīlī, Qāb qawsayn, 101.
7 Récits de vision
113 Jīlī précise ailleurs la différence entre la vision du Prophète en rêve et la vision à l’état de
veille. La première, relevant du monde imaginal (ʿālam al-mithāl) doit être interprétée,
tandis que la vision à l’état de rêve de veille procède d’un dévoilement permettant de per-
cevoir la ḥaqīqa muḥammadiyya ; cf. Jīlī, al-Insān al-kāmil, 2:75, chapitre 60 sur al-insān
al-kāmil.
114 Katz, Dreams, Sufism and Sainthood, 37 : « … and you have seen me truly awake ».
115 Par erreur ou intentionnellement ? Cf. Shaʿrānī, Ṭabaqāt, 2:67-70. Cf. Katz, Dreams, Sufism
and Sainthood, 123.
Prophète en rêve et à l’état de veille dans les milieux spirituels116. Il nous faut
donc maintenant nous demander si la question de la vision à l’état de veille a
occupé autant les maîtres des siècles suivants et, si oui, pour quelles raisons et
dans quels contextes ?
Les propos des maîtres ou les témoignages à propos de cette vision continuent
de s’enchaîner après que leurs prédécesseurs aient tant argumenté pour en
défendre la possibilité et la réalité. Nous en présenterons quelques attestations,
parmi beaucoup d’autres sans doute. Mais ces quelques exemples montreront
que, si l’on continue à s’interroger sur la modalité de la vision à l’état de veille,
celle-ci n’en va pas moins de soi.
8.1 ʿAyyāshī
Le cheikh marocain, Abū Sālim ʿAbd Allāh al-ʿAyyāshī (1037-90/1628-79), ori-
ginaire du Haut-Atlas et rattaché tout d’abord à la Nāṣiriyya, a consigné dans
sa Riḥla (1661-63) une riche moisson de renseignements sur les savants et les
cheikhs rencontrés au cours de son voyage. Il a fréquenté notamment à Médine
le cercle du cheikh Ṣafī al-Dīn al-Qushāshī (991-1071/1583-1661) et notamment
son disciple, Ḥasan al-ʿUjaymī (1049-1113/1639-1702) auteur d’un traité sur les
voies spirituelles (Risālat al-ṭuruq)117. Celui-ci en énumère quarante qui ne
correspondent qu’en partie aux ṭarīqas identifiées historiquement comme
telles. Beaucoup d’entre elles sont attribuées à des figures fondatrices du sou-
fisme et représentent plus un type spirituel que des voies connues, comme la
Qādiriyya, la Rifāʿiyya etc. … ʿAyyāshī raconte dans sa Riḥla que ʿUjaymī lui a
envoyé son livre avec l’autorisation de le transmettre par une lettre datée du
9 dhū l-ḥijja 1070/9 août 1660. De ce livre sur les voies, ʿAyyāshī extrait le pas-
sage sur la voie Muḥammadiyya :
116 Nelly Amri nous signale le cas, bien avant Zawawi, du saint tripolitain du VIIe/XIIIe siècle
ʿAbd al-Wahhāb al-Qaysī. Tijānī signale dans sa Riḥla (effectuée en 706-8/1306-8) une
copie du recueil des 400 visions de ce saint, cf. Tijānī, Riḥla, 259-62, et Amri, Les saints en
islam, 201 et 203-4. Mais il s’agit uniquement de visions en rêve, ce qui est un autre et vaste
sujet.
117 Cette Risāla fī ṭuruq al-ṣūfiyya, ainsi qu’un important ouvrage de ʿUjaymī, Khābāyā
al-zawāyā, édités avec une introduction par Naser Dumairieh, devraient paraître prochai-
nement chez Brill.
Cette voie réunit donc ce qu’on a déjà vu chez différents auteurs : pratique assi-
due de la prière sur le Prophète, conformité au Coran et à la Sunna, amour de
sa personne, reconnaissance exclusive à son égard, vision en rêve et à l’état de
veille. La Muḥammadiyya, telle que la décrit ʿUjaymī réunit donc tout ce que
les maîtres, précédents, à partir des XIIe-XIIIe siècles, on dit de leur relation
privilégiée avec le Prophète. Ce texte synthétise donc une certaine tradition,
celle des auteurs du soufisme, mais ne clôture pas, loin de là, celle des maîtres
de la Voie. Même si la Muḥammadiyya ne constitue pas, historiquement, une
voie particulière, elle n’en inspire pas moins des maîtres pour qui la vision du
Prophète à l’état de veille va être considérée comme moment fondateur pour
l’instauration de nouvelles voies.
8.2 Wazzānī
Un contemporain d’al-ʿAyyāshī, le Sharīf ʿAbd Allāh b. Ibrāhīm al-Wazzānī
(m. 1089/1678), d’abord rattaché à un maître de la Jazūliyya, reçoit l’illumina-
tion ( fatḥ) après un long temps de retraite, consacré à la prière sur le Prophète,
comme le rapporte le seul disciple qui durant ce temps avait accès à sa retraite,
ʿAbd al-Kabīr Aʿlawāt :
118 ʿAyyāshī, Riḥla, 294-97. Ce texte a été souvent cité, à propos de la ṭarīqa muḥammadiyya
et des débats qu’elle a suscités ; voir à ce sujet les références citées par Addas, La Maison
muhammadienne, 104-5 ; Vimercati-Sanseverino, “Penser la voie muhammadienne” ;
Chih, “Discussing the Sufism”.
119 Le Prophète ajoute cette précision quand il affirme qu’il sera le seigneur des hommes
le Jour de la Résurrection dans plusieurs versions du ḥadīth al-shafāʿa, cf. Ibn Ḥanbal,
Musnad, 1:5, 281 ; Tirmidhī, Jāmiʿ, tafsīr sourate 17, n°18 etc.
120 D’où le nom de la zāwiya de Wazzān : Dār al-ḍamāna, la maison de la garantie.
121 ʿAbd Allāh b. al-Ṭayyib al-Wazzanī (m. 1318/1955), al-Rawḍ al-munīf, 115-16. Ce récit est
transmis par le cheikh Qāsim Ibn Raḥmūn (m. 1146 H.), muqaddam de la Wazzāniyya à Fès,
d’après al-Ḥajj al-Khayyāṭ al-Raqʿī, d’après Muḥammad, le fils de ʿAbd Allāh al-Sharīf. On
retrouve cette prière sur le Prophète dans la collection de prières composée par Aḥmad
al-Dardīr. Le disciple de ce dernier, Aḥmad al-Ṣāwī, dans le commentaire de ces ṣalawāt,
n’en identifie pas l’auteur mais dit seulement : « L’un d’entre eux la reçut du Prophète à
l’état de veille », cf. Ṣāwī, al-Asrār al-rabbāniyya, 53. L’identification des auteurs des for-
mules de prière sur le Prophète et le suivi de leur circulation, reste un terrain à explorer.
fin des temps. En effet la vision (directe : ruʾyā) du Prophète perdure pour
les Gens de perfection, les Gens de véridicité et de connaissance cer-
taine (ahl al-ṣidq wa-l-īqān). J’ai rencontré l’un d’eux qui était d’entre les
savants parfaits. Il me parlait de sa vision et de sa rencontre du Prophète
à l’état de veille. Je le rencontrais à Médine dans la Mosquée du Prophète
et il m’informait de tout ce qui lui arrivait avec le Prophète. J’ajoutai plei-
nement foi à tout cela, extérieurement et intérieurement124.
Je l’ai entendu dire – Dieu soit satisfait de lui – : Toute chose a un signe
et le signe que le serviteur a de la perception de la contemplation
(mushāhada) du Prophète à l’état de veille est que sa pensée ( fikr) soit
perpétuellement occupée par ce noble Prophète de sorte qu’il est tou-
jours présent dans sa pensée. Ni les évènements ni les occupations ne
l’en détournent. Tu le vois en train de manger mais sa pensée est avec
le Prophète, il boit de même et dort de la même manière. Je demandai :
127 Ibn al-Mubārak précise ici qu’il a déjà parlé de cela à la fin du premier chapitre. Cf. Ibrīz,
1:212-16.
131 Ḥuḍaygī, Manhal al-ẓamiyya, 243. Ce texte est extrait d’une épître intitulée : Taʿrīf
ahl al-islām wa-l-īmān bi-anna Muḥammadan lā yakhlū minhu makān wa-lā zamān
(Information des gens de l’islam et de la foi comme quoi Muḥammad n’est absent d’au-
cun lieu et d’aucune époque). C. Addas en fait état dans La Maison muhammadienne,
99 et 144 et signale sa reproduction par Nabhānī dans Jawāhir al-biḥār, 2:143-59. Ce
dernier l’attribue à Nūr al-Dīn al-Ḥalabī (m. 1044/1635), l’auteur de la Sīra ḥalabiyya.
Comme le remarque C. Addas cette attribution est impossible car l’auteur, qui reste à
identifier, se présente lui-même (p. 154) comme un disciple de Nūr al-Dīn al-Shūnī (m.
944/1537) et cite Suyūṭī. Je remercie N. Amri de m’avoir rappelé ce passage de La Maison
muhammadienne et permis ainsi de retrouver la trace de ce passage. Le texte de Ḥudaygī
comporte quelques variantes par rapport à celui de Nabhānī.
132 Bennīs, Lawāmiʿ anwār, 250-54.
pas à défendre la vision à l’état de veille, comme tous les auteurs du soufisme
et conseille, pour conclure, la pratique de la prière sur le Prophète pour bénéfi-
cier d’une telle vision, en rêve tout d’abord. Sans originalité, ce texte constitue
l’un des jalons d’une tradition qui se poursuivra133.
Dans les exemples précédents, le discours des maîtres vise avant tout à rendre
compte d’une expérience, à démontrer la possibilité de la vision du Prophète
à l’état de veille et à la considérer comme le révélateur d’une haute réalisation
spirituelle. Certes, quand Ibn ʿAṭāʾ Allāh rapporte des propos de Shādhilī ou de
Mursī sur leur relation avec le Prophète, c’est avant tout comme indice de leur
sainteté, même si on peut y lire une manière de montrer l’excellence de leur
voie. Ceci reste cependant de l’ordre de l’implicite et n’a pas été repris spéciale-
ment dans ce sens. Par contre, le récit de l’illumination de Wazzānī présente cet
évènement comme fondateur et l’on sait l’extension qu’a connu la Wazzāniyya
au XVIIIe siècle et au-delà. L’illumination de Dabbāgh a-t-elle été considérée
ainsi ? Du cheikh al-Dabbāgh n’est issue qu’une voie assez discrète, mais l’un
de ses disciples, ʿAbd al-Wahhāb al-Tāzī (1099-1206 ou 1213/1687/88-1792 ou
1798)134, fut à Fès le maître d’Aḥmad Ibn Idrīs, avant le départ de ce dernier
pour l’Orient.
135 Ijtamaʿtu bi-l-nabī ijtimāʿan ṣūriyyan, c’est-à-dire sous la forme qu’il avait de son vivant.
136 An yulaqqina-nī. Le talqīn est une transmission orale. Le maître prononce une formule
que le disciple doit répéter.
137 Cité par Hajrasī, disciple d’Ibrāhīm al-Rashīd dans Qaṣr al-mashīd fī l-tawḥīd, 78-80, et
reproduit également dans Jaʿfarī, Muntaqā l-nafīs, 63-65. La présence d’al-Khaḍir aux
Ainsi mis en présence directe du Prophète, Ibn Idrīs reçoit et doit transmettre ;
il est donc investi d’une mission et reçoit pour cela l’influx divin et prophétique.
Vision et rencontre à l’état de veille sont donc ici bien liées à une fondation,
non pas d’une voie nouvelle, mais d’une nouvelle branche de la Shādhiliyya.
L’insistance sur l’élection et les privilèges spirituels et eschatologiques liés à
cette transmission, le confirme.
côtés du Prophète peut être mise en rapport avec son rôle dans la carrière spirituelle de
Dabbāgh et la transmission de sa voie.
138 Sur cette voie, voir Vimercati-Sanseverino, Fès et sainteté, 298-320 et 405-13. Sur ʿAlī
al-Jamal, voir Ḥawwāt, al-Rawḍa al-maqṣūda, 2:469-70, repris par Kattānī, Salwat al-anfās,
1:409-11, n° 371.
139 Kattānī, Salwat al-anfās, 1:410.
Mon Seigneur s’est montré généreux envers moi, à mes débuts quand
j’étais encore jeune homme. Je me trouvai alors à Fès – que Dieu la pré-
serve de tout mal –, en l’an 1182. Je ne voyais en moi-même, en quiconque,
en aucune chose, rien d’autre que Dieu. Mais en même temps que je
voyais Dieu, je voyais le Prophète – sur lui la prière et le salut – et, en
même temps que je le voyais, je voyais Dieu. J’étais par cette vision en
état d’ivresse permanente et en état de sobriété permanente. Je ressentais
une telle force à certains moments dans l’ivresse et la sobriété que ma
peau allait se déchirer et ma personne s’effacer. Mon Seigneur me donna
une force que je ne connaissais pas, dont je n’avais pas entendu parler et
dont personne ne m’avait entretenu. Il mit ma force dans ma faiblesse,
ma chaleur dans mon froid, ma fierté dans mon humilité, ma richesse
dans ma pauvreté, ma puissance dans mon impuissance, ma largeur dans
mon étroitesse, ma dilatation dans ma contraction, mon secours dans ma
défaite, ma trouvaille dans ma perte, mon supérieur dans mon inférieur,
mon union dans ma rupture, ma proximité dans mon éloignement, mon
bon état dans ma corruption, mon gain dans ma faillite, mon élévation
dans mon humiliation et ainsi de suite. C’est ainsi que je posai ferme-
ment mon pas dans la voie, si bien que je vécus dans ce temps difficile
sans compagnon de route – c’est-à-dire sans maître –, car il n’y a pas de
doute qu’en notre temps les vertus sont rares et nombreux les vices141.
10.3 Tijānī
Chronologiquement, Aḥmad al-Tjānī (1150-1230/1737-1815) précède Ibn Idrīs
et Darqāwī. De ces trois cheikhs, la voie a connu une extension considérable
au cours du XIXe siècle, mais celle de Tijānī n’a cessé de s’étendre jusqu’à nos
jours en Afrique subsaharienne tout particulièrement. De plus, dans le cas
d’Aḥmad al-Tijānī, le récit de la vision du Prophète et de la mission qui lui est
alors confiée prend plus qu’une dimension fondatrice. Il confère au fondateur
et à sa voie une place singulière, comme le relate et le souligne son proche
disciple, ʿAlī Ḥarāzim Barrāda, mort avant son maître (1214/1799). Après ses
allers et retours entre Fès, Tlemcen et l’Ouest de l’Algérie, Tijānī s’établit pour
la seconde fois dans la localité d’Abū Samghūn :
C’est l’un de ses plus grands charismes (min karāmātihi al-kubrā) que
quiconque reçoit de lui un dhikr et le pratique régulièrement jusqu’à sa
mort, tout en gardant l’amour du cheikh, la foi en lui et l’adhésion à ses
paroles, sera à l’abri du châtiment de Dieu, de la mort à l’entrée au Paradis
sans qu’il ne lui soit demandé de compte ni infligé de punition … Cela a
été annoncé au Cheikh – Dieu soit satisfait de lui – à l’état de veille, non
en rêve144.
143 Barrāda, Jawāhir al-maʿānī, 1:51. Voir aussi (Ḥājj) ʿUmar al-Fūtī, Ḥizb al-raḥīm, 1:210. Ce
dernier reprend les arguments des principaux défenseurs de la vision à l’état de veille :
Ibn Abī Jamra, Suyūṭī, Shaʿrānī, Ibn al-Mubārak dans l’Ibrīz etc. cf. Ḥizb al-raḥīm, chapitre
31 « sur le fait que les saints voient le Prophète à l’état de veille », 1:198-203.Voir aussi Ibn
al-Sāʾiḥ, Bughyat al-mustafīd, 130-32 ; voir aussi 155-61, reprise des arguments et discus-
sions sur la vision à l’état de veille. Dans son commentaire de la Hamziyya et du vers 153,
ʿAlī Ḥārāzim cite la réponse d’Aḥmad al-Tijānī qui explique que les savants exotériques
ne peuvent croire à la vision du Prophète à l’état de veille car celle-ci relève des états de
l’au-delà comme toutes les karāmāt qui sont, de ce fait, une rupture d’habitude (kharq
ʿāda) ; cf. Barrāda, al-Irshādāt al-rabbāniyya, 70.
144 Ibn al-Mushrī (m. 1224/1809), Rawḍ al-muḥibb al-fānī, 30. Sur l’indépendance à l’égard des
autres voies, voir pp. 55-56.
Tijānī a reçu de surcroît par rapport à tous les saints la fonction de Sceau, si
bien que cette vision parachève la voie Muḥammadiyya en Aḥmadiyya. Un dis-
ciple d’Ibn al-Sāʾiḥ, Muḥammad Fatḥā b. Muḥammad Gannūn (m. 1326/1908)
cite lui, d’après un de ses disciples, cette parole de Tijānī qui révèle une autre
de ses fonctions, annoncée par le Prophète : « Le seigneur de l’existence m’a
informé que je suis le Pôle caché, de lui vers moi, de sa bouche, à l’état de veille
non en rêve »145.
Ce ne sont que quelques exemples tirés de la riche littérature tijānie. Tous
concordent pour considérer la ou les visions du Prophète à l’état de veille
comme la source de toutes les marques d’élection dont Aḥmad al-Tijānī a été
l’objet. Celles-ci le désignent comme le parfait héritier du Prophète non seu-
lement dans l’ordre de la sainteté et de la maîtrise spirituelle, mais aussi dans
l’intercession eschatologique. De ce point de vue, la Tijāniyya fait coïncider la
vision de son fondateur avec l’élection de toute sa voie, dans une forme d’ex-
clusivité inédite.
11.1 Qandūsī
Originaire de Kenadsa dans l’Ouest algérien, affilié à l’origine à une branche
de la Nāṣiriyya, Muḥammad b. Abī l-Qāsim al-Qandūsī (m. 1278/1861), s’établit
à Fès comme herboriste et calligraphe. Il entretient avec le Prophète une rela-
tion quasi-fusionnelle qui se traduit par de nombreuses visions en rêve mais
aussi par quelques rencontres à l’état de veille. Qandūsī raconte :
Après avoir prié la prière de l’après-midi, j’étais assis dans mon échoppe
dans le souk des herboristes. Je fus saisi par un état sans que personne
145 Akhbaranī sayyid al-wujūd bi-annī al-quṭb al-maktūm minhu ilayya yaqaẓatan lā manā-
man : Muḥammad Gannūn (m. 1326/1908), Ḥall al-aqfāl, 312. Les mérites de la Zāwiya
ṭijāniyya à Fès font aussi partie de ces marques d’élection que le Cheikh a reçues du
Prophète « en état de veille et non en rêve », Ḥall al-aqfāl, 64.
Qandūsī dit avoir vu une autre fois le Prophète près du miḥrāb de la Qarawiyīn
et raconte comment le Prophète le visita, alors qu’il était souffrant :
Je concentrai mon énergie sur la fraicheur de mes yeux, lui qui est le
médecin suprême (al-ṭabīb al-aʿẓam). L’amertume de la douleur se fit
douce, au point que j’en perdis la perception. Là vint à moi le Maître de
l’Existence, après que je priai la prière de la nuit, allongé sur mon lit, à
moitié endormi, mais plus réveillé qu’endormi, … Je le vis devant le lit sur
lequel j’étais allongé, il était assis en face de moi. Il m’adressa la parole,
paix et bénédiction sur lui : « Dieu te guérira à l’instant de ton mal, par
Sa force et Sa puissance ». [Le Prophète] sortit de son manteau un instru-
ment … de lumière et me demanda d’ouvrir la bouche146.
146 Nous empruntons ces deux récits à la version française de l’article de Francesco Chiabotti
et Hiba Abid, paru dans le volume 1 : “The World of al-Qandūsī”, 634-35. On y trouvera
toutes les indications sur sa vie et son œuvre.
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“ Tu obtiendras ainsi le degré des Compagnons ” 183
Nous avons un plus grand désir de la rencontre que celui d’une mère pour
son enfant nourrisson. Mais, Dieu soit loué, nous avons atteint un degré
dans la rencontre des esprits qui permet de se passer de la rencontre des
corps. C’est ainsi que l’influx spirituel (madad) passe des maîtres vers les
disciples. Sans cela, personne ne pourrait former spirituellement per-
sonne … Comment cela se passe-t-il pour celui qui se trouve se présenter
lui-même à la personne de son disciple (man yajidu nafsahu tatamath-
thalu bi-dhāt murīdihi) ou à la personne de son cheikh ? Cela est dû à la
domination de l’esprit sur le corps. Ainsi en est-il de la contemplation de
Le cheikh veut faire comprendre à son disciple que leur relation se situe avant
tout dans le monde de l’esprit, qu’elle se modèle sur la relation du maître avec
l’esprit du Prophète et, que pour cette raison, elle permet à l’esprit de prendre
corps et donc de contempler ainsi le Prophète. De ce point de vue et, parce
que dans ce contexte, il s’agit d’une relation de maître à disciple, la vision du
Prophète apparaît comme un but à atteindre pour élever l’esprit du disciple, ce
que l’on peut rapprocher de la prière sur le Prophète, pratiquée dans une telle
intention.
149 Sūsī, Maʿsūl, 1:276-77. Sur le cheikh ʿAlī al-Ilghī, voir son hagiographie par M. Mukhtār
al-Sūsī, al-Tiryāq al-mudāwī et l’étude de M. Zekri : Un saint marocain du XIXe siècle.
150 Ouverture ronde dans la grille en fer forgé qui entoure la tombe du Prophète.
151 Traités réunissant les traditions sur l’aspect physique du Prophète et ses vertus.
152 ʿAbd al-Qādir al-Jazāʾirī, al-Mawāqif, 1:146, mawqif n° 83.
12 Retour à la doctrine
12.1 Ālūsī
Les affinités du mufti de Baghdad, Shihāb al-Dīn Maḥmūd al-Ālūsī (1217-70/
1802-54) avec le taṣawwuf affleurent sans cesse dans son vaste commentaire
coranique, le Rūḥ al-maʿānī. Il y traite de la question de la vision à l’état de
veille là où on ne l’attendrait pas. À propos de Coran 33, 40 : « Muḥammad
n’est le père d’aucun homme parmi vous mais l’Envoyé de Dieu et le Sceau
des prophètes », il aborde la question du statut de Jésus lors de sa redescente
à la fin des temps. En effet, s’il revenait en tant que prophète, cela semblerait
contredire la conclusion de la prophétie par Le Prophète Muḥammad. Ālūsī
répond à cela, après Ibn al-ʿArabī et Suyūṭī, que lorsque Jésus reviendra, il
jugera selon la loi du Prophète et même recevra directement ses instructions
pour cela. Il cite à l’appui une tradition transmise par Abū Yaʿlā : « Par celui qui
tient mon âme dans sa main, Jésus fils de Marie redescendra puis s’il se rend
à ma tombe et appelle : ô Muḥammad ! Je lui répondrai ». Ceci ne pose aucun
problème à Ālūsī pour qui le Prophète a été vu à l’état de veille par les parfaits
de cette communauté qui ont reçu de lui ses enseignements. Il reprend tous les
exemples cités par les auteurs des XVe-XVIe, siècles en particulier Suyūṭī dans
son Tanwīr al-ḥalak. Il remarque toutefois que les Compagnons, après la mort
du Prophète, et les premières générations n’ont pas bénéficié d’une telle vision
mais qu’on ne peut pas accuser pour autant les maîtres du soufisme de men-
songe. Il faut donc admettre la possibilité de cette vision comme un miracle.
Elle est suscitée par le désir de voir le Prophète et révèle la pureté de l’âme
de ceux qui en sont gratifiés, comme l’affirme le Qāḍī Abū Bakr Ibn al-ʿArabī
après Ghazālī153.
En somme, Ālūsī reproduit la littérature sur le sujet. Alors que dans le
domaine de la jurisprudence, on lui attribue un certain retour à l’ijtihād, il se
pose dans ce passage de son tafsīr en strict défenseur du soufisme. Sans doute
une telle attitude est-elle caractéristique de bien des ʿulamāʾ du XIXe siècle,
surtout dans sa première moitié. Il en sera autrement de son petit-fils Maḥmūd
Shukrī al-Ālūsī.
12.2 Kattānī
Si à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, en Orient, la pensée réformiste
influence fortement le milieu des ʿulamāʾ, celle-ci mettra un certain temps à
gagner le Maroc. À Fès, la grande famille idrisside des Kattānī allie depuis la
fin du XVIIIe siècle science et sainteté. Muḥammad b. ʿAbd al-Kabīr al-Kattānī
Si cette vision semble se situer dans un état qualifié par certains d’« entre le
sommeil et l’éveil », c’est surtout sa portée qui importe. La vision intervient
pour annoncer une fonction, désignée ici par le terme quelque peu adminis-
tratif de manṣib, comme pour souligner la correspondance entre la direction
extérieure et intérieure des affaires du monde, laquelle nécessite un secours
divin. Le cheikh demande aussi qui va le suivre car le maître reçoit du Prophète
lui-même l’autorité pour diriger les disciples. On voit bien, dans ce cas, com-
ment la vision est un vecteur de transmission et de désignation.
13 En guise de conclusion
159 Bentounes, al-Rawḍa al-saniyya, 165-66. Cité par M. Lings dans A Sufi Saint, 66, et Un saint
musulman, 79-80.
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188 Gril
influencés par le soufisme ont cherché à approfondir les questions qu’il pose.
En outre, tous les auteurs soulignent le caractère exceptionnel d’une telle
vision, révélatrice, comme on l’a vu, d’un haut degré de sainteté. Notre sujet
se situe donc au centre ou au sommet de la vie spirituelle dans la relation
entre sainteté et prophétie. Tous les débats ou les précisions sur la nature de la
vision, sur la réalité de ce qui est perçu de la personne du Prophète, concernent
l’épistémologie de la connaissance inspirée et du dévoilement (kashf) ou illu-
mination ( fatḥ) qui en sont la porte.
Marque d’élection et de faveur divines, d’entrée dans le monde de la sain-
teté, la vision à l’état de veille est présentée aussi comme l’aboutissement d’une
progression initiatique fondée sur la pratique de la prière sur le Prophète. On
ne peut donc la dissocier des pratiques dévotionnelles qui diffusent dans la
communauté la présence prophétique. Toutefois pour aboutir au résultat
escompté, la prière doit devenir une immersion totale dans cette présence. La
dimension d’amour évoquée par ou à propos de certains maîtres révèle, elle
aussi, une élection divine. Mais on peut aussi voir dans les modèles de sainteté
liés à la vision à l’état de veille et diffusés par la littérature hagiographique un
message en direction de la communauté, une incitation à se rapprocher de
Dieu par l’intermédiaire du Prophète, par son amour et par la prière sur lui.
En ce sens, la vision du Prophète se situe au centre de la communauté des
croyants pour ceux qui ont la conviction que le Prophète est toujours présent
d’une manière subtile et mystérieuse.
En effet, la croyance dans la possibilité de voir le Prophète comme s’il
était vivant ne va pas de soi pour beaucoup de ʿulamāʾ, comme le montre la
dimension apologétique de certains traités. Darqāwī évoque sa controverse
avec les savants de la Qarawiyīn persistant dans leur dénégation, alors que
pour lui cette vision du Prophète était de l’ordre de l’évidence expérimentale.
En vain cherche-t-il à les convaincre. Ceci doit nous rappeler que l’influence
du taṣawwuf et des ṭuruq pour exponentielle qu’elle nous apparaisse depuis
le VIIe/XIIIe siècle jusqu’à une date qui reste à déterminer, a ses limites. La
fracture entre fuqahāʾ et fuqarāʾ, pour relative qu’elle soit parfois, n’en est pas
moins réelle, bien avant la diffusion du salafisme contemporain. La critique
de la vision du Prophète a, elle aussi, son histoire mais il faudrait pour l’écrire
consulter d’autres sources que les nôtres, émanant des milieux du soufisme.
Les femmes sont quasi-absentes de ce tour d’horizon limité, alors qu’elles
sont appelées comme les hommes à parvenir au terme de la sainteté. La littéra-
ture hagiographique nous délivrera-t-elle des témoignages comparables à celui
de ʿĀʾisha al-Mannūbiyya ?
Ce parcours à travers les textes de différentes époques et la relation directe
au Prophète qu’implique sa vision à l’état de veille donne aussi à réfléchir sur
une double tendance qui traverse l’histoire du soufisme depuis l’instauration
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190 Gril
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“ Tu obtiendras ainsi le degré des Compagnons ” 191
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