Vous êtes sur la page 1sur 13

Chapitre 2.

L'esprit de la résistance (1944-1955)


Axelle Brodiez-Dolino
Dans Académique 2006, pages 45 à 56
Éditions Presses de Sciences Po
ISBN 9782724609859
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

Article disponible en ligne à l’adresse


https://www.cairn.info/le-secours-populaire-francais-1945-2000--9782724609859-page-45.htm

Découvrir le sommaire de ce numéro, suivre la revue par email, s’abonner...


Flashez ce QR Code pour accéder à la page de ce numéro sur Cairn.info.

Distribution électronique Cairn.info pour Presses de Sciences Po.


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le
cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est
précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 45 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

Chapitre 2

L’ESPRIT DE LA RÉSISTANCE
(1944-1955)
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
A
près avoir pris part à la Libération – à Paris, les militants sont
sur les barricades du quai de la Gare et Pierre Kaldor participe à
la prise du ministère de la Justice –, le Secours populaire sort de
la clandestinité en septembre 1944. Son quartier général est d’abord
positionné boulevard de la Gare, puis au 11 boulevard Montmartre
(Paris 2e) ; il est déclaré le 8 novembre en Préfecture.
Tout reste cependant à reconstruire. Son cloisonnement interne
ajouté à la multiplication d’organisations aux fonctions proches justi-
fient une rationalisation globale, opérée par le parti communiste de
façon relativement similaire à celle d’autres domaines (cf. la jeunesse, le
syndicalisme ou les déportés), non sans quelques visées hégémoniques
qui échouent rapidement. L’heure est aussi à la victoire finale sur les
derniers bastions considérés comme « fascistes » (Espagne, Grèce 1), le
Secours populaire étant confirmé par le PCF dans son rôle aval de
« défense des victimes du nazisme et du vichysme 2 ». L’esprit de la
Résistance perdure enfin un temps via des actions à caractère social,
ouvertes, qui se trouvent cependant, dès la fin 1946, mises sous le
boisseau, traduisant les limites des concessions qu’était prêt à accorder
le PCF.

1. Le qualificatif « fasciste », utilisé à l’époque pour qualifier le pouvoir grec,


est évidemment inapproprié. Pouvant désigner aussi bien de Gaulle que
Mussolini, il fonctionne avant tout au titre d’insulte et de dénigrement.
2. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF du 29 octobre 1945.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 46 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

46
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

La refondation ou le nouvel échec


des tentatives hégémoniques
Comme en 1936, le parti communiste tente de profiter d’une situa-
tion politiquement favorable pour fédérer un maximum d’organisations.
Il envisage d’abord de regrouper les différentes associations de solida-
rité, Secours populaire et Union des femmes françaises comprises
(septembre 1944-avril 1945), puis de les fusionner (avril-mai 1945) 3. Le
projet piétinant, il se limite à tenter la « fusion [des organisations de
solidarité] en une seule grande association rassemblant les victimes du
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
fascisme ayant des revendications à caractère non durable 4 », vouée à
terme à disparition, tandis que les victimes à revendications durables
seraient rassemblées dans l’Association républicaine des anciens
combattants (ARAC). À partir de juillet 1945, le Secours populaire fait
ainsi des propositions d’union à tous les mouvements de Résistance, au
Mouvement national contre le racisme ainsi qu’à la Ligue internationale
contre l’antisémitisme, et développe des actions communes avec l’Asso-
ciation nationale des victimes du nazisme (ANVN). L’objectif étant de
parvenir au rapprochement entre socialistes et communistes, des propo-
sitions d’union sont à nouveau faites à la LDH, mais elles se heurtent,
comme en 1936, à une fin de non-recevoir.
Ce « désir d’union 5 » se concrétise aussi par l’adhésion, sur injonction
du PCF, à plusieurs instances : Comité des œuvres sociales des organisa-
tions de résistance (COSOR) à partir de décembre 1944, Fédération des
centres d’entraide aux internés et déportés politiques, comités d’initia-
tives départementaux du MUR, Entraide française… même si la partici-
pation à cette dernière, qui succède au Secours national, suscite de
fortes réticences locales. Réciproquement, le Secours populaire appelle
les autres associations à se joindre à ses initiatives, avec pour objectif de
faire apparaître l’union nécessaire : en bon soldat, il se dit « étonné par

3. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du


PCF du 19 avril 1945 : « … coordonner les activités des communistes dans les
différentes associations d’aide et de secours (MNPGD, Victimes du nazisme,
Assistance française, UFF, Secours populaire, etc.) […] ; faire des propositions
pour la coordination de l’action de tous ces mouvements et s’orienter vers leur
fusion ».
4. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF du 8 mai 1945.
5. La Défense, compte rendu du comité national du SPF des 8 et 9 juillet
1945, rapport de Georges Plantagenest.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 47 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

47
L’esprit de la Résistance (1944-1955)

la multiplicité néfaste des organisations ayant les mêmes buts, et


conscient de la puissance que pourrait avoir un unique mouvement de
solidarité 6 ».
Ces velléités unitaires au profit du PCF n’aboutissent cependant in
fine qu’à l’absorption de l’ANVN, petite organisation de masse. Le terme
de « fusion », utilisé alors, ne vise en effet qu’à conserver une illusion
démocratique : l’ANVN ne date que de la fin 1944, elle-même fruit
d’une absorption ; alors que le Secours populaire de France et des colo-
nies apporte selon les chiffres officiels 180 000 adhérents individuels
répartis en 84 départements, 1 500 sections locales et 50 sections
d’entreprise, l’ANVN n’a que 30 000 adhérents répartis en 29 départe-
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
ments et 400 comités locaux. De surcroît, la nouvelle appellation ne fait
l’objet que d’un bref débat, le titre de « Secours français » étant rejeté
car ne traduisant pas le caractère « populaire » (sic). C’est ainsi un
« Secours populaire français » qui se trouve constitué du 11 au
15 novembre 1945. On y note une forte ouverture aux autres orga-
nismes de solidarité (élection de représentants du COSOR, de l’Entraide
française et de la LDH) et aux organisations communistes (CGT, PCF,
Œuvres sociales pour l’enfance, Mouvement national judiciaire, etc.).
Les statuts sont officiellement déposés en préfecture le 29 janvier
1946. L’article 2 stipule que :

« Faisant sienne la formule “Tout ce qui est humain est nôtre”, le


Secours populaire français apporte son aide et son appui à toutes les
victimes du fascisme, de la guerre, de la misère, des injustices socia-
les et des calamités naturelles. Il groupe sans distinction d’opinions
politiques, philosophiques ou religieuses toutes les victimes directes
ou indirectes de l’oppression hitlérienne ou vichyssoise, ou du fas-
cisme en général ; il unit les gens de cœur de toutes opinions et
conditions sociales désireux d’apporter et d’impulser la solidarité
morale et matérielle […], il apporte aux victimes et à leurs proches
une aide juridique, une aide médico-sociale, un appui moral et une
aide matérielle. »

L’association « agit pour faire connaître l’étendue des crimes commis


par l’envahisseur et ses complices » (article 5) et « s’intéresse en outre à
l’application du programme d’action adopté par le Conseil national de la
Résistance, le 15 mars 1944, dans sa partie traitant de l’épuration et de

6. Ibid.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 48 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

48
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

la justice » (article 6). Ces statuts s’inscrivent donc dans le contexte


d’union de 1945, qui prévalait déjà en 1936, et allient préoccupations
politiques et sociales.
Enfin, La Défense reparaît au grand jour en novembre 1944, non
autorisée jusqu’à la fin mars 1945 – elle n’est donc soumise ni à la
censure, ni au contingentement –, puis officiellement.

De l’antivichysme à l’antifascisme
« L a d é f e n s e de s v ic t i m e s d u n a z i s m e
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
e t du v i c h y sm e » : le s v ic t i m e s p o li t i q u e s
Le secrétariat du PCF du 29 octobre 1945 décide d’orienter son asso-
ciation « d’aide aux victimes de la répression » « essentiellement vers la
défense des victimes du nazisme et du vichysme ».
L’association est d’abord présente pour accueillir des déportés. Avec le
Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, l’Assistance
française, l’ANVN et « d’autres organisations de Résistance », elle co-
fonde à l’automne 1944 un « comité d’organisation de l’accueil des
prisonniers de guerre et déportés » auquel est attribué un siège à l’Hôtel
de Ville de Paris. Elle œuvre également au sein du COSOR, de la fédéra-
tion des centres d’entraide et des comités d’accueil, tient une perma-
nence à l’hôtel Lutétia et siège à la Commission de tri des détenus
politiques, dont le but est de « débusquer les camouflés en droit commun
par des juges d’instruction patriotes » pour les faire libérer. Avant que la
FNDIP 7 ne soit réellement organisée et ne rassemble la quasi-totalité des
déportés et internés, le SPF contribue ainsi à leur accueil. Face au
« scandale du rapatriement » (épidémies dans les camps, nourritures et
transports inadaptés), il participe à la mise en place d’une ligne aérienne
quotidienne, de plans de transport et d’hospitalisation des rescapés.
Il appuie parallèlement « sans réserve les comités d’aide aux prison-
niers soviétiques » et rivalise de zèle dans la création de structures
locales, collectant vivres, vêtements, fonds, chaussures, couvertures et
autres produits pharmaceutiques, voire organisant des goûters et des
manifestations sportives. Il soutient enfin l’armée française encore

7. La Fédération nationale des déportés et internés patriotes est créée en


octobre 1945 et devient la FNDIRP (résistants patriotes) en janvier 1946.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 49 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

49
L’esprit de la Résistance (1944-1955)

active sur la Côte atlantique, en Alsace, en Allemagne et en Extrême-


Orient, et instaure un parrainage de soldats coloniaux hospitalisés.
Il tient en outre une place importante dans la lutte communiste pour
la libération des résistants inculpés ou emprisonnés pour crimes contre
les « traîtres et collabos » : début 1946, il a déjà obtenu 105 non-lieux,
209 acquittements, 420 graciés ou mis en liberté provisoire, 175 suspen-
sions et 182 diminutions de peine. Ce qui ne semble pas suffire,
puisqu’il se fait rappeler à l’ordre : « appeler le Secours populaire,
l’ANVN [sic], l’Association des familles de fusillés, etc., à se mobiliser
davantage, à sortir de leur passivité devant le scandale des résistants
emprisonnés 8 ». À la solidarité juridique et morale (affiches, meetings,
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
démarches auprès des magistrats et des pouvoirs publics), s’ajoutent les
colis hebdomadaires aux emprisonnés et le soutien aux familles. Dès la
fin des années 1940, il s’agit cependant d’un combat perçu comme
d’arrière-garde, mobilisant peu et participant d’une image de plus en
plus décalée au sein du conglomérat.
Il en va de même pour l’envers du soutien aux résistants, la lutte
pour l’épuration. Le Secours populaire participe aux commissions de la
Libération (pour le châtiment des crimes de guerre nazis, d’épuration de
l’administration pénitentiaire) et n’aura jusqu’en 1953 de cesse de
dénoncer les « traîtres » non châtiés. La mi-1947 et le retournement du
contexte politique ont pour conséquence une virulence accrue des
propos : le comité national de juillet 1947 préconise ainsi, face à une
« politique qui a des relents de fascisme », de prendre l’initiative d’une
grande pétition nationale contre « tous les hommes du complot, si hauts
placés soient-ils 9 ». À l’instar de L’Humanité, La Défense réserve à
Pétain des attentions suivies, prônant inlassablement la condamnation à
mort immédiate, puis bataillant contre les tenants de sa réhabilitation.
Campagne est également menée contre les lois successives d’amnistie,
mais en 1953, l’amnistie aux « bourreaux d’Oradour, insulte à la France
entière » et le verdict de Bordeaux sonnent le glas de ces actions.

8. Archives du communisme français, procès-verbal du bureau politique du


11 juillet 1946.
9. La Défense, compte rendu du comité national des 12 et 13 juillet 1947.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 50 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

50
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

V a i n c r e le s d e r n i e r s b a s t i o n s « f a s c i s t e s » :
l ’ Es p a g n e e t l a G r è c e
Les derniers combats antifascistes se jouent aussi à l’extérieur. Alors
que l’Allemagne et l’Italie sont vaincues et qu’un nouvel idéal démocra-
tique semble triompher, deux poches entachent toujours, pour les
communistes, le vieux continent : l’Espagne et la Grèce.
L’implication du Secours populaire et du PCF sur l’Espagne reste faible
jusqu’en mars 1946, France-Espagne semblant en charge de la mobilisa-
tion. En février 1946, l’assassinat de Cristino Garcia et ses compagnons
scelle le début d’une intensification de l’engagement, dont le PCF charge
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
alors le SPF 10. S’appuyant sur l’ensemble du conglomérat, l’association
ouvre notamment une souscription au long court et organise durant
plusieurs mois une tournée théâtrale jouant Mariana Pineda de Garcia
Lorca. Dès juin, pourtant, le PCF choisit de renforcer à nouveau France-
Espagne 11, scellant la fin de la brève hégémonie du SPF sur la campagne.
Ce revirement de stratégie, corrélatif d’un relatif désinvestissement du
parti, s’explique sans doute par la volonté de recentrer le Secours popu-
laire sur d’autres campagnes jugées plus urgentes (Madagascar d’abord,
puis les grèves, la lutte pour la paix et enfin l’Indochine). L’association
n’en continue pas moins de s’investir dans des campagnes ponctuelles :
ainsi pour sauver Alvarez et Zapiran (octobre 1945-mars 1946), Zoroa
(1947) ou les FFI ayant en 1945 « franchi sans s’en apercevoir la frontière
espagnole en poursuivant les nazis » et depuis lors emprisonnés (1948-
1955) ; elle se mobilise lors des grands procès, dénonçant l’absence des
règles élémentaires de justice et le systématisme des tortures.
La temporalité est légèrement décalée pour la Grèce, où les actions
des communistes français sont moindres. La situation devient préoccu-
pante à partir de la mi-1946, puis sérieusement à partir de l’automne,
quand s’enclenche la guerre civile. L’organisation-sœur du Secours
populaire, Solidarité nationale de Grèce, est notamment dissoute et son
président déporté. Comme les autres organisations du conglomérat et à
l’instigation du parti, le SPF dénonce la répression, multiplie les protes-
tations auprès de l’ambassade, publie les bilans des communistes
exécutés. Puis, début 1948, le PCF demandant d’intensifier l’action, des
collectes tentent de pallier l’urgence de la situation : combattants mal

10. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du


11 mars 1946.
11. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
17 juin 1946.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 51 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

51
L’esprit de la Résistance (1944-1955)

ravitaillés, mal vêtus, manquant de médicaments… Cette campagne de


guerre froide aux discours outranciers mobilise cependant peu au sein
du conglomérat, et aucunement à l’extérieur. Les figures héroïsées de
Manolis Glezos 12 durant plusieurs années, ou de Beloyannis avant son
exécution, permettent certes de raviver temporairement la mobilisation,
mais les bilans restent étiques.

« L a d é f e n se d e s v i c t i m e s d u n a z i s m e
e t d u v i c h y sm e » : v i c t i m e s c i v il e s
et actions en faveur de l’enfance
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
Aux campagnes très politisées s’ajoutent, durant la courte période
d’ouverture (1944-1947), des actions à caractère plus social dont les
enfants constituent la clef de voûte.
La solidarité aux populations civiles répond au contexte d’immédiat
après-guerre. Prolongeant son action de clandestinité, le Secours popu-
laire intensifie les distributions de vivres et de charbon aux familles de
fusillés et déportés, puis l’aide s’élargit aux victimes civiles
indiscriminées : tandis que l’ANVN participe à la commission de reloge-
ment de la région parisienne, qui recense les logements vacants et les
met à disposition des spoliés et sinistrés, le Secours populaire parraine
les zones françaises les plus sinistrées. De « vieux travailleurs » bénéfi-
cient de distributions de vivres, vêtements et combustibles. C’est cepen-
dant en faveur des enfants que les actions sont les plus conséquentes,
même si les Vaillants restent « la seule organisation de l’enfance 13 » et
si, lors de la création de la « commission enfance » au sein du comité
central du PCF, le Secours populaire n’est pas invité à siéger.
Le SPF reprend d’abord le flambeau de l’ANVN en parrainant de
1945 à 1950 la « Maison de l’enfant du fusillé et de l’enfant des
travailleurs 14 » à la Villette-aux-Aulnes. Si, de 1945 à 1947, la structure

12. Responsable communiste, ancien rédacteur en chef du journal Rizospastis


(l’organe central du Parti communiste de Grèce).
13. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF du 5 novembre 1945.
14. Héritière de « l’Avenir social », maison d’enfants fondée en 1906 par
l’institutrice Madeleine Vernet pour les orphelins de l’Assistance publique et
déclarée en 1915, elle vit d’abord de l’aide du parti socialiste et de la LDH.
Confiée en 1923 aux syndicats confédérés et aux coopératives ouvrières, elle
est ensuite gérée de 1926 à 1936 par le Secours ouvrier international et
devient l’« Association nationale du soutien à l’enfance ». Dissoute par le
gouvernement en 1939, ses biens sont mis sous séquestre et la maison
occupée, notamment par le Secours national et les troupes allemandes.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 52 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

52
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

accueille presque exclusivement des « enfants de fusillés », s’y ajoutent


ensuite des enfants de « victimes des luttes sociales » et, dans une
moindre mesure, d’accidentés du travail. La charge d’une cinquantaine
d’enfants et des travaux d’entretien est en partie assurée par de (faibles)
contributions volontaires des fédérations ainsi que par des souscriptions
au sein du conglomérat auxquelles seule la CGT semble réellement
répondre. Pablo Picasso se montre également généreux mécène, faisant
quelques dons en argent et en toiles. En dépit de ces aides, la charge
financière reste trop lourde pour le SPF, et le PCF fait finalement
transférer la gestion à la CGT (octobre 1950).
La pratique de l’accueil dans l’échange, inaugurée avec l’Espagne
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
républicaine, est en outre reprise dès 1945 : Paris accueille une centaine
d’enfants de mineurs du Nord, tandis qu’une centaine de petits parisiens
partent dans le Pas-de-Calais chez des militants du Front national, que
Lyon reçoit des enfants de mineurs de la Loire, et Dijon des enfants de
villages martyrs. En octobre-novembre 1948, mille six cents enfants de
mineurs grévistes séjournent en région parisienne, en partie grâce aux
collectes du PCF et de la CGT.
C’est cependant dans l’organisation de vacances que le Secours
populaire s’investit le plus durablement. À la Noël 1944, est organisé au
Mont-Dore un séjour pour quatre cent cinquante « enfants de martyrs
de la Résistance » parisiens. L’Entraide française contribue au trousseau,
les enfants sont transportés gratuitement par la fédération CGT des
cheminots « en première classe », les jeunes du Front unifié des
jeunesses patriotes jouent les moniteurs et le ministère de la Santé
publique octroie une subvention. L’hiver suivant, six cents enfants
partent en Forêt-Noire et passent Noël chez des soldats de la Première
armée. L’envoi en colonies à Pâques et pendant l’été, par les fédérations
comme par le national, devient ainsi une institution et, plus qu’une
possibilité, un « devoir ».
En 1947, l’évolution du contexte politique et la baisse des fonds
récoltés induisent cependant un recentrage des priorités. Ne restent que
trois colonies : à la mer (Finistère), à la montagne (Creuse) et à la
campagne (Maine-et-Loire), puis à partir de 1953 une seule, celle de
Roquefort-la-Bédoule (Var). Les enfants accueillis doivent désormais
être des « enfants de patriotes assassinés par le fascisme, de résistants
victimes de la répression » et « de travailleurs frappés par la répression
suite aux conflits sociaux de novembre-décembre 1947 ». Le nombre
d’enfants de grévistes s’accroît (étés 1948 et 1949), puis de Combattants
de la paix emprisonnés et de dockers (étés 1950, 1951 et 1952). Des
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 53 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

53
L’esprit de la Résistance (1944-1955)

places sont en outre toujours réservées à l’accueil d’enfants de


républicains espagnols.
Toutes ces entreprises sont cependant loin du philanthropique, non
dénuées de visées militantes : « il ne s’agit pas seulement de mettre des
enfants à l’engrais, il s’agit en même temps que de soigner leur santé de
les éduquer dans le sens de notre idéal de justice et de liberté 15 ». À
partir de 1947, les moniteurs doivent même être recrutés au Secours
populaire et « dans les organisations démocratiques, pour être sûrs que
nos petits seront éduqués dans un esprit laïc et républicain 16 ».
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
L’éviction de Pierre Kaldor (1947)
En 1947, les actions sociales subissent donc une régression visible en
calque a priori direct de la chronologie politique communiste. Alors
qu’en 1936, le Secours populaire devait devenir « la plus puissante des
associations de solidarité », c’est dès mars 1947 que le PCF le recentre
vers une fonction de « grande organisation de masse pour l’aide morale
et matérielle aux victimes de la réaction et du fascisme 17 », soit un
mouvement de repli antérieur au tournant politique de mai (éviction des
ministres communistes) et septembre (conférence de Sklarska-Poreba).
Plus, ses actions sociales sont en réalité stoppées par le PCF dès la fin
1946, suggérant les limites de l’ouverture qu’était prêt à opérer le parti.
Me Pierre Kaldor, secrétaire général de l’association depuis la fin
1943, témoigne en effet de conceptions sociales que le PCF ne semble
approuver que du bout des lèvres :

« Moi je pensais à ce tournant de 1936, et je pensais que la société


est divisée en couches sociales aux intérêts opposés, qu’il y avait des
gens malheureux qui avaient besoin d’être secourus. Et dans les
congrès départementaux où j’allais, les [militants] me parlaient de la
situation et me disaient : “Comment on va les aider, ces gens-là ?”
Vous comprenez, quand il y avait une préoccupation, on s’adressait
au secrétaire du Secours populaire pour venir au secours des gens en
difficulté. [Ces militants étaient] souvent des communistes qui

15. La Défense, compte rendu du comité national des 25 et 6 janvier 1947,


résolution générale.
16. La Défense, juin 1947.
17. Archives du communisme français, procès-verbal du bureau politique du
13 mars 1947.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 54 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

54
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

pensaient que le parti communiste avait son travail à faire d’une


manière générale sur le plan politique, mais qu’il fallait créer une
organisation d’aide ; mais puisqu’il y avait le Secours populaire…
[…] Et donc je me posais la question du rôle du Secours populaire ;
quand je la posais [aux interlocuteurs du parti communiste] pour
savoir si on pouvait aller en avant de ce côté-là, on me disait “tout
doux, hein, tout doux” 18… »

Ces divergences de vue ne sont pas sans rapport avec son éviction,
lors du congrès de 1948. Les récriminations ouvertes de la direction du
PCF, à l’instigation d’André Marty qui chapeaute très officieusement le
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
Secours populaire 19, commencent dès la fin 1946 20 et se soldent immé-
diatement par une convocation du secrétaire général pour une explica-
tion devant le bureau politique (décembre 1946), puis le secrétariat du
parti (janvier 1947). Deux types d’accusations sont avancés. Les
premières, organisationnelles, concernent « l’état extrêmement faible de
cette organisation et l’absence de proposition des dirigeants susceptible
de l’améliorer 21 » – Maurice Thorez récriminant surtout contre la
faiblesse des implantations en Pas-de-Calais 22, – « les méthodes de
direction » et les « problèmes d’organisation 23 » ; elles ne semblent qu’en
partie fondées, la baisse numérique étant commune aux organisations
de masse. Les secondes touchent à la primauté intangible, selon le
secrétariat du parti, du politique sur le social :

« Je ne me souviens plus dans le détail, mais j’ai été d’abord convo-


qué au bureau politique ; je n’ai pratiquement pas eu la parole, il y a
eu une espèce de réquisitoire sur les faiblesses du Secours populaire

18. Entretien avec Pierre Kaldor du 15 juillet 2003.


19. Voir chapitre 4.
20. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF, 23 décembre 1946 : « Considérer comme justes les observations faites par
André Marty et déjà communiquées lors du compte rendu du bureau politique
du 20 décembre 1946 aux camarades du Secours populaire concernant les
fautes opportunistes commises dans la constitution des comités des arbres de
Noël et pour le collectage des fonds. Faire établir une information sur le
Secours populaire et convoquer les dirigeants communistes à un prochain
secrétariat. »
21. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF, 13 janvier 1947.
22. Entretien avec Pierre Kaldor du 15 juillet 2003.
23. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du bureau
politique du 13 juillet 1947.
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 55 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

55
L’esprit de la Résistance (1944-1955)

dues au fait qu’on n’était pas suffisamment proche de la vie politi-


que et qu’on s’occupait d’un tas de choses sociales qui existaient,
mais ça n’était plus une organisation politique, le Secours populaire,
comme le souhaitait la direction de l’époque […]. Cette espèce de
réquisitoire était prononcé par Marty essentiellement, Duclos n’a pas
dit un mot, Mauvais je ne me souviens pas et Thorez semblait tout à
fait d’accord avec ce qui était dit. Billoux a participé, il était sur la
ligne du réquisitoire 24. »

Ainsi, dès la fin décembre 1946, soit avant le tournant de mai-


septembre 1947, le parti communiste met un frein à l’expansion des
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
actions sociales de son association de solidarité et la recentre sur une
activité strictement politique d’aide aux victimes de la répression. Si la
ligne est immédiatement redressée par Pierre Kaldor 25, le bureau poli-
tique du 13 mars 1947 n’en entérine pas moins son éviction et son
remplacement par Charles Désirat pour le prochain congrès. La nouvelle
ligne, réaffirmée dans un texte de juillet 1947, est déjà un texte de
guerre froide :

« Le Secours populaire ne doit pas être une sorte d’œuvre de secours


mutuel, mais une association d’aide aux victimes du fascisme ; sous
peine, ayant été infidèle à sa mission, de péricliter […]. Nous ne som-
mes ni une organisation charitable, ni une société de secours mutuel
[…]. La solidarité, ce n’est pas essentiellement le repas aux vieux tra-
vailleurs, ce n’est pas l’aide au voisin dans l’embarras […]. Certaines
fédérations ont trop souvent tendance à consacrer leur activité à des
œuvres d’entraide telles que : repas aux vieux travailleurs, distribu-
tion de vêtements, etc. Or ces pratiques, louables certes en elles-
mêmes, risquent de faire perdre à notre association son caractère
propre. N’oublions jamais que notre but essentiel doit être la
solidarité aux victimes du fascisme […]. Je ne pense pas qu’on puisse
arracher les gens aux soucis domestiques en les invitant à venir aux
réunions pour organiser un “goûter de vieux”, réunions où l’on se

24. Entretien avec Pierre Kaldor du 15 juillet 2003.


25. Voir le compte rendu du comité national de la fin janvier 1947 : « il est
utile que l’on fasse quelquefois des repas pour les vieux travailleurs, aussi bien
ils sont victimes d’une injustice sociale, mais il est avant tout utile que, par
nos collectages, par notre action répétée, nous venions en aide en premier lieu
aux victimes du fascisme […]. C’est cela notre travail : pas de bavardages, pas
de collectages massifs ».
03-BRODIEZ_Ch02.fm Page 56 Mercredi, 5. avril 2006 7:36 07

56
LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000

retrouve à cinq ou six personnes. De tels sujets ne mobilisent pas les


gens, mais rejettent loin de nous tous ceux qui cherchent une vraie
activité de solidarité 26. »

Association de « défense des victimes du nazisme et du vichysme 27 »,


« grande organisation de masse pour l’aide morale et matérielle aux
victimes de la réaction et du fascisme 28 », le Secours populaire ne
saurait donc se perdre dans des actions sociales. La « Croix-Rouge du
peuple » reste avant tout celle des communistes, et la solidarité aux
civils ne peut être qu’un appendice facultatif de la lutte
révolutionnaire : « nous ne considérons pas, quant à nous, que notre
© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)

© Presses de Sciences Po | Téléchargé le 24/10/2023 sur www.cairn.info via Université Lyon 3 (IP: 193.52.199.24)
tâche puisse se borner à secourir les victimes ; pour éviter que le
nombre en augmente, nous n’avons cessé de dénoncer les bourreaux 29 ».

26. Rapport de Charles Désirat lors du comité national de juillet 1947.


27. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du CC du
PCF du 29 octobre 1945.
28. Archives du communisme français, procès-verbal du secrétariat du bureau
politique du 13 juillet 1947.
29. La Défense, compte rendu de la conférence nationale des 13 au
14 novembre 1948, intervention de Francis Jourdain.

Vous aimerez peut-être aussi