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© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
Chapitre 7
EN FRANCE
TOURNANT SOCIAL
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ET APOLITIQUE
«D
onc j’arrive au Secours populaire dans l’état d’esprit :
“Tu y vas pour quelques semaines, le Parti va te propo-
ser autre chose puisque ça va bien”. Ma première réu-
nion au secrétariat national, ils étaient quatre ou cinq, je dis : “Mais
qu’est-ce que vous êtes en train de préparer, là ?” Ils préparaient la
banderole du Secours populaire pour aller au Mur des Fédérés. […].
Quand je leur ai expliqué que je ne voyais pas ce qu’on allait faire au
Mur des Fédérés, ils m’ont dit : “T’y comprends rien ! On est là pour
soutenir les victimes de la répression ; les Communards ont été vic-
times de la répression, donc on va au Mur des Fédérés en hommage”.
Alors que moi j’ai tout de suite compris que le Secours populaire
n’avait rien à faire au Mur des Fédérés ! Il n’y avait pas de lien entre
l’exaltation des Communards et la nécessité d’avoir une grande asso-
ciation qui soit sur le terrain pour aider les gens ! Moi j’avais dans
ma tête que le Secours populaire, c’était les grandes campagnes pour
aider les enfants espagnols, c’était ça la conception que j’avais !
Au bureau national, la même chose. J’arrive au bureau national, bon
les pauvres, ils étaient douze ou treize là-dedans, ils disent : “Et toi,
qu’est-ce que t’en penses ?” – je dis : “Mais je ne comprends pas, on
ne s’occupe pas des pauvres, on ne s’occupe pas des malheureux en
France ? On s’occupe seulement des victimes de la répression
colonialiste ?” Je me suis fait complètement ratatiner par un avocat,
avec son bagout, disant en gros : “On voit que t’arrives, t’y
comprends rien, on n’arrive déjà pas à trouver les gens pour s’occu-
per de la solidarité pour les victimes de la répression…”
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
Alors c’est sur ces entrefaites que Pierre Éloire tombe malade. La
petite équipe qui était là, les trois ou quatre qui étaient là m’ont dit :
“il est malade, ça n’avance pas, il faut que ce soit toi qui deviennes
secrétaire général” […]. Moi je ne voulais pas, ça n’était pas la con-
ception que j’avais du Secours populaire. Et ils ont été voir le Parti,
ils ont dit : “Il faut que ce soit Julien Lauprêtre”. C’est comme ça que
je me suis retrouvé… Mais la condition que j’ai mise, j’ai dit : “Bon
d’accord j’accepte, je suis discipliné, mais je veux qu’il y ait au
moins un non communiste au secrétariat national ; s’il n’y a pas de
non communiste au secrétariat national, je ne veux pas. Je ne veux
pas d’une petite organisation communiste de la solidarité 1”. »
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À son arrivée en février 1954, soit en pleine « insurrection de la
bonté » lancée par l’abbé Pierre, Julien Lauprêtre s’interroge donc sur la
disparition des actions sociales. Sa progressive assise dans l’association,
liée au nouveau contexte d’ouverture politique, permet une reprise puis
une systématisation de l’aide aux sinistrés, aux personnes démunies,
aux enfants et, de façon nouvelle, aux handicapés. Corrélativement, ce
n’est plus tant l’association qui répond aux directives du PCF que le
parti qui reprend les thèmes lancés par son organisation de masse, ainsi
lorsqu’il s’interroge, au début des années 1970, sur « quelles initiatives
avoir en direction des OS, des immigrés, des personnes âgées, des
handicapés physiques, etc. 2 », puis décide d’« être attentif à l’activité
chez les femmes à domicile, les handicapés, les personnes âgées 3 ».
Enfin, contrairement à la période précédente, le Secours populaire ne se
revendique plus comme partisan, mais affirme systématiquement sa
neutralité au service d’une solidarité « apolitique 4 ».
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En France : tournant social et apolitique
R e p r i s e e t s ys t é m a t i s a t i o n
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d e l a so lid a r i t é a u x sin ist r é s
Signe de la réouverture, le Secours populaire se mobilise fortement,
lors du séisme d’Orléansville en septembre 1954. Cette campagne suscite
cependant des divergences internes entre sectateurs, pour qui ce type
d’actions permet « d’entrer en contact avec les milieux les plus divers »,
et détracteurs qui souhaitent consacrer l’exclusivité des forces à la lutte
contre la répression. La solidarité aux sinistrés est ensuite réitérée dès
janvier 1955, face aux importantes inondations en France, et se voit
cette fois imposée de façon volontariste :
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
Julien Lauprêtre élu secrétaire général (avril 1955), cette ligne est
immédiatement systématisée. Des « permanences de la solidarité »
s’ouvrent pour déposer les dons, souvent chez les militants, parfois chez
des commerçants ou dans des locaux associatifs. Loin d’un discours
purement philanthropique, l’association dénonce cependant toujours, à
l’instar de L’Humanité, l’(in)action des pouvoirs publics, organise des
délégations auprès des autorités, constitue des dossiers et commet des
avocats. Des sinistrés et des habitants commencent ainsi à adhérer à
l’association « en dehors de toute considération politique ou
religieuse 7 ».
Ces actions restent cependant controversées jusqu’à la rupture du
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barrage de Malpasset (décembre 1959). Arrivé sur les lieux avant même
le Secours catholique, le SPF y ouvre des locaux « rapidement
submergés de dons » ; le comité local se constitue partie civile et le
collège d’avocats est mis gratuitement à disposition des sinistrés ; les
enfants reçoivent des jouets et sont invités en vacances. Au final, plus
de quarante-cinq millions d’anciens francs, en argent et en nature, sont
recueillis et distribués 8, et plus de deux cents dossiers défendus. Surtout,
alors que pour la première fois, le Secours populaire esquive la stratégie
du comité ad hoc et décide d’organiser seul la solidarité, il obtient le
soutien immédiat de la CGT puis l’aval décisif du PCF et de L’Humanité.
Dès lors, la solidarité aux sinistrés devient l’une de ses prérogatives,
toujours épaulée par la presse du conglomérat mais aussi par nombre de
journaux non communistes (cf. Le Peuple ou Le Monde).
L ’ o r g a n i s a t i o n a s so c ia t i v e
d e l a s o li da r i t é d ’u r ge n c e
L’introduction massive de l’information télévisuelle alimentant la
générosité, les bilans croissants conduisent les organisations à se doter
des moyens de leurs ambitions. L’évolution technique et logistique est au
Secours populaire surtout perceptible à partir de septembre 1968, en lien
direct avec le Biafra et alors que les organisations de solidarité en restent
à des moyens techniques proches du « bricolage 9 ». On préconise de
veiller à la rapidité des interventions, d’avoir des stocks classés et opéra-
tionnels, voire d’appointer quelques « amis » pour gérer l’emmagasinage.
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communautés Emmaüs, qui avaient lancé l’appel et possèdent des
correspondants sur place ; en septembre 1975, lors des inondations en
Roumanie, un chèque est remis à la Croix-Rouge ; en octobre 1978,
suite au typhon et aux crues ayant ravagé une partie du Viêtnam, un
premier envoi est fait à la Croix-Rouge locale, puis les médicaments
collectés sont proposés à Médecins sans frontières. Au fil des interven-
tions, l’association apprend également à s’assurer de partenaires locaux
fiables, les contacts pris pouvant être réactivés plusieurs années plus
tard.
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L a g r a n d e p a u vr e t é :
u n e c a u se d é l a i s s é e p a r le P C F
De même que pour les sinistrés, l’aide aux « victimes de la misère »
est inscrite dans les statuts de 1946, disparaît en 1950, et est réintro-
duite par Julien Lauprêtre. Ce type d’action pourrait correspondre à la
nouvelle orientation d’un parti communiste qui ne cesse de dénoncer la
paupérisation relative et absolue des classes laborieuses 14. Il convient
pourtant de distinguer les travailleurs pauvres, pour lesquels le PCF se
mobilise (mais qui, pour vivre souvent chichement et difficilement, n’en
sont pas moins majoritairement au-dessus du seuil de pauvreté), des
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personnes objectivement pauvres, qui ne sont qu’une préoccupation
marginale du parti 15. Cette lacune pourrait être imputée à l’idée, semble-
t-il répandue chez certains communistes, que secourir matériellement
les pauvres contribuerait à endormir leur propension à la révolte.
De fait, jusqu’à la fin 1953, aucune trace de préoccupation pour les
plus démunis n’existe dans les archives du PCF ni, jusqu’au début 1956,
dans celles du Secours populaire. Pauvreté rime alors avec charité et
l’aide aux indigents est abandonnée aux organisations religieuses,
qualifiées de « bourgeoises ». Et le conglomérat de manquer totalement
le grand mouvement sociétal de l’hiver 1954 lancé par l’abbé Pierre : le
secrétariat du PCF n’a pu, le 4 février, que « constater la réaction tardive
du parti, de notre presse et de nos municipalités, dans la campagne pour
des mesures d’urgence contre les méfaits du froid », et demander a
posteriori de publier dans L’Humanité quelques photos d’initiatives
néanmoins prises dans des municipalités communistes 16. La barre n’est
que timidement redressée ensuite : les victimes du froid ne font l’objet
d’une réelle préoccupation qu’en février 1956 et janvier 1963.
L ’ a i d e a u x p a u vr e s ,
u n q u a s i -m o n o p o l e c o n f e ss io n n e l
Ce sont de fait les associations confessionnelles, largement de
matrice catholique, qui tiennent, dans la France de 1955, le quasi-
monopole de l’aide aux pauvres. Si la plus ancienne est la Société de
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l’entre-deux-guerres 20. Ses activités, jusqu’alors centrées sur la visite de
charité à domicile, certes dans un but d’assistance, mais aussi largement
de prosélytisme et de contrôle religieux, se diversifient : création d’un
service social et consultations juridiques (années 1920), secours aux
chômeurs (années 1930), aide aux étrangers et apostolat envers les
migrants, fondation de la Société des amis de la vieillesse (1926). La
Seconde Guerre mondiale constitue une période de mobilisation intense,
génératrice de transformations, et à partir de 1948, des synergies se
créent avec le Secours catholique. En 1949, le dispensaire Ozanam est
fondé, visant à fournir soins chirurgicaux et consultations médicales
aux plus démunis. La collaboration avec les services sociaux et l’action
juridique s’accroît durant les années 1950, ainsi que les visites aux
malades et aux détenus. La Société développe également ses actions en
faveur des personnes âgées et des handicapés.
Les Petits frères des pauvres, créés en avril 1946, sont exclusivement
centrés sur les personnes âgées. Le parcours du fondateur, Armand
Marquiset, condense ce que fustige le Secours populaire : une origine
17. Sur le Secours catholique, cf. Charles Klein et Jean Colson, Jean Rodhain
prêtre…, op. cit.
18. Sur les Petits frères des pauvres, voir Michel Christolhomme, La Soif de
servir. Armand Marquiset, 1900-1981, Paris, Fayard, 1998.
19. Pour une vision plus exhaustive du paysage des associations françaises
d’aide aux pauvres, voir André Gueslin, Les Gens de rien. Histoire de la grande
pauvreté dans la France du XXe siècle, Paris, Fayard, 2004.
20. Bruno Dumons, « Charité bourgeoise et action sociale : l’évolution des
pratiques caritatives des confrères de la société de Saint-Vincent-de-Paul de
Lyon (1890-1960) », dans Isabelle von Bueltzingslowen et Denis Pelletier
(dir.), La Charité en pratique. Chrétiens français et allemands sur le terrain
social, XIXe-XXe siècles, Presses universitaires de Strasbourg, 1999.
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naît en 1946 sous la pression du Vatican, par fusion de deux
organisations ; les textes fondateurs fustigent le « paternalisme désuet »
et la « charité périmée et antisociale ». Dès mars 1947, la première
grande campagne de charité pour les malades et le premier numéro de
la revue Messages sont lancés. Les campagnes suivantes sont en faveur
« des berceaux », puis « des vieillards et des détresses cachées », de
l’enfance malheureuse, du logement ou des foyers de jeunes travailleurs.
Conçues pour être médiatiques, elles visent à une « pédagogie de la
charité » pour « porter un regard neuf sur des misères anciennes », avec
une dimension dénonciatrice implicite.
Emmaüs, enfin 22, est né de l’accueil d’un ancien forçat suicidaire par
l’abbé et député Henri Grouès, dit l’abbé Pierre, à l’été 1949. Ce dernier
héberge rapidement une famille expulsée, acquiert à crédit un bout de
terrain et, avec la coopération de bonnes volontés, lui redonne un toit.
Dès lors, se multiplient les constructions de cités d’urgence à la frontière
de la légalité, pour le relogement de familles nécessiteuses. L’idéologie
fondatrice, « servir premier le plus souffrant » et redonner « non de quoi
vivre, mais une raison de vivre », repose fondamentalement sur une
solidarité horizontale ; Emmaüs est aussi un mouvement hétérodoxe
21. La « charité » est la « vertu théologale qui consiste dans l’amour de Dieu et
du prochain en vue de Dieu » (Michel Christolhomme, La Soif de servir…, op.
cit.).
22. Voir notamment Hervé Le Ru, De l’amour au management. Emmaüs en
héritage, Paris, Les Éditions ouvrières, 1986 ; Bernard Chevallier interroge
l’abbé Pierre. Emmaüs ou venger l’homme, Paris, Livre de Poche, 3e édition,
1987 ; Pierre Lunel, L’Abbé Pierre, quarante ans d’amour, Paris, Livre de
Poche, 1992. Nous renvoyons également à notre mémoire de maîtrise sous la
direction d’Étienne Fouilloux, L’UCC Emmaüs, 1958-1998 : l’institutionnalisa-
tion d’Emmaüs, Université de Lyon-II, juin 1999, ainsi qu’à un prochain
travail dans le cadre du CNRS.
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« bourgeois » masculins, réduisant souvent la charité chrétienne à des
actes condescendants et prosélytes. S’y trouvent en outre déjà les prin-
cipaux ingrédients de la solidarité contemporaine, qu’il s’agisse des
services sociaux et juridiques, puis médicaux, des vacances, des grandes
campagnes de solidarité ou des interventions à l’étranger. Enfin, ces
associations apparaissent liées par des coopérations ou des scissions.
Loin de l’unanimité confessionnelle de façade, leur rapport à la hiérar-
chie catholique est très hétérogène. Le Secours populaire arrive donc sur
un terrain qui, bien que lui étant largement inconnu, est loin d’être
vierge.
L’originalité de son action est pourtant double. Elle l’est au regard
des conceptions selon lesquelles le pauvre doit faire le bon
révolutionnaire ; elle l’est aussi car une association non confessionnelle,
qui plus est communiste à l’heure où le clivage avec les chrétiens est
encore très prégnant, s’immisce dans un champ principalement investi
par les catholiques. En s’attachant d’abord à la pauvreté des personnes
âgées, peu susceptibles d’être les moteurs d’une quelconque révolution
en marche, puis également à l’extrême pauvreté de quelques bidonvilles,
le SPF ne revendique pas une action partisane mais sociale et apoli-
tique. Il se pose davantage en émanation de la société civile, mu par un
idéal (communiste) d’égalité sociale, cherchant à faire évoluer une légis-
lation oublieuse à la fois, selon le terme usité alors, du respect dû aux
« anciens » et des notions élémentaires d’humanité envers les
travailleurs immigrés.
23. Serge Paugam, La Société française et ses pauvres, Paris, PUF, 1993,
p. 41.
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Julien, à la direction nationale de l’Union des vieux de France, semble
avoir permis de nouer des synergies.
Les premières actions du SPF en faveur des « anciens » datent de
février 1956, en pleine vague de froid, mais elles restent jusqu’au début
des années 1960 aussi ponctuelles que locales. Les « goûters pour vieux »
se multiplient ensuite et se muent, plus joliment, en « banquets des
cheveux blancs », ainsi chaque année à la Mutualité. Durant les
années 1960 et 1970, fédérations et comités mènent progressivement des
actions suivies en faveur des personnes âgées : parrainages, repas, sorties,
goûters ; distribution de vestiaires, de charbon, de colis de vivres ;
concours de chant pour les malades âgés des hospices, visites de jeunes
aux personnes âgées de cités d’hébergement souffrant de la solitude, etc.
Elles s’intensifient surtout à la fin des années 1960, pour atteindre
leur apogée au milieu des années 1970. L’association témoigne même
d’initiatives novatrices, comme l’imitation du système est-allemand.
Alors que la France en est encore aux asiles et hospices aux conditions
de vie souvent dégradantes, des responsables du SPF découvrent des
« clubs de vieillards » animés et ludiques et des services d’aide à domi-
cile. Fin 1968, un « cercle pour les anciens » est expérimenté à
Bordeaux, qui fait des émules. Il s’agit de rompre l’isolement et de
recréer du lien via un désenclavement social, complémentaire par sa
régularité des sorties proposées (zoo, opérette, bateau-mouche, voire
baptême de l’air ou véritables croisières) ; contre le sentiment d’inutilité,
les femmes sont incitées au tricot et à la vannerie. À la toute fin des
années 1970, un pas supplémentaire est franchi par quelques comités
tentant de transformer les personnes âgées en bénévoles, via la confec-
tion de tricots ou de colis pour le Tiers Monde.
L’association témoigne cependant d’un rapport sinon ambigu, du moins
dual, au politique, correspondant en fait à une évolution chronologique.
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des pages du journal. Quand dénonciation il y a, elle est toujours
objectivée par des chiffres officiels ou des constats irréfutables.
Ce changement de ton coïncide avec l’entrée à l’UNIOPSS 25. Cette
union d’associations est notamment chargée de l’organisation annuelle
de trois journées nationales de collecte, pour les personnes âgées, les
paralysés et infirmes civils, les aveugles. Or en 1965, la préoccupation
du SPF pour les personnes âgées étant devenue centrale, l’association
demande son adhésion pour faire des collectes sur la voie publique et
bénéficier des divers avantages, notamment fiscaux. Autorisée à parti-
ciper à la journée nationale à titre probatoire en octobre 1965, elle est
officiellement admise en 1966 au comité d’entente. Dès lors, les recettes
augmentent fortement, engendrant en retour un nouvel accroissement
des actions et une image en adéquation avec une cause populaire :
« tous les sondages qui ont pu être faits dans le domaine de la solidarité
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année. Le bilan des années 1971-1972 a quadruplé : 188 524 personnes
âgées aidées en deux ans. Il continue ensuite de croître : en 1975-1976,
432 192 personnes âgées sont aidées par 439 222 colis, 27 106 goûters
et 15 215 repas, 2 394 bons de chauffage, 60 192 vestiaires, 9 940
visites à domicile et dans 354 hospices ou maisons de retraite, 7 659
promenades, 18 346 journées de vacances, 45 894 séances récréatives…
10 clubs fonctionnent et 46 maisons de retraite sont parrainées.
S o li da r i t é a u x t r a va i l l e u r s i m m ig r é s
d e s bi d o n v i l le s
Les travailleurs immigrés, dont l’exploitation alimente la croissance
économique, sont l’autre grande catégorie fortement touchée par la
pauvreté. Pouvant constituer un véritable Quart Monde, selon l’expres-
sion du père Wresinski, ils vivent dans une précarité d’autant plus
grande que la pénurie drastique de logements et leur recherche d’écono-
mies (pour rembourser leur voyage, envoyer de l’argent à leur famille,
retourner au pays) se conjuguent pour les conduire à accepter des
conditions de vie dramatiques. La question préoccupe peu la société
française jusqu’en 1964, puis se trouve plus médiatisée : ces figures de
la pauvreté deviennent « d’autant plus insupportables qu’elles étaient
vues comme des survivances d’un passé révolu [et] portaient atteinte à
l’idéologie du bien-être et du progrès social pour tous 28 », et que le
problème, que l’on croyait circonscrit aux hommes seuls et immigrés,
s’avère concerner des familles entières.
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En France : tournant social et apolitique
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inaugure début 1966 une coopération avec le Secours catholique local
en faveur des travailleurs immigrés portugais. Il est constamment mis
en avant par l’association nationale, qui l’érige en modèle d’ouverture et
de solidarité apolitique.
L’action du Secours populaire pour les immigrés des bidonvilles est
donc autant l’expression d’une solidarité de classe et une lutte contre
l’exploitation capitaliste, correspondant aux orientations communistes,
qu’une solidarité humaniste menée dans une optique non-prosélyte,
mais sociale. Il ne fait jamais référence aux positions du Parti commu-
niste, mais inscrit son action, comme pour les personnes âgées, dans
une optique d’interpellation des pouvoirs publics. Dénonçant les condi-
tions faites aux immigrés « démunis de tout, sans aucun moyen
d’hygiène, inhumainement entassés dans ces pauvres bicoques cons-
truites de leurs mains 29 », il ne cesse ainsi de 1964 à 1966 de plaider
pour la disparition des bidonvilles, la construction de logements, l’accès
aux droits civils, aux droits du travail et aux avantages sociaux, pour la
fin des discriminations salariales, contre tout racisme et toute ségréga-
tion. À partir de 1969, il demande l’application de la loi du 12 juillet
1966, prévoyant la disparition totale des bidonvilles sous trois ans.
Cette action s’étiole ensuite progressivement durant la première moitié
des années 1970, au fil de la résorption politique du problème.
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
Un emblème montant :
les enfants et les vacances
Les colonies représentent une pratique ancienne de la solidarité
communiste, largement usitée dans les municipalités rouges. Faiblement
développé par le Secours populaire durant les années de guerre froide,
l’envoi d’enfants en vacances redevient une priorité du nouveau secré-
taire général Julien Lauprêtre, qui en a lui-même bénéficié en 1936 et y
a même rencontré sa future femme 30. Les chiffres sont éloquents :
d’environ 2 500 dans les années 1946-1962, le nombre de journées de
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vacances offertes décolle à partir de 1963 pour atteindre les 100 000 en
1964, dépasser les 150 000 en 1971, les 200 000 en 1973 et les 300 000
en 1977.
Jusqu’au début des années 1960, les enfants accueillis sont d’abord
des fils et filles de « victimes de la répression » : enfants de syndicalistes
licenciés et de grévistes, de militants poursuivis ou emprisonnés pour
leur lutte en Algérie ou en Espagne, de victimes de Charonne. Leur
profil évolue ensuite rapidement vers des souffrances plus exclusive-
ment sociales : enfants orphelins, de père très malade ou chômeur, de
familles pauvres et nombreuses voire, à partir du milieu des années
1970, enfants de divorcés ou d’alcooliques. Une place est également
ménagée aux enfants de sinistrés. À la fin des années 1970, le profil
politique semble ainsi avoir presque totalement disparu. En 1977, le
bilan d’une fédération, malheureusement inconnue, montre que 87 %
des enfants ont été choisis pour manque de ressources familiales, 40 %
car issus d’une famille monoparentale, 20 % car ayant un parent inva-
lide ou malade, 14 % dont la famille est touchée par le chômage et 5 %
car ayant subi un drame familial – le pourcentage supérieur à 100
traduisant l’attention portée au cumul des souffrances sociales.
L’optique de la colonie tend parallèlement à changer : désormais, il
s’agit moins de forger des esprits et des corps militants que de faire
profiter de la « vie saine au grand air », dans un esprit un peu scout. En
1970, la fédération du Nord inaugure les vacances en famille.
La coopération s’accroît parallèlement avec les organismes de
vacances, ainsi l’association hollandaise Europa à partir de 1963, en
collaboration avec l’Armée du Salut ; avec les UFOVAL, Jeunesse au
plein air, l’Union française des centres de vacances, le Comité protestant
30. Julien Lauprêtre, Nos vies s’appellent… solidarités, Roubaix, Le Geai bleu,
2001, p. 17.
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« quinzaine pour la colonie » qui devient « quinzaine des filleuls du
Secours populaire », puis simplement Campagne vacances.
Face au prix croissant des colonies pour les associations (transfert
des bourses aux bénéficiaires) comme pour les particuliers (baisse des
subventions), l’association doit se tourner, à partir de la fin des années
1960, vers les placements familiaux. Réalisés sur le mode de l’échange
entre départements, ils sont valorisés tant pour la faiblesse du coût, qui
permet de faire bénéficier davantage d’enfants, que pour l’idéologie
sous-jacente, celle de l’entraide et de la découverte de l’altérité (autres
univers géographiques, autres milieux sociaux).
Dès 1964, sont en outre posées les prémices de ce qui deviendra
l’emblématique Journée des oubliés des vacances (JOV), par développe-
ment des journées de sortie à la mer. En croissance lente jusqu’à la fin
des années 1960, elles sont toujours organisées avant les grandes
vacances et visent à offrir un peu d’évasion à des enfants qui ne pour-
ront partir, dans un esprit proche de celui du centre de loisir. À partir de
1976, elles servent de lancement à la Campagne vacances et sont entéri-
nées l’année suivante, chaque fédération restant libre d’offrir X journées
à un enfant ou une journée à X enfants.
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années) mais charnière, en participant à la « journée des cannes
blanches » organisée par l’UNIOPSS. N’ayant ni agrément ni activités
spécifiques, il reverse les fonds collectés à l’Union générale des aveugles
et grands infirmes (UGAGI) ; une véritable coopération semble
s’instaurer, puisque l’UGAGI lui oriente inversement les aveugles les
plus démunis. Quelques initiatives ponctuelles sont en outre entreprises
durant l’année, qui perdureront dans certaines fédérations.
Des « aveugles et grands infirmes », l’action se réoriente ensuite vers
les seuls « grands infirmes », handicapés moteurs et cérébraux. À partir
de 1966, l’association participe à la collecte annuelle de l’UNIOPSS pour
les handicapés, les fonds recueillis étant toujours remis à l’UGAGI, mais
désormais également à l’Association des paralysés de France (APF), dont
le secrétaire général, Jean-Yves Buisson, entre directement au SPF en
1965 comme secrétaire national (1965-1971), pour rester ensuite
membre du comité national (1971-1981). Durant plus de quinze ans, ce
cumul de deux mandats associatifs par une personnalité atypique 33
permet d’opérer une mise en réseau et de consolider l’infléchissement
des activités du Secours populaire. Outre la collecte annuelle, ce dernier
mène en effet des actions suivies pour les paralysés, participe à la
dénonciation du manque de structures et des faiblesses de la législation,
offre à l’APF ses dons.
Durant les années 1960, les actions en faveur des handicapés ne
cessent de prendre de l’ampleur. Inaugurées en 1962 dans le Nord
(parrainage du centre de rééducation pour enfants paralysés d’Annapes)
et à Paris (parrainage du centre de rééducation pour enfants poliomyéli-
tiques de Garches), elles s’étendent progressivement. Si elles concernent
32. René Lenoir, Les Exclus. Un Français sur dix, Paris, Le Seuil, 1974.
33. André et Françoise Trannoy, Saga. L’Association des paralysés de France,
soixante ans d’aventure (1933-1993), Paris, Éditions Athanor, 1993.
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inversement, à partir du milieu des années 1970, à la solidarité de
l’association (confection de colis, aide aux collectes). Le décalage chro-
nologique est de nouveau patent avec le PCF : ce n’est qu’en 1969
qu’une directive mentionne le « problème de l’enfance inadaptée 34 » et
demande à la section des intellectuels de suivre cette question.
L’association œuvre enfin également en faveur des grands malades
atteints de leucémie ou nécessitant des opérations à cœur ouvert, dès
1956, mais à plus large échelle à partir de 1960. Pour « sauver Josiane, la
petite Leucémique de Guingamp » âgée de deux ans et demi et dont le seul
espoir de traitement est en Suisse, puis la petite Sylvie, cinq ans et demi,
puis Jean-Pierre, treize ans, ou Mireille, dix-sept, devant être hospitalisé
aux États-Unis, les appels permettent de collecter l’agent nécessaire aux
frais du voyage, le plus souvent avec l’appui d’organisations syndicales.
Cette somme d’actions ponctuelles, à caractère individuel ou
collectif, participe fondamentalement de la mutation de l’image de
l’association. Elles la font apparaître apolitique, proche des souffrances
de la population locale par une « solidarité de proximité » et l’organisa-
tion de « téléthons » miniatures avant l’heure. Elles induisent des coopé-
rations croissantes avec des associations de solidarité et une disparition
des liens exclusifs avec le conglomérat communiste.
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de l’automne 1971, le « scandale » des surplus, gâchis d’une quantité
non négligeable. L’action prend rapidement une ampleur exponentielle :
de l’été 1971 à l’été 1972, 550 tonnes de fruits et légumes sont sauvés
de la destruction et distribuées à 125 000 personnes ; de l’été 1972 à
l’été 1973, 700 tonnes à 135 000 personnes ; de l’été 1975 à l’été 1976,
1 535 tonnes à 300 000 bénéficiaires. De 1971 à 1978, le Secours popu-
laire aura ainsi distribué 5 480 tonnes de surplus, soit plus d’un million
de rations de 5 kg dans 45 départements – extérieurs aux régions de
production pour ne pas concurrencer les commerçants locaux. Outre les
surplus de beurre ouverts en 1973, l’association accède également à des
stocks exceptionnels de la CEE, à partir du milieu des années 1970.
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également par une collaboration pratique avec les associations de soli-
darité hors conglomérat, ainsi l’APF au niveau national ou le Secours
catholique au niveau local.
On ne peut alors qu’être frappé, à lire La Défense, par le passage de la
dénonciation virulente des pouvoirs publics à une rhétorique du cas
individuel, de la « topique de la dénonciation » à celle « du
sentiment 35 », avec pour conséquence un désamorçage du politique. Les
« cahiers de la misère » visent certes à dénoncer et susciter l’action (le
don), mais ont pour principal ressort l’apitoiement du lecteur : c’est
toute la misère de la France qui défile, du paysan dont l’unique vache
vient de mourir aux jeunes paralysés souhaitant acquérir du matériel
spécialisé, en passant par un « drame dans une ferme du Finistère », une
famille très pauvre venant d’avoir des quintuplés dont trois sont morts,
un malade incurable cloué à l’hôpital et qui souhaiterait une télévision,
une famille dont les parents de quatre enfants sont en arrêt maladie et
menacés de saisie imminente, etc. Les années 1970 sont bien, après une
transition par la dénonciation, celles du passage à l’apolitisme.