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Le Coran
Nouvelles approches
CNRS ÉDITIONS
15, rue Malebranche – 75005 Paris
© CNRS ÉDITIONS, Paris, 2013
ISBN : 978-2-271-07950-3
Titre
Copyright
Abréviations
Introduction
II
III
IV
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
Le Coran silencieux et le Coran parlant : histoire et écritures
à travers l’étude de quelques textes anciens
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
PRÉALABLES MÉTHODOLOGIQUES
BIBLIOGRAPHIE
Troisième partie - L’ANALYSE LITTÉRAIRE
INTRODUCTION
VARIATION LIBRE…
… OU VARIATION CONDITIONNÉE ?
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Le contre-discours coranique
INTRODUCTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
INTRODUCTION
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE
Les auteurs
Achevé
Système de translittération (Arabica)
Mehdi Azaiez
I
En 1908, dans un article intitulé « Zur Strophik des Qurāns2 », Rudolf
Eugen Geyer, éminent spécialiste viennois de la poésie arabe3, soulignait
déjà l’impérieuse nécessité d’établir une édition critique du Coran. Il
écrivait alors : « Toute science coranique sera contrainte d’œuvrer sur un
terrain très incertain aussi longtemps qu’un des réquisits fondamentaux de
son équipement lui fera défaut : une édition européenne du Coran qui
corresponde vraiment aux exigences de la critique, de manière coopérative
et concluante, pourvue de tout l’appareil historique, philologique et
liturgique, et de celui qui est en usage en histoire des religions4 ». Pourtant,
un siècle plus tard, un constat s’impose : il n’existe toujours pas d’édition
critique du Coran qui satisfasse aux exigences d’une philologie rigoureuse.
À l’évidence, la situation contraste ô combien avec la recherche
académique autour de la Bible. En 1898, le Nouveau Testament bénéficiait
déjà d’un apparat critique avec la parution à Stuttgart, du Novum
Testamentum Graece5 d’Eberhard Nestlé (révisé par Barbara et Kurt Aland)
de la société Biblique du Wurtemberg. Cet ouvrage de référence, sans cesse
amélioré tout au long du XXe siècle, demeure encore aujourd’hui
l’instrument privilégié des exégètes6.
Loin de disposer d’un tel apparat critique, la recherche académique sur
le Coran s’appuie très largement sur la fameuse édition du Caire publiée le
10 juillet 1924 (ḏū l-h ̣iğğa 7, 13427). L’établissement de ce texte n’avait
aucunement l’ambition d’être une entreprise critique. Conduite sous la
direction de Muh ̣ammad b. ʿAlī al Ḥusaynī al-Ḥaddād, elle visait à unifier
le texte coranique en privilégiant le choix d’une lecture pour faciliter, à des
fins strictement pédagogiques, l’enseignement religieux en Égypte. Comme
on le sait, cette édition fut rigoureusement fidèle à la « lecture » (au sens de
la tradition islamique) de Ḥafs ̣ (m. en 180/796) ʿan ʻĀsim ̣ 8 (m. 127/745)
occultant ainsi toutes les autres variae lectiones ou qirā’āt9. Le travail
accompli fut salué par les meilleurs spécialistes occidentaux10 et devint
rapidement l’équivalent d’une édition « officielle » (« der amtliche
Koran11 ») largement diffusée à travers le monde musulman. Mais ce succès
qui ne s’est jamais démenti n’est pas sans conséquence. En privilégiant une
seule lecture, l’édition du Caire avalisait de facto un discours théologique
maintenant l’illusion d’un Coran unique, fixé d’un seul tenant sans rapport
avec l’histoire progressive de son élaboration12.
Pourtant, si l’édition du Caire avait une finalité sans lien avec des
préoccupations philologiques, l’ambition d’écrire une histoire du musḥ ̣af fut
planifiée dès les années 1930. Sous l’impulsion de trois célèbres
chercheurs, Gotthelf Bergsträsser, Arthur Jeffery et Otto Pretzl, il avait été
décidé d’établir un apparat critique à l’appui d’un travail méthodique qui
succédait à une recherche minutieuse des plus anciens manuscrits connus13.
Les morts successives et prématurées de Gotthelf Bergsträsser et Otto Pretzl
auront malheureusement mis fin au projet. De surcroît, la (prétendue)
destruction des archives de Munich lors des bombardements de la Seconde
Guerre mondiale contribua à retarder durablement une telle initiative. Il
s’avéra en réalité que ces archives abritant les fameux microfilms
rassemblant les photographies des manuscrits coraniques furent préservées.
En effet, ils restèrent en possession d’Anton Spitaler pendant plusieurs
décennies sans que jamais celui-ci ne reprenne le projet en main14.
II
C’est sur ce « terrain incertain », en l’absence d’une édition critique et
contre une orientation scientifique considérée comme trop inféodée aux
récits des sources arabes que parurent dès les années 1970 plusieurs
ouvrages consacrés à la genèse de l’Islam et à son livre fondateur. Il faut
citer ici les ouvrages marquants de G. Lüling (1972), J. Wansbrough (1977),
P. Crone et M. Cook (1977), Y. D. Nevo (1982), et plus récemment celui de
Christoph Luxenberg (2002). Sans sous-estimer les singularités de chacun
de ces travaux tant par les buts assignés que les méthodologies utilisées15, ils
témoignent tous d’un même scepticisme historique déjà inauguré dès la fin
du XIXe par Goldziher, Lammens ou Caetani. Là où la tradition musulmane
construisait un récit édifiant et sacré de ses origines, ces chercheurs –
s’inscrivant dans une démarche qualifiée par la suite de « révisionnistes16 »
– s’employèrent à écrire une tout autre histoire. Ainsi, ils proposèrent de
comprendre le Coran non à l’aune des données biographiques de la vie de
Muhammad ou de la littérature exégétique mais à partir de deux
orientations dominantes : l’une inspirée par la philologie et l’autre par
l’analyse littéraire. Il s’ensuivit deux hypothèses iconoclastes au regard de
la tradition musulmane, la première fut le fait de Gunther Lüling et la
seconde de John Wansbrough. La première suppose l’existence d’un proto-
Coran ou Ur-Koran17. Ainsi, le texte fondateur de l’islam avait eu une forme
primitive issue d’une hymnologie préislamique chrétienne18. La thèse
présentée par Gunter Lüling fut poursuivie à sa manière par Christoph
Luxenberg, ce dernier soulignant l’influence décisive de la liturgie
syriaque19. L’autre hypothèse, très différente de la première, considère le
Coran comme l’aboutissement d’une élaboration progressive et se
constituant comme une écriture canonique plus de deux siècles après la
mort de Muh ̣ammad20. On sait combien cette dernière approche inspira les
hypothèses audacieuses de Patricia Crone et Michael Cook21, et corrobora
selon Yehuda D. Nevo ses propres hypothèses issues de recherches
épigraphiques22.
Issus d’initiatives individuelles, ces travaux ont suscité la perplexité,
voire une vive hostilité23. Plus encore, les divergences, nombreuses et
parfois irréconciliables qui entourent la genèse et l’histoire du Coran ont
conduit nombre de spécialistes à faire état du « désarroi24 », de la « crise25 »
ou du « chaos26 » (hoffnungsloses Chaos) dans lequel se trouvaient les
études coraniques contemporaines. Or, malgré cette situation, cette dernière
décennie témoigne d’un véritable renouvellement des études coraniques qui
est sur le point de devenir un des faits majeurs de l’islamologie
contemporaine. Cette vigueur de la recherche s’illustre par un
accroissement significatif de nombre des publications27, thèses28, colloques29
et projets d’études30 consacrés au Coran. Suscité par un renouvellement des
sources et des méthodologies d’analyse, cet essor entraîne un débat de
nature herméneutique et la (re)définition de nouvelles problématiques et
perspectives de recherche.
III
Le nouvel essor des études coraniques se fonde d’abord sur
l’élargissement notable des sources, qu’elles soient manuscrites,
épigraphiques, ou, dans une moindre mesure, archéologiques.
En effet, depuis la découverte en 1973 de manuscrits du Coran
retrouvés dans les faux plafonds de la grande Mosquée de S ̣anʿā’, les
chercheurs disposent de matériaux inestimables. Si aucune édition complète
n’a encore vu le jour, quelques études suggestives mais fragmentaires31
montrent de manière indiscutable l’ancienneté de ces sources32.
Parallèlement à cette exploitation des manuscrits de S ̣anʿā’, il faut ajouter la
redécouverte des microfilms contenant les photographies de manuscrits
coraniques anciens réalisées par Bergsträsser. Selon Claude Gilliot,
« quelque 9 000 photos de manuscrits anciens du Coran et environ 11 000
photos de manuscrits d’ouvrages des cinq premiers siècles de l’Hégire sur
les disciplines coraniques avaient été rassemblées par la Commission du
Coran de l’Académie bavaroise des sciences33 ». Anciennement en
possession d’Anton Spitaler et confiés à Mme Angelika Neuwirth, ils sont
aujourd’hui exploités dans le cadre du projet Corpus coranicum dirigé par
cette dernière34. Enfin, il faut souligner la publication et l’exploitation
récente de manuscrits préservés, cette fois, dans les grandes bibliothèques
européennes à travers notamment le projet Amari35. Un des exemples les
plus révélateurs de cet emploi des manuscrits est la reconstitution par
François Déroche du codex nommé Parisino-petropolitanus36 qui réunit des
copies dispersées principalement dans deux collections publiques, celle de
Paris et celle de Saint-Pétersbourg. Datant vraisemblablement du premier
siècle de l’Islam, ce manuscrit (28 planches sont présentées) révèle l’état du
texte initial du Coran (orthographe et particularités textuelles) et les
circonstances dans lesquelles la version canonique a pris forme. Ce travail
tend à démontrer la faiblesse des positions défendant l’idée d’une
élaboration tardive du Coran. A contrario, l’auteur plaide pour une mise par
écrit très rapide du corpus après la mort de Muh ̣ammad et souligne le rôle
décisif de la transmission orale.
Ce renouvellement des sources ne se limite pas aux manuscrits
coraniques. L’utilisation d’ouvrages peu ou pas connus issus de la tradition
musulmane s’avère aussi déterminante pour retracer l’histoire du Coran. On
pense notamment aux travaux de M. A. Amir Moezzi consacrés à la
tradition chiite. Dans un ouvrage récent37, l’auteur complète notre
connaissance du contexte d’élaboration des sources scripturaires de l’islam
à l’appui d’un examen précis de trois œuvres méconnues du chiisme
ancien38. Il montre ainsi combien la mise par écrit du Coran ne s’est jamais
départie d’un contexte polémique et d’opposition guerrière. De même, la
sollicitation de sources, cette fois, externes à la tradition musulmane
conduit à nuancer, voir à remettre en cause les récits de la tradition39. Au
côté de ce travail sur les premiers manuscrits, la recherche et la prospection
archéologiques dans la péninsule arabique, quoique récentes et excluant la
région du Hedjaz et ses environs40, offrent pour l’historien des données de
premier ordre pour comprendre le contexte d’émergence de l’Islam. Les
fouilles (1970) de Qaryat al Fāw avaient déjà révélé la pénétration de
l’influence hellénique au cœur même de l’Arabie41. D’autres découvertes,
principalement issues de fouilles au Yémen ont révélé combien cette aire
géographique a connu une succession de riches civilisations depuis la plus
haute antiquité42. Mais c’est sans doute avec le foisonnement des
découvertes épigraphiques que les résultats sont les plus spectaculaires. Des
milliers d’inscriptions informent ainsi de la situation linguistique, politique,
religieuse et économique qui prévalait durant plus de deux millénaires et
demi. Parmi elles, nombre d’inscriptions permettent de dévoiler quelques
aspects originaux des premiers temps de l’islam et particulièrement ce que,
par une formule heureuse, Frédéric Imbert a nommé le « Coran des
pierres43 ». Face à ces nouvelles sources et au développement des sciences
humaines, les spécialistes recourent à des méthodes d’analyse, techniques et
notions théoriques parfois inédites. Ainsi, le renouveau des études
coraniques implique dans le même mouvement une évolution des usages et
outils méthodologiques.
Parmi les méthodes utilisées, la codicologie a une place de premier
ordre. Cette discipline, comme on le sait, a pour objet le déchiffrement et
l’expertise (datation, localisation, évolution) des manuscrits. Elle comprend
l’étude des différents types d’écriture en usage, leur genèse, leur évolution
et leur diffusion. Elle vise également l’analyse des matériaux et des
techniques de fabrication, l’étude du processus de transmission des textes et
des centres de copie ainsi que l’étude des fonds de manuscrits aujourd’hui
conservés dans les bibliothèques44. En outre, l’usage de la datation par le
Carbone 14 et la technique de la photographie aux rayons ultraviolets se
révèlent être des plus utiles. Un exemple révélateur de cette contribution de
la méthode codicologique est illustré par le récent ouvrage de David S.
Powers45. Dans ce livre dense, l’auteur s’interroge, entre autres, sur la
signification du terme mystérieux de « Kalāla » apparaissant deux fois dans
le Coran, d’abord au Coran 4, 12 et de nouveau en 4, 176. Il propose de
résoudre cette difficulté en se fondant sur l’examen d’un manuscrit du
Coran de la Bibliothèque nationale de France 328a écrit en écriture h ̣iǧāzī
(seconde moitié du Ier siècle de l’Hégire). Une analyse paléographique et
codicologique indique que le squelette consonantique Coran 4, 12 a été
révisé, de sorte que le sens du mot et du verset a subi une transformation
radicale. Cette modification s’expliquerait dans une intention de
clarification d’un verset initialement incomplet qui traite des règles
contenues dans l’héritage (v. 11-12 de sūrat al-nisā’). Ce problème a été
résolu par l’ajout de la législation complémentaire à la fin de la « ygr » – ce
qui est maintenant Coran 4, 176, le deuxième verset où le mot kalāla
apparaît46. On comprend ici combien l’analyse codicologique apporte une
contribution décisive à l’histoire de ce texte coranique.
Outre ces progrès de notre connaissance de la documentation historique,
les apports de l’analyse structurale permettent parallèlement de reconsidérer
la singularité formelle et compositionnelle du Coran47. La perspective n’est
plus diachronique mais bien synchronique. Analysant le texte tel qu’il se
présente dans son état final, de nombreux travaux ont appliqué ainsi les
méthodes sémiotique48, narrative49, sémantique50 et rhétorique51. À cet égard,
la sourate douze intitulée Joseph fit l’objet d’études particulièrement
suggestives52. L’introduction de ces méthodes d’analyse a entraîné l’usage
de notions issues de l’analyse du discours littéraire tels que,
l’intertextualité53, l’intratextualité54, ou la métatextualité55. Pour exemple,
l’analyse rhétorique initiée par Michel Cuypers illustre parfaitement une
démarche qui sensibilise le lecteur aux dimensions relationnelles du texte à
la fois dans ses dynamiques internes (intratextuelles) mais aussi externes
(intertextuelles). S’intéressant à l’ordonnancement et au plan du discours, le
chercheur a appliqué l’analyse rhétorique, méthode issue des études
bibliques, à la sourate cinq al Mā’ida56. C’est ainsi qu’il met en évidence
deux faits majeurs. Premièrement, la sourate est un discours aux allures de
testament. Ce constat s’appuie sur les nombreuses réminiscences bibliques
(l’alliance avec Dieu, l’interpénétration des genres législatifs et narratifs, les
injonctions à l’obéissance de la loi…) qui jalonnent la sourate et qui ne
laissent aucun doute quant à l’arrière-fond deutéronomique de celle-ci.
Deuxièmement, il existe des passages stratégiques disposés rhétoriquement
au centre et caractérisés par leur message universel. Cette centralité qui
contraste avec d’autres passages rhétoriquement placés en périphérie les
met « fortement en relief et leur accorde une importance particulière […] Ils
semblent avoir valeur de principes pour l’interprétation de l’ensemble des
versets plus circonstanciés qui les entourent57 ». L’auteur conclut sur la
portée éthique et universelle de ces passages (neuf versets) qui tranchent
avec le caractère limité et fréquemment polémique du reste de la sourate.
Comme l’atteste la méthode, cette approche synchronique s’appuie
exclusivement sur le texte de réception. Elle contraste à l’évidence avec
l’approche diachronique fidèle à la méthode historico-critique. Cette
différence engendre une réévaluation de la question du sens du texte
impliquant ainsi un questionnement herméneutique.
Dans une préface à l’ouvrage « The Qur’ān in Its Historical Context »,
Daniel Madigan avait distingué deux orientations de la critique coranique.
La première est une approche historico-critique considérant qu’il est
possible de retrouver le sens initial et les intentions du ou des auteurs du
Coran (mens auctoris) alors que la seconde approche défend l’idée que
l’interprétation n’est possible qu’à travers les communautés des croyants
(mens lectoris) qui, à chaque époque, réactualisent la lecture et la
signification du Coran comme texte canonique58. Ces deux positions plus ou
moins antagonistes avaient dès les années quatre-vingt fait l’objet d’un
débat entre les tenants d’une lecture du Coran attachée à la littérature
exégétique et d’autres spécialistes convaincus de la possible reconstitution
du sens initial du texte. Ce dernier point fut défendu par Watt et Bell qui en
appelait dès les années 1970 à « mettre de côté les interprétations (views)
des commentateurs musulmans tardifs dans la mesure où celles-ci
semblaient avoir été influencées par les développements théologiques bien
postérieurs à la mort du prophète, et à s’efforcer de comprendre chaque
passage dans le sens qu’il avait pour ses premiers auditeurs59 ». Dans une
même perspective plus récente et à l’appui d’une tentative de
contextualisation, Jacqueline Chabbi a proposé de comprendre le Coran
« dans son contexte premier de réception, celui du monde tribal qui
l’environne et auquel il s’adresse60 ». D’autres études, plus récentes encore,
insistent sur l’importance de lire le texte coranique à l’aune, cette fois, d’un
contexte élargi, celui de l’antiquité tardive. Ce sont notamment les
interactions entre la littérature (para)biblique et le Coran qui sont de
nouveau réinterrogées. Cette perspective de recherche est défendue
aujourd’hui par Angelika Neuwirth dans trois ouvrages récents61 et par
Gabriel Said Reynolds dans un ouvrage au titre suggestif62. Bien que ces
deux auteurs divergent fondamentalement sur la place à accorder aux
reconstructions chronologiques et à la Sīra pour interpréter le Coran, tous
deux militent pour sortir d’une lecture exclusivement attachée à la tradition
exégétique musulmane.
IV
L’ouvrage est divisé en trois parties, chacune renvoyant à l’une des trois
thématiques explicitées plus haut. La première partie propose de revenir sur
une histoire du texte coranique. Ainsi, François Déroche analyse d’abord
quelques fragments de copies attribuables au règne des premiers
Omeyyades. Ce travail permet de déceler certaines évolutions du musḥ ̣af
quant à l’introduction de normes d’écriture et de règles orthographiques.
Mohammad Ali Amir-Moezzi étudie ensuite, à partir de quatre sources
chiites largement méconnues, l’articulation entre les luttes politiques,
l’élaboration de la tradition islamique et la genèse de l’herméneutique dans
le chiisme des trois premiers siècles de l’Hégire. Dans un troisième texte,
Frédéric Imbert expose et analyse des graffitis arabes inédits faisant
mention, entre autres, de versets coraniques. Son analyse permet de rendre
compte de citations coraniques antérieures à la vulgate, à des amalgames ou
« raboutages » coraniques, mais aussi à des variantes textuelles qui ne
trouvent pas uniquement leur source dans la méconnaissance qu’avaient les
hommes du premier islam de leur texte sacré.
La deuxième partie de l’ouvrage interroge le contexte historique
d’émergence du Coran. Angelika Neuwirth invite ainsi à réinscrire le texte
coranique dans le contexte large de l’antiquité tardive. Pour illustrer son
propos, elle analyse la sourate al-Iḫlās en y décelant le travail de réécriture
qui puise dans les traditions juives et chrétiennes. Claude Gilliot insiste sur
l’environnement syncrétique qui a vu naître le Coran. Il souligne la
continuité entre les thèmes chrétiens du texte coranique et certaines des plus
anciennes exégèses musulmanes. Puis Jacqueline Chabbi propose
d’expliquer comment l’approche anthropologique permet de saisir les
circonstances vraisemblables d’émergence du Coran en distinguant d’une
part un paléo-coran marqué par un biblisme de « prédation » et, d’autre
part, un « coranisme » des convertis nourris d’influences exogènes. Enfin,
Geneviève Gobillot reconsidère la question de l’abrogation à l’appui d’une
réflexion intertextuelle. C’est ainsi qu’elle resitue la démarche théologique
du Coran à l’égard de la Bible au cœur d’une problématique spécifique de
l’Antiquité tardive : la conciliation des deux Testaments et des deux Lois :
celle de Moïse et celle de Jésus.
La troisième partie est consacrée aux études d’ordre littéraire et formel.
Pierre Larcher commence par comparer les deux versions imprimées les
plus courantes du Coran, celle du Caire (Ḥafs ̣ ’an ’Āsim) ̣ et celle du
Maghreb (Warš ʿan Nāfi‘). À partir de ce travail comparatif, il décèle des
variantes qui suggèrent un rapport de l’oral et de l’écrit complexe, avec
parfois l’évidente transcription de la forme orale à l’écrit (forme
synthétique) mais aussi et à l’inverse où l’écrit s’impose sur l’oral (forme
analytique). Si la forme synthétique suggère une simple transcription de la
forme orale (et donc une priorité de l’oral sur l’écrit), la forme analytique
suggère à l’inverse la priorité de l’écrit sur l’oral. Puis, Mehdi Azaiez
propose une introduction à l’une des caractéristiques les plus fondamentales
de la polémique coranique, le contre-discours entendu comme la citation
dans le Coran lui-même des propos de ses adversaires – réels ou fictifs.
L’exposé propose d’en définir un corpus et d’en déterminer l’originalité.
Anne-Sylvie Boisliveau présente ensuite une définition et une analyse de la
nature métatextuelle du texte coranique. Elle met ainsi en avant les
spécificités du discours du Coran sur le Coran, montrant sa complexité et
son importance. Enfin, l‘article de Michel Cuypers est une réflexion sur
l’abrogation qui vient compléter la contribution de Geneviève Gobillot. À
l’appui d’une analyse rhétorique de la séquence coranique 2, 87-121, il
conclut que le thème de l’abrogation fut mal interprété par l’exégèse
classique. Son analyse suggère plutôt qu’il s’agit en réalité d’abolir
d’anciennes dispositions issues de la tradition juive et non celles du Coran.
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1. Je remercie les professeurs et chercheurs Jacqueline Chabbi , Claude Gilliot , Sabrina Mervin , Asma Hilali , et Gabriel Said Reynolds qui ont bien voulu relire cette
introduction et me faire part de leurs remarques et de leurs suggestions. Il va s’en dire que les éventuelles erreurs n’engagent que ma responsabilité.
3. Rudolf Eugen Geyer (1861-1929) fut professeur de langues sémitiques à l’Université de Vienne. Il poursuivit le travail de son prédécesseur David Heinrich Müller (1846-
1912) sur les structures strophiques dans le Coran (Die Propheten in ihrer ursprünglichen Form, die Grundgesetze der ursemitischen Poesie erschlossen und nachgewiesen in Bibel,
Keilinschriften und Koran und in ihren Wirkungen erkannt in den Chören der griechischen Tragödie, Vienne, Alfred Hölder, 1896, p. 20-60). Il est surtout l’auteur d’ouvrages majeurs
sur la poésie arabe.
4. C’est ainsi que Claude Gilliot a traduit le texte suivant : « [daß] die gesamte Qurânwissenschaft auf einem sehr unsicheren Boden zu operieren gezwungen ist, so lange ein
Haupterfordernis ihres Apparates fehlt : eine wirklich wissenschaftliche allen Anforderungen der Kritik entsprechende, mit allem historischen, philologischen,
religionswissenschaftlichen und liturgischen Rüstzeug, vergleichend und diskursiv augestattete europäische Qurânausgabe. Ohne dies müssen alle Einzelforschungen im Qurân
vorläufig unzusammenhängendes Stückwerk bleiben” Cf. Gilliot C., “Une reconstruction critique du Coran ou comment en finir avec les merveilles de la lampe d’Aladin » dans Kropp
M. ed., Results of contemporary research on the Qur’ān, The Question of a Historio-Critical Text of the Qur’ān, p. 35 (n° 7). Cf. également la traduction anglaise de cette citation par
Wells G. A. dans Ibn Warraq ed., « The Strophic Structure of the Koran », What the Koran really says, Language, Text, and Commentary, Edited with translations by Ibn Warraq,
Amherst, Prometheus Books, 2002, p. 644.
5. Novum Testamentum Graece, Novum testamentum graece cum apparatu critico ex editionibus et libris manu scriptis collecto, Stuttgart, Privilegierte Württembergische
Bibelanstalt, 1898, 660 p.
6. La dernière édition a paru en 2007. Cf. post-Eberhard et Erwin Nestle communiter ediderunt Barbara et Kurt Aland… [et al.], apparatum criticum novis curis
elaboraverunt Barbara et Kurt Aland una cum Instituto Studiorum Textus Novi Testamenti Monasteriensi Westphaliae. – 27e éd. rev. 9e impression corrigée, Stuttgart, Deutsche
Bibelgesellschaft, 1993, 89-812 p. Par ailleurs, son équivalent existe pour l’Ancien Testament avec la Biblia Hebraica Stuttgartensia grâce aux travaux de Rudolf Kittel et Paul Kahle.
7. Cf., Albin M. W., « Printing the Qur’ān », EQ, IV, 2004, p. 272.
8. Jeffery A., « ʿĀs ̣im », EI2, I, p. 706-707.
9. Pour ces dernières, on connaît le rôle décisif d’Ibn Muǧāhid à l’origine d’une fixation – érigée en quasi-dogme – des sept lectures. Cf. Paret R. « Ḳirā’a », EI2, V, p. 126-
128.
10. Cf. Bergsträsser Gotthelf qui écrit « ragt eine alt islamische Wissenchaft lebenskräftig und leistungsfähig in unsere Tage herein er ist ein Dokument für den überraschend
hohen gegenwärtigen Stand der ägyptischen Koranlesungswissenschaft » dans Bergsträsser G., « Koranlesung in Kairo », Isl, 21 (1932), p. 10. Cité également par Reynolds G. S.,
Qur’ān in its historical, Londres, Routledge, p. 20 (n. 10). Cf. Arthur Jeffery qui écrit à ce propos « their edition is nevertheless the nearest approach to a critical edition ever
produced in the Orient », dans « Progress in the study of the Koran Text », MW, 25 (1935), p. 6. Republié dans The Origins of the Koran, Classic Essays on islam’s Holy Book, Edited
by Ibn Warraq, Amherst, Prometheus Books, 1998, p. 137. Régis Blachère considère cette édition comme « d’une impeccable présentation et d’une précision inégalée ». Cf. Blachère
R., Introduction au Coran, Paris, Maisonneuve et Larose, 2e édition, 1991, 1re édition, 1959, p. 134. Enfin Otto Pretzl écrit, lui : « die mit ungemein grosser Sorgfalt hergestellte
Ausgabe ist eine vom wissenschaftlichen Standpunkt aus erstaunliche Leistung orientalischer Korangelehrter », Geschichte des Qorans, Die Geschichte des Korantexts, von
Bergsträsser und O. Pretzl, Leipzig, Dieterich’sche Verlagsbuchhandlung, 1938, p. 273-274 cité par Graham W. A., Beyond the written word, Oral Aspects of Scripture in the History
of Religion, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 211-212, n. 3.
11. Bergsträsser G., « Koranlesung in Kairo. Mit einem Beitrag von K. Huber », Isl, (20) 1932, p. 2-13.
12. Malgré les exigences d’une approche historico-critique, les études coraniques contemporaines font un usage presque exclusif de cette édition comme l’a souligné
récemment Manfred Kropp. Ce dernier écrit : « This had led to the, silent or explicit, de facto adoption by Qur’ān scholars of the dogma of an authentic and genuine text handed
down to us, and even to the recognition of a canonical reading – within the Small Spectrum of variants acknowledged by tradition – as the basis of all Qur’ān studies », Results of
comtemporary research, éd. Manfred S. Kropp, op. cit., p. 1. Quelques décennies auparavant, Régis Blachère avait nuancé l’intérêt d’une telle édition critique en écrivant « si
souhaitable que soit, aux yeux du philologue occidental, l’établissement d’une édition critique du Coran, il est certain que ce monument, s’il existe un jour, ne pourra jamais être
utilisé par l’islamisant pour ses études particulières puisque l’ensemble de la Loi islamique se fonde sur un texte différent de celui qu’on parviendra à établir… » dans Blachère R.,
Introduction au Coran, op. cit., p. 198.
13. Pour une description très précise de ce projet, cf. Gilliot C., « Une reconstruction critique », op. cit., p. 35-44. Cf. également Reynolds S. R., « Introduction », p. 3-6.
Pour un point bibliographique : Puin G.-R., « Observations on Early Qurān Manuscripts in Ṣanʿā’ », The Qur’ān as Text, éd. Stephen Wild, Leiden, E. J. Brill, 1996, p. 117 [n° 1],
réed. dans Ibn Warraq (éd.), What the Koran really says, Language, Text, et Commentary, Amherst, Prometheus Books, 2002, p. 743.
14. Gilliot C., « Origines et fixation du texte coranique », Ẻtudes, 409/12 (2008), p. 643-644.
15. Pour un point de vue général et récent sur ces questions, cf. Böwering G., « Recent research on the construction of the Qur’ān », dans The Qur’ān in its Historical
Context, op. cit., p. 70-87. Cf. également Amir-Moezzi M. A., Autour de l’histoire de la rédaction du Coran, Rome, Bradley Conférence (Pisai), 21 mai 2010.
16. Koren J. et Nevo D. Y., « Methodological Approaches to Islamic Studies », Isl, LXVIII (1991), p. 87-107, dans Ibn Warraq (éd.), The quest for the Historical
Muhammad, Amherst, Prometheus, 2000, p. 422-426.
17. Lüling G., Die Wiederentdeckung des Propheten Muhammad. Eine Kritik am « christlichen » Abendland, Erlangen, H. Lüling, 1981, p. 119.
18. Cf. Compte-rendu de Gilliot C., « Deux études sur le Coran », Arabica, 30/1 (1983), p. 1-37 ; Id., « Gunter Lüling, Über den Urkoran », REMMM, 70 (1993), p. 142-143.
L’influence de la langue syriaque avait déjà été soulignée par Alphonse Mingana. Ce dernier affirmait déjà en 1927 : « In my opinion, however, Syriac is much more useful than
Hebrew and Ethiopic as the former language seems to have a much more pronounced influence on the style of the Kur’ān » in Mingana A., « Syriac Influence on the Style of the
Koran », BJRL, 11 (1927), p. 77. Ce texte a été republié in What the Koran really says, language, text, et commentary, Edited with translations by Ibn Warraq, Amherst, Prometheus
Books, 2002, p. 173. Disponible sur internet à l’adresse suivante http://www.answering-islam.org/Books/Mingana/Influence/index.htm
19. S’agissant de cette thèse, Lüling écrit : « Da die christliche Grundschrift des Qur’ân zweifelsfrei eine archaische, wahrscheinlich judenchristliche (Engel-) Christologie
vertritt, die mittlerweile von allen politisch einflußreichen christlichen Konfessionen verketzert worden war, haben wir uns des weiteren vorzustellen, daß alle in Mekka inzwischen auf
eine außerarabische Konfession hin orientierten arabischen christlichen Gemeinden diesen Urqur’ân mit urtümlicher Christologie bereits verlassen hatten, und daß nur noch die
“Ketzer” (h ̣anîfen), die Christen der älteste arabischen Kirchengründung, zu diesem Qur’an standen. » dans Lüling G., Über den Urkoran, Ansätze zur Rekonstruktion der
vorislamisch-christlichen Strophenlieder im Koran, korrigierte jedoch im Haupttext (S. 1-542) Seitengleiche 2. Auflage, Erlangen, Verlagsbuchhandlung Hanelore Lüling, 1993, p. 10.
Cf. également p. 119-173 et du même auteur dans Die Wiederentdeckung des Propheten Muhammad, op. cit., p. 119.
S’agissant de Luxenberg, ce dernier écrit : « Bedenkt man zuden, daß diese Araber zumeist christianisiert waren und zu einem großen Teil an der christlich-syrischen
Liturgie teilnahmen, dann liegt nichts näher, als daß diese naturgemäß Elemente ihrer syro-aramäischen kult- und Kultursprache ins Arabische eingebracht haben. » Cf. Luxenberg
C., Die syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, Berlin, Verlag Hans Schiler, 20073, p. 11. (Id., pour la version anglaise, p. 11).
20. À cet égard, l’affirmation suivante de John Wansbrough illustre parfaitement cette thèse : « […] stabilization of the text of scripture (masoretic exegesis) was an activity
whose literary expression is also not attested before the third ninth century, and the appearance of the classical masahif littérature (varia lectiones) was even later. It is of course
neither possible, nor necessary, to maintain that the material of the canon did not, in some form, exist prior to that period of intensive literary activity, but establishment of a standard
text such as is implied by the ‘Uthmanic recension traditions can hardly have been earlier. » Cf. Wansbrough J., Quranic studies, Sources and methods of scriptural Interpretation,
Foreword, Translations, and Expanded Notes by Andrew Rippin, New York, Prometheus Books, 2004², p. 44.
21. Dans la préface de leur ouvrage « Hagarism », Patricia Crone et Michael Cook écrivent : « without this influence the theory of Islamic origins set out in this book would
never have occured to us ». Crone P. et Cook M. A., Hagarism, the Making of the Islamic world, Cambridge, Cambridge University Press, 1977, p. viii. Toutefois, on notera que John
Wansbrough fut très critique à l’endroit de ce dernier ouvrage.
22. L’épigraphiste écrit, en faisant référence à l’ouvrage Quranic Studies, « The inscription from the Negev and elsewhere provide some support for the existence of such
hypothetical sectarian communities, not coexisting but along a time continuum. » Cf. Nevo Y. D. et Koren J., Crossroads to Islam, The Origins of the Arab Religion and the Arab
State, Amherst, New York, Prometheus Books, 2003, p. 340.
23. Pour exemple, Burgmer C., éd., Streit um den Koran, Die Luxenberg-Debatte : Standpunkte und Hintergründe (Controverse autour du Coran. Le Débat autour de
Luxenberg : points de vue et perspectives), Berlin, Hans Schiler, 2005, 152 p.
24. Donner F. M., « The Qur’ān in recent scholarship, Challenges and desiderata » dans The Qur’ān in Its Historical Context, London, Routledge, 2008, p. 29.
25. Reynolds G. S., « The Crisis of Quranic studies », The Qur’ān and Its Biblical Subtext, London, Routledge, 2010, p. 3-36.
26. Id., « Introduction », The Qur’ān in Its Historical Context, op. cit., p. 18.
27. C’est sans doute la publication du livre de Christoph Luxenberg qui incarne le mieux ce renouvellement malgré les vives polémiques qu’il a entraînées. Luxenberg C.,
Die syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, Berlin, Verlag Hans Schiler, 2004, 351 p. En version anglaise sous le titre The Syro-
Aramaic Reading of the Koran, A Contribution to the Decoding of the Language of the Koran, Berlin, H. Schiler, 2007, 349 p. On se reportera également à l’ensemble des ouvrages
cités dans cette introduction et parus après l’an 2000.
28. Cf. par exemple Azaiez M., « Les thèses consacrées au Coran en France depuis les années soixante-dix. Une note bibliographique », Arabica, 56 (2009), p. 107-111.
29. Pour la seule année 2009, on dénombre pas moins de quatre colloques internationaux consacrés au Coran : « The Qur’ān in its historical context II » (19 au 21 avril
2009) à l’Université de Notre Dame ; « Evidence for the Early History of the Qur’ān » (30-31 juillet 2009) à l’Université de Stanford ; « The Qur’ān : Text, History, Culture » (12-
14 novembre 2009) à l’Université de la SOAS et enfin « Les études coraniques aujourd’hui – Méthodes, Enjeux, Débats » (26-27 novembre 2009) qui s’est tenu à l’IISMM/EHESS
dont est issu cet ouvrage.
30. Parmi ces projets, on signalera le Corpus Coranicum coordonné par Angelika Neuwirth à Berlin, le projet Inârah dirigé par Karl Heinz Ohlig à Sarrebruck et les
initiatives du département « Qur’anic Studies » développées par Omar Alì-de-Unzaga à l’Institut des études ismaéliennes de Londres. Plus récemment encore, on signalera le projet de
Gabriel Said Reynolds et Mehdi Azaiez intitulé le « Qur’an Seminar » initié à l’Université de Notre Dame (Indiana, USA). Ce projet se poursuivra sous l’égide d’une nouvelle société
savante dédiée aux études coraniques : IQSA (International Quranic Studies Association).
31. Hilali A., Le palimpseste de S ̣anʿā’ et la canonisation du Coran : nouveaux éléments, Cahiers Gustave Glotz, 21 (2011), p. 443-448 ; Sadeghi B. et Bergmann U., « The
Codex of a Companion of the Prophet and the Qurān of the Prophet », Arabica, 57/4 (2010), p. 343-436 ; et plus anciennement les travaux de Puin (G. R.), « Methods of Research on
Qur’anic Manuscripts. A Few Ideas », in Mas ̣āh ̣if S ̣an‘ā’, Kuwait, 1985, p. 9-17 ; Id., « Observations on Early Qur’ān Manuscripts in S ̣anʿā’ »’, op. cit., p. 107-111 ; von Bothmer (H.-
C.), Ohlig (K. H.), Puin (G. R.), « Neue Wege der Koranforschung », dans Magazin Forschung. Universität des Saarlandes I, 1999, p. 33-46.
32. L’intérêt pour les anciens manuscrits du Coran remonte déjà au début du siècle avec Mingana A. et Lewis A. S., Leaves from three ancient Qurâns, possibly
pre-‘Othmânic, with a list of their Variants, Cambridge, Cambridge Univ. Press, 1914, p. XI-XXXII. Republié dans Ibn Warraq (éd.), The Origins of the Koran, Classic Essays on
islam’s Holy Book, Amherst, Prometheus Books, 1998, p. 76-96.
33. Cf. supra n. 12. Gilliot C., « Origines et fixation du texte coranique », p. 643.
35. Sur le projet Amari, cf. Fedeli A., « Early evidences of variant readings in Qur’ânic manuscripts », dans K. Ohlig, G. R. Puin (éd.), The Hidden Origins of Islam, New
Research into Its Early History, New York, Prometheus Books, 2009, p. 328 [n° 25].
36. Déroche F., La transmission écrite du Coran dans les débuts de l’islam, Le codex Parisino-petropolitanus, Leiden, Brill, 2009, 640 p.
37. Amir-Moezzi M. A., Le Coran silencieux et le Coran parlant, Sources scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur, Paris, CNRS éditions, 2011, 268 p.
38. L’ouvrage s’intéresse aux œuvres suivantes : le Kitāb de Sulaym b. Qays (IIe et IIIe s.) sur les violences qui suivirent la mort du Prophète ; le Kitāb al-Qirā’āt d’al-
Sayyārī (début IIIe siècle) sur la falsification de la vulgate ’uthmânienne ; le Tafsīr d’al-Ḥibarī (milieu du IIIe siècle) sur la nécessité de l’herméneutique et la genèse de l’ésotérisme
shi’ite ; les Basā’ir al-darağat d’al-Saffār al-Qummī, et enfin la somme des traditions d’al-Kulaynī (milieu du IVe siècle).
39. Prémare A.-L. de, Les fondations de l’Islam, Entre écriture et histoire, Paris, Seuil, 2002, p. 25-27. Cf. également Crone P. et Cook M. A., Hagarism : the making of the
Islamic world, Cambridge, Cambridge University Press, 1977, IX + 268 p. Cook M. A., Muhammad, Oxford, Oxford University Press, 1983, p. 73-76 ; Hoyland (Robert G.), Seeing
Islam as others saw it, a survey and evaluation of Christian, Jewish and Zoroastrian writings on early Islam, Princeton, Darwin Press, 1997, XVIII + 872 p.
40. À ce propos, Robert Schick écrit : « At present the field of archaeology has little to contribute to an understanding of the Qur’ān and the milieu in which Islam arose.
Archaeological excavations are taboo in Mecca (q.v.) and Medina (q.v.) and only a few other excavations or surveys have yet taken place in the Arabian peninsula that shed much
light on the topic. » Cf. Shick R., « Archeology and the Qur’ān », EQ, I, p. 148.
41. Ans ̣ārī al-Ṭayyib ʻAbd al-Rah ̣mān, Qaryat al-Fau, A portrait of pre-islamic civilisation in Saudi Arabia, Riyad, Ǧāmiʻat al-Riyād ̣, 1982, p. 13-30. Cf. également
Cheddadi A., Les Arabes et l’appropriation de l’histoire, émergence et premiers développements de l’historiographie musulmane jusqu’au IIe/VIIIe siècle, Paris, Sindbad Actes Sud,
2004, p. 30.
42. Une récente exposition au Louvre intitulée « Routes d’Arabie – Trésors archéologiques du royaume d’Arabie saoudite (16 juillet au 27 septembre 2010) » a permis
d’« esquisser un panorama inédit des différentes cultures qui se sont succédé sur le territoire du royaume d’Arabie saoudite depuis la préhistoire jusqu’à l’orée du monde moderne. »
Cf. Routes d’Arabie, archéologie et histoire du royaume d’Arabie Saoudite, sous la direction d’Al-Ghabban A. I. et André Salvini B. [et al.], Paris, Musée du Louvre/Somogy, 2010,
623 p.
43. Imbert F., « Le Coran dans les graffiti des deux premiers siècles de l’Hégire », Arabica, 47/3-4 (2000), p. 381-390. Cf. également l’article du même auteur dans cet
ouvrage.
44. Parmi les spécialistes de ces disciplines, on rappellera les travaux aujourd’hui bien connus de Hans Caspar (Graf von) Bothmer, François Déroche, Alba Fedeli, Sergio
Noja Noseda†, Alain George, Asma Hilali, Gerd R. Puin, Behnam Sadeghi, Keith Small et Efim Rezvan.
45. Powers D. S., Muhammad Is Not the Father of Any of Your Men : The Making of the Last Prophet, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2009. Sur l’ouvrage,
lire Gilliot C., « Miscellanea coranica », Arabica, 59/1-2 (2012), p. 109-133.
46. Id., « Paleography and Codicology Bibliothèque nationale de France, Arabe 328a », Muhammad Is Not the Father of Any of Your Men, op. cit., p. 155-196.
47. Cf. Boisliveau A.-S., « État des lieux des approches du Coran : les approches littéraires », in Zwilling A.-L. (éd.), Lire et interpréter. Le rapport des religions à leurs
textes fondateurs, Genève, Labor et Fides, 2013, p. 151-161.
48. El Yagoubi Bouderrao M., Sémiotique de la sourate al A‘raf (discours coranique et discours exégétique classique), Paris III, 1989, 2.vols, 609 p.
49. Laroussi G., Narrativité et production de sens dans le texte coranique, le récit de Joseph, Paris, EHESS, 1977, 293 p.
50. Izutsu T., God and man in the Koran, New York, Books for Libraries, (« Islam »/« Studies in the humanities and social relations. – Tokyo : The Keio institute of cultural
and linguistic studies ; v. 5 »), 1980, 1re éd. 1964, 242 p. ; Madigan D. A., The Qur’ân’s self image : writing and authority in Islam’s scripture, Princeton, Princeton University Press,
2001, XV + 236 p.
51. Cuypers M., Le Festin, Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Paris, Lethielleux, 2007, IV + 453 p.
52. On pourra se référer aux travaux suivants : Berque J., « Yusuf ou la sourate sémiotique », Mélanges Greimas, tome II, Amsterdam, J. Benjamins, 1985, p. 847 sq. ;
Laroussi G., Narrativité et production de sens dans le texte coranique : le récit de Joseph, Paris, EHESS, 1977, 293 p. ; Prémare A.-L. de, Joseph et Muhammad, Le chapitre 12 du
Coran : étude textuelle, Aix-en-Provence, Publications de l’Université de Provence, 1989, 193 p. ; Cuypers M., Structures rhétoriques dans le Coran. Une analyse structurelle de la
sourate « Joseph » et de quelques sourates brèves. MIDEO 22 (1995), p. 107-195.
53. Dans un article de référence, Laurent Jenny définit l’intertextualité de la manière suivante : « l’intertextualité désigne non pas une addition confuse et mystérieuse
d’influences, mais le travail de transformation et d’assimilation de plusieurs textes opéré par un texte centreur qui garde le leardership du sens ». Cf. Laurent Jenny, « La stratégie de la
forme », Poétique, n° 27, 1976.
54. La notion d’intratextualité peut se définir comme la mise en relation d’un énoncé avec un autre énoncé appartenant au même (con)texte. Cf. On rapprochera
l’intratextualité de la notion d’indices syntagmatiques dans Todorov T., Symbolisme et interprétation, Paris, Seuil, 1978, p. 28.
55. McAuliffe J. D., « Introduction », The Cambridge companion to the Qur’ān, edited by Jane Dammen Mc Auliffe, Cambrigde, Cambridge University Press,
(« Cambridge companions to religion »), 2006, p. 2-4. Cf. également la bibliographie indicative dans l’article de Mehdi Azaiez dans cet ouvrage et particulièrement la thèse de
doctorat d’Anne-Sylvie Boisliveau consacrée à ce sujet et sa contribution dans cet ouvrage.
56. Michel Cuypers a consacré une dizaine d’articles à l’analyse rhétorique du Coran. Ces travaux concernent majoritairement les sourates finales du Coran (90 à 114). On se
reportera également à son ouvrage récent principalement consacré à la méthode de l’analyse rhétorique : Cuypers M., La composition du Coran, Naz ̣m al-Qur’ān, Paris, Gabalda,
2012.
58. À ce sujet, Dan Madigan écrit : « … the meaning of a text is not simply found in the mens auctoris but rather in the mens lectoris or, better, in the complex relationship
between the text and its readers in their contexts. » Madigan D., « Foreword », dans The Qur’ān in Its Historical Context, éd. Gabriel Said Reynolds, Oxon, Routledge, p. xi. Cf.
Rippin A., Approaches to the history of the interpretation of the Qur’ân, Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 2-4.
59. Il s’agit de notre traduction du passage suivant : « Setting aside the views of later Muslim commentators in so far as these appeared to have been influenced by
theological developments which came about long after the death of the Prophet, and endeavouring to understand each passage in the sense it had for its first hearers » dans Bell R. et
Watt W. M., Bell’s introduction to the Qur’ân, completely revised and enlarged by Montgomery Watt, Edinburgh, Edinburgh University Press, 1970, p. 113-114.
60. Chabbi J., Le Seigneur des Tribus, L’islam de Mahomet, Préface d’André Caquot, Paris, Noêsis, 1997, p. 22, réed. Paris, CNRS éditions, 2010.
61. Der Koran, Handkommentar mit Übersetzung von Angelika Neuwirth. Bd. 1 : Poetische Prophetie. Frühmekkanische Suren, Verlag der Weltreligionen im Insel Verlag,
2011, 600 p. Lire également Neuwirth A., Der Koran als Text der Spätantike. Ein europäischer Zugang, Berlin, Verlag Der Weltreligionen, 2010, 700 p. ; Neuwirth A., Sinai N., Marx
M. (ed.), The Qur’ān in Context, historical and Literary Investigations into the Qur’anic Milieu, Leiden, Brill, 2009, 740 p.
62. L’auteur écrit : « … The Qur’ān should be appreciated in light of its conversation with earlier literature, in particular Biblical literature (by which I mean the Bible,
apocrypha, and Jewish and Christian exegetical works) ». Cf. Reynolds G. S., The Qur’ān and Its Biblical Subtext, op. cit., p. 2.
63. À ce propos, Angelika Neuwirth explicite à sa maniere la situation en écrivant : « The controversy about the Qur’ān – held to be the genuine document of the Prophet’s
communications to his listeners or considered as a later compilation from diverse traditions emanating from a monotheistic sectarian milieu – permeates the entire field of Qur’anic
studies, forcing each individual researcher to state his or her particular vantage point from the “holistic” or from the “atomistic” hypotheses ». Cf. Neuwirth A., « Qur’ān and
History – a Disputed Relationship. Some Reflections on Qur’anic History and History in the Qur’an », JQS, 5 (2003), p. 1.
PREMIÈRE PARTIE :
L’HISTOIRE DU TEXTE
Contrôler l’écriture. Sur quelques
caractéristiques de corans de la période
omeyyade
François Déroche
Jusqu’à une date relativement récente, on a répugné à associer les
Omeyyades à des manuscrits coraniques spécifiques. Certes, l’identification
du style d’écriture appelé par commodité h ̣iǧāzī remonte au XIXe siècle et
sa datation au Ier/VIIe siècle est relativement acquise, sans pourtant qu’une
définition chronologique plus précise ait été apportée. Et
occasionnellement, des manuscrits ont été datés de ce même siècle,
autrement dit sous les Omeyyades. Mais, curieusement, toute référence à la
dynastie contemporaine était esquivée. C’est sans doute le catalogue de
l’exposition Masāḥ ̣if S ̣anʿā’ qui s’était tenue à Koweït1, puis la publication
par H.-C. G. von Bothmer des fragments d’un exemplaire monumental
retrouvé à Sanaa dans les conditions que l’on sait (Inv. 20-33.1) qui ont
accéléré le mouvement2, amené à l’identification d’autres manuscrits de
cette époque et fait disparaître la réticence qui prévalait jusqu’alors3. Sans
doute les parallèles établis entre les enluminures de cette copie et l’art
omeyyade ont-ils pesé dans cette évolution. L’histoire de l’art a en effet
joué un rôle essentiel, appuyée il est vrai par des datations au C 14 dont la
relative multiplication renforce la position des partisans d’une datation
haute d’un certain nombre de corans4. Face à eux, une opposition ferme a
été exprimée par E. Whelan5, suivie en cela par Sh. Blair6. J’ai eu l’occasion
de commenter certains des arguments produits dans ce contexte et pense
que le point de vue de ces deux spécialistes d’histoire de l’art n’est
désormais plus tenable.
Au fur et à mesure que se font plus précises nos connaissances, non
seulement des manuscrits eux-mêmes, mais aussi des sources, il devient
évident que la période omeyyade a été témoin d’un véritable
bouleversement en matière de transmission manuscrite du texte coranique.
Dans son travail sur Ḥasan al-Basrī, ̣ Omar Hamdan a tenté de montrer
l’existence de ce qu’il appelle le « Masāh ̣ ̣if Projekt » d’al-Ḥaǧǧāǧ7. Ce
dernier aurait visé à contrôler le texte, en faisant à cette fin compter les
lettres, les mots et les versets du Coran, y introduisant des divisions
spécifiques, notamment celles des groupes de cinq et dix versets8. Il aurait
également fait améliorer la lisibilité en introduisant des diacritiques et aurait
modifié le rasm en certains endroits9.
aurait fait réaliser pour les envoyer dans différentes villes (à supposer qu’il
ne s’agisse pas là d’un topos) furent-ils réalisés sous contrôle officiel30 ? En
d’autres termes, la réforme graphique, dont la réalité est indéniable, a-t-elle
été accompagnée de la mise sur pied de scriptoria officiels où les scribes
étaient formés à la pratique des nouveaux styles et qui ont influencé la
production du marché, représentée par ces copies de plus petite taille dont il
a été question plus haut ? Faut-il envisager que la transcription des corans,
et en particulier de ceux qui étaient commandés par l’élite de l’empire pour
des usages publics, passât entre les mains d’autres intervenants ? Un
changement dans l’utilisation des manuscrits coraniques a-t-il eu lieu à cette
époque ?
Il convient de souligner que les nouveaux styles n’introduisirent pas
seulement une rupture sur un plan esthétique en faisant entrer l’écriture
arabe dans le domaine de la calligraphie. Elles représentent un changement
technique en ce sens que l’outil employé ou la technique mise en œuvre
pour réaliser des caractères plus « gras » n’a plus rien à voir avec ce qui se
faisait lors de l’étape précédente. En d’autres termes, la réforme graphique,
visant à régulariser l’apparence des lettres, s’est accompagnée – peut-être
dans une deuxième étape – d’un changement ou d’une invention matérielle.
La question est posée de savoir qui en furent les artisans.
Une autre forme de contrôle sur le texte est passée par le décompte des
éléments constitutifs. On connaît l’opération menée à l’instigation d’al-
Ḥaǧǧāǧ31. Dans les manuscrits, on constate effectivement une différence
nette entre les plus anciens, où seules les fins de versets sont indiquées, et
les copies postérieures à la réforme où les groupes de cinq et dix sont
signalés. Les copies de plus petit format semblent moins concernées par
cette innovation qui, encore une fois, pourrait correspondre à une
production « officielle ».
L’introduction de décors en forme de bandeaux pour séparer les unes
des autres les sourates représente également une innovation. On notera que
cet élément est dépourvu de tout titre. Les décors en pleine page qui ont été
conservés sont également anépigraphes. La fonction de « remplissage » de
l’espace vide entre les sourates, qui paraît avoir été au moins aussi
importante que l’embellissement de la copie, est peut-être à rapprocher de
l’usage des remplissages de fin de ligne. Les uns et les autres ont pour
fonction d’éliminer des espaces vides et se rapprochent donc de celle des
cadres qui sont attestés dans au moins deux manuscrits de la période et sur
lesquels je reviendrai.
La réforme touche également l’orthographe et plus généralement la
lisibilité de ces copies. On a pu constater que l’orthographe représentée par
le codex Parisino-petropolitanus cède la place à une version moins
défectueuse par modification du rasm, modifications qui sont aussi bien des
additions que des éliminations. L’emploi des diacritiques, sans être
systématique, progresse de manière substantielle. Quant à la notation des
voyelles brèves, elle pourrait avoir commencé dès la fin du Ier siècle32. Ces
différents ajouts concourent à restreindre la part de choix et d’interprétation
de l’utilisateur. Certes, la connaissance par cœur du texte tient une place
importante, mais la décision d’introduire dans les masāh ̣ ̣if ces informations
supplémentaires, quitte à rompre avec ce qui se faisait antérieurement,
montre qu’il existait là un enjeu important. Les réactions hostiles n’ont
d’ailleurs pas manqué.
Bien que les corans de style h ̣iǧāzī aient déjà possédé une identité
visuelle en raison d’un certain nombre de choix de présentation repris de
manière unanime dans les témoins que nous possédons, ceux qui sont
copiés ultérieurement vont plus loin dans cette direction. On aura ainsi noté,
outre l’écriture standardisée, l’existence de deux groupes de corans copiés
l’un à raison de 25 lignes à la page, l’autre de 20. Qu’il s’agisse des copies
du premier horizon, représenté par Marcel 13, ou du second, autour de Dār
al-Maḫtūt ̣ āt,
̣ Inv. 20-33.1, un point les différencie très clairement de leurs
prédécesseurs de style h ̣iǧāzī : tous ont en effet des marges importantes, une
innovation dont le sens nous échappe33. Il faut toutefois observer que dans
deux exemplaires, l’un à Sanaa, l’autre à Kairouan, le texte est disposé à
l’intérieur d’un cadre. Ce cadre n’est pas décoratif, comme dans Inv. 20-
33.1 où il n’est présent qu’au début et à la fin du volume ; il s’agit d’un
élément qui fait partie de la mise en page et devait donc avoir une fonction.
Était-ce une transposition de l’ancienne présentation où le texte occupait
toute la page ? Il faut peut-être mettre cet élément en rapport avec la
préoccupation que traduisait l’opération de décompte des éléments
constitutifs du Coran, à savoir d’empêcher toute modification du rasm
existant.
D’un point de vue historique, ce que nous savons de l’Empire
omeyyade s’accorde assez bien avec le témoignage des manuscrits.
L’entreprise de contrôle du texte associée avec des personnages comme
‘Ubaydallāh b. Ziyād ou al-Ḥaǧǧāǧ, peut être mise en relation avec
l’introduction des séparateurs de groupes de versets, les modifications de
l’orthographe ou encore l’introduction de références graphiques définies.
Ce dernier point peut se concevoir en outre comme une des conséquences
des initiatives de ‘Abd al-Malik de donner à sa chancellerie un cachet
proprement arabe. Il n’est pas jusqu’aux dimensions imposantes des copies
du groupe d’Inv. 20-33.1 qui ne puissent s’expliquer par la possibilité de
mobiliser des ressources fiscales considérables dans le contexte de la
réorganisation opérée sous les Marwanides. L’édification de monuments
aussi spectaculaires que le Dôme du Rocher s’accompagna de la réalisation
de copies du Coran imposantes – qui peuvent se comprendre comme de
véritables œuvres de propagande à usage tant interne, à l’intention des
communautés musulmanes dont il fallait assurer la loyauté, qu’externe,
comme affirmation symbolique de la Révélation comme ultime message de
Dieu.
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2. Bothmer H.-C. Von, « Architekturbilder im Koran. Eine Prachthandschrift der Umayyadenzeit aus dem Yemen », Pantheon 45 (1987), p. 4-20.
3. Fraser M. et Kwiatkowski W., Ink and Gold : Islamic Calligraphy, Londres, 2006, p. 18-21 ; Dutton Y., « An Umayyad Fragment of the Qur’an and its Dating », JQS 9/2
(2007), p. 57-87.
4. Lire notamment Bothmer H.-C. von, Ohlig K.-H. et Puin G. R., « Neue Wege der Koranforschung », Magazin Forschung 1 [1999], p. 45. Mais également Rezvan E., « On
the dating of an “Uthmânic Qur’ân” from St. Petersburg », Manuscripta Orientalia 6-3 (2000), p. 19-22.
5. Whelan E., « Writing the word of God : some early Qur’an manuscripts and their milieu », Part I, Ars Orientalis 20 (1990), p. 113-147.
7. Hamdan O., Studien zur Kanonisierung des Korantextes. Al-Ḥasan al-Bas ̣rīs Beiträge zur Geschichte des Korans, Wiesbaden, Harrassowitz, 2006, p. 146-148.
8. Ibid.
9. Ibid.
10. Dutton Y., « An early mus ̣h ̣af according to the reading of Ibn ‘Āmir », JQS 3 (2001), p. 74-84 ; du même, « Some notes on the British Library’s ‘Oldest Qur’an
manuscript’ (Or. 2165) », JQS 6 (2004), p. 43-71 ; Rabb I. A., « Non-canonical readings of the Qur’an : Recognition and authenticity (the Himsi reading) », JQS 8-2 (2006), p. 84-
127 ; Déroche F., La transmission écrite du Coran dans les débuts de l’islam. Le codex Parisino-petropolitanus, Leyde-Boston, 2009, p. 157.
11. Sadeghi B., communication personnelle. Il est à souligner que les résultats des datations doivent être examinés avec prudence : de manière très subjective, j’ai le
sentiment que les dates obtenues après calibrage tendent à être plus hautes que ne le sont en fait les manuscrits eux-mêmes, sans qu’il puisse s’agir du décalage entre la fabrication du
parchemin et la transcription du texte.
14. Déroche F., « Colonnes, vases et rinceaux. Sur quelques enluminures d’époque omeyyade », Académie des inscriptions et belles-lettres, Comptes rendus des séances de
l’année 2004 [2006], p. 227-264.
15. Ils sont également employés, mais plus rarement, à l’intérieur de la justification pour combler des vides provoqués par le passage au niveau d’une ligne de l’extrémité
inférieure de lettres comme les qāf ou ‘ayn finaux, par exemple, situés sur la ligne supérieure ; lorsque les mots situés à proximité ne peuvent remplir les espaces disponibles, un tiret
analogue à ceux utilisés en fin de ligne peut être inséré soit avant l’obstacle, soit entre deux terminaisons inférieures intervenant à très faible distance l’une de l’autre.
16. Déroche F., Les manuscrits du Coran : Aux origines de la calligraphie coranique [Bibliothèque nationale, Catalogue des manuscrits arabes, 2e partie, Manuscrits
musulmans, I/1], Paris, 1983, p. 144-145, n° 268.
17. Sur le premier, Déroche F., ibid., p. 8 et suiv. Sur le second, voir Sourdel J. et D., « Nouveaux documents sur l’histoire religieuse et sociale de Damas au Moyen Âge »,
REI 32 (1964), p. 6-8.
18. Déroche F., « New evidence about Umayyad book hands », Essays in honour of Salâh al-Dîn al-Munajjid [al-Furqân publication, n° 70], Londres, p. 611-642.
19. Il s’agit de la main D (Déroche F., La transmission, op. cit., p. 39-41 et pl. 7-8). Dans certains des fragments mentionnés, l’inclinaison des alif rappelle très clairement le
h ̣iǧāzī.
21. Ibid., p. 5. Il faudrait revoir cette estimation en fonction des textes conservés ; nous avons de notre côté procédé à une évaluation à partir d’une photo d’une page de texte
et obtenu un résultat inférieur à celui avancé par von Bothmer, mais toutefois considérable par comparaison avec les manuscrits dont il a été question précédemment.
22. Bothmer H. C. Von, Ohlig K.-H. et Puin G. R., op. cit., p. 45.
23. Arberry A. J., The Koran illuminated, Dublin, 1967, n. 206, pl. 65 ; James D. L., Qur’ans and bindings from the Chester Beatty Library. A facsimile exhibition, [s. l.],
1980, p. 23, n° 10.
24. Mas ̣āh ̣if S ̣an‘ā’, p. 48, n° 35, où il porte le n° 20-29.2 ; Earthly beauty, heavenly art. Art of Islam, M. B. Piotrovsky et J. Vrieze (éd.), Amsterdam, 2000, p. 104-105,
n° 42-43.
25. Landes C. et Ben Hassen H. (éd.), Tunisie : du christianisme à l’islam. IVe-XIVe siècle, Lattes, 2001, p. 195 et pl. des p. 214-215.
26. Déroche F., « Un critère de datation des écritures coraniques anciennes : le kāf final ou isolé », Damaszener Mitteilungen 11, [In memoriam M. Meinecke], p. 87-94 et
pl. 15-16.
28. Voir par exemple Jahdani A., « Quelques opinions de Mālik (m. 179/796) sur le Coran-codex », [Actes de la conférence internationale sur les manuscrits du Coran
(Bologne, 26-28 septembre 2002)] Mélanges de l’Université Saint-Joseph 59 (2006), p. 274-276.
29. Ou très laconiques ; les textes dont nous disposons donnent des informations que les premiers rechignent à expliciter pour les lecteurs.
30. Eché Y., Les bibliothèques publiques et semi-publiques en Mésopotamie, en Syrie et en Égypte au Moyen Âge, Damas, 1967, p. 18. L’auteur a proposé un rapprochement
entre un certain Sa‘d, mentionné dans le Fihrist (K. al-Fihrist, éd. R. Taǧaddud, Téhéran, 1350/1971, p. 9 ; trad. anglaise de Dodge B., The Fihrist of al-Nadîm, A Tenth-Century
Survey of Muslim Culture I, New York/Londres, 1970, p. 11) et un personnage signalé par al-Sam‘ānī (K. al-ansâb, éd. Hyderabad, t. XII, 1400/1981, p. 284).
32. Les systèmes reposant sur l’utilisation de points de couleur sont anciens, mais aucune méthode n’a pour le moment réussi à déterminer de manière précise leur date
d’introduction. L’unique certitude, et elle est bien mince, est qu’ils sont postérieurs au rasm, toute la difficulté tenant précisément à établir de combien.
33. Il restera à examiner de plus près la situation présentée par des copies de style h ̣iǧāzī qui comportent des marges de taille comparable à celles de Marcel 13 et qui ont
également recours à des tirets de fin de ligne, comme le manuscrit Sanaa, Dār al-Maḫtūt
̣ āt,
̣ Inv. 00-30.1 (Mas ̣āh ̣if S ̣an‘ā’, p. 53, n° 24, par exemple).
Le Coran silencieux et le Coran parlant :
histoire et écritures à travers l’étude
de quelques textes anciens 1
Le Kitāb Basā’ir
̣ al-Darağāt d’al-Saffār
̣ al-Qummī
Au IIIe/IXe siècle, à l’époque de l’intense activité des auteurs de
commentaires coraniques comme al-Sayyārī et al-Ḥibarī et aussi ʿAlī
b. Ibrāhīm al-Qummī, al-ʿAyyāšī ou encore Furāt al-Kūfī, pour ne citer que
les plus célèbres traditionnistes dont les œuvres sont parvenues jusqu’à
nous, se développe parallèlement un corpus de hadith-s d’une autre nature,
de type gnostique, mystique et initiatique. Ce genre de tradition spirituelle
et intellectuelle, très répandue dans tout l’Orient méditerranéen depuis
l’Antiquité tardive, connaîtra une grande fortune dans bon nombre de
courants de pensée de l’islam mais il semble maintenant acquis qu’elle a
atteint cette religion grâce aux différentes mouvances shi’ites dont certaines
très anciennes31. Notre quatrième et dernier texte, le Kitāb Basā’ir ̣ al-
darağāt (littéralement « Livre des Perceptions des Degrés ») d’al-S ̣affār al-
Qummī (m. 290/902-903) est sans doute, pour ce qui est la période
ancienne, la source shi’ite existante la plus importante de la transmission de
ce genre de tradition32.
Quelles sont les raisons du développement, à partir de traditions
anciennes, de ce nouveau type de sources qui vont marquer la religion
shi’ite si profondément et si durablement que dorénavant elle sera
spécifiquement caractérisée par elles33 ? Une élaboration doctrinale est
toujours fondée sur des raisons multiples et complexes. Celles que j’évoque
ici sont sans doute les plus superficielles mais elles ont l’avantage, me
semble-t-il, d’être en rapport direct avec les problématiques qui nous
occupent. L’existence d’éléments de type mystique et ésotérique semble très
ancienne dans le shi’isme mais c’est surtout à partir de la seconde moitié du
IIIe/IXe siècle et tout le long du suivant que se développe considérablement
une littérature, aussi riche que variée, de nature initiatique et gnostique avec
une forte composante messianique34. À cette époque, cette littérature atteint
son sommet avec certains chapitres du Kitāb al-Mah ̣āsin d’Ah ̣mad b.
Muh ̣ammad al-Barqī (m. 274/887-888 ou 280/893-894) et surtout notre
Basā’ir
̣ al-darağāt. L’essor de ce corpus, qui atteint très vite des
dimensions considérables, serait dû à un double constat d’échec chez les
Shi’ites. Sur le plan historique, le shi’isme est minoritaire, marginalisé,
persécuté souvent avec une extrême violence. À quelques rares exceptions
près, ce constat est vérifiable pendant tout le règne des Omeyyades et des
Abbassides ; en effet le calife omeyyade ʿUmar b. ʿAbd al-ʿAzīz et les
califes abbassides al-Saffāh ̣, al-Ma’mūn ou al-Muntasiṛ témoignèrent une
certaine tolérance envers les Alides/Shi’ites et un respect relatif à l’égard
des droits des membres de la Famille prophétique mais ces ouvertures, que
l’on pourrait souvent qualifier de « politicienne », n’étaient que de très
courte durée et mis à part le IVe/Xe siècle qui sera « le siècle shi’ite » de
l’islam, on peut considérer que les adeptes des imams auront été
définitivement vaincus par ceux de l’islam majoritaire que l’on finira par
appeler sunnite35. Ensuite, sur le plan religieux, le shi’isme est ostracisé,
isolé, ses doctrines neutralisées par l’immense flot ininterrompu des
traditions sunnites dans le sens où, en réaction à pratiquement chaque
croyance shi’ite glorifiant ʿAlī, ses descendants et ses partisans, sont
élaborées des traditions louant les adversaires de ces derniers ou bien les
récupérant eux-mêmes pour les besoins de la cause36. Il s’agit en quelque
sorte de la parole des Sunnites, bénéficiant du soutien du pouvoir politique
souvent répressif, contre celle des Shi’ites, la minorité vaincue. Face à cette
situation, ces derniers semblent avoir pris la décision de passer outre la
confrontation directe et désormais jugée stérile, de développer d’autres
aspects doctrinaux parallèlement à la revendication des droits de ʿAlī et ses
descendants ; ainsi va prendre forme la constitution de doctrines ésotériques
complexes de type gnostique développées autour d’une mystique de la
Figure de l’Imam. Progressivement, la proclamation des droits de ‘Alī et de
ses descendants ainsi que la dénonciation de leurs adversaires acquièrent
une perspective métaphysique et cosmique. Les fidèles sont ainsi invités à
atteindre la connaissance transformatrice, la sagesse salvatrice, en
surmontant la tragédie de l’Histoire. Dans cette religion gnostique, l’imam
historique est le maître des enseignements secrets et l’Imam spirituel
cosmique, Homme divin, le contenu ultime de ces enseignements37.
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1. Dans sa majeure partie, cet article reprend, outre le titre principal, les éléments exposés dans notre ouvrage intitulé « Le Coran silencieux et le Coran parlant, Sources
scripturaires de l’islam entre histoire et ferveur », Paris, CNRS Éditions, 2011, 268 p.
2. Sur les informations présentées au cours de cette introduction la bibliographie est pléthorique. Pour ne pas alourdir les notes, qu’il me soit permis de renvoyer le lecteur
aux usuels comme l’Encyclopédie de l’Islam, l’Encyclopaedia of the Qur’ān ou l’Encyclopaedia Iranica aux entrées correspondantes aux données censées être plus ou moins bien
connues comme « Coran », « Hadith », « Badr », « Muh ̣ammad », « Abū Bakr », « ʿUmar b. al-Khatṭ āb ̣ », « ʿUṯmān », « Alī b. Abī Ṭālib », « Fātima
̣ », etc.
3. Sur ces questions ainsi que les sources et les études les concernant voir maintenant Kohlberg E. et Amir-Moezzi M. A., Revelation and Falsification : the Kitāb al-Qirā’āt
of Ah ̣mad b. Muh ̣ammad al-Sayyārī, Brill, Leiden, 2009, surtout l’introduction.
4. Voir Amir-Moezzi M. A., « Note bibliographique sur le Kitāb Sulaym b. Qays. Le plus ancien ouvrage shi’ite existant », dans Amir-Moezzi M. A., Bar-Asher M. M. et
Hopkins S. (éd.), Le shīʿisme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg, Bibliothèque de l’École des Hautes Études n° 137, Turnhout, Brepols, 2009, p. 33-48.
5. Sur ces sources voir, à part l’étude mentionnée dans la note précédente, Brockelmann C., Geschichte der arabischen Literatur, vol. I, Weimar, E. Felber, p. 199 ; Sezgin
F., Geschichte des arabischen Schrifttums, vol. I, Leiden, Brill, p. 525-26 (et non 527 comme cela est indiqué dans le médiocre article « Sulaym b. Qays » d’EI 2) ; Modarressi H.,
Tradition and Survival : A Bibliographical Survey of Early Shīʿite Literature, vol. I, Oxford, Oneworld, 2003, p. 82-86 ; M. B. al-Ans ̣ārī al-Zanğānī al-Ḫū’īnī, introduction à son
excellente édition critique du K. Sulaym b. Qays, 3 vol., Qumm, éd. M. B. al-Ans ̣ārī al-Zanğānī al- Ḫū’īnī, 1426/1995.
7. Modarressi H., ibid., p. 83. Cette datation de Modarressi est en quelque sorte corroborée par Ibn al-Nadīm (al-Fihrist, éd. R. Tağaddud, réimp. Beyrouth, 1417/1996,
p. 275) qui considère notre ouvrage comme le plus ancien ouvrage shi’ite. L’existence des parties ajoutées à un fort ancien texte primitif selon les exigences de chaque époque est
également soulignée par P. Crone, « Mawālī and the Prophet’s Family : an Early Shīʿite View » dans Bernards M. et Nawas J. (éd.), Patronate and Patronage in Early and Classical
Islam, Leiden-Boston, Brill, 2005, p. 167-194. Voir aussi Hakim A., « ʿUmar b. al-Ḫatṭ āb
̣ : l’autorité religieuse et morale », Arabica 55/1 (2008), p. 30-31 (l’ensemble de l’article p. 1-
34).
8. Célèbre Compagnon du Prophète ; cf. Lammens H., « Le triumvirat Abou Bakr, ʿOmar et Abou ʿObaida », Mélanges de la Faculté Orientale de l’Université Saint-Joseph
de Beyrouth 4 (1910), p. 113-144 (travail contenant nombre de prises de position personnelles mais une mine d’informations sur les sources) ; Lecomte G., « Sur une relation de la
Saqīfa attribuée à Ibn Qutayba », Studia Islamica 31 (1970), p. 171-183 ; Id., « al-Saqīfa », EI 2, vol. VIII, p. 918 ; Madelung W., The Succession to Muh ̣ammad : A Study of the Early
Caliphate, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, chapitre 1, p. 28 sqq.
9. Cet ouvrage est maintenant édité de manière critique par les soins de Kohlberg E. et Amir-Moezzi M. A. (voir ci-dessus note 2).
10. Sur al-Sayyārī et son œuvre, à part l’étude citée à la note 2, se reporter à Amir-Moezzi M. A. et Kohlberg E., « Révélation et falsification. Introduction à l’édition du
Kitāb al-Qirā’āt d’al-Sayyārī », Journal Asiatique 293.2 (2005), p. 663-722 et « Remarques sur l’histoire de la rédaction du Coran. Autour du Livre des récitations coraniques d’al-
Sayyārī », Apocrypha 18 (2007), p. 247-288.
11. Dès les compilations de hadith-s des IIIe/IXe et IVe/Xe siècles, les Shi’ites soutenaient que ce codex coranique de ʿAlī fut gardé en secret par les imams descendants de
ce dernier et fut emmené dans son Occultation par l’imam caché. Ce Coran, trois fois plus volumineux que le Coran connu de tous, ne sera révélé qu’à la fin des temps avec le retour
eschatologique de l’imam caché. Cf. Kohlberg E., « Some Notes on the Imamite Attitude to the Qur’ān », dans Stern S. M. et al. (éd.), Islamic Philosophy and the Classical Tradition,
Essays Presented… to Richard Walzer…, Oxford, B. Cassirer, 1972, p. 209-224 ; Amir-Moezzi M. A., Le Guide divin dans le shi’isme originel, Paris-Lagrasse, Verdier, 1992 (2e éd.
2007), p. 200-227 ; Bar-Asher M. M., « Variant Readings and Additions of the Imāmī-Šīʿa to the Quran », IOS, 1993, p. 39-74.
12. Cf. Al-Ṭūsī, al-Fihrist, Beyrouth, 1403/1983, p. 183, n° 661 ; al-Quhpā’ī, Mağmaʿ al-riğāl, éd. al-ʿAllāma al-Is ̣fahānī, Isfahan, 1384-87/1964-68, vol. V, p. 190 ; al-
Ṭihrānī, al-Ḏarīʿa ilā tas ̣ānīf al-šīʿa, Téhéran-Najaf, 1353-98/1934-78, vol. III, p. 394-95, n° 1417 ; al-Ḫū’ī, Muʿğam riğāl al-h ̣adīt, s. l., 1413/1992, vol. XVI, p. 277, n° 10556 –
identifie cet auteur comme étant un disciple, originaire de Kūfa, de l’imam Ǧaʿfar al-Ṣādiq (m. 148/765), mentionné par al-Ṭūsī, Riğāl, éd. M. Ṣ. Bah ̣r al-ʿUlūm, Nağaf, 1381/1961,
p. 284, n° 58.
13. Cf. Al-Nağāšī, Riğal, éd. M. J. al-Nā’īnī, Beyrouth, 1408/1988, vol. II, p. 221 ; al-Quhpāpī, vol. V, p. 206 ; al-Ṭihrānī, vol. IV, p. 455, n° 2023 (où al-taʿbīr doit être
corrigé en al-taġyīr).
14. Cf. Al-Nağāšī, vol. II, p. 84 ; al-Quhpā’ī, vol. IV, p. 182 ; al-Ṭihrānī, vol. IV, p. 454, n° 2022.
15. Cf. Al-Nağāšī, vol. II, p. 96 ; al-Quhpā’ī, vol. IV, p. 162 ; al-Ṭihrānī, vol. III, p. 311, n° 1151.
16. Modarressi H., « Early Debates on the Integrity of the Qur’ān. A Brief Survey », Studia Islamica 77 (1993), p. 5-39 ; Kohlberg E. et Amir-Moezzi M. A., Revelation and
Falsification, introduction, op. cit., p. 12-23.
17. Corbin H., En Islam iranien, Aspects spirituels et philosophiques, Paris, Gallimard, 1971-1972, index, « Qorân » et surtout la monographie de Ayoub M., « The Speaking
Qur’ān and the Silent Qur’ān : A Study of the Principles and Development of Imāmī Tafsīr » dans Rippin A. (éd.), Approaches to the History of the Interpretation of the Qur’ān,
Oxford, Oxford University Press, 1988, p. 177-198.
18. Bien entendu, ici par « Hadith », l’on signifie le Hadith exégétique. Il est évident que les sujets englobés par le Hadith en général sont beaucoup plus larges, comprenant
également de nombreux domaines non coraniques. Cependant, selon le shi’isme doctrinal, le rôle de loin le plus important du Hadith est bien l’exégèse du Coran, aussi bien le
commentaire littéral, exotérique (tafsīr) que le commentaire spirituel et ésotérique, l’herméneutique (ta’wīl).
19. Al-Sayyārī, K. al-Qirā’āt (dans Kohlberg et Amir-Moezzi, Revelation and Falsification, op. cit.), hadith-s n° 8 et 9, texte arabe, p. 8.
20. Voir maintenant Amir-Moezzi M. A., « Le Tafsīr d’al-Ḥibarī (m. 286/899). Exégèse coranique et ésotérisme shi’ite ancien », Journal des savants, janvier-juin 2009, p. 3-
23.
21. Édité par al-Sayyid Muh ̣ammad Rid ̣ā al-h ̣usaynī dans la revue Turāṯunā 32-33 (1413/1992), p. 275-385 (et sur internet : www.al-jalali.net).
22. D’abord par al-Sayyid Ah ̣mad al-Ḥusaynī : al-h ̣usayn b. al-h ̣akam al-h ̣īrī (sic), Mā nazala min al-Qur’ān fī ahl al-bayt ʿalayhim al-salām, Qumm, 1395/1975 ; ensuite
par al-Sayyid Muh ̣ammad Ridā al-Ḥusaynī : al-Ḥusayn b. al-Ḥakam al-Ḥibarī, Tafsīr, Beyrouth, 1408/1987. J’utilise cette seconde édition, de loin la meilleure.
23. Cf. Rippin A., « Occasions of Revelation », EQ, III, p. 569-573 ; Yahia M., « Circonstances de la révélation » in Amir-Moezzi M. A. (dir.), Dictionnaire du Coran, Paris,
Robert Laffont, 2007, p. 168-171. Voir aussi les développements intéressants de Radtke A, Offenbarung zwischen Gesetz und Geschichte, Wiesbaden, Harrassowitz, 2003, p. 39-58.
24. Al-Ḥibarī, Tafsīr, tradition n° 4, p. 235. Les personnages cités font partie, selon les récits traditionnels, des premiers adeptes et protecteurs du Prophète. Ils appartiennent
tous au clan des Banū Hāshim, c’est-à-dire la famille immédiate du Prophète.
26. Tradition n° 8, p. 240-241. Selon la tradition, Abū Ǧahl est un des adversaires célèbres de du Prophète et de l’islam.
27. Tradition n° 12, p. 247. Sur ce verset, cf. Ballanfat P. et Yahia M., « Ordalie » dans Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 618-620 ; sur la notion cf. Schmucker S.,
« Mubāhala », EI2, vol. VII, p. 278.
29. Al-Ṣaffār al-Qummī, Bas ̣ā’ir al-darağāt, éd. M. Kūšabāġī, Tabrīz, 2e éd., s. d. (vers 1960), section 10, chapitre 21, n° 1, p. 526 sqq. (je reviendrai sur cet auteur et son
ouvrage).
30. Sur les grands auteurs de ce genre et leurs ouvrages, du IVe/Xe siècle à l’époque moderne, cf. Amir-Moezzi M. A., « Le Tafsīr d’al-Ḥibarī… », p. 15-17.
31. Halm H., Die islamische Gnosis. Die extreme Schia und die ʿAlawiten, Zürich-Münich, Artemis Verlag, 1982, 406 p. ; Tucker W., Mahdīs and Millenarians : Shiite
Extremists in Early Muslim Iraq, New York, Cambridge University Press, 2008.
32. Sur cet auteur et son ouvrage, cf. Amir-Moezzi M. A., « Al-Ṣaffâr al-Qummî (m. 290/902-3) et son Kitâb bas ̣â’ir al-darajât », Journal Asiatique 280/3-4,1992, p. 221-
250 ; A. J. Newman, The Formative Period of Twelver Shī‘ism : Hadith as Discourse Between Qum and Baghdad, Richmond, Routledge, 2000, 250 p. (chapitres 5 et 7). Pour
l’édition de l’ouvrage d’al-Ṣaffār, voir ci-dessus note 28.
33. Amir-Moezzi M. A., Le Guide divin dans le shi’isme originel : aux sources de l’ésotérisme en Islam, Paris-Lagrasse, Verdier, 1992 (2e éd. 2007) ; Id., La religion
discrète : croyances et pratiques spirituelles dans l’islam shi’ite, Paris, Vrin, 2006.
34. Ansari H., L’imamat et l’Occultation selon l’imamisme. Étude bibliographique et histoire des textes, thèse de doctorat, École Pratique des Hautes Études, Paris, 2009,
surtout l’introduction et le chapitre 2.
35. A. Meškāt Kirmānī, Tārīḫ-e tašayyoʿ, Téhéran, 1358 solaire/1980, passim ; R. Ǧaʿfariyān, Tārīḫ-e tašayyoʿ dar īrān az āghāz tā qarn-e dahom-e heğrī, Téhéran, 1375
solaire/1996, en particulier les 3 premiers chapitres.
36. Contentons-nous de quelques exemples bien étudiés : la récupération jusqu’à l’expression de « la Famille du Prophète » (ahl al-bayt) par les Omeyyades (cf. Sharon M.,
« Ahl al-Bayt – People of the House », Jerusalem Studies in Arabic and Islam 8 (1986), p. 169-184) ; Id., « The Umayyads as ahl al-bayt », JSAI, 14 (1991), p. 115-152 ; Amir-
Moezzi M. A., « Considérations sur l’expression dīn ʿAlī. Aux origines de la foi shi’ite », ZDMG 150/1 (2000), p. 29-68 (repris dans Religion discrète, op. cit., Première Section,
chapitre 1), passim ; le développement de la littérature des « Vertus » (fad ̣ā’il) des Compagnons du Prophète, notamment les trois premiers califes, face aux traditions louant les
« vertus » de ʿAlī et de sa Famille (voir maintenant les travaux de Hakim A. « Conflicting images of lawgivers : the caliph and the Prophet. Sunnat ʿUmar and sunnat Muh ̣ammad »
dans H. Berg (éd.), Method and Theory in the Study of Islamic Origins, Leiden, Brill, 2003, p. 159-178) ; « Frères et adversaires : Abū Bakr et ʿUmar dans les traditions sunnites et
shi’ites » dans Amir-Moezzi, Bar-Asher et Hopkins (éd.), Le shīʿisme imāmite quarante ans après. Hommage à Etan Kohlberg, Bibliothèque de l’École des Hautes Études n° 137,
Turnhout, Brepols, 2009, p. 237-67 ; « ʿUmar b. al-Ḫatṭ āb,̣ calife par la Grâce de Dieu », Arabica 54/3 (2008), p. 317-36 ; « ʿUmar b. al-Ḫatṭ āb ̣ : l’autorité religieuse et morale »,
Arabica 55/1 (2008), p. 1-34) ; fabrication des traditions sur le rôle des Compagnons dans le récit de l’Ascension céleste (miʿrāğ) du Prophète face aux traditions shi’ites soulignant la
capacité d’ascension céleste des imams au même titre que Muh ̣ammad (cf. Colby F., « the Early Imami Shiʿi Narratives and Contestation over Intimate Colloquy Scenes in
Muh ̣ammad’s Miʿrāj », in Grüber C. et Colby F. (éd.), The Prophet’s Ascension : Cross-Cultural Encounters with the Islamic Miʿrāj Tales, Indiana University Press, Bloomington,
2010, p. 141-156.). Les auteurs de ces études soulignent souvent le fait que les traditions sunnites auraient été élaborées en réaction aux traditions shi’ites qui seraient par conséquent
plus anciennes. Comme dans d’autres traditions religieuses, ce que l’on appelle « l’orthodoxie » a été formée en réaction aux courants plus anciens qui, progressivement, seront
considérés comme « hétérodoxes » voire « hérétiques ».
37. Cette évolution est le sujet principal de deux ouvrages de Amir-Moezzi M. A., Guide divin, op. cit. ; Id., Religion discrète, op. cit. ; voir aussi Id. et Jambet C., Qu’est-ce
que le shi’isme ?, Paris, Fayard, 2004 (en particulier la 2e partie).
38. L’attribution du K. Bas ̣ā’ir al-darağāt à al-Ṣaffār a été mise en doute par mon ami et collègue Dr Hassan Ansari (« Madḫal-e motāleʿe-yī
̣ tafs ̣īlī dar bāre-ye Kitāb Bas ̣ā’ir
al-darağāt va hoviyyat-e nevisande-ye ān », sur le site internet « Barresī-hā-ye tārīkhī », http://ansari.kateban.com). Il n’y a pas lieu ici de rentrer dans le détail de la discussion mais
je dois avouer que les arguments de ce dernier ne me semblent pas convaincants et n’arrivent pas à mettre sérieusement en doute des siècles de traditions prosopographiques et
bibliographiques soutenant cette attribution. De toute manière, même si on accepte l’hypothèse de H. Ansari, l’ouvrage serait l’œuvre de Saʿd b. ʿAbdallāh al-Ašʿarī, probablement
complété par Muh ̣ammad b. Yah ̣yā al-ʿAtṭ ār,̣ deux personnages exactement contemporains d’al-Ṣaffār. Ce qui par conséquent n’entame en rien les datations de mon argumentation
mais seulement l’identité de l’auteur du texte examiné.
40. Rudolph K., Die Gnosis. Wesen und Geschichte einer spätantiken Religion, Göttingen, 1980 (2e édition).
41. Dans ce contexte, on peut dire qu’un autre grand ouvrage de cette époque, le Kitāb al-Kāfī d’al-Kulaynī vient compléter celui d’al-Ṣaffār en intégrant dans la doctrine
shi’ite de nombreux éléments puisés dans la pensée néoplatonicienne ; voir Amir-Moezzi M. A. et Ansari H., « Muh ̣ammad b. Yaʿqūb al-Kulaynī (m. 328/939-40 ou 329/940-941) et
son Kitāb al-Kāfī. Une introduction », Studia Iranica 38.2 (2009), p. 191-247.
42. Halm H., Die islamische Gnosis. Die extreme Schia und die ʿAlawiten, op. cit.
43. Il n’y a aucun doute sur la présence des doctrines de type gnostique dans bon nombre de courants shi’ites. Ce qui fait débat ce sont les milieux et les moyens de leur
transmission en terre d’islam. Voir par ex. Massignon L., « Die Ursprünge und die Bedeutung des Gnostizismus im Islam », Eranos Jahrbuch 1937, p. 55-77 (= Opera Minora,
Moubarac Y. éd., Beyrouth, Dar al-Maaref, 1963, vol. I, p. 499-513) ; Corbin H., « De la gnose antique à la gnose ismaélienne » dans Oriente e Occidente nel Medioevo. Convegno di
scienze morali, storiche e filologiche, Rome, Accademia Nazionale dei Lincei, 1957, p. 105-146 (repris dans Temps cyclique et gnose ismaélienne, Paris, Berg, 1982, 208 p. cf. 3e
partie) ; Id., « L’idée du Paraclet en philosophie iranienne » in La Persia nel Medievo (i), Rome, Accademia Nazionale dei Lince, 1970, p. 37-68 ; Rubin U., « Pre-existence and Light.
Aspects of the Concept of Nūr Muh ̣ammad », Israel Oriental Studies 5 (1975), p. 62-119 ; al-Qād ̣ī W., « The Development of the Term Ghulāt in Muslim Literature with Special
Reference to the Kaysāniyya » in Dietrich A. (éd.), Akten des VII. Kongresses für Arabistik und Islamwissenschaft, Göttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 1976, p. 295-319 (repris
dans Kohlberg E. (éd.), Shīʿism, Aldershot, Ashgate, 2003, art. n° 8) ; Halm H., Kosmologie und Heilsehre der frühen Ismāʿīliyya. Eine Studie zur islamischen Gnosis, Wiesbaden,
Deutsche Morgenländische Ges, 1978, 240 p. ; Bar-Asher M. M. et Kofsky A., The Nus ̣ayrī-ʿAlawī Religion. An Enquiry into its Theology and Liturgy, Leiden, Brill, 2002, passim.
44. Massignon L., « Der gnostische Kult der Fatima im schiitischen Islam », Eranos Jahrbuch 1938, p. 161-173 (= Opera Minora, vol. I, op. cit., p. 514-22) ; Halm H.,
« Das ‘Buch der Schatten’. Die Mufad ̣d ̣al-Tradition der ghulāt und die Ursprünge des Nus ̣airiertums », Isl 55 (1978), p. 219-66 et 58 (1981), p. 15-86 ; Wasserstrom S. M., « The
Moving Finger Writes : Mughīra b. Saʿīd’s Islamic Gnosis and the Myths of its Rejection » History of Religions, 25/1 (1985), p. 62-90 ; De Smet D. , « Au-delà de l’apparent : les
notions de Zāhir et bātin
̣ dans l’ésotérisme musulman », Orientalia Lovaniensia Periodica 25 (1994), p. 197-220 ; Tucker W., Mahdīs and Millenarians : Shiite Extremists in Early
Muslim Iraq, op. cit.
45. Par ex. Wellhausen J., Die religiös-politischen Oppositionsparteien im alten Islam, Berlin, Weidmannsche buchhandlung, 1901, 99 p. ; Id., Das arabische Reich und sein
Sturz, Berlin, G. Reimer, 1902, vii + 352 p. ; Périer J., Vie d’al-Hadjdjâdj ibn Yousof (41-95 de l’Hégire = 661-714 de J.-C.) d’après les sources arabes, Paris, Éd. Bouillon, 1904, xxi
+ 364 p. ; Lammens H., Études sur le règne du Calife Omaiyade Moʿâwia 1er, Paris, Paul Geuthner, 1908, 448 + xxxii p. ; Id., « Le triumvirat Abou Bakr, ʿOmar et Abou ʿObaida »
Mélanges de l’Université St.-Joseph, 4 (1910), p. 113-144 ; L. Caetani, Annali dell’ Islam, Milan, U. Hoepli, 1905-1926 ; Djaït H., La Grande Discorde, Paris, Gallimard, 1989 ;
Madelung W., The succession to Muh ̣ammad, Cambridge, Cambridge University Press, 1997, 432 p.
46. Nöldeke T., Schwally F., Geschichte des Qorāns, I-III, Leipzig, 1909-1938 (réimpression Hildesheim-New York, 1970) ; A. Mingana, « The Transmission of the
Koran », Journal of the Manchester Egyptian and Oriental Society 5 (1915-1916), p. 25-47 (réimp. Dans Moslem World 7 (1917), p. 223-232 et 402-414) ; Beck E., « Die
ʿuthmānische Kodex in der Koranlesung des zweiten Jahrhunderts », Orientalia 14 (1945), p. 355-373 ; Id., « ʿArabiyya, Sunna und ʿAmma in der Koranlesung des zweiten
Jahrhunderts », Orientalia N. S. 15,1946, p. 180-224 ; Id., « Die Kodizesvarianten der Ams ̣ār », Orientalia N.S., 16,1947, p. 353-376 ; Id., « Studien zur Geschichte der kufischen
Koranlesung in den beiden ersten Jahrhunderten », Orientalia 17 (1948), p. 326-355 ; 19 (1950), p. 328-350 ; 20 (1951), p. 316-328 ; 22 (1953), p. 59-78 ; Burton J., The Collection of
the Qur’ān, Cambridge, Cambridge university press, 1977, VII + 273 p. ; Wansbrough J., Quranic Studies : Sources and Methods of Scriptural Interpretation, Oxford, Oxford
University press, 1977, xxvi + 256 p. ; Id., The Sectarian Milieu : Content and Composition of Islamic Salvation History, Oxford, Oxford University Press, xxii + 157, p. 1978 ; Cook
M., The Koran. A Very Short Introduction, Oxford, Oxford University Press, 2000, 164 p.
47. Sprenger A., Das Leben und die Lehre des Moh ̣ammad, Berlin, Nicolai’sche Verlagsbuchhandlung, 1869 (2e edition) ; Id., « Über das Traditionswesen bei den
Arabern », ZDMG 10 (1856), p. 1-17 ; Goldziher I., Muhammedanische Studien, Halle, M. Niemeyer, 1889-1890 (2 vol.) (trad. partielle du vol. II en français par L. Bercher, Paris,
Adrien-Maisonneuve, réimp. 1984, II + 355 p.), surtout vol. II ; Id., Die Richtungen der islamischen Koranauslegung, Leiden, Brill, 1920 (rééd. 1952), X-392 p. ; Schacht J., The
Origins of Muhammadan Jurisprudence, Oxford, Clarendon Press, 1950, xii + 348 p. ; Kister M. J., Studies in Jāhiliyya and Early Islam, Londres, Variorum Reprints, 1980, 360 p. ;
Juynboll G. H. A., Muslim Tradition. Studies in chronology, provenance and authorship of early h ̣adīth, Cambridge, Cambridge University Press, 1983, IX + 273 p. ; Id., Studies on
the Origins and uses of Islamic h ̣adīth, Aldershot, Variorum Reprints, 1996, XII-354 p.
48. Lüling G., Über den Ur-Qur’ān. Ansätze zur Rekonstruktion vorislamischer christlischer Strophenlieder im Qur’ān, Erlangern, H. Lüling, 1974, XII + 542 p. (voir
maintenant l’édition révisée en anglais : A Challenge to Islam for Reformation. The Rediscovery of reliable Reconstruction of a comprehensive pre-islamic Christian Hymnal hidden
in the Koran under earliest Islamic reinterpretation, Delhi, Motilal, 2002, lxviii + 580 p.), surtout l’introduction ; Cook M., « The Opponents of the Writing of Tradition in Early
Islam », Arabica 44 (1997), p. 437-530 ; Kister M. J., « Lā taqra’ū l-qur’āna ʿalā l-mus ̣h ̣afiyyīn… Some Notes on the Transmission of h ̣adīth », JSAI 22 (1998), p. 127-162.
49. Goldziher I., Muhammedanische Studien, vol. II, op. cit. ; Id., Die Richtungen der islamischen Koranauslegung, op. cit. ; Id., Le Dogme et la Loi de l’Islam. Histoire du
développement dogmatique et juridique de la religion musulmane, trad. F. Arin, Paris, P. Geuthner, 1920, viii + 315 p., passim ; Birkeland H., Old Muslim opposition against
interpretation of the Koran dans Avhandlinger Utgitt av det Norske Videnskaps-Akademi i Oslo, 1955/1, 43 p. ; Nwyia P., Exégèse coranique et langage mystique, Beyrouth, 1970,
441 p. En particulier p. 8, 317 sqq., 370 sqq. ; Rippin A. (éd.), Approaches to the History of the Interpretation of the Qur’ān, Oxford, Oxford University Press, 1988, xi + 334 p. ; Id.,
The Qur’ān : Formative Interpretation, Aldershot, Ashgate, Variorum Reprints, 1999, xxvii, 385 p. ; Gilliot C., Exégèse, langue et théologie en islam. L’exégèse coranique de Tabari,
Paris, Vrin, 1990, 320 p. (en particulier p. 80 sqq., 90-98, 110 sqq., 118.)
50. Comme je l’ai indiqué au début de cet article, ces études ont été menées dans le cadre de mes séminaires à l’École Pratique des Hautes Études (Sorbonne) depuis les
années 1990. Leurs résultats ont été publiés dans de nombreux volumes de l’Annuaire de l’EPHE ainsi que dans un certain nombre de livres et d’articles mentionnés dans les notes
précédentes.
51. Sur cette doctrine selon laquelle le Coran ne peut être compris sans le recours au Hadith, sa probable origine shi’ite et son développement jusque dans le sunnisme voir
Goldziher I., Die Richtungen der islamischen Koranauslegung, op. cit., p. 55-57 et 263 sq. ; Birkeland H., Old Muslim opposition against interpretation of the Koran, Oslo, I
kommisjon hos J. Dybwad, 1955, 42 p. passim ; Nwyia P., Exégèse coranique et langage mystique, op. cit., p. 60-74, 110 sqq. (Le rôle de la théorie de « la polysémie » – wuğūh – et
des « concordances » (naz ̣ā’ir) du shi’ite Muqātil) ; Rippin A., « The present status of Tafsīr studies », Muslim World 42 (1982), p. 224-38, surtout p. 226-28 ; Gilliot C., « Les sept
“Lectures”. Corps social et Écriture révélée », SI 61 (1985), p. 5-25 et 63 (1986), p. 49-62, surtout la partie II ; Id., Exégèse, langue et théologie en islam, op. cit., tout le chapitre 5.
52. Birkeland H., Old Muslim opposition against interpretation of the Koran, op. cit., passim ; P. Nwyia, Exégèse coranique et langage mystique, op. cit., p. 317 sqq., 370-
72 ; Gilliot C., Exégèse, langue et théologie en islam, op. cit., p. 80 sq., 90, 186, 227-28 et 277-78. On peut se demander selon quels mécanismes le pouvoir califal, surtout omeyyade
mais aussi dans une certaine mesure abbasside, a soutenu le littéralisme (plus facilement contrôlable il est vrai) et combattu l’herméneutique qui cherche à dépasser la littéralité de la
langue et s’avère donc difficilement maîtrisable par le pouvoir politique. C’est un immense sujet de recherche en soi. À cet égard, Claude Gilliot, dans l’étude qui vient d’être citée,
propose des réflexions documentées importantes ainsi que des pistes de recherches fort pertinentes. Il souligne notamment (op. cit., p. 111-133 à travers une analyse fine des notions
de h ̣add et de mutṭ alaʿ),
̣ comme l’avait signalé avant lui Paul Nwyia (Exégèse coranique et langage mystique, op. cit., p. 67 sqq.), l’appauvrissement progressif de l’exégèse sunnite
non-mystique à partir du IVe/Xe siècle comme une conséquence directe de l’intrusion du politique dans le religieux.
53. Cf. Goldziher I., Muhammedanische Studien, op. cit., 2 : 115 (trad. Bercher, op. cit., p. 139).
54. Encyclopedia Judaica, vol. IV, Jérusalem, Keter Publishing House, p. 889-891 ; Gertner M., « Terms of Scriptural Interpretation : a Study on Hebrew Semantics »,
BSOAS, 25 (1962), p. 1-27 ; R. M. Gant, L’interprétation de la Bible des origines chrétiennes à nos jours, Paris, Seuil, 1967, p. 101-2. Voir aussi de nombreuses contributions (par ex.
celles de J. Pépin, A. Kerrigan, R. Loewe, etc.) dans le volume Second International Conference on Patristic Studies. Oxford 1955, Berlin, Akademie-Verlag, 1957, X + 700, VIII
+ 560 p. Sur le parallélisme entre ces courants et les traditions exégétiques en islam voir van Ess J., Die Gedankenwelt des h ̣ārit al-Muh ̣āsibī, Bonn, 1961, p. 210 sqq. ;
Wansbrough J., QS, op. cit., p. 243-44.
55. Sharon M., « Ahl al-Bayt – People of the House », op. cit., p. 173 ; Gil. M., « The Exilarchate » in Frank D. (éd.), The Jews of Medieval Islam. Community, Society and
Identity. Proceedings of the International Conference held by the Institute of Jewish Studies (London 1992), Leiden, Brill, 1995, p. 63-64 ; Amir-Moezzi M. A., « Fātema,
̣ daughter of
the Prophet », Encyclopaedia Iranica, vol. IX, New York, Encyclopaedia Iranica, p. 400-404, passim ; Id., « Considérations sur l’expression dīn ʿAlī », Mayence, Deutsche
morgenländische Gesellschaft, 2000, p. 60-61.
56. Surtout les versets 1, 15 ou Jean le Baptiste dit au sujet de Jésus : « Avant moi, il était », ou encore 8, 58 où Jésus lui-même déclare : « En vérité, en vérité, je vous le dis,
avant qu’Abraham existât, je fus (littéralement : “je suis”) ».
57. Voir les références indiquées dans les notes 43 à 45. Voir aussi Goldziher I., « Neuplatonische und gnostische Elemente im h ̣adīt », Zeitschrift für Assyriologie 22 (1909),
p. 317-344 ; sur le rôle décisif de différentes versions du Tafsīr mystique attribué à l’imam Ǧaʿfar al-Ṣādiq et l’accueil des thèmes gnostiques et néoplatoniciens dans les milieux
shi’ites grâce à cette source, voir Nwyia P., Exégèse coranique et langage mystique, p. 156-207 et plus particulièrement 161-168. Sur les différents aspects de l’imamologie shi’ite
ancienne voir Amir-Moezzi M. A., Guide divin, op. cit., passim et la série des articles consacrés aux « Aspects de l’imamologie duodécimaine » réunis maintenant dans La Religion
discrète, op. cit., chapitres 3 et puis 5 à 14.
Le Coran des pierres : statistiques
épigraphiques et premières analyses
Frédéric Imbert
Il y a quelques années, nous avons entrepris une recherche sur les
graffiti arabes1, une recherche longue et passionnante dont nous pressentons
qu’elle pourra intéresser non seulement les épigraphistes, mais aussi les
historiens, sociologues des religions ou linguistes travaillant sur les deux
premiers siècles de l’Hégire dans le contexte d’émergence de l’islam. En
effet, en 1998, nous avions posé les premiers jalons d’une réflexion se
fondant sur l’analyse des graffiti de Jordanie, réflexion à travers laquelle
nous devinions la matière d’une orientation nouvelle en épigraphie arabe.
Lors de cette première phase d’étude, nous avions limité notre approche à
un nombre restreint de graffiti que nous avions analysés très globalement.
La finalité était alors de montrer l’importance et la nécessité de mêler
d’avantage l’épigraphie aux études sur le Coran, ces dernières ne devant
plus se satisfaire des seuls travaux fondés sur la critique textuelle,
religieuse, littéraire ou historique visant à mieux cerner le statut de
l’écriture coranique. Le Coran, s’il demeure le fondement de la croyance
des musulmans dans leur ensemble, n’en demeure pas moins un texte
s’inscrivant dans un moment de l’histoire et en un lieu géographique connu
des hommes : selon la tradition arabo-musulmane, il fut l’objet d’une
révélation divine durant le premier quart du VIIe siècle de notre ère en
Arabie occidentale. Cependant, il peut être soumis à une analyse visant à
reconstituer les grandes étapes de son élaboration matérielle sans que celle-
ci doive obligatoirement s’appuyer sur les sources historiographiques et
hagiographiques islamiques dont on sait qu’elles sont tardives par rapport
aux événements. Elles s’inscrivent par ailleurs dans une logique
d’élaboration d’une histoire sainte, éternellement consensuelle. Toutefois,
l’apparente unité du texte, par-delà le message qu’il colporte, n’est visible
qu’au travers du Coran dans son format de livre (le musḥ ̣af). Le lecteur,
quant à lui, est souvent frappé par la déconstruction formelle issue du
reclassement initial des sourates. De fait, le Coran s’apparente à un corpus
constitué d’éléments venus l’enrichir graduellement et il peut aussi, au titre
de la matérialité, s’étudier sur le terrain : sur les murs des monuments
antiques ou arabes, sur les rochers le long des pistes, dans les steppes où les
Arabes apposèrent librement des inscriptions. Ces travaux de terrain, de
longues prospections visant à rassembler les graffiti dits « coraniques »,
permettent de rappeler que le Coran n’est pas un corpus fermé et qu’au-delà
de sa forme de prédilection – le livre – il peut être aussi voix (la psalmodie),
art (la calligraphie) et donc pierre ! Ainsi, les graffiti gravés sur des rochers,
des parois montagneuses ou monumentales, sont des textes libres et privés,
laissés par des Arabes anonymes et jamais passés au crible de la censure
linguistique, politique ou religieuse. Quelques chiffres sur la datation des
graffiti permettent de mesurer l’ampleur du corpus : si nous prenons les cent
premières années de l’Hégire (entre 1/622 et 100/719) en nous basant
strictement sur les seuls 33 textes épigraphiques datés sur la pierre2, nous
constatons que 24 sont des graffiti, soit 73 %. Ces textes représentent pour
le chercheur épigraphiste une source d’information exceptionnelle
spécialement lorsqu’ils proviennent de l’Arabie ou du Proche-Orient et
qu’ils datent des Ier/VIIe et IIe/VIIIe siècles : des matériaux bruts, de
première main, manifestations lapidaires d’une pensée ancienne, fragments
d’une mémoire arabe fossilisée.
Présentation du corpus
On comprendra aisément l’importance que la graffitologie revêt dans le
cadre des études portant spécifiquement sur le Coran historique. Les textes
qui forment notre corpus de travail sont issus de prospections effectuées en
Jordanie et en Syrie, mais également de nombreux articles et monographies
citant des graffiti en dehors des zones que nous avons prospectées (Arabie,
Égypte, Irak, Liban), le but étant de révéler une collection thématique
transversale et proche-orientale. Le corpus qui sert de fondement à cette
recherche est en cours d’élaboration : il intégrera, à terme, les graffiti les
plus représentatifs de chaque genre, retenus selon des critères d’abord
chronologiques : ils sont antérieurs à 150/750, à savoir les périodes qui
selon la chronologie traditionnelle couvrent les débuts de l’islam, la période
des premiers califes, les Omeyyades et le début de la dynastie abbasside. La
longueur et l’originalité du texte sont le second critère pris en
considération : certaines courtes invocations se répétant des centaines de
fois trouvent peu de place dans le corpus3. Bien sûr, les invocations ou
péricopes originales (texte religieux constituant une unité de sens), ainsi que
les versets coraniques sont systématiquement retenus ; il en va de même des
graffiti impliquant des faits de langues notables et ceux qui sont
paléographiquement remarquables.
En termes géographiques, l’analyse en cours montre que les graffiti se
répartissent clairement entre Palmyre (Syrie) et Najran (sud de l’Arabie
Saoudite), selon un axe nord-sud traversant le Hedjaz en direction du
Yémen. Au nord de l’Arabie, en Syrie et Jordanie, les sites ayant livré des
graffiti se comptent plutôt dans les zones steppiques et basaltiques à l’est de
la limite des terres cultivables. Ils sont nombreux le long d’axes secondaires
reliant Damas au Wadi Sirh ̣ān vers Arabie centrale en traversant les h ̣ārra
(déserts de basalte4). Plus à l’ouest, le Liban et le nord de la Palestine
s’avèrent assez pauvres en graffiti, ce qui n’est pas le cas du Néguev et du
Sinaï dont la densité graffitologique est plutôt riche5. De part et d’autre de
cet ensemble central, l’Égypte et l’Irak ont été assez peu prospectés. La
terre des graffiti s’étend plus au sud, en Arabie. Les sites où furent relevés
les textes les plus remarquables s’agglutinent le long des anciennes routes
commerciales de l’Arabie antique devenues, après l’avènement de l’islam,
les routes du pèlerinage. Dans le nord, l’activité épigraphique s’est
développée autour des cités de Tabûk et de Madā’in S ̣ālih ̣, non loin des
routes syrienne et égyptienne menant aux Lieux saints. Ils se concentrent
bien évidemment autour des villes de Médine, La Mecque et Ṭā’if
jusqu’aux alentours de Najran. À l’intérieur de l’Arabie, des collectes ont
été effectuées le long de la route du Darb Zubayda entre La Mecque et Kūfa
en Irak6. Au Yémen, dans l’Ḥad ̣ramawt et en Oman, ainsi que sur la côte du
Golfe Persique aucun graffito ancien d’époque musulmane n’a encore été
trouvé.
Questions de chronologie
Afin de mieux visualiser l’avancée de cette analyse, nous avons
présenté nos différents extraits en frises horizontales de 114 cases (une par
sourate), en grisant celles pour lesquelles nous possédons une attestation de
verset. Dans la configuration du classement traditionnel de l’édition
ʿuṯmānienne le résultat est assez diffus :
Or, nous savons que la tradition dont al-Azhar se veut le reflet place ces
deux sourates emblématiques plutôt en début de révélation. R. Blachère et
T. Nöldeke s’accordent pour les replacer en milieu de révélation (entre les
44e et 48e places). Chez ces mêmes orientalistes, c’est plutôt al-Šams qui
reste curieusement en arrière ; aucune des trois sources ne s’accorde
d’ailleurs sur un emplacement identique de cette sourate. Al-Azhar la place
en 26e position, Nöldeke en 6e et Blachère en 7e.
Classement Nöldeke
Classement Blachère
Ainsi, une brève mention des Ṯamūd citée dans un graffito des environs
d’al-ʿUlā (Arabie, Ier siècle) serait la seule attestation épigraphique connue
du Coran dit « ancien ». Dans le texte, Dieu n’est nommé que comme étant
celui qu’ont nié les Ṯamūd (āmantu bi-mā kaḏḏabat bi-hi Ṯamūd/j’ai cru en
ce qu’ont nié les Ṯamūd). Cette mention ancre l’islam primitif dans la
tradition arabique proprement locale : domiciliés à al-Ḥiǧr (Hegra, Madā’in
S ̣ālih ̣ « les cités de S ̣ālih ̣ »), les Ṯamūd font partie, avec les ʿᾹd, des tribus
exterminées du fait de leur impiété. Suite à leur « dénégation » (kaḏḏaba
cité dans le graffito), ils connurent un châtiment divin exemplaire.
L’intervention du Dieu de l’islam dans une tradition locale très ancienne
semble assez évidente9.
Vient ensuite selon le classement de Blachère, par ordre d’ancienneté, la
sourate al-Wāqiʿa, classée plus tardivement chez Nöldeke. L’extrait
épigraphique provient du Wadi al-ʿAsīla, près de La Mecque et daterait du
Ier siècle. Il s’agit d’une longue description du Paradis et de ses hôtes10.
Toujours chez Blachère comme chez Nöldeke, la sourate al-Naba’ arrive
derrière : l’extrait de cette sourate, trouvé en Arabie, est une simple allusion
à la divinité qualifiée de rabb al-samāwāt wa l-ard ̣ wa mā bayna-humā (le
Seigneur des cieux et de la terre et de ce qui se trouve entre eux). Ce verset
est toutefois sujet à caution en ce qui concerne son emplacement dans la
sourate11.
Chaque graffito, sur la base de ces critères, fait l’objet d’une analyse
détaillée. En ce qui concerne spécifiquement notre étude sur le Coran dans
les graffiti, elle consiste, dans un premier temps, à isoler l’ensemble des
références directes ou indirectes au texte tel qu’il est actuellement connu.
Les extraits relevés sur la pierre sont confrontés à la vulgate puis analysés à
plusieurs niveaux. Une classification entre les extraits coraniques et les
versets entiers est effectuée. Avant même de s’intéresser au contenu, le
simple positionnement du verset (ou de l’extrait) au sein du graffito nous
livre de précieuses informations selon qu’il se trouve en début ou en fin de
formulaire ou, plus rarement, s’il se trouve gravé isolément. La présence de
la formule de la basmala sous sa forme entière (bismi Llāh al-rah ̣mān al-
rah ̣īm) ou tronquée (bismi Llāh) intéresse également notre analyse.
La nature des textes que nous découvrons petit à petit est parfois
surprenante et relève d’une épigraphie de tous les possibles. Il est bien
évident que les résultats auxquels nous sommes parvenus demandent encore
à être confortés à la lumière de nouvelles analyses et de nouveaux textes
épigraphiques. Il est cependant illusoire de penser obtenir un jour un Coran
complet sorti des graffiti dans la mesure où celui-ci ne serait alors composé
que de multiples fragments d’origines et d’époques disparates. Jamais le
Coran des pierres ne pourra refléter le Coran de la tradition ; c’est la raison
pour laquelle il va falloir s’autoriser beaucoup de souplesse avec le texte de
la vulgate afin qu’il ne se pose pas comme une barrière infranchissable pour
notre analyse.
La découverte dans des graffiti d’un Coran passablement différent,
même si cette idée heurte frontalement certains fondements de la tradition
islamique, ne doit pas être l’occasion de tomber dans de vieilles polémiques
ou controverses doctrinales que l’on pensait closes. On peut imaginer qu’il
n’aurait pas déplu aux théologiens muʿtazilites du IXe siècle de relancer,
dans une nouvelle dimension, le débat autour du Coran créé ou incréé…
Quoique nous ayons plutôt tendance à penser que ces études épigraphiques
nous donnent l’opportunité de redécouvrir le Coran en enrichissant son
histoire de problématiques nouvelles et dynamiques. La richesse ne naît-elle
pas de la pluralité ? Rappelons simplement, en guise de conclusion, que les
graffiti dont il est question dans cette étude font partie intégrante du
patrimoine littéraire, culturel et religieux des Arabes, sans doute le plus
ancien livre – kitāb – écrit par eux-mêmes, un livre où ils s’ouvrent à nous
de l’intimité de leur foi, de leur croyance et de leur Coran. Comment
pourrions-nous, maintenant, ignorer ces confessions ?
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1. Imbert F., « Le Coran dans les graffiti des deux premiers siècles de l’Hégire », Arabica, 47 (2000), p. 381-390.
3. Les invocations incluant des demandes de pardon ou de miséricorde sur le modèle Allāhumma -ġfir, (ô Dieu, pardonne à…) ne sont intégrées qu’une fois par site, bien
qu’elles se répètent des dizaines voire des centaines de fois.
4. Les prospections ont été menées sur le terrain depuis 1986 en Jordanie et plus récemment en Syrie. Parmi les sites prospectés où furent relevés des graffiti : Jérash, Qas ̣r
al-Ḫarrāna, Qus ̣ayr ʿAmra, Qas ̣r al-Ḥallābāt, Qas ̣r Burquʿ, al-Azraq, al-Mafraq, Qāʿ Šubayka, al-Ruwayšid, Ǧāwā, Wadi al-ʿAbd, Wadi Salmā, Petra, Wadi Ram, etc. En Syrie :
principalement Palmyre, la vallée de l’Euphrate, Rus ̣āfa/Sergiopolis, Ǧabal Usays, Bus ̣rā.
5. Sites de Sede Boqer, Ein Avdat, Hamat Gader, Eilat, Wadi l-Ḥuǧǧāǧ, etc.
6. Sites d’al-Wujayriyya, Qāʿ Banī Murr, Qāʿ al-Mu‘tadil, Bidā (nord), al-Ǧubba, al-Ḥā’il, Ǧabal al-Ḥuwayd al-Ḥanākiyya, (centre), Wadi al-As ̣īla, al-Muʿays ̣am, Wadi
Ḥurumān (La Mecque), Sadd ʿIkrima, Sadd Ṯamaqqalī, Saysad (Ṭā’if), Wadi Ḫušayba, Ǧabal ‘Arāyir (Naǧrān), etc.
7. Nevo, Y., Koren, J., Crossroads to Islam, The Origins of the Arab Religion and the Arab State, NY, Prometheus books, 20032, p. 408, n° BR 5131 (32).
8. Imbert F., « L’Islam des pierres », REMMM, op. cit. ; cf. également Kilābī (al-), Ḥayāt, al-Ᾱṯār al-islāmiyya bi-baldat Bidā.
9. Chabbi J., Le Coran décrypté, Figures bibliques en Arabie, Paris, Fayard, 2008, p. 125-135.
10. Rāšid (al-) S., Kitābāt islāmiyya min Makka, 1995, p. 164-65. Il s’agit de Coran, Wāqiʿa, 56, 27-39. Toutefois, l’ordre des versets est différent de celui de la vulgate.
11. Blachère R., Le Coran (traduction), Paris, Maisonneuve et Larose, 1999, p. 633, n. 37. Le texte est donné par Rāšid (al-) S., Kitābāt ġayr manšūra min Ruwāwa, 1993,
p. 45, n° 21.
12. Sauvaget J., « Les ruines omeyyades de Djebel Seis », Syria 20 (1939), p. 239-256
13. Larcher P., « In search of a standard : dialect variation and New Arabic features in the oldest Arabic written documents », The Development of Arabic as a Written
Language, Seminar for Arabian Studies, Oxford 40 (2010), p. 103-112.
14. ʿUšš (al-) A. F., « Kitābāt ġayr manšūra fī Ǧabal Usays », Abh ̣āṯ, 17 (1964), p. 227-316. L’auteur a comptabilisé 17 textes qui ne sont en fait que des bribes d’écriture
illisibles ou des ratés de gravure.
15. À titre de comparaison, le site jordanien de Ǧāwā, distant de 110 kilomètres au sud du Ǧabal Usays, où furent trouvés de nombreux graffiti, ne livre que très peu de
versets et aucun isolat. Cf. Barāmkī, D., « al-Nuqūš al-ʿarabiyya fī l-bādiya al-sūriyya », Abh ̣āṯ, 17 (1964), p. 317-346.
19. Blachère R., Le Coran [traduit de l’arabe], p. 429. Cf. notamment les deux lectures qu’il propose aux voix active et passive et sa réflexion sur le découpage des versets.
20. Coran, Maryam, 19, 30-31. Le même verset inachevé est gravé une seconde fois à Usays. ʿUšš, « Kitābāt », p. 260-61 et 288.
21. La christianisation des tribus arabes de Syrie débuta dès le Ve siècle de notre ère. Ces tribus fédérées assurèrent la défense des frontières romaines pour le compte des
Byzantins. Des contingents auxiliaires mobiles, comme les Ghassanides venus d’Arabie, s’installèrent en territoire romain en échange de leur conversion au christianisme. Cf.
L’Arabie chrétienne, Archéologie et sciences des origines, n° 309, décembre 2005-janvier 2006. Robin, C., « La réforme de l’écriture arabe à l’époque du califat médinois », p. 330-
332.
22. Quelques éléments paléographiques nous incitent à dater cette écriture du VIIe siècle de l’ère chrétienne. La fourchette large englobe donc la partie du siècle antérieure à
la date de l’Hégire (1/622) : absence totale de diacritisme, absence du alif pour marquer la voyelle longue [ā] (mot at(ā)-nī et kit(ā)b), alif avec départ orthogonal, dāl et kāf
quadrangulaires, ʿayn médian en forme de [v] et enfin yā’ final se développant sous la ligne de base vers la droite.
24. Blachère R., Le Coran [Traduction], p. 333. Aldeeb Abu Salieh, S., Le Coran (ordre chronologique selon l’Azhar), p. 126.
25. Coran, Fath ̣, 48, 28. Rosen-Ayalon, M., The Early Arab Period in the Negev, p. 11, n° 5131.
26. Il s’agit également de la plus ancienne mention connue du terme sunna. Cf. RCEA, vol. I n° 38 ; Nevo Y., Crossroads to Islam, op. cit., p. 352, 420.
29. Prémare A.-L. de, Les fondations de l’Islam, p. 312. Cf. également Aux origines du Coran, p. 38.
30. W. Ǧalīl : Coran, Taġābun, 64, 1 dans Grohmann, A., Arabic Inscriptions, p. 96 n° Z 155 ; Ḍaylaʿ al-Nīs ̣ : Coran, Baqara, 2, 137 dans Rāšid (al-), S., Darb Zubayda,
tarīq
̣ al-Ḥaǧǧ min al-Kūfa ilā Makka al-Mukarrama, p. 402.
31. Donner F. M., « Some Early Arabic Inscriptions from Al-Hanâkiyya, Saudi Arabia », n° W1, p. 1, p. 184-85, fig. 1.
33. Le bloc est visible sur le site Muntadā al-qabā’il al-ʿarabiyya, http://www.moltaqa1.com [2013].
38. Coran, Qāf, 50, 41. Cf. Imbert F., « Le Coran dans les graffiti des deux premiers siècles de l’Hégire », op. cit., p. 389.
39. Nevo Y., Crossroads to Islam, op. cit., p. 399, n° MA 4339 (22).
40. Graffito de Ein Avdat en Palestine, au sud de Beer Sheva. À noter l’oubli du tanwīn [an] du cas direct indéterminé sur le mot s ̣irāt.̣ Cf. Rosen-Ayalon M., Arabicarum
Palestinae, vol. III, Leiden, The Early Arab Period in the Negev, Negev Archaeological Project Early Arab Periods, Jerusalem, Hebrew University of Jerusalem, 1992, p. 6, n° 305 ;
Sharon, M., Corpus, vol. III, p. 179, pl. 53.
43. Ḥisān (al-) A., « Muḫtārāt min al-nuqūš fi l-Mafraq wa Maʿān », n° 5, p. 29.
45. Al-Rah ̣mān serait l’un des candidats sérieux au titre de « nom suprême de Dieu ». Cf. Gimaret D., Les noms divins en Islam, Paris, Cerf, p. 92, 375-76.
46. Rodinson M., Mahomet, Paris, Seuil, 1961, p. 92 ; Robin C., « Du paganisme au monothéisme » dans Robin C., « L’Arabie antique de Karib’il à Mahomet », REMMM,
61 (1991), p. 139-155 ; Prémare A.-L. de, Aux origines du Coran Question d’hier, approches d’aujourd’hui, Paris, Teraèdre, 2006, p. 38.
47. Blachère R., Le Coran, Paris, Maisonneuve et Larose, p. 79. Sur les qirā’āt en général, cf. Blachère, Introduction au Coran, Paris, Maisonneuve et Larose, p. 103-135 ;
Prémare A.-L. de, Aux origines du Coran, op. cit. p. 12, 27.
LE CONTEXTE D’ÉMERGENCE
Le Coran, texte de l’Antiquité tardive
Angelika Neuwirth (Traduction
par Sabrina Mervin et Mehdi Azaiez)
Conclusion
L’idée qui sous-tend mes propos est absente de la tradition islamique.
La sīra s’intéresse peu aux débats avec des communautés plus anciennes et
elle les admet encore moins comme inspiratrices des textes coraniques.
Personne ne lirait la sourate al-Iḫlas ou la sourate al-Rah ̣man à la lumière
de leurs intertextes préislamiques. Mais pourquoi pas ? Cette libération
intellectuelle des contraintes téléologiques suggérée par Kassir n’est
toutefois qu’une partie de la révision requise.
L’auto-exclusion proche-orientale de l’histoire européenne va de pair
avec l’exclusion occidentale du Coran, tout aussi déterminée. Ce constat
s’oppose d’ailleurs à l’enseignement de l’histoire des religions qui, selon
l’heuristique normale, admettrait que la genèse des écritures saintes se
déroule dans le processus d’une interaction commune. Au lieu de cela, le
regard occidental sur le Coran peut se résumer à la notion éminemment
politique que le Coran est un texte fondamentalement étranger à la culture
européenne alors que d’autres écrits de la même zone géographique
s’inscrivant dans la même tradition – en particulier les littératures biblique
et postbiblique – sont admis comme documents fondateurs de l’identité
européenne.
Enfin, à une époque où la mondialisation omniprésente conduit à de
fertiles carrefours et dialogues culturels dans l’art, la littérature et la
musique (sans parler de la sphère économique), il est curieux de constater
combien les études arabes entreprises en Occident et en Orient sont menées
dans une mutuelle ignorance l’une de l’autre. Les étudiants de part et
d’autre de ces deux mondes académiques n’aurait-il rien à offrir l’un à
l’autre ? L’idée d’une collaboration à laquelle chaque tradition académique
apporterait son expertise serait-elle donc impensable ?
Notre projet plaide pour une lecture du Coran comme une partie de
l’héritage commun entre le Proche-Orient et l’Europe. S’associant à l’appel
des chercheurs et intellectuels du Proche-Orient, nous regardons notre
projet tout au moins comme une contribution à la critique culturelle, et une
réflexion renouvelée des lignes de démarcation qui tendent, encore
aujourd’hui, à polariser ces deux cultures historiquement inséparables que
sont le Proche-Orient et l’Europe.
C’est bien la tâche des études orientales que de développer une
philologie originale, une philologie politiquement engagée pour ainsi dire,
qui non seulement aurait pour objectif de palier au retard des études
occidentales sur le Coran mais qui rejoindrait également des intellectuels
proche-orientaux dans leur souhait de repenser les frontières entre les
cultures proche-orientale et européenne.
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2. Paraphrase d’une section d’al-Ǧāh ̣iz, Kitāb ḫalq al-qur’ān, déjà discutée par Charles Pellat, Arabische Geisteswelt, dargestellt auf Grund der Schriften von al-Gahiz, 777-
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3. Cf. Montgomery J. E., « The Empty Ḥijāz », dans Montgomery J. E. (ed.), Arabic Theology, Arabic Philosophy, From the Many to the One : Essays in Celebration of
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6. Boyarin D., « The Talmud as a fat Rabbi. A novel approach », Text and Talk, 28-5 (2008), p. 603-619.
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9. Voir pour Geiger et la Wissenschaft des Judentums : Hartwig D., Homolka W., Marx M. et Neuwirth A. (eds.), « Im vollen Licht der Geschichte », op. cit., Würzburg,
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10. Geiger A., Was hat Mohammed aus dem Judenthume aufgenommen ?, Bonn, F. Baaden, 1833, 2005².
11. Fück J., « Die Originalität des arabischen Propheten », ZDMG, 90 (1936), p. 509-525.
12. Wansbrough J., Qur’anic Studies. Sources and Methods of Scriptural Interpretation, Oxford University Press, 1977.
13. Radtke A., Offenbarung zwischen Gesetz und Geschichte, Wiesbaden. Harrassowitz 2003, p. 17-38. Sinai N., Neuwirth A., « Introduction » dans Neuwirth A., Sinai N.
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14. Nöldeke T., Geschichte des Qorans, GdQ1, Göttingen, 1860, zweite erweiterte Ausgabe, bearbeitet von Friedrich Schwally, Leipzig, Dieterich, T. Weicher, 1909. Reprint
Hildesheim et New York 1961, cf. Neuwirth A., Der Koran als Text der Spätantike. Ein europäischer Zugang, Berlin, Verlag der weltreligionen, 2010.
15. Neuwirth A., “Qur’anic readings of the Psalms”, dans Angelika Neuwirth, Nicolai S., Michael M. (eds.), The Qur’ān in Context, op. cit., p. 733-778.
16. Cf. Becker A., Fear of God and the beginning of wisdom : the School of Nisibis and Christian scholastic culture in late antique Mesopotamia, Philadelphia, University
of Pennsylvania Press, 2006.
17. Ambros A., « Die Analyse von Sure 112. Kritiken, Synthesen, neue Ansätze », Isl 63 (1986), p. 219-247.
18. Rifatterre M., Semiotics of Poetry, Bloomington/London, Indiana University Press, 1978, p. 92.
tab008
19. Kassir S., Considérations sur le Malheur arabe, Paris, Actes Sud/Sindbad, 2004, p. 44.
Le Coran avant le Coran. Quelques
réflexions sur le syncrétisme religieux
en Arabie centrale
Claude Gilliot
INTRODUCTION
Des passages entiers du lectionnaire arabe appelé al-qur’ān
apparaissent comme des interprétations (dans le double sens de traduction
ou adaptation, et de commentaire1), d’écritures ou de traditions orales qui
lui sont antérieures.
Depuis au moins deux décennies quelques spécialistes considèrent le
Coran comme une production littéraire de l’antiquité tardive, ce qui inclut
les œuvres du début du christianisme et de la période patristique2. En effet,
la péninsule Arabique avant l’islam n’était pas à l’écart des principaux
courants de la culture et de la religion du monde de l’époque. Cela appert
notamment dans la continuité frappante qui existe entre les sources du
Coran3 concernant Jésus, Marie, les chrétiens et autres sujets afférents,
d’une part, et les sources des premiers anciens exégètes musulmans, d’autre
part, comme nous l’avons montré récemment4. À l’époque des premières
prédications de Mahomet (mais bien avant déjà), l’on disposait de
matériaux sur la materia christiana issus de l’antiquité tardive. Ces sources
pouvaient être directes ou indirectes, écrites et orales, ou encore écrites ou
orales : Diatessaron, peshitta/peshittô (mappaqtâ pšittâ, i. e. la version
« simple », « commune », « vulgate », arabe : al-basīta), ̣ évangiles
apocryphes ou plus généralement apocryphes juifs et chrétiens.
Le spécialiste des premières littératures chrétiennes, John Bowman
(1916-20065), a attiré l’attention sur l’existence de monophysites à Najran
au nord du Yémen (les martyrs de Najran sous le roi judaïsant de Ḥimyar,
Ḏū Nuwās, ca. 520) et parmi les confédérations arabes, e.g. les
Ghassanides, ou encore les Lakhmides dont la capitale du royaume était
Ḥīra6. Pour lui, la prophétologie du Coran et son contenu biblique
pourraient s’expliquer par le fait que Mahomet était en contact avec des
Jacobites (monophysites), chez lesquels le Diatessaron7 de Tatien (m. 170)
était en usage, considéré qu’il était comme le texte normal des évangiles.
Utilisant ces sources, y compris aussi des passages des évangiles dits
apocryphes, Mahomet et ceux qui l’ont aidé (ses informateurs8 ou
collaborateurs) auraient ainsi constitué leur propre lectionnaire (qur’ān, mot
emprunté au syriaque qəryānā, lectionnaire9), pour leurs besoins, peut-être
même dans le cadre de liturgies. À ce propos, J. van Reeth parle de
« communauté sectaire, proche du monophysisme syrien radical et du
manichéisme, et qui attendait la parousie dans un avenir immédiat10 ». En
effet, « […] la possibilité n’est pas à écarter que le Coran ait été établi à
l’intérieur d’un groupe dont Mahomet aurait été le parangon11 ».
Parler d’antiquité tardive, c’est renvoyer à un milieu et à une époque de
syncrétisme culturel et religieux12. De ce point de vue, l’islam avait été
précédé par une religion missionnaire, tout comme il le devint lui-même, le
manichéisme, « qui comme religion absolument syncrétiste, avait été rendu
possible sur la base du syncrétisme de l’antiquité13 ». Et puisqu’il sera
question ici, entre autres, du christianisme et des chrétiens dans le Coran, il
ne faut pas voir le christianisme des régions dans lesquelles est né le Coran
et dans le Proche-Orient avec les yeux d’un chrétien moderne ou
contemporain. Les querelles christologiques ont eu un profond
retentissement dans cet univers, et l’on peut en déceler maints échos dans le
Coran. D’ailleurs, ce dernier ne parle pas des chrétiens, mais des
« Nazaréens » (al-Nasārā),̣ une mouvance judéo-chrétienne oubliée au fil
des siècles, mais toujours présente dans l’espace moyen-oriental à cette
époque. Saint Jean Damascène (ob. ante 75414) dont le père fut au service du
calife omeyyade de Damas, à la fin de son livre sur les hérésies, ne parle
pas de l’islam ou des musulmans, mais des Ismaélites, qu’il considère la
centième et dernière hérésie chrétienne15. Pour certains, non seulement le
Coran fait référence aux querelles christologiques16, mais il appartiendrait à
l’origine à une mouvance de chrétiens restés prénicéens, c’est-à-dire des
chrétiens qui n’ont pas accepté le dogme de La Trinité défini au concile de
Nicée (325).
L’interférence des trois religions, judaïsme, christianisme et islam, se
manifeste en particulier dans un groupe qui a son origine dans le judéo-
christianisme palestinien, et ce groupe joue un rôle dans l’apparition de
l’islam (il ne s’agit pas de l’ensemble du judéo-christianisme). On pourra
penser à ceux que Paul (Gal 2, 4) appelle les « faux frères17 », plus attachés
que d’autres au judaïsme (circoncision et Loi ; Jérusalem et une grande
partie de la communauté d’Antioche). Cela est donc un point de départ
lointain pour ce qui est du Coran qui est très orienté sur la Loi.
Mais on a remarqué aussi que la forme de christianisme qui était connue
des Arabes (au sens large du terme) et pratiquée par certains d’entre eux
était largement de type syriaque ou syrien, que ce soit jacobite ou
nestorien18. On s’est demandé aussi si la communauté à laquelle Mahomet
se référait n’aurait pas pu être proche du mouvement elkasaïte19 ou
manichéen20. Pour ce qui est du manichéisme, le grand théologien luthérien
et historien des débuts du christianisme Adolph von Harnack (1851-1930)
avait écrit son mémoire de licence (1874) à l’université de Leipzig sur le
sujet suivant : Muhamedanismum rectius quam manichaeismum sectam
Christianam esse dixeris (Le mahométanisme considéré secte chrétienne
plutôt que manichéisme21), se montrant ainsi, à notre avis, avec raison,
sensible à cette double influence que l’on trouve surtout dans le Coran
mecquois.
Les vrais chrétiens sont ceux qui sont restés muslimūn ou le deviennent
Nous nous arrêterons d’abord à un thème central de cette exégèse, à
savoir la représentation musulmane selon laquelle ceux qui sont restés
fidèles au message initial (non « falsifié » de Jésus61) sont les
« musulmans », non seulement ceux qui sont devenus « musulmans », mais
ceux qui sont restés muslimūn (jusqu’à la venue de Mahomet), c’est-à-dire
fidèles au soi-disant message de tous les prophètes.
Ainsi sur Q 28 : 52-55, dont nous ne citons qu’une partie62 : « Ceux
auxquels nous avions donné le livre avant lui croient en celui-ci […] nous
étions déjà soumis avant sa venue (innā kunnā min qablihi muslimīn) ».
Selon Muğāhid b. Ğabr al-Makkī (m. 104/inc. 27 juin 722), ces gens étaient
« les musulmans (al-maslama) parmi les gens du Livre63 » ; ou encore, selon
al-Ḍah ̣h ̣āk b. Muzāh ̣im al-Hilālī al-Ḫurāsānī al-Balḫī (m. 105/inc. 10 juin
723) : « Des gens parmi les gens du Livre qui croyaient à la Torah et à
l’Évangile. Puis ils rencontrèrent Muh ̣ammad et crurent en lui ». Parfois des
noms sont donnés.
Certes, ces soi-disant « occasions de la révélation » (asbāb al-nuzūl)
sont destinées à combler les vides du Coran et à nommer ce ou ceux qu’il
ne nomme pas (taʿyīn al-mubham), mais elles contiennent aussi des
éléments de mémoire culturelle, celle-là même qui est pour partie à la base
du Coran, tout au moins pour les périodes mecquoises, et qui en constitue
l’un des terreaux. Il en est ainsi des diverses versions de la légende de la
venue à l’islam de Salmān al-Fārisī, ici résumée d’après al-Suddī al-Kabīr
(ʿAbd al-Rah ̣mān b. a. Karīma al-Ḥiğāzī al-Kūfī, m. 127/746 ou 128) (ad Q
2, 62). Alors que ce dernier était en train de chasser avec un jeune noble de
Gundishapur, ils rencontrèrent un homme qui lisait un livre et qui pleurait
(caractéristique de l’ascétisme et du monachisme64). Il leur expliqua que
c’était là l’Évangile de Jésus. Ce qu’entendant, les deux jeunes gens se
soumirent à Dieu (aslamā). Salmān lui-même se joignit à une communauté
de moines et se distingua par la sévérité de ses pratiques ascétiques. Puis il
accompagna le supérieur de la communauté à Jérusalem, où il étudia. Mais
là il devint triste en se rendant compte que les miracles prophétiques étaient
des choses du passé. Mais le supérieur lui dit qu’un prophète allait bientôt
se manifester chez les Arabes. Il se rendit à Médine où il crut en Mahomet65.
Cet épisode est mis en relation avec Q 66 (Tah ̣rīm), 1-3, et l’un des
récits donné par les exégètes à ce sujet est le suivant d’après […] Ibn
Ish ̣āq/al-Zuhrī/ʿAbd Allāh b. ʿAbd Allāh/Ibn ʿAbbās, lequel se résolut à
interroger ʿUmar sur les « deux femmes ». ʿUmar répondit qu’il s’agissait
de ʿĀ’iša et de sa propre fille Ḥafsa.̣ Il s’agissait de l’affaire suivante :
Ḥafsạ avait raconté à son père ʿUmar qu’elle avait trouvé Mahomet
couchant (asābahā)
̣ avec Marie la Copte, mère de son fils Ibrāhīm, et ce
dans sa demeure à elle Ḥafsa,̣ sur sa propre couche (fī firāšī), de plus, alors
que c’était son tour (fī yawmī129) d’être honorée par Mahomet. Celui-ci lui
ordonna de n’en rien dire à personne, mais elle s’en confia à ʿĀ’iša130, ce
pour quoi Mahomet avait décidé de répudier Ḥafsạ !
Mais revenons à ladite première émigration en Éthiopie, dans la mesure
où en plus des récits connus, avec la liste de ceux qui en furent, nous
possédons celui, moins connu des chercheurs, du neveu de Aïcha, ʿUrwa b.
al-Zubayr al-Asadī (m. 93/711 ou 94/712131). Ce long récit rapporté par al-
Ṭabarānī (m. 360/971132) est dans la recension suivante : Ibn Lahīʿa
(m. 174/790)/Abū l-Aswad (M. b. ʿAr. b. Nawfal al-Asadī, Yatīm ʿUrwa,
m. 131/748, ou plus tard133)/ʿUrwa134. Il commence par une liste de onze
hommes et quatre femmes qui auraient émigré en Éthiopie avant Ğaʿfar :
(1) ʿUṯmān b. Maz ̣ʿūn, (2) ʿUtmān
̣ b. ʿAffān et son épouse Ruqayya, fille de
Mahomet, (3) ʿAbd Allāh b. Masʿūd (al-Huḏalī), confédéré (h ̣alīf) des banū
Zuhra, (4) ʿAbd al-Rah ̣mān, b. ʿAwf, (5) Abū Ḥuḏayfa b. ʿUtba b. Rabīʿa,
avec son épouse Sahla bint Suhayl b. ʿAmr, laquelle mit au monde
Muh ̣ammad b. a. Ḥuḏayfa en Éthiopie, (6) al-Zubayr b. al-ʿAwwām (père
de ʿUrwa), (7) Musʿab ̣ b. ʿUmayr affilié aux ʿAbd al-Dār, (8) ʿĀmir b.
Rabīʿa, (9) Abū Salama b. ʿAbd al-Asad avec son épouse Umm Salama,
(10) Abū Sabra b. a. Ruhm, avec Umm Kalṯum bint Suhayl b. ʿAmr, (11)
Suhayl b. Bayd ̣ā’.
On remarquera que la liste d’Ibn Ishāq comporte dix noms d’hommes,
soit les mêmes, sauf Ibn Masʿūd ; celle de Wāqidī, avec une double chaîne
de garants, comporte douze noms, soit les mêmes que ʿUrwa, avec en plus
̣ b. ʿAmr b. ʿAbd Šams. Des trois, seul ʿUrwa place Ibn Maz ̣ʿūn en
Ḥātib
tête de liste, avant ʿUṯmān b. ‘Affān, ce qui tendrait à corroborer l’assertion
faite par Ibn Hišām, selon qui Ibn Maz ̣ʿūn était à leur tête (amīruhum). Mais
selon al-Zuhrī, ils n’avaient pas de chef135.
ʿUrwa poursuit son récit en déclarant que ceux-là revinrent à
La Mecque lorsque fut révélée la sourate de l’Étoile avec l’épisode des
« versets sataniques » et que les Qoreïchites se prosternèrent alors, hormis
al-Walīd b. Muġira qui était trop vieux pour le faire. Lorsque Ibn Maz ̣ʿūn et
Ibn Masʿūd, et ceux qui étaient avec eux apprirent cela en Éthiopie, ils
revinrent en hâte à La Mecque. Entre-temps Mahomet était revenu sur les
paroles qu’il avait prononcées comme une révélation et avait désapprouvé
la prosternation des Qoreïchites à leur audition, et la situation des adeptes
de Mahomet devint intolérable. Les émigrés d’Éthiopie voulaient rentrer à
La Mecque, préoccupés qu’ils étaient du sort de leurs coreligionnaires, mais
ils ne pouvaient le faire qu’au péril de leur vie ou en étant sous la protection
(illā bi-ğiwārin) d’un Qoreïchite.
C’est alors qu’Ibn Maz ̣ʿūn occupe l’avant-scène dans le récit de ʿUrwa.
Il accepte d’abord la protection d’al-Walīd b. Muġira. « Puis, constatant
l’épreuve qu’enduraient Mahomet et ses compagnons, certains d’entre eux
subissant le châtiment du fouet et du feu, alors que ʿUṯmān (b. Maz ̣ʿūn), lui,
était sain et sauf, n’étant exposé à rien de tout cela, il rentra en lui-même (lā
yuʿrad ̣u lahu, rağaʿa ilā nafsihi), et il préféra l’épreuve au salut (al-
ʿāfiya) ». Il se dit que « ceux qui sont sous le pacte et la protection de Dieu
et de son Envoyé » doivent s’attendre à l’épreuve et à la détresse. Il
demanda donc à al-Walīd de lui retirer sa protection en présence du clan de
ce dernier. Ils se rendirent à la mosquée (sic). S’y trouvait, le poète Labīd b.
Rabīʿa qui récitait de la poésie devant un cercle de Qoreïchites. Ce dernier
dit : « Tout, excepté Dieu, est vain », ce à quoi Ibn Maz ̣ʿūn acquiesça ; puis
il dit : « Tout bonheur est inévitablement passager », ce à quoi Ibn Maz ̣ʿūm
déclara que c’était faux, car le bonheur des gens du paradis ne passe jamais.
Ce sur quoi, un Qoreïchte le gifla, de sorte que son œil devînt bleu (mot à
mot : vert). Labīd136 lui proposa alors de nouveau la protection, mais il
refusa. La version de ce récit que donne Mūsā b. ʿUqba dans son K. al-
Maġāzī est très proche de celle de ʿUrwa rapportée par al-Bayhaqī137. Cela
n’est pas étonnant, dans la mesure où l’on a pu constater que plusieurs des
traditions transmises d’eux ont des caractères communs.
Selon al-Wāqidī/ʿUbayd Allāh b. ʿĀsim/ʿUbayd
̣ Allāh b. a. Rāfiʿ (al-
Madanī, mawlā de Mahomet) : Ibn Maz ̣ʿūn fut le premier inhumé au
cimetière de Baqīʿ al-Ġarqad (Baqīʿ al-Ḫaḫaba138). Mahomet déposa une
pierre à hauteur de la tête du défunt, disant : « C’est celui qui nous a
précédés [dans la récompense ou le paradis] », ou « C’est la tombe de celui
qui nous a précédés139 ».
[…] Ibn Šihāb [al-Zuhrī]/Saʿīd b. al-Musayyab/Saʿd b. a. Waqqās ̣ :
« L’Envoyé de Dieu rejeta le désir exprimé par ʿUṯmān b. Maz ̣ʿūn
d’observer la continence absolue (al-tabattul) ; s’il l’y avait autorisé nous
nous serions châtrés (wa law aḏina lahu [fī ḏalika] la-aḫtasaynā ̣ [la-
ḫtasạ̄ ]) ».
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D’après le frère d’Ibn Maz ̣ʿūn, Qudāma b. Maz ̣ʿūn (m. 30/650141), il
aurait dit142 : « Ô Envoyé de Dieu, je suis un homme à qui l’éloignement de
la femme durant les campagnes militaires est dur à supporter (tašuqqu
ʿalayya hāḏihi l-ʿuzbatu), m’autorises-tu à me châtrer, auquel cas je le
ferai ? L’Envoyé de Dieu répondit : Non ! Pratique donc le jeûne, il est
anaphrodisiaque (fa-innahu mağfarun143). »
D’après le Suivant ʿAbd al-Rah ̣mān b. Sābit ̣ b. a. Ḥumayd ̣a al-Ğumah ̣ī
(du clan d’Ibn Maz ̣’ūn) al-Makkī (m. 118/736144) : « Ils prétendent que
ʿUṯmān b. Maz ̣ʿūn interdisait le vin dans l’antéislam. Il dit dans
l’antéislam : “Je ne bois pas quelque chose qui me ferait perdre la tête, qui
ferait rire de moi quelqu’un qui m’est inférieur et qui me conduirait à
prendre pour femme celle que je ne veux pas”. Alors le verset de la sourate
de la Table sur le vin fut révélé [alors qu’il se trouvait à al-ʿAwālī145], un
homme passa près de lui et lui dit : “Le vin a été interdit”, et il récita le
verset. Ibn Maz ̣ʿūn dit : “Puisse-t-il périr ! (le vin, tabban lahā). Ma
perspicacité en cela est bien établie146” ». Pour Ibn ʿAbd al-Barr, Ibn Maz ̣ʿūn
n’a pas pu connaître la révélation de ce verset qui eut lieu après le combat
de Uh ̣ud (qui se déroula en l’an 3 ou 4) ; ce serait donc un anachronisme147.
L’interdiction du vin ne faisait par partie du programme initial de
Mahomet. On sait que l’institution du naziréat en Israël prévoyait
l’abstention du vin (Am 2, 11-12 ; Jg 13, 4-7) et le fait de laisser croître la
chevelure. Les prêtres devaient s’en abstenir avant d’accomplir les rites
sacrés. Les Nabatéens s’en abstenaient, et cette règle valait aussi pour
nombre de moines chrétiens148. Des vingt-six personnages dont il est dit
qu’ils interdisaient les boissons enivrantes et les flèches divinatoires dans
l’antéislam, deux d’entre eux, ʿAbd al-Mutṭaliḅ et Zayd b. ʿAmr b. Nufayl,
faisaient, prétend-on, des retraites au mont Ḥirā’ (kāna yatah ̣annaf bi-
Ḥirā’), le second ne mangeant pas les idolytes (wa lā ya’kulu mā ḏubih ̣a li-
asnām
̣ 149).
Ibn Maz ̣ʿūn a été placé dans la liste des « disciples fidèles de l’Envoyé
de Dieu » (h ̣awāriyū rasūli Llāh), tous qoreïchites150, qui sont au nombre de
douze, par mimétisme concurrentiel avec Jésus. Toutefois, Ibn al-Kalbī
remarque que Mahomet n’a donné ce titre qu’à son cousin al-Zubayr b. al-
ʿAwwām151.
On notera que le terme coranique h ̣anīf a été associé par certains
chercheurs au manichéisme, au sabéisme152, etc. Selon al-Kalbī (Abū l-Nad ̣r
Muh ̣ammad b. al-Sā’ib al-Kūfī, m. 146/763) : « Les Sabéens sont des gens
[situés] entre les juifs et les Nazaréens (les “chrétiens”) ; ils confessent
Dieu, se rasent les cheveux du milieu de la tête et ils se châtrent (yajubbūna
madhākīrahum153) ». Ou encore, ils sont à situer entre les zoroastriens et les
juifs154. « Ils adorent les anges, prient en direction de la qibla, récitent les
Psaumes, font les cinq prières155 ». Le problème pour les juristes est
évidemment de savoir s’ils peuvent être considérés « gens du livre » et
soumis à la capitation156. Les premiers musulmans eux-mêmes furent
appelés « sabéens » par les « païens » (?) ou plutôt soi-disant mušrikūn157, de
La Mecque et de Médine, disons par ceux qui refusaient d’écouter
Mahomet158, mais qui en savaient beaucoup plus en fait de religion que le
qualificatif (théologique) « d’ignorants » qui leur colle à la peau ne le
donnerait à penser !
CONCLUSION
Des pans entiers du Coran montrent combien celui qui s’appela ou fut
appelé muh ̣ammad/Muh ̣ammad, on ne sait trop à quelle période de sa
prédication, mais aussi ceux qui l’aidèrent à s’instaurer prophète, étaient
informés à leur façon des idées théologiques, topoï, récits et légendes
religieuses qui avaient vu le jour au Proche-Orient et au Moyen-Orient.
D’ailleurs plusieurs passages du « lectionnaire arabe » (al-qur’ān) se
donnent à voir comme des interprétations (« traductions » ou adaptations et
commentaires) d’écritures ou de traditions orales antérieures159. De plus, une
continuité frappante concernant la materia judaica et judeochristiana et
matériaux afférents (manichéisme, sabéens, etc.) entre les déclarations du
Coran, d’une part, et les récits ou légendes des premiers exégètes est
désormais établie160 ; elle montre, que point n’était besoin de sortir de la
péninsule Arabique, à l’occasion des conquêtes et de la colonisation
musulmane pour être au courant des sujets sus-désignés. Ici, nous avons
concentré plus particulièrement notre attention sur la dette du Coran, de
Mahomet et de ses collaborateurs à l’endroit du monachisme et de
l’ascétisme syriens (ce qui confirme la thèse de Tor Andrae et de quelques
autres), et évidemment d’une adaptation de cet ascétisme aux desiderata de
ce groupe et à ses orientations théologico-politiques.
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1. Gilliot C., « Le Coran, production littéraire de l’antiquité tardive ou Mahomet interprète dans le “lectionnaire arabe” de La Mecque », dans Borrut A. (éd.), Écriture de
l’histoire et processus de canonisation dans les premiers siècles de l’islam, hommage à Alfred-Louis de Prémare, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2011, p. 31-56.
2. Griffith S. H., « Christian lore and the Arabic Qur’ān. The “Companions of the Cave”, in Sūrat al-kahf and in Syriac Christian tradition », dans Reynolds G. S. (ed.). The
Qur’ān in its historical context. London, Routledge, 2007, p. 109 ; Neuwirth (A.), « The “Late Antique Qur’ān” : Jewish-Christian Liturgy », Hellenic Rhetoric and Arabic Language,
conférence à l’Université de Princeton, 3 juin 2009.
3. Cf. notre status quaestionis sur les sources possibles du Coran depuis Abraham Geiger (1810-1874) jusqu’à Tor Andrae (1885-1947) : Gilliot C., « Rétrospectives et
perspectives. De quelques sources possibles du Coran. I. Les sources du Coran et les emprunts aux traditions religieuses antérieures dans la recherche (XIXe et début du
XXe siècles) », dans Broeckaert B, Van Den Branden S, Perennes J.J (eds), Perspectives on Islamic Culture : Essays in honour of Emilio G. Platti, Louvain, Peteers, 2013.
Rudolph K., « Die Anfänge Mohammeds im Lichte der Religionsgeschichte » (« Les débuts de Mahomet à la lumière de l’histoire des religions »), dans Rudolph K., et al. (hrsg. von),
Festschrift Walter Baetke, Weimar, Böhlau, 1966, p. 298-326.
4. Gilliot C., « Das jüdisch christliche Umfeld der Entstehung des Korans und dessen Bedeutung für die islamische Korankommentierung. Christen und Christentum in der
frühen islamischen Exegese des Koran », dans Gall L. et Willoweit Di. (hrsg.), Judaism, Christianity and Islam in the course of history. Exchange and conflicts, Munich, Oldenbourg,
2011, p. 61-74
5. Bowman J., « The Debt of Islam to Monophysite Syrian Christianity », in MacLaurin E. C. B. (ed.), Essays in Honour of Griffithes Wheeler Thatcher, Sydney, 1967,
p. 191-216 ; Id., « Holy Scriptures, lectionaries and the Qur’an », dans Johns A. H. (ed.), International congress for the study of the Qur’an, Canberra, Australian National University,
2
1983 , p. 29-37.
6. Sur les relations entre La Mecque et Ḥīra, cf. Gilliot, « Une reconstruction critique du Coran ou comment en finir avec les merveilles de la lampe d’Aladin », dans M.
Kropp (ed.), Results of contemporary research on the Qur’ān. The question of a historio-critical text, Beyrouth et Würzburg, Ergon Verlag, 2007, p. 66-76 (33-137) ; Toral-Niehoff I.,
« The ʿIbād of al-Ḥīra. An Arab Christian community in late antique Iraq », dans Neuwirth A. et al. (ed.), The Qur’ān in Context. Historical and Literary Investigations into the
Qur’ānic Milieu, Leyde, Brill, 2010, p. 323-47.
7. Ou « l’Évangile à partir des quatre évangiles », L’Harmonie des évangiles (il y eut d’autres « Harmonie des évangiles » que celle de Tatien), ou « L’Évangile intégré »,
probablement rédigé à l’origine en syriaque. Cf. Leclerq H., « Diatessaron », Dictionnaire d’Archéologie Chrétienne et de Liturgie, IV (Paris, 1921), col. 414-70 ; Bolgiani F.,
« Diatessaron », Nuovo Dizionario Patristico e di Antichità Cristiane, Genève et Milan, A.-E., Marietti, 2006, col. 1398-1400.
8. Gilliot, C., « Les “informateurs” juifs et chrétiens de Muh ̣ammad. Reprise d’un problème traité par Aloys Sprenger et Theodor Nöldeke », JSAI, 22 (1998), p. 84-126 ; Id.,
« Informants », The Encyclopaedia of the Qur’ān, EQ, II, Leyde, 2002, p. 512-8 ; Id., « Zur Herkunft der Gewährsmänner des Propheten », dans Ohlig H.-H. et Puin G.-R. (hrsg.), Die
dunklen Anfänge. Neue Forschungen zur Entstehung und frühen Geschichte des Islam, Berlin, Hans Schiler, 2005, p. 148-169 ; Id., « On the origin of the informants of the Prophet »,
dans Ohlig and Puin (éd.), The Hidden origins of Islam, Amherst, New York, Prometheus Books, 2008, p. 153-87.
9. Jeffery A., The Foreign Vocabulary of the Qur’ān, Baroda, Oriental Institute, 1938, p. 233-4.
10. Van Reeth J.M.F., « Le Coran et les scribes », dans Cannuyer C. (éd.), Les scribes et la transmission du savoir, Bruxelles, Société belge d’études orientales, 2006, p. 73.
11. Gilliot C., « Muh ̣ammad, le Coran et les “contraintes de l’histoire” », in Wild S.(éd.), The Qur’ān as text, Leyde, Brill, 1996, p. 26 (3-26).
12. Sur la notion de syncrétisme appliquée au christianisme de l’Antiquité tardive, cf. Markschies C., « Synkretismus V. Kirchen-geschichtlich », TRE (Theologische
Realenzyklopedie), Berlin et New York, Walter de Gruyter, 2002, XXXII, p. 538-552.
13. Colpe C., « Anpassung des Manichäismus an den Islam (Abū ʿĪsā al-Warrāq) », ZDMG, 109 (1959), p. 82 (82-91).
14. Glei R. F., « John of Damascus », dans Thomas et Roggema (ed.), Christian-Muslim relations, I (600-900), op. cit., p. 295-301.
15. Damascène J., Écrits sur l’islam, texte grec et traduction par R. Le Coz, Paris, Cerf, 1992, p. 217-27. L’attribution de ce dernier chapitre « Hérésie 100 » a été contestée
par Abel A., « Le chapitre CI du livre des hérésies de Jean Damascène : son inauthenticité », Stud. Isl., 19 (1963), p. 5-25. Malgré certaines interpolations probables, on peut faire
sienne l’opinion de Khoury A. T., Les théologiens byzantins et l’Islam. Textes et auteurs (VIIIe-XIIIe s.) Louvain, Nauwelaerts, 1969, p. 49-55, qui restitue ce chapitre ; Sahas D. J.,
« The chapter 100/101 of the de haeresibus », dans John of Damascus on Islam. The heresy of the Ishmaelites, Leiden, Brill, 1972, p. 58-98 ; Ducellier A., Le Miroir de l’Islam.
Musulmans et chrétiens orientaux au Moyen Âge (VIIe-XIe siècle), Paris, Julliard, 1971, p. 130-7.
17. Gnilka J., Die Nazarener und der Koran. Eine Spurensuche. Freiburg in Breisgau, Herder, 2007, p. 11, 52 ; Id. : Qui sont les chrétiens du Coran ?, trad. Ch. Ehlinger,
Paris, Cerf, 2008, p. 15, 56.
18. Jeffery A., Foreign Vocabulary, op. cit., p. 20-1 ; Luxenberg C., Die syro-aramäische Lesart des Koran. Ein Beitrag zur Entschlüsselung der Koransprache, Berlin,
Verlag Hans Schiler, 2000, p. 54-60/traduction et adaptation : The Syro-Aramaic Reading of the Koran, Berlin, Verlag Hans Schiler, 2007, p. 70-4.
19. Von Harnack A. V., Lehrbuch der Dogmengeschichte, II, Tübingen, Freiburg i. B., Mohr, 2e éd. 1909-1910, p. 535 sqq. ; Luttikhuizen G. P., The Revelation of Elchasai,
Tübingen, Coronet Books, 1985, p. 9-10 ; Van Reeth J., « La zandaqa et le prophète de l’Islam », dans Incroyance et dissidences religieuses dans les civilisations orientales,
Bruxelles, Societe Belge d’etudes orientales, 2007, p. 67 ; Sprenger A., Das Leben und die Lehre des Moh ̣ammad, I-III, Berlin, Nicolai’sche Verlagsbuchandlung 18692, I, p. 30, n. 1,
p. 32-42, 91-102 ; II, p. 208, 232. Ce très grand maître de l’orientalisme avait déjà émis l’hypothèse d’une influence possible de l’elkésaïsme sur Mahomet.
20. Simon R., « Mānī and Muh ̣ammad », JSAI 21 (1997), p. 118-41 ; Andrae T., Les origines de l’islam et le christianisme, trad. J. Roche, Paris, Adrien-Maisonneuve, 1955
(en allemand, Uppsala 1923-5 ; 1926), p. 209 ; Ahrens K., Muhammed als Religionsstifter, Leipzig, Abhandlungen für die Kunde des Morgenlandes, 1935, p. 130-2 ; Sfar M., Le
Coran, la Bible et l’Orient ancien, Paris, Mondher, 1998, p. 408-25 (cap. 11, « Ah ̣mad, le prophète manichéen »). Sur manichéisme en Arabie, cf. Monnot G., Islam et religions, Paris,
Maisonneuve Et Larose, 1986, p. 33, d’après Ibn al-Kalbī (ob. ca. 204/820) ; Gil M., « The creed of Abū ʿĀmir » IOS 12 (1992), p. 9-57 ; Van Reeth, « Zandaqa », art. cit., p. 67-70.
21. Ce mémoire a été traduit et adapté en allemand, dans Harnack A. von, Lehrbuch der Dogmengeschichte, II, Die Entstehung des kirchlichen Dogmas, I, Tübingen,
Freiburg i. B., Mohr, 19094 ; Darmstadt, 1990, p. 529-38.
22. Gil M., « The creed of Abū ʿĀmir », art. cit., p. 22 ; « that islam first appearance was a non-conformist off-shoot of Manicheism » ; cf. Simon R., « Mānī and
Muh ̣ammad », art. cit., p. 134 : « Both Manicheism and Islam assert the seriality of prophets ». Mais on peut ajouter que des groupes judéo-chrétiens faisaient de même.
23. Stroumsa G., « Aspects de l’eschatologie manichéenne », RHR, 198 (1981), p. 163-81.
24. Ibn Saʿd, al-Ṭabaqāt al-kubrā, 9 vol., Beyrouth, 1957-9, I, p. 105, l. 2-3, selon Abū Mūsā al-Ašʿarī ; cf. Maqrīzī, Imtāʿ al-asmā’ bi-mā li-rasūl Allāh min al-abnā’ wa l-
amwāl wa al-h ̣afada wa al-matāʿ, I-XV, éd. M. ʿAbd al-Ḥamīd al-Namīsī, Beyrouth, 1420/1999, II, p. 143 (selon Ğubayr b. Mutʿim), ̣ p. 143-4 (selon Abū Mūsā al-Ašʿarī), p. 144 ; al-
Ḥākim al-Nīsābūrī, dans al-Mustadrak, et d’autres entendent cela d’un prophète envoyé pour tuer les impies, ou envoyé avec l’épée (ce que fut aussi Mahomet, ô combien !) ; il s’agit
là d’un sens second ; Ibn al-Aṯīr (Mağd al-Dīn), al-Nihāya fī ġarīb al-h ̣adīṯ, I-V, éd. Ṭ.A. al-Zāwī et M. al-Ṭināh ̣ī, Le Caire, 1963-6, IV, p. 240.
25. Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, op. cit., I, p. 105, l. 6, selon Muğāhid b. Ğabr.
27. Casanova P., Mohammed et la fin du monde. Étude critique sur l’islam primitif I-II/1-2, Paris, P. Geuthner, 1911-24, p. 46-53, notamment p. 53 ; cf. Van Reeth J., « Le
Coran et les scribes », art. cit., p. 71.
28. Shahrastani, Livre des religions et des sectes, I, trad. D. Gimaret et G. Monnot, Paris, Louvain, 1986, p. 662, probablement une insertion en faveur de Mahomet : Mani
disait : « Puis le Sceau des prophètes viendra sur la terre des Arabes » ; Puech H.-Ch., Le Manichéisme. Paris 1949, p. 146, n. 248 ; Tardieu M., Le Manichéisme. Paris 1981, p. 19-
27 ; Ries J., « Les Kephalaia. La catéchèse de l’Église de Mani », dans De Smet D. et al. (ed.). Al-Kitab. La sacralité du texte dans le monde de l’Islam, Bruxelles 2004, p. 143-8.
29. Stroumsa G., « “Seal of the prophets” : The nature of a Manichaen metaphor », JSAI, 7 (1986), p. 70-1 (61-74).
30. Art. cit., p. 74. Horovitz J., Koranische Untersuchungen, Berlin et Leipzig, 1926, p. 53-4, avait déjà insisté sur le fait que ḫātam vient de l’araméen h ̣ātmā qui signifie
sceau, et que Mahomet est celui qui confirme les révélations des prophètes antérieurs. Il se nomme souvent leur mus ̣addiq, si bien que l’expression coranique pourrait signifier « celui
qui confirme les prophètes » (Beglaubiger der Propheten).
31. Van Ess J., Theologie und Gesellschaft im 2. und 3. Jahrhundert Hidschra. Eine Geschichte des religiösen Denkens im frühen Islam [TG], Berlin, I-VI, Walter de
Gruyter, 1991-7, I, p. 29, n. 5, quant à lui, en doute.
32. Bobzin H., « “Das Siegel der Propheten”. Maimonides und das Verständnis von Mohammeds Prophetentum », dans Tamer G. (éd.), The Trias of Maimonides. Jewish,
Arabic, and Ancient Culture of Knowledge, Berlin, Walter de Gruyter, 2005, p. 306 (289-306) ; Id., « The “Seal of the prophets” : Towards an understanding of Muhammad’s
prophethood », dans Neuwirth et al. (éd.), The Qur’ān in Context, op. cit., p. 565-83
33. Augustinus Hipponensis, in Ioannis, Tractatus XXIV, dans Œuvres complètes de saint Augustin, IX, Paris, L. Vivès, 1869, p. 531. Autres références, in Speyer H., Die
biblischen Erzählungen im Qoran, réimpr. Hildesheim, Georg Holms, 1988 (19611), p. 422-3.
34. Ḫātam, dans la lecture de ʿĀs ̣im ; les « autres » ou presque : ḫātim. Ḫatam, selon Ibn Masʿūd. On trouve aussi chez les lexicographes : ḫātām et ḫayṯām !
35. GAS, I, 311 ; Ḏahabī, Siyar aʿlām al-nubalā’, I-XXV, éd. Šuʿayb al-Arna’ūt ̣ et al., Beyrouth, 1981-8, VII, p. 98-103. Ce traditionniste et historiographe a transmis, entre
autres, la Sīra d’Ibn Ish ̣āq. À son nom est parfois ajouté : al-Ğahd ̣amī ; Mizzī, Tahḏīb al-kamāl fī asmā’ al-riğāl, I-XXIII, éd. A. ʿAlī ʿAbīd et Ḥasan A. Āġā, revue par Suhayl Zakkār,
Beyrouth, 1414/1994, III, p. 344-50, n° 896.
36. Ibn a. Šayba (Abū Bakr ʿAbd Allāh), al-Mus ̣annaf fī al-ah ̣ādīṯ wa al-āṯār, I-IX, texte revu par M. ʿAbd al-Salām Šāhīn, Beyrouth, 1416/1995, 19 (Adab), 219 (man
kariha an yaqūla : lā nabiyya baʿda l-nabiyyi), V, p. 337, n° 26644 ; Suyūtī,̣ al-Durr al-manṯūr fī t-tafsīr al-ma’ṯūr, I-VI, Le Caire, 1314/1896, V, p. 204, l. 27 ; cité d’après ce dernier
par Friedmann Y., Prophecy Continuous : Aspects of Ahmadi Religious Thought and Its Medieval Background, Berkeley, Oxford University Press, 1989, p. 63, et par Bobzin, « “Das
Siegel der Propheten” », art. cit., p. 290 ; Lecomte G., Le Traité des divergences du Ḥadīṯ d’Ibn Qutayba, Damas, IFEAD, 1967, p. 207-9, n° XLI, avec le commentaire d’Ibn Qutayba
pour appuyer l’interprétation du verset devenue traditionnelle !
37. Ibn a. Šayba, Mus ̣annaf, ibid., n° 26645 ; Suyūtī,̣ Durr, op. cit., V, p. 204, l. 27-31.
38. Goldziher I., Études sur la tradition islamique, Paris, Lib. d’Amérique et d’Orient Maisonneuve, 1952, p. 126-8 ; Friedmann, Prophecy, op. cit., p. 56.
39. ʿAbū Bakr Isā b. ʿAbd Allāh b. Muh ̣ammad b. ʿUmar b. ʿAlī b. a. Ṭālib al-Kūfī, appelé Mubārak al-ʿAlawī. C’était un poète prolixe, un transmetteur de poésie et un
traditionniste qui passe pour « faible » ; Ibn ʿAdī, al-Kāmil li-l-d ̣uʿafā’, I-IX, éd. ʿĀdil A. ʿAbd al-Mawğūd et ʿA. M. Muʿawwad ̣, Beyrouth, 1418/1997, VI, p. 424-9, n° 1389 :
Ḏahabī, Mīzān al-ʿitidāl fī naqd al-riǧāl, I-IV, éd. ʿA. M. al-Biǧāwī, Le Caire, 1963, III, p. 315-6, n° 6578 ; Marzubānī (M. b. ʿImrān b. Mūsā), Muʿğam al-šuʿarā’, éd. Fr. Krenkow,
Beyrouth, Dār al-Ğīl, 1411/1991 (1351/19351, ici autre pagination), p. 86-7 ; Ibn Ḥazm, Ğamharat ansāb al-ʿArab, Beyrouth, 1403/1983, p. 66-7. Son fils Ah ̣mad b. ʿĪsā al-Madanī,
traditionniste lui aussi « faible », transmit de lui ; Ḏahabī, Siyar, XII, p. 71-52.
40. ʿUmar al-Akbar Ibn al-Taġlibiyya, fils de Bint Rabīʿa b. Buğayr al-Taġlibī que ʿAlī avait achetée à son père, en douze heures. Elle eut de ʿAlī, ʿUmar et Ruqayya ;
Ṭabarī, Annales, I-III (I-XVI), éd. M. J. De Goeje et al., Leyde, Brill 1879-1901, I, p. 2072.
41. Ibn ʿAsākir (Ṯiqat al-Dīn), Ta’rīḫ madīnat Dimašq, al-Sīra al-nabawiyya, I-II, éd. Našāt ̣Ġazzāwī, Damas, 1984-91, I, p. 120 ; Friedmann, Prophecy, op. cit., p. 59-60.
42. Ou selon al-Barā’ b. ʿĀzib : « N’a-t-il pas une nourrice au paradis ! ». Ismāʿīl b. a. Ḫālid/al-Šaʿbī, ajoute : « qui achèvera son allaitement » ; Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, I, p. 139.
43. Selon al-Wāqidī, il serait mort mardi, 13 nuits étant passées, rabīʿ I 10/(mercredi) 19 juin 631 ; Bayhaqī (Abū Bakr), Dalā’il al-nubuwwa, I-VII, éd. ʿAbd al-Muʿtị̄
Qalʿaǧī, Beyrouth, 1405/1985, V, p. 429.
44. Pour les discussions au sujet de diverses traditions contenant la phrase suivante : « Si Ibrāhīm était resté en vie, il aurait été prophète », cf. Nawawī (Muh ̣yī l-Dīn), K. al-
Mağmūʿ. Šarh ̣ al-Muhaḏḏab li-l Šīrāzī, I-XXIII, éd. M. Nağīb al-Mutīʿī, ̣ Djeddah, Maktabat al-Iršād, 1971-77, V, p. 254-8 ; Saḫāwī (Šams al-Dīn), al-Maqās ̣id al-h ̣asana fī bayān
kaṯīr min al-ah ̣ādīṯ al-muštahira ʿalā l-alsina, éd. M. ʿUṯmān al-Ḫušt, Beyrouth, Dār al-Kitāb al-ʿarabī, 1405/1985, p. 547-8, n° 898 ; ʿAǧlūnī (Abū l-Fidā’ Ismāʿīl b. M. b. ʿAbd al-
Hādī al-Ǧarrāhī al-Šāfiʿī), Kašf al-ḫafā’ wa muzīl al-ilbās ʿammā štahara ʿalā alsinat al-nās, I-II, Beyrouth, Mu’assasat al-Risāla, 1399/19792 (Alep1), II, p. 214-6, n° 2101 ; Qārī al-
Harawī, al-Asrār al-marfūʿa fī l-ah ̣ādīṯ al-mawd ̣ūʿa, éd. Abū Hāğir M. al-Saʿīd b. Basyūnī Zaġlūl, Beyrouth, Dār al-Kutub al-ʿilmiyya, 1405/1985, p. 191-2.
45. Ibn Māğa, Sunan, 6, Ğanā’iz, 27, I, p. 484, n° 1511 ; cf. Bayhaqī, Dalā’il, VII, p. 291, dernière tradition et dernière lignes de l’ouvrage !
47. Cf. les conseils qu’aurait donnés Mahomet par anticipation sur le traitement des Coptes, lors de la future conquête de l’Égypte, in Bayhaqī, Dalā’il, VI, p. 322.
49. Buḫārī, 78, Adab, 109, n° 6194 ; Les Traditions islamiques, I-IV trad. O. Houdas et W. Marçais, IV, p. 203 ; Ibn Ḥajar, Fath ̣ al-bārī bi-šarh ̣ S ̣ah ̣īh ̣ al-Buḫārī, I-XIII
+ Muqaddima, éd. ʿAbd al-ʿAzīz b. ʿAbd Allāh Bāz, numérotation des chapitres et des h ̣adīṯ-s par M. F. ʿAbd al-Bāqī, dir. Muh ̣ibb al-Dīn al-Ḫatīb,
̣ Le Caire, 1390/1970, réimpr.
Beyrouth, Dār al-Maʿrifa, s. d., X, p. 577-9 ; Ibn Māğa, al-Sunan, I-II, éd. M. F. ʿAbd al-Baqī, Le Caire, 1952-4, II, p. 484, n° 1510.
52. Muqātil, III, p. 498-9. On n’est pas tout à fait sûr que cette interprétation, telle qu’elle figure dans le texte édité, soit vraiment de Muqātil, ainsi qu’on peut le comprendre
de la note de l’éditeur qui a « réordonné » selon l’ordre du mus ̣h ̣af (actuel) ! Samarqandī, Tafsīr, III, p. 53 : Muh ̣ammad « n’était pas le père des hommes parce que ses fils sont morts
en bas âge (s ̣iġāran) ; si les hommes avaient été ses fils, ils auraient été prophètes. Mais il n’y a pas de prophète après lui, ce pour quoi Dieu dit wa ḫātim al-nabiyyīn ».
56. Gilliot C., « Nochmals : Hieß der Prophet Muh ̣ammad ? », dans Markus Groß/Karl-Heinz Ohlig (hrsg.), Die Entstehung einer Weltreligion, II, Von der koranischen
Bewegung zum Frühislam, Tübingen, Verlag Hans Schiler (Inârah, 6), 2011, p. 53-95.
57. Sprenger, Leben, I, op. cit., p. 155-62, l’excursus si suggestif, malheureusement presque tombé dans l’oubli : « Hiess der Prophet Moh ̣ammad ? » (le Prophète s’appelait-
il Muh ̣ammad ?) ; Hirschfeld H., Jüdische Elemente im Ḳorân. Ein Beitrag zur Ḳorânforschung, Berlin, Hirschfeld H., 1878, p. 70-71 ; Id., Beiträge zur Erklärung des Korân,
Leipzig, O. Schulze, 1886, p. 72-74 ; Id., New researches on the composition and exegesis of the Qoran, Londres, Royal Asiatic Society, 1902, p. 24, 139-40.
58. Ibn Ish ̣āq, Kitab sirat Rasul Allah Das Leben Mohammed’s, I-III in 2, éd. F. Wüstenfeld, Göttingen, 1858-60, p. 150 ; trad. Guillaume A., The Life of Muhammad,
Lahore, Oxford University Press, 19551, Karachi, 19783, p. 104 ; Ibn Ishâq, La vie du Prophète Muhammad, l’Envoyé d’Allâh, I-II, trad. Abdurrahmân Badawi, Beyrouth, Albouraq,
2001, I, p. 179.
59. Stroumsa G., « “Seal of the Prophets” », op. cit., p. 61-74 ; Van Reeth J., « L’Évangile du prophète », dans De Smet et al., Al-Kitab, op. cit., p. 170-1.
60. Gilliot C., « Christians and Christianity in Islamic Exegesis », art. cit.
61. On remarquera que dans le Coran lui-même, seuls les juifs, et non les chrétiens, sont accusés d’avoir falsifié l’Écriture…
62. Sprenger A., op. cit., II, 379-82 ; Dammen McAuliffe J. D., Qur’ānic Christians. An analysis of classical and modern exegesis, Cambridge, Cambridge University Press,
1991, p. 240-57.
63. Ṭabarī, Tafsīr, I-XXX, éd. A. S. ‛Alī, M. al-Saqqā et al., Le Caire, 1954-7, XX, p. 89, l. 5-7 ; Muğāhid, Tafsīr, I-II, éd. éd. ʿAr. b. Ṭāhir b. M. as-Sūratī, Qatar, 1976, II,
p. 488, a : fī muslimī ahl al-kitāb.
64. Dans l’anachorétisme syrien ou dans le monachisme errant en général, les « pleureurs » (abilē) sont une élite d’ascètes associés à la béatitude de l’évangile : « Heureux
ceux qui pleurent… » (Mt 5, 4) ; Caner, D., Wandering, begging monks. Spiritual authority and the promotion of monasticism in Late Antiquity, Berkeley, University of California
Press, 2002, p. 51, n. 2. Mahomet ainsi que ses collaborateurs et informateurs ont dû être en contact avec certains d’entre eux, ainsi que le donne à penser Q 5, 82-3 : « […] Mahomet
connaissaient leurs pratiques et les a probablement pratiquées avant les phénomènes de révélation » ; Beck E., « Das christliche Mönchtum im Koran », Studia Orientalia, XIII/3
(1946), 7 (1-29).
65. Ṭabarī, Tafsīr, I-XVI, éd. Mah ̣mūd M. Šākir et A. M. Šākir, Le Caire, 1954-1968 (19692), II, 150-5 ; Ayoub M. M., The Qur’an and its interpreters, I-II, Albany, State
University Press, 194 et 1992, I, 110-2 ; ʿAwwād, ʿAlī, et al. (textes rassemblés par), al-Nas ̣ārā fī l-Qur’ān wa-al-tafāsīr, Amman, p. 36-7 ; Dammen McAuliffe, op. cit., p. 105-6 ; cf.
Ibn Ish ̣āq, Sīra, 137-43/Guillaume, op. cit., Life, 95-8, selon Ibn ʿAbbās (tradition très différente) ; Muqātil, I, 112 (5 lines). Cf. Levi Della Vida, G., in EI2, suppl. ; Tröger, K.-W.,
« Muhammad, Salman al-Farisi und die Islamische Gnosis », dans Bethge (H.-G.), et al., For the Children, Perfect Instruction. Studies in Honor of H.-M. Schenke, Leyde, 2002,
p. 247-54.
66. Ṭabarī, Tafsīr, éd. Saqqā, XXVIII, 92, ad Q 61, 14 ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, I-LXXX, éd. M.ʿU. Gh. Amrawī et ʿA. Šīrī, Beyrouth, 1995-2001, XLVII,
p. 475 ; Mourad S., « Jesus according to Ibn ʿAsākir », dans Lindsay J. E. (ed.), Ibn ʿAsākir, and early Islamic history, Princeton, N. J, Darwin Press, 2001, p. 30, et n. 21.
67. Ils étaient « les Israélites qui étaient les rois des Nazaréens ». C’est probablement une confusion pour dire que : Jésus a été envoyé aux Israélites qui étaient sous la
domination de l’Empire romain, mais aussi pour désigner l’Empire byzantin dont les souverains devinrent chrétiens ; Ibn ʿAsākir, Ta’rīḫ Madīnat Dimašq, XLVII, 478-9 ; Mourad,
« Jesus », art. cit., p. 30-1 (22-43).
68. Cf. Q 5, 116 : « Ô Jésus, fils de Marie ! Est-ce toi qui as dit aux hommes : Prenez, moi et ma mère, pour deux divinités, outre Dieu ? » Cf. Charfi A., « Le christianisme
dans le ‘Tafsīr’ de Ṭabarī », MIDEO, 16 (1983), 144 (117-68). Sur cette assertion, cf. Sell (Ch. E.), The Historical development of the Qur’ān, Londres, Society for Promoting
Christian Knowledge, 19093 (19051), p. 172.
69. Ibn al-Ğawzī, al-Muntaz ̣am fī ta’rīḫ al-umam wa l-mulūk, I-XVII, éd. M. ‛Abd al-Qādir ʿAtā’, ̣ Beyrouth, 1992, II, 41 ; van Koningsveld (P. S.), « The Islamic image of
Paul and the origin of the Gospel of Barnabas », JSAI, 20 (1996), 204-5 (200-28). Quatre groupes de juifs lettrés discutent de Jésus après son ascension, selon l’exégète Muh ̣ammad
b. Kaʿb al-Quraz ̣ī (m. 118/736). L’un d’entre eux dit que sa mère a commis un acte malhonnête (ghayr s ̣ālih ̣) ; Ibn al-Jawzī, Muntaz ̣am, II, p. 40 ; van Koningsveld, p. 204.
70. Epiphanius, Haer. 78, 23 ; 79. Leontius de Byzance (ob. ca. 543) les appelle « Philomarianites » ; Wace (H.) et Piercy W. C. (ed.), « Collyridians », dans A dictionary of
Christian biography and literature to the end of the sixth century AD, Peabody, Hendrickson Publishers, 1999, p. 425.
71. Sell Ch. E., The Historical development of the Quran, op. cit., p. 203, n. 1.
72. Vajda G., « Imrān », EI, III, p. 1204 ; Tottoli (R.), « Imrān », EQ, II, 309 ; Jaspis J. S., Koran und Bibel. Ein komparativer Versuch, Leipzig, 1905, p. 55 ; Parrinder G.,
Jesus in the Qur’ān, New York, Barnes et Noble, 1965, 64 ; Räisänen H., Das koranische Jesusbild, Helsinki, Kli, 1971, p. 18 ; Lauche G., Die koranische Umdeutung und
Verkürzung des biblischen Jesusbildes in seiner soteriologischen Bedeutung, Giessen, W. Schmitz, 1983, p. 36-8. Sur l’embarras des anciens exégètes à ce sujet, cf. Charfi A., « Le
christianisme », art. cit., p. 122-3.
73. Mourad S., « Mary in the Qur’ān : a reexamination of her presentation », in Reynolds G. S. (ed.), Qur’ān, op. cit., p. 163-6, 172.
74. Rösch G., « Die Jesusmythen des Islam », Theologische Studien und Kritiken, XLIX/2 (1876), p. 425 (409-54).
75. Rudolph W., Die Abhängigkeit des Qorans von Judentum und Christentum, Stuttgart, Kohlhammer, 1922, p. 76, n. 2.
77. Écrits apocryphes chrétiens [EAC], I, Paris, Gallimard (La Pléiade), I, 1997, p. 84-5 ; Elliott J. K., The Apocryphal New Testament. A collection of apocryphal Christian
literature in an English translation (based on M. R. James) [ANT], Oxford, Oxford University Press, 1993, p. 58-9.
78. Cf. Proto-Évangile de Jacques 3, 1 : « Et Anne leva les yeux au ciel et vit un nid de passereaux dans le laurier », EAC, I, p. 84 ; Elliott, ANT, p. 58.
80. En Muqātil, Tafsīr, I, p. 271, Anne (Ḥanna) promet de « vouer l’enfant à Dieu » (la-ağʿaltuhu muh ̣arraran). Quant au muh ̣arrar (libre pour Dieu), il ne travaille pas pour
ce monde et ne se marie pas ; il travaille seulement pour l’autre monde, ce qu’on appelle vacare Deo ou vita angelica, chez les moines de notre tradition chrétienne latine !
81. Muqātil, Tafsīr, I, p. 271, a : « il ne quitte pas le Temple (al-mih ̣rāb), ne faisant que servir Dieu ».
82. Ṭabarī, Tafsīr, VI, 330, no. 6858, ad Q 2,35 ; Ayoub, op. cit., II, 93 ; cf. Ṭabarī, Annales, I, p. 711-2/The History of al-Ṭabarī, IV, trad. M. Perlmann, Albany, 1987,
p. 102-3 ; Ibn Ishāq, Sīra, 406-7/Guillaume, op. cit., Life, 274-6 ; al-Ṯarafī, [Qis ̣as ̣ al-anbiyā’], The Stories of the Prophets by ibn Mutarrif
̣ al-Ṭarafī, éd. R. Tottoli, Berlin, 2003,
p. 161.
83. EAC, I, p. 138-9 ; Elliott, ANT, p. 95-6. Ce rapprochement a été fait depuis longtemps, e.g. Muehleisen-Arnold J., The Koran and the Bible, or Islam and Christianity,
Londres, Longmans, Green, Reader and Dyer, 18662 (18591) ; cette 1re éd. a paru à Londres, s.t. Ishmael or a natural history of Islamism, and its relation to Christianity, avec la
même pagination jusqu’à la p. 451, puis le texte devient parfois différent), p. 183, et par d’autres avant lui.
84. Schneider G., Evangelia infantiae apocrypha, Freiburg, Herder, 1995, p. 132, n. 192.
85. De Bruin C. C., Diatessaron Leodiense. Het Luikse Diatessaron, edidit C. C. de Bruin. Addita est interpretatio anglica, quam curavit A. J. Barnouw, Leyde, Brill, 1970,
p. 16 (trad. anglaise, p. 17), d’après Van Reeth, « L’Évangile du Prophète », op. cit., p. 165, et n. 50.
86. Petersen W. L., Tatian’s Diatessaron, Its creation, dissemination, significance, and history in scholarship, Leyde, Brill, 1994, p. 401 et n. 85
88. Tischendorf C. von, Evangelia apocrypha, editio altera, Lipsiae, 1876 (18531), p. 53 : « […] sic factum est ut a Manichaei discipulo nomine Leucio […] hic liber editus
non aedificationi sed destructioni materiam exhibuerit ».
89. Du grec έγκράτεια (continence). Ce terme désigne à la fois une tendance et une secte. Elle vise à interdire à tout le monde le mariage et à imposer à tous l’abstinence des
aliments « forts », la viande (les aliments qui ont eu vie, ἔµψυχα) et le vin ; Blond G., « Encratisme », Dictionnaire de Spiritualité, IV, Paris, 1960, col. 628-42 ; Bolgiani F.,
« Encratismo », Nuovo Dizionario Patristico e di Antichità Cristiane, op. cit., col. 1653-5.
92. Hawting G. R., « Tah ̣annuth », EI, X, p. 106 ; Kister M. J., « al-Tah ̣annuth. An inquiry on the meaning of a term », BSOAS, 31 (1968), p. 223-36.
93. Une liste de onze personnages qui, dans l’antéislam, auraient interdit les boissons enivrantes, le vin et les flèches divinatoires est donnée par Ibn Ḥabīb (Muh ̣ammad,
m. 245/860), al-Munammaq fī aḫbār Qurayš, éd. Ḫūršīd A. Fārūq, Beyrouth, 1405/1985 (1384/19641), p. 422 ; Id., al-Muh ̣abbar, éd. Ilse Lichtenstaedter, Hyderabad, 1942, p. 237-
41 : 26 noms.
94. Selon le traditionniste andalou, commentateur de Buḫārī, al-Muhallab b. a. Ṣufra (Ah ̣mad) al-Asadī al-Marī (m. šawwāl 435/1044), si Mahomet a interdit le monachisme
et le célibat, c’est parce que sa communauté doit dépasser les autres en nombre (mukāṯir bi-ummatihi al-umama) au jour de la résurrection, et qu’elle doit combattre les nations impies
(tawā’if
̣ al-kuffār) ; Qurtubī,
̣ Tafsīr = al-Ğāmiʿ li-ah ̣kām al-Qur’ān, I-XX, éd. A.ʿA. al-Bardūnī et al., Le Caire, 1952-672, VI, p. 262. Cet argument est toujours d’actualité !
98. Les versions à ce sujet sont nombreuses. Dans l’une d’entre elle, son épouse Ḫawla bint Ḥakīm al-Sulamiyya vint se plaindre à ʿĀ’iša (ou aux épouses de Mahomet) de
ne pas être honorée par son mari. Cette dernière en référa à Mahomet ; Ibn Ḥağar, al-Is ̣āba fī tamyīz as-s ̣ah ̣āba, I-IV, éd. Ibr. b. Ḥ. al-Fayyūmī, Le Caire, 1328/1910, IV, p. 291,
n° 362 ; cf. Ibn Ḥanbal, al-Musnad, I-VI, éd. M. al-Zuhrī al-Ġamrāwī, Le Caire, 1313/1895, VI, p. 268/I-XX, éd. A. M. Šākir et al., Le Caire, 1416/1995XVIII, p. 185-6, n° 26186 :
Mahomet la trouve « en mauvaise forme » (baḏāḏa hay’atuhā) et demande à ʿĀ’iša quelle en est la raison ; Sprenger, Leben, I, op. cit., p. 387-91.
99. Dans d’autres versions, Mahomet s’adresse à Ibn Maz ̣ʿūn, lui disant, entre autres, d’après al-Zuhrī : « N’as-tu pas en moi un bon modèle ? » (a-laysa laka fiyya uswatun
h ̣asanatun) ; Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 394 ; cf. Ibn Ḥanbal, Musnad, XVIII, p. 83, n° 25769 (Zuhrī/ʿUrwa/ʿĀ’iša).
100. Selon Abū Zayd : fī fulānin ḏirārun, ay iʿrād ̣un ġad ̣aban ka-ḏirāri al-nāqati ; Tāğ, XI, p. 370, cf. p. 369 ; cf. Freytag, Lexicon arabo-latinum, II, p. 83 : 8e sens de
ḏarra : vultum avertit iratus.
101. Ṭabarī, Tafsīr, X, p. 515, n° 12341 ; cf. la tradition de Qatāda, n° 12344, p. 516.
105. Ibn Ḥanbal, Musnad, III, p. 266/XI, p. 278, n° 13742. Ou selon Abū Saʿīd al-Ḫudrī : Mahomet déclara à un homme : « […] Il te faut pratiquer le ğihād, car c’est
l’ascétisme/monachisme de l’islam » ; op. cit., III, p. 82/X, p. 257-8, n° 11713.
106. Ṯaʿlabī, al-Kašf wa l-bayān ʿan tafsīr al-Qur’ān, I-X, éd. Abū M. ʿAlī ʿĀšūr Abū M. b. ʿĀšūr, Beyrouth, 2002 (éd. souvent fautive), IV, p. 101, ad Coran 5, 87, repris
mot à mot par Wāh ̣idī, Asbāb al-nuzūl, p. 153-4, puis par Baġawī (al-Ḥusayn b. Masʿūd), Tafsīr al-Baġawī al-musammā bi-Maʿālim at-tanzīl, I-IV, éd. Ḫālid ʿAbd al-Rah ̣mān al-ʿAk
et Marwān Sawār, Beyrouth, 19923 (19831), II, p. 59.
107. Ibn al-Aṯīr (ʿIzz al-Dīn), Usd al-ġāba fī maʿrifat al-s ̣ah ̣āba, I-VII, éd. Mah ̣mūd Fāyid et al., Le Caire, 1963, 19702, V, p. 231-2, n° 5028.
109. Mizzī, Tahḏīb, X, p. 372-6, n° 3432. Il lisait, nous dit-on : « les livres anciens » (al-kutub al-mutaqaddima), entendez des juifs et des chrétiens. Il fut l’un des secrétaires
de Mahomet ; Ibn al-Aṯīr, Usd, op. cit., III, p. 348 (349-51, n° 3087). Muğāhid aurait vu chez lui al-S ̣āh ̣ifa al-s ̣ādiqa dans laquelle il aurait consigné des traditions qu’il avait
entendues seul à seul de Mahomet ; GAS, I, p. 84.
110. Ṭabarī, Tafsīr, X p. 519, n° 12348, l. 1-4. Dans une interprétation d’al-Suddī, ils étaient dix ; Ṭabarī, Tafsīr, X p. 517, n° 12345, l. 5. Selon Qatāda b. Diʿāma al-Sadūsī
(Abū al-Ḫatṭ āb,
̣ m. 118/736 ; GAS, I, p. 31-2), ils étaient trois ; Ṭabarī, Tafsīr, X p. 516, n° 12344, l. 6.
111. Abū ʿAbd Allāh ʿIkrima al-Qurašī al-Hāšimī al-Barbarī al-Madanī, mawlā d’Ibn ʿAbbās quand ce dernier devint gouverneur de Bassora ; Mizzī, Tahḏīb, XIII, p. 163-
80, n° 4593.
112. Cf. Caner D., Wandering, begging monks. Spiritual authority and the promotion of monasticism in Late Antiquity, Berkeley, Calif., University of California Press, 2002,
XIV + 325 p.
113. Ṭabarī, Tafsīr, X p. 519, n° 12348, l. 4-14. D’autres récits sont donnés par Ibn ʿAbbās, Ibn Zayd, etc. ; Ṭabarī, Tafsīr, X, 514-21 ; cf. al-Bukhārī, S ̣ah ̣īh ̣, 67, Nikāh ̣, 9.
114. Selon Qatāda, ils étaient trois, non nommés, mais chacun avec une pratique particulière : veiller toute la nuit, jeûner tout le jour, pas de commerce avec les femmes ;
Ṭabarī, Tafsīr, X, p. 516, l. 6, n° 12344.
115. On pensera aux acémètes (ou akoimètes, gr. άκοίμηταί, ceux qui ne se reposent pas, les non-dormants, veilleurs, vigilants) et qui pratiquaient la laus perennis (la prière
de louange ininterrompue) établie par Alexandre l’Acémète (ca. 350-ca. 430) ; Galtier P.-L., « Un moine sur la frontière, Alexandre l’Acémète en Syrie », A. Rousselle (éd.),
Frontières terrestres, frontières célestes dans l’Antiquité, Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 1995, p. 435-57 ; Baguenard J.-M., Les moines acémètes, Bégrolles-en-
Mauges, Abbaye de Bellefontaine, 1990, 260 p. ; Andrae T., Origines, op. cit., p. 196-7.
117. Wensinck (A. J.), in EI, X, p. 1028-9 ; Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, VI, p. 393-400 ; Ḏahabī, Siyar, I, p. 153-60 ; Ibn al-Aṯīr, Usd, III, p. 598-601, n° 3588 ; Ibn Ḥağar, Is ̣āba,
op. cit., II, p. 464, n° 5453.
118. Chez Ibn Ish ̣āq, il est le 12e, si l’on compte à partir des cinq qui ont cru Mahomet à l’instigation de Abū Bakr, ou le 15e si l’on compte ʿAlī, Zayd b. al-Ḥāriṯa et Abū
Bakr ; Ibn Ish ̣āq, Sīra, p. 162-5/trad. Guillaume, op. cit., p. 115-7/trad. Badawi, I, p. 193-8.
120. Ibn Ish ̣āq, Sīra, p. 208-9/trad. Guillaume, op. cit., p. 146 ; Ṭabarānī, al-Muʿǧam al-kabīr, I-XII, XVII-XX, XXII-XXV, éd. Ḥamdī ʿAbd al-Maǧīd al-Silafī, Mossoul,
1401/19832 (Bagdad, 1398-1404/1977-841) [on a retrouvé depuis les vols. XIII, XIV et un fragment du vol. XXI qui ont été édités sous la direction de Saʿd b. ʿAbd Allāh al-
Ḥumayyid et Ḫālid b. ʿAr. al-Ğuraysī, Riyad, 1426-1429/2006-2008], IX, p. 34, n° 8316 ; cf. Maqrīzī, Imtāʿ, IX, p. 115.
121. Ibn Ish ̣āq, Sīra, p. 212/trad. Guillaume, op. cit., p. 147 ; Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 393, évoque les deux émigrations en Éthiopie d’après Ibn Ishāq et Muh ̣ammad
b. ʿUmar, i. e. al-Wāqidī. Sur la question de savoir s’il y eut une ou deux émigrations en Éthiopie, cf. Watt W. M., Mahomet à La Mecque, trad. F. Dourveil, Paris, Payot, 1958, p. 144-
52. Pour lui, la raison principale de cette émigration résidait dans des dissensions à l’intérieur de la communauté embryonnaire de l’islam.
122. Ibn Ish ̣āq, Sīra, p. 218-20/trad. Guillaume, op. cit., p. 151-2 ; Hamidullah M., Le Prophète de l’Islam. Sa vie, son œuvre, I-II, Paris, [s. n.], éd. augmentée 19794
(19591), I, p. 278, § 498 ; Ibn Ḥanbal, Musnad, I, p. 461/IV, p. 244-6, n° 4400.
123. Wāqidī (m. 207/823), Kitāb al-Maġāzī, I-III, éd. M. Jones, Oxford, 1966, I, p. 156.
125. La seule information que Mizzī, Tahḏib, XV, p. 312, n° 5489, donne sur Qays b. Zayd est qu’il transmit des traditions relâchées (arsala ʿan) du Prophète. Caskel W.,
Das genealogische Werk des Hišām ibn Muh ̣ammad al-Kalbī, I-II, Leyde, E. J. Brill, 1966, II, p. 464, produit huit Qays b. Zayd. Ibn Ḥağar, Is ̣āba, III, p. 282, n° 7351, le place parmi
les « petits Suivants ».
126. Certaines sources font remarquer qu’Ibn Maz ̣ʿūn mourut avant le mariage de Ḥafs ̣a ; Ibn Ḥağar, Is ̣āba, III, p. 282, n° 7351.
128. Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, VIII, p. 84 ; Balāḏurī, Ansāb al-ašrāf, I, éd. M. Hamīdullāh, Le Caire, 1959, p. 427 ; Ṭabarānī, Kabīr, XVIII, p. 365, n° 935 ; al-Ḥākim al-Nīsābūrī,
al-Mustadrak ʿalā l-S ̣ah ̣īh ̣ayn fī l-h ̣adīṯ, I-IV, éd. M. ʿArab b. M. Ḥusayn et al., Hyderabad, 1915-23, IV, p. 15 ; Ṣālih ̣ī (M. b. Yūsuf al-Šāmī, m. 942/1536), Subul al-hudā wa l-rašād fī
sīrat ḫayr al-ʿibād [i. e. al-Sīra al-šāmiyya], I-XII, éd. ʿĀdil A. ʿAbd al-Mawǧūd et ʿA. M. Muʿawwad ̣, Beyrouth, 1414/1993, XI, p. 185, d’après l’Histoire de Abū Bakr Ibn a.
Ḫayṯama et Ṭabarānī.
129. Dans d’autres versions, c’était le tour de ʿĀ’iša. Plusieurs récits signalent que Ḥafs ̣a et ʿĀ’iša s’entraidaient, ce qui, dans le contexte, donne à penser qu’elles avaient
une certaine complicité dans la surveillance d’un mari volage.
130. Ṭabarī, Tafsīr, XXVIII, p. 158, ad Q 66,1 ; Veccia Vaglieri I., in EI, III, p. 66.
133. GAS, I, p. 284-5. Ce traditionniste que ʿUrwa semble avoir élevé est probablement le premier à avoir collecté les traditions de ce denier dans un K. al-Maġāzī ; Schoeler
G., Charakter und Authentie der muslimischen Überlieferungen über das Leben Mohammeds, Berlin, W. de Gruyter, 1996, p. 31-2.
134. Sur cette chaîne de garants des traditions sur les Maġāzī collectées par ʿUrwa, cf. Schoeler, Charakter, op. cit., p. 81 sqq. Sur les autorités de ʿUrwa, v. Muslim (b. al-
Ḥağğāğ), « Riğāl ʿUrwa b. al-Zubayr wa ğamāʿa min al-tābiʿīn wa ġayrihim », éd. Sukayna al-Šihābī, in RAAD, 54 (1979/1), p. 118 (107-45).
135. D’après Ṣālih ̣ī, Subul al-hudā, op. cit., II, p. 364.
136. Dans la version d’Ibn Ish ̣āq, c’est seulement al-Walīd b. al-Muġira qui la lui propose.
137. Bayhaqī (Abū Bakr), Dalā’il al-nubuwwa, I-VII, éd. ʿAbd al-Muʿtị̄ Qalʿaǧī, Beyrouth, 1405/1985, II, p. 285-93.
139. Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 397 ; Ibn ʿAbd al-Barr (Abū ʿUmar Yūsuf), al-Istīʿāb fī asmā’ al-as ̣h ̣āb, I-IV, éd. M. ʿA. al-Biǧāwī, Le Caire, 1957-60, III, p. 1054 ; al-Ḥākim
al-Nīsābūrī, Mustadrak, op. cit.,, III, p. 189-90.
140. Ici traduit de Buḫārī, S ̣ah ̣īh ̣, 67, Nikāh ̣, 8, III, éd. Krehl, p. 413, l. 14-16 (cf. l. 15-16)/Ibn Ḥağar, Fath ̣, IX, p. 117, n° 5073 (cf. n° 5074)/trad. O. Houdas, Les traditions
islamiques, III, p. 547, modifiée par nous. Les expressions entre crochets sont dans l’éd. d’Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 393 ; ʿAbd al-Razzāq, al-Mus ̣annaf, I-XI, éd. Ḥabīb al-Rah ̣mān al-
Aʿz ̣amī, Johannesbourg, Karachi, 1971, VI, p. 168, n° 10375, 2e tradition, mais avec : law ah ̣alla lahu ; Ibn Ḥanbal, Musnad, I, p. 175//II, p. 241, n° 1514 ; I, p. 176/II, p. 245,
n° 1525 ; I, 183/II, p. 270, n° 1588 ; Muslim, S ̣ah ̣īh ̣, 16, Nikāh ̣, 1, II, p. 1020, n° 1402 ; Ibn al-Bārūdī al-Nīsābūrī, al-Muntaqā min al-sunan al-musnada ʿan al-Rasūl, éd. ʿAbd Allāh
ʿU. al-Bārūdī, Beyrouth, 1408/1988, p. 170, n° 674 (fa-nahāhu Rasūlu Llāh) ; Ibn Ḥibbān (Abū Ḥātim M. b. Ḥibbān), S ̣ah ̣īh ̣ Ibn Ḥibbān, Tartīb de ʿAlā’ al-Dīn ʿAlī b. Balbān al-
Fārisī, I-XVIII, éd. Šuʿayb al-Arna’ūt,̣ Beyrouth, (1404-1412/1984-1991), 1418/19973, IX, p. 337, n° 4027.
141. Ḏahabī, Siyar, I, 161-2. Il fut l’un des deux Badriens à boire du vin, l’autre étant Nuʿaymān b. ʿAmr. Qudāma devint gouverneur du Bahreïn sous ʿUmar, là il fut accusé
d’avoir bu du vin ! ʿUmar le fit châtier pour cela ; Ibn Šabba (ʿUmar, m. 262/876), Ta’rīḫ al-Madīna al-munawwara, I-IV, éd. Fahīm M. Šaltūt,
̣ Djeddah, 1399/1979, p. 842-8 ; Nagel
T., Mohammed, Leben und Legende, Munich, Oldenbourg, 2008, p. 539.
142. Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 395 ; Ṭabarānī, Kabīr, IX, p. 38, n° 8320 ; Tāğ, X, p. 452b (fa-innahu mağfaratun, comme chez Ṭabarānī) ; Muttaqī l-Hindī (m. 975/1567),
Kanz al-ʿummāl [fī sunan l-aqwāl wa l-afʿāl], texte revu par Bakrī Ḥayyān et Ṣafwat al-Saqqā, Beyrouth, 1409/1989, VIII, p. 456, n° 23634, d’après Ṭabarānī.
143. Fasawī, al-Maʿrifa wa l-ta’rīḫ, I-IV, éd. Akram Ḍiyā’ al-ʿUmarī, Médine, 1410/19913, (1974-19761), I, p. 273, a : fa-innahu mūh ̣s ̣in.
144. Caskel W., Das Genealogische Werk, op. cit., I, 24 ; II, 130 ; Wüstenfeld, Genealogische Tabellen der arabischen Stämme und Familien, I-II, Göttingen, Dieterich,
1852, 1853 (Register), II, p. 36 ; Ibn Mākūlā, II, p. 538-9 ; Mizzī, Tahḏīb, XI, p. 198-201, n° 2805.
145. La partie entre crochets est dans la version donnée par Ibn ʿAbd al-Barr.
146. Ibn Saʿd, Ṭabaqāt, III, p. 393-4 ; Ibn ʿAbd al-Barr, Istīʿāb, op. cit., III, 1054-5. Cf. Nagel T., Mohammed, op. cit., p. 542-3.
147. Nagel T., Mohammed, op. cit., p. 542, n. 239 (p. 809, car les notes sont malheureusement rejetées à la fin de l’ouvrage).
148. Wensinck A. J., « Khamr », EI, IV, p. 1027.
149. Ibn Ḥabīb, Munammaq, p. 422 ; cf. le débat sur les idolytes dans la communauté chrétienne primitive ; Ac 15, 19-29 ; 1 Cor 8, 4-13 ; Dictionnaire encyclopédique de la
Bible, op. cit., p. 602a, avec référence à l’étude de Willis (W. I.), Idol meat in Corinth. The Pauline argument in 1 Corinthians 8 and 10, Chicago, 1985.
150. Ibn Ḥabīb, Muh ̣abbar, p. 474-5, avec la chaîne de garants suivantes : al-Musayyibī (a. ʿAbd Allāh M. b. Ish ̣āq al-Maḫzūmī al-Madīnī al-Baġdādī, m. 28 rabīʿ I 236). En
fait : h ̣akā l-Musayyibī, et non h ̣addaṯanī/M. b. Muʿāḏ al-Ṣanʿānī/Maʿmar (b. Rāšid al-Ṣan’ānī, m. 154/770).
151. Ibn Ḥabīb, al-Munammaq, p. 423 ; après une liste de onze noms, à laquelle il manque Ğaʿfar (b. a. Ṭālib) qui se trouve dans la liste du Muh ̣abbar. Cf. Buḫārī, 56,
Ğihād, 41 : « Tout prophète a eu un disciple fidèle (ou intime) (h ̣awarī), et mon disciple fidèle est al-Zubayr b. al-ʿAwwām ».
152. Gil M., op. cit., 13-15 ; Monnot, G., « Sabéens et idolâtres selon ‛Abd al-Jabbār », dans Islam et religions, 207-27, et passim.
155. Qurtubī,
̣ Tafsīr, I, 434, ad Q 2, 62, selon Ḥasan al-Bas ̣rī et Qatāda ; cf. Muqātil, I, 112 ; Sprenger, I, 579, 388-9.
156. Ṭabarī, Tafsīr, éd. Šākir, II, p. 145-7 ; Ğas ̣s ̣ās ̣, Ah ̣kām al-Qur’ān, 3 vol., Istanbul, 1916-9, III, 91.
157. Hawting G. R., The Idea of idolatry and the emergence of Islam. From polemic to history, Cambridge, CUP, 1999 ; Crone P., « The Religion of the Qur’ānic pagans :
God and lesser deities », Arabica, LVII (2010), p. 151-200.
158. Wellhausen, Reste arabischen Heidentums, Berlin, G. Reimer, 18972 (18871), p. 237-8.
160. Gilliot, « Christians and Christianity in Islamic Exegesis » op. cit. ; Id., « Das jüdisch christliche Umfeld der Entstehung des Korans… », cf. supra n. 4.
La possibilité du Coran comme document
anthropologique
Jacqueline Chabbi
INTRODUCTION
Le Coran dans son état premier est, d’un point de vue historique, un
objet énigmatique sur lequel on ne peut poser que des hypothèses. À
l’inverse, il faut bien se rendre compte que, du point de vue des croyants, y
compris dans le monde contemporain, le Coran est vu comme ayant
forcément existé comme objet d’emblée matérialisé. En témoignent encore
aujourd’hui les exemplaires prétendument ʿuthmaniens qui sont présentés
en grande solennité à Istanbul (Palais de Topkapi) et à Tashkent (Mosquée
Telyashayakh). Un questionnement comme celui que nous formulons sur la
« possibilité d’existence » du Coran, sous une forme qui demeure à
déterminer, est difficile à soutenir aujourd’hui dans le monde musulman.
Mais un tel raisonnement aurait été plus encore intenable aux âges
médiévaux. Il eût été inconcevable en effet, pour la communauté
musulmane, une fois constituée, d’abord politiquement (les Omeyyades de
la fin du VIIe siècle), puis, nettement plus tard, dogmatiquement (pas avant
les Abbasides à partir de la fin du VIIIe siècle) de laisser sans réponse la
question de l’origine de son texte sacré fondateur et, plus encore, celle des
conditions de sa transmission comme objet bien identifié au fil des
générations. Contrairement aux chercheurs contemporains en sciences
humaines qui peuvent se contenter de poser des questions sans parvenir à
construire des réponses si elles paraissent manquer de pertinence, une
tradition religieuse se doit de trouver des réponses concrètes à toutes les
questions possibles que se sont posées les croyants. La tradition
musulmane, complexe et extrêmement prolixe, témoigne du besoin constant
où se sont trouvées les sociétés, une fois qu’elles se furent dûment
revendiquées comme musulmanes, au travers de leurs diverses tendances,
de remplir cette mission pour elles essentielle. Il est donc particulièrement
difficile de mettre la production savante, issue des âges médiévaux, lestée
de tant d’a priori et de présupposés idéologiques, seule à contribution pour
tenter d’élucider le passé du Coran. La question de la manière dont on doit
utiliser les sources primaires médiévales sans prendre pour argent comptant
les « faits » prétendus qu’elles invoquent, est donc fondamentale.
Le pari que nous tenterons de tenir ici – évidemment en dehors de tout
contexte de croyance – n’est pourtant pas celui qui a beaucoup occupé les
savants occidentaux depuis plus de deux siècles et qui traite notamment de
la question de la composition du Coran ou de celle – tout aussi travaillée –
des influences et des emprunts qui ont été faits à des sphères religieuses ou
culturelles extérieures. Sans contester l’intérêt de ces études, nous
aborderons le sujet « Coran » par une autre voie qui a, selon nous, été
beaucoup trop peu explorée jusqu’à présent. Elle est celle qui consiste à
confronter le texte actuel de la vulgate, comme objet global, à son milieu
social et humain présumé d’origine en cherchant à mettre en évidence les
passages coraniques qui semblent faire écho à des réalités
anthropologiques. Il ne s’agira évidemment pas de suivre le texte dans son
déroulement, mais au contraire d’en faire en quelque sorte un terrain de
fouille pour en exhumer des matériaux qui auraient jusque-là échappé à
l’attention, non pas bien sûr parce qu’il s’agirait de matériaux inconnus,
mais pour retrouver leur fonctionnalité première, celle de leur utilité pour le
Coran lui-même. D’où que vienne la thématique coranique ou du moins une
partie d’entre elle, la question sera de se demander avant tout, à quoi elle a
servi dans le texte de la vulgate, autrement dit quelle a été la valeur d’usage
des différentes thématiques du Coran dans leur contexte humain initial. Ce
faisant, nous ne prétendrons pas reconstituer des faits qui, le plus souvent,
demeureront introuvables mais plutôt poser un diagnostic de vraisemblance
sur des situations que peut laisser présumer le texte de la vulgate sous sa
forme actuelle. Si tant est que – tout ou partie et, sans exclure certaines
interpolations – le Coran soit effectivement issu du milieu humain dont la
tradition musulmane nous dit qu’il est, que pouvait signifier le discours
coranique pour les hommes à qui il est censé s’être adressé d’abord. Cela
suppose que le texte coranique soit constamment mis en regard de ceux
qu’il est censé évoquer à travers ses répliques et que, quelquefois, il met en
scène de façon plus précise. Cela suppose aussi que l’on s’interroge sur la
manière dont le Coran paraît gérer son imaginaire et, entre autres aspects,
celle dont il construit, l’image de l’autre. L’altérité dans le Coran joue
beaucoup sur le registre de l’antériorité symétrique pour construire son
argumentation. Mais elle joue aussi sur le registre de l’exclusion. Nous
tenterons d’explorer chacun de ces deux registres en les mettant là aussi en
regard de leur imaginaire social présumé dans le milieu humain qui est
supposé avoir été celui du milieu coranique originel.
CONCLUSION
Le corpus coranique se parle à lui-même de ce qu’il croit savoir. Il faut
donc se rendre compte qu’il ne saurait être confondu avec le discours des
exégètes et des historiographes musulmans de l’époque abbasside qui
vivent dans un contexte de société qui n’a plus rien à voir avec le milieu
tribal premier, même si ce contexte nouveau pouvait lui aussi être étudié à
l’aune de l’anthropologie historique. La révélation arabique avait coranisé
des éléments bibliques pour soutenir son discours contesté aussi bien à
La Mecque qu’à Médine. Les savants musulmans, issus pour la plupart des
milieux convertis, procéderont à l’inverse en biblisant le Coran. Le Coran
de Muhammad aura alors changé de mains, de société et donc de
signification. C’est une autre histoire qui n’est plus celle du Coran en soi
mais celle de ses interprétateurs et de leurs interprétations. Ce serait une
erreur méthodologique majeure, d’un point de vue historique, que de croire
que le futur advenu peut expliquer son passé.
BIBLIOGRAPHIE
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1997, 2010².
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RYCKMANS G., Inscriptions sud-arabes. Deuxième série. Extrait de
Le Muséon, LXVI (1953), p. 207-317 ; Inscriptions historiques sabéennes
de l’Arabie centrale, ibid., p. 319-342.
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3. Chabbi J., Le Coran décrypté, Figures bibliques en Arabie, Paris, Fayard, 2008.
4. Ryckmans G., Inscriptions sud-arabes. Deuxième série. Extrait de Le Muséon, LXVI (1953), p. 207-317 ; Inscriptions historiques sabéennes de l’Arabie centrale, ibid.,
p. 319-342.
5. Cf. notre analyse dans Chabbi J., Le Coran décrypté, op. cit., p. 151.
6. Maigret A., « La route caravanière de l’encens dans l’Arabie préislamique, Éléments d’information sur son itinéraire et sa chronologie », Chroniques Yéménites, 11, 2003.
En ligne à l’adresse http://cy.revues.org/160.
7. Crone P., Meccan trade and the rise of Islam, Princeton, Princeton University Press, 1987.
8. Cf. nombreux exemples donnés dans notre Coran décrypté, op. cit.
Geneviève Gobillot
PRÉALABLES MÉTHODOLOGIQUES
La méthode d’étude qui sous-tend cet ensemble de travaux comporte
deux volets complémentaires : intertextualité interne et intertextualité
externe.
L’intertextualité « interne » ou intratextualité correspond à une prise en
considération du Coran comme hypertexte au sens où il se réfère à lui-
même, explicitement ou implicitement selon les cas, le sens d’un passage
donné dépendant souvent de l’apport d’autres versets ou groupes de versets.
Cette approche concerne en premier lieu le contexte « proche » de l’extrait
en question, à savoir les ensembles thématiques qui le précèdent ou le
suivent immédiatement dans le texte, et qui peuvent être d’un volume plus
ou moins important. Elle présente à ce niveau quelques points communs
avec l’analyse rhétorique2, bien qu’elle revête un aspect beaucoup moins
exhaustif et systématique. Mais elle peut aussi renvoyer à un contexte
« éloigné », à savoir des versets figurant dans d’autres sourates,
indifféremment antérieures ou postérieures selon l’ordre de classification
officiellement admis pour la Vulgate, et ce en vertu d’un principe très
simple d’analogie. Il peut s’agir, selon les cas, d’analogie sémantique ou
d’analogie verbale. On parlera d’analogie sémantique dans le cas d’un
thème ou d’un ensemble de thèmes liés par leur contenu, d’analogie verbale
s’il s’agit d’une correspondance relative à la terminologie, à travers la
reprise d’un terme ou d’une expression précis. Jusque-là on conviendra
qu’il s’agit d’éléments de méthode tout à fait connus pour l’essentiel, voire
extrêmement classiques, dont on trouve des exemples dans plusieurs tafāsīr.
En revanche, peu de commentateurs musulmans ont tenu compte de
l’intertextualité « externe3 », bien que le Coran soit lui-même parfois très
explicite sur la question. Cette approche part du point de vue que, pour être
clairement compris, de nombreux passages nécessitent que l’on se réfère à
divers textes antérieurs, notamment des domaines biblique et parabiblique.
Dans cette optique le texte coranique se comporte également comme un
hypertexte, mais cette fois au sens où il renvoie de façon plus ou moins
explicite à ces corpus extérieurs à lui, de manière à ce que le lecteur y
trouve les références à partir desquelles son discours apparaît porteur du
sens à la fois le plus évident et le plus complet.
Ce n’est pas le lieu d’exposer ici par quels cheminements nous en
sommes arrivés à privilégier ce type d’approche. Son aspect extrêmement
classique pourrait même presque nous en dispenser. Néanmoins il est
possible de se référer pour ce point à nos articles déjà publiés sur la
question4.
On ajoutera un troisième volet méthodologique, d’une connotation
apparemment encore plus traditionnelle que les deux premiers. Il s’agit du
fait que, depuis le début de nos recherches sur la question, nous avons
choisi en toutes circonstances de « prendre au mot » le Coran pour ce qui
concerne la manière dont il se définit lui-même dans son rapport à la Vérité.
Nous sommes donc partis d’un point de vue très proche de celui que définit
Bernard Barc à propos de la composition de la Bible relativement à la
« langue du sanctuaire5 ». Les revendications du texte coranique à ce sujet
vont en effet dans le même sens : pas de contradiction, aucune divergence,
et une composition « parfaite » dans laquelle chaque terme, chaque
particule, doit être pris en compte, considérant qu’il ne contient rien
d’inutile ni de superflu.
C’est paradoxalement à partir de cette vision traditionnelle par
excellence que se sont dévoilées à nous les possibilités de lectures nouvelles
dont nous allons exposer ici l’une des plus importantes du point de vue
théologique : celle qui s’applique au concept d’abrogation (nasḫ).
LE THÈME DE L’ABROGATION
ET SES COMMENTAIRES EXÉGÉTIQUES :
PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Le seul passage du Coran qui donne une véritable définition de
l’abrogation est, de l’avis unanime des commentateurs et des spécialistes, le
verset 2, 106.
Il est exclu de reprendre ici l’ensemble des explications données par les
exégètes sur ces divers points. On résumera donc à l’extrême en disant que,
de manière générale, les commentaires se caractérisent par deux points :
d’une part le peu d’intérêt porté à la catégorie des versets (sens donné
généralement par eux au mot « āya »), définis comme « ceux que l’on fait
oublier », la plupart des commentateurs en ayant simplement fait une
variété d’abrogés ; d’autre part, l’affirmation catégorique selon laquelle,
même si les versets remplacés par d’autres peuvent appartenir à des textes
antérieurs, en particulier la Bible, l’essentiel des abrogations concerne le
Coran lui-même, certains versets récents abrogeant, surtout au plan
juridique, des versets révélés antérieurement. Cette position, qui implique
une utilisation importante des asbāb al-nuzūl, n’a été contestée que par un
très petit nombre de commentateurs anciens, à vrai dire un seul, d’après ce
qui a été rapporté sur la question. Il s’agit d’un muʿtazilite (Abū Muslim
Ibn Bah ̣r le muʿtazilite (IIIe s. de l’Hégire), qui, selon Faḫr al-dīn al-Rāzī,
avait défendu l’idée que l’abrogation ne concernait en rien le texte du Coran
lui-même, mais seulement les Livres antérieurs des juifs et des chrétiens.
Voici ce qu’il dit : « Sixième question : Ils (les ulémas) sont tombés
d’accord sur le fait que l’abrogation concerne le texte du Coran lui-même.
Néanmoins Abū Muslim Ibn Bah ̣r7 a déclaré, “Il n’en est point ainsi” ; alors
que les gens argumentaient en faveur de son application dans le Coran au
moyen de divers éléments. L’un d’entre eux est le verset suivant : “Nous
n’abrogeons un verset ni ne le faisons oublier sans en apporter un meilleur
ou un semblable”. Abū Muslim a répondu à cela également par divers
arguments : le premier est que les versets abrogés sont des lois (šarā’iʿ) qui
figurent dans les livres antérieurs, à savoir la Torah et l’Évangile, comme
par exemple le repos du samedi et la prière vers le couchant, dont Dieu nous
a dispensés en nous faisant manifester autrement notre adoration. Les juifs
et les chrétiens disaient : “Ne croyez que celui qui suit votre religion”. Dieu
a aboli cela par ce verset8. » Cette interprétation isolée semble néanmoins
avoir donné naissance a posteriori à un courant indo pakistanais (Sayyed
Ahmad Khān, Mawdūdī entre autres) qui considère que l’abrogation ne
concerne que les textes bibliques. En revanche, à la différence de Abū
Muslim, tous ces auteurs affirment que c’est la totalité du texte biblique qui
est concerné et non pas certaines de ses parties. L’étude que nous proposons
de réaliser ici permettra peut-être de voir plus clair à ce sujet.
EXEMPLES DE REMPLACEMENTS
PAR DES VERSETS ÉQUIVALENTS
Le verset 2, 106 nécessite, pour être mieux compris, d’être rapproché de
deux autres passages qui traitent directement de l’abrogation. Il s’agit en
premier lieu du verset 16, 101 :
Pour finir, cette vision des choses est complétée par la réponse à une
autre contestation émanant des Gens des communautés (16,103) : « Nous
savons qu’ils disent : “C’est seulement un mortel qui l’instruit !” Mais
celui auquel ils pensent parle une langue étrangère, alors que ceci est
une langue arabe claire ».
Le fait que la révélation coranique soit en arabe et non pas dans les
langues des textes auxquels elle apporte les modifications en question
(hébreu, syriaque et autres) est avancé ici comme preuve que ces textes ne
sont pas modifiés par un homme (l’envoyé et/ou son instructeur), mais bien
par Dieu lui-même. Nous sommes donc là au cœur même de la fonction que
le Coran s’attribue de manière récurrente : juste commentaire9, correction et
rectification des textes antérieurs, comme le précise entre autres le verset (5,
15-16) « Ô Gens de l’Écriture, vous est venu notre Envoyé ; il explicite
pour vous beaucoup de ce que vous cachiez de l’Écriture et il passe
outre sur beaucoup ». Il est donc évident, dans ce contexte, que les
« signes » remplacés par d’autres ne peuvent pas appartenir au Coran, mais
bien à des textes antérieurs, les textes de ceux qui, justement, manifestent
une attitude critique à l’égard du messager. En revanche, la correction
proposée fait bien, elle, partie du Coran qu’il proclame. De ce fait, le public
concerné ne peut être que bilingue. Il faut en effet qu’il connaisse le texte
original en langue hébraïque pour juger des changements opérés en arabe.
La réplique qui suit confirme ce sens en arguant du fait que le Coran, quant
à lui, « descend » directement de Dieu, accompagné du Vrai (h ̣aqq), grâce à
l’Esprit de sainteté.
Coran 5, 90
Ô vous qui croyez, le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les
flèches divinatoires sont une abomination et une œuvre du démon,
Évitez-les. Peut-être serez-vous heureux27.
Donc, lorsque Salomon est dit avoir été accusé de mécréance, il s’agit
de toute évidence de bien autre chose que de magie, blanche ou noire.
D’autant plus que sans aller chercher très loin, une fois de plus le livre des
Rois fournit une réponse totalement ajustée, puisqu’il évoque un véritable
acte de mécréance, au sens propre du terme, attribué à Salomon,
comportement lié d’ailleurs directement à la question de ses possessions et
à son infraction à la « Loi du Roi », puisque c’est à cause de la possession
de ses nombreuses femmes étrangères que, selon ce texte, il serait tombé
dans une faute rédhibitoire, surtout pour un prophète : la mécréance sous
forme de polythéisme :
1 Rois 11, 4
« Quand Salomon fut vieux, ses femmes détournèrent son cœur vers
d’autres dieux et son cœur ne fut plus tout entier à Yahvé, son Dieu,
comme avait été celui de son père David. Salomon suivit Astarté, la
divinité des Sidoniens et Milkom, l’abomination des Ammonites. Il fit
ce qui déplaît à Yahvé et il ne lui obéit pas parfaitement comme son
père David. C’est alors que Salomon construisit un sanctuaire à
Kemosh, l’abomination de Moah sur la montagne à l’Orient de
Jérusalem et à Milkom, l’abomination des Ammonites. Il en fit autant
pour toutes ses femmes étrangères qui offraient de l’encens et des
sacrifices à leurs dieux. »
(6) « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue
et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant aucun dessein ne
sera possible pour eux.
(7) Allons ! Descendons et là confondons leur langage pour qu’ils ne
s’entendent plus les uns les autres. »
Cette vision des choses est confortée par une tradition rabbinique qui a
présenté, précisément, les deux anges Hārūt et Mārūt comme les
intermédiaires par lesquels les punitions célestes sont envoyées aux
hommes31. Selon ces textes, Dieu descendit avec soixante-dix anges pour
confondre les langues des hommes à Babel32. Il est logique, en raison de son
insistance sur la transcendance divine, que le Coran n’ait pas retenu cette
descente de Dieu, mais seulement l’envoi des anges.
En second lieu cette lecture permet, semble-t-il, de conférer une
dimension théologique plus élaborée, donc plus conforme à l’esprit du
Coran, au passage que les commentateurs ont interprété comme la
séparation de l’homme d’avec son épouse, qui serait causée par les démons.
Si on la relit à la lumière du concept de la confusion des langues, le terme
zawj, au masculin, qui, dans le Coran ne sert jamais à désigner l’épouse
terrestre (imrā’a), mais seulement l’épouse céleste, prend ici une autre
signification, dont certains autres passages s’approchent (par exemple 50, 7
dans lequel il désigne une espèce au sens de « composé d’individus
semblables ») celle de « l’alter ego », « celui qui fait la paire », le
« semblable33 » expression d’ailleurs utilisée dans la Bible elle-même en
Genèse 11, 7 pour dire que la confusion des langues sépare l’homme de
« son semblable ».
On peut alors lire le verset complet de la manière suivante :
Ce rapprochement avec les Homélies, même s’il est encore trop partiel
36
BIBLIOGRAPHIE
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1. Une partie des contenus de cet article a été publiée en 2007 dans la revue de l’Université de Mascara, et une autre en 2009, en langue allemande, dans les publications de
l’INARAH. Cf. « L’abrogation (nāsiḫ et mansūḫ) dans le Coran à la lumière d’une lecture interculturelle et intertextuelle ». Al-Mawāqif, numéro spécial, actes du premier colloque
international sur « Le phénomène religieux, nouvelles lectures des sciences sociales et humaines », Mascara, les 14-15 et 16 avril 2008, Publication du Centre Universitaire Mustapha
Stanbouli, Mascara, 2008, p. 6-19, ainsi que « Der Begriff Buch im Koran im Licht der pseudo-clementinischen Schriften » (La notion de livre dans le Coran à la lumière des écrits
pseudo clémentins), Vom Koran zum islam, Markus Gros, Karl-Heinz Ohlig, Inârah 4 Schriften zur frühen Islamgeschichte zum Koran, Verlag Hans Schiler, Berlin, 2009, p. 397-482.
Nous avons réalisé ici la synthèse entre des thèmes abordés séparément dans ces études tout en les complétant par les résultats de nos recherches les plus récentes.
2. Nous entendons par là les travaux réalisés par Michel Cuypers, auteur, en particulier, de : Le Festin, une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Lethielleux, Rhétorique
sémitique, Paris, 2007, et qui publie dans le présent recueil une contribution qui traite également du verset 2, 106 et aboutit à des conclusions identiques aux nôtres sur sa portée et sa
signification.
3. Quelques auteurs, à l’instar de Muqātil Ibn Sulaymān (m. 767, son tafsīr a été publié en 2003 par Ah ̣mad Farīd, Dār al-Našr, Beyrouth) ou plus tard d’al-Biqāʿī (Burhān
al-dīn), (m. 885 de l’Hégire, son Naz ̣m al-durar fī tanāsub al-āyāt wa-l-s ̣uwar a été publié en 1995 par ʿAbd al-Razzāq à Beyrouth, Dār al-našr) ont accordé une large place aux textes
bibliques dans leurs commentaires. On a également des témoignages de leur importance pour la doctrine de la vraie science des imâms dans certaines traditions chiites. Voir par
exemple Kulaynī, al-Us ̣ūl min al-Kāfī, Kitāb al-h ̣uğğa, Bāb anna al-ā’ima ‘indahum ğamīʿ al-kutub allatī nazala min ʿindi l-Lāh wa-annahum yaʿrifūnahā ʿalā iḫtilāf alsinatihā, éd.
ʿAlī Akbar al-Ġaffārī, Dār al-ʿawā’, Beyrouth, 1985, p. 227.
4. Voir, en particulier : « Les méthodes actuelles d’exégèse et d’étude critique du texte coranique », Exégèse et critique des textes sacrés, judaïsme, christianisme islam ; hier,
aujourd’hui, Geuthner, 2007, p. 255-268 et « La Bible vue par le Coran », Chrétiens face à l’islam, premiers temps, premières controverses, Bayard, Paris, 2009, p. 139-169.
5. Les arpenteurs du temps, Essai sur l’histoire de la Judée à la période hellénistique, éditions du Zèbre, Histoire du texte biblique 5, Lausanne 2000, p. 10-11.
6. La division en versets ayant été postérieure aux premières recensions de la Vulgate, nous utilisons le mot « signe » pour désigner āya dans les traductions, mais nous
parlons néanmoins de « versets » pour identifier les passages du texte connus comme tels depuis l’époque des premiers commentateurs.
7. Abū Muslim al-Isfahānī Muh ̣ammad b. Bah ̣r al-Isfahānī al-Muʿtazilī, m. 322/934, est un commentateur du Coran abondamment cité par Faḫr al-dīn al-Rāzī. Il figure en
GAL S I, p. 334-335. Il naquit en 254/868. Il fut l’un des protégés du vizir ʿAlī b. ʿIsā. Sous al-Muqtadir, il fut gouverneur d’Isfahān et de Fārs. Son commentaire coranique
s’appelait : Ǧamīʿ al-ta’wīl li-muh ̣kam al-tanzīl. Gilliot C., « Les trois mensonges d’Abraham dans la tradition interprétante musulmane. Repères sur la naissance et le développement
de l’exégèse en islam », IOS, XVII (1997), p. 37-87, pour lui, p. 40. Il est également cité par Ṭūsī et par Ṭabarsī dans leurs commentaires coraniques. À son sujet, lire Dawūdī,
Ṭabaqāt al-mufassirīn, éd. ʿAlī M. ʿUmar, Le Caire, Maktabat Wahba, I-II, 1972, II, p. 106, numéro 466. Le titre de son commentaire, Ǧamīʿ al-ta’wīl li-muh ̣kam al-tanzīl est donné
par Hağği Khalīfa, Lexicon bibliographicum et encyclopaedicum, éd. G. Flügel, II, p. 507-508, numéro 3885. C’était un commentaire volumineux. Également GAS, I, p. 42-43, avec
réf. à Ibn al-Nadīm, Yāqūt, Ṣafadī, Wafi, II, p. 244. Goldziher, Richtungen, 113. Son commentaire comportait 20 muğallad-s. Nous remercions ici Claude Gilliot pour tous les
renseignements qu’il nous a apportés sur ce personnage.
9. Voir à ce sujet notre article : « Le Coran, commentaire des Écritures », Le monde de la Bible, mai 2006, p. 24-29.
10. Pour 4, 46 et 2, 93, samiʿnā wa- cas ̣aynā, R. Paret et H. Speyer, Die biblischen Erzählungen im Qoran, p. 301-303, signalent la référence de Deutéronome 5, 24).
12. Nos remerciements vont à Dan Jaffe, qui nous a fourni cette liste des diverses significations du verbe hébreu ra’a.
13. Voir par exemple al-Biqāʿī : « Lorsque Dieu, exalté soit-Il a interdit définitivement (de prononcer) sa parole : rāʿinā après l’avoir permise, c’est-à-dire qu’il s’agissait
bien là d’une abrogation, il a rendu nul et non advenu tout ce qui s’y rattachait de description de la faveur suprême après l’élection (taḫs ̣īs ̣) qui, d’après son décret transmettait ce qui
était disponible en fait de pouvoir, de religion, de force ou de science, d’être humain à être humain », Naz ̣m al-durar, commentaire du verset 2, 105.
14. « En sa forme initiale, ce verset avait à peu près la même longueur que ceux qui précèdent. L’insertion du passage en italiques (c’est-à-dire de : “Salomon n’était pas
incrédule” à “S’ils avaient su”) est venue l’étirer. Ce passage répond surement à une objection d’opposants israélites. Le style en est simple, presque familier », Le Coran, Paris,
Maisonneuve et Larose, 1980, p. 42. Un grand nombre d’orientalistes ont repris sa conception sur ce point.
15. Art. « Hārūt et Mārūt », Dictionnaire du Coran, sous la direction de M. A. Amir-Moezzi, Paris, Robert Laffont, 2007, p. 284.
16. Dans son commentaire du verset 2, 102, il donne comme équivalent à ce terme q.r.a.
18. En 10, 37, le Coran est présenté de façon globale comme confirmation des Écritures antérieures, ainsi que leur explication détaillée. Il les authentifie donc dans leur
ensemble et, en même temps, apporte l’explication la plus sûre concernant leurs détails. La même expression est reprise en 12, 111. En revanche, au verset 2, 89 c’est le terme
mus ̣addiq qui est utilisé. La situation est différente, il ne s’agit plus seulement du Coran d’un côté et des Écritures antérieures de l’autre, mais de chaque Livre envoyé après d’autres et
qui contient la Vérité qui fait ressortir le Vrai de ce qu’ils ont déjà reçu (2, 91).
19. Cet épisode de la substitution d’un homme à Salomon sur son trône (à mettre en parallèle avec le Coran (38, 34 : « Nous avons éprouvé Salomon en mettant un corps sur
son trône ») semble correspondre à l’injonction divine faite à Salomon suite à son apostasie de 1 Rois 11, 11 « Je déchirerai le royaume de dessus toi et je le donnerai à ton serviteur ».
Dans ce passage de la Mishna comme dans le Coran tout se passe comme si cette menace était conjurée par le repentir de Salomon après que quelqu’un d’autre se soit effectivement
assis sur son trône. Cet épisode fait penser à la coutume babylonienne du « Roi d’un jour », destinée à conjurer le mauvais destin d’un roi.
20. Ginzberg L., Les légendes des juifs, t. V, p. 122 à 124 et p. 248-249 note 93 qui renvoie à Gittin (Talmud de Babylone, Ve siècle) 68b et Tehillim 78, 353.
21. Certains commentateurs ont pensé que ce passage ne pouvait être compris de cette manière.
23. En effet, selon le Coran, les choses se sont passées de sorte que l’on puisse dire, pour Salomon comme pour David : « Salomon a près de nous une place et un beau lieu
de retour » (v. 38, 40, parallèle à 38, 25)
24. Ginzberg, ibid., p. 119-120 et 246-247 note 81, qui renvoie à Yerushalmi Sanhedrin (Talmud de Jérusalem, traité Sanhédrin, IVe siècle), 2, 20c ; WR 19, 2 ShR (Cantique
Rabba ou Shir ha-Shirim Rabba, VIe siècle), 6 ; Tan Wa-Era (Midrash Tanhuma, éd. S. Buber, Vilna 1885, réimp. Jérusalem, 1964, édition critique), 5 ; Tan B. II, 18 ; Aggadat
Bereshit (daté communément du Xe siècle), 75, 146.
25. Cette loi est citée également dans un verset du Rouleau du temple, le plus long des textes retrouvés à Qumrân, ce qui prouve l’étendue de sa diffusion entre le IIe siècle
av. J.-C. et le premier siècle après : « Le roi ne devra pas multiplier les chevaux pour son plaisir, ni ramener le peuple en Égypte pour y guerroyer et, par ce biais, accroître le nombre
de ses chevaux, son argent et son or […] En outre, il ne multipliera pas le nombre de ses femmes, de crainte qu’elles ne détournent son cœur de Moi », 11 Q 19-29, col. 56, Le
Rouleau du Temple, Manuscrits de la mer morte, Michael Wise, Martin Abegg, Jr. Edward Cook, Plon, Paris, 2001, p. 631. À propos de la règle de la Loi du roi, voir l’ouvrage de
Christophe Batsch, La guerre et les rites dans le judaïsme du deuxième temple, Leyde, Boston, Brill, Suppléments du Journal of Jewish Studies 93, 2005.
26. Certains commentateurs ont trouvé cet acte excessif. Voir art. « Salomon » Dictionnaire du Coran, op. cit.
27. Ce passage est à rapprocher de celui où Moïse s’adresse aux serviteurs de pharaon, précisant que les magiciens ne sont jamais heureux (Coran 10, 77).
28. Notons que de nombreux autres épisodes de repentir de prophètes (généralement avant qu’ils ne soient investis de leur mission) sont ajoutés par le Coran au texte
biblique, comme par exemple le repentir de Moïse après le meurtre de l’Égyptien (28, 15-16). Ce type de correction pourrait correspondre à une vision des choses assez proche de
celle du manichéisme, pour lequel le repentir revêt une importance toute particulière.
29. C’est exactement ce que fait remarquer Ibn Kammūna qui n’a saisi, semble-t-il qu’une partie du rapport de ce passage coranique au texte biblique : « Les partisans du
tah ̣rīf ont mentionné ce qui a été dit sur le fait que certains rois des juifs avaient adoré des idoles et leur avaient construit des sanctuaires. Cela n’a jamais impliqué de leur part qu’ils
aient renié Dieu, la Torah ou Moïse. Cela s’est produit, d’après ce que l’on raconte, à l’occasion d’une requête concernant des avantages éphémères au moyen de démarches
recommandées par les maîtres de l’astronomie et des amulettes. En dépit de cela, ils veillaient à respecter leur devoir religieux et ses règles fondamentales. » Tanqīh ̣ : Saʿd b. Mans ̣ūr
Ibn Kammūna’s Examination of the inquiries into the three faith’s, A thirteenth-Century Essay in Comparative Religion, éd. Perlmann, University of California Publications, Near
Eastern Studies, Berkeley and Los Angeles, 1967, p. 32
30. C’est pourquoi al- Biqāʿī a envisagé dans son commentaire de ce verset l’existence de deux sortes de magies : une mauvaise et une bonne. Mais il n’a pas vu que cette
affirmation était immédiatement contredite par la suite du verset selon laquelle ces deux anges mettent en garde contre la tentation que constitue leur enseignement.
31. Tradition citée par Meir Bar-Asher, « Hârût et Mârût » du Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 385.
34. Voir à ce sujet notre article : « Les Pères de l’Église et la pensée de l’islam », contribution en hommage à G. Troupeau, L’Orient chrétien dans l’Empire musulman, Les
éditions de Paris, 2005, p. 59-90 et l’ouvrage de Abdesselam Cheddadi, Les Arabes et l’appropriation de l’histoire. Émergence et premiers développements de l’historiographie
musulmane jusqu’aux IIe/VIIIe siècle, Paris, Sindbad/Actes Sud, 2004, p. 135.
35. Homélies pseudo-clémentines, Écrits apocryphes chrétiens, II, Paris, La Pléiade, NRF Gallimard, 2005, p. 1276 Les Recognitions ont, à ce sujet, une position différente
puisqu’elles ne font aucune allusion à la théorie sur l’existence de faux passages dans l’Écriture. Introduction au roman pseudo-clémentin, ibid., p. 1185.
38. Voir : Prosper Alfaric, Les Écritures manichéennes, publication encouragée par la Société Asiatique, Nourry, Paris, 1918, 2 t., tome II, étude analytique, p. 142.
TROISIÈME PARTIE
L’ANALYSE LITTÉRAIRE
Le Coran : l’écrit, le lu, le récité
Pierre Larcher
INTRODUCTION
On lit partout que le Coran comme texte se présente sous forme d’un
ductus (rasm) unifié – qui porte dans la tradition islamique le nom
conventionnel de musḥ ̣af ʿUṯmān – et que c’est ce codex unifié qui connaît,
conséquence du caractère hyperdéfectif de l’écriture archaïque, une
variation de « lectures » (qirā’āt). Celles-ci ont été fixées au nombre
canonique de sept au IVe/Xe siècle, ce qui n’empêche pas qu’on leur en
ajoute parfois trois, portant ainsi le nombre de lectures à dix, et parfois
quatre autres encore, portant ainsi leur nombre à quatorze.
Il y a une dizaine d’années, j’ai proposé une traduction et un
commentaire d’un texte d’un voyageur maghrébin du VIIe/XIIIe siècle,
al-‘Abdarī, qui, traversant la Cyrénaïque, s’extasie du « conservatisme » du
parler nomade, notamment dans le domaine lexical (Larcher, 2001). Celui-
ci se traduit par le fait que les Nomades de Cyrénaïque emploient des mots
attestés dans le Coran ou le hadith, avec le sens qu’ils ont dans ces
ouvrages, alors que les sédentaires du Maghreb ou bien ignorent ces mots
ou bien les emploient dans un autre sens. Al-‘Abdarī, entre autres exemples,
donne celui de ġadaq attesté dans Coran 72, 16 : wa-’an lawi [> al-law1]
staqāmū ‘alā l-tarīqati
̣ la-’asqaynāhum mā’an ġadaqan « que s’ils se
maintenaient sur la voie droite, nous les abreuverions d’une eau
abondante » (trad. Masson). Le Lisān al-‘Arab (art. ĠDQ) de Ibn Manz ̣ūr
(m. 711/1311) paraphrase ġadaq par kaṯīr.
Reprenant récemment ce texte pour le présenter au séminaire de textes
arabes du FNRS de Belgique (Liège, 2008), je me suis avisé, en consultant
le Tafsīr al-Ğalālayn, que le Coran du Caire qu’on trouve au centre de
l’édition de référence donnait le même verset sous la forme suivante :
’allawi [< ’an law2] staqāmū ‘alā l-tarīqatị la-’asqaynāhum mā’an
ġadaqan. Le Coran du Caire écrit en un mot, avec trois lettres ’alif-lām-
wāw , ce que le Coran du Maghreb, que j’avais utilisé pour mon article de
2001, écrit en deux, avec quatre lettres ’alif-nūn/lām-wāw . Ainsi,
contrairement à ce qui est péremptoirement affirmé, on peut trouver,
aujourd’hui encore, dans des éditions imprimées du Coran, une divergence
de graphie du rasm même. Mon savant collègue Gerd Puin, avec qui
j’échange occasionnellement sur ces questions, m’assure que ce n’est pas
un cas isolé et des étudiants musulmans, non coupés de la grande tradition
scolastique musulmane, me le confirment. Si l’on y réfléchit, on voit que
ces divergences graphiques sont le contraire des divergences de lecture : on
écrit différemment un segment qui est « lu », grammaticalement, de la
même manière (i. e. comme ’an + law), alors qu’avec les lectures, on « lit »
différemment un segment écrit de la même manière.
ان ﻟﻮ
اﻟﻮ
VARIATION LIBRE…
Je laisse aux spécialistes de l’histoire du texte coranique le soin
d’expliquer ces divergences du rasm et celle-ci en particulier. Je suppose
néanmoins qu’elle peut résulter soit de traditions manuscrites différentes,
soit, au sein d’une même tradition manuscrite, d’une innovation. C’est cette
dernière opinion qui, semble-t-il, a les faveurs de Blachère3. Blachère,
comme, avant lui, Nöldeke et al.4 croit, avec la tradition islamique, en
l’existence d’une « vulgate othmânienne », par ailleurs non autrement
documentée. Cette vulgate aurait été « révisée » à l’époque du calife
omayyade ‘Abd al-Malik, mais cette révision, tout en s’efforçant
d’homogénéïser l’orthographe coranique, n’en aurait pas moins laissé
subsister un certain nombre de « disparates ». Quelque opinion que l’on
professe sur un sujet aussi controversé, il faudrait déterminer dans quel sens
l’innovation s’est faite : si l’on est tenté de penser, dans le cas qui précède,
que c’est de la forme synthétique vers la forme analytique, d’autres
variations du même type suggéreraient inversement une innovation de la
forme analytique vers la forme synthétique.
Quoi qu’il en soit, on résistera à la tentation de faire une corrélation
entre cette divergence même et le fait qu’elle se rencontre dans les deux
grandes versions du Coran encore en usage dans l’islam arabe et que j’ai
désignées comme le Coran du Caire, fondé sur la lecture de Ḥafs ̣ ‘an ‘Āsim,
̣
et le Coran du Maghreb, fondé sur celle Warš ‘an Nāfi‘. Une telle
corrélation est rendue impossible par le fait qu’on trouve également la
séquence en 13, 31 et en 34, 14 et, cette fois-ci, non seulement dans le
Coran du Maghreb, mais également dans celui du Caire. On ne peut donc
pas projeter sur l’axe paradigmatique (celui constitué par ces deux Corans)
une variante qui relève au premier chef de l’axe syntagmatique (celui
constitué par l’un des deux, en l’espèce le Coran du Caire), soit :
… OU VARIATION CONDITIONNÉE ?
Une variation graphique du même type, entre une forme synthétique et
une forme analytique, se retrouve avec ’an + lā. Nöldeke et al.5 indique que
celui-ci est partout écrit ’allā, sauf dix fois, où il est écrit ’an lā.
Malheureusement, Nöldeke et al. n’énumèrent pas ces cas, se contentant de
noter qu’un cas, celui de la sourate 21, verset 87 est disputé (n. 4 : Sure 21,
87 ist umstritten). Le dictionnaire des mots outils et des pronoms du Coran
de ‘Amayirah et al-Sayyid6 n’a qu’une entrée ’an, comptant 618
occurrences. Mais, au sein de ces 618 occurrences, il distingue bien entre
’allā et ’an lā, alors qu’il ne distingue pas entre les graphies de ’an + law et
’an + lan, écrivant partout en deux mots. Sur la base de ce dictionnaire,
nous avons trouvé 7 occurrences de ’an lā, contre 38 ’allā, en laissant de
côté trois li-’allā (2, 150 ; 4, 165 ; 57, 29). Le dictionnaire de ‘Amayirah et
al-Sayyid suit parfaitement ici la graphie du Coran du Caire et la collation
de ce dernier avec le Coran du Maghreb montre qu’il y a une parfaite
concordance entre les deux en ce qui concerne ’allā/’an lā. On a donc :
Le fait que Nöldeke et al. aient plus de cas (dix, dont un « disputé »)
que nous n’en trouvons (sept) suggère qu’il y a davantage de formes
analytiques dans les manuscrits qu’il n’en subsiste dans les versions
imprimées, autrement dit que la forme analytique a subi une raréfaction par
rapport à la forme synthétique.
1) 11, 14 :
fa-’illam7 [< ’in lam] yastağībū lakum fa-‘lamū ’annamā ’unzila bi-‘ilmi
llāhi wa-’an lā [> ’allā] ’ilāha ’illā huwa fa-hal ’antum muslimūn
« et s’ils ne vous exaucent pas, sachez que ce que l’on fait descendre
[du ciel] est [marqué] de la science d’Allah et qu’il n’est de dieu que lui.
Êtes-vous soumis à Dieu ? » (trad. Blachère)
2) 11, (25), 26 :
laqad ’arsalnā Nūh ̣ān liqawmihi ’innī lakum naḏīrun mubīn/’an lā [>
’allā] ta‘budū ’illā-llāha ’innī ’aḫāfu ‘alaykum ‘aḏāba yawmin ’alīm
« Nous avons envoyé Noé à son peuple. “Je suis pour vous un
avertisseur explicite : n’adorez qu’Allah ! Je crains pour vous le châtiment
d’un jour douloureux” » (trad. Blachère)
3) 21, 87 :
fa-nādā fī z ̣-z ̣ulūmāti ’an lā ’ilāha ’illa ’anta subh ̣ānaka ’innī kuntu
mina-z ̣-z ̣ālimin
« il appela dans les ténèbres : Il n’est dieu que toi, gloire à toi, j’ai été
au nombre des injustes » (ma traduction)
4) 36, 60 :
’a-lam ’a‘hadu ’ilaykum yā banī Ādama ’an lā [> ’allā] ta‘budū š-
Šaytān
̣
« n’ai-je pas stipulé envers vous, ô fils d’Adam : “N’adorez pas le
Démon !” » (trad. Blachère)
5) 44, (17, 18), 19 :
wa-ğā’a-hum rasūlun karīm/’an ’addū ’ilayya ‘ibāda llāhi ’innī lakum
rasūlun ’amīn/’an lā [> ’allā] ta‘lū ‘alā llāhi ’innī ’ātīkum bi-sultānin
̣ mubīn
« il leur est venu un noble envoyé [qui leur dit] : “livrez-moi les
serviteurs d’Allah, je suis un envoyé sûr !” Ne vous élevez pas contre
Allah : je viens à vous avec un pouvoir évident » (ma traduction)
6) 60, 12 :
yā ’ayyuhā l-nabīyyu ’iḏā ğā’a-ka l-mu’minātu yubāyi‘na-ka ‘alā ’an lā
[> ’allā] yušrikna bi-llāhi
« ô prophète, quand viendront à toi les croyantes, convenant avec toi
qu’elles n’associeront pas (de dieu) à Allah etc. (il y a une suite de phrases
coordonnées négatives wa-lā yaf‘alna) (ma traduction)
7) 68, (23), 24 :
fa-ntalaqū
̣ wa-hum yataḫāfatūn/’an lā [> ’allā] yadḫulanna-hā l-yawma
‘alaykum miskīn
« Ils se mirent en route, en se parlant à voix basse : “Certes,
aujourd’hui, nul pauvre n’entrera dans ce jardin malgré nous” » (trad.
Blachère) « Que nul pauvre n’entre ici aujourd’hui, malgré vous ! » (trad.
Masson)
On remarque aussitôt que dans quatre des sept cas (11, 26 ; 36, 60 ; 44,
19 ; 68, 24) on trouve derrière ’an un prohibitif. En arabe dit classique, le
prohibitif lā + apocopé est, à la deuxième personne, le pendant négatif de
l’impératif, comme on le voit en 44, 19, où le ’an + prohibitif suit un ’an
+ impératif au verset précédent. Aux autres personnes, il est le pendant
négatif de l’injonctif li + apocopé. On en a un exemple en 68, 24, où
l’apocopé est, en outre, muni du suffixe de l’énergique « lourd » (-anna).
Mais dans tous les cas, il n’est évidemment pas un simple contenu
propositionnel, ce que les logiciens médiévaux appelaient un dictum, mais
une vraie phrase, constituée tout à la fois d’un dictum et d’un modus. Cette
phrase a le statut de la citation et, en ce cas, les grammairiens arabes ne
considéraient pas ’an comme une « conjonction » (mawsūl ̣ h ̣arfī) mais
comme une particule épexégétique (mufassira, tafsīriyya), l’équivalent de
’ay (« c’est-à-dire ») ou de nos deux-points : je renvoie ici au Muġnī l-labīb
(p. 29-31) de Ibn Hišām al-Ansārī ̣ (m. 708/1310). C’est encore une citation
que l’on retrouve en 21, 87. Les pronoms de 1re (le – ī de ’innī et le -tu de
kuntu) et de 2e personnes (’anta) que l’on trouve dans la phrase dans le
champ de ’an réfèrent respectivement à celui qui a appelé dans les ténèbres
et à celui auquel il s’adressait, en l’espèce Allah.
Restent 11, 14 et 60, 12. En 60, 12, nous avons une suite d’inaccomplis
à la 3e personne du féminin pluriel. Cette forme est commune aux trois
modes de l’inaccompli (indicatif, subjonctif, apocopé). Le contexte exclut
le prohibitif, la phrase représentant le contenu de l’engagement (yubāyi‘na)
des « croyantes » envers Mahomet. Mais ce que la morphologie verbale ne
permet pas de distinguer peut l’être par la graphie, c’est-à-dire par le choix
de la forme analytique ’an lā, qui permet de trancher en faveur de
l’indicatif. C’est de cette fonction discriminante de la graphie que semble
provenir cette « règle » scolaire, établissant une corrélation entre formes
analytique et synthétique de la séquence ’an + lā et mode du verbe dans la
phrase verbale qui suit : si on trouve l’indicatif après ’an lā, alors on trouve
le subjonctif après ’allā… Cette « règle » est appliquée dans la version
imprimée du Muġnī l-labīb de Ibn Hišām al-Ansārī, ̣ déjà cité. Celui-ci
rappelle (p. 28) que Coran 5, 71 est lu par certains lecteurs (Abū ‘Amr,
Ḥamza et Kisā’ī selon Dānī, m. 444/1053, Taysīr, p. 83) à l’indicatif (raf ‘),
ce qui est écrit :
wa-h ̣asibū ’an lā takūnu fitnatun (pour une traduction, cf. infra, n. 4).
li-’allā ya‘lama ’ahlu l-kitābi ’allā yaqdrirūna ‘alā šay’in min fad ̣li
llāhi
« … que les gens du Livre ne sachent qu’ils ne peuvent rien sur la
faveur d’Allah… » (ma traduction).
Le verbe ‘alima (comme le verbe ra’ā) se construit avec ’anna, ainsi
que le montre 11, 14 (fa-‘lamū ’anna… « sachez que… »). Et, par suite, la
séquence ’an + lā, écrite en un ou deux mots, devant phrase verbale ou
nominale (comme en 11, 14) est, pour les grammairiens arabes, comme le
rappelle le Tafsīr al-Ğalālayni (p. 459) « la forme allégée de ’anna, qui a
pour “nom” le pronom de la chose » (’an muḫaffafa min al-ṯaqīla wa-
ismuhā d ̣amīr al-ša’n), Autrement dit, ’an + lā = ’anna-hu lā…
Néanmoins, il y a un point commun entre ce cas et le cas précédent
(celui du ’an « épexégétique »). Ce qui se trouve dans son champ n’est pas
un simple contenu propositionnel, mais l’énoncé d’un fait, donc lui-même
l’ensemble d’un dictum et d’un modus. Dans le cas de ‘alima ou de ra’a,
c’est celui de la présupposition : le fait énoncé reste vrai indépendamment
de ce que sait ou ne sait pas, voit ou ne voit pas le sujet de ce verbe. Cela a
pu favoriser le maintien de la graphie analytique, même là où elle n’a pas de
rôle discriminant. Certes, dans le cas de 60, 12, on pourrait dire qu’il s’agit
bien d’un simple contenu propositionnel dans le champ d’un verbe modal,
mais, ici, c’est le modus lui-même, celui de l’engagement contractuel, qui
donne au dictum la force d’une assertion promissive8.
On peut donc établir une corrélation entre la graphie analytique et le fait
que ce qui est dans son champ n’est jamais un simple contenu
propositionnel, même si on ne peut établir la corrélation symétrique : ce qui
est dans le champ de la graphie synthétique n’est pas toujours un simple
contenu propositionnel. On trouve par exemple, dans la même sourate 11,
au verset 2 :
CONCLUSION
Les variations graphiques du même segment, apparaissant, d’un Coran
à l’autre ou au sein d’un même Coran, sous deux formes, analytique et
synthétique, interpellent l’historien du texte coranique aussi bien que le
linguiste. Même si elles sont gommées, à l’oral, par la récitation, elles n’en
constituent pas moins, pour le premier, le signe visible d’une histoire
complexe qui, dans une large mesure, reste à faire. Dans la mesure où elles
ne sont pas forcément libres, mais conditionnées en quelque manière, elles
incitent le second à des hypothèses neuves sur les rapports non moins
complexes de l’oral et de l’écrit dans le Coran.
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‘ilm al-‘arabiyya. Beyrouth. Dār al-Ğīl, s. d.
1. Par convention, la forme entre crochets précédée du signe > représente la récitation de la forme écrite.
2. Par convention, la forme entre crochets précédée du signe < représente la forme considérée comme « classique ». Mais on se gardera de faire une interprétation historique
de ces signes.
3. Blachère R., Introduction au Coran, Paris, Maisonneuve et Larose, 1959, 2002, p. 77 ; p. 168.
4. Nöldeke T., Geschichte des Qorāns, zweite, völlig umgearbeitete Auflage. Dritter Teil : Die Geschichte des Korantexts von G. Bergsträsser und O. Pretzl, mit 8 Tafeln.
Leipzig : Dieterich’sche Verlagsbuchhandlung, 1938, réimpression Georg Olms, Hilddesheim, 2005.
8. Ibn Hišām al-Ans ̣ārī (Muġnī l-labīb, p. 28) indique que le ’an « allégé » apparaît après un « verbe de certitude » (fi‘l al-yaqīn) ou « ce qu’on met à sa place » (mā nuzzila
manzilatahu), donnant, entre autres exemples, celui de 5, 71, lu à l’indicatif. Alors qu’au subjonctif, il s’agit clairement d’un contenu propositionnel dans le champ d’un modus
(croire), l’emploi de l’indicatif rapproche beaucoup 5, 71 d’une espèce de citation de sens « ils ont cru ceci : “il n’y aura pas de sédition” », dont on pourrait facilement rendre compte
dans le cadre de la polyphonie d’Oswald Ducrot et de sa distinction locuteur/énonciateur (Ducrot et al., 1980) : le sujet du verbe modal (ceux qui ont cru) est l’énonciateur de « il n’y
aura pas de sédition », assertion qu’il tient pour vraie, tandis que le locuteur (celui qui dit « ils ont cru… ») tient cela pour une croyance, fausse.
9. Zamaḫšarī (al), ’Abū l-Qāsim Mah ̣mūd b. ‘Umar, al-Mufas ̣s ̣al fī ‘ilm al-‘arabiyya. Beyrouth. Dār al-Ğīl, s. d., p. 343.
10. Bally C., Linguistique générale et linguistique française. Quatrième édition revue et corrigée, Berne, Francke, 1965.
11. Larcher P., « Le Coran : le dit et l’écrit », Actes du colloque Oralité et écriture dans la Bible et le Coran, Aix-en-Provence (à paraître).
Le contre-discours coranique
Premières approches d’un corpus Mehdi 1
Azaiez
INTRODUCTION
La polémique est sans nul doute l’un des genres les plus marquants du
corpus coranique2. De la parole dite et de la parole échangées, le Coran a
préservé sous sa forme scripturaire les traces des controverses auxquelles,
semble-t-il, Muh ̣ammad a ou aurait été confronté. De ces échos polémiques,
les spécialistes occidentaux du Coran ont proposé deux types d’analyse.
La première consiste à interroger ces controverses du point de vue de
l’histoire. Cette démarche prévaut notamment chez des spécialistes tels que
Jacqueline Chabbi3, Alfred-Louis de Prémare4 ou G. R. Hawting5. Malgré la
diversité de leurs approches6, tous trois se rejoignent pour faire de la
polémique dans le Coran un des « lieux » stratégiques d’investigation du
prime islam. En effet, pour Jacqueline Chabbi, « c’est avec la figure
coranique du prophète dénié par les siens qu’on parvient enfin au sujet lui-
même dans son espace propre7 ». Ce déni déboucha sur le « paroxysme d’un
bannissement où la parole déviante ne peut même plus être entendue par le
groupe8 ». Dans cette perspective, la polémique constitue une tentative de
« mise en contexte historique de l’islam des origines, dans la société où
vécut Mahomet9 ». Pour G. R. Hawting, les polémiques apparaissant dans le
Coran sont le moyen de réinterroger la vraisemblance des récits
traditionnels musulmans sur l’identité des païens. Le thème de la polémique
permet à l’universitaire anglais d’émettre l’hypothèse que les controverses
des débuts de l’islam n’opposaient pas des monothéistes à des idolâtres
mais à des monothéistes strictement10. Enfin, pour Alfred-Louis de Prémare,
« les débats du Coran dans le Coran » permettent d’interroger le contexte
d’élaboration du corpus coranique. À cet égard, l’historien émet l’hypothèse
d’une mise par écrit à la suite d’une activité rédactionnelle progressive et
postérieure à la révélation du Coran donnée suppose-t-on à Muh ̣ammad11.
Parallèlement à cette orientation de recherche d’ordre historique, il
existe une seconde approche qui tente de saisir la polémique en tant que
genre ou type de discours à l’intérieur du Coran. L’intérêt de l’analyse se
porte donc sur l’aspect formel de la polémique. En premier lieu, elle
conduit les spécialistes à inscrire cette dernière parmi cinq ou six genres
identifiables dans l’ensemble du corpus coranique. En l’occurrence, c’est
Angelika Neuwirth qui proposa l’une des dernières typologies en date.
Ainsi, elle distingue des séquences eschatologiques (eschatological
prophecies), des motifs signes (signs), des récits (narratives of salvation
history), des polémiques (debates), des références aux événements touchant
la jeune communauté médinoise (additional elements : régulations and
reports about contemporary events12). Mais c’est surtout grâce aux analyses
de Neal Robinson que nous devons une étude précise des formes plurielles
de la polémique dans le Coran. Il précise que « the material is quite diverse
and is not always concentrated in discrete sections13 »… ils s’inscrivent
principalement dans le cadre de serments (oaths), de profération de
malédiction (curses), de dénonciations (categorical denunciations), de
reproches (reproaches), d’avertissements (warnings), de railleries
(lampoons), d’apostrophes en direction des incroyants (apostrophes
addressed to unbelievers14). À ces catégories, il faudrait, sans doute, ajouter
à la suite des travaux de Matthias Radscheit, les passages relatifs à l’appel
au défi (al-tah ̣addī) lancé par le Coran afin de produire une révélation
similaire à la sienne15.
Outre ces deux approches à la fois contextuelle et textuelle, le panorama
des études occidentales16 proposé serait en l’occurrence incomplet sans la
mention d’un ouvrage déterminant intitulé Logic, Rhetoric, and Legal
Reasoning in the Qur’an de Rosalind Gwynne Ward17. Comme son titre le
suggère, l’ouvrage aborde indirectement la question de la polémique
coranique en s’interrogeant essentiellement sur la dimension argumentative
et rhétorique du texte. L’étude met en lumière en particulier les ressources
et compétences linguistiques mobilisées par le Coran pour convaincre ou
réfuter ses contradicteurs.
Cet effort de compréhension et d’analyse fut d’une tout autre nature
dans la tradition islamique. Dépositaire d’un événement fondateur, celle-ci
développa toute une littérature exégétique et hagiographique18 où les
oppositions dont Muh ̣ammad fut l’objet furent relatées. Ces récits frappent
d’ailleurs par leur souci du détail qu’une analyse critique issue de l’école
orientaliste jugea rapidement fort suspecte19. Sans surprise, l’ensemble des
textes sont solidaires d’une même ambition : préserver l’infaillibilité de la
figure prophétique et condamner ses détracteurs d’alors. Le dessein,
logiquement apologétique, reste encore aujourd’hui dominant dans nombre
de travaux universitaires en langue arabe20. Toutefois, on signalera trois
auteurs de la période médiévale qui portèrent un intérêt particulier à la
polémique, et plus précisément à l’argumentation dans le Coran. Le premier
d’entre eux est al Ġazālī (Abū Ḥāmid Muh ̣ammad b. Muh ̣ammad,
m. 505/1111). Dans un ouvrage intitulé al Qistās ̣ al mustaqīm21, l’auteur
identifia cinq types d’arguments coraniques qui s’apparentent à « une
singulière tentative d’islamisation ou “coranisation” de la rhétorique
aristotélicienne22… ». La polémique dans le Coran n’est donc pas envisagée
comme objet d’étude mais bien comme le lieu privilégié où s’identifient des
formes argumentatives. L’objectif est d’offrir aux croyants les moyens de
répondre à toutes les éventuelles objections d’adversaires de la foi. Le
deuxième auteur est le juriste hanbalite al-Ṭūfī (Sulaymān b. ʿAbd al-Qawī,
m. 716/1316). Cité par al Suyūtị̄ qui s’en inspire largement, il est l’auteur
d’un livre intitulé ʿAlam al-ǧaḏal fī ʿilm al-ǧadal23 qui présente un
ensemble de techniques argumentatives qui trouvent particulièrement leur
application dans le Coran24. Le troisième auteur est le polygraphe al Suyūtị̄
(Ǧalāl al-DīnʿAbd al-Rah ̣mān m. 911/1505). Dans son ouvrage intitulé, al-
Itqān fī ʿulūm al-Qur’ān25, l’auteur aborde la question de la polémique dans
le Coran dans le chapitre 68 : « al ǧadal fī l-Qur’ān26 » où à l’appui des
versets coraniques, il met en lumière quelques procédés de controverses.
Or, à la lecture de ces nombreux travaux, il est à constater qu’aucune
étude systématique27 n’ait été consacrée à l’une des caractéristiques les plus
marquantes de la polémique coranique à savoir l’usage fréquent d’un
contre-discours. On précisera ici qu’il s’agit tout particulièrement de
s’intéresser à un discours rapporté direct qui met en scène la parole d’un
opposant. Nous le nommerons dorénavant « Contre Discours Rapporté
Direct » (CDRD). L’absence de monographie autour du phénomène est
pour le moins étonnante tant certains travaux de la linguistique
contemporaine soulignent l’insistante présence du contre-discours comme
trait marquant de la « polémicité » d’un texte28. C’est en l’occurrence le
linguiste Artur Greive qui définit clairement cette présence en utilisant
l’image de la joute verbale « afin d’indiquer le fait que le défenseur qui use
de la polémique vise son adversaire en utilisant lui-même l’attaque verbale
de celui-ci29 ». S’agissant du Coran, on ne s’étonnera donc pas de lire sous
la plume du linguiste arabisant Pierre Larcher que « le discours coranique
étant fréquemment polémique, on y entend la voix de l’autre, qu’il s’agisse
d’un adversaire historique ou d’un adversaire construit pour les besoins de
la cause30 ». Dans cet article, je propose de déterminer précisément la place
de ce contre-discours coranique en soulignant que si le phénomène n’est
nullement ignoré (1re partie), il nécessite néanmoins une localisation, une
quantification et une première catégorisation (2e partie), avant d’en cerner
l’importance dans le cadre d’une réflexion d’ordre linguistique, rhétorique
et historique consacrée au Coran (3e partie).
LE CONTRE-DISCOURS CORANIQUE :
UN ÉTAT DES LIEUX DE LA RECHERCHE
Le fait que le texte coranique cite les propos de ses adversaires sous la
forme d’un discours rapporté direct n’a nullement échappé à nombre de
spécialistes. Le phénomène est si présent qu’il fut naturellement repéré,
désigné et partiellement analysé. Repéré, il le fut par beaucoup de ceux qui
se sont intéressés à la polémique et que nous avons cités précédemment.
Désigné et en partie analysé, le contre-discours fut considéré selon deux
types d’approches : l’une historique et l’autre linguistique voire rhétorique.
Pour la première, le contre-discours fut désigné comme un « arrière
discours » par Mohammed Arkoun et fut qualifié d’« objections » par
Alfred-Louis de Prémare. Pour la seconde approche, le contre-discours a été
qualifié de « discours autre non approprié à l’objectif » par Mustapha Ben
Taibi, de « voix de l’autre » par Pierre Larcher, ou encore de « opponents
direct speech acts » par Thomas Hoffmann. Ces désignations, loin d’être
anodines, soulignent à l’évidence la nature et les propriétés du contre-
discours. Il s’agira ici de revenir sur le sens de ces expressions et les
présupposés méthodologiques qui les sous-tendent.
Dans une perspective historique, l’initiateur d’une réflexion novatrice
autour du contre-discours est Mohammed Arkoun. Dans un ouvrage intitulé
« Lectures du Coran31 » l’universitaire s’interroge, au chapitre deux, sur le
« problème de l’authenticité divine du Coran32 ». Pour le moins osée33, cette
question représente selon son auteur « un des lieux stratégiques d’une
réflexion novatrice sur la signification de la religion34 ». Afin de le
démontrer, il se propose d’exposer « comment la prise en considération de
toutes les dimensions historiques du problème fait déboucher
nécessairement dans une interrogation de type anthropologique sur la
genèse et la fonction du langage religieux35 ». On perçoit ici l’ambition
d’une contribution scientifique et critique par-delà le cas de l’islam et du
Coran. Notre intention sera d’extraire, de son raisonnement, les éléments
qui concernent notre propre sujet c’est-à-dire le contre-discours. Intitulé
« Approche historique36 », la première partie de son article, dont il sera
exclusivement question, fait retour sur un fait indéniable : le Coran ne cesse
de rappeler l’irréductible opposition des adversaires de Muh ̣ammad « qui
exigeaient des preuves propres à fonder toute prétention à parler au nom de
Dieu37 ». Afin d’illustrer ce constat, il cite sept versets coraniques38. C’est,
sans le nommer, une mise en lumière évidente de ce que nous pourrions
qualifier d’ensemble relevant d’un contre-discours39. Mais l’intérêt de
l’analyse du Pr Arkoun tient à la manière originale d’envisager ces énoncés.
Selon lui, ces derniers doivent être interrogés d’abord historiquement. Il
écrit : « l’enquête historique ne doit plus s’attacher seulement à décrire des
faits, identifier des noms, des sources, des filiations ; il importe davantage –
compte tenu des acquis de l’histoire extérieure – de définir un type de
connaissance, un mode de perception du temps et du réel, un réseau de
communication40 ». Plus loin, l’auteur poursuit et clarifie ses intentions : « il
est possible de contribuer à cette recherche en dégageant les données
implicites des versets cités dessus. On remarquera, en effet, que
l’investigation qui s’en tient à l’exploitation des énoncés explicites tombe
vite dans l’historicisme et le philologisme, laissant échapper les éléments
fondamentaux de la représentation qui génèrent ces énoncés explicites41 ».
En conséquence, et à l’appui d’une analyse des versets précédemment cités,
le chercheur conclut alors à « l’existence à La Mecque d’un sujet collectif
dont la pensée est commandée par les postulats suivants : la foi est liée à
des preuves […], la preuve est la constatation de visu de phénomènes
physiques précis […], il y a une catégorie mensonge […] et une catégorie
Vérité, […], un membre du groupe social peut forger des mensonges et
entraîner des auditeurs crédules […], les traits distinctifs d’un message vrai
sont : la production de biens éminemment désirables […] ou des
événements inhabituels […], le messager doit échapper à la condition
humaine ordinaire […] Le livre reçu dans ces conditions est le Livre
révélé ; il doit être lu ; il devient alors la Source de toute connaissance
vraie42. » C’est vers ce discours que le Pr Arkoun attire notre attention en
révélant l’intérêt de ce qu’il qualifie être un « arrière discours43 ». Sans nul
doute, ses réflexions s’inspirent des concepts et méthodes de l’histoire des
mentalités promus par les écoles des annales pendant les années soixante-
dix en France. L’originalité de la démarche est d’appliquer ces outils
méthodologiques au corpus coranique44. À cet effet, il inscrit donc une
nouvelle réflexion de nature historique sur le discours des adversaires de
Muh ̣ammad.
Toujours dans le cadre d’une réflexion historique quoique de manière
différente, Alfred-Louis de Prémare consacrât dans son dernier livre un
chapitre relatif au thème de la polémique45. L’historien précisa qu’il
s’agissait, dans le cadre de sa recherche, de se limiter « aux textes qui ont
pour objet de façon précise le Coran en tant qu’écrit, et qui font appel à
d’autres écrits comme base d’une argumentation46 ». L’intérêt de la
démarche consiste notamment à rappeler combien l’auteur coranique s’est
fait lui-même l’écho de ces controverses. Dans cette perspective, Alfred-
Louis de Prémare proposa de thématiser ces objections. Selon lui, cinq
grands thèmes se dégagent : le premier affirme que « le messager n’est
qu’un poète ou un devin possédé par son démon, le second déclare que le
messager ne fait que transmettre des textes par les Anciens, le troisième
réfute des thèmes doctrinaux tels que la résurrection individuelle, le
jugement et le châtiment, le quatrième argue de la manipulation des textes
de l’Écriture, le cinquième, enfin, souligne le caractère fragmenté et non
unifié du texte ». À l’évidence, ces « objections » se confondent avec ce
que nous appelons un « contre-discours ». Les deux termes sont ici des
synonymes. Mais comme le souligne Alfred-Louis de Prémare, cette
contestation vive, plurielle et répétée fait l’objet d’une réponse ou plus
précisément : « c’est l’auteur coranique qui évoque les objections et les
contestations de ses adversaires et qui riposte47 ». L’ensemble de son
chapitre vise à mettre en lumière cette dialectique en fonction des cinq
thèmes polémiques précédemment exposés et « d’examiner la nature des
objections et le langage de la riposte et de tenter de percevoir quel est, à
chaque fois, le fond du débat et quel est son contexte général48 ». Mais s’il y
a une pluralité des thèmes, l’historien souligne combien « la riposte ne
change guère d’un texte à l’autre. Elle est fondée sur l’argument d’autorité
[…] accompagné de l’argument ad-hominem : ce sont les objecteurs eux-
mêmes qui sont les faussaires, les injustes et les semeurs de désordre, et
dieu les attend au jour du Jugement, pour le tourment qui leur est destiné49. »
Mais le travail de l’historien ne s’arrête pas à la catégorisation
consciencieuse des thèmes de l’objection. Il recourt également aux sources
internes et externes de la tradition musulmane. Pour ce faire, il mobilise et
interroge les littératures hagiographiques et historiques (sīra), exégétiques
(tafsīr dont la littérature dites des « circonstances de la révélation », asbāb
an-nuzūl) et enfin traditionnelles (hadith). Des sources externes, il se réfère
aux écrits bibliques et parabibliques de la tradition juive et chrétienne
(Écrits intertestamentaires et apocryphes chrétiens) mais n’ignore pas non
plus les sources de la littérature syriaque. La démarche comparative,
classique en Histoire, ambitionne de contextualiser la polémique. Elle
souhaite notamment cerner qui pouvaient être les opposants des polémiques
coraniques. Cette confrontation des sources conduit Alfred-Louis de
Prémare à émettre une hypothèse à contre-courant de la doxa islamique. En
effet, il suppose, comme d’autres50, que l’établissement du corpus coranique
tel que nous le connaissons aujourd’hui fut le fruit d’un processus de
rédaction marqué par les conflits idéologiques, théologiques et politiques
d’un islam naissant. Ce dernier devait affirmer sa singularité et sa primauté
à l’endroit d’autres confessions bien implantées et concurrentes, c’est-à-dire
le judaïsme et le christianisme51. Il s’ensuit, toujours selon Alfred-Louis de
Prémare, que le Coran fait écho non seulement aux polémiques opposants
Muh ̣ammad à d’éventuels détracteurs mais également à des débats
chronologiquement postérieurs à la révélation coranique.
Si Mohammed Arkoun et Alfred-Louis de Prémare s’inscrivent
principalement dans une perspective d’analyse historique, tous deux
suggèrent néanmoins combien le contre-discours structure de manière
formelle le texte. Pour Muhammed Arkoun, l’opposition entre fidèles et
infidèles dont le contre-discours est une des manifestations a « des
conséquences non encore mises en évidence sur la structure lexicologique
et syntagmatique du discours coranique52 ». Pour Alfred-Louis de Prémare,
la dialectique que constitue l’objection et la riposte qu’elle génère
interrogent « la composition grammaticale et syntaxique des textes53 ». Ces
questionnements de nature linguistique seront envisagés quoique de
manière différente par Mustapha Ben Taïbi, Pierre Larcher et Thomas
Hoffmann.
Dans un ouvrage intitulé : Quelques façons de lire le texte coranique54,
Mustapha Ben Taïbi propose une étude sur l’énonciation dans le Coran. S’il
rappelle la pluralité des genres discursifs inhérents au texte, il souligne que
parmi elles la présence du discours rapporté direct « constitue un genre
discursif tout à fait central55 ». Ce constat le conduit, à l’instar d’une image
proposée par Mohammed Arkoun envisageant le discours coranique comme
une immense symphonie56, à considérer le Coran comme un immense
théâtre de voix mise en scène par un locuteur que l’on identifiera selon les
éléments textuels au « Dieu coranique ». Cette mise en scène met aux prises
des protagonistes multiples. En l’occurrence, le Dieu du Coran incarne une
voix dominante parmi d’autres personnages, individus ou groupes humains.
Ces derniers se répartissent selon un schéma binaire entre défenseurs et
adversaires de la croyance. Il s’agit pour les premiers des prophètes
bibliques, du prophète supposé être Muh ̣ammad et des élus du paradis. Les
seconds sont identifiés aux adversaires de la croyance tels que Iblis,
Pharaon et les peuples réfractaires à l’envoi des prophètes avertisseurs. À
ceux-là, il faut ajouter ceux qui incarnent les détracteurs contemporains
supposés de Muh ̣ammad (juifs, chrétiens, bédouins…) auxquels ce dernier
aurait été confronté57. De ce « théâtre coranique » le chercheur écrit en
conclusion : « […] l’insertion des dialogues dans notre corpus correspond à
une “mise en scène” […] Par ce procédé, le narrateur anime le texte, fait
vivre des personnages, s’appuie sur leur parole, fait voir les catastrophes
annoncées, renforce chez les destinataires le poids des paroles citées58
[…] ». À partir de ce dispositif énonciatif qui jalonne l’ensemble du corpus
coranique, on relève deux phénomènes capitaux. Premièrement, on entend
parfaitement la « voix de l’autre » entendue comme celle d’un éventuel
adversaire. Deuxièmement, ces voix sont en interaction, c’est-à-dire
qu’elles échangent des points de vue susceptibles d’être divergents. C’est
pourquoi la nature polyphonique du Coran peut s’appuyer également sur les
théories des interactions verbales et de l’argumentation. En effet, la
polyphonie est un cadre privilégié qui favorise l’existence de morphèmes
(verbes dire, interroger, demander) et de types d’énoncés (discours
rapporté) qui font interagir différents discours argumentatifs fortement
marqués par l’interrogation, la négation polémique59, le démenti, la
réfutation de la cause. Mais cette forme polyphonique qui sollicite le
recours à des connecteurs logiques, du discours rapporté et de questions
rhétoriques et argumentatives conduit le locuteur coranique à mettre en
scène au côté de la « voix » de l’adversaire celle non moins décisive de sa
riposte. C’est à partir de cette dialectique que Thomas Hoffman souligne le
caractère métatextuel de la riposte coranique dans un ouvrage intitulé « The
Poetic Qur’an, Studies on Qur’anic Poeticity60 ».
En effet, une des caractéristiques les plus frappantes du discours
coranique est sans nul doute sa propension à l’autoréférence61. On doit à
l’universitaire allemand Stefan Wild une phrase éclairante sur ce
particularisme du Coran qui comme il l’affirme « se décrit lui-même par
plusieurs termes génériques, se commente, s’explicite, se distingue, se met
en perspective vis-à-vis des autres révélations, s’oppose aux interprétations
qui le dénient, etc.62. » Cette propriété du texte est en l’occurrence rappelée
et mise en relation avec le contre-discours par Thomas Hoffmann. Pour ce
dernier, l’usage d’un discours rapporté direct citant les opposants du Coran
(« opponents’ direct speech act ») permet, d’une part de rendre vivant et
expressif le discours et d’autre part de fournir un levier ou un prétexte
efficace pour une riposte d’ordre métatextuel63.
Résumons. Cet état des lieux de la recherche autour du contre-discours
présente deux types d’approches complémentaires. Là où insistait
Muhammed Arkoun pour privilégier une approche des mentalités, Alfred-
Louis de Prémare orientait sa recherche vers une critique textuelle et
comparative qui questionnait la formation progressive du corpus coranique
au cours des premiers siècles de l’Islam. Cette démarche s’inscrivait dans
une réflexion se fondant sur l’analyse des débats engendrés par la
confrontation d’un contre-discours et de la riposte coranique. Au côté de
cette approche historique, la deuxième orientation de recherche fut d’ordre
structurel et formel. Elle conduisit Pierre Larcher et Mustapha Ben Taïbi à
désigner le contre-discours comme une des voix mise en scène dans le
cadre d’une polyphonie coranique. Par ce biais, ils laissaient entrevoir une
des spécificités argumentatives du Coran. Afin de prolonger ces travaux, on
réalisera une évaluation quantitative et localisée du contre-discours
coranique. Il s’agira donc d’établir un corpus exhaustif du contre-discours
coranique. À l’appui de ce travail, on tentera de montrer en quoi le contre-
discours constitue un objet d’étude d’un grand intérêt.
LE CONTRE-DISCOURS : UN DIXIÈME
DU CORPUS CORANIQUE
Toute étude systématique du contre-discours doit permettre d’identifier
et de localiser précisément un ensemble d’énoncés introduit par un discours
rapporté direct qui met en scène les propos d’un opposant à la croyance.
Cette démarche sera conduite selon les exigences de l’analyse de contenu
qui permet « l’examen méthodique, systématique, objectif et, à l’occasion,
quantitatif du contenu de certains textes en vue d’en classer et d’en
interpréter les éléments constitutifs, qui ne sont pas accessibles à la lecture
naïve64 ». Pour ce faire, ce travail a été réalisé en trois étapes. La première
vise à localiser et rassembler l’ensemble des énoncés introduisant une
parole rapportée de l’adversaire et plus précisément un contre-discours
rapporté direct65. La seconde étape vise à distinguer les énoncés dont les
énonciateurs opposants à la croyance sont désignés et ceux qui ne le sont
pas. Pour les premiers d’entre eux, il n’y a pas de difficulté. L’énonciateur
opposant est identifié et assume par la volonté du locuteur coranique un
contre-discours. Mais l’immense majorité de ces derniers est portée par des
énonciateurs indéterminés car non nommés. C’est pourquoi, il faut
ambitionner, dans une troisième étape, de déterminer si l’ensemble de ces
énoncés sans énonciateurs explicitement nommés se confirme être un
contre-discours comme le laisse entrevoir une lecture première. À cette fin,
la nature dialogique du Coran s’avère être une aide précieuse. En effet, les
propos des contradicteurs ne sont jamais isolés d’une riposte ou d’une
réaction du locuteur coranique. C’est donc à travers les interactions induites
par une mise en scène de voix qui s’opposent que l’on peut déterminer s’il
s’agit bien d’un propos tenu par un opposant ou un défenseur de la croyance
coranique. Cette dernière démarche sera employée pour l’ensemble du
Coran. Ainsi opérée, notre enquête permet d’affirmer que 588 versets
relèvent d’un contre-discours rapporté direct. Il s’agit des versets suivants
répartis parmi 59 sourates (67 % des sourates du corpus66) :
II, 8, 11, 13, 14, 26, 61, 67-71, 76, 79, 80, 88, 91, 93, 111, 113, 116,
118, 135, 140, 142, 167, 170, 200, 246, 247, 249, 258, 259, 275 ; III, 24,
72, 73, 75, 78, 119, 154, 156, 165, 167, 168, 181, 183 ; IV, 18, 46, 51, 62,
72, 73, 77, 78, 81, 118, 141, 150, 153, 155, 157, 171 ; V, 14, 17-19, 22, 24,
27, 31, 41, 52, 61, 64, 72, 73, 104, 110 ; VI, 7, 8, 23, 25, 27, 29, 30, 31, 37,
91, 93, 105, 124, 128, 130, 136, 138, 139, 148, 156, 157 ; VII, 12, 14, 16-
17, 21, 28, 37-39, 44, 50, 53, 60, 70, 75-77, 82, 88, 90, 95, 106, 109-115,
123-124, 127, 129, 131-132, 134, 138-139, 149, 169, 172-173, 187, 203 ;
VIII, 21, 31-32, 49 ; IX, 30, 42, 49-50, 59, 61, 65, 75, 81, 86, 107, 127 ; X,
2, 15, 18, 20, 22, 28, 38, 48, 53, 68, 78 ; XI, 7-8, 10, 12-13, 27, 32, 35, 43,
53-54, 62, 79, 87, 91 ; XII, 8-12, 14, 17, 23, 25, 30-31, 51-53, 61, 63, 65,
77-78, 85, 88, 90-91, 95 ; XIII, 5, 7, 27, 43 ; XIV, 9-10, 13, 21-22, 44 ;
XV, 6-7, 15, 33, 36, 39, 40 ; XVI, 24, 28, 30, 35, 38, 86, 101, 103, 116 ;
XVII, 47, 49, 51, 61-62, 90, 91, 92, 93, 94, 98, 101 ; XVIII, 4, 34-36, 42,
49 ; XIX, 46, 66, 73, 77, 88 ; XX, 49, 51, 57-58, 63-65, 70-71, 87-88, 91,
96, 120, 125, 133 ; XXI, 3, 5, 14, 26, 29, 36, 38, 46, 53, 55, 59-62, 64-65,
68, 97 ; XXIII, 33-38, 47, 70, 82-83, 85, 87, 89, 99-100, 106-107 ; XXIV,
12, 16, 47 ; XXV, 4-5, 7-8, 21, 27-29, 32, 41-42, 60 ; XXVI, 23, 25, 27, 29,
31, 34-37, 41-42, 44, 49, 54-56, 71, 74, 96-102, 111, 116, 136-138, 153-
154, 167, 185-187, 203 ; XXVII, 13, 47, 49, 67-68, 71, XXVIII, 38, 47, 48,
57, 63, 64, 78, 79 ; XXIX, 2, 10, 12, 24, 29, 50, 61, 63 ; XXX, 58 ; XXXI,
21, 25 ; XXXII, 10, 12, 28 ; XXXIII, 4, 12-13, 18, 66-68 ; XXXIV, 3, 7-8,
19, 23, 29, 31, 34-35, 43, 52 ; XXXV, 37 ; XXXVI, 15, 18, 47, 48, 52, 78 ;
XXXVII, 15-17, 20, 28-32, 36, 52-53, 97, 151, 152, 167-169, XXXVIII, 4,
5-8, 32-33, 76, 79, 82-83 ; XXXIX, 3, 38, 49, 56-58, 71 ; XL, 11, 24-26,
29, 34, 36-37, 47-50, 74, 84 ; XLI, 5, 14-15, 21, 26, 29, 44, 50 ; XLII, 24,
44 ; XLIII, 9, 20, 22-24, 30-31, 38, 49, 51-53, 58, 77, 87 ; XLIV, 14, 34-
36 ; XLV, 24-25, 32 ; XLVI, 7, 8, 11, 17, 22, 24, 34 ; XLVII, 16, 20, 26 ;
XLVIII, 11, 15 ; XLIX, 14 ; L, 2, 3, 23, 27, 30 ; LI, 12, 39, 52 ; LII, 30,
33, 44 ; LIV, 2, 8, 9, 24, 25, 44 ; LVI, 47-48, 66-67 ; LVII, 13, 14 ; LVIII,
8 ; LIX, 11, 16 ; LXI, 6 ; LXIII, 1, 7-8, 10 ; LXIV, 6 ; LXVII, 9-10, 25 ;
LXVIII, 15, 22, 24, 26-27, 29, 31-32, 51 ; LXIX, 25-29 ; LXXI, 23 ;
LXXIV, 24-25, 31, 43-47 ; LXXV, 6, 10, 27 ; LXXVIII, 40 ; LXXIX, 10-
12, 24, 42 ; LXXXIII, 13, 32 ; LXXXIX, 15-16 ; XC, 6 ; XCIX, 3.
LE CONTRE-DISCOURS ET LA RIPOSTE
CORANIQUE
La présence du contre-discours, répartie sur l’ensemble de la vulgate, se
vérifie pour plus d’un dixième des versets coraniques. Mais cette fréquence
relève pour le moins d’un paradoxe. Car, comment un texte qui se veut
porteur d’une vérité transcendante et donc irréfutable peut-il abriter en son
sein l’écho même d’une parole qui le nie ? Donner la parole à l’adversaire,
n’est-ce pas affaiblir son propre discours ? Réfuter l’adversaire, n’est ce pas
également renforcer les thèses que l’on souhaite en l’occurrence
combattre ? C’est, par ailleurs, à propos de ces paradoxes que Jacqueline
Chabbi a pu écrire : « Vu de son futur triomphant, il peut paraître incroyable
que le texte sacré ait conservé de telles paroles73 ». Or, il n’est pas
impossible que les paroles de ces contradicteurs fassent partie d’une
stratégie discursive délibérée. Car comme le souligne Christian Plantin,
linguiste spécialiste de l’argumentation : « chercher des contradicteurs est
une stratégie argumentative ». Le linguiste précise par ailleurs qu’« on
valide un discours en lui apportant la contradiction […] l’acte de s’opposer
en élaborant un contre-discours […] légitimise les discours qui y
répondent74 ». Ce paradoxe serait donc en réalité une stratégie efficace pour
réfuter la parole de l’adversaire. Ce constat est d’autant plus évident que le
contre-discours n’est jamais isolé. Pour ainsi dire, il ne s’emploie qu’à la
mesure de sa propre réfutation. On sera donc attentif à la dialectique très
présente dans le Coran qui consiste à introduire un contre-discours
(yaqūlūna) et à y adjoindre fréquemment une injonction imposée à un
allocuté ayant fonction de riposte (qul). Ce trait si caractéristique et déjà
souligné par Alfred-Louis de Prémare75 et d’autres76 mérite une attention
particulière pour deux raisons. La première tient au fait que le contre-
discours et la riposte qu’il génère s’apparentent à une forme rhétorique et
argumentative singulière déjà attestée dans la Bible77. Deuxièmement, le
contre-discours et l’analyse des ripostes qu’il entraîne permettraient
d’identifier des évolutions quant aux contextes supposés de la révélation
(ou du moins tels que les rédacteurs éventuels du coran les mettent en
scène). Voyons ces deux points successivement où il s’agira plus d’ouvrir
des pistes de réflexions que de réaliser une recherche qui viendra confirmer
ou infirmer ces premières observations78.
À notre connaissance, peu d’études ont été consacrées au couple
« yaqūlūna […] qul » entendu ici comme un contre-discours et une riposte
mutuellement en interaction. Pourtant, cette forme dialectique trouve un
parallèle tout à fait frappant avec la figure rhétorique de l’antéoccupation79.
Ce terme désigne deux mouvements. L’un rapporte l’objection de
l’adversaire ou prolepse, l’autre réfute cette objection ou hypobole. On dira
donc, par analogie, que le contre discours coranique est l’équivalent d’une
prolepse et la réfutation introduite par l’injonction qul une hypobole. Il
s’agit ici d’une stratégie argumentative de phagocytage80 qui s’apparente à
un mode de construction du discours qui vise à le rendre plus résistant à la
contestation. Outre l’antéoccupation, d’autres stratégies discursives
concourent à renforcer cet effet argumentatif. On distingue ainsi des
stratégies d’indistinction, de distanciation, de théâtralisation, et enfin de
modalisation dépréciative. En effet, le contre-discours rapporté direct est
dans une très large mesure une mise en scène où l’énonciateur opposant
n’est pas ou très peu désigné. Le quasi-anonymat est en lui-même une
stratégie qui vise à déprécier l’adversaire. On parlera ici d’une stratégie
d’indistinction. Mais à cela s’ajoute, du fait même de sa structure formelle,
que le contre-discours est toujours un propos rapporté qui vise donc à
dissocier la personne qui parle du locuteur qui le met en scène. Le discours
rapporté permet cette dissociation et donc une distanciation du locuteur par
rapport à la parole déviante. En outre, cette parole rapportée de l’adversaire
fonctionne comme une théâtralisation où le discours de l’opposant est
rejoué. Cette parole laisse supposer l’existence de l’événement rapporté. Le
style direct vient en renforcer son effet et le rendre plus présent. Enfin, le
contre-discours s’il n’est jamais isolé d’une riposte, peut immédiatement
faire l’objet d’un démenti du locuteur qui intervient dans sa propre
énonciation pour la qualifier, c’est ce que nous appelons une modalisation
dépréciative. L’emploi du contre-discours s’avérerait donc et sans qu’on
s’en étonne, une technique de persuasion et de gestion d’une altérité
opposante et constituerait avec la riposte qu’elle génère un des traits
fondamentaux de l’argumentation coranique.
En l’occurrence, cette dernière propriété rhétorique pourrait intéresser
l’historien pour deux raisons. Premièrement, en comparant
systématiquement les formulations du contre-discours et des ripostes
qu’elle génère, on pourrait constater la construction évolutive des figures de
l’opposant. Deuxièmement, en relevant les évolutions de la riposte pour un
même thème polémique, on pourrait déceler les traces éventuelles d’une
révélation (ou sa mise en scène) en évolution. On vérifiera cette hypothèse
en s’intéressant au contre-discours eschatologique et plus particulièrement
aux trente et un versets81 qui concernent exclusivement le thème de la
résurrection des corps. Ces occurrences constituent un ensemble homogène
d’énoncés répartis sur dix-huit chapitres. Parmi celles-ci, nous avons
également sélectionné huit séquences introduites par un contre-discours
eschatologique82. Ce choix se justifie pour une raison simple : chacun
d’entre eux se trouve à proximité textuelle d’une riposte coranique
introduite par l’injonction « qul ». Cette proximité crée une situation où
contre-discours et riposte s’opposent autour du thème de la résurrection des
corps. Parmi les huit séquences considérées, le contre-discours se formule
exclusivement sous forme de questions à l’exception d’une occurrence83. La
nature interrogative de ces énoncés met en scène implicitement l’existence
d’un propos coranique antérieur auquel le contre-discours viendrait à
répondre. Le locuteur coranique met en scène ainsi une question de
l’opposant, et par là même, laisse supposer, comme en fond de scène,
l’événement passé de sa propre proclamation. Cette « arrière-scène » ou
« arrière contre-discours » se joue à chaque fois que le contre-discours est
mobilisé. De plus et à partir de ces contre-discours, on distingue des
variantes quant à leur formulation. On pourrait alors supposer que ces
variantes sont liées aux propres différences de l’arrière contre-discours.
Ainsi lorsque le locuteur coranique met en scène l’opposant qui
s’interroge : « Quand donc s’accompliront ces menaces84 ? », il faut
entendre que le discours coranique auquel il réagit affirmait l’imminence de
l’événement eschatologique sans plus de précision85. Et lorsque le contre-
discours énonce « Quoi une fois morts, réduits à des os et à de la poussière,
nous serions vraiment ressuscités nous et nos ancêtres86 », le Coran laisse
supposer que le discours coranique lui-même annonçait la résurrection des
ancêtres d’auditeurs opposants. Enfin, il n’est pas impossible que l’arrière
contre discours soit lui-même la réponse en écho d’une parole antérieure à
elle. Ces remarques préliminaires peuvent être décrites sous la forme d’une
suite d’énoncés. Chaque formulation d’un contre-discours proviendrait
initialement d’un discours coranique implicite et se terminerait par l’énoncé
d’une riposte. Cet ensemble d’énoncés qu’il soit explicite ou implicite
souligne combien le locuteur coranique met en scène explicitement comme
implicitement sa propre réfutation.
Si le contre discours est bien une mise en scène de la parole déviante, ce
contre-discours s’avère de surcroît une représentation de la figure de
l’opposant. La prise en compte de l’ensemble des occurrences du contre-
discours eschatologiques se révèle très précieuse. En effet, ces contre-
discours restituent implicitement les réactions des opposants. Leurs lectures
laissent supposer six attitudes d’opposition différentes. Elles varient selon
qu’elles expriment une question (rhétorique), un étonnement, une
exacerbation, une réfutation, un défi ou une insulte.
–+
On notera donc une gradation dans les intensités de la confrontation qui
voit son point culminant déboucher sur une insulte (XXXIV, 8). Au regard
de cette pluralité d’attitudes hostiles, on mesure combien le locuteur
coranique met en scène sa propre opposition.
Ces précédentes réflexions portent une attention particulière sur un type
d’énoncés : le contre-discours. Mais inséparable de ce dernier, l’analyse de
la riposte coranique s’avère tout aussi déterminante. Elle conduit
notamment à s’intéresser aux stratégies argumentatives mises en œuvre par
le Coran. La riposte coranique, entendue comme réponse à un contre-
discours, crée une question argumentative. Cette riposte se caractérise par
l’emploi de plusieurs séquences discursives qui correspondent à des genres
particuliers. Il s’agit, en l’occurrence, de formes empruntant au mode
dialogué (le discours rapporté direct), au récit, à la description, aux
formules liturgiques mais aussi au métatexte87. Bien que ces formes
convergent toutes dans le même sens, c’est-à-dire qu’elles visent à
authentifier la véracité de la parole coranique, « ces unités n’usent pas du
même langage : chacune contribue, d’une certaine manière, à éclairer un
aspect particulier du sens visé dans le discours88 ». À partir des huit
séquences sélectionnées, notre tâche consistera, sans le recours aux
reconstructions hypothétiques de l’ordre chronologique des révélations
coraniques89, à rendre compte d’évolutions concernant des items lexicaux et
des formes de discours présents dans chaque riposte. On parvient ainsi à
cerner trois types de textes90 où dominent pour le premier le genre descriptif,
pour le deuxième l’importance des formes dialoguées et enfin pour le
troisième, la prééminence du genre métatextuel où l’intervention du
locuteur est croissante. À ces trois groupes de texte correspondent
respectivement des items lexicaux déterminés qui sont d’abord non
bibliques, puis bibliques et enfin bibliques mais s’inscrivant dans un
contexte polémique beaucoup plus marqué. Bien entendu, ce découpage
tripartite n’exclut pas que ces genres et items s’entremêlent et se présentent
sur deux voir trois groupes que nous avons identifiés. On propose ici de
considérer ces trois groupes successivement.
L’arbre du zaqqūm
Un des items lexicaux qui intervient dans la riposte coranique se
focalise autour d’un arbre pestilentiel qui se trouverait en Enfer : al-
zaqqūm91. Les réprouvés se verront condamnés à en manger et « s’en
remplir le ventre92 ». La forme descriptive des textes est prépondérante. Elle
se caractérise notamment par la représentation des tourments de l’enfer face
aux délices promis du paradis. L’opposition est à de multiples reprises
répétées. Elles en acquièrent d’autant plus de force. Mais au-delà de cette
forme répétitive, la description a une visée argumentative évidente comme
le souligne Mustapha Ben Taïbi : « le discours descriptif joue sur l’intention
de dire quelque chose de vrai, et en même temps, il fonctionne comme une
stratégie pour persuader tout lecteur ou auditeur de ce caractère véridique.
D’où la menace de l’enfer comme châtiment et la promesse de la vie
paradisiaque comme récompense93. »
Aucun motif biblique, à l’exception notable de la formule « yawm al-
dīn » n’est encore présent dans cette séquence de la riposte coranique.
94
CONCLUSION
Compte tenu de ces éléments auxquels nous proposerons une analyse
approfondie ultérieurement, les développements de la riposte coranique ne
répondraient-ils pas à une certaine logique. D’abord et essentiellement
descriptif, le Coran aurait proclamé un message de croyance sans biblisme
marqué. La référence à l’arbre d’al-zaqqūm en attesterait. Puis, à la suite de
l’hostilité croissante face aux messages délivrés par le Coran, il est possible
que les items bibliques aient été sollicités comme point d’appui et
arguments de persuasion. Enfin, face à une hostilité toujours croissante, le
locuteur coranique, tout en préservant son biblisme, semblerait accroître
significativement son intervention pour soutenir son allocuté et renforcer sa
croyance. Ainsi, on constate que pour un même thème dialectique, la
riposte coranique se modifie. Le travail coranique de persuasion s’amplifie.
Le procès de l’énonciation et notamment l’intervention du locuteur mais
aussi sa mise en scène polyphonique en sont les indices précieux. Le
locuteur concourt ainsi à l’orientation même du sens qu’il veut donner à son
message par l’usage de genres discursifs pluriels (description, discours
rapporté, louange, métatexte). Ces derniers, chacun à leur manière, oriente
l’argumentation et convergent vers un référent Dieu qui « est à la fois le
coordinateur de ces discours divers, et le point de fuite, l’index
d’incomplétude, de ces discours partiels109 ». La dimension argumentative
du texte est ici évidente. Elle l’est d’autant plus qu’elle entraîne la
construction d’une figure de l’opposant en adéquation avec la visée d’un
discours qui souhaite convaincre. En considérant uniquement le contre-
discours eschatologique, on l’a vu, l’opposant est à la fois celui qui
interroge, qui s’étonne, qui insulte, qui s’exaspère ou qui concède une
vérité. Mais à ces attitudes (mise en scène par le Coran), on perçoit
également, si on veut bien considérer les mots de l’adversaire dans leur
contexte d’inscription, qu’ils dévoilent un mode d’être au monde. La mort
est une fin indépassable et la résurrection des corps un mensonge. Cette
hostilité, exprimée par le contre discours, recèle un implicite qui révèle une
vision du monde. Il s’ensuit également, et comme dans un jeu de miroir,
que la riposte coranique vient elle-même renforcer notre connaissance de
cet implicite par le fait même qu’elle s’y oppose. Ainsi, à la question de
l’historien qui s’interroge sur l’identité des opposants du Coran, nous
inclinons à croire qu’ils sont d’abord et avant tout les opposants du Coran
tel que ce dernier les construit et les représente. À vouloir s’en tenir
exclusivement aux données positives de l’histoire qui souhaite « décrire des
faits, identifier des noms, des sources, des filiations110 », on néglige une
approche interne. Sans être exclusive, la démarche tente de révéler des
stratégies discursives qui construisent la figure de l’opposant que le Coran
ne cesse de mettre en scène par l’usage du Contre Discours Rapporté Direct
(CDRD) et de sa riposte.
À quels résultats peut-on parvenir si l’analyse embrasse l’ensemble du
corpus et prend en compte toutes les polémiques engendrées par la
dialectique entre les contre-discours et leurs ripostes ? Sans nul doute, cette
tâche à venir viendra préciser ces précédentes affirmations et hypothèses. Il
convient d’ores et déjà de justifier cette lecture interne par les premiers
résultats qu’elle laisse entrevoir.
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1. Le présent article est une version remaniée et partielle d’un mémoire de Master II sous la direction du professeur émérite Claude Gilliot intitulé la polémique dans le
Coran , introduction à l’analyse du contre-discours et de la riposte coranique, Aix- en- Provence, IREMAM/Université de Provence, 2008.
2. McAuliffe J. D., « Debate with them in the better way », dans Neuwirth A. (ed.) et al., Myths, historical archetypes and symbolic figures in Arabic literature, towards a
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2004, p. 44-45 et 102 ; Neuwirth A., « Structural, linguistic and literary features », dans McAuliffe J. D. (éd.), The Cambridge companion to the Qur’an, Cambrigde, Cambridge
University Press, 2006, p. 108. Ettinghaussen R., Antiheidnische Polemik im Koran, Inaugural-Dissertation zur Erlangung der Doktorwürde der philosophischen Fakultät der Johann
Wolfgang Goethe-Universität zu Frankfurt am Main/vorgelegt von Richard Ettinghausen, Gelnhausen, F. W. Kalbfleisch, 1934.
3. Chabbi J., Le Coran décrypté, Figures bibliques d’Arabie, Paris, Fayard, 2008 ; Id., Le Seigneur des Tribus, L’Islam de Mahomet, Préface d’André Caquot, Paris, Noêsis,
1997.
4. Prémare A.-L. de, « Les débats sur le Coran… dans le Coran », in Origines, op. cit., p. 101-133.
5. Hawting G. R., The Idea of Idolatry the Emergence of Islam, From Polemic to History, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
6. Jacqueline Chabbi poursuit un travail de contextualisation à l’appui d’une approche d’anthropologie historique. Gerald. R. Hawting fortement inspiré par les travaux de
John Wansbrough, propose, lui, une approche s’appuyant sur les méthodes d’analyse des religions comparées. Enfin, Alfred-Louis de Prémare s’est évertué, à l’aide d’une analyse
historico-critique et littéraire, à comparer les textes coraniques avec la tradition musulmane.
10. C’est ce que G. R. Hawting entend décrire en écrivant : « the image of Arab idolatry and polytheism offered by tradition bears little relation to the koranic material
attacking the mushrikun for their attachment to intermediaries between themselves and God, their hope for the intercession of angels, and their half-hearted and imperfect
monotheism », Hawting G. R., The Idea of Idolatry, op. cit., p. 149.
11. Prémare A.-L. de, Aux origines, op. cit., p. 129-133. Voir également les articles suivis de leurs bibliographies par Claude Gilliot, « Creation of a fixed text », dans
McAuliffe J. D., The Cambridge companion to the Qur’an, op. cit., p. 38-58 ; et surtout Id., « Une reconstruction critique du Coran ou comment en finir avec les merveilles de la
lampe d’Aladin », dans Kropp M. (éd.)., Results of contemporary research on the Qur’ān, the question of a historio-critical text of the Qur’ān, Beyrouth, Orient-Institut Würzburg,
Ergon in Kommission, (« Beiruter Texte und Studien, Bd. 100 »), 2007, p. 3-137.
12. Neuwirth A., « Structural, linguistic and literary features », in Companion, op. cit., p. 104-110. On pourra également se référer à un essai de classification proposé par
Mohammed Arkoun, Ouvertures sur l’islam, Paris, Jacques Grancher, 19922, p. 75, et par Robinson N., « The formal elements in the early Meccan surahs » dans Discovering the
Qur’an, A contemporary approach to a veiled Text, Washington, Georges University Press, 2003, p. 99-124.
15. Radscheit M., Die Koranische Herausforderung, Die tahaddi-Verse im Rahmen der Polemikpassagen des Korans, Berlin, Klaus Schwarz, (« Islamkundliche
Untersuchungen »), 1996. Cité par Larcher P., « Coran et théorie linguistique de l’énonciation », Arabica, 47/3-4 (2000), p. 454 ; cf. le compte rendu de l’ouvrage par Gilliot C., dans
Arabica, 46/1 (1999), p. 130-131, où le titre de l’ouvrage est rendu par : Le défi coranique. Les versets du tah ̣addī dans le cadre des passages polémiques du Coran.
16. D’ores et déjà, il faut mentionner l’apport de l’ouvrage de Marshall D., God Muhammad and the Unbelievers: A Qur’anic Study, New York, Routledge/Curzon, 1999.
D’un grand intérêt notamment méthodologique, cette étude analyse les évolutions des textes narratifs concernant les châtiments que, selon le Coran, Dieu réservera aux incroyants.
Ces textes sont mis en relation avec les péripéties du « ministère » de Muh ̣ammad face aux Mecquois.
17. Gwynne Ward R., Logic, Rhetoric, and Legal Reasoning in the Qur’an, God’s arguments, New York, Routledge/Curzon, 2004. À propos de cet ouvrage, Kate Zebiri
écrit : « This […] constitutes an impressive and sustained analysis of qur’anic argumentation » cf. « Argumentation », dans Rippin A. (ed.), The Blackwell companion to the Qur’ān,
Malden, MA, Blackwell Publishing, 2006, p. 268.
18. Nous faisons référence aux différents corpus appelés sīra (biographie traditionnelle du Prophète), tafsīr (exégèse du Coran), y compris les asbāb al-nuzūl (les
circonstances de la révélation).
19. Concernant l’approche critique de l’ensemble de ces sources islamiques, on se reportera notamment à Ibn Warraq, « The quest for the historical Muhammad », Edited
with translations by Ibn Warraq, Amherst, Prometheus Books, 2000, 554 p. Ce livre rassemble nombre d’articles d’éminents spécialistes dont Joseph Schacht, Arthur Jeffery, Andrew
Rippin, Henri Lammens, G. R. Hawting.
20. Pour un panorama précis de ces travaux (pour la période médiévale principalement), on se référera à l’article déjà cité de Mc Auliffe J. D., « Debate with them in the
better way », op. cit., p. 164-188.
21. Pour une présentation conséquente de l’ouvrage, outre les deux ouvrages précédemment cités, on se reportera à la traduction de Victor Chelhod récemment rééditée, La
balance juste ou la connaissance rationnelle chez Ghazali, Al Ghazali ; étude, introduction et traduction du « Qistâs al mustaqîm » par Victor Chelhod, Paris, Iqra, 1998.
22. Mc Carthy R. J., Freedom and Fulfillment : An Annotated Translation of al-Ghazālī’s al-munqidh min al-d ̣alāl and Other Relevant Works of al-Ghazālī, Boston, Twayne,
1980, p. 287. Lire également R. Gwynne Ward, Logic, op. cit., p. 152-169.
23. Sulaymān ibn ʿAbd al-Qawī Ṭūfī, ʿAlam al-ǧaḏal fī ʿilm al-ǧadal, li-Naǧm al-Dīn al-Ṭūfī al-Ḥanbalī ; éd. Wolfhart Heinrichs, Wiesbaden, Franz Steiner, 1987.
25. Al-Suyūtī,̣ Al-itqān fī ʿulūm al-Qur’ān, 2 vol., Beyrouth, Dār al Ǧīl, 1998.
27. À notre connaissance, aucune étude n’a analysé le contre-discours en tant que corpus à part entière. On entendra ici le terme « systématique » dans son sens
étymologique dérivé du grec sustêmatikos « qui forme un tout », Dictionnaire historique de la langue française, sous la dir. d’Alain Rey, Paris, Le Robert, t. III (PR-Z), 1998, p. 3733.
28. Plantin C., « Des polémistes aux polémiqueurs », dans La parole polémique, Paris, Champion, 2003, p. 379 ; Angenot M., La parole pamphlétaire, Contribution à la
typologie des discours modernes, Paris, Payot, 1982, p. 34 ; Moeschler J., Argumentation et conversation, éléments pour une analyse pragmatique du discours, Paris, Hâtier-Crédif,
1985, p. 47 ; Sauerwein Spinola S., La représentation critique du discours de l’autre, le questionnement oppositif, Munster, LIT, 2000, p. 11-14.
29. Roellenbleck G. (éd.), Le discours polémique, Tübingen, Günter Narr, 1985, p. 24-25.
30. Larcher P., « Coran et théorie linguistique de l’énonciation », Arabica, op. cit., p. 454.
33. À ce propos, M. Arkoun écrit : « il est vain et socio-politiquement dangereux en climat islamique, de vouloir trancher le problème de l’authenticité divine du Coran »,
op. cit., p. 35.
38. M. Arkoun écrit : « il est utile de rassembler ces versets pour conduire ensuite l’enquête historique sur un terrain solide ». Les versets coraniques cités sont XVII, 90 ;
XXV, 4-8 ; XXV, 21, 30-33 ; XXIX, 47 ; XXXV, 31 ; LIII, 1-6 ; XLV, 16-17.
39. Parmi les sept versets présentés, on distinguera particulièrement les quatre premiers versets qui se signalent par l’usage d’un discours direct rapporté.
44. On lira avec profit M. Arkoun, La pensée arabe, Que sais-je ? Paris, Presses Universitaires de France, 1991, 4e édition, p. 15-16.
50. Cette thèse est notamment défendue dans les deux ouvrages majeurs de John Wansbrough réédités ces dernières années, Quranic studies, Sources and methods of
scriptural Interpretation, Foreword, Translations, and Expanded Notes by Andrew Rippin, New York, Prometheus Books, 2004 ; Id., The sectarian milieu, content and composition of
islamic salvation history, Foreword, Translations, and Expanded notes by Gerald Hawting, Amherst, Prometheus Books, 2006, XXII + 200 p. On lira avec profit l’article ainsi que la
bibliographie de Gilliot C. , « Creation of a fixed text », dans McAuliffe J. D. (éd.), The Cambridge Companion to the Qur’an, op. cit., p. 41-57.
51. L’auteur écrit : « […] ne pourrait-on pas faire l’hypothèse d’une polémique plus tardive ? La manière dont le texte s’exprime, en effet, implique que le Coran est établi :
il s’agit de “ce Coran”, “le Coran” ». Prémare A.-L. de, Aux origines du Coran, op. cit., p. 132.
54. Ben Taïbi M., Quelques façons de lire le texte coranique, Préface de Frédéric Francois, Limoges, Editions Lambert-Lucas, 2009.
56. Arkoun M., Lectures du Coran, op. cit., p. 6. En effet, il écrit : « […] Le discours coranique est, en fait, une orchestration musicale et sémantique de concepts clefs puisés
dans un lexique arabe commun qui s’est trouvé radicalement transformé pour des siècles ». On lira également Pierre Crapon de Crapona, Le Coran : aux sources de la parole
oraculaire, structures rythmiques des sourates mecquoises, Paris, Publications orientalistes de France, 1981, p. 553-555.
58. Ben Taïbi M., Quelques façons de lire le texte coranique, op. cit., p. 208.
59. À ce propos, Pierre Larcher écrit : « un linguiste pragmaticien prend conscience sans peine de ce caractère polémique, avec un connecteur tel que bal, dont il existe 127
occurrences dans le Coran ». Plus loin, il ajoute : « le connecteur bal amène naturellement à l’autre connecteur de l’arabe ayant une fonction de rectification, lakin(na) (65 occurrences
pour chacun dans le Coran) ». Lire Larcher P., « Coran et théorie linguistique de l’énonciation », Arabica, op. cit., p. 454 ; « Négation et rectification en Arabe Coranique, la structure
mā faʿala… wa-lākin » dans Nekrouni M., Meise J. (éd.), Modern controversies in Qur’ānic studies, Unter mitarbeit von esther meininghaus, Hamburg-Schenefeld, EB-Verl., 2009,
p. 123-140.
60. Hoffmann T., The Poetic Qur’an, Studies on Qur’anic Poeticity, Wiesbaden, Harrassowitz, 2007.
61. Lire notamment Boisliveau A.-S., Le Coran par lui-même. l’autoréférence dans le texte coranique, thèse de doctorat soutenue à l’Université Aix-Marseille I, 2010,
partie I et II, (580), à paraître sous le titre Le Coran par lui-même. Vocabulaire et argumentation du discours coranique autoréférentiel, Leiden, Brill, 2013 ; Madigan D. A., The
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2006. ; Id., « Self-Referentiality » dans Leaman O. (éd.), The Qur’an : an encyclopedia, Londres, Routledge, 2006, p. 576-579 ; Id., « We have sent down to thee the book with the
truth… : spatial and temporal implications of the qur’ānic concepts of nuzūl, tanzīl and inzāl » dans Wild S. (ed.), The Qur’ān as Text, Leiden, E. J. Brill, 1996, p. 137-153.
62. Wild S., « The Self-Referentiality of the Qur’ān, Sura 37 as an Exegetical Challenge » in McAuliffe J. D., Walfish B. D. et Goering J. W., With reverence for the word,
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65. Notre étude a relevé systématiquement toutes les occurrences du verbe qāla (QWL). Présents plus de mille sept cents fois faisant de lui le plus fréquent des verbes
coraniques, il est le verbe introducteur du contre-discours rapporté direct (CDRD) qui permet donc au locuteur coranique de « donner la parole » à des énonciateurs opposants. Lire
Bāqī, Muh ̣ammad Fu’ād, al-Muʿǧam al-mufahras li-alfāz ̣ al-Qur’ān, Le Caire, Dār al h ̣adiṯ, 1996, p. 663-684. Au niveau syntaxique, la langue arabe permet d’introduire des
propositions indépendantes au style direct en utilisant le prédicat verbal « dire » (qāla), les particules (annā) et (innā), la particule (an). Voir Blachère R., Gaudefroy-Demombynes
M., Grammaire de l’arabe classique, Paris, Maisonneuve et Larose, 1975, p. 213-218 et Jones A., Arabic through the Qur’an, Cambridge, The islamic texts society, 2005, p. 75. Le
contre-discours peut aussi être introduit par un autre verbe comme « sa’ala », lire les versets suivants : IV, 153 ; VII, 187 ; LI, 12 ; LXXV, 6 ; LXXIX, 42.
66. Les sourates dépourvues de contre-discours rapporté direct pourraient-elles faire partie des chapitres les plus anciens du Coran ? Cette absence pourrait en effet
s’expliquer par l’aspect proclamatoire de celles-ci et leur contexte d’émergence qui ne connaissait pas encore l’opposition évidente et parfois violente dont se font l’écho les sourates
où se vérifie la présence du contre-discours. Je remercie Jacqueline Chabbi pour m’avoir soufflé cette remarque.
67. Berque J., Relire le Coran, préface de Mohamed Bennouna, Paris, Albin Michel, (« Bibliothèque Albin Michel – idées/La Chaire de l’IMA »), 1993, p. 62-68.
tab017
71. Ce tableau vient préciser et compléter la catégorisation proposée par Prémare A.-L. de, Origines, op. cit., p. 102-103.
74. Plantin C., L’argumentation, histoire, théories et perspectives, Paris, Presses Universitaires de France, (« Que sais-je ; 2087 »), 2005, p. 65.
76. Neuwirth A., « Form and structure », EQ, McAuliffe J. D. (ed.), Leiden, Brill, v. II, p. 261 b et Radscheit M., « provocation », ibid., v. IV, p. 311a. Lire également
Radscheit M., « Word of God or prophetic speech ? Reflections on the quranic qul-statements » dans Edzard Lutz, Szyska Christian, Wild Stefan, Encounters of words and texts,
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77. Cette forme argumentative se retrouve dans nombre de textes des livres prophétiques notamment Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Malachie et Aggée mais également dans les
évangiles. On doit à cet égard à Adrian Graffy une monographie éclairante sur le phénomène qu’il qualifie de « disputation speech » qui sont les textes « where an opinion of the
speakers is explicitly reported by the Prophet and refuted by him ». Lire Graffy A., A Prophet Confronts His People, The disputation Speech in the Prophets, Rome, Biblical Institute
Press, 1984, p. 23.
78. Cette recherche déjà réalisée dans le cadre d’un doctorat (2012) sera prochainement publiée sous le titre : Le contre-discours coranique.
79. Aquien M. et Molinié G., Dictionnaire de Rhétorique et de poétique, Paris, Le Livre de Poche, (« La Pochotèque »), 1996, p. 52. L’équivalent grec exact est la
procatalepse.
80. La confrontation entre le contre-discours et sa riposte a surtout été abordée par Christian Plantin qui écrit : « D’un point de vue formel, on décèle donc deux éléments
distincts : la parole rapportée et la parole qui lui répond sous forme de riposte. Cette forme dialogique n’est pas ignorée de la rhétorique ancienne. En effet, elle pourrait s’apparenter à
une “stratégie argumentative de phagocytage” […] appelée anticipation (du latin anticipatio) ou prolepse (du grec prolepsis) […] La position de l’opposant ayant été évoquée
(prolepse), elle est suivie de sa réfutation (hypobole) ; l’ensemble de cette structure argumentative a reçu le nom d’antéoccupation […] ». On retrouvera cette citation dans un article
inédit de Christian Plantin uniquement disponible sur internet à l’adresse suivante : icar.univ-lyon2.fr/membres/cplantin/documents/Ornements.doc.
81. Les versets considérés sont les suivants : VI, 29 ; XI, 7 ; XIII, 5 ; XVI, 38 ; XVII, 49, 51, 98 ; XIX, 66 ; XXIII, 82-83 ; XXVII, 67-68 ; XXXII, 10 ; XXXIV, 7-8 ;
XXXVI, 78 ; XXXVII, 15-17 ; XLIV, 35-36 ; XLV, 24-25 ; XLVI, 17 ; L, 2, 3 ; LVI, 47-48 ; LXXIX, 10-12.
82. Il s’agit des séquences suivantes : XVII, 45-60 et 98-100 ; XXIII, 68-118 ; XXVII, 59-93 ; XXXII, 10-22 ; XXXVI, 77-83 ; XXXVII, 11-74 ; XLV, 24-37 ; LVI, 41-74.
85. Coran, LVI, 50 ; LXXIX, 44. Lire Masson D., Monothéisme coranique et monothéisme biblique, Paris, Desclée de Brouwer, 2e édition, 1976, p. 690.
87. Ben Taïbi M., Quelques façons de lire le texte coranique, op. cit., p. 53.
88. Laroussi G., Narrativité et production de sens dans le texte coranique, op. cit., p. 161.
89. Pour des raisons méthodologiques, nous avons renoncé à l’utilisation des reconstructions chronologiques de la vulgate proposées notamment par Theodor Nöldeke ou
Régis Blachère. On a préféré analyser la riposte en tentant d’y déceler les indices éventuels d’une évolution chronologique sans une reconstruction préalable.
90. Il s’agit de trois ensembles de texte : groupe 1 (XXVII, 69-77 ; XXXVI, 77-83 ; LVI, 41-74) ; groupe 2 (XXXII, 10-22 ; XXXVII, 11-74) ; groupe 3 (XVII, 45-60 et 98-
100 ; XXIII, 68-118 ; XLV, 24-37).
91. Il existe trois occurrences de ce terme dans le Coran (XXXVII, 62 ; XLIV, 43 ; LVI, 52). Bāqī Muh ̣ammad Fu’ād (m. 19 ??), al-Muʿǧam al-mufahras li-alfāz ̣ al-Qur’ān,
Beyrouth, Dār Ih ̣yā’ al-Turāṯ al ʿArabī, s. d., p. 406. Voir également Al-Badawi Saïd Muhammad et Abdel Haleem M., Arabic-English dictionnary of Qur’anic usage, Leiden, Brill,
(« Handbook of oriental studies. Section one, the Near and Middle East », 85) 2008, p. 398-399. Abūl-Fad ̣l Ǧamāl al-Dīn Ibn Manz ̣ūr, Lisan al-ʿarab, Beyrouth, Dār Ṣādr, t. VI, p. 60-
61.
93. Ben Taïbi M., Quelques façons de lire le texte coranique, op. cit., p. 140.
95. Ces items bibliques appartiennent en particulier à la littérature biblique dite pseudépigraphique. Lire La Bible : Écrits intertestamentaires, dir. d’André Dupont-Sommer
et Marc Philonenko ; avec la collab. de Daniel A. Bertrand… [et al.], Paris, Gallimard, (« Bibliothèque de la Pléiade ; 337 »), 1988, CXLIX, 1905 p. Bibliogr. S’agissant de l’item
« Trompette », lire p. 1729, 1782, 1790 ; « livre », lire p. 568, 610 ; « l’ange de la mort », lire p. 1449. Pour ce dernier terme, on consultera également le Dictionnaire encyclopédique
du judaïsme, sous la dir. de Geoffrey Wigoder et al., adapté en français sous la direction de Sylvie Anne Goldberg, avec la collaboration de Véronique Gillet, Arnaud Sérandour et
Gabriel Raphael Veyret, Paris, Cerf, Robert Laffont, 1996, p. 68-69.
97. Laroussi G., « énonciation et stratégies discursives dans le Coran (Sourate XX Ta ha) » dans Analyse et Théories 2/3 (1982), p. 152.
100. Par exemple XXIII, 84 ; 87 ; 89. Ce sont les énonciateurs opposants qui concèdent la véracité des propos au locuteur coranique.
101. Par exemple, XVII, 98.
104. XXVII, 69, 71 ; XVII, 50, 51, 53, 56, 93, 95, 96, 100, 107 ; XXIII, 84, 86, 88, 97.
109. Ricœur P., Du texte à l’action. Essais d’herméneutique, II, Paris, Seuil, 1986, p. 128-129.
INTRODUCTION
Le discours autoréférentiel d’un texte est constitué de tout élément qui
fournit une information sur la nature de ce même texte, son origine, son
statut, sa fonction, etc. Dans le Coran, les nombreuses manifestations de
l’autoréférence figurent de façon tantôt explicite, tantôt implicite.
Considérée synchroniquement1 – en prenant le texte coranique comme un
ensemble –, cette autoréférence s’étend à de multiples aspects, formant une
riche argumentation en faveur de l’établissement de l’autorité
« scripturaire » absolue du texte. Le Coran y est défini comme une
« Écriture » à la façon des Écritures saintes juives et chrétiennes, parole
directe de Dieu descendue sur un prophète la transmettant à son tour2.
Paradoxalement, le Coran y est aussi décrit comme le critère de véracité des
autres Écritures, et donc implicitement comme la seule Écriture à jouir de
cette autorité scripturaire3. Sur ce point comme sur d’autres, cette image que
le Coran offre de lui-même peut parfois apparaître floue ou contradictoire.
Or l’ordre canonique des parties du texte diffère de leur ordre supposé
d’apparition dans le temps. Traditions musulmanes et travaux universitaires
contemporains ont présenté des listes d’ordre chronologique des sourates et
versets, ou indiqué en quoi tels éléments suivent tels autres. Dans son
introduction à l’ouvrage collectif Self-Referentiality in the Qur’ān, Stefan
Wild écrit que ce qui a créé l’opacité dans la compréhension de
l’autoréférence est le fait d’avoir voulu obtenir un seul sens de cette
autoréférence, sans tenir compte du développement chronologique du texte4.
Suivant cette intuition, j’ai procédé lors de ma thèse5 à l’analyse minutieuse
de l’évolution des différents aspects du discours autoréférentiel au long du
développement chronologique supposé du texte. J’en présente ici certains
éléments.
Le choix du plus probable ordre chronologique n’a pas été aisé. Les
hypothèses avancées par les orientalistes et les chercheurs sont plurielles,
tout autant que les listes véhiculées par la tradition islamique6. J’ai choisi de
fonder mon travail sur deux listes représentatives, celle de la vulgate d’al-
Azhar7 et celle de l’orientaliste Theodor Nöldeke8. Toutefois, l’utilisation de
ces deux listes ne permet pas d’éviter certains problèmes. Outre celui de
leur fiabilité – pour la liste d’al-Azhar, raisons du choix entre plusieurs
listes traditionnelles et fiabilité de la transmission ; pour la liste de T.
Nöldeke, hypothèses posées partiellement à partir de l’étude des thèmes –,
le problème le plus important réside en l’éventualité de reprises d’anciens
passages, de corrections, etc. En conséquence, le travail diachronique devait
s’effectuer avec beaucoup de prudence. J’ai procédé d’une façon large et
souple à un classement par périodes, fondant mon étude sur les éléments les
plus certains – si sur plusieurs éléments, une sourate semblait très peu en
phase avec les autres sourates de la période, je l’ai mentionnée mais ai
signalé le problème et ai privilégié des données plus sûres9.
Dans le cadre de la présente intervention, j’ai choisi d’exposer les
résultats de l’analyse des premiers moments du texte. J’ai délimité une
première période comprenant les trente-trois sourates les plus anciennes
selon l’ordre de la vulgate d’al-Azhar et également reconnues comme
appartenant à la période la plus ancienne par Theodor Nöldeke10.
Tout d’abord, le rôle de Muh ̣ammad n’est pas décrit comme une
mission prophétique. Le terme āyāt, employé par la suite pour désigner des
signes prodigieux accompagnant le prophète22, n’est cité ici qu’à propos des
actions de Dieu, trois fois :
{Si Nos āyāt lui sont récités, il [un opposant] dit : « Fables d’anciens ! » Nous le
marquerons sur le groin23 !}
{Vraiment, il [un opposant] s’est entêté contre Nos āyāt24 !}
Le texte β
Des impératifs existent dans le texte β, ou « mise en scène », par
exemple : iqra’. Ces impératifs jouent un double rôle dans le discours
autoréférentiel :
– montrer que ce texte β est ce que Dieu prononce ; toutefois, cela ne
concerne pas tous les passages β mais uniquement ceux qui contiennent ces
impératifs.
– si l’impératif en question introduit un texte α : montrer que ce texte α
est parole de Dieu.
Ainsi le texte β n’est décrit comme parole de Dieu que lorsqu’il
contient ces impératifs.
Le texte α
Le texte α – contenu du rappel (et α’, contenu de la prière) – n’est pas,
dans un premier temps, logé à la même enseigne. Si le texte nous indique
tout d’abord que le texte du rappel est la mention des actions de Dieu que
Muh ̣ammad doit proclamer, nous pouvons nous interroger : ce rappel, ce
texte α, est-il aussi – selon le texte – mot pour mot ce que Dieu a demandé
de proclamer ? D’ailleurs, dans cette première période, Dieu est-il considéré
comme ayant donné mot pour mot le rappel ? Au départ, il est simplement
dit que l’ordre vient de Dieu, et non pas le mot pour mot du rappel.
Considérons deux éléments à ce sujet.
Le premier est l’alternance des pronoms personnels (iltifāt) par lesquels
Dieu est nommé. Dans les mentions des actions de Dieu (le texte α), le
contenu, Dieu est désigné soit à la première personne (« Nous », voire
« Je »), soit à la troisième personne.
Logiquement, lorsqu’il s’agit de la troisième personne, il est difficile de
penser que le locuteur est Dieu ; il s’agirait plutôt d’une « voix du texte ».
On ne pourrait donc pas en déduire que le texte α est ce que Dieu a dit.
Cependant, l’impression donnée à l’auditeur ou au lecteur semble être,
au contraire, que le texte des mentions de Dieu est prononcé par Dieu lui-
même. Ceci, à cause de l’aspect autoritaire et omniscient de cette « voix du
texte », et de l’alternance rapide des situations d’énonciation, mais
également à cause de l’alternance entre texte α et texte β – lequel contient,
nous venons de le mentionner, des impératifs qui donnent à penser que le
locuteur est Dieu. Ainsi, c’est la proximité du texte α avec le texte qui le
met en scène, le texte β, qui engendre chez l’auditeur/lecteur l’idée que
Dieu en est l’énonciateur, même lorsqu’il est question de lui à la troisième
personne.
Le second élément est qu’en quatre courts passages, le texte α (rappel),
ou α’ (prière) est introduit par l’impératif du verbe « dire » : qul, du texte β,
par exemple :
{Dis (qul) : « Ô dénégateurs ! Je n’adore pas ce que vous adorez. Vous n’adorez pas ce que
j’adore. Je n’adore pas ce que vous avez adoré. Et vous n’adorez pas ce que j’ai adoré. À vous,
votre religion. À moi, ma religion32. »}
Ces conclusions ont été rendues possibles par la distinction que j’ai
opérée dans les strates les plus anciennes du corpus entre textes α et β. Cette
distinction m’a également permis d’analyser plus clairement la suite du
développement chronologique du texte.
CONCLUSION
J’ai présenté ici à grands traits mon analyse de l’autoréférence dans les
premières sourates mecquoises, analyse fondée sur l’hypothèse d’un
développement du texte sans trop de modifications ultérieures, et selon les
deux ordres chronologiques d’al-Azhar et de T. Nöldeke, malgré leurs
limites. Cette analyse m’a permis de constater la présence de deux phases à
l’intérieur de cette période :
Cette analyse peut être mise en parallèle avec celle de Nicolai Sinai36 à
propos de l’apparition chronologique, dans les parties les plus anciennes du
texte, de l’idée que le Coran aurait son origine en un kitāb céleste, idée qu’il
appelle la dimension « génétique » de l’autoréférence coranique. Il montre
que ce concept n’est pas présent au départ, puis que les récitations, décrites
comme un rappel, en viennent à être définies comme provenant d’une
Écriture céleste. Ainsi, nos conclusions convergent sur le point suivant : le
texte développe un discours visant à se conférer à lui-même, en crescendo,
un statut d’autorité.
BIBLIOGRAPHIE
Le Coran, Texte arabe et traduction française par ordre chronologique
selon l’Azhar avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs
et chrétiens, par Aldeeb abu-Sahlieh Sami Awad, Vevey, éd. de l’Aire,
2008.
BOISLIVEAU A.-S., « Le Coran par lui-même » : l’autoréférence dans
le texte coranique, Aix-Marseille, thèse de doctorat, 2010 ; paru sous le titre
Le Coran par lui-même. Vocabulaire et argumentation du discours
coranique autoréférentiel, Leiden, Brill, 2013.
CUYPERS M., « Structures rhétoriques des sourates 85 à 90 », Anlisl,
35, 2001, p. 27-100.
—, et GOBILLOT G., Le Coran, Paris, Le Cavalier Bleu, 2007.
MADIGAN Daniel A., The Qur’ân’s self-image : writing and authority
in Islam’s scripture, Princeton, Princeton University Press, 2001.
NÖLDEKE T., Geschichte des Qorāns, zweite, völlig umgerabeitete
Auflage. Dritter Teil : Die Geschichte des Korantexts von G. Bergsträsser
und O. Pretzl, mit 8 Tafeln. Dieterich’sche Verlagsbuchhandlung Leipzig,
1938. [réimpression Georg Olms, Hilddesheim, 2005].
ROBINSON N., Discovering the Qur’an : a contemporary Approach to
a Veiled Text, Washington, Georgetown University Press, 2003.
SINAI N., « Qur’ānic self-referentiality as a strategy of self-
authorization », in Wild S. (ed.), Self-Referentiality in the Qur’ān,
Wiesbaden, Harrassowitz, 2006, p. 103-134.
WILD S. (ed.), Self-Referentiality in the Qur’ān, Wiesbaden,
Harrassowitz, 2006.
1. Cf. à ce sujet Madigan D. A., The Qur’ân’s self-image : writing and authority in Islam’s scripture, Princeton, Princeton University Press, 2001 ; et également Boisliveau
A.-S., Le Coran par lui-même. l’autoréférence dans le texte coranique, thèse de doctorat soutenue à l’Université Aix-Marseille I, 2010, partie I et II, (580), à paraître sous le titre Le
Coran par lui-même. Vocabulaire et argumentation du discours coranique autoréférentiel, 2013.
3. Idem.
5. Il s’agit de ma thèse de doctorat, op. cit. Par ailleurs, je précise que les traductions du Coran dans cet article sont miennes, et largement inspirées des traducteurs français
de référence : D. Masson, R. Blachère, J. Berque.
6. Pour les hypothèses universitaires, cf. Boisliveau, le Coran, op. cit., p. 399-400. Pour les hypothèses traditionnelles, cf. Robinson N., Discovering the Qur’an : a
contemporary Approach to a Veiled Text, Washington D. C., Georgetown University Press, 2003, p. 69 sq. ; Le Coran, Texte arabe et traduction française par ordre chronologique
selon l’Azhar avec renvoi aux variantes, aux abrogations et aux écrits juifs et chrétiens, par Aldeeb abu-Sahlieh Sami Awad, Vevey, Editions de l’Aire, 2008, p. 14.
8. Nöldeke T., Geschichte des Qorans, 1860 (Révisé par Schwally Friedrich, Bergsträsser Gotthelf, Pretzl Otto, Leipzig, 1919-1938).
10. Il s’agit des sourates : 96, 68 (classée 18e par T. Nöldeke), 73 (classée 23e par T. Nöldeke), 74, 1 (classée 48e par T. Nöldeke), 111, 81 (27e selon T. Nöldeke), 87, 92,
89, 93, 94, 103, 100, 108, 102, 107, 109, 105, 113, 114, 112, 53 (classée 28e par T. Nöldeke), 80, 97, 91, 85, 95, 106, 101, 75, 104, 77.
12. Pour cette dernière hypothèse, par laquelle il s’agit clairement d’une invitation à la prière plutôt que d’un envoi en mission, cf. Cuypers M., « Structures rhétoriques des
sourates 85 à 90 », Anlisl, 35, 2001, p. 117 et Cuypers M. et Gobillot G., Le Coran, Paris, Le Cavalier Bleu, 2007, p. 38-39.
15. Coran 73, 8 ; 87, 9 ; puis, mais dans une deuxième période, dans le refrain de Q54.
20. Coran 87, 9 ; 89, 23 ; 80, 4. Une autre occurrence est en Coran 74, 31 mais ce verset est considéré par T. Nöldeke comme une insertion ultérieure.
22. Cf. Boisliveau, Le Coran par lui-même, op. cit., p. 449-450, 458, 493-494.
28. À propos de la notion d’Écriture sacrée, cf. Boisliveau, Le Coran par lui-même, op. cit., p. 56-70.
29. Coran, 74, 31 et Coran 68, 37.
30. Cf. les détails des éléments constitutifs de l’autoréférence coranique vue synchroniquement dans Boisliveau, Le Coran par lui-même, op. cit., partie I et II.
31. Pour le détail complexe des références de chaque élément, cf. Boisliveau, Le Coran par lui-même, op. cit., p. 414-440.
32. Coran 109. Les autres occurrences sont Coran 112, 113 et 114. Ces deux dernières concernent a priori davantage la prière que le rappel. À cela s’ajoutent deux
occurrences dans des sourates qui ne sont pas au début de la classification d’al-Azhar mais classées en première période par T. Nöldeke : 56 et 52.
33. J’utilise le terme « auteur » dans un sens neutre et indéfini, pour me référer à la source du texte, sans entrer dans la question de son identité.
36. Sinai N., « Qur’ānic self-referentiality as a strategy of self-authorization », dans Wild S. (ed.), Self-Referentiality in the Qur’ān, op. cit., p. 103-134.
Le verset de l’abrogation (2, 106) dans
son contexte rhétorique
Michel Cuypers
INTRODUCTION
Une caractéristique bien connue de l’exégèse classique du Coran réside
dans sa manière de commenter le texte verset par verset, le plus souvent
sans considération du contexte littéraire immédiat des versets concernés.
Les commentaires du verset 2, 106 dit « de l’abrogation » sont à ce titre
exemplaires. Ils ont presque unanimement interprété ce verset comme
signifiant que Dieu peut librement décider d’abroger ou « faire oublier » un
verset du Coran pour le remplacer par un autre, meilleur. Cette
interprétation est devenue la référence scripturaire principale de la science
coranique dite « de l’abrogeant et de l’abrogé » (nāsiḫ wa mansūḫ), dans
laquelle des versets, en général plus rigoureux en matière légale ou plus
durs et intolérants en matière des relations avec les non musulmans, sont
déclarés en abroger d’autres, plus doux et tolérants, nécessairement
considérés comme antérieurs aux premiers. Il en va ainsi notamment des
versets violents de la sourate 9 (comme les versets 5 et 29), appelant au
combat contre les polythéistes et les gens du Livre : ces versets, selon
certains, abrogent jusqu’à cent trente versets antérieurs. Nous savons le
danger que représente actuellement une telle méthode, adoptée par les
fondamentalistes islamiques, mais aussi largement admise dans la pensée
musulmane actuelle, comme un principe de base de l’exégèse coranique.
Historiquement, cette méthode relève pourtant plus du droit musulman
que de l’exégèse : à l’époque de la constitution du fiqh, elle a permis aux
premiers juristes de mettre de l’ordre dans des préceptes coraniques
apparemment divergents, voire contradictoires. Quant aux exégètes
classiques, si la plupart ont adopté cette méthode, certains ont réduit le
nombre de versets abrogés à quelques unités, d’autres encore en ont
totalement rejeté le principe.
Parmi les savants musulmans de l’époque moderne, plusieurs dénoncent
l’erreur d’interprétation du verset 2, 106, en argumentant à partir du
contexte de ce verset. Ils nient ainsi tout fondement coranique à la méthode
de l’abrogation, du moins telle qu’elle est couramment entendue. Pour eux,
il est clair que ce verset ne signifie pas l’abrogation d’un verset du Coran
par un autre verset du Coran, mais de l’abrogation des révélations
antérieures (judaïsme et christianisme) par la révélation coranique. Ainsi du
réformiste indien Sayyid Ah ̣mad Ḫan (m. 1889), mais aussi de Sayyid Abū
‘l-Aʿlā Mawdūdī (m. 1979), de Sa‘īd Ḥawwā (m. 1989) et de Muh ̣ammad
Asad (m. 1992). Un chercheur pakistanais, Ah ̣mad Ḥasan, dans une étude
sur la question, tout en s’étonnant que « certaines des plus éminentes
autorités en tafsīr ont manqué le point central de ce verset (2, 106) », estime
que le terme āya ne doit pas être compris ici comme « verset », mais
comme « message », le v. 2, 106 signifiant dès lors l’abrogation, par le
Coran, des révélations ou « messages » antérieurs1.
92a Et certes vous est venu MOÏSE avec les PREUVES. b Puis vous avez
adopté le veau, après lui, c tandis que vous étiez injustes. 93a Et quand
Nous avons reçu votre alliance b puis nous avons élevé au-dessus de vous
le Mont : c « Recevez ce que Nous vous avons donné, avec force, et
écoutez ! » d Ils ont dit : « Nous avons écouté et nous avons désobéi ! » e
Et ils furent abreuvés, dans leur cœur, du veau, par leur mécréance. f Dis :
« Combien est vil ce que vous ordonne votre foi, g si [toutefois] vous êtes
croyants ! ».
A’
97a Dis : « Qui est ennemi de GABRIEL, b lui qui L’a [le Livre] fait
descendre sur ton cœur, avec la permission de Dieu, cCONFIRMANT
CE QUI ÉTAIT AVANT LUI, d guidance et bonne nouvelle pour les
croyants ? 98a Celui qui est ennemi de Dieu, b de ses anges, de ses
messagers, de Gabriel et de Mikaïl, c certes, Dieu est un ennemi pour les
mécréants. » 99a Et certes, Nous avons fait descendre vers toi des versets
[signes ?] évidents, b et nul ne mécroit à leur égard, sinon les pervers.
100a Et chaque fois qu’ils concluent une alliance, la rejettera-t-elle une
fraction d’entre eux ? b Ou plutôt, la plupart d’entre eux ne croient pas.
101a Et quand leur est venu un messager d’auprès de Dieu b
CONFIRMANT CE QU’ILS AVAIENT, c [le] rejeta une fraction de
ceux à qui a été donné LE LIVREd – LE LIVRE de Dieu – e derrière
leurs dos, f comme s’ils ne savaient pas.
B’
Le centre (X) :
Comme souvent dans les compositions concentriques, le centre
introduit brusquement une idée antithétique6 : alors que le passage B
dénonçait la rupture d’alliance des juifs, le centre ironise sur leur prétention
à une élection exclusive, non seulement ici-bas, mais aussi dans l’au-delà.
La situation centrale de cette critique permet de considérer cette
dernière comme une clé d’interprétation pour le reste du texte, comme c’est
également souvent le cas des centres, en rhétorique sémitique. On
comprend dès lors que c’est en raison de cette prétention à une élection
exclusive que les juifs refusent l’idée que Dieu puisse faire descendre un
Livre « sur ceux qu’il veut d’entre ses serviteurs » (90c), en dehors du
peuple élu.
Mais le centre affirme aussi que, loin d’accéder au Paradis comme ils se
l’imaginent, les juifs subiront au contraire un châtiment durable (96d), en
raison de « ce qu’ils font ».
111a ET ILS ONT DIT : « N’entreront au Paradis b que ceux qui sont
JUIFS ou CHRÉTIENS. » c Tels sont leurs souhaits. d Dis : « Apportez
votre preuve e si vous êtes véridiques. »
------------------------------------------------------------------------------------------
112a Au contraire, celui qui a soumis son visage à Dieu b tout en étant
BIENFAISANT, c c’est lui qui a sa récompense près de son Seigneur. d
Point de crainte sur eux e et point ne seront affligés.
__________________________________________________________
113a Et les JUIFS ont dit : « Les CHRÉTIENS ne se fondent sur rien. » b
Et les CHRÉTIENS ont dit : « Les JUIFS ne se fondent sur rien. » c
Alors qu’ils récitent LE LIVRE ! d De même ONT DIT CEUX QUI NE
SAVENT PAS, LA MÊME CHOSE QU’EUX. e Mais Dieu jugera entre
eux, au jour de la résurrection, f sur ce en quoi ils divergeaient.
------------------------------------------------------------------------------------------
114a Qui est plus injuste que ceux qui ont empêché les sanctuaires de Dieu
b que soit mentionné en eux son Nom c et se sont acharnés à leur
destruction ? d Ceux-là ne devraient, eux, y entrer qu’avec crainte. e À
eux, en ce monde, une ignominie, f et à eux, dans l’au-delà un tourment
terrible.
111a Et ils ont dit : « N’entreront au Paradisb que ceux qui sont juifs ou chrétiens. » c
Tels sont leurs souhaits. dDIS : « Apportez votre preuve esi vous êtes véridiques. »
Certains juifs altèrent le sens des paroles révélées ; ils disent : « Nous
avons entendu et nous avons désobéi » et « Entends » d’une manière
inaudible [il s’agit sans doute ici de l’ordre « Shema Israël ! »]. Ils disent
aussi « Favorise-nous ». Ils tordent leur langue et ils attaquent la religion.
Mais s’ils avaient dit : « Nous avons entendu et nous avons désobéi »,
« Entends » [sous-entendu de manière audible] et « Regarde-nous » c’eût
été certainement meilleur pour eux et plus droit. Dieu les a maudits à cause
de leur incrédulité. Ils ne croient pas, à l’exception d’un petit nombre
d’entre eux11.
Quoi qu’il en soit de la signification exacte de ces syntagmes très
elliptiques et discutés (2,104b-d12), il est clair qu’il s’agit de formules
utilisées par les juifs, que le Coran entend corriger, et qu’il demande aux
croyants (musulmans) de corriger à leur tour.
Du point de vue rhétorique, on remarque que le verbe utilisé dans le
membre 104b (râ‘inâ), compris comme « favorise-nous » (Md.
Hamidullah) ou « aie pour nous des égards » (J. Berque) ou explicité
comme « fais de nous tes élus ! » (G. Gobillot), répond au centre de la
première séquence où est ironiquement rejetée l’idée d’une élection et d’un
salut exclusifs pour les juifs : « Si est à vous la demeure dernière auprès de
Dieu, à l’exclusion des autres gens, alors, souhaitez la mort, si vous êtes
véridiques ! » (94a). Cette correspondance entre le début de la séquence
centrale, et le centre de la première séquence répond à la même loi de
déplacement du centre d’un système vers les extrémités d’un autre système,
déjà signalé plus haut13.
Le membre 104d (« écoutez ») reprend l’impératif de 93c adressé aux
juifs : « Tenez fermement ce que nous vous avons donné, et écoutez ». Mais
alors que les juifs ont écouté et désobéi (93d), le croyant est évidemment
invité à écouter en obéissant, comme l’exprime le v. 4, 46.
– 105a (Mâ) Ils n’aiment pas, ceux qui sont incrédules parmi les gens de
l’Écriture,
– b ni les associateurs
– c que soit descendue sur vous une faveur de votre Seigneur.
= d Mais Dieu privilégie de sa miséricorde ceux qu’il veut ;
= e et DIEU EST LE DÉTENTEUR DE LA GRÂCE IMMENSE.
-------------------------------------------------------------------------------------
– 106a (Mâ) Dès que nous abrogeons un verset ou le faisons oublier
– b nous en apportons un meilleur que lui ou un semblable à lui.
= c Ne sais-tu pas
= d que DIEU EST SUR TOUTE CHOSE PUISSANT ?
B’
A’
CONCLUSION
Le Coran reconnaît l’authenticité de la Torah, qui est une des formes
sous lesquelles est descendu « le Livre ». Il n’est donc pas exact que le
Coran abolirait purement et simplement les Écritures antérieures, comme on
le dit généralement, et comme le pensaient les savants musulmans
modernes dont nous parlions au début : ils avaient bien repéré l’erreur
classique d’interprétation du verset de l’abrogation, mais pour tomber dans
une autre erreur ! Le Coran prétend seulement corriger ou supprimer
(« faire oublier ») certaines affirmations des Écritures antérieures, sans
toutefois abolir celles-ci en tant que telles. Au début de la section que nous
avons étudiée, le Coran ne répète pas moins de quatre fois qu’il
« confirme » les Écritures antérieures (89b ; 91d ; 97c ; 101b).
Malgré cette reconnaissance et cette confirmation globale, la plupart des
juifs, et après eux, les autres gens du Livre, c’est-à-dire les chrétiens,
refusent de croire au Prophète et au Livre qu’il apporte.
La racine de ce refus réside dans la foi erronée des gens du Livre en
leur élection exclusive. Ils ne peuvent admettre que Dieu envoie un
prophète avec un Livre, en dehors de leur propre peuple, le seul « élu ».
Or, c’est précisément cette idée d’élection exclusive que le Coran refuse
catégoriquement, au nom de l’universalité de la présence et de la puissance
divine qui englobent toute l’humanité.
C’est pourquoi, le Coran remplace les versets bibliques qui demandent
à Dieu une faveur exclusive par des versets implorant sa miséricorde (sur
tout homme).
Dieu ainsi remplace certains versets qu’il « oublie » ou qu’il abroge, par
des versets « meilleurs » – en l’occurrence, plus universels.
La prétention à l’élection s’oppose à l’omniprésence, à la toute-
puissance et à la liberté de Dieu, qui ne se laissent pas limiter par un peuple
unique. Elle est aussi démentie concrètement par les péchés et les trahisons
des juifs, eux qui ont désobéi à Moïse, adoré le veau, tué les prophètes,
attaqué les sanctuaires de Dieu, suivi les démons et pratiqué la magie.
Tout ceci justifie bien la prière universelle de demande de pardon :
« Regarde-nous » (prends-nous en pitié), se substituant à la prière pour être
favorisé, élu.
On le voit : rien dans le texte de toute la section n’évoque une
polémique quelconque au sujet des variations de versets à l’intérieur même
du Coran, polémique évoquée par les « occasions de la révélation » (asbāb
al-nuzūl) données par les commentateurs pour expliquer le v. 106. On est ici
en présence d’un des nombreux cas où le contexte littéraire des versets
coraniques contredit le contexte pseudo-historique des « occasions de la
révélation » invoquées par les commentateurs traditionnels.
BIBLIOGRAPHIE
AGWAN A. R. et SINGH N. K. éd., Encyclopaedia of the Holy Qur’ân,
Delhi, Global Vision Publishing House, 2000.
CUYPERS M., Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Paris,
Lethielleux (Rhétorique sémitique), 2007. La composition du Coran, Paris,
Gabalda (Rhétorique sémitique), 2012.
DÉCLAIS J.-L., « Lecture de la deuxième Sourate du Coran », Chemins
de dialogue 24, (2004), p. 13-91.
GOBILLOT G., « L’abrogation (nâsikh et mansûkh) dans le Coran à la
lumière d’une lecture interculturelle et intertextuelle », Al-Mawaqif, Revue
des Études et des Recherches sur la Société et l’Histoire, Actes du premier
colloque international sur « Le phénomène religieux, nouvelles lectures des
sciences sociales et humaines », Mascara 14-16 avril 2008, numéro spécial
avril 2008.
ḤASAN A., « The Theory of naskh », Islamic Studies, 2 (1965), p. 181-
200.
MEYNET R., Traité de rhétorique biblique, Paris, Lethielleux
(« Rhétorique sémitique »), 2007.
1. « It looks strange that some of the most eminent authorities of tafsīr, have missed the central point of this verse ». Ah ̣mad Ḥasan, « The Theory of naskh », Islamic
Studies, 4/2 (1965), p. 189. A. Ḥasan était membre du « Central Institute of Islamic Research » à Karachi, dirigé par Fazlur Rahman. On remarque que plusieurs des auteurs cités
proviennent du sous-continent indien. Cf. l’encyclopédie indienne de Singh N. K. et Agwan A. R. éd., Encyclopaedia of the Holy Qur’ân, Delhi, Global Vision Publishing House,
2000, p. 30-42, art. « Abrogations » signalant la même interprétation.
2. Voir Cuypers M., Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida, Paris, Lethielleux, 2007 ; La composition du Coran, Paris, Gabalda, 2012. Cf. également les articles
signalés dans la bibliographie de ces ouvrages.
4. Cf. Déclais J.-L., « Lecture de la deuxième Sourate du Coran », Chemins de dialogue 24 (2004), p. 13-91.
5. Nous nous limitons ici à examiner les niveaux supérieurs de cette séquence (sous-séquences et passages), suffisants pour notre propos. Mais elle comporte aussi tous les
niveaux inférieurs habituels d’un texte composé selon la rhétorique sémitique. Voir plus loin, note 7.
6. Phénomène connu sous le nom de « deuxième loi de Lund », voir M. Cuypers, La composition du Coran, op. cit., p. 120. Nils W. Lund était un bibliste, qui publia dans les
années 1930-1940.
7. Rappelons, les différents niveaux textuels, dans la rhétorique sémitique, en ordre ascendant : le membre, le segment, le morceau, la partie, le passage, la séquence, la
section, avec éventuellement la sous-partie, la sous-séquence et la sous-section. Nous empruntons cette terminologie, simple et claire, à Roland Meynet, le meilleur théoricien actuel
de la rhétorique biblique et sémitique. Voir son Traité de rhétorique biblique, Paris, Lethielleux (« Rhétorique sémitique »), 2007, et Cuypers M., La composition du Coran, op. cit.,
chap. 3 : « Les niveaux de composition », p. 35-69.
8. Voir « cinquième loi de Lund », Cuypers M., La composition du Coran, op. cit., p. 130.
10. C’est la « quatrième loi de Lund », Id., p. 125. Ce phénomène, pour étrange qu’il puisse paraître à notre logique occidentale moderne, est très fréquent dans le Coran.
11. Nous reproduisons ici la traduction de G. Gobillot dans « L’abrogation (nâsikh et mansûkh) dans le Coran à la lumière d’une lecture interculturelle et intertextuelle », Al-
Mawaqif, Revue des Études et des Recherches sur la Société et l’Histoire, Actes du premier colloque international sur « Le phénomène religieux, nouvelles lectures des sciences
sociales et humaines », Mascara 14-16 avril 2008, numéro spécial avril 2008, p. 11.
12. Nous renvoyons pour cela à l’étude de G. Gobillot signalée dans la note précédente et à sa contribution dans le présent volume.
14. En 4, 46, le Coran indique clairement qu’il s’agit ici d’une « correction » par le Coran, de ce que disent les juifs. Ce dernier verset associe à cette correction une autre
erreur de ce que disent les juifs, et qui se trouve dans la première séquence de notre section, en 92d (« Nous avons écouté et nous avons désobéi »).