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Chapitre 2
L’ESPRIT DE LA RÉSISTANCE
(1944-1955)
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A
près avoir pris part à la Libération – à Paris, les militants sont
sur les barricades du quai de la Gare et Pierre Kaldor participe à
la prise du ministère de la Justice –, le Secours populaire sort de
la clandestinité en septembre 1944. Son quartier général est d’abord
positionné boulevard de la Gare, puis au 11 boulevard Montmartre
(Paris 2e) ; il est déclaré le 8 novembre en Préfecture.
Tout reste cependant à reconstruire. Son cloisonnement interne
ajouté à la multiplication d’organisations aux fonctions proches justi-
fient une rationalisation globale, opérée par le parti communiste de
façon relativement similaire à celle d’autres domaines (cf. la jeunesse, le
syndicalisme ou les déportés), non sans quelques visées hégémoniques
qui échouent rapidement. L’heure est aussi à la victoire finale sur les
derniers bastions considérés comme « fascistes » (Espagne, Grèce 1), le
Secours populaire étant confirmé par le PCF dans son rôle aval de
« défense des victimes du nazisme et du vichysme 2 ». L’esprit de la
Résistance perdure enfin un temps via des actions à caractère social,
ouvertes, qui se trouvent cependant, dès la fin 1946, mises sous le
boisseau, traduisant les limites des concessions qu’était prêt à accorder
le PCF.
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
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fascisme ayant des revendications à caractère non durable 4 », vouée à
terme à disparition, tandis que les victimes à revendications durables
seraient rassemblées dans l’Association républicaine des anciens
combattants (ARAC). À partir de juillet 1945, le Secours populaire fait
ainsi des propositions d’union à tous les mouvements de Résistance, au
Mouvement national contre le racisme ainsi qu’à la Ligue internationale
contre l’antisémitisme, et développe des actions communes avec l’Asso-
ciation nationale des victimes du nazisme (ANVN). L’objectif étant de
parvenir au rapprochement entre socialistes et communistes, des propo-
sitions d’union sont à nouveau faites à la LDH, mais elles se heurtent,
comme en 1936, à une fin de non-recevoir.
Ce « désir d’union 5 » se concrétise aussi par l’adhésion, sur injonction
du PCF, à plusieurs instances : Comité des œuvres sociales des organisa-
tions de résistance (COSOR) à partir de décembre 1944, Fédération des
centres d’entraide aux internés et déportés politiques, comités d’initia-
tives départementaux du MUR, Entraide française… même si la partici-
pation à cette dernière, qui succède au Secours national, suscite de
fortes réticences locales. Réciproquement, le Secours populaire appelle
les autres associations à se joindre à ses initiatives, avec pour objectif de
faire apparaître l’union nécessaire : en bon soldat, il se dit « étonné par
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ments et 400 comités locaux. De surcroît, la nouvelle appellation ne fait
l’objet que d’un bref débat, le titre de « Secours français » étant rejeté
car ne traduisant pas le caractère « populaire » (sic). C’est ainsi un
« Secours populaire français » qui se trouve constitué du 11 au
15 novembre 1945. On y note une forte ouverture aux autres orga-
nismes de solidarité (élection de représentants du COSOR, de l’Entraide
française et de la LDH) et aux organisations communistes (CGT, PCF,
Œuvres sociales pour l’enfance, Mouvement national judiciaire, etc.).
Les statuts sont officiellement déposés en préfecture le 29 janvier
1946. L’article 2 stipule que :
6. Ibid.
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
De l’antivichysme à l’antifascisme
« L a d é f e n s e de s v ic t i m e s d u n a z i s m e
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e t du v i c h y sm e » : le s v ic t i m e s p o li t i q u e s
Le secrétariat du PCF du 29 octobre 1945 décide d’orienter son asso-
ciation « d’aide aux victimes de la répression » « essentiellement vers la
défense des victimes du nazisme et du vichysme ».
L’association est d’abord présente pour accueillir des déportés. Avec le
Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés, l’Assistance
française, l’ANVN et « d’autres organisations de Résistance », elle co-
fonde à l’automne 1944 un « comité d’organisation de l’accueil des
prisonniers de guerre et déportés » auquel est attribué un siège à l’Hôtel
de Ville de Paris. Elle œuvre également au sein du COSOR, de la fédéra-
tion des centres d’entraide et des comités d’accueil, tient une perma-
nence à l’hôtel Lutétia et siège à la Commission de tri des détenus
politiques, dont le but est de « débusquer les camouflés en droit commun
par des juges d’instruction patriotes » pour les faire libérer. Avant que la
FNDIP 7 ne soit réellement organisée et ne rassemble la quasi-totalité des
déportés et internés, le SPF contribue ainsi à leur accueil. Face au
« scandale du rapatriement » (épidémies dans les camps, nourritures et
transports inadaptés), il participe à la mise en place d’une ligne aérienne
quotidienne, de plans de transport et d’hospitalisation des rescapés.
Il appuie parallèlement « sans réserve les comités d’aide aux prison-
niers soviétiques » et rivalise de zèle dans la création de structures
locales, collectant vivres, vêtements, fonds, chaussures, couvertures et
autres produits pharmaceutiques, voire organisant des goûters et des
manifestations sportives. Il soutient enfin l’armée française encore
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L’esprit de la Résistance (1944-1955)
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démarches auprès des magistrats et des pouvoirs publics), s’ajoutent les
colis hebdomadaires aux emprisonnés et le soutien aux familles. Dès la
fin des années 1940, il s’agit cependant d’un combat perçu comme
d’arrière-garde, mobilisant peu et participant d’une image de plus en
plus décalée au sein du conglomérat.
Il en va de même pour l’envers du soutien aux résistants, la lutte
pour l’épuration. Le Secours populaire participe aux commissions de la
Libération (pour le châtiment des crimes de guerre nazis, d’épuration de
l’administration pénitentiaire) et n’aura jusqu’en 1953 de cesse de
dénoncer les « traîtres » non châtiés. La mi-1947 et le retournement du
contexte politique ont pour conséquence une virulence accrue des
propos : le comité national de juillet 1947 préconise ainsi, face à une
« politique qui a des relents de fascisme », de prendre l’initiative d’une
grande pétition nationale contre « tous les hommes du complot, si hauts
placés soient-ils 9 ». À l’instar de L’Humanité, La Défense réserve à
Pétain des attentions suivies, prônant inlassablement la condamnation à
mort immédiate, puis bataillant contre les tenants de sa réhabilitation.
Campagne est également menée contre les lois successives d’amnistie,
mais en 1953, l’amnistie aux « bourreaux d’Oradour, insulte à la France
entière » et le verdict de Bordeaux sonnent le glas de ces actions.
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
V a i n c r e le s d e r n i e r s b a s t i o n s « f a s c i s t e s » :
l ’ Es p a g n e e t l a G r è c e
Les derniers combats antifascistes se jouent aussi à l’extérieur. Alors
que l’Allemagne et l’Italie sont vaincues et qu’un nouvel idéal démocra-
tique semble triompher, deux poches entachent toujours, pour les
communistes, le vieux continent : l’Espagne et la Grèce.
L’implication du Secours populaire et du PCF sur l’Espagne reste faible
jusqu’en mars 1946, France-Espagne semblant en charge de la mobilisa-
tion. En février 1946, l’assassinat de Cristino Garcia et ses compagnons
scelle le début d’une intensification de l’engagement, dont le PCF charge
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alors le SPF 10. S’appuyant sur l’ensemble du conglomérat, l’association
ouvre notamment une souscription au long court et organise durant
plusieurs mois une tournée théâtrale jouant Mariana Pineda de Garcia
Lorca. Dès juin, pourtant, le PCF choisit de renforcer à nouveau France-
Espagne 11, scellant la fin de la brève hégémonie du SPF sur la campagne.
Ce revirement de stratégie, corrélatif d’un relatif désinvestissement du
parti, s’explique sans doute par la volonté de recentrer le Secours popu-
laire sur d’autres campagnes jugées plus urgentes (Madagascar d’abord,
puis les grèves, la lutte pour la paix et enfin l’Indochine). L’association
n’en continue pas moins de s’investir dans des campagnes ponctuelles :
ainsi pour sauver Alvarez et Zapiran (octobre 1945-mars 1946), Zoroa
(1947) ou les FFI ayant en 1945 « franchi sans s’en apercevoir la frontière
espagnole en poursuivant les nazis » et depuis lors emprisonnés (1948-
1955) ; elle se mobilise lors des grands procès, dénonçant l’absence des
règles élémentaires de justice et le systématisme des tortures.
La temporalité est légèrement décalée pour la Grèce, où les actions
des communistes français sont moindres. La situation devient préoccu-
pante à partir de la mi-1946, puis sérieusement à partir de l’automne,
quand s’enclenche la guerre civile. L’organisation-sœur du Secours
populaire, Solidarité nationale de Grèce, est notamment dissoute et son
président déporté. Comme les autres organisations du conglomérat et à
l’instigation du parti, le SPF dénonce la répression, multiplie les protes-
tations auprès de l’ambassade, publie les bilans des communistes
exécutés. Puis, début 1948, le PCF demandant d’intensifier l’action, des
collectes tentent de pallier l’urgence de la situation : combattants mal
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L’esprit de la Résistance (1944-1955)
« L a d é f e n se d e s v i c t i m e s d u n a z i s m e
e t d u v i c h y sm e » : v i c t i m e s c i v il e s
et actions en faveur de l’enfance
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Aux campagnes très politisées s’ajoutent, durant la courte période
d’ouverture (1944-1947), des actions à caractère plus social dont les
enfants constituent la clef de voûte.
La solidarité aux populations civiles répond au contexte d’immédiat
après-guerre. Prolongeant son action de clandestinité, le Secours popu-
laire intensifie les distributions de vivres et de charbon aux familles de
fusillés et déportés, puis l’aide s’élargit aux victimes civiles
indiscriminées : tandis que l’ANVN participe à la commission de reloge-
ment de la région parisienne, qui recense les logements vacants et les
met à disposition des spoliés et sinistrés, le Secours populaire parraine
les zones françaises les plus sinistrées. De « vieux travailleurs » bénéfi-
cient de distributions de vivres, vêtements et combustibles. C’est cepen-
dant en faveur des enfants que les actions sont les plus conséquentes,
même si les Vaillants restent « la seule organisation de l’enfance 13 » et
si, lors de la création de la « commission enfance » au sein du comité
central du PCF, le Secours populaire n’est pas invité à siéger.
Le SPF reprend d’abord le flambeau de l’ANVN en parrainant de
1945 à 1950 la « Maison de l’enfant du fusillé et de l’enfant des
travailleurs 14 » à la Villette-aux-Aulnes. Si, de 1945 à 1947, la structure
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LE SECOURS POPULAIRE FRANÇAIS, 1945-2000
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républicaine, est en outre reprise dès 1945 : Paris accueille une centaine
d’enfants de mineurs du Nord, tandis qu’une centaine de petits parisiens
partent dans le Pas-de-Calais chez des militants du Front national, que
Lyon reçoit des enfants de mineurs de la Loire, et Dijon des enfants de
villages martyrs. En octobre-novembre 1948, mille six cents enfants de
mineurs grévistes séjournent en région parisienne, en partie grâce aux
collectes du PCF et de la CGT.
C’est cependant dans l’organisation de vacances que le Secours
populaire s’investit le plus durablement. À la Noël 1944, est organisé au
Mont-Dore un séjour pour quatre cent cinquante « enfants de martyrs
de la Résistance » parisiens. L’Entraide française contribue au trousseau,
les enfants sont transportés gratuitement par la fédération CGT des
cheminots « en première classe », les jeunes du Front unifié des
jeunesses patriotes jouent les moniteurs et le ministère de la Santé
publique octroie une subvention. L’hiver suivant, six cents enfants
partent en Forêt-Noire et passent Noël chez des soldats de la Première
armée. L’envoi en colonies à Pâques et pendant l’été, par les fédérations
comme par le national, devient ainsi une institution et, plus qu’une
possibilité, un « devoir ».
En 1947, l’évolution du contexte politique et la baisse des fonds
récoltés induisent cependant un recentrage des priorités. Ne restent que
trois colonies : à la mer (Finistère), à la montagne (Creuse) et à la
campagne (Maine-et-Loire), puis à partir de 1953 une seule, celle de
Roquefort-la-Bédoule (Var). Les enfants accueillis doivent désormais
être des « enfants de patriotes assassinés par le fascisme, de résistants
victimes de la répression » et « de travailleurs frappés par la répression
suite aux conflits sociaux de novembre-décembre 1947 ». Le nombre
d’enfants de grévistes s’accroît (étés 1948 et 1949), puis de Combattants
de la paix emprisonnés et de dockers (étés 1950, 1951 et 1952). Des
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L’éviction de Pierre Kaldor (1947)
En 1947, les actions sociales subissent donc une régression visible en
calque a priori direct de la chronologie politique communiste. Alors
qu’en 1936, le Secours populaire devait devenir « la plus puissante des
associations de solidarité », c’est dès mars 1947 que le PCF le recentre
vers une fonction de « grande organisation de masse pour l’aide morale
et matérielle aux victimes de la réaction et du fascisme 17 », soit un
mouvement de repli antérieur au tournant politique de mai (éviction des
ministres communistes) et septembre (conférence de Sklarska-Poreba).
Plus, ses actions sociales sont en réalité stoppées par le PCF dès la fin
1946, suggérant les limites de l’ouverture qu’était prêt à opérer le parti.
Me Pierre Kaldor, secrétaire général de l’association depuis la fin
1943, témoigne en effet de conceptions sociales que le PCF ne semble
approuver que du bout des lèvres :
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Ces divergences de vue ne sont pas sans rapport avec son éviction,
lors du congrès de 1948. Les récriminations ouvertes de la direction du
PCF, à l’instigation d’André Marty qui chapeaute très officieusement le
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Secours populaire 19, commencent dès la fin 1946 20 et se soldent immé-
diatement par une convocation du secrétaire général pour une explica-
tion devant le bureau politique (décembre 1946), puis le secrétariat du
parti (janvier 1947). Deux types d’accusations sont avancés. Les
premières, organisationnelles, concernent « l’état extrêmement faible de
cette organisation et l’absence de proposition des dirigeants susceptible
de l’améliorer 21 » – Maurice Thorez récriminant surtout contre la
faiblesse des implantations en Pas-de-Calais 22, – « les méthodes de
direction » et les « problèmes d’organisation 23 » ; elles ne semblent qu’en
partie fondées, la baisse numérique étant commune aux organisations
de masse. Les secondes touchent à la primauté intangible, selon le
secrétariat du parti, du politique sur le social :
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L’esprit de la Résistance (1944-1955)
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actions sociales de son association de solidarité et la recentre sur une
activité strictement politique d’aide aux victimes de la répression. Si la
ligne est immédiatement redressée par Pierre Kaldor 25, le bureau poli-
tique du 13 mars 1947 n’en entérine pas moins son éviction et son
remplacement par Charles Désirat pour le prochain congrès. La nouvelle
ligne, réaffirmée dans un texte de juillet 1947, est déjà un texte de
guerre froide :
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tâche puisse se borner à secourir les victimes ; pour éviter que le
nombre en augmente, nous n’avons cessé de dénoncer les bourreaux 29 ».