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Jean-Claude Vuillemin
Dans Cahiers philosophiques 2012/3 (n° 130), pages 39 à 50
Éditions Réseau Canopé
ISSN 0241-2799
DOI 10.3917/caph.130.0039
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Toutefois, ce n’est pas parce que l’individu est pris dans une épistémè
contraignante qu’il est privé de liberté. Prônant l’interdépendance
du théorique et du pratique, Foucault postule qu’il existe des
processus de subjectivation qui, tout en faisant de l’individu un
« sujet éthique », lui permettent en outre de dépasser l’assujet-
tissement qui pourtant le conditionne. Échappant à l’empire de
la structure et récusant l’illusion du sujet, le concept d’épistémè
est compatible avec l’exigence d’une liberté lucide.
«
sachons jusques où ils la connaissent, voyons par où ils la tiennent. »
Montaigne, Les Essais, III, 8, p. 937
n° 130 / 3e trimestre 2012
■ 1. Je dédie cet article à mes étudiant(e)s du séminaire Michel Foucault: Archeology, Genealogy, Ethics
(Pennsylvania State University). Qu’ils/elles trouvent ici l’expression de ma profonde gratitude et l’occasion
de se remémorer avec plaisir, je l’espère, un semestre d’intenses et fructueuses réflexions foucaldiennes.
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DOSSIER FOUCAULT, UNE POLITIQUE DE LA VÉRITÉ
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manière que, pour emprunter à Spinoza, « les hommes se croient libres
pour la seule raison qu’ils sont conscients de leurs actions et ignorants
des causes par lesquelles ils sont déterminés » (Éthique, III, 2, p. 186).
Dévoilant les déterminismes qui commandent une partie considérable des
idées et des actions, la notion d’épistémè fait apparaître les comportements
prétendument libres et raisonnés comme relevant en définitive bien davan-
tage du simple réflexe que de la réflexion proprement dite.
C’est dans Les Mots et les Choses (1966) que s’opère le repérage initial
de ces réseaux anonymes de contraintes qui, conditionnant des espaces de
pensée et de savoirs, disputent à l’individu ses prérogatives fondatrices. La
mise en lumière de ces épistémè se poursuit dans L’Archéologie du savoir
(1969) qui, ouvrant l’analyse des conditions de possibilités discursives aux
« pratiques non discursives », précise avec rigueur les discontinuités dont
Foucault s’était servi dans ses précédents travaux : Les Mots et les Choses,
bien sûr, mais aussi Histoire de la folie (1961) et Naissance de la clinique
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à coudre. La taxinomie de Borges se distingue pourtant de l’inventaire
cocasse de Rabelais ou de la juxtaposition insolite de Lautréamont non
par un défaut ou un excès d’excentricité des rencontres inattendues qu’elle
favorise, mais par sa nature profondément « hétérotopique ». Repliant
chacune des catégories proposées sur elles-mêmes, le catalogue de Borges
relève en effet de l’un de ces « contre-espaces », ou « utopies localisées »,
que Foucault appelle une « hétérotopie » (« Hétérotopies », p. 24). Il s’agit
bien ici d’un espace absolument différent des lieux qui nous sont familiers ;
un espace qui non seulement défie le déploiement ordinaire du discours,
mais, plus encore, occulte sinon annule la norme pouvant rendre compte
de son organisation. On le constate, et c’est précisément ce qui en fait tout
l’intérêt, son agencement est absolument impensable parce que dépourvu
d’une matrice repérable permettant d’articuler et de faire tenir ensemble
les éléments apparemment hétéroclites que cette classification rassemble.
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manière linguistiquement et culturellement déterminée. Défi lancé à une
rationalité qui prétend à l’universel tout en se développant dans la contin-
gence, ce texte est bien, comme le décrétera Certeau, « la blessure d’un
rationalisme » (« Le noir soleil du langage », p. 162). Il montre aussi que
l’existence essentielle de cette « table d’opération » préalable conditionne
tellement la pensée qu’elle empêche souvent celle-ci d’interroger le mode
particulier d’organisation taxinomique qu’elle autorise et donc de pouvoir
éventuellement en envisager d’autres à l’aune de nouvelles et moins fami-
lières modalités de réflexion.
Ce sera donc l’un des objectifs majeurs des Mots et les Choses de
rendre tout à fait explicite cette relation indubitable – mais cependant invi-
sible – de certaines sciences avec l’épistémè qui leur est consubstantielle,
c’est-à-dire avec les présupposés qui sont les « conditions de possibilité »
de leur existence. En particulier, Foucault dévoile que c’est dans l’organi-
sation particulière de formes normatives et réglées des « discours » que
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l’on est en mesure de repérer ce qui lie ensemble les dispositifs institu-
tionnels, la constitution des savoirs et la grammaire des pratiques. Redis-
tribuant les rôles et les décors de la dramaturgie des sciences humaines, la
« mise en scène » foucaldienne, qui est une mise en cause autant qu’une
mise en ordre, vise non seulement à mettre sous les feux de la rampe la
nature éminemment contingente de ce qui se donne en général comme une
contrainte ou une limite universelle, mais aussi à éclairer ce qui constitue
« l’inconscient du savoir ». C’est en effet dans ces espèces de grilles du
CAHIERS PHILOSOPHIQUES
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milieu du XVIIe siècle, où la connaissance de la Renaissance, fondée sur la
« ressemblance », est remplacée par une analytique de « l’ordre », basée sur
une mathesis permettant « la possibilité d’établir entre les choses, même
non mesurables, une succession ordonnée » (p. 71) ; la seconde, dans le
dernier tiers du XVIIIe siècle, où pour la première fois l’individu, « un simple
pli dans notre savoir » (p. 15), se retrouve à la fois objet et sujet. Objet d’un
savoir que rend désormais possible l’avènement des sciences humaines, et
sujet de tout type de savoir. Situation qui débouchera sur ce que Foucault
appelle la structure anthropologico-humaniste de la pensée du XIXe siècle,
qui sera mise à mal au siècle suivant par, en particulier, le structuralisme
qui clamera haut et fort que ce n’est qu’un ensemble de structures qui rend
l’« homme » possible. La structure se sera alors substituée au procès, le
concept à la praxis. Cela dit, le repérage épistémique proposé par Foucault
n’est pas incompatible avec d’autres découpes, dont en particulier la recon-
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d’autres. C’est dans ce contexte que Foucault fait subir au « document » un
changement de statut et invite les historiens à le traiter en tant que « monu-
ment ». Alors que le document était jusqu’alors considéré comme une voie/
voix d’accès à un passé évanoui, « sa trace fragile,
mais par chance déchiffrable » (L’Archéologie du
savoir, p. 14), il doit être maintenant travaillé,
élaboré de l’intérieur. À une plongée en profon- Cet élargissement
deur vers une mémoire dont le document serait d’un champ
« l’heureux instrument » (ibid.), l’histoire telle que d’investigation est
la souhaite Foucault doit substituer une méthode à l’origine d’une
horizontale revendiquant une activité de classe- reformulation
ment, d’organisation, de construction sérielle qui qui substitue
la rapproche d’un travail archéologique. C’est dispositif à
également à cette époque que Foucault accroît son épistémè
domaine d’analyse et greffe à l’étude des lisibilités,
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de montrer que ce que j’appelle dispositif est un cas beaucoup plus général
de l’épistémè. Ou plutôt que l’épistémè, c’est un dispositif spécifiquement
discursif, à la différence du dispositif qui est, lui, discursif et non discursif,
ses éléments étant beaucoup plus hétérogènes » (« Le jeu de M. Foucault »,
Dits et Écrits, III, p. 300-301).
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À la différence de l’incoercible rigueur de ces « structures » invisibles
prônées par le structuralisme alors à la mode, qui régiraient inéluctable-
ment l’ensemble du visible en faisant dépendre l’individu d’un système qui
l’emprisonne, l’épistémè foucaldienne est faite de pratiques discursives et
donc de « dispositifs » (coutumes, normes, lois, institutions, etc.) beaucoup
plus souples, diversifiés et, surtout, beaucoup moins exhaustifs et contrai-
gnants. « [L]’épistémè, précise et souligne Foucault, n’est pas une sorte de
grande théorie sous-jacente, c’est un espace de dispersion, c’est un champ
ouvert et sans doute indéfiniment descriptible de relations [...] l’épistémè
n’est pas une tranche d’histoire commune à toutes les sciences ; c’est un jeu
simultané de rémanences spécifiques » (« Réponse à une question », Dits et
Écrits, I, p. 676). Ce refus de la totalité, ce « rapport complexe de décalages
successifs » (ibid., p. 677), loin de relever de l’aporie ou du vice méthodolo-
gique, offre au contraire une formidable potentialité théorique permettant
de repenser les formes acceptées de continuité ou de synthèse. Il importera
donc de reconsidérer les catégories traditionnelles de l’Histoire – et par
conséquent de l’histoire littéraire – en recombinant des éléments jusqu’alors
passés sous silence ou d’autres que l’on ne voit plus à force de trop les voir,
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de les appréhender dans une « transparence trop familière » (L’Archéologie
du savoir, p. 145). « Toutes ces synthèses qu’on ne problématise pas et
qu’on laisse valoir de plein droit, il faut donc, enjoint Foucault, les tenir en
suspens » : « Non point, certes, les récuser définitivement, mais secouer la
quiétude avec laquelle on les accepte ; montrer qu’elles ne vont pas de soi,
qu’elles sont toujours l’effet d’une construction dont il s’agit de connaître
les règles et de contrôler les justifications ; définir à quelles conditions et
en vue de quelles analyses certaines sont légitimes ; indiquer celles qui, de
toute façon, ne peuvent plus être admises » (ibid., p. 37).
Contrairement à l’existentialisme, où l’individu se découvre dans une
angoissante liberté, et au structuralisme, qui de part en part le détermine,
le concept d’épistémè fait apparaître des époques qui, comme l’écrit Gilles
Deleuze, « échappent au règne du sujet autant qu’à l’empire de la struc-
ture » (Foucault, p. 23). Même si, par ses systèmes de pensée et autres
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sa dimension répressive une incitation à toute une série de productions :
« Beaucoup plus que d’un mécanisme négatif d’exclusion ou de rejet, il
s’agit de l’allumage d’un réseau subtil de discours, de savoirs, de plaisirs,
de pouvoirs [...] » (p. 96). Ainsi, « les relations de pouvoir ne sont pas
en position de superstructure, avec un simple rôle de prohibition ou de
reconduction ; elles ont, là où elles jouent, un rôle directement produc-
teur » (p. 124). La sexualité résulterait moins par conséquent de toute une
panoplie d’interdits et de censures qu’elle ne serait en définitive déterminée
par un ensemble de procédures d’exhortation à dire ou à faire. Théorique-
ment censés creuser la question, les ouvrages subséquents se détournent de
la problématique du Pouvoir pour investir ou, pour mieux dire réinvestir,
celle de la subjectivation. « [L]e but de mon travail ces vingt dernières
années, précise Foucault en 1982, n’a pas été d’analyser les phénomènes
de pouvoir [...]. J’ai cherché plutôt à produire une histoire des différents
modes de subjectivation de l’être humain dans notre culture » (« Le sujet
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que lui permettent de dire et de voir les œillères de ses discours. Hors de ces
œillères, il n’y a rien à voir ou, plus exactement, on ne voit généralement
rien. « À chaque époque, écrit Paul Veyne, les contemporains sont ainsi
enfermés dans des discours comme dans des bocaux faussement transpa-
rents, ignorent quels sont ces bocaux et même qu’il y ait bocal » (Foucault,
p. 24). Correspondant en effet à une espèce de « bocal », l’épistémè est
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constituée de tout un ensemble de discours et de pratiques qui assujet-
tissent l’individu en l’empêchant de dominer le temps aussi bien que le
vrai : « Ce qui veut dire qu’on ne peut pas parler à n’importe quelle époque
de n’importe quoi ; il n’est pas facile de dire quelque chose de nouveau ;
il ne suffit pas d’ouvrir les yeux, de faire attention, de prendre conscience,
pour que de nouveaux objets, aussitôt, s’illuminent, et qu’au ras du sol ils
poussent leur première clarté » (L’Archéologie du savoir, p. 61). D’une part,
on ne peut pas penser n’importe quoi, n’importe quand et, d’autre part,
l’épistémè qui rend possibles la pensée et les discours risque d’échapper à
ceux-là mêmes dont elle fonde pourtant les idées et les échanges.
Mais la difficulté soulignée n’est pas, comme le postulait le structura-
lisme, une impossibilité. Tels des poissons rouges, nous nous mouvons en
effet dans un contexte qui, à l’image d’un bocal, déploie en même temps
qu’il limite les différents types d’objets que l’on peut traiter et les diffé-
rentes manières dont on peut les traiter. Mais, contrairement à un vulgaire
poisson qui ne sait probablement pas qu’il se trouve enfermé dans un bocal,
nous pouvons constater la présence de ce bocal et, d’une certaine mesure,
nous avons la possibilité sinon d’y échapper complètement, du moins de
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le contester énergiquement. L’historicité de l’individu ne conduit pas chez
Foucault à la paralysie, mais permet au contraire la mise en œuvre d’une
liberté en mesure de résister et, à l’instar des « tactiques » évoquées par
Certeau pour déjouer les structures aliénantes (L’Invention du quotidien,
I, p. 82 sqq.), d’inventer de nouvelles modalités d’être. Sans relever d’un
mode d’être ontologique, la liberté foucaldienne exhorte cependant à un
« êthos philosophique » consistant en « une épreuve historico-pratique des
limites que nous pouvons franchir, [un] travail de nous-mêmes sur nous-
mêmes en tant qu’êtres libres » (« Qu’est-ce que les Lumières ? », Dits et
Écrits, IV, p. 575).
Si la connaissance des contraintes historiques, sociales et épistémiques
qui déterminent l’individu ne permet pas à celui-ci de les éliminer toutes,
cette prise de conscience est cependant loin d’être inutile. Non seulement
octroie-t-elle à l’individu une certaine « grandeur », comme dirait Pascal,
RÉFLEXIONS SUR L’ÉPISTÉMÈ FOUCALDIENNE
sur les forces qui le dominent mais, plus encore, en mettant systémati-
quement en question leur apparente fatalité, elle
permet aussi de l’affranchir de quelques-unes au
moins de leurs présumées nécessités. Il n’y a en
La dépendance effet aucun doute que la probabilité d’échapper à
fondamentale qui des éléments qui nous assujettissent de façon non
lie l’individu à son absolument nécessaire se trouve considérablement
épistémè n’a rien augmentée par la connaissance que nous en avons.
d’un destin La dépendance fondamentale qui lie l’individu
à son épistémè n’a rien d’un destin. Déterminé par
celle-ci, l’individu bénéficie néanmoins d’un poten-
tiel de résistance et de subversion. En effet, tenir
compte des déterminismes ne revient pas à affirmer que rien ne peut, ni
ne doit, changer. Et c’est précisément parce que l’épistémè accorde aux
individus une dose non négligeable de liberté que Foucault peut les inciter
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DOSSIER FOUCAULT, UNE POLITIQUE DE LA VÉRITÉ
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moins ici de mettre au jour le savoir qui sous-tend l’archive d’une époque
que d’établir le « diagnostic » de ce qui se passe, de ce qui secrètement nous
agit (« La philosophie structuraliste », Dits et Écrits, I, p. 580 sqq.). C’est
dans cette incitation à penser récusant tout dogmatisme, et avec cet objectif
primordial assigné non seulement à la « philosophie structuraliste » mais
à l’individu-philosophe, que s’inscrit la métaphore connue de Foucault
selon laquelle ses écrits, en plus d’être « des mines, des paquets d’explo-
sifs » (Roger-Pol Droit, Michel Foucault, entretiens, p. 105), seraient des
« boîtes à outils » intellectuelles : « Tous mes livres, déclare Foucault à
Roger-Pol Droit à l’occasion de la parution de Surveiller et Punir (1975),
sont […] de petites boîtes à outils. Si les gens veulent bien les ouvrir, se
servir de telle phrase, telle idée, telle analyse comme d’un tournevis ou
d’un desserre-boulon pour court-circuiter, disqualifier, casser les systèmes
de pouvoir, y compris éventuellement ceux-là mêmes dont mes livres sont
issus… eh bien, c’est tant mieux ! » (« Des supplices aux cellules », Dits et
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bien que de le faire. « Il faut que j’aille de la plume comme des pieds »,
déclarait encore Montaigne (Essais, III, 9, p. 991). Ainsi, l’activité philo-
sophique ne doit pas se cantonner au seul discours, mais être actualisée
dans l’existence en se mettant à l’épreuve des faits. De la même façon,
c’est la réception de la parole théorique qui, permettant une modification
de la situation qu’elle a su diagnostiquer, en déterminera la validité. Car,
et il est important d’insister une fois encore sur ce point, ce n’est pas
parce qu’elle se trouve prise dans un système contraignant que la pensée
est paralysée, qu’elle n’est pas capable de donner lieu à des pratiques, à
des expérimentations. Au lieu de servir à l’accumulation de connaissances
ou à la légitimation de ce que l’on sait déjà, sa tâche primordiale doit
consister à mettre en question les évidences qui organisent nos propres
modes de penser, d’agir et, par conséquent, de vivre. En tant qu’essai,
expérience ou exercice, cette pensée émancipatrice – comme d’ailleurs
RÉFLEXIONS SUR L’ÉPISTÉMÈ FOUCALDIENNE
« travail de soi sur soi » que, dans son analyse de l’Alcibiade de Platon,
Foucault estime être « le réel de la philosophie » (Le Gouvernement de
soi, p. 224) et dont les pratiques sexuelles devaient constituer un champ
d’étude privilégié des volumes trois à cinq originellement prévus de l’His-
toire de la sexualité, relève d’un ensemble d’activités diverses et réfléchies
devant aboutir à une souveraineté de l’individu sur lui-même. C’est en
dépassant l’assujettissement à des dispositifs, qui néanmoins le condi-
tionnent, que l’individu peut accéder, à travers des processus de subjec-
tivation – ces « arts de l’existence » –, à cette autoconstitution qui doit
en faire un « sujet éthique ». À la fois expertise et herméneutique, cette
« subjectivation » consiste non seulement en une pratique de la maîtrise
de soi, elle requiert avant tout ce « souci de soi » – epimeleia heautou –
auquel Foucault nous conviait avant de tirer sa révérence.
Jean-Claude Vuillemin
Professor of French Literature, Department of French and Francophone Studies,
The Pennsylvania State University
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Repères bibliographiques