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CORPUS PAULINIEN ET L’EPITRE AUX HEBREUX


INTRODUCTION

La personne et les écrits de saint Paul présentent un intérêt considérable non


seulement pour la connaissance du Nouveau Testament mais aussi pour l’étude du
christianisme et de ses fondements doctrinaux. En effet, l’ensemble des épîtres rattachées
à Paul constituent le corpus littéraire le plus important (environ le quart) du Nouveau
Testament. Ils font partie des principales sources fondatrices du christianisme. Quant à
Paul lui-même, il représente, avec et à la suite des Apôtres, une des figures de proue du
christianisme primitif. Cela explique l’intérêt incontestable de l’étude de la théologie de
saint Paul, pour la compréhension de la doctrine chrétienne et de ses fondements
scripturaires.

La théologie de saint Paul s’enracine profondément dans sa vie et, en particulier,


dans son expérience spirituelle et missionnaire. Elle ne peut être compris que si on la
rattache à cette expérience saisissante dont elle émane, qui l’anime, la sous-tend et définit
son cadre, tout en déterminant ses lignes de force.

C’est pourquoi la première partie de ce cours s’étale sur l’itinéraire spirituel et


missionnaire de Paul ; et la deuxième partie, elle, présente un résumé des principaux
thèmes de la théologie de Paul, partant de chacune de ses lettres (structure et contenu) ;
de même que la lettre aux hébreux.
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LE PLAN DU COURS
Première partie : L’Itinéraire spirituel et missionnaire de saint Paul
Chap. I. Les sources
1. Paul selon ses lettres
2. Paul selon les Actes des Apôtres
3. Les différences entre les deux sources
4. Valeur et utilité des Actes des Apôtres
5. Explication des divergences entre les lettres de saint Paul et les Actes des Apôtres
a) L’historiographie lucanienne
b) L’image de Paul dans les Actes des Apôtres
Chap. II. La chronologie paulinienne
1. Les points de repère
a) La comparution devant Galion
b) Le remplacement de Félix
c) La famine en Judée
2. Le problème des voyages à Jérusalem
3. Les chronologies
a) Les chronologies longues et courtes
b) Le tableau de quelques chronologies des lettres pauliniennes
Chap. III. Paul, avant l’événement de Damas
1. Le lieu d’origine et le milieu de vie
2. Le pharisien et sa formation
3. Le persécuteur de la communauté chrétienne
Chap. IV. L’événement de Damas
1. Selon les Actes des Apôtres
2. Selon les lettres de saint Paul
3. Les ressemblances entre les Actes des Apôtres et les lettres de saint Paul
4. Les différences entre les Actes des Apôtres et les lettres de saint Paul
5. L’interprétation de l’événement
Chap. V. Paul et son expérience de Dieu
1. Les expériences mystiques de Paul
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a) La définition de la mystique
b) Les récits des expériences mystiques de Paul
c) Le ravissement dans le ciel
d) La glossolalie
2. La théophanie fondatrice de la vocation et de la mission prophétique de Paul
Chap. VI. La vie apostolique de Paul
1. Les trois voyages missionnaires de Paul selon les Actes des Apôtres
2. Les relations de Paul avec les Églises
3. La captivité et la mort
Chap. VII. L’influence de la vocation de Paul sur sa mission
1. L’appel de Dieu et la réponse de l’homme
2. Les souffrances de Paul authentifient sa mission
3. L’apôtre est un serviteur
4. La radicalité de la vie apostolique
5. Le thème de l’imitation
6. L’annonce de l’Évangile
Chap. VIII. Paul et le monde juif
1. Le juif de la diaspora
2. La loi et l’Ancien Testament
3. La contestation judéo-chrétienne
4. Paul et Qumran
5. Le rôle-clé de Paul
Chap. IX. Paul et le monde grec
1. L’influence hellénistique
2. Les religions à mystère
3. Paul, un homme de son temps
Chap. X. Le genre épistolaire
1. L’importance du genre épistolaire dans la Bible
2. La distinction entre la lettre et l’épître
3. L’authenticité du corpus pauliniens
4. L’identification des écrits pauliniens
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5. Le canevas d’une lettre et le traitement que Paul lui a donné


6. La rédaction des lettres au temps de Paul
Conclusion
Deuxième partie : La théologie des épîtres de saint Paul
Chap. I. Les épîtres aux Thessaloniciens
Chap. II. Les épîtres aux Corinthiens
Chap. III. L’épître aux Galates
Chap. IV. L’épître aux Romains
Chap. V. L’épître aux Philippiens
Chap. VI. L’épître aux Colossiens
Chap. VII. L’épître aux Éphésiens
Chap. VIII. Le billet à Philémon
Chap. IX. Les épîtres pastorales
Chap. X. L’épître aux Hébreux
Conclusion
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PREMIERE PARTIE : l’ITINERAIRE SPIRITUEL ET MISSIONNAIRE DE


SAINT PAUL1
I. LES SOURCES
Pour connaître Paul, nous avons deux sources principales d’information : ses lettres et
les Actes des Apôtres. Cependant il ne faut pas croire qu’il est facile de reconstituer une
biographie de l’apôtre, car les données historiques que nous possédons sont souvent
incomplètes. De plus, elles nous parviennent à travers un message théologique que nous
ne pouvons pas ignorer.
I.1. PAUL, SELON SES LETTRES
Les lettres de Paul sont, bien entendu, la source la plus sûre. Elles nous livrent des
détails importants sur sa vie et sur sa personnalité. Ainsi en Ph 3,5-6, Paul nous renseigne
sur ses racines juives, sa fidélité à la loi et son appartenance à la secte pharisienne. En Ga
1,12-21, il nous décrit ses activités au sein de la communauté juive avant l’événement de
Damas. Il nous dit la transformation que la révélation du Christ a opérée en lui et
l’activité apostolique qui s’en est suivie.
Les passages qui nous font connaître les projets et les travaux de l’apôtre, ses joies et
ses inquiétudes le font sous l’angle existentiel de sa théologie et de sa pastorale. Il est très
discret sur sa vie privée.
I.2. PAUL, SELON LES ACTES DES APÔTRES
Les Actes des Apôtres sont aussi une source abondante d’information sur l’histoire de
Paul. L’auteur nous présente l’apôtre avant sa conversion, comme un «jeune homme»
zélé, sous le nom juif de Saul, au moment de la lapidation d’Etienne (Ac 7,58) et lorsqu’il
termine son livre, Paul est à Rome, en liberté surveillée, après une mission très active (Ac
28,31).
Cependant malgré la place que l’auteur des Actes des Apôtres donne à l’apôtre dans
son livre, nous ignorons tous des dates importantes de la vie de Paul : la date de sa
naissance, celle de sa mort, celle de l’événement de Damas, son enfance, sa jeunesse et
les dernières années de sa vie.
Le but de l’auteur n’est pas précisément de donner de telles informations. Ce qui
l’intéresse, c’est de révéler aux chrétiens de son église l’événement de salut réalisé en

1
Voir M. BRISEBOIS, Introduction à saint Paul et à ses lettres, Paulines, Montréal, 1984.
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Jésus-Christ. Ce qui l’intéresse, c’est aussi de montrer l’expansion fulgurante de l’église à


la suite de cet événement et le témoignage qu’en ont donné les apôtres dans une
continuité extraordinaire. Tout son ouvrage est écrit uniquement dans cette perspective 2.
L’auteur n’a pas voulu écrire une histoire au sens moderne du terme, mais plutôt une
sorte «d’histoire religieuse» et encore, seulement quelques pages de cette histoire.
I.3. LES DIFFERENCES ENTRE LES DEUX SOURCES
Si l’on essaie de comparer les renseignements donnés par Paul dans ses lettres à ceux
que l’auteur des Actes des Apôtres nous offre, on se retrouve bien sûr devant des
différences appréciables. En voici quelques-unes :
Actes des Apôtres Paul
Mentionnent trois voyages : Ne parle que de deux voyages :
Ac 9,26-30 Ga 1,18-19
Ac 11,30—12,25 Ga 2,1
Ac 15,4
Présentent Paul comme étant toujours fidèle au Montre que son passé et ses titres juifs sont sans
pharisaïsme importance par rapport à la foi en Christ
Ac 26,2-8 Ph 3,7-8
Amenuisent les controverses entre Paul et ses Fait une large place aux conflits qui mettaient en
adversaires péril l’unité de l’Église primitive
Ga 1—2 ; 1Co 1—4 ; 2Co 10—13
Mettent l’accent sur une théologie du salut fondée Insiste sur la valeur de la mort de Jésus et la parole
sur la résurrection de la Croix
Ac 13,30.35-36 ; 17,18.31-32 ; 23,6 ; 24,15.21 1Co 1,18-25 ; Rm 5—6 ; Col 1,22 ; Ga 2,21
Mais relie aussi la mort à la résurrection
Rm 4,25 ; 6,9-10

Faut-il conclure que le portrait de Paul qui se dessine dans les Actes des Apôtres
n’est pas le même que celui qui apparaît dans les lettres de Paul ? Peut-être, mais il faut
tenir compte du but de l’auteur et des circonstances qui ont déterminé la rédaction de son
ouvrage.
I.4. LA VALEUR ET L’UTILITE DES ACTES DES APOTRES
On doit cependant reconnaître la valeur des Actes des Apôtres, valeur confirmée
par des données extrabibliques. On ne peut nier que certains détails historiques, fournis
2
Voir R. E. BROWN, L’Église héritée des apôtres, Coll. Lire la Bible 76, Paris, Cerf, 1987, p. 105.
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uniquement par les Actes des Apôtres, rendent de grands services à l’étude biblique. En
effet, comment pourrait-on élaborer une quelconque chronologie de l’apôtre sans le
renseignement clé de la comparution devant Gallion (Ac 18,12) ou encore de celui de la
famine en Judée (Ac 11,28-30) ? On peut aussi ajouter que l’auteur des Actes des Apôtres
est particulièrement bien informé des conditions sociales, politiques et religieuses du
monde du Ier siècle, donc du milieu dans lequel Paul a évolué.
Les renseignements qu’il donne dans ces domaines sont utiles et précieux à
condition que l’on tienne compte de ce qu’il a voulu dire et dans quel contexte il le dit. Il
n’est pas question d’«amalgamer sans examen préalable le livre des Actes et les Épîtres,
car les Actes nous situent devant des difficultés particulière plutôt que d’accroître et
d’assurer notre documentation»3.
I.5. L’EXPLICATION DES DIVERGENCES ENTRE LES LETTRES DE
SAINT PAUL ET LES ACTES DES APOTRES, A PROPOS DE L’APOTRE
a) L’HISTORIOGRAPHIE LUCANIENNE DANS LES ACTES DES APOTRES
L’auteur anonyme des Actes des Apôtres que la tradition depuis Irénée (histoire
ecclésiastique) a coutume de nommer Luc 4 fut le pionnier de l’historiographie chrétienne.
Les Actes des Apôtres sont une œuvre historiographique consacrée à la naissance et à
l’expansion de ce qui était alors considérée comme une secte religieuse. Comme tout
historien, Luc vise la quête de la vérité.
Luc, dans les Actes des Apôtres, se conforme aux lois de la littérature
historiographique gréco-romaine et juive attestée par de nombreux auteurs antiques, tels
que Hérodote, Thucydide, Polybe, Flavius Josèphe, Tacite, Eusèbe… 5 Mais alors que les
grecs établissent la vraisemblance des événements, les juifs exposent la vérité de Dieu qui
gouverne le monde. C’est ainsi que dans le prologue des Actes des Apôtres, Luc affirme
reproduire les événements accomplis parmi nous (Ac 1,11), c’est-à-dire au sein de la
communauté des croyants, célébrant son histoire comme lieu sotériologique ou lieu de
l’avènement du salut.
b) L’IMAGE DE PAUL DANS LES ACTES DES APOTRES

3
G. BORNKAMN, Paul, apôtre de Jésus-Christ, Genève, Labor et Fides, 1971, p. 23.
4
Cf., R. E. BROWN, Op. Cit, p. 99.
5
ARTOG, L’histoire d’Homère à Augustin, (Point 388), Paris, Seuil, 1999.
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L’absence dans les Actes des Apôtres de toute mention de l’activité épistolaire de
Paul, alors que celui-ci est évoqué dans dix-sept des vingt huit chapitres du livre,
démontre que Luc ne disposait pas des écrits pauliniens. D’ailleurs, la confrontation du
texte lucanien avec les écrits pauliniens laisse transparaître des différences. «Le Paul de
Luc est de caractère plus modéré que le Paul de la correspondance avec les Galates et les
Corinthiens»6. C’est donc à peine que Luc accorde à Paul le titre de disciple.
Cette différence entre les deux sources s’explique par le fait qu’entre le moment de la
rédaction des Actes des Apôtres et celui de la fixation ou l’adoption du canon des lettres
pauliniennes, il s’est écoulé une période au cours de laquelle on a assisté à un phénomène
complexe et multiforme de la réception de Paul.
Cette réception de l’apôtre Bovon, connu deux formes. D’un côté, Paul a survécu
dans les écrits rédigé en son nom : ce sont les lettres dites deutéro-pauliniennes (Col,
Eph et 2Th) et les pastorales (1-2Tim, Tite). D’un autre côté, la mémoire de l’apôtre a été
magnifiée par le rappel de son action : C’est le cas des Actes de Paul plus tard (vers 200),
des actes apocryphes de Paul. D’un côté Paul survit comme document, de l’autre comme
monument7.
S’inscrivant dans la veine de cette explication, Daniel Marguerat, estime que la
réception de Paul s’est organisée autour de trois pôles : biographique, canonique et
doctoral.
 Sur le pôle biographique, Paul est considéré comme le héros de l’Évangile, le
missionnaire des nations dont on raconte les faits et les actes. Cela prépare une
hagiographie dont témoignent les «actes de Paul».
 Sur le pôle canonique, Paul est l’écrivain. Ses écrits sont recueillis, recopiés, mis
en une collection qui prépare leur réception dans le canon du Nouveau Testament
(les lettres Pauliniennes).
 Sur le pôle doctoral, Paul est le docteur de l’Église. Ses sentences sont imitées
dans les lettres pseudépigraphes (Col., Ép., 2Th., Past.).
Ces trois types de réceptions sont parallèles et synchronique, ils voient le jour entre
l’an 70 et 100. Ils représentent trois façons d’assumer l’absence de l’apôtre, soit en fixant

6
Cf. R. E. BROWN, Op. Cit., p. 96.
7
Voir F. BOVON, Paul comme Document et Paul comme Monument, dans J. ALLAZ et alii, Chrétien en
conflit. L’Épître de Paul aux Galates, (Essais bibliques 13), Genève, Labor et Fides, 1987, p. 54-54.
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la mémoire de sa vie (héritage biographique), soit en préservant ses écrits (héritage


canonique), soit en l’instituant comme icône théologique (héritage doctoral). Chacune de
ces gestions de l’héritage paulinien sélectionne les traits qui lui conviennent dans la
figure de l’apôtre et confère à cette figure un statut spécifique8.
C’est pourquoi dans l’utilisation et l’appréciation de ces deux sources, nous
appliquerons le principe suivant : les données des Actes des Apôtres seront utilisées pour
reconstituer la biographie de Paul, mais jamais pour corriger les données de ses lettres.
Mieux vaut la parole de l’intéressé, en y mettant au besoin les nuances nécessaires, que
l’information après coup d’un tiers.

DEUXIEME CHAPITRE : LA CHRONOLOGIE PAULINIENNE


II.1. LES POINTS DE REPERE
La chronologie paulinienne pose un problème majeur. Il suffit d’ouvrir une des
nombreuses vies de Paul pour se heurter à un encadré plus ou moins grand qui nous offre
une liste des dates importantes de la vie de l’apôtre et de la parution de ses lettres.
Essayer de trouver une chronologie qui concorde parfaitement avec une autre est peine
perdue.
Cependant pour situer l’œuvre missionnaire de l’apôtre dans le contexte historique
de son époque et déterminer approximativement la date de ses écrits, on a quelques points
de repère qui permettent de rattacher certains événements de sa vie à l’histoire
universelle :
a) LA COMPARUTION DEVANT GALLION (AC. 18,12)

La comparution de Paul devant Gallion est le point fixe sur lequel toutes les
chronologies pauliniennes sont établies. Même si la date de cet événement n’est pas
mentionnée dans les Actes des Apôtres, la découverte d’une inscription à Delphes, en
Grèce, en 1905 nous a apporté des précisions :
Tibère Claude César Auguste Germanicus pontife souverain en la douzième année de
son tribunat, acclamé empereur pour la 26 e fois, salue la ville de Delphes… mon ami
Lucius Julius GALLION, proconsul d’Achaïe, m’informe…
8
Cf. D. MARGUERAT, L’aube du christianisme, Coll. Le monde de la Bible no60, Genève, Labor et
Fides, Paris, Bayard, 2008, p.400-401.
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Cette inscription reproduit une lettre de l’empereur Claude à la ville de Delphes, au


sujet d’un différend de frontière entre cette ville et les villes avoisinantes. Claude, dans
cette lettre, mentionne expressément le nom de Gallion. Or, c’est devant ce même Gallion
que Paul a comparu durant son séjour à Corinthe.
Cette inscription étant datée de la 26e acclamation en l’honneur d’une victoire
impériale, on a pu établir à l’aide des données de l’histoire profane, qu’elle devait se
situer entre janvier et août 52 et que Gallion avait été proconsul de mai 51 à mai 52. La
comparution de Paul doit avoir eu lieu entre ces dates-là. Donc, probablement à la fin du
proconsulat de Gallion en mai 52. Paul serait arrivé à Corinthe en 50, à l’automne, pour
un séjour assez long (18 mois) jusqu’en Juillet 52.
b) LE REMPLACEMENT DE FELIX (Ac. 24,27)
Selon Ac 23,24 et 24,27, Paul a comparu aussi devant le procurateur Antonius
Félix, après deux années d’emprisonnement à Césarée, pendant lesquelles, Félix et
remplacé par Festus (Ac. 24,27). Trois auteurs anciens fournissent des données
chronologiques sur ce changement : Josèphe, Tacite et Eusèbe. Mais ces données ne
permettent pas d’arriver à une conclusion absolument certaine. La date la plus probable
est 60 (bien que certains exégètes préfèrent 55/56). La comparution de Paul aurait alors
eu lieu en 58.
c) LA FAMINE EN JUDEE (Ac. 11,28-30)
La famine qui a sévi en Judée sous l’empereur Claude peut aussi nous guider dans
l’élaboration d’une chronologie paulinienne. Cette famine se serait abattue sur la
Palestine vers les années 45/48.
En conclusion, la comparution devant Gallion est certes le point de repère le plus
sûr. Mais à partir de la date qu’il fournit, on ne peut pas établir facilement la date de
l’événement de Damas sans tenir compte du problème de voyage à Jérusalem.
II.2. LE PROBLEME DES VOYAGES A JERUSALEM
La chronologie paulinienne part de l’expérience théophanique de Paul à Damas,
telle qu’elle est rapportée dans l’épître aux Galates. Cet événement constitue, en effet, le
point de départ de l’itinéraire spirituel et missionnaire de Paul, comme Apôtre de Jésus-
Christ. Notre attention se focalise ici sur les indications chronologiques que livre le récit
de cet événement et qui peuvent être combinées et comparées avec les points de repère
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cités plus haut, dans la tentative de déterminer la date du début de l’engagement spirituel
et missionnaire de Paul. En effet, le récit de l’événement de Damas en Ga 1—2 met ces
indications en rapport avec les voyages de Paul à Jérusalem.
Dans sa lettre, Paul mentionne deux voyages à Jérusalem après l’événement de
Damas :
 Premier voyage : Paul a fait ce voyage trois ans après la révélation de Damas
«pour faire la connaissance de Céphas» et Paul ne serait resté auprès de lui que
quinze jours «sans voir aucun autre apôtre, sauf Jacques, le frère du Seigneur»
(Ga 1,18-19).
 Deuxième voyage : Paul serait retourné à Jérusalem quatorze ans plus tard en
compagnie de Barnabas et de Tite. Il nous dit qu’il y serait monté «à la suite
d’une révélation» (Ga 2,1-2). L’apôtre est allé exposer son évangile d’abord à
tous les frères et ensuite «aux personnes les plus considérées». Cette rencontre
s’est soldée par une chaude poignée de mains et l’unité de l’Église a été sauvée
(Ga 2,9).
Les Actes des Apôtres rapportent plusieurs voyages à Jérusalem. Certains auteurs en
dénombrent jusqu’à cinq (Ac 9,26-30 ; 11,30 et 12,25 ; 15,4 ; 18,22 ; 21). Si l’on retient
que notre but est de déterminer la date de l’événement de Damas, seuls les trois premiers
nous intéressent :
 Premier voyage : Paul l’a effectué après son évasion de la prison de Damas. Ce
voyage souligne les tentatives de Paul pour s’intégrer à la communauté
chrétienne. Cette intégration a été réalisée grâce au concours de Barnabas (Ac
9,26-30).
 Deuxième voyage : ce voyage a été décidé par les disciples dans le but de venir en
aide aux frères de Judée aux prises avec une grande famine. Après «une
campagne de souscription» les sommes recueillies furent confiées «aux mains de
Barnabas et Saul». L’aller et le retour de ce voyage pourraient être rapportés par
Ac 11,30 et 12,25. Il faut noter cependant que 12,25 pose certaines difficultés
d’interprétation.
 Troisième voyage : ce voyage a été organisée par l’Église d’Antioche à la suite
d’un conflit qui a éclaté à cause de la venue d’apôtres judéo-chrétiens qui
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prêchaient la circoncision comme rite nécessaire au salut. Paul et Barnabas s’étant


opposés à une telle obligation, il en est résulté des discussions assez vives au sein
de l’Église. Aussi on décida que Paul et Barnabas et d’autres chrétiens
monteraient à Jérusalem afin de rencontrer les Apôtres et les Anciens à propos de
ce différend (Ac 15,4).
Y a-t-il une harmonisation possible entre les récits des Actes des Apôtres et ceux de
Galates ?
Beaucoup de solutions ont été proposées pour harmoniser les voyages à Jérusalem.
Voici la solution de la majorité des exégètes :
 Ac 9,20-30 concorde avec Galates 1,18-19 malgré des différences légères.
 Ac 11,30 et Ac 15,4 décrivent une seule et même visite : Paul et Barnabas
auraient été chargés en même temps de porter des secours à Jérusalem et de faire
le point sur la question de la circoncision des chrétiens d’origine païenne.
 Ac 15,4 (et son doublet Ac 11, 30) peuvent être identifiés à Ga 2,1-10. Ces deux
passages rendraient compte de l’Assemblée de Jérusalem. Assemblée qui a eu lieu
en 48/49.
Tout compte fait, les Actes des Apôtres paraissent posséder des renseignements
nombreux, mais plutôt vagues ; Paul au contraire dispose de souvenirs personnels précis.
II.3. LES CHRONOLOGIES
a) LES CHRONOLOGIES LONGUES ET COURTES
A cause des voyages à Jérusalem rapportés par Galates, deux types de chronologies
ont été établis : les longues et les courtes. La question est de savoir si la préposition
«ensuite» (Ga 1,18 ; 2,1) fait référence dans les deux cas à l’événement de Damas. Dans
l’affirmative, cet événement aurait eu lieu 14 ans avant l’Assemblée de Jérusalem donc
en 34/35. Par contre si l’on additionne 14+3=17, l’événement de Damas devrait être
repoussé jusqu’en 32. Mais la façon de compter les années à l’époque pourrait ramener le
total 17 à 15 ou 16 (une année commencée ou une année non terminée comptait pour une
année entière).
b) TABLEAU DE QUELQUES CHRONOLOGIES DES LETTRES
PAULINIENNES
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Nous avons montré les difficultés qui se posent pour établir une chronologie de la vie de
Paul, nul besoin de dire qu’essayer d’établir une chronologie des lettres est aussi difficile.
Les seuls indices que nous possédions sont dans les lettres elles-mêmes. Voici quelques
positions :
48/49 Assemblée de Jérusalem
-14 ans
34/35 Rencontre de Céphas
-3 ans
31/32 Conversion sur la route de Damas
TOB BJ PERROT BORNKAMM DOCKX CAMBIER
e
1 Th Début 51 50/51 50/51 Printemps 50 1 moitié 50 51-52
2 Th Peu après 1 Th Après 1 50/51 54 1e moitié 50 51-52
Th
1 Co Printemps 56 Pâque 57 Avant 54/55 ? Avant 57
pentecôte 55 Pâque 54
2 Co Fin 56/57 Fin 57 55/56 54/55 ? 54 57
Ga Hiver 56/57 57 55/56 54 Fin juillet 54/55
54
Rm 57/58 Hiver 55/56 Hiver 55/56 54/55 57
57/58
Col 61/62 54/57 61/63 60/63 ? Proche d’Ép - 63-67
58/60 100ap. J.C.
Ep Post-apost. 61/63 - - - 63-67
Phm 61/63 ? 61/63 60/63 ? 54/55 - 63-67
1 Tm Après 63 Vers 65 63/67 Première Été 65 ?
décennies
2 Tm 64/67 ou début Avant 67 63/67 - 67 ?
e
2 s.
Tt Après 63 Vers 65 63/67 - 65 ?
Hé Proche de la Vers 67 Avant 70 - - ?
mort de Paul

TROISIEME CHAPITRE : L’HOMME AVANT L’EVENEMENT DE DAMAS


III.1. LE LIEU D’ORIGINE ET LE MILIEU DE VIE
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Paul est né à Tarse en Cilicie –au sud de la Turquie actuelle – au début notre ère
(Ac 21,39 ; 22,3). Il est difficile de préciser la date exacte de sa naissance. D’aucuns
proposent, avec une marge d’erreur, l’an 7 de notre ère. Cela veut dire que Paul serait
d’une douzaine d’année plus jeune que Jésus, qui, lui serait né en 4 avant notre ère. Mais
ils ne se sont jamais rencontrés du vivant de Jésus.
La ville de Tarse où est né Paul, comptait environ 300.000 habitants. C’était un
port international ; le commerce y était florissant. Cité cosmopolite à cause de sa situation
au carrefour des routes du pays et de sa proximité de la Méditerranée, elle était ouverte à
toutes les races et à toutes les cultures. Grecs, Orientaux, Juifs et nomades s’y côtoyaient
en toute liberté. La communauté juive y était nombreuse et bien vue ; elle ne vivait pas en
ghetto. Attirés par le commerce, mais aussi par l’ambition de gagner des prosélytes, les
juifs réussissaient à faire respecter leur religion et leurs coutumes.
Tarse était aussi un centre important de la culture hellénistique. Elle avait une
université de grande renommé qui rivalisait avec celles d’Athènes et d’Alexandrie. Au
point de vue religieux, comme toutes les grandes villes portuaires, elle connaissait un
syncrétisme confus et passionné.
Paul était un enfant de cette ville extraordinaire et c’est dans ce milieu de
contraste et d’effervescence mais aussi de grande liberté qu’il grandira. Il sera, comme sa
ville natale, un être de contraste, bondissant et passionné, mais aussi un être sensible et
généreux. Son esprit enrichi par les cultures juive et hellénistique lui permettra de
s’ouvrir aux problèmes du monde.
Du point de vue socioculturel, tout sépare donc Jésus de Paul. Jésus est un
Galiléen. Il vient d’une contrée de lacs et de villages. Fils d’un charpentier, il n’était pas à
Jérusalem dans son milieu naturel. Il n’était jamais sorti de la Palestine et toute sa
mission s’est déroulée dans le contexte religieux du Judaïsme. Paul, lui, est un citadin, de
Tarse en Asie mineure. C’est un intellectuel de haut vol. Il est de plus pharisien ; membre
de ce groupe que Jésus avait du affronter si souvent qu’il le lui rendre. Tout donc sépare
Paul de Jésus : la naissance, la culture, le métier, l’origine, la langue. Jésus est un homme
de la campagne et de la Palestine ; Paul est un homme des villes et du grand large, nourri
de la double culture, juive et gréco-romaine.
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Paul aurait été «un homme petit de stature, à la tête chauve, aux jambes arquées,
vigoureux, ayant les sourcils joints, avec un nez légèrement bombé». Il appartenait à une
famille de vieille juive. Selon la tradition la plus stricte, il avait été circoncis le huitième
jour. Par ses parents, il pouvait se rattacher «à la race d’Israël», «à la tribu de Benjamin»
et se déclarer «Hébreu, fils d’Hébreu» (Ph 3,5). Par son Père, il était un citoyen romain
(Ac 16,37-38 ; 22,25-26.29 ; 23,27 ; 25, 10-11) ce qui était un privilège envié. On peut
donc supposer qu’une certaine aisance régnait au sein de sa famille.
A sa naissance, Paul a reçu le nom juif de Saul et le nom grec de Paul (Petit). Les
Actes des Apôtres, le nomment Saul jusqu’en 13,9, ensuite Paul. Le changement
d’appellation correspond au fait que Paul commence alors à évangéliser le monde grec.
Cependant, Paul dans ses lettres, se présente toujours sous son nom grec malgré son
attachement à la religion juive. Il avait un métier, celui de tisserand (Ac 18,3). La
pratique d’un métier était de règle chez les rabbins. Ils devaient eux-mêmes assurer leur
subsistance afin d’enseigner la Torah (la loi) gratuitement.
Ainsi donc Paul avait opté pour se prendre matériellement en charge par son
métier de tisserand et subvenir à ses propres besoins en travaillant de ses mains. «Tout en
reconnaissant le droit à la subsistance de ceux qui annoncent l’Évangile (1Co 9,6-14 ; Ga
6,6 ; 2Th 3,8), il préféra travailler de ses propres mains (1Co 4,12) pour n’être à la charge
de personne (1Th 2,9 ; 2Th 3,8 ; 2Co 12,13). Il n’accepta de l’aide que des Philippiens
(Ph 4,10-19 ; 2Co 11,8)»9
III.2. LE PHARISIEN ET SA FORMATION
Paul appartenait au pharisaïsme, branche de la religion juive qui était composée
de laïcs -6000 environ- regroupés en petites confréries. Ils étaient d’une fidélité
rigoureuse pour l’observance de la loi, la pratique des lois de pureté et des prescriptions
des dîmes. Très attachés aux «traditions des pères» (Ga 1,14), les pharisiens d’avant 70
exerçaient sur le peuple une certaine influence. Au plan de la doctrine, ils croyaient que
l’histoire du monde avait un but et que Dieu ordonnait les événements en fonction de ce
but. La venue d’un Messie, guide et sauveur de son peuple, était pour eux le point
culminant de l’histoire.

9
J. PRADO FLORES, Le secret de saint Paul, Nouan-le-Fuzelier, éd. des Béatitudes, 1999, p. 17.
P a g e | 16

Si, comme tous les pharisiens, Paul croit à la résurrection des morts (Ac 23,6-10 ;
26, 6-8), il fonde sa doctrine sur la résurrection de Jésus-Christ lui-même (1Co 15,12.20-
21). Nous pensons qu’il pourrait être possible que Paul ai reçu une certaine formation
rabbinique alors qu’il était un jeune homme. Le texte de Ga 1,14 laisse entendre cette
possibilité. C’est la position de P. Bonnard dans son commentaire de Galates. Il suit le
père Lagrange contre A. Loisy et voit avec raison dans ce verset «une allusion au fait que
Paul, jeune homme, avait dû suivre l’enseignement d’une école rabbinique à Jérusalem ;
les contemporains seraient alors ses camarades d’études»10.
III.3. LE PERSECUTEUR DE LA COMMUNAUTE CHRETIENNE
Paul a été un persécuteur de la foi chrétienne au zèle débordant (cf. Ga 1,14). Le
christianisme lui apparaissait comme une apostasie par rapport à la loi et la foi chrétienne
comme une négation de son idéal. Avant d’être un apôtre, Paul a été un persécuteur de la
foi chrétienne et lui-même le reconnaît :
 «Car je sui le plus petit des apôtres, moi qui ne suis pas digne d’être appelé apôtre
parce que j’ai persécuté l’Église de Dieu» (1Co 15,9).
 «Car vous avez entendu parler de mon comportement dans le judaïsme, naguère :
avec quelle frénésie je persécutais l’Église de Dieu et je cherchais à la détruire»
(Ga 1,13).
 «…pour le zèle, persécuteur de l’Église…» (Ph 3,6).

QUATRIEME CHAPITRE : l’EVENEMENT DE DAMAS


IV.1. SELON LES ACTES DES APOTRES
Les Actes des Apôtres nous donnent trois comptes rendus de l’Événement :
a) En Ac 9,1-19, l’auteur raconte l’événement en détail et met beaucoup d’insistance
sur le rôle d’Ananie.
b) En Ac 22,3-21, le récit est fait à l’occasion d’un long plaidoyer où Paul met en
valeur son passé juif et sa mission auprès des païens. Il est aussi question
d’Ananie.

10
P. BONNARD, L’épître de Saint Paul aux Galates, Paris Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1972, p. 29.
P a g e | 17

c) En Ac 26,9-18, le récit est encore fait à l’occasion d’un discours prononcé par
Paul. Cette fois, c’est devant le roi Agrippa. L’insistance est mise sur le message
reçu du Christ, par Paul et la mission qui s’en suivit. Ananie n’est pas mentionné.
Dans ces trois récits nous trouvons la question : «Pourquoi me persécutes-tu ?», Qui
est la clé pour comprendre la révélation que Paul a reçue : le Christ ressuscité est vivant
dans son Église. Elle rejoint le but théologique de l’auteur.
IV.2. SELON LES LETTRES DE SAINT PAUL
Paul dans ses lettres rappelle l’Événement de Damas à plusieurs reprises, mais
curieusement il ne fait pas de longs récits :
a) En Ga 1,15 Paul écrit : Mais lorsque celui qui m’a mis à part depuis le sein de ma
mère et m’a appelé par se grâce, a jugé bon de me révéler en moi son Fils…
b) En 1Co 9,1 et 15,8-10, il dit simplement : N’ai-je pas vu le Christ ? En tout
dernier lieu, il (le Christ) m’est aussi apparu à moi l’avorton.
c) En Ph 3,12, il déclare : …j’ai été saisi moi-même par Jésus-Christ.
On peut remarquer que Paul dans ses lettres insiste sur la révélation de Dieu, la vision
du Christ et le fait que le Christ l’a saisi. Il semble que pour l’apôtre l’événement se soit
plutôt passé à l’intérieur de lui-même.
IV.3. LES RESSEMBLANCES ENTRE LES ACTES DES APOTRES ET LES LETRES DE
PAUL
a) Paul persécuteur de l’Église : Ac 9,1-2 ; 22,3b-5 ; 26,9-11 // 1Co 15,9 ; Ga
1,13.23 ; Ph 3,6.
b) La présence de la christophanie : Ac 9,5 ; 22, 7-8 ; 26,14-18 // 1Co 9,1 ; 15,8.
c) L’événement en face de Damas : Ac 9,3 ; 22,6 ; 26,12-13 // Ga 1,17.
d) Un lien entre l’événement et l’évangélisation des païens : Ac 22,15 ; 26,16-18 //
Ga 1,16.
IV.4. LES DIFFERENCES ENTRE LES ACTES DES APOTRES ET LES LETTRES DE
PAUL
a) Des grands discours de Ac 22 et 26, il n’y a aucune trace dans les lettres. Et
pourtant en Ga 1, Paul défend l’authenticité de son apostolat, il aurait pu alors
décrire l’événement avec plus de détails. S’il ne l’a pas fait, il faudrait peut-être
supposer que l’événement fut moins spectaculaire que les Actes ne le décrivent.
P a g e | 18

b) La lumière des Actes n’implique pas une vision du Christ en personne, alors que
dans les lettres Paul est catégorique : en 1 Co,1 il ne peut être plus précis «N’ai-je
pas vu le Christ ?», en en 1 Co 15,8, il déclare que le Christ lui est apparu de la
même façon qu’aux autres privilégies des apparitions postpascales.
c) Paul affirme avoir reçu son évangile et son mandat apostolique de Dieu sans
aucune médiation humaine (Ga 1,11-12). Selon Ac 9 et 22 l’Église est intervenue
en tant qu’intermédiaire dans la personne d’Ananie.
Ces différences entre les Actes des Apôtres et les lettres de Paul font surgir une
question : «L’auteur des Actes peut-il vraiment être un collaborateur de Paul ayant
accompagné celui-ci pendant un certain temps ?...Cette question complexe…devient à
nouveau actuelle…Il faudrait que nous cessions de présupposer, sans plus, que Luc ait été
informé directement par Paul de la vision de Damas»11.
IV.5. L’INTERPRETATION DE L’EVENEMENT
Paul est un personnage fascinant. Nous sommes obligés d’admettre que le
Pharisien fier et respecté, homme de prestige, droit et sincère, à la foi robuste n’était
sûrement pas un homme brisé lors de sa rencontre avec le Christ. L’événement de Damas
a changé le cours de sa vie mais l’homme a gardé son ardeur.
Paul a interprété cet événement comme «une grâce de Dieu qui a révélé en lui son
Fils» (Ga 1,16). Il se présente toujours à ses communautés comme l’apôtre qui a été
appelé. La mention de cet appel figure dans les en-têtes (adresse) de Rm, !Co et Ga. Trois
lettres seulement font exception à cette règle : Ph, 1Th et Phm. Cette affirmation est
souvent suivie du sens et du but de cet appel : «mis à part pour annoncer l’Évangile de
Dieu…» Rm 1,1), «pour conduire à l’obéissance de la foi parmi tous les peuples…» (Rm
1,5).
Pour Paul Damas c’est :
 Le Christ qui se révèle (Ga 1,16)
 Le Christ qui apparaît (1 Co 15,8)
 Le Christ qui saisit (Ph 3,13)
 En vue d’une mission à remplir : annoncer l’Évangile (1Co 1,17).

11
LOHFINK, La conversion de Paul, Paris, Cerf, 1962, pp. 36-37.
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Manifestement Paul entend dire qu’il a fait l’expérience du Ressuscité comme d’un
être salvifique…Il n’entend, certes, pas écarter l’aspect «visuel» de la vocation mais les
déclarations décisives sont à ses yeux celles où il décrit sa réquisition et la mission qui lui
est confiée, c’est-à-dire son établissement dans la condition d’apôtre.
De cet événement on peut retenir quatre choses :
 La première est le lien répété entre l’illumination et la persécution des chrétiens ;
c’est au cœur de son acharnement contre des hérétiques que Paul a été retourné.
 Deuxièmement, l’illumination a consisté à voir, tout d’un coup que le pendu de
Golgotha était le Fils, le Vivant, et que Dieu est du côté de la victime et non du
bourreau. C’est Pâques.
 La troisième note posée par Paul dans ce récit de la résurrection, c’est la grâce. La
re-naissance est un pur cadeau : «Ce que je suis devenu, c’est la grâce qui l’a fait
de moi» (1Co 15,10).
 Enfin, le quatrième élément à retenir est le lien qu’établit Paul entre révélation et
vocation d’évangéliser les nations. Son regard sur Dieu change, il découvre que
Dieu de l’Alliance avec le monde entier, et qu’il l’offre sans condition. «Ce qu’il
pense traduit ce qu’il est, et ce qu’il est lui a été donné»12.
CINQUIEME CHAPITRE : PAUL LE MYSTIQUE : SON EXPERIENCE DE
DIEU
V.1. LES EXPERIENCES MYSTIQUES DE PAUL
A. DEFINITION DE LA MYSTIQUE
Selon saint Thomas d’Aquin, la mystique est une «cognitio Dei experimentalis»,
ce qu’on pourrait traduire en français par une connaissance expérimentale de Dieu. C’est
à juste titre qu’il sied d’éviter de traduire «experimentalis» par «expérimental». Car ce
dernier vocable fait appel à une expérience sensible et réitérable, tandis que l’adjectif
«expérientiel» renvoie à la singularité, à l’unicité, à l’irréductibilité, à l’évanescence, et à
la non réitérabilité de l’événement. Il s’agit, comme l’écrit D. Marguerat, «d’un mode de
perception immédiate du divin, qui recherche et met en œuvre une conscience intime de

12
D. MARGUERAT, Paul de Tarse, Un homme aux prises avec Dieu, Poliez-le-Grand, Éd. du Moulin,
Paris, Desclée de Brouwer, 1999 et 2000, p. 28-29.
P a g e | 20

la présence de la transcendance»13. L’immédiateté de la mystique s’oppose au savoir


théologique médiatisé.
Dans la mystique, l’expérientiel et l’affectif prennent le pas sur le rationnel.
Transgressant toute connaissance dogmatique, la mystique devient une expérience et une
intuition inédites, originales, singulières et uniques, ne répondant à aucune logique de
type expérimental ou rationnel et ne se réduisant pas à un simple affect, à la seule
subjectivité : elle est ressentie et vécue comme une force ou une réalité provenant de
l’extérieur et irréductible à l’émotion ou au sentiment qu’elle provoque. Elle se vit
comme irruption du divin dans l’humain, du surnaturel dans le naturel.
La mystique comporte trois traits fondamentaux : elle est, d’abord, une
intériorisation de la conscience religieuse ; elle est, ensuite, une visée unifiant,
supprimant ou surmontant l’abîme qui sépare l’humain du divin, le naturel et le
surnaturel ; et enfin, elle se vit comme une altération du sujet, un décentrement du moi.
Comme état, elle peut prendre trois formes : l’union avec Dieu, la communion avec Dieu
et la contemplation qu’on appelle aussi vision. La mystique n’est donc pas à confondre
avec une simple fusion, même si elle comporte comme quête de surmonter la distance
incommensurable, l’abîme qui sépare l’humain du divin, le terrestre et l’éternel.
Et cependant, la mystique s’inscrit toujours dans le cadre d’une culture et d’une
religion données, comme un approfondissement des pratiques de cette culture ou de cette
religion. Au travers de l’extrême diversité des cheminements mystiques (juif, chrétien,
hindou ou soufi) se révèle cette constante d’un cadre religieux ou culturel préalable qui
sert comme de référence à l’expérience originale et inédite du mystique.
B. L’EXPERIENCE MYSTIQUE DE PAUL
Paul fait état de son expérience mystique «extatique» dans trois passages de ses
écrits :
- La révélation sur le chemin de Damas (Ga 1,15-16 ; 1 Co 9,1)
- Un ravissement au ciel dans 2Co 12,1-9
- La pratique de la glossolalie (1 Co 9,14-18).

13
IDEM, L’aube du Christianisme, p. 161.
P a g e | 21

Paul n’était pas seulement un rationaliste et un dialecticien polémiste, rompu et


porté à la diatribe, mais aussi et profondément un spirituel dont le discours s’enracine
dans une véritable communion avec Dieu14.
Notons cependant que nulle part Paul n’invite et n’incite ses destinataires à vivre
ou à chercher à expérimenter à leur tour ces événements mystiques. Il parle de lui-même
et se garde, à partir de son expérience extatique, de généraliser la condition du croyant.
C. LE RAVISSEMENT DANS LE CIEL
En 2Co 12,1-9, Paul parle des visions et des révélations qu’il a eues après
l’événement du chemin de Damas. Rien n’autorise à penser que Paul s’est ici livré à
l’affabulation ou à une fiction. Les détails et les indications temporels et topographiques
de l’ascension céleste témoignent de son intention de se référer à un événement réel : sa
localisation historique («il y a quatorze ans», c’est-à-dire vers 42-43, pendant le séjour de
Paul en Cilicie ou à Antioche, avant le premier voyage), son lieu (le troisième ciel), ses
modalités (dans le corps / hors du corps). En outre, quoi que désigne «l’écharde dans la
chair» (12,7), la formule est transparente pour les Corinthiens et on imagine mal Paul
fabulé sur ce point. Enfin, que Paul avance à ce stade du débat un argument de fiabilité
douteuse, serait peu vraisemblable. Il faut donc convenir que ces versets sont, à côté de
l’expérience fondatrice de sa vocation en Ga 1,15-16, l’unique lieu où Paul nous associe
au secret de son expérience de Dieu»15.
Le récit du ravissement de Paul au ciel commence par l’évocation de la
dissociation du corps. Mais il prend distance à l’égard de son moi extatique qui est
comme sous l’emprise d’une force ou d’une volonté extérieure à lui-même. Et pour
exprimer la dissociation de son corps, il s’interroge, à deux reprises (2b et 3). Puis
intervient le ravissement au ciel. Le nombre des cieux dans les conceptions juives variait
de 5 à 10. Le chiffre trois symbolise la perfection. Le Paradis était souvent situé au
troisième ciel. Paul le précise au verset 4.
Mais parvenu au sommet de l’extase, Paul ne livre pas la révélation des paroles
entendues et évoque «des paroles indicibles qu’il n’est pas permis l’homme de redire»
(v.4). Paul ne peut exprimer ou communiquer les révélations auxquelles l’extase lui a

14
Voir A. SCHWEITZER, La mystique de l’apôtre Paul, Paris, Albin Michel, 1962.
15
D. MARGUERAT, L’aube du christianisme, p. 193.
P a g e | 22

donné accès : elles sont ineffables. Il n’est pas permis à un homme de les redire. Il
s’abstient de se prévaloir de ses extases.
Il insiste pour que ses interlocuteurs s’en tiennent à ce qu’ils voient et entendent
de lui, plutôt qu’à ses expériences mystiques invisibles. Les dons de l’extase ou les
révélations divines ne sont pas ordonnés à la mise en valeur de soi-même ou à
l’autoglorification de ceux qui en sont les bénéficiaires. En effet, l’expérience mystique
ne fait pas d’eux des surhommes ou des anges. C’est pourquoi, Paul dit notamment :
«pour cet homme-là je ne m’enorgueillirai pas» (v.5).
Enfin, au lieu de l’enchantement, l’extase renvoie l’apôtre à l’expérience de sa
faiblesse humaine. Les infirmités physiques étaient attribuées au péché conscient ou
inconscient, individuel ou collectif. L’écharde dans la chair était un mal physique dont
souffrait visiblement Paul. Ce mal était donc connu de ses auditeurs. C’est dire combien
une telle épreuve était humiliante, insupportable et de nature à «éviter à Paul tout
orgueil». Aussi, par trois fois, Paul prie-t-il Dieu de l’en délivrer, mais sa demande n’est
pas exaucée. La réponse de Dieu, la grâce dont il s’agit ici, c’est la vocation à l’apostolat.
En effet, l’appel de Dieu est toujours un don gratuit, un rôle et une identité reçue, que
l’apôtre est appelé à expérimenter à travers sa faiblesse et la fragilité de son humanité. Et
c’est à travers cette faiblesse de l’apôtre que se manifeste, se déploie et s’accomplit la
force de la grâce divine.
Loin de distraire ou de mener à l’évasion, l’extase renvoie à la réalité de la
rudesse, de la fragilité et de la contingence humaines. Elle ne fait pas de Paul un ange, un
être désincarné : elle le renvoie à l’épaisseur de la réalité de son humanité et de ses
limites corporelles qu’elle l’invite à assumer. La perception mystique et immédiate de la
présence et de la réalité divines n’affranchit son bénéficiaire à l’abri des limites de sa
corporéité et de son humanité, en ce qu’elles ont de contraignant, de gênant et de pénible.
Bien au contraire, elle l’y renvoie comme au mystère de l’incarnation du Christ et de sa
passion. Il n’est, en effet, pas de mystique authentique sans la croix.
Les choses se passent comme si l’expérience extatique ou mystique de Dieu
impliquait la participation à la passion et à la croix du Christ. Et comme ce dernier,
l’apôtre doit savoir que «la puissance de Dieu donne toute sa mesure dans la faiblesse»
(2Co 12,9). La mystique de Paul est participation à la passion du Christ. Au creux de
P a g e | 23

cette saisie immédiate et illuminée de la présence divine, l’apôtre expérimente, dans son
corps, la réalité de sa fragilité et des limites humaines qui, paradoxalement, deviennent le
lieu de la manifestation et de la perception de la puissance du Christ. Alors dans sa
faiblesse, il devient capable d’expérimenter la puissance de Dieu. «Le sacrifice voulu par
Dieu, c’est un esprit brisé ; Dieu, tu ne rejettes pas un cœur brisé et broyé» (Ps 51,19).
On peut alors comprendre cette conclusion de Paul au terme du récit de son
ravissement au ciel : «Donc, je me complais dans les faiblesses, les insultes, les
contraintes, les persécutions, et les angoisses pour le Christ. Car lorsque je suis faible,
c’est alors que je suis fort» (2Co 9,10).
Il ne s’agit cependant ni de masochisme ni de sadisme. Paul ne prend aucun
plaisir aux épreuves. Il accepte de s’inscrire dans la logique de sa condition d’apôtre qui
exige qu’il marche à la suite du Christ, en renonçant à lui-même et en portant sa croix
(Cf. Mt,16,24 ; Mc 8,34 ; Lc 9,23).
En 2Co 4,10, Paul exprime cette corrélation entre la communion au ministère du
Christ et la faiblesse en ces termes : «Mais ce trésor, nous le portons dans les vases
d’argile, pour que cette incomparable puissance soit de Dieu et non de nous. Pressés de
toutes parts, nous ne sommes pas écrasés ; dans les impasses, mais nous arrivons à
passer ; pourchassés, mais non rejoints ; terrassés mais non achevés ; sans cesse nous
portons dans notre corps l’agonie de Jésus, afin que la vie de Jésus soit elle aussi
manifestée dans notre corps».
D. PARLER EN LANGUES
La troisième expérience mystique de Paul est évoquée en ces termes : «Grâce à
Dieu, je parle en langues plus que vous tous, mais, dans une assemblée, je préfère dire
cinq paroles intelligibles pour instruire aussi les autres, plutôt que dix mille en langues»
(1Co 14,18).
«Chacun reçoit le don de manifester l’Esprit en vue du bien de tous» (1Co 12,7).
Et non pour se singulariser ou jouer au charismatique, ou encore moins, cultiver
l’irrationalité et l’ésotérisme. Tout charisme ou don particulier de l’Esprit doit être
ordonné à l’édification de tous. «C’est pourquoi celui qui parle en langues doit prier pour
avoir le don de l’interprétation. Si je prie en langues, mon esprit est en prière, mais mon
intelligence est stérile» (1co 14,14).
P a g e | 24

V.2. LA THEOPHANIE FONDATRICE DE LA VOCATION ET DE LA MISSION


PROPHETIQUE DE PAUL
Le recours par Paul en Ga 1,15-16 au récit de la vocation et de la mission de
Jérémie tel qu’il est relaté dans Jr 1,4-10 pour exprimer sa propre expérience spirituelle,
montre bien que l’apôtre des gentils s’inscrit lui-même dans la lignée des prophètes. La
théophanie fondatrice de la vocation et du ministère des prophètes vétérotestamentaires, a
servi, pour Paul, de clé de compréhension, d’interprétation et d’expression de sa propre
expérience spirituelle. Les évidentes convergences littéraires entre les récits de vocation
et de mission de Paul et de Jérémie, constituent des éléments susceptibles d’éclairer et de
préciser la lecture et l’interprétation de l’expérience spirituelle et le ministère de Paul.
Ici il s’agit du genre midrashique, un procédé littéraire dont l’emploi est très
étendu dans la Bible. «Il importe de donner à ce terme (midrash) son sens véritable. On le
prend facilement pour synonyme de fable, d’affabulation légendaire ; il désigne en fait un
genre édifiant et explicatif, étroitement attaché à l’Écriture, dans lequel la part de
l’amplification…est secondairement et reste toujours subordonnée à la fin religieuse
essentielle qui est de mettre en valeur plus pleinement l’œuvre de Dieu. Le sens péjoratif
qu’on donne souvent au mot midrash comporte, entre autres, l’inconvénient qu’il fait
méconnaître les antécédents de ce genre dans la littérature biblique» 16.
Ainsi donc, même si, comme dans toute typologie, le midrash induit toujours
entre la situation nouvelle et son modèle scripturaire une symétrie et une asymétrie, il
n’en demeure pas moins qu’il peut renseigner sur la nature de la réalité à laquelle il
s’applique et se réfère. En se référant au récit de la vocation de Jérémie pour exprimer sa
propre expérience spirituelle, Paul veut dire que ce qu’il a vécu relève de la manière
habituelle et constante dont Dieu agit dans le choix et l’envoi des prophètes, même si
chaque expérience de cette nature, en raison de son caractère personnel et intime, garde
sa spécificité et sa singularité.
V.3. LES CARACTERISTIQUES DE L’EXPERIENCE THEOPHANIQUE DE PAUL17
En lisant Ga 1,15-16, Jr 1,4-10 et Is 49,1.2.5.15.16., on aperçoit que les
ressemblances littéraires et les convergences de fond entre ces trois récits sont tellement
évidentes et suffisamment nombreuses que pour établir un lien sémantique et théologique
16
B. BLOCH, Midrash, dans SDB, (Supplément au Dictionnaire de la Bible), 5, 1263-1280.
17
On peut lire en parallèle Ga 1,15-16 // Jr 1,4-10 // Is 49,1.2.5.15.16.
P a g e | 25

entre eux. Il s’agit de l’évocation de l’expérience théophanique fondatrice et légitimatrice


de la vocation et de la mission prophétique.
Cinq constantes s’en dégagent :
 L’initiative souveraine et gratuite de Dieu dans le choix et l’appel de ses
messagers.
 Cette souveraineté et cette gratuité laissent entendre non seulement l’absence de
mérite mais encore l’incapacité humaine de l’appelé face aux exigences de
l’appel.
 La mission inhérente à la vocation : Dieu appelle pour envoyer.
 La mission a pour objet la Parole de Dieu, révélatrice de son dessein.
 La force et l’efficacité de la mission et de la Parole sont exclusivement garanties
par Dieu lui-même.
C’est à la lumière de l’expérience des prophètes vétérotestamentaires, et de Jérémie,
en particulier, que Paul a relu, compris, interprété et exprimé sa propre théophanie
fondatrice, sa vocation et sa mission. Il ne s’agit pas d’un simple procédé littéraire (le
midrash ou le pêcher), connu et répandu dans la Bible, de l’interprétation ou de
l’explication d’une situation, d’un événement ou d’une expérience d’actualité à la lumière
ou à la relecture d’un texte ancien (l’intertextualité18).
«En Rm 15,14 Paul caractérise la grâce qui lui est donné par Dieu en affirmant sa
conscience d’être appelé à être serviteur du Christ dans sa fonction sacerdotale, pour
dispenser à ce titre l’Évangile de Dieu aux Nations. Cependant, cette interprétation a peu
d’appui ailleurs chez Paul. Il se définit comme apôtre et prophète, non comme prêtre.
C’est donc dans la première et la deuxième interprétation d’ensemble – témoin de Pâques
(en 1Co 15,1-11, Paul se présente comme le dernier dans le groupe des témoins de
Pâques) et prophète - qu’on trouvera la compréhension qui lui est propre»19.
L’expérience théophanique de Paul se caractérise et se traduit par les cinq
composantes suivantes :

18
L’intertexte : la perception, par le lecteur, de rapports entre une œuvre et d’autres qui l’on précédée ou
suivie. L’intertextualité désigne la présence physique d’un texte dans un autre texte, par citation, allusion
ou plagiat.
19
J. BECKER, Op. Cit., p. 91.
P a g e | 26

1o L’irruption inattendue et fulgurante de Dieu dans la trajectoire de l’itinéraire


spirituel et le cheminement humain de Paul.
2o Il s’agit d’une expérience spirituelle, d’une illumination intérieure, analogue ou
assimilable à la théophanie fondatrice de la vocation et de la mission prophétique tel
qu’elles ressortent de la tradition vétérotestamentaire dont, comme tout juif et, en
particulier, tout pharisien, Paul était pétri. Les réminiscences de Jr 1,4-11 et d’Is 49,1 en
témoignent.
3o Il s’agit d’une expérience englobant qui s’empare de la totalité de l’être de Paul et
constitue un tournant décisif et déterminant dans sa vie.
4o Cette théophanie fondatrice comporte une dimension eschatologique. Paul fait la
rencontre avec le Christ qui, par sa mort et sa résurrection, a inauguré les temps derniers,
l’ère de l’accomplissement du plan salvifique de Dieu sur le monde.
5o L’absolu qui se révèle en Jésus Christ appelle une réponse radicale de l’homme.
Par rapport à l’unique absolu qu’est le Christ, Paul ne cherche ni l’approbation des
hommes ni leur reconnaissance. Sa référence dernière, c’est Dieu et Dieu seul.
SIXIEME CHAPITRE : LA VIE APOSTOLIQUE
Après l’événement de Damas, on a très peu d’information sur l’activité
missionnaire de Paul pour une longue période de temps. Certains auteurs ont parlé
d’années obscures. Les Actes des Apôtres signalent une prédication à Damas même et un
séjour à Jérusalem marqués déjà par des oppositions de toutes sortes de la part des Juifs
(Ac 9,19-30 ; cf. 2Co 11,32-33).
En effet Paul, dans la lettre aux Galates, même s’il est très bref, donne des
renseignements précis sur l’après Damas. On y apprend : qu’il a commencé la prédiction
«aussitôt» après la révélation ; qu’il est allé à Jérusalem seulement «trois ans après» et
qu’il n’y est resté que «quinze jours» pour rencontrer Céphas ; qu’il n’a vu «aucun autre
apôtre, sauf Jacques le frère du Seigneur» (Ga 1,16-19). On y apprend aussi qu’il s’est
rendu en Syrie (Antioche) et en Cilicie (Tarse) pour annoncer la foi (cf. Ga 1,21-24.
VI.1. LES TROIS VOYAGES MISSIONNAIRES DANS LES ACTES DES APOTRES.
P a g e | 27

L’Église d’Antioche était un centre de rayonnement important et un pied-à-terre


de l’Église primitive20. A trois reprises les Actes des Apôtres nous racontent un départ de
Paul à partir de cette ville pour un voyage missionnaire.
a) PREMIER VOYAGE : Ac 13,4—14,28 (ENTRE 45 ET49, AVANT
L’ASSEMBLÉE DE JERUSALEM
Ce voyage a été décidé lors d’une assemblée de prière de l’Église d’Antioche,
sous la mouvance de l’Esprit (Ac 13,1-3) Paul est doc le missionnaire de cette Église. Il a
duré deux ans ou trois ans. Paul et ses deux compagnons Barnabas et Marc ont tout
d’abord gagné Chypre. Jusque-là, Barnabas semble avoir été le «leader» du groupe, mais
à partir de Chypre, Paul le devient à son tour
Cette première mission a connu des succès et des échecs. Dès Iconium, Paul a eu
de la contestation de la part des Juifs (Ac 14,1-7). A Lystre, il a été lapidé (Ac 14,19). En
Pisidie, son succès auprès des prosélytes a déclenché une vive opposition de la part des
juifs (Ac 13,45) tant et si bien que lui et Barnabas se sont tournés définitivement vers les
païens (Ac 13,46). Par rapport à l’implantation de l’Évangile, les résultats de ce voyage
ont été positifs. Aussi à leur retour Paul et Barnabas ont réuni l’Église pour raconter cette
percée de la foi en milieu païen (Ac 14,28).
Mais la mission de Paul posait de plus en plus de problème à l’Église de
Jérusalem. Pour cette Église, la loi juive était de rigueur : un chrétien même issu du
paganisme devait la pratiquer. Or Paul prêchait le salut par la foi. Au plus fort de la crise
une «Assemblée» s’est tenue à Jérusalem en 48/49 dans le but de régler ce différend.
b) DEUXIEME VOYAGE : Ac 15,36—18,23 (ENTRE 49/50-52)
Au retour de l’assemblée de Jérusalem Paul et Barnabas sont restés de nouveau
quelque temps à Antioche, pour enseigner la «bonne novelle de la Parole du Seigneur»
(Ac 15,35). Puis ils décidèrent d’aller visiter les Église fondée précédemment en Asie
Mineure.
Ce voyage a conduit Paul jusqu’en Grèce. Il a visité les églises qu’il avait fondées,
puis il est passé par la Macédoine et il a fait un séjour à Philippes (Ac 15,36—16,11 ;
16,12-40). A Thessalonique (Ac 17,1-9) il a fondé une nouvelle communauté puis s’est
dirigé vers Athènes. Là, ce fut l’échec cuisant : son message de résurrection n’a pas
20
Cf. R. E. BROWN et J. P. MEIER, Antioche et Rome, berceaux du christianisme, Coll. L D 131, Paris,
Cerf, 1988.
P a g e | 28

passé. Il a été forcé de partir pour Corinthe où il a organisé une autre communauté qui
occupera une grande place dans sa vie (Ac 18,1-18). Après un long séjour d’un an et
demi dans cette ville, il poursuit son voyage et enfin descendit à Antioche (Ac 18,18b-
23a).
Le bilan de ce voyage est aussi positif : fondation d’églises jusqu’en Grèce ;
communauté chrétiennes de Macédoine et d’Achaïe bien organisées pour lesquelles Paul
gardera une affection particulière. L’Évangile l’emporte de plus en plus. Contre une telle
force, que peuvent les échecs auprès des Juifs, les coups, les procès ? Tout cela ne
compte plus…Paul lui-même l’écrira à maintes reprises dans ses lettres.
c) TROISIEME VOYAGE : Ac 18,23—21,6 (DE 52 A 58)
Durant le troisième voyage, Paul a visité les églises de Galatie et de Phrygie (Ac
18,23). Après avoir passé par le haut pays, il est arrivé à Ephèse où il est demeuré plus de
deux ans. Nous avons peu de détails sur son séjour. Les Actes des Apôtres racontent des
épisodes particuliers, mais restent silencieux pour le reste du temps. Et c’est la fin. Ce
voyage se confond avec un autre voyage à Jérusalem que Paul a effectué dans le but de
porter la collecte à l’église des saints (Ac 24,17).
Ce voyage est dominé par plusieurs annonces de la captivité de l’apôtre, captivité
qui semble imminente. Paul fait ses adieux à Milet (Ac 20,22-25). A Tyr, les disciples lui
demandent de ne pas monter à Jérusalem (21,4). A Césarée, le prophète Agabus décrit
d’une manière symbolique le sort qui est réservé à Paul (21,10-11). Mais Paul est
inflexible, malgré les supplications des disciples, il poursuit son voyage et arrive à
Jérusalem où les frères lui font bon accueil (21,17-26). Mais il sera arrêté (21,27-40).
Paul est essentiellement un missionnaire, un fondateur d’églises. Le monde alors
connu a été le lieu de son apostolat. Il fondait des Églises pourvus de leurs ministres et de
leurs moyens propres et capables de se prendre en charge, puis s’en allait ailleurs pour
poursuivre la même tâche missionnaire. Ses lettres montrent qu’il gardait un profond lien
de communion avec les Église qu’il avait fondées et dont il se considérait comme père
spirituel.
VI.2. LES RELATIONS AVEC LES EGLISES
Les relations de Paul et de ses communautés sont d’une qualité exceptionnelle. En
tant qu’apôtre, il est conscient qu’il détient une responsabilité envers les églises qu’il a
P a g e | 29

fondées et le message d’évangile dont il est porteur. Cette responsabilité lui donne des
pouvoirs certes, mais elle lui dicte surtout des devoirs qui déterminent son comportement.
S’il affirme avec vigueur son autorité, c’est avec une profonde tendresse qu’il s’adresse
aux membres de ses églises.
Non seulement il les aime, mais il doit en conséquence les avertir, les éduquer et
les corriger (1Co 4,14). Il peut leur demander d’imiter sa conduite. Il a le droit de
s’informer de leur façon de vivre le message qu’il leur a enseigné. Cette relation père/fils
et mère/enfant est présente très souvent dans ses lettres. Il est clair que le fait d’avoir
fondé ces églises crée chez Paul un lien très fort, un attachement viscéral. Et parler de
l’amour de Paul pour ces communautés nécessiterait de longs développements. Cet
amour est tellement grand que toutes les souffrances qu’il a subies s’effacent devant la
préoccupation quotidienne qui l’habite : le souci de toutes les églises (2Co 11,28).
Paul a puisé cette notion de paternité dans le terrain vétérotestamentaire et dans le
passé oriental rempli de sagesse. Mais il l’a exploitée à fond et lui a donné une dimension
et une portée insoupçonnée jusqu’alors. Il s’est perçu comme le père qui engendre ses
enfants bien-aimés ; la mère qui enfante et réchauffe sur son sein les enfants qu’elle
nourrit. Cet engendrement et cet enfantement se font par l’Évangile.
VI.3. SON SOUCI PASTORAL : L’ORGANISATION DE LA GRANDE COLLECTE
Paul s’est soucié des autres églises en particulier de l’église de Jérusalem. Les
Actes des Apôtres et les lettres de Paul font mention d’une ou plusieurs collectes dans les
communautés chrétiennes de l’époque de Paul en faveur de l’église de Jérusalem. Cette
église a toujours vécu dans un état précaire dont elle n’a jamais réussi à se relever
d’ailleurs.
La collecte organisée par Paul a été une grande entreprise réalisée dans un but de
charité, mais aussi dans un but politique : faire l’unité de l’Église. Les pagano-chrétiens
en donnant de leurs biens aux «saint» de Jérusalem démontraient ainsi qu’ils
comprenaient «la lettre et l’esprit de l’Évangile tout aussi bien qu’eux». Paul s’y révèle
un organisateur-né.
Sa préoccupation est d’assurer la spontanéité des dons et garantir la sécurité de
leur livraison. Aussi une réflexion théologique profonde sur l’offrande non seulement des
biens matériels, mais aussi de soi-même (2Co 8,3-5). Paul sait présenter la collecte
P a g e | 30

comme un service mais aussi comme une source d’action de grâce (2Co 9,12). La grande
collecte a donc été organisée par Paul pour la gloire de Dieu dans un grand esprit de
solidarité chrétienne. Son but est de maintenir l’unité de la foi et l’amour entre les
chrétiens des deux grandes nations du monde, les Juifs et les Païens.
VI.4. LA CAPTIVITE ET LA MORT
Le mystère le plus total enveloppe la dernière période de la vie de Paul. Le récit
des Actes des apôtres s’arrête brusquement en disant que Paul a vécu à Rome deux ans en
liberté surveillée, tout en continuant son apostolat (Ac 28,30-31). Pour reconstituer la fin
de la carrière de Paul, nous n’avons que des sources fragmentaires dont l’authenticité est
discutée (les lettres pastorales et la première lettre de Clément, de même que le canon de
Muratori). L’apôtre selon ces sources serait mort martyr, ce que laisse présager Ac 20,22-
25 (à comparer avec 21,13).
Une hypothèse admise par plusieurs historiens affirme que la captivité décrit en
Ac 28,30 s’est terminée par une libération de Paul. Trois indices s’accordent avec cette
hypothèse :
a) Le procès de Paul devant les officiers romains à Jérusalem et à Césarée
(23,29 ; 25,18.25 ; 26,31-32) aurait prouvé que sa cause était excellente.
Impossible donc de s’attendre à une condamnation à mort ;
b) Le genre d’emprisonnement que Paul a subi à Rome – en résidence surveillée
– 28,30 ne permet pas de supposer un dénouement fatal et la peine capital ;
c) Enfin les passages des Pastorales reconnus comme authentiques ne peuvent
convenir à aucun moment de la carrière de Paul avant sa captivité romaine.
Paul aurait-il réalisé son rêve d’aller évangéliser l’Espagne (Rm 15,24) ? Clément
de Rome et le canon de Muratori le supposent. De plus certains passages de Tite et de
Timothée laissent entendre que Paul aurait voyagé après son premier emprisonnement
(1Tm 1,3 ; 2Tm 4,13.20 ; Tt 1,5 ; 3,12) avant d’être de nouveau arrêté et de subir un
deuxième emprisonnement (2Tm 4,16-18). La tradition chrétienne a relié son martyre à
celui de Pierre sous la persécution de Néron (64-68)21.
SEPTIEME CHAPITRE : L’INFLUENCE DE LA VOCATION DE PAUL SUR SA
MISSION
21
R. E. BROWN et J. P. MEIER, Antioche et Rome, berceaux du christianisme, (LD 131), Paris, Cerf,
1988, p. 132.
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VII.1. L’APPEL DE DIEU, LA REPONSE DE L’HOMME


Un aspect important de la théologie de Paul est la compréhension de sa mission et
de son apostolat. Pourtant dans ses lettres, l’apôtre ne s’attarde jamais à décrire
l’événement de Damas dans ses détails. Il va droit à l’essentiel, et l’essentiel pour lui,
c’est d’une part l’appel de Dieu et d’autre part la réponse de l’homme. Toute adhésion au
christianisme est attribuée à l’Esprit (1Co 2,1-5). Il a été «saisi par Christ…», il s’élance,
tout tendu vers l’avant, sans regarder en arrière (Ph 3,12-14). Réconcilié avec Dieu par le
Christ… il est «en ambassade au nom du Christ, chargé par Dieu lui-même d’adresser au
monde l’appel de la réconciliation» (2Co 5,19-20).
Paul ne craint pas de situer sa propre vocation dans la lignée des grands prophètes
appelés et envoyés par Dieu (Ga 1,15). On retrouve dans son envoi en mission le même
processus que dans l’envoi d’un Moïse, d’un Isaïe et d’un Jérémie. Comme Moïse (Ex 3),
Paul a été saisi par Dieu alors qu’il accomplissait son devoir de Juif pieux et engagé. Son
devoir de pharisien irréprochable. Comme Moïse, il s’élance en avant dans une aventure
extraordinaire toute remplie du mystère d’amour de Dieu (Ph 3,4-14). Comme Isaïe (Is
6,5), il se reconnaît pécheur : «il m’est apparu à moi l’avorton» (1Co 15,8). Comme
Jérémie (Jr 1), il reconnaît l’initiative de Dieu qui l’a mis à part depuis le sein de sa mère
et qui l’a appelé pour annoncer l’évangile aux païens (Ga 1,16).
Annonceur de l’évangile, Paul fait partie de la lignée des apôtres : il commence
ses lettres en disant qu’il a été «appelé à être apôtre» (Rm 1,1 ; 1Co 1,1) ou encore en se
déclarant apôtre du Christ («2Co 1,1 ; Col 1,1…). Apôtre, il l’est au même titre que les
autres malgré son indignité (1Co 15,8-10) et c’est avec passion qu’il défend l’authenticité
de son apostolat (Ga 1,1—2,14). Pau avait-il raison de se déclarer apôtre ?
En hébreu, le nom dont le sens se rapproche le plus de l’idée que l’on se fait d’un
apôtre, c’est «shâliah» dérivé du verbe shâlah qui signifie : «envoyer». En grec, c’est
apostolos «envoyé» et apostellein «envoyer». Les mots «envoi» et «mission» sont en
quelque sorte soudés l’un à l’autre et cela tant au plan profane qu’au plan religieux. Au
plan religieux, dans la Bible, l’envoi en mission fait partie de l’histoire du salut. Dieu le
Père envoie son Fils Jésus qui après son séjour sur la terre envoie l’Esprit Saint. Jésus,
comme envoyé du Père, enverra ses apôtres de la même manière que le Père l’a envoyé
(Jn 20,21). Et les apôtres à leur tour enverront des délégués (1Co 4,17-18). Envoyer
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quelqu’un en mission, c’est donc un acte d’autorité qui confie une charge à une autre qui
le remplace.
C’est en Ga 1,6—2,14 que Paul montre qu’il a pleinement conscience d’être un
envoyé de Dieu. Pour lui, tout part de Damas. Avant Damas, il avait une certaines
connaissance de l’Évangile puisqu’il persécutait les chrétiens mais il n’acceptait pas que
Jésus mort sur la croix soit le Christ. Un crucifié ne pouvait pas être le Messie, car
«Maudit, quiconque est pendu au bois» (Ga 3,13 ; Dt 21,23)
Ce dévoilement de sa vocation nous renseigne sur l’appel qui parvient à Paul sous
forme de révélation et qu’il considère comme une grâce ; il nous apprend que la mission
spécifique de l’apôtre est l’évangélisation des païens et Paul a répondu à l’appel de Dieu.
Pour lui, la vocation apostolique est d’abord une grâce. De plus, personne ne l’a influencé
d’une façon quelconque dans sa prise de décision de s’engager dans l’apostolat chrétien.
A cet appel, l’apôtre répond aussitôt sans consulter personne. Son apostolat du
début est caractérisé par la hâte eschatologique qui, à l’époque, était normale puisqu’on
attendait le retour du Christ pour la fin du siècle. Annoncer le mystère du Christ comme
Fils de Dieu devient donc pour lui son travail, sa charge spécifique. Il en répondra devant
Dieu. Sa vocation a été une affaire personnelle entre Dieu et lui.
L’assemblée de Jérusalem illustre bien le charisme du discernement lié à l’autorité
dans l’Église et qui doit présider au dialogue en cas de divergence. «Vous le savez, frères,
c’est par un choix de Dieu que, dès les premiers jours chez vous, les nations païennes ont
entendu de ma bouche la parole de l’Évangile et sont devenues croyantes. Dieu qui
connaît les cœurs et leur a rendu témoignage, quand il leur a donné, comme à nous,
l’Esprit Saint» (Ac 15,7-8). «L’Esprit Saint et nous-même, nous avons en effet décidé de
ne vous imposer aucune autre charge que ces exigences inévitables…» (Ac 15,28). Le
discernement apparaît donc comme écoute, disponibilité et docilité à l’Esprit Saint.
Pourtant, l’accord de Jérusalem paraphé par les notables, n’a pas réglé les
problèmes chez certains personnages plus intolérants. Un juif n’avait pas le droit de
manger avec les païens…subitement, Pierre ne fréquente plus l’assemblée chrétienne, il
se tient à l’écart, pourquoi ? Parce que des judéo-chrétiens de l’église de Jacques, venus
de Jérusalem sont arrivés à Antioche…
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Devant l’attitude de Pierre, Paul est choqué. Si Pierre, après les accords de
l’Assemblée de Jérusalem, est encore hésitant, rien ne va plus. Et Paul, lui, n’a pas le
choix, s’il veut. Il doit respecter la vérité de l’Évangile et s’opposer à Pierre, quoi qu’il
advienne. D’ailleurs, Pierre n’est pas seul à avoir déserté l’assemblée communautaire :
Barnabas et plusieurs autres chrétiens l’ont suivi. Paul intervient donc devant tout le
monde :
Si toi qui es Juif, tu vis à la manière des païens et non plus à la juive, comment
peux-tu contraindre les païens à se comporter en Juifs ? (Ga 2,14).
L’apostrophe est cinglante. Paul a été très courageux. Sa prise de position montre
que l’apôtre était sûr de sa mission et de son autorité dans l’Église.
En résumé Ga 1,6—2,14 est la preuve autobiographique de l’authenticité de
l’Évangile et de l’apostolat de Paul. Ces deux chapitres sont essentiels pour comprendre
sa vocation voire toute vocation chrétienne. Tout en rendant compte de l’événement de
Damas, de l’apostolat qui s’en est suivi, l’Assemblée de Jérusalem et de l’incident
d’Antioche, Paul présente les critères de l’Évangile authentique et de l’apostolat
véritable. Il prouve par l’histoire de sa vie que :
a) Sa prédiction est authentique, il ne doit son évangile qu’à Dieu seul et non à
des influences humaines (Ga 1,11-24) ;
b) Son autorité apostolique et la qualité de sa prédication se sont vérifiées dans
ses premiers contacts avec l’église de Jérusalem (Ga 2,1-10) ;
c) L’incident d’Antioche atteste son autorité personnelle et la validité de son
Évangiles (Ga 2,11-14).
VII.2. L’APOTRE EST UN SERVITEUR
Paul a compris sa mission comme une charge, comme un service qui lui était
confié (1Co 9,16-17 ; 2Co 5,18-21 ; Ga 1,10). Il donne une définition précise de
l’apostolat : c’est un service (en grec : diakonia). Les apôtres sont des serviteurs de Dieu
et du Christ. Leur tâche est de transmettre à d’autres le message qu’ils ont reçu :
l’Évangile.
L’apôtre, le serviteur, ne se laisse jamais impressionner par les jugements et les
critiques. La seule personne qui a droit de juger son travail apostolique, c’est Dieu car
c’est lui qui lui a confié la charge. Il est d’ailleurs tellement difficile de juger si l’un ou
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l’autre ouvrier trahit la programmation de l’ensemble. Le Grand entrepreneur est là et la


construction se poursuit depuis deux mille ans… Des milliards d’années se sont écoulées
avant la pose de la fondation, Jésus Christ.
Pour Paul, le service apostolique présente deux caractéristiques essentielles : la
croix et la faiblesse. Si Dieu, dans sa sagesse, «a jugé bon de sauver ceux qui croient par
la folie de la prédication» (1Co 1,21) et si le contenu de cette prédication «est un Messie
crucifié» (1Co 1,23), le serviteur de la parole de la croix doit s’en remettre à la puissance
de Dieu (1Co 2,4). Et lui-même doit servir d’une manière conforme au Christ.
Le service apostolique est donc marqué par la croix. En 1Co 4,9-13, Paul énumère
les épreuves de l’apôtre. Chez lui, cette idée de combat apostolique a une portée
théologique. Parler de la croix, c’est parler de la faiblesse qui est l’autre caractéristique de
l’apôtre. Paradoxalement elle est le signe de la force et de la puissance de cet apôtre (2Co
12,7-10). Elle est le prolongement de la faiblesse de Dieu qui choisit toujours ce qui est
faible pour faire son œuvre : la preuve en est Jésus Christ crucifié qui dans sa faiblesse de
la mort va permettre à la force de Dieu d’éclater en puissance de résurrection.
C’est en 2Co 10—13 que nous découvrons le vrai Paul dans toute sa vérité
humaine et apostolique. Il apporte les raisons théologiques qui la motive : l’apôtre
communie à la faiblesse des chrétiens (2Co 11,29-30), l’apôtre doit être faible s’il veut
être porteur de la force du Christ (2Co 12,9) ; l’apôtre est témoin du Christ crucifié : sa
faiblesse devient signe qui actualise l’amour fou de Dieu. L’existence terrestre de Jésus
n’a pas échappé au temps de la faiblesse. Ce n’est qu’après ce temps qu’il ressuscite et
que nous le serons avec lui (2Co 13,3-4)
Paul combat donc avec virulence la théologie de ses adversaires qui prônaient les
extases et les prodiges afin d’éviter l’obligation de faire leur propre critique (2Co 13,5).
Les signes d’un apostolat véritable sont d’un tout autre ordre : 2Co 13 ; 11,23-28 ; 12,12.
VII.3. LES SOUFFRANCES DE L’APOTRE PAUL
Le signe distinctif du véritable apôtre de Jésus de Nazareth n’est pas son
éloquence ou sa sagesse, mais bien de souffrir à cause de l’Évangile. Il n’existe pas
d’apostolat authentique sans la croix qui l’authentifie. Paul montre cette lettre de
créance : les preuves de mon apostolat ont éclaté au milieu de vous par une patience à
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toute épreuve… (2Co 12,12). Ainsi il décrit ses souffrances et la manière de souffrir pour
l’Évangile. Voici les obstacles qu’il a rencontrés :
- Les attaques personnelles : 2Co 12,10 ; Ac 13,45 ; 2Co 1,15ss22 ; 2Tm 4,14.
- Les problèmes de la prédication : Ph 3,2 ; 1Co 15,32 ; 2Tm 4,17 ; 2Co 11,26 ;
Ac 28,22 ; 15,1 ; 9,26-30 ; 2Co 11,13 ; 2Co 6,8. La prédication de la croix fut
la croix de la prédication Ga 5,11.
- Les crises psychologiques
- Les problèmes civils à Philippes de Macédoine
- Les attaques physiques
- Les échecs pastoraux
- Sa vocation apostolique mise en cause
- Dans ses voyages fréquents il dut affronter tous les climats : froid et nudité,
tempêtes, rois naufrages, la fatigue inhérente et les assauts des brigands, les
crues des rivières, les dangers de ville et du désert, la faim et la soif 2Co
11,25-29.
- Le danger de mort chaque jour et à toute heure
- Une grande tristesse et une douleur incessante en son cœur
- L’écharde dans son corps
La principale préoccupation de l’apôtre était le souci de toutes les Église (2Co
11,28). Veiller à son unité, à sa formation et à son développement jusqu’à ce qu’elle
devienne semblable au Christ (cf. Ép. 4,13). Et sa pire souffrance fut la trahison des faux
frères (Ga 2,4 ; 2Co 11,26). Ceux avec qui il avait mangé et célébré la fraction du pain,
ceux qu’il avait choisis et soutenus mais qui ensuite lui tendirent des pièges par-derrière,
qui l’espionnèrent pour restreindre sa liberté (Ga 2,4) ou sortir ses phrases hors de leur
contexte et l’accuser ensuite par d’odieuses calomnies (Rm 3,8 ; 5,20 ; Ga 3,22).
La vie de Paul est une course d’obstacles permanents. Il vit cette première
condition de l’apôtre : souffrir à cause de l’évangile. Toutefois, ce n’est pas la douleur en
elle-même qui confère à l’apostolat son authenticité, mais bien la manière dont elle est
affrontée. L’équation n’est donc pas : je souffre, donc je suis apôtre. La clé se trouve dans
la manière dont je supporte la souffrance (2Co 6,4 ; Rm 5,3), cela n’a rien à voir avec la

22
J. PRADO FLORES, Le secret de saint Paul, Nouan-le-Fuzelier, Éditions des Béatitudes, p. 129-132.
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résignation passive face aux situations impondérables de la vie mais se réfère davantage à
la «science de savoir souffrir».
VII.4. LA RADICALITE DE LA MISSION APOSTOLIQUE
Pour Paul, le comportement d’un apôtre – d’un chrétien en général – est d’une
exigence radicale. Nous retrouvons ce qu’il pense d’une telle exigence dans la lettre aux
Philippiens.
La foi au Christ qui a permis à Paul d’accueillir le salut de Dieu ne peut pas ne pas
se manifester en amour. Amour de Dieu, amour du Christ et amour des autres. Et qu’est-
ce que l’amour sinon la «connaissance du Christ» - au sens biblique – pratiquée dans le
concret de la vie. Afin de se faire mieux comprendre, Paul s’est donné en exemple.
Cet exemple et celui d’un apôtre, bien sûr, mais il ne faut pas oublier encore une
fois qu’il s’adresse à des chrétiens. Pour lui, un apôtre est un chrétien et un chrétien est
un apôtre. Cela est important pour avoir une idée juste de sa christologie. Son discours
sur le Christ s’adresse à tous ceux qui ont la foi. L’exigence et la radicalité de la vie
chrétienne sont les mêmes que l’exigence et la radicalité de la vie apostolique. Et les deux
sont semblables à l’exigence et à la radicalité de la Croix.
Où est-ce que Paul a trouvé la théologie de la croix ?
C’est un fait que le mot croix est absent de l’A.T., ce qui n’est d’ailleurs même
pas étonnant. La croix comme instrument de supplice était d’origine perse (peuple
barbare). C’est passer chez les romains à travers les perses. On sait aussi que cette peine
était connue des grecs. La peine de la croix était réservée aux criminels et aux esclaves,
lorsqu’ils contestaient le pouvoir romain.
Dans le N.T., ce qui va provoquer l’emploi du mot croix, c’est la crucifixion de
Jésus. Il revient à peu près 80 fois dans le N.T. (stauros, stauroô). Il est cependant à
remarquer que plusieurs écrits du N.T. l’évitent, parce que l’horreur était lié à la
crucifixion. C’est dans les épîtres qui sont de la main de Paul qu’on voit développer la
théologie de la croix.
A côté de la croix, il y a le mot bois de la croix. La présence de la théologie de la
croix chez Paul est liée à deux faits :
 La crucifixion de Jésus,
P a g e | 37

 Paul a assimilé sa souffrance à la souffrance du Christ. C’est là l’originalité de la


théologie de Paul. (2Co 4,10)
VII.5. LE THEME D’IMITATION
Huit ou neuf fois dans ses lettres, Paul parle d’imitation «Imitez-moi comme
j’imite le Christ» (1Co 11,1; 4,16; Ph 3,17; 2Th 3,7-10; etc.). Le thème de l’imitation
implique l’idée de vivre comme le Christ et si Paul s’interpose entre le chrétien et le
Christ ce n’est pas par orgueil. Si l’on se rappelle toute l’importance qu’il donnait à son
rôle de père de ses églises on comprendra qu’il puisse instruire ses chrétiens par son
exemple.
Puisque les chrétiens ont accepté son Évangile, il est dans la normalité des choses
qu’ils suivent son exemple afin d’être fidèles à son enseignement, aussi ils doivent :
 Imiter son ardeur au travail et comme lui gagner leur vie afin de n’être à charge de
personne (1Th 1,6; 2Th 3,6-7);
 Imiter son comportement comme il imite celui du Christ (1Co 4,16; 11,1; Ph 2,5).
VII.6. L’ANNONCE DE L’EVANGILE

La mission de Paul est spécifique l’annonce de l’Évangile (1Co 1,17). On sait que
le mot évangile – en grec : euaggelion - signifie «bonne nouvelle». Tantôt il désigne le
contenu de cette nouvelle, tantôt sa proclamation. C’est un terme classique pour annoncer
la victoire et inviter le peuple à se réjouir en célébrant des festivités et des sacrifices. Le
terme «évangile» fait partie du langage courant à l’époque du Nouveau Testament. Nous
le trouvons dans les grandes prophéties messianiques : Is 52, 7; 61,1; Na 2,1; Ps 68; 96.
Dans ces textes il est sous forme du participe substantivé. On a utilisé ce mot comme
terme technique pour signifier la proclamation de la Bonne Nouvelle de Jésus. Toutefois
on le conçoit, le prononcée, car il s’agit de la proclamation de Jésus Christ lui-même en
tant que réalisateur du salut.
Cependant Paul a respecté les deux sens du mot :
Le premier sens, le contenu du message, est mis en lumière au chapitre 9 de la
première lettre aux Corinthiens. Ce contenu est quelque chose de très précieux puisque
l’apôtre est prêt à souffrir et à renoncer à ses droits pour ne pas faire obstacle à l’Évangile
du Christ : 1Co 9,15-19.
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Le deuxième sens, le message de Paul se focalise sur le Kérygme primitif, le cri


des apôtres, suite à l’expérience pascale, point culminant du ministère et de la mission de
Jésus. C’est dans le Christ ressuscité que se manifeste et se réalise l’avènement du Règne
de Dieu. La mort et la résurrection du Christ constituent l’événement central de l’histoire
du salut et l’objet de la prédication de Paul. Telle est la tradition qu’il a reçue et qu’il
transmet à son tour : 1Co 15,3-10.
C’est donc le Jésus Ressuscité qui intéresse Paul dans ses lettres : ce n’est pas le
Christ selon «la manière humaine» («2Co 5,16). L’histoire du prophète de Nazareth est
encore toute fraîche dans la mémoire des chrétiens, Paul n’a pas à la redire. Son Évangile
est la proclamation de «la puissance de Dieu» pour le salut de quiconque croit (Rm 1,16-
17). Son Évangile est la proclamation du salut par la foi en Jésus Christ (Ga 2,16; 1Co
1,18-25). En tant qu’apôtre et missionnaire, Paul interprète pour ses églises l’événement
Jésus, c’est là l’important. Ayant lui-même fait l’expérience de Dieu et ayant discerné la
vérité du Christ, son enseignement est centré sur le christ.
HUITIEME CHAPITRE : PAUL ET LE MONDE JUIF
VIII.1. LE JUIF DE LA DISPORA
Paul lui-même nous fait part, dans ses lettres, de son ascendance juive : Nous
sommes, nous, juif de naissance… (Ga 2,15) circoncis le huitième jour, de la race
d’Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu et pour la loi, Pharisien (Ph 3,4-5; Ga 1,13-14;
Rm 11,1; 2Co 11,22). Paul était un juif de la diaspora, et un pharisien, en plus. Malgré
l’influence grecque, il a toujours gardé au fond de lui-même le trésor de la foi juive,
trésor millénaire, et même après l’événement de Damas qui lui a révélé le Christ, il est
resté attaché à son peuple.
Paul est bien enraciné dans le milieu juif et dans la culture juive, cependant il faut
tenir compte que le judaïsme du premier siècle était en pleine mutation. Il n’est pas facile
de décrire la diversité de la pensée juive à cette époque. Des sectes nombreuses existaient
et même si toutes se réclamaient de la Torah et du Dieu de l’Alliance, des différences
notables les distinguaient.
Au plan linguistique, il faut faire la distinction entre la Diaspora orientale, où
l’usage de l’araméen était courant, et la Diaspora occidentale où le «koinè» était la langue
populaire. La Palestine se trouvait au milieu de ces deux courants. Et bien qu’on y parlât
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l’araméen et l’hébreu, la culture et la langue grecques exerçaient déjà une influence


réelle. Ainsi Paul, en plus de la langue populaire parlait «hébreu» (probablement
l’araméen) : Ac 21,40.
VIII.2. LA LOI ET L’ANCIEN TESTAMENT
En tant que pharisien Paul, était un juif rigoureux. Très souvent on lui a prêté des
sentiments et des pensées anti légalistes d’une façon exagérée, mais il faudrait peut-être
plus à fond ses exposés sur la foi et la loi. Beaucoup de ses lettres nous font part des
controverses qu’il a eues avec les judéo-chrétiens de même que certains passages des
actes des apôtres rendent compte de son rejet de la synagogue. Cependant il faudrait
savoir qu’à l’époque, les résistances du monde juif étaient normales face à
l’envahissement de toutes les sectes.
C’était sagesse de sa part, autrement il aurait fallu être juif d’abord et ensuite
chrétien. Nulle part dans les lettres ou dans les actes, il est dit que Paul n’a pas observé la
loi juive. Et lors de son arrestation à Jérusalem, il était au temple pour les rites de
purification avant l’offrande (Ac 21,26). Paul est le premier à nommer l’écriture «Ancien
Testament» («2Co 3,14) et ses lettres foisonnent de citations qu’il puise dans la Septante.
On peut remarquer chez Paul trois façons d’utiliser l’Ancien Testament :
 Les citations proprement dites
 L’emploi des citations
 L’exégèse elle-même.
Les citations explicites étant facilement repérables, nous expliquerons seulement les
deux derniers points. Dans sa foi au Christ, Paul scrute l’Écriture pour y découvrir
l’annonce de sa venue, le signe de sa présence. Moïse devient ainsi la figure du Christ; la
nuée d’Ex 13,21 et le passage de la Mer Rouge d’Ex 14,24 sont des figures du baptême.
Il voit dans la manne d’Ex 16,14-35 et dans l’eau du rocher d’Ex 17,5-6 des figures de
l’eucharistie (1Co 10,1-4). Il s’inspire des prophéties de Jr 31,31-34 et d’Éz 36,26
relatives à la nouvelle alliance pour expliquer la supériorité de son ministère comparé à
celui de Moïse. Dans tous ces cas, les citations ne sont pas textuelles, mais elles sont en
filigrane et elles courent tout au long des versets.
Quant à l’exégèse paulinienne, elle n’est pas une, elle est d’abord rabbinique. Elle
s’inspire des Targums, du Talmud et des Midrashim. Paul a adapté les méthodes
P a g e | 40

rabbiniques à sa manière innovatrice de voir les choses : pour lui, tout esclavage est aboli,
donc dépassé, même celui de la «lettre», aussi il a interprété l’Ancien Testament à partir
du mystère du Christ. Son exégèse est essentiellement christologique. Comme méthode, il
a utilisé la typologie et l’allégorie.
VIII.3. LA CONTESTATION JUDEO-CHRETIENNE
La contestation par des adversaires de tout acabit a été le pain quotidien de Paul.
Les juifs (non convertis à la foi chrétienne) et les judéo-chrétiens ont été, semble-t-il,
ceux qui ont le plus contrecarré son apostolat : les premiers ne lui ont pas pardonné son
intégration au christianisme, ils l’ont considéré comme un renégat; les seconds lui ont
reproché sa grande liberté face à la loi et «aux traditions des pères».
Paul a su accomplir l’unification par sa fougue apostolique, par sa fidélité au
message authentique de l’Évangile et par son sens de l’adaptation. Mais cela ne s’est pas
fait sans heurts et sans oppositions. Chacune de ses lettres contient plus ou moins de
traces de sa vie polémique contre ses adversaires.
A Corinthe, l’église est divisée de l’intérieur par les «partis» (1Co 1—4) mais il y
a aussi l’offenseur (2Co 7,12) et les «super-apôtres» (2Co 11,5) qui sont à l’œuvre
aussitôt après le départ de Paul. Le premier n’est pas facile à identifier; les seconds sont
probablement des judéo-chrétiens, ministres du Christ (2Co 11,25). La deuxième lettre
aux Corinthiens est toute entière rédigée par Paul dans le but de défendre son apostolat. Il
y fait sa propre apologie avec beaucoup de passion. Très souvent même la colère
l’emporte.
L’église de Philippes a été aussi le théâtre de luttes pour la foi. Les «opposants
d’origine juive ou en relation avec le judaïsme» (Ph 3—4) sont à l’œuvre. Paul ne les
ménagera pas. Il avertira ses chrétiens de ne pas se laisser berner par tels apôtres :
«Prenez garde aux chiens! Prenez garde aux mauvais ouvriers! Prenez garde aux faux
circoncis!»
Enfin la lettre aux Galates nous montre une église en pleine crise. Les agitateurs
prêchent «un autre Évangile» et «jette le trouble» parmi les chrétiens (Ga 1,7-8). De plus
ils contestent l’authenticité de l’apostolat paulinien. Ils sapent l’autorité de l’apôtre et ils
font tout pour les détacher de lui. Ils font miroiter à leurs yeux la possibilité d’une grande
sainteté en acceptant la circoncision.
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Qui sont ces agitateurs? Ils pourraient être des chrétiens d’origine juive hellénisée
pour lesquels la circoncision est un sujet de discussion. Ils pourraient être d’anciens
païens devenus prosélytes juifs avant d’avoir été baptisés. Quoi qu’il en soit ces judaïsant
sont des partisans farouches du judaïsme et ils veulent resserrer les liens avec cette
religion alors que Paul prêche la liberté chrétienne.
Le ministère apostolique de Paul n’a pas été de tout repos et beaucoup de ses
souffrances lui sont venues justement des Juifs. Cependant il faut reconnaître que ces
groupes adverses n’étaient pas l’ensemble de la communauté juive, puisqu’en définitive
beaucoup de chrétiens étaient comme Paul des Juifs convertis (2Co 3,16) qui
comprenaient le vrai sens du message de la libération chrétienne prêchée par lui.
VIII.4. PAUL ET QUMRAN
«Tant Jésus de Nazareth, l’annonceur sinon le fondateur du christianisme que Paul
de Tarse, le premier et le brillant théoricien, appartenaient à la société judaïque la plus
représentative, le second plus encore car culturellement bilingue. La littérature juive qui
s’en dégage impose comme deux majeurs à l’existence et à l’identité judaïque : le Temple
et la Torah. Ces deux réalités constituent l’espace symbolique voir idéologique d’une
double préparation : du Temple métaphorique de chrétiens et de la religion sans Temple
du système rabbinique. Par ailleurs, on s’accordait sur un corps encore mal défini de
livres saints, la loi et les prophètes, disait-on. Les diverges provenaient de l’interprétation
seule.
Les livres de références demeuraient les mêmes pour le judaïsme comme pour le
christianisme. Mais la doctrine chrétienne s’affirmera sur base d’une interprétation
radicale différente, et par elle, s’exprimera la rupture. Quels sont donc les points de
rupture du christianisme par rapport au judaïsme?
1o Avec Jésus de Nazareth et Jean le Baptiste, ainsi qu’avec Paul de Tarse, la
tradition judaïque se trouva libérée des pudeurs de l’anonymat (Maître de justice,
Interprète, Surveillant, Instructeur, Messie, Prêtre… Ces idées nouvelles s’expriment
dans un corps de récits, de messages et bientôt de doctrines, appelées globalement
«Évangile».
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2o Une personne s’éleva d’emblée, émergea au-dessus des autres au point de


s’imposer comme fondatrice. Elle a un nom d’état civil : Jésus de Nazareth. Elle passera
à la postérité avec un titre grec : Christos. D’où, Jésus Christ.
- Jésus est un Galiléen
- Jésus est un homme de tradition
- Jésus est un rassembleur et un meneur d’hommes
- Jésus est mystique et un visionnaire
- Jésus est un prophète pédagogue.
Bref, Jésus de Nazareth a vécu et a évolué au contact des divers courants d’idées,
de doctrines et de pratiques qui coexistaient dans la société judaïque de son époque.
Quant à savoir si Jésus fut essénien ou s’il séjourna dans le complexe de Qumran, c’est
un faux problème. La question qui n’aura jamais de réponse. Ce qui vaut d’ailleurs pour
Jean le Baptiste, et même, s’il le fallait, pour Paul de Tarse.
3o Écrits de Qumran et les antécédents formels du christianisme de Jésus-Christ.
a) LE TROPISME DU DESERT
Le désert apparaît comme un lieu de purification, un lieu par excellence des
expériences spirituelles et mystiques, de la rencontre avec Dieu, de la purification et de la
préparation aux missions prophétiques particulières. (Is 40,3).
b) L’ACCOMPLISSEMENT DES ECRITURES
Jésus-Christ est l’accomplissement des Écritures. «Il faut que s’accomplisse tout
ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes» (Lc 24,44).
c) LE MESSIE
Le Messie avec grand «M» y a sa place, une belle place. Il désigne la personne
attendue, du roi des temps nouveaux. Victorieux, il rassemble tout son peuple Israël dans
une aire de bonheur partagé. Ce n’était plus l’adjectif qu’on traduit par «oint», appliqué à
de distingués agents aux charges diverses mais le substantif que l’on traduit par
«Messie». Dans ce sens il n’existe pas de Messie dans la Bible.
Trois figures messianiques se dégagent de documents venus des onze grottes :
- Le Messie d’Israël, figure royal et guerrière, Rejeton de David : Fils de David,
dira-t-on plus tard dans les textes chrétiens dès le Nouveau Testament, et dans
les écrits rabbiniques à partir du Talmud.
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- Le Prêtre, ou Pontife idéal, auquel est donné le titre de Messie d’Aaron.


- Un personnage aux traits et fonctions célestes mais sans désignation
messianique formelle : un Messie sans le titre mais à plusieurs visages.
Voilà les trois figures messianiques. La première est loin la plus attestée. La
deuxième, à laquelle elle est subordonnée, l’accompagne volontiers. La troisième est plus
rare.
Le grec Christos, littéralement «enduit» d’un produit graisseux, équivaut à
l’hébreu «mashiah», d’abord «oint», comme l’étaient les prêtres, les rois et les chefs de
guerre, puis Messie au sens unique et spécifique.(…) Du messianisme, il ne restait que le
nom, et encore travesti sous une forme grecque. Et pour cause : l’image du Messie
sacerdotal s’improvise vite comme dominante, sans le titre de Messie, au demeurant. La
personne du Christ comme prêtre devient centrale voir essentielle dans les textes
fondateurs23.
Du sens originel des mots, le Christ n’est plus le Messie; Christos n’est pas
Mashiah; le christianisme, ce n’est plus le messianisme. A la vérité, les Juifs croient au
Messie et non au Christ, mais au Messie qui viendra24.
d) LE REPAS FESTIF DE LA FIN DES TEMPS
On trouve dans les écrits de Qumran la description des repas festifs
communautaires. On peut notamment lire dans la règle de la communauté : «Quand dix
hommes appartenant à la communauté se trouveront rassemblés, une fois la table dressée
pour le repas et le vin nouveau disposé pour être bu, c’est le prêtre qui étendra le premier
la main afin de bénir les prémices du pain et le vin nouveau…».
L’eucharistie est un repas collectif à fonction sacrificielle, assurant à la
communauté chrétienne une cohésion mystique, l’unité célébrée de corps social.
e) LE REGNE ETERNEL DU FILS DE DIEU
On trouve dans un fragment araméen d’un des manuscrits de la mer Morte (4Q
246) un passage très proche de l’Annonce à Marie. Trois éléments de ce texte se trouvent
littéralement dans l’annonce à Marie de l’évangile selon Luc :
1o Alors se lèvera un roi et il sera grand sur la terre.

23
Voir l’épître aux hébreux.
24
Cf. A. PAUL, Qumran et les Esséniens. L’éclatement d’un dogme, Paris, Cerf, 2008, p. 89-90.
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2o Tous le serviront et il sera appelé le saint du Grand Dieu…Fils de Dieu il sera


dit et Fils du Très-Haut ils l’appelleront.
3o Son règne sera un règne éternel, et pas un des abîmes de la terre ne l’emportera
sur lui.
Les similitudes sont tellement frappantes que ces deux textes peuvent être
rapprochés et comparés. Luc a vraisemblablement repris des expressions ou des phrases
qui circulaient depuis des décennies dans les communautés judaïques. Trois sources
judaïques du théoricien Paul de Tarse :
- Le salut et la justification par les œuvres ou par la foi : «C’est seulement par ta
bonté qu’un homme sera justifié»25. C’est le principal thème de la doctrine que
l’on trouve également chez Paul, notamment dans l’épître aux Romains et
dans celle adressé aux Galates.
- La communauté sainte comme Temple du véritable Dieu : Paul présente
l’existence humaine depuis la venue du Christ comme un espace de partage et
d’opposition entre la justice et l’impiété, la lumière et les ténèbres, le Christ et
Bélial, le fidèle et l’infidèle.
- Les antécédents sapientiaux de l’antithèse «chair et esprit» : Il est clair que
l’usage négatif de «basar» chez Paul, pour désigner la nature corrompu de
l’homme a son origine dans les cercles de sagesse de la société judaïque du
IIIe siècle et du début du IIe siècle av. J.C.
Son rôle clé est qu’il a su faire une synthèse admirable de la foi de ses pères et la foi en
Christ. Ses lettres sont des documents exceptionnels et son œuvre missionnaire a été
unique.
NEUVIEME CHAPITRE : PAUL ET LE MONDE GREC
IX.1. L’INFLUENCE HELLENISTIQUE
Tout juif qu’il était, Paul n’en était pas moins renseigné sur les notions
essentielles de la pensée helléniste. Il n’aurait pas pu retenir l’attention du monde gréco-
romain imbu des spéculations philosophiques s’il avait été incapable d’opposer à la
sagesse de l’époque une sagesse supérieure qu’il nomme paradoxalement «folie» - la
parole de la croix – (Cf. 1Co 1,18-25). Sa prédication a été à la mesure des hommes à qui

25
1Q 21 1 1 3-7.
P a g e | 45

il s’adressait. Sa conception de Dieu s’est élargie et spiritualisée. Le Dieu Père de Notre


Seigneur Jésus Christ (Ép 1,3) et l’Esprit venu de Dieu par le Fils habitera dans les
chrétiens (1Co 6,19; 12,13).
Au milieu du 19e siècle, F. C. Baur (suivi de C. F. Heinrici et de plusieurs
disciples) a discerné l’influence grecque sur l’éthique paulinienne. Il a fait par exemple le
rapprochement entre l’antithèse «chair/esprit» - étrangère à l’anthropologie juive – et les
théories platoniciennes.
Les exégètes sont arrivés à la conclusion que l’apôtre s’était servi de cette version
de l’Écriture presque exclusivement. Paul était un juif hellénisé de la Diaspora et ses
lettres étaient marquées par le style et la pensée grecs. A Deissmann après avoir comparé
le grec des lettres pauliniennes avec le grec des manuscrits de la même époque a montré
que les nombreux hébraïsmes avaient des équivalents dans les formules populaires et il
en conclu que Paul parlait et écrivait la langue en usage à l’époque – la Koinè –
Aujourd’hui la majorité des critiques modernes reconnaissent l’influence de la
culture hellénistique sur Paul. Cette influence explique certains passages de ses lettres :
 La citation d’un poète grec (1Co 15,33);
 L’utilisation de certaines métaphores (1Co 9,24-27; 12,12ss);
 L’emploi de l’antithèse et de la diatribe (Rm 2,1-20; 3,1-10; 9,19-10);
 Son vocabulaire emprunté au stoïcisme : conscience (1Co 10,25-29); vertu (Ph
4,8ss); raison, intelligence (1Co 14,14-15).
Tous ces exemples et bien d’autres nous montrent comment Paul a été un pédagogue
extraordinaire pour mettre son évangile à la portée des païens. Il a su présenter le
message chrétien et en faire un message universel.
IX.2. LES RELIGIONS A MYSTERES
Paul s’est aussi attaqué aux puissances –ces divinités intermédiaires – qui jouaient
un rôle important dans les religions à mystères. A plusieurs reprises il montre dans ses
lettres que ces puissances sont les ennemies du Christ, qu’elles ont été ou qu’elles seront
vaincues par lui (Col 2,15), mais hélas! Qu’elles sont encore assez fortes pour séduire les
hommes (1Co 15,22-25; 8,5; 10,20-22).
Il y a bien certaines ressemblances entre les religions à mystères et le
christianisme :
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 Un salut offert aux adeptes


 Un rite d’initiation est nécessaire
 Le titre de Seigneur est donné à un dieu sauveur.
On reconnaît que Paul a pu se servir du langage de ces religions pour se faire mieux
comprendre des chrétiens de son temps. Cependant il faut ajouter que :
 Si les religions à mystères étaient toujours prêtres à se combiner à d’autres
religions, le christianisme, lui, était convaincu d’avoir seul la vérité;
 Le titre de Seigneur donné à Jésus, vient de l’Ancien Testament;
 Les religions à mystère elles-mêmes ont accusé les chrétiens d’athéisme parce
qu’ils refusaient les autres dieux.
IX.3. PAUL, UN HOMME DE SON TEMPS
En résumé, on peut dire que Paul a emprunté beaucoup à la philosophie grecque,
mais cela ne signifie pas nier d’un seul souffle l’influence du judaïsme tardif sur l’apôtre.
Il serait sage de voir en Paul un homme de son temps – Juif de la Diaspora – vivant dans
un monde imprégné de culture hellénistique. Il a su s’adapter à ce monde en mutation.
Son œuvre est marquée par les deux cultures.

DIXIEME CHAPITRE : LE GENRE EPISTOLAIRE


X.1. L’IMPORTANCE DU GENRE EPISTOLAIRE DANS LA BIBLE
L’Ancien Testament ne contient que quelques passages épistolaires (2S 11,14-15;
1R 21,9-10; 2R 19,10-12; Jr 29,1-23 : la lettre aux exilés…). Le Nouveau Testament au
contraire présente 21 lettres sur les 27 écrits qui le composent et 14 font partie de ce qu’il
est convenu de nommer «le corpus paulinien», ce qui n’implique pas nécessairement que
Paul soit l’auteur de toutes ces lettres.
Comment expliquer l’importance du genre épistolaire dans le Nouveau
Testament? D’une part, ce genre était largement pratiqué par les philosophes du monde
gréco-romain pour diffuser leur enseignement et d’autre part les rabbins juifs utilisaient
aussi la lettre pour répondre aux questions des Juifs de la Diaspora. Paul aurait suivi la
tendance générale pour communiquer avec les églises et pour compléter l’enseignement
chrétien déjà amorcé dans la prédication.
X.2. L’AUTHENTICITE DU CORPUS PAULINIEN
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Le problème de l’authenticité des lettres pauliniennes s’est posé dès le 2è et le 3è


siècle, notamment à propos de la lettre aux Hébreux. Les treize autres lettres ont été
attribuées à Paul jusqu’au 19è siècle. F.C. Baur de l’école de Tubingue remit en question
l’authenticité de plusieurs d’entre elles et ne retint que Ga, Rm, 1 et 2 Co.
Aujourd’hui, de manière générale :
- Rm, 1Co, 2Co, Ga, Ph, 1Th, Phm sont reconnues comme authentiques.
- 2Th, Col sont souvent controversés;
- Ép est très controversé
- 1Tm, 2Tm, Tt, qu’on appelle les lettres pastorales sont attribuées à un disciple
de Paul.
L’authenticité s’établit sur base de l’identité ou de la cohérence du style, du ton et
des perspectives doctrinales ou théologiques. La pseudépigraphie était alors une pratique
courante, qu’on retrouve également dans la Bible. Elle consiste, à attribuer un écrit, pour
lui donne de la valeur et du crédit, à un auteur illustre et faisant autorité. C’est le cas pour
la plupart des livres bibliques… qui n’en demeurent pas moins la parole de Dieu. Et c’est
l’essentiel.
X.3.LA DISTINCTION ENTRE LA LETTRE ET L’EPITRE
La Lettre est un écrit de caractère privé et confidentiel que l’on adresse à une
personne pour lui communiquer une nouvelle ou encore demander un service ou un
renseignement…Elle peut aussi être destinée à un groupe de personnes bien déterminées,
mais le but de l’envoie demeure un communication privée en rapport avec des
circonstances particulières concernant ces personnes. Habituellement de style spontané,
la lettre n’est pas une œuvre littéraire à proprement parler. Elle est plutôt une sorte de
dialogue, de conversation à distance dont nous nous ne connaissons qu’une des parties.
L’auteur fait part de ses sentiments à ses correspondants. Il se raconte et il s’informe. Il
encourage et il console. La lettre est considérée comme un écrit familier et passager.
L’Épître est une «lettre missive», c’est-à-dire une lettre à caractère public,
adressée à des personnes indéterminées. Elle est destinée à être diffusée afin d’atteindre
le plus de lecteurs possibles. Elle traite de sujets précis développés de façon systématique
et structurée. L’auteur suit des règles et des procédés en usage dans toute œuvre
littéraire : plan rigoureux, style soigné et développement bien fait.
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X.3.1. L’IDENTIFICATION DES ECRITS PAULINIENS


Ces écrits sont considérés comme des lettres par plusieurs critiques, mais certains
hésitent et les voient comme des épîtres parce qu’ils sont jamais strictement privés :
- Paul décline ses titres d’une manière officielle : 1Co 1,1.
- Il ajoute à son nom le nom de ses collaborateurs comme étant co-expéditeurs :
1Th 1,1.
- Souvent, il énumère les titres de ses destinataires ce qui fait que ces derniers
ne sont plus des personnes ordinaires : 2Co 1,1.
- De plus, à cause de leur contenu dont le but est d’affermir la foi, ces lettres
sont destinées à être lues en public, dans les assemblées chrétiennes : 1Th
5,27.
- Et enfin, elles doivent même être échangées entre les communautés : Col 4,16.
Nous sommes donc obligés d’admettre que ces lettres ont un caractère public,
même si elles sont des écrits occasionnels répondant à des besoins précis. Elles sont en
fait des écrits religieux officiels provenant d’une personne en autorité. Leur envoi a été,
semble-t-il, décidé et approuvé par les «responsables» d’une église. Destinées à être lues
en assemblée, elles doivent même circuler entre les communautés diverses.
X.3.2. LE CANEVAS D’UNE LETTRE ET LE TRAITEMENT QUE PAUL LUI A
DONNE
Les lettres antiques comprenaient trois parties :
a) L’adresse ou salutation caractérisée par sa brièveté et généralement formulée
ainsi : le nom de l’auteur (au nominatif), le nom du destinataire (au datif) suivi
des souhaits.
b) Le corps de la lettre ou le sujet traité.
c) La conclusion ou la finale qui se limite souvent à un simple souhait. Cette
conclusion était écrite habituellement par l’expéditeur et elle authentifiait la
lettre car la signature était inconnue des anciens.
Paul a respecté ce formulaire classique dans ses grandes lignes et, l’a adapté et
transformé quelque peu :
a) L’adresse est devenue sous sa plume l’occasion d’expliciter son titre d’apôtre
et de louer ses destinataires : 1Co 1,1-3.
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b) Le corps de la lettre est développé suivant les règles en usage. Le style et la


façon d’argumenter de Paul sont caractérisés par l’influence du discours –
style oratoire – et particulièrement par l’utilisation de la diatribe et l’antithèse.
De plus il a abondamment cité l’Ancien Testament.
c) Les souhaits se sont transformés en bénédiction et en action de grâce : 1Th
5,28; 2Th 3,18; 1Co 16,23; 2Co 13,13.
d) On peut ajouter ici que le style de Paul est oratoire. On sent partout l’influence
du discours dans sa rédaction et plus ses lettres se rapprochent de l’épître, plus
cette influence est accentuée, par exemple les grands développements de
Romains sur la justice de Dieu (1—3), la foi (4), la mort et la vie avec le
Christ (6), la loi (7), la libération par l’Esprit (8).
e) Il faudrait enfin souligner la longueur de ses phrases (2Co 8—9). En
témoignent certaines formules récitatives (1Th 1,9-10), les descriptions
apocalyptiques (1Th 4,16-17; 2Th 2,3-4; 8-12), le rythme de certains passages
(2Co 11,22-23), et, les ruptures dans la construction de ses phrases – les
anacoluthes – (1Co 9,15). On a souvent l’impression que Paul est là devant
nous, emporté par le feu du discours : 2Co en entier est particulièrement
révélatrice à ce sujet.
CONCLUSION
Paul s’inscrit dans la lignée des prophètes et des apôtres. Appelé par la grâce et
l’initiative divines, il a reçu la révélation du Fils de Dieu, en même temps que la mission
d’aller l’annoncer aux nations païennes. L’accomplissement de cette mission s’enracine
donc dans la vocation de Paul, expérience de Dieu exprimée dans l’événement de Damas,
qui continuera à influencer et à marquer tout son être, son agir et son discours. Paul est un
mystique dont le ministère et la doctrine s’enracinent dans la révélation du Fils de Dieu.
Son expérience de Dieu, son ministère apostolique et son discours théologique
s’imbriquent et s’enracine dans cette mystique qui définit et détermine sa trajectoire
spirituelle et missionnaire.
Paul focalise son discours sur le Kérygme primitif reçu des Apôtres, le cri de
Pâques : Jésus est ressuscité. C’est pourquoi le Christ ressuscité devient la valeur
suprême et le fondement de la foi. En Christ, c’est l’absolu de Dieu qui se révèle, se
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manifeste et se réalise. C’est en lui, avec lui et par lui que les hommes sont justifiés,
sauvés, non pas à cause de leurs mérites, mais par la grâce découlant de la mort et de la
résurrection du Christ. Tel message dont Paul a été chargé par Dieu lui-même à
l’intention de toutes les nations sans distinction.
Aussi le chrétien est-il invité à rechercher la connaissance du Christ, c’est-à-dire
la communion avec lui et la participation à sa mort et à sa résurrection. Et cela comporte
une transformation intérieure qui se traduit par la naissance à la vie nouvelle en Christ et
par un comportement désormais régi par l’amour de Dieu et du prochain. Foi et vie,
vérité et morale sont intimement liées et imbriquées, dans cette existence nouvelle dans le
Christ.
«A celui qui peut, par sa puissance qui agit en nous, faire au-delà, infiniment au-
delà de ce que nous demandons et concevons, à lui la gloire dans l’Église et en Jésus-
Christ, pour toutes les générations, au siècle des siècles. Amen». (Ép. 3,20).
P a g e | 51

DEUXIEME PARTIE : LA THEOLOGIE PAULINIENNE26


PREMIER CHAPITRE : LES LETTRES AUX THESSALONICIENS
I.1. THESSALONIQUE, SON EGLISE ET LE BUT DES LETTRES
I.1.1. L’EVANGILE DE PAUL A THESSALONIQUE
C’est au cours de son deuxième voyage missionnaire que Paul arrive à
Thessalonique et y annonce l’Évangile. Thessalonique, la plus importante des villes de
Macédoine (partie nord de la Grèce actuelle), était une ville cosmopolite. La communauté
juive était importante et y possédait une synagogue (Ac 17,1). Important port de mer et
ville commerçante, Thessalonique était un carrefour religieux où se côtoyaient les cultes
locaux et les religions venues de l’étranger.
Forcer de quitter Philippes (1Th 2,2; Ac 16,39-40). Paul arrive à Thessalonique
vers l’an 50. Les Juifs soulèvent alors la foule, et Paul et Silas, qui sont mis en accusation
et recherchés, n’ont d’autre choix que de quitter la ville en toute hâte (Ac 17,5-10).
D’après les Actes des Apôtres, Paul n’a pu prêcher dans la synagogue de
Thessalonique que durant trois sabbats (17,2), Mais les épîtres laissent supposer que son
séjour dans cette ville a été plus long. On peut penser à une durée de quelques mois.
D’une part, Paul a eu le temps de se mettre à un travail matériel qui assure sa subsistance
(1Th 2,9) et de constituer une communauté chrétienne assez nombreuse, formée d’une
majorité de païens convertis (1Th 1,9-10). D’autre part, Paul a conscience de n’avoir pas
eu le temps suffisant pour terminer la formation de sa communauté nouvelle et la
préparer à tenir bon devant l’épreuve (1Th 3,1-10). Il s’en inquiétera par la suite. C’est un
des motifs qui l’amèneront à écrire à ses chers chrétiens de Thessalonique.
Un petit tableau permet de voir comment les Actes des Apôtres et la première
lettre aux Thessaloniciens se recoupent et se complètent sur les données historiques
LE LIVRE DES ACTES DES APOTRES LA PREMIERE LETTRE AUX
THESSALONICIENS
15,40 Départ d’Antioche : Silas compagnon de route. 1,1 Silvain cosignataire de la lettre (Silas=
abrégé de Silvain)
16,1ss Timothée compagnon de route 1,1 Cosignataire

26
Cette deuxième partie est constituée principalement de larges extraits tirés d’un ouvrage collectif :
Maurice CARREZ, Pierre DORNIER, Marcel DUMAIS, Michel TRIMAILLE, Lettres de Paul, de
Jacques, Pierre et Jude, Coll. Petite Bibliothèque des Sciences Bibliques, Nouveau Testament no3, Paris,
Desclée, 1983.
P a g e | 52

16,9ss Paul et ses compagnons passent en Europe


16,12ss Ils font des conversions à Philippes en 2,2 Allusion
Macédoine, sont mis en prison et délivrés.
17,1ss A Thessalonique : évangélisation, conversion, 1,6-10
émeute.
17,14 Silas et Timothée restent ne Macédoine, Paul va en 3,1…6 Timothée va et vient de Grèce en
Grèce. Macédoine.
17,15ss Paul à Athènes
18,1 Paul passe à Corinthe 3,1 Timothée est parti d’Athènes.
18,5 Silas et Timothée le rejoignent
18,6 Silas et Timothée le rejoignent 3,1ss Ils envoient la lettre ensemble.
18,6 Opposition des Juifs de Corinthe 3,7 Paul en difficulté.

I.1.2. OCCASION ET BUT DE 1 THESALONICIENS


En quittant Thessalonique, Paul se rend à Bérée puis à Athènes. Inquiet de ce que
les persécutions contre les chrétiens continuent toujours à Thessalonique (1Th 2,14-15;
3,3-4), Paul y envoie Timothée pour prendre de leurs nouvelles et les encourager dans
leur foi (1Th 3,2-5). Il est à Corinthe lorsque Timothée revient de sa mission et lui fait
son rapport. Il décide alors d’écrire à ses chrétiens de Thessalonique. La mention faite
dans les Actes 18,12 de Gallion comme proconsul lors du séjour de Paul à Corinthe
permet de fixer la date de cette première lettre : l’an 51.
D’après la lettre écrite par Paul, le rapport de Timothée contient deux séries
d’informations. Tout d’abord, sur le fond, C’est-à-dire sur l’essentiel de la vie chrétienne,
les nouvelles sont bonnes : la foi, l’espérance et l’amour des chrétiens de Thessalonique
demeurent bien vivants et même s’approfondissent au choc des difficultés et des épreuves
(1,3; 3,6-8); ces chrétiens font même figure de modèle pour tous les croyants des régions
voisines (1,7-8).
Toutefois, la communauté se pose des questions au sujet du moment de la
Parousie du Christ (5,11) et elle s’inquiète de sort réservé à ses membres qui meurent
avant le jour de cette Venue (4,13). De fausses conceptions doctrinales entraînent chez un
certain nombre des déviations au plan moral. Plusieurs se laissent gagner par la tristesse
ou l’agitation (4,13; 4,11; 5,14). La communauté fait aussi face à des situations de
débauche (4,3ss) et d’oisiveté (4,11-12).
P a g e | 53

La lettre que Paul écrit aura donc un double but. Elle sera tout d’abord une lettre
d’action de grâce, de félicitations et d’encouragement. Dans le cadre d’une action de
grâce qui se prolonge sur les trois premiers chapitres, Paul se réjouit de la fécondité de
l’œuvre d’évangélisation réalisée à Thessalonique et il encourage ses chrétiens à affermir
leur foi au milieu des persécutions (1—3). Il entrepend ensuite de corriger les déviations
qui se dessinent dans la communauté. Il répond aux inquiétudes suscitées par les décès
survenus et la vive attente de la Parousie (4,13—5,10). Il exhorte la communauté à une
version de vie sur les points particuliers du laxisme sexuel (4,1-8), de l’amour fraternel
(4,9-10) et de l’oisiveté (4,11-12).
I.1.3. L’AUTHENTICITE ET LE BUT DE 2 THESSALONICIENS
Si l’authenticité paulinienne de 1Th n’est pas sérieusement mise en doute, il n’en
est pas ainsi de 2 Th. Les opinions sur son origine sont partagées.
Selon certains, 2Th ne peut pas avoir été écrit par Paul, pour deux raisons
principalement :
L’enseignement de 2Th 2,1-12 s’oppose à celui de 1Th 5,1-6. La première épître
enseigne l’arrivée soudaine et imprévisible de la Parousie. La deuxième affirme que des
signes bien perceptibles vont précéder cette arrivée. De plus, jamais dans la suite de ses
écrits Paul ne fera allusion au scénario précurseur de la Parousie décrite en 2Th : la
montée de l’apostasie et la venue de l’Antichrist.
Le vocabulaire, le style et la structure de deux écrits ont beaucoup de
ressemblances. Des phrases entières de 1Th semblent reprises en 2Th presque mot à mot.
Pour en avoir une idée, on compare les trois premiers versets de chacune des épîtres. 2Th
aurait été écrit plusieurs années après 1Th par un écrivain chrétien qui connaissait 1Th et
avait pour but de compléter l’enseignement de cette épître sur les événements des
derniers temps.
Quel qu’en soit l’auteur, il ne fait pas de doute que la deuxième lettre a été écrite
essentiellement pour présenter le scénario apocalyptique du ch. 2,1-12. L’auteur de la
lettre a voulu répondre aux questions et aux inquiétudes de certains chrétiens qui
s’étonnaient de ce que le jour du Seigneur n’arrivait pas aussi rapidement qu’ils l’avaient
escompté.
P a g e | 54

Les deux lettres aux Thessaloniciens ont depuis toujours été considérées dans
l’Église comme inspirées et faisant partie du canon des Écritures.
I.2. LA STRUCTURE DE 1 ET 2 THESSALONICIEN
I.2.1. 1THESSAOLNISIEN
1,3-10 : le vécu des Thessaloniciens.
2,1-12 : le vécu des apôtres lors de la fondation de l’église.
2,13-16 : le vécu des Thessaloniciens. Paul rend grâce de ce que les Thessaloniciens ont
bien accueilli la Parole au milieu des persécutions subies de la part de leurs compatriotes.
2,17—3,8 : le vécu des apôtres depuis la fondation de l’église.
4,2-8 : la sainteté. Dieu donne son Esprit pour vivre son appel à la sainteté.
4,9-12 : l’amour fraternel.
4,13-18 : l’espérance pour les morts au moment de la Parousie.
5,1-11 : la vigilance. Le jour du Seigneur viendra à l’improviste, comme un voleur.
5,12-22 : les exigences de la vie communautaire.
5,23-28 : Souhaits et salutations.
I.2.2. 2THESSALONICIEN
2Th est très semblable à 1Th quant au vocabulaire et aux thèmes abordés. Sa
structure également s’apparente à celle de 1Th, tout en étant plus simple.
1,1-2 : Adresse et salutations
1,3-12 : Action de grâce pour le vécu théologale.
2,1-12 : Les signes qui précéderont la Venue du Seigneur.
2,13-17 : Action de grâce pour l’élection par Dieu des Thessaloniciens.
3,1-15 : Directives pour la vie chrétienne.
3,16-18 : Souhait et salutations.
Pour chaque section de 2Th on trouve des parallèles dans 1Th, excepté pour 2,1-
12. Cette section traite de la Venue du Seigneur comme 1Th 4,13—5,11, mais elle porte
des éléments nouveaux d’enseignement qui ne sont pas dans la première lettre. Selon
2Th2,1-12, le jour de la Parousie ne viendra pas avant que ne se soient produits deux
événements : la révélation de l’impie et l’apostasie.
I.3. LA THEOLOGIE DES LETTRES AUX THESSALONICIENS
I.3.1. LA VIE CHRETIENNE
P a g e | 55

La vie chrétienne est caractérisée par trois attitudes fondamentales, qu’on


appellera plus tard les vertus théologales : la foi, l’amour et l’espérance (1Th 1,3; 5,8;
2Th 1,3-4). Ces trois valeurs, telles que les vivent les Thessaloniciens, sont qualifiées
dans le texte : «l’activité de votre foi, le labeur de votre amour, la constance de votre
espérance» (1Th 1,3; 2Th 1,3-4.11).
 La Foi : Les nouveaux convertis d’origine païenne se sont détournés des idoles de
toutes sortes pour servir le Dieu vivant et vrai (1Th 1,9). Leur vie a donc connu un
retournement total; elle a pris une direction nouvelle. Accueillant la Parole que
Paul leur a fait entendre (1Th 1,6; 2,1), ils croient en Jésus mort et ressuscité (1Th
4,14). La foi est donc engagement de tout l’être envers Dieu, en Jésus-Christ.
C’est une adhésion qui n’est pas qu’intérieure mais qui est «active» (1Th 2,3; 2Th
1,11), se traduisant dans tous les comportements de la vie.
 L’Amour : On passe naturellement de la foi à l’amour (1Th 1,3; 3,6; 5,8; 2Th 1,3)
car la foi devient active dans l’amour. L’amour de Dieu qui vient en nous et nous
donne d’aimer nos frères. Paul relève quelques exigences de l’amour entre
membres de l’église : la reconnaissance de la peine que se donnent les dirigeants
(1Th 5,12ss); le soutiens des faibles et des découragés (1Th 5,14); le support
mutuel de l’espérance (1Th 4,18; 5,11); le souci de travailler pour ne pas être à
charge (1Th 4,11-12; 2Th 3,10-12).
 L’Espérance : L’espérance est d’abord attente de l’avenir : elle est attente de la
grande Venue de Jésus Seigneur (1Th 1,10; 2,19; 3,13; 5,23) et de la résurrection
des morts (1Th 4,13-14); attente du rassemblement de tous avec le Seigneur (1Th
4,17; 2Th 2,1). Mais l’espérance est aussi constante et fidélité dans l’attente, au
milieu des épreuves que la vie apporte (1Th 1,3-6; 2Th 1,4). Cette constante dans
l’espérance n’est pas une endurance à la manière stoïcienne, mais une
persévérance qui a sa source dans le Seigneur Jésus (1Th 1,3; 2Th 3,3) et dans
l’Esprit (1Th 1,5-6).
La qualité de la vie théologale des Thessaloniciens en fait des modèles pour tous ceux
qui vivent autour (1Th 1,6-9). Leur vie porte témoignage, elle devient attirante. L’apôtre
prie pour qu’ils ne cessent de grandir dans la foi (1Th 3,10; 2Th 1,11) et dans l’amour les
P a g e | 56

uns pour les autres (1Th 3,12). Cette croissance, finalement, est un don du Seigneur (1Th
3,12).
Si les chrétiens peuvent vivre les valeurs théologales, c’est parce qu’ils ont été choisis
et appelés par Dieu (1Th 1,4; 2,12; 4,7; 5,24; 2Th 1,11; 2,13-14). La prise de conscience
de l’amour et de l’appel de Dieu ainsi que leurs fruits de vie théologale conduit Paul à
l’action de grâce (1Th 1,2-4) Paul invite par le fait ceux-ci à se reconnaître aimés et élus
de Dieu et entrer dans un même mouvement d’action de grâce. L’être et l’agir des
chrétiens tout à la fois manifestent la gloire du Seigneur et les rendent participants à cette
même gloire (2Th 1,12).
I.3.2. LA SPIRITUALITE MISSIONNAIRE
L’élection chrétienne reste mystérieuse. Elle n’est connue que par les signes
qu’elle produit. Paul en a retenu deux : tout d’abord l’attitude des fidèles qui accueillent
la Parole (1Th 1,6; 2,13-14), mais aussi l’attitude des apôtres qui leur ont transmis cette
Parole (1Th 1,5; 2,1-12).
L’annonce de l’Évangile à Thessalonique a été un événement de grâce (1Th 1,5).
La parole proclamée n’est pas que parole d’homme, mais parole de Dieu (1Th 2,13). Elle
possède une force propre, une efficacité spéciale qui lui vient de la puissance même de
l’Esprit Saint (1Th 1,5). En la transmettant avec cette assurance qui provient de Dieu
(1Th 2,2), Paul a le sentiment d’exercer une paternité spirituelle qui lui permet de s’offrir
à l’imitation de ses «enfants» (1Th 1,6; 2,11; 2Th 3,9).
L’annonce de la Parole, pour être authentique, pose des exigences chez le
missionnaire. En 1Th 2,1-12, Paul livre un peu de sa spiritualité missionnaire. Ce passage
permet de dégager six caractéristiques d’un apostolat authentique :
1. Le courage (v. 2)
2. La motivation saine (v. 3-6)
3. L’affection humaine (v. 7-8)
4. La disponibilité et la gratuité (v. 9)
5. L’authenticité de vie (v. 10)
6. L’interpellation adaptée à chacun (v. 11-12).
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Paul considère de son devoir de prier pour les chrétiens dont il est responsable :
une prière qui est d’abord action de grâce (1Th 1,2; 2,13; 3,9; 2Th 1,3; 2,13) mais aussi
demande (1Th 3,10-13; 5,23-24; 2Th 2,16-17; 3,5-16).
I.3.3. LA PAROUSIE
Les deux lettres aux Thessaloniciens ont été écrites à une communauté qui
attendait vivement la Venue (Parousie) 27 du Seigneur. Paul donne un enseignement sur
cette Venue dans trois passages où il répond aux questions et préoccupations de la
communauté chrétienne (1Th 4,13-18; 5,1-11; 2Th 2,1-12).
a) Tous unis au Seigneur
En 1Th 4,13-18, Paul répond à un premier problème que se posait la
communauté : les chrétiens qui sont morts vont-ils ressuscités pour la parousie? Seront-ils
là pour participer au règne du Seigneur? Paul répond que les morts dans le Christ (v.16)
ne seront pas désavantagés par rapport aux vivants. Ils ressusciteront d’abord et c’est tous
ensembles, vivants et morts, que nous irons à la rencontre du Seigneur pour participer à
sa gloire et demeurer pour toujours avec lui (v.17).
Notre espérance est fondée sur le Christ ressuscité et la puissance de Dieu qui l’a
ressuscité (v. 13-14). La réalité nouvelle qui nous attend et motive notre espérance tient
en cette phrase : Tous ceux qui auront vécu unis au Christ se verront unis ensembles et
avec le Seigneur pour toujours (v.17).
b) Le moment de la Parousie
Une deuxième question hantait les Thessaloniciens : quand se produira la Parousie
du Seigneur (5,1)? Bien que partageant leur attente d’une Venue prochaine du Seigneur
(cf. «nous les vivants» 4,15; voir 1Co 15,51), Paul affirme que la réponse à cette question
est incertaine. Nul ne connaît le Jour du Seigneur. Il viendra à l’improviste, «comme un
voleur dans la nuit» (5,2). Soyons donc toujours prêts et vigilants (5,4-6). Cet
enseignement de Paul reprend celui de Jésus dans les Évangiles (Mt 24,36-44).
La question du moment de la Parousie n’est pas une question importante. La seule
chose urgente, c’est que les chrétiens se montrent «fils de la lumière, fils du jour» (5,5),
c’est-à-dire qu’ils vivent dans la foi, l’amour et l’espérance (5,8).
27
«Parousie» provient du grec parousia, employé sept fois dans nos épîtres et signifiant la «présence» ou la
«venue». L’espérance juive était centrée sur l’attente du Jour du Seigneur, qui correspondait à l’instauration
de l’ère messianique. Plus tard, dans ses autres épîtres, Paul expliquera que la Venue du Seigneur s’est déjà
opérée dans la résurrection du Christ et le règne messianique est inauguré.
P a g e | 58

c) Les événements avant-coureurs


2Th révèle un état d’exacerbation de l’attente de la Parousie dans la communauté.
Certains chrétiens prétendent même que le jour du Seigneur est déjà là (2,2). L’auteur de
l’épître combat cette illusion. Des événements doivent précéder la Venue du Seigneur. Or
ces événements ne se sont pas encore produits. Voici le scénario des événements tel qu’il
ressort de 2Th 2,1-12 :
 Le mystère de l’impiété est déjà à l’œuvre dans le monde (2,7).
 Viendra le temps marqué par l’apostasie (v.3). L’antichrist demeure une énigme.
 Si cet impie ne se manifeste pas encore, c’est qu’un mystérieux Retenant (v.6-7)
l’empêche de venir et d’exercer son action.
 On ne sait pas combien de temps doit durer la présence et l’action de l’impie.
Mais à un moment donné, le Seigneur Jésus se révélera à son tour et anéantira cet
adversaire (v.8).
Dans ses lettres qui suivront, Paul ne se montrera guère préoccupé par la question de
la Parousie. Il s’attachera surtout à approfondir la situation présente du croyant et à
montrer l’effet actuel du salut inauguré en Jésus-Christ.

DEUXIEME CHAPITRE : LES LETTRES AUX CORINTHIENS


II.1. OCCASION ET BUT
II.1.1. LA PREMIERE LETTRE AUX CORINTHIENS
Pendant son premier séjour à Ephèse, Paul commença à recevoir quelques nouvelles
de Corinthe. Certains datent la lettre au début du séjour de Paul à Ephèse, ce qui fait penser
à l'an 54 ap. J.C. D'autres au printemps 5628

Quant à l'authenticité paulinienne de la lettre, il n'y a pas beaucoup de doute. Peut-


être la rédaction finale est un assemblage de plusieurs lettres (1 Co 5,9). Quelques
événements séparent la première prédication de Paul à Corinthe et l'envoie de la première
aux Corinthiens. En 1 Co 5,9-13 on apprend que 1 Co avait été précédé par une autre lettre
qui ne nous a pas été conservée. Certains critiques ont cru en reconnaître un fragment en 2
Co 6,14 - 7,1.

28
BUSCEMI, San Paolo, pense à l'an 5'; mais on peut aussi avancer à l'an 56 (Cf. allusion à la Pâque en 5,7-
8)
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L'arrivée d'Apollos, un grand prédicateur, Juif d'Alexandrie converti au christianisme


avait suscité des partisans à cause de son éloquence (Ac 18,24-28). Il était plus brillant que
Paul à qui on reprochait son manque l'éloquence. Apollos refuse de retourner à Corinthe
sans doute pour ne pas approuver le parti qui se réclamer de lui. Un autre parti se forme par
les admirateurs de Paul (1,12). D'autres se réclament de Pierre.

Ces nouvelles alarmantes parviennent à Paul lors de son séjour à Ephèse au cours de
son troisième voyage (Ac 19; 1 Co 1,11). D'autres nouvelles inquiétantes lui arrivaient : un
cas d'inceste (5,1-13); le procès entre chrétiens devant les tribunaux païens (6,1-11), des cas
de débauche (6,12-20); des désordres dans la célébration de l'Eucharistie (11,2-34); des
erreurs doctrinaux concernant la résurrection. Les Corinthiens avaient aussi posé certaines
questions à Paul concernant la virginité et le mariage (1 Co 7); la viande offerte aux idoles
(1 Co 8 - 10); l'usage de dons spirituels (12 -14).

II.1.2. LA DEUXIEME LETTRE AUX CORINTHIENS

On peut déduire de 2 Co 1,12 – 2,13 que Paul a écrit la 2 Co pour justifier sa propre
décision d’annuler le voyage programmé. Pour cette raison, certains l’ont accusé de légèreté
dans sa décision. Alors il écrit pour justifier son agissement. Ce prétexte contingent le
conduit à écrire une véritable justification théologique de son ministère apostolique (Cf.
aussi Paul de Tarse (LD 165 : Paul et l’exercice de l’autorité apostolique), Cerf, Paris, 1996,
pp. 119-138) qui va de 2,14 à 7,4. Les principes théologiques sont rappelés en fonction de la
justification et de la définition qu’il donne de son ministère apostolique.

Même chose dans les chapitres suivants. Pour convaincre les Corinthiens à être
généreux, Paul évoque des principes de foi en 2 Co 8-9. De même dans les chapitres 10-13,
Paul défend sa personne et sa dignité d’apôtre contre les accusations de ses adversaires. Là
aussi il utilise des principes de la foi.

II.2. PLAN ET CONTENU


II.2.1. LA PREMIERE LETTRE AUX CORINTHIENS
Introduction
I. le schisme dans l'Eglise 1,10 - 4,21
a. Les partis (1,10-17)
b. Le message de la croix (1,18 -2,16)
c. Autorité et complémentarité dans l'Eglise (3,1-23)
d. Rôle du ministère apostolique (4,1-21)
II. Scandale dans l'Eglise 5,1 -6,20
a. L'inceste (5,1-8)
b. Instruction sur le rapport avec des personnes immorales (5,9-13)
c. Procès entre frères (6,1-9a)
P a g e | 60

d. La prostitution, un exemple d'immortalité (2,9b-20)29


III. La question sur le mariage 7,1-40
a. Relation mutuelle du couple (7,1-7)
b. Remariage des veufs et des veuves (7,8-9)
c. Divorce (7,10-16)
d. Excursus : rester dans la condition antérieure (7;17-24)
e. Opinion de Paul sur les non mariés (7,25-35)
f. Mariage des vierges (7,36-38)
g. Remariage des veufs (7,39-40)
IV. La question sur les idolothytes
a. Principe de conduite : l'amour (8,1-3)
b. Question sur le repas offert aux idoles (8,4-13)
c. Excursus : Paul exerce son droit (9,1-27)
1 Liberté apostolique
2 Traditionnelle garantie pour la subsistance des évangélisateurs.
3 Paul renonce à son droit (15-23)
4 Analogie de l'athlète (24-27)
d. Avertissement : leçon à tirer de l'histoire de l'Exode (10,1-15
e. Le repas du Seigneur et le repas offert aux idoles (10,16-22)
f. Conscience et repas offert aux idoles (10,23-29)
g. Exemple de Paul pour les chrétiens (10,30 -11,1)
V. Scandales dans le service ecclésial 11,2-34
a. Le voile sur la tête des femmes
b. Désordres au repas du Seigneur
VI. Question sur les dons spirituels
a. l'Esprit de Dieu et les charismes (12,1-3)
b. Diversité des charismes, différentes personnes, unique Esprit (12,4-11)
c. Analogie du corps (12,12-26)
d. Fonction des membres dans l'Eglise (12,27-31a)
e. Excursus : la charité au dessus de tous les charismes (12,31b - 14,1)
f. Supériorité de la prophétie sur la glossolalie
g. Silence des femmes dans l'assemblée (14,33-36)
h. Injonction à son propre ordre (14,37-40)
VII. Excursus : L'Evangile de la Résurrection 15,1-58
a. La Tradition
b. Résurrection du Christ preuve de notre résurrection
c. Conséquence de la résurrection du Christ
d. Implications de la résurrection (15,29-34)

29
Jean ROUQUETTE, "Un seul corps", nourriture et sexualité dans la première épître aux Corinthiens", in
Le corps et le corps du Christ dans la première épître aux Corinthiens (LD 114), 143-145, Paris, Cerf, 1983
P a g e | 61

e. Nature du corps ressuscité (15,35-49)


f. Le mystère de la fin (15,50-57)
g. Exhortation (15,58)
VIII. Nouvelles pastorales 16,1-24
a. Collecte pour Jérusalem (16,1-4)
b. Projet de Voyage (16,5-9)
c. Recommandation à Timothée (16,10-11)
d. Visite par Apollos (16,12)
e. Exhortation (16,13-14)
f. Evaluation et ordre aux responsables Corinthiens
g. Salutations (16,19-20)
h. Salutations personnelles de Paul et bénédictions (16,21-24)
Il n’y a pas de suite logique entre les différentes parties. Chaque partie traite un thème
différent. Certains pensent qu’il s’agit de diverses lettres écrites à différents moments, mais
rassemblés dans un document plus tard. Nous ne savons pas, mais certains auteurs se servent
des passages suivants pour justifier l’hypothèse :
4,19 > 16,3
10,1-22 > 8,1-13 et 10,23 – 11,1.
Le chapitre 9 défend l’Apôtre ; aucune allusion dans les chapitres 1 – 4.
11, 18 semble parler de la division pour la première fois, alors que le thème a été amplement
traité dans les chapitres 1 – 4. Certains auteurs subdivisent l’épître en plusieurs lettres :
Pour E. Dinkler, il y a deux lettres :
A. 6, 12-20 ; 9, 24 – 10,22 ; 11, 2-34 ; 12 – 14.
B. 1, 1-6, 11 ; 7, 1-9, 23 ; 10, 23 – 11,1 ; 15 ; 16.
La lettre A serait écrite avec B.
Pour G. Sellin, il y a trois lettres.
Pour Schenk, il y a quatre lettres.

Que dire de ces contradictions apparentes ?


La différence thématique des parties n’est pas en contradiction avec le genre
littéraire qui est une lettre d’information. Même les textes considérés contradictoires sont
compréhensifs dans le contexte. En 4, 19 Paul dit qu’il viendra bientôt : ταχυς (tachus), mais
il ajoute ‘’si le Seigneur le veut, s’il plaît au Seigneur’’. Cela montre que le temps n’est pas
encore déterminé ; il faut encore décider. En 16,8 il dit qu’il restera encore à Ephèse jusqu’à
Pentecôte ; puis il se mettra en route pour Macédoine (16,5), pour y passer l’hiver. Donc le
temps est déterminé par le voyage. Il le commencera après Pentecôte et l’annonce après
Pâque, comme on peut le supposer dans 5,7-8. Donc entre l’annonce du voyage et le début
du voyage, il y a un mois ou 40 jours. Alors ce n’est pas une contradiction avec l’expression
bientôt (ταχυς) qu’on trouve en 4, 19.
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En 11, 18 Paul dit avoir entendu qu’il y a la division dans la célébration de la Cène.
Et il ajoute qu’il y croit. Donc il ne s’étonne pas, car il sait déjà qu’il y a division dans les
idées dont il a parlé amplement dans les chapitres 1-4. Les divisions que les Corinthiens
portaient dans leurs cœurs se manifestent donc dans les réunions cultuelles aussi. Paul ne
s’en étonne donc pas. Alors les deux passages ne sont pas contradictoires.

En 8,1-13 et 10,23 – 11,1 Paul reconnaît aux chrétiens la liberté de manger les
viandes sacrifiées aux idoles ; mais il conseille d’y renoncer dans le cas où cela offenserait
la conscience des faibles et les ferait retomber dans l’idolâtrie. C’est pourquoi, après avoir
rappelé l’histoire des pères au désert, qui furent rentrés à l’idolâtrie (10,1-13), il exhorte les
Corinthiens à prendre distance par rapport à l’idolâtrie ; et donc à ne pas manger les viandes
sacrifiées aux idoles, si pour eux manger ces viandes signifie être en commun avec les
démons (10,14-23). De cette admonition, il reprend le sujet en 10,23 – 11,1 pour réaffirmer
le principe général déjà lancé en 8,1-13.
La conclusion tirée de l’enseignement de Paul est la suivante : « A celui qui croit,
tout est permis ; mais par respect à ne pas manger la viande sacrifiée aux idoles ». En 8,1 –
11,1 Paul change d’affirmation en fonction d’interlocuteur différent : « les forts » et « les
faibles » dans la foi.

II.2.2. LA DEUXIEME LETTRE AUX CORINTHIENS


* Adresse et bénédiction 1,1-11
I. Le ministère apostolique, difficultés et réalités 1,12 - 7,16
A. Explication de Paul sur son changement d'itinéraire 1,12 – 2,13
B. Ministère de la Nouvelle Alliance 2,14 - 3,18
C. Ministère apostolique, ses détresses et ses certitudes 3,19 – 5,10
A' Ministère de la réconciliation 5,11 - 6,13
B' Changement d'itinéraire qui a été bénéfique 6,14 - 7,16
II. Deux billets en faveur de la collecte 8 - 9
A. De l'initiative à la grâce 8,1-6
B. Modèle de la générosité du Christ 8,7-24
C. Initiation à la générosité des Corinthiens 9,1-7
D. Collecte comme action de grâce à la générosité de Dieu 9,8-15
III. Difficultés du ministère 10,1 - 12,13
A. Paul contre ses accusateurs montre qu'il est recommandé par Dieu 10
B. Authenticité du ministère de Paul 11,1-11
C. Souffrances endurée 11,12-33
D. Visions, révélation et privilèges de Paul (12,1-15)
IV. Annonce du troisième voyage à Corinthe 12,14 - 13
Exhortation finale
Salutations
P a g e | 63

II.3. LA THEOLOGIE DES LETTRES DE PAUL AUX CORINTHIENS


II.3.1. LA CHRISTOLOGIE
Sensible aux divers courants de pensée de son époque, l’apôtre Paul a su donner à
l’Évangile une présentation nouvelle. Toutes les doctrines christologiques en ont été
imprégnées et son enseignement garde pour l’Église une importance et un intérêt toujours
actuels.

Les trois titres : Jésus, Christ, Seigneur sont empruntés à la tradition. Mais 1Co
1,24 présente Christ comme «puissance de Dieu» (traditionnel) et comme «sagesse de
Dieu» (nouveau titre). En 1Co 10,4, «le Rocher» est le symbole du Christ préexistant ; en
1Co 15,45, il semble bien que «le dernier Adam» soit une création de Paul. Les novations
sont peu nombreuses. La dépendance à l’égard du christianisme primitif est plus grande
qu’on ne le suppose souvent.

De la vie de Jésus, Paul a retenu la belle formule christologique qui montre son
abaissement et qui est d’un mouvement semblable à Ph 2,6-8, à savoir 2Co 8,9. Sa
douceur et sa bonté 2Co 10,1 ; 5,16-17 ne semble pas faire allusion à une connaissance
historique du Christ, mais bien plutôt à une connaissance que Paul aurait eue de lui à vues
humaines. Ce même texte montre le pouvoir créateur du Christ. «Si donc quelqu’un est
dans le Christ, il est une création nouvelle ; le monde ancien est passé, une nouvelle est
là».

De la tradition, Paul reçu la notion du Christ-Messie eschatologique qui est Juge


de tous (2Co 5,10). Trois des plus importantes affirmations considérant le Christ comme
Seigneur sont dans les Corinthiens : 1C 8,5-6 ; 12,3 ; 2Co 4,5 (à noter «Jésus Seigneur»
222fois dans les épîtres).

Le Christ, second Adam, ouvre une nouvelle lignée parmi les hommes. Il est
esprit qui donne la vie (1Co 15,45-47). Trois précisions sur la mort sont rapportées par 1
et 2Co : «Christ est mort pour nos péchés» (1Co 15,3), «un seul pour tous» (2Co 5,14),
«Celui qui n’avait pas connu le péché, Dieu l’a, pour nous, identifié au péché» (2Co
5,21). Paul créera une expression pour exprimer la forte communion avec le Christ : «En
Christ» exprime ainsi le lien actuel et «avec Christ» le lien eschatologique. De plus, Paul
n’a pas limité son regard à l’humanité. En 1Co 8,6, il affirme que résident dans le Christ
tous les pouvoirs qui donnent existence à l’univers et qui le maintiennent ensuite : «Il n’y
a pour nous qu’un seul Dieu, le Père, de qui tout vient et pour qui nous existons ; et un
seul Seigneur, Jésus Christ, par qui sont toutes choses, et nous par Lui…».

L’Esprit comme le Christ habite dans les croyants (1Co 3,16) qui «sont justifiés
par l’esprit de notre Dieu» (1Co 6,11). Enfin en 2Co 2,13-18, le Seigneur Christ libère
par l’Esprit le sens spirituel des Écritures.
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La christologie est intéressée au premier chef par la relation Christ-Dieu. En 1Co


1,24 ; 2,8 ; 2Co 8,9 ce lien est manifeste. En 1Co 3,22-23 ; 11,3 ; 15,28, Paul lui attribue
des pouvoirs divins sans pourtant l’identifier à Dieu. En 2Co 13,13 (Christ-Dieu-Esprit)
la formule trinitaire est la plus nette de tout le Nouveau Testament. Mais c’est 2Co 4,4
qui offre la meilleure formulation en disant de Christ en deux sens conjoints qu’il est
«l’image de Dieu» à la fois image parfaite de Dieu et homme par excellence.

Cette christologie a des incidences ecclésiologiques : le corps est pour le Seigneur


et le Seigneur est pour le corps 1Co 6,13. Pour être en communion, il faut discerner le
corps 1Co 11,27-28. Baptisés dans un seul Esprit pour former un seul corps 1Co 12,13.
Etre le corps du Christ et ses membres chacun pour sa part 1Co 12,27. Lorsque Paul parle
du Christ, il a sous les yeux tantôt le Christ total ressuscité (1Co 15,1ss), tantôt le Christ
élevé (1Co 8,6), tantôt celui qui revient (1Co 7,29-31), présent dans la communauté (1Co
10,16-17), crucifié (1Co 1,17.18 ; 2,2) et même agneau du sacrifice de la Pâque (1Co
5,7).

II.3.2. L’ECCLESIOLOGIE
L’ecclésiologie est largement présente, soit par l’usage abondant du mot église,
soit par la présence de la réalité même. Tantôt le mot ecclésia est employé au singulier ;
l’église ou la communauté, tantôt il est au pluriel : les églises. L’église peut être en
rapport avec un lieu : Cenchrée pour Corinthe en Rm 16,1ss ; Corinthe 1Co 1,2ss ; 2Co
1,1ss, de l’Asie 1Co 16,19ss, l’église qui est dans la maison d’Aquila et de Prisca 1Co
16,19ss, les églises de Galatie 1Co 16,1ss, ou de Macédoine 2Co 8,1ss.
L’Église est l’objet d’une croissance de la part de Dieu (1Co 3,6) et d’une
édification (1Co 3,9-11 ; 14,5.12.26 ; 2Co 12,19). L’Église est le temple de Dieu,
sanctuaire de l’Esprit de Dieu (1Co 3,16). Si les groupes humains sont multiples et
pluriels, l’Église est unique. Nous sommes un seul corps, et nous en sommes les membres
(1Co 12,12 ; 6,15-17), membres du Christ. De ce fait, les croyants appartiennent encore à
ce siècle, mais sont aussi déjà dans l’autre (1Co 1,11 ; 2Co 4,4), en marche vers l’homme
renouvelé (2Co 7,31).
C’est sans doute dans les épîtres aux Corinthiens que se manifeste le mieux la
tension de la vie chrétienne entre le «déjà sauvé» et le «pas encore» dans le Royaume de
Dieu, entre notre vie promise à la résurrection et déjà inspirée actuellement par ses effets
et notre vie non encore ressuscitée (1Co 15,1-58 ; 2Co 5,1-10).

II.3.3. LA MISSIOLOGIE
L’église de Corinthe est une église apostolique parce que Paul en a posé une fois
pour toutes le seul fondement valable, à savoir, Jésus-Christ (1Co 3,10-11). Son apostolat
représente la totalité du groupe apostolique. Les Corinthiens seront une église de Dieu en
acceptant d’imiter l’apôtre (1Co 4,16 ; 11,1), il leur faut pour cela exercer le ministère de
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la Nouvelle Alliance (2Co 3,3-6). De ce fait, l’Église de Corinthe, par son existence
même, est comme un sceau qui authentifie la mission apostolique de Paul (1Co 9,2),
marquée elle-même du sceau du Christ (2Co 1,22).

Cette apostolicité ne garde sa valeur que par le maintien du seul Évangile (2Co
11,4-5). Elle veille précisément sur ce qui empêche la foi de dériver vers un «autre»
Évangile. A ce prix, toute la communauté, Apôtre y compris, animée par un même Esprit,
resplendit et reflète la glorieuse présence du Seigneur (2Co 3,18—4,6). A ce titre, le
ministère de la réconciliation, C’est-à-dire celui de l’accueil de tous par le Christ, s’il est
en premier lieu celui de Paul et des Apôtres, est aussi celui de toute la communauté : tous
ambassadeurs au nom du Christ et chargés d’adresser l’appel de Dieu (2Co 5,19-20).

De même que l’apôtre est solidaire des autres apôtres, une communauté
apostolique est solidaire des autres communautés : Corinthe est une communauté
œcuménique (1Co 16,1-4 ; 2Co 8—9). L’apostolicité d’origine et en quelque sorte
fondatrice de Jérusalem se trouve interpellé par l’universalité intensive (locale, Corinthe)
et extensive (dans l’espace : Thessalonique, Philippes, Troas, Éphèse, Colosses…). Les
points forts de certaines communautés sont mis en tension avec les points faibles des
autres : les différences de vie, d’intensité, de formulation deviennent sources
d’approfondissement.

La collecte devient un signe de la totalité et de l’universalité du caractère


apostolique. Elle n’est pas seulement signe de partage, geste de reconnaissance, mais
signe visible, coûteux de la communion née du Christ qui s’est fait le premier tout à tous.
Le geste du Christ qui «pour vous s’est fait pauvre, de riche qu’il était» (2Co 8,9), les
églises le répéteront, telle est la grâce.

II.3.4. L’AMOUR : L’AGAPE


Pour Paul, l’amour est une voie par excellence (1Co 12,31). Le Christ est la réalité
et la réalisation de cet amour au service des hommes par son sacrifice pour eux. L’amour
doit aussi qualifier le croyant.

C’est l’hymne à l’amour (1Co 1-13) qui est le plus explicite : l’amour ne disparaît
jamais, c’est-à-dire qu’il n’est pas atteint par la mort et qu’il appartient aussi bien au
présent qu’à l’avenir des temps de la perfection : L’Amour et l’avenir eschatologique.

L’agapê, c’est l’amour du Christ en nous. Secret de la vie apostolique, il est aussi
le secret de la vie de tout croyant : «L’amour du Christ nous étreint à cette pensée qu’un
seul est mort pour tous et donc que tous sont morts. Il est pour tous afin que ceux qui
vivent ne vivent plus pour eux-mêmes, mais pour celui qui est mort et ressuscité pour
eux» (2Co 5,14-15). «Dans l’amour» devient alors synonyme de «en Christ» (1Co 13,4-
P a g e | 66

7 ; 16,24) ou de «avec Dieu» (2Co 13,11). Dans tous les textes où l’apôtre Paul décrit
l’amour du chrétien, il est possible de substituer Christ à amour, on obtient alors un
saisissant portrait du Christ : L’Amour et le Christ.

Pour terminer 2Co en associant dans une formule trinitaire : grâce et communion
(2Co 13,13) aussitôt après avoir évoqué le Dieu d’amour et de paix. Les dons les plus
extraordinaires n’ont aucune valeur sans l’agapê (1Co 13,1-3). Les signes de l’esprit sont
ainsi un amour authentique (2Co 6,6 ; 8,8) voir la douceur (1Co 4,21). Celui qui possède
l’amour est lui-même possédé par Dieu (2Co 8,24) : L’Amour et l’Esprit Saint.

La plupart des textes déjà cités pour mettre en valeur le lien plus qu’étroit entre
amour et Christ ou bien amour et Saint Esprit pourraient aussi intervenir dans la
description de la vie chrétienne. Ainsi 1Co, 13,13 ; 2Co 5,14 ; 8,7. C’est que l’amour est
un fruit, une grâce, un don, un esprit saint, une force, un dynamisme, une plénitude.
L’amour est la voie par excellence qui inspire la vie quotidienne du croyant : L’Amour et
la Vie Chrétienne.

Il ne s’inquiète pas de ses résultats. Aimer davantage quitte à être moins aimé
(2Co 12,15). L’amour ne vise pas son propre intérêt, ne recherche pas sa propre
satisfaction, s’oppose à l’égoïsme (1Co 13,5) et trouve sa joie dans la vérité (1Co 13,6).
Tout le chapitre 13 de 1Co serait à commenter. Mais Paul insiste sur le caractère public et
démonstratif de l’amour à l’opposé du zèle rusé et captateur (2Co 8,7-8.24). C’est la
présence du Christ au sein même des relations avec les autres : L’Amour Fraternel.

L’apôtre Paul a d’emblée une plénitude d’expression en ce qui concerne l’amour.


Si au fil des situations, il y a diversité d’applications, par contre sa force christologique et
théologique ne fait pratiquement pas apparaître d’évolution de cette notion. Deux faits
sont sans doute à l’origine de cette constatation. La rencontre du Christ et Paul, lorsqu’il
était encore persécuteur de l’église, lui a révélé la puissance d’amour du Christ. Cet
événement décisif de son existence lui a permis d’accueillir avec joie et avec force ce
que les toutes premières communautés avaient reçu du Christ et des apôtres.

De plus, ces deux éléments combinés ont permis à l’apôtre d’enrichir en reliant
esprit saint et amour ; ce lien donne à l’amour son caractère d’authenticité et de vérité.
C’est en ce sens que l’hymne à l’amour est profondément christologique, théologique et
pneumatologique.

II.3.5. CHRIST, LE RESSUSCITE

1 et 2Co constitue deux documents décisifs pour la foi au Ressuscité et pour la


résurrection d’entre les morts. Paul y insiste progressivement non plus seulement sur la
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résurrection du Christ dans le passé ou sur celle des croyants dans l’avenir, mais bien
encore sur les effets quotidiens de la résurrection dans la vie des croyants. Les
affirmations n’ont pas encore pris le caractère spécifiquement existentiel que l’on
trouvera en Colossiens, mais ces dernières sont déjà annoncées. Aux deux événements
qui bordent le temps nouveau, résurrection du Christ et résurrection des croyants, Paul
ajoute la nouveauté de vie qui est la marque constante du baptême avec le ressuscité.

TROISIEME CHAPITRE : LA LETTRE AUX GALATES.


III.1. OCCASION ET BUT
L'authenticité de l'Epître aux Galates est non discutée. En effet, cette authenticité non
discutée provient du fait qu'il y a correspondance entre les faits relatés dans les Actes des
Apôtres et l'Epître aux galates (Cf Kümel, Introduction to the New Testament).
La date de composition de cette lettre se situe vers les années 56.

En lisant Ga 4,8-20, on découvre des précisons suivantes :


- Les Galates sont des anciens païens
- Paul s'est arrêté chez eux suite à une maladie
- Les Galates ont accueilli Paul avec empressement : ils l'ont accueilli comme un "ange de
Dieu", c'est-à-dire comme un messager parlant au nom de Dieu (Ga 1,8)
- Paul semble visiter les Galates plus d'une fois (4,13)
- La conversion des Galates a été marquée par l'effusion de don de l'Esprit (3,1-5).
On trouve des catéchètes chez les Galates (6,6; Cf. 1 Co 12,28) qui étaient chargés
d'expliquer les textes de l'Ecriture.

a) Accusation contre Paul devinée à travers la défense de Paul


- Il annonce "un autre évangile" (1,6)
- Il cherche la faveur des hommes
- Son évangile est "d'inspiration humaine" (1,11-12)
- Il a dû être instruit (1,12)
- Il a été persécuteur de l'Eglise (1,13)
- Il a dû se rendre à Jérusalem pour s'informer (1,18)
- Il a été convoqué par les autorités de Jérusalem (2,1)
- On lui a imposé un certain nombre des mesures (2,6)
- Les envoyés de Jacques lui adressent des reproches (2,11ss)
- Enfin Paul prétend que celui qui ne condamne pas la loi fait du Christ un Serviteur du
péché (2,17)
b) Arguments des adversaires
- Nous sommes les vrais fils d'Abraham (3,7)
- Dieu a donné lui-même la Loi (3,19ss)
- La justice vient de la Loi (3,21)
- Jérusalem est notre mère (4,26)
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- La circoncision est nécessaire au salut (5,2)


c) Comportement des adversaires selon Paul
- Ils jettent le trouble dans les églises (1,7; 5,10)
- Ils veulent renverser l'évangile (1,7), s'attacher aux Galates (4,17), avoir un titre de gloire
en faisant circoncire les Galates (6,12-13)
- Ils veulent imposer la circoncision
- Ils dressent les communautés contre l'évangile et les apôtres
- Ils cherchent à ramener les Galates sous le joug de l'esclavage (5,1)
- Leur seul but est de n'être pas persécuter (6,12)
- Ils n'observent pas la Loi
d) La doctrine des adversaires telle que Paul la comprend
1 La loi est une grandeur toujours actuelle à laquelle les chrétiens doivent se soumettre
(4,21), qui est source de justice (3,21; 5,4)
2 La circoncision est nécessaire au salut (5,2)
3 L'observance des "jours, mois, années" doit être religieusement tenue (4,9)

III.2. PLAN ET CONTENU

1 L'origine divine de son apostolat et de son évangile (1,11 - 2,21)


2 L'opposition fondamentale entre la Loi et la Promesse, la Loi et la Foi (3,1 - 5,12)
3 La nouvelle morale chrétienne, morale de liberté dans l'Esprit et l'amour (5,13 - 6,16)

Démonstration du salut par Jésus-Christ sans besoin du circoncision


Pour Paul le centre de la vie chrétienne c'est Jésus. Pour ses adversaires, le centre
c'est la circoncision qui fait entrer dans l'Alliance, fait devenir membre du Peuple Elu (Gn
17; CaEV n 34, encadré, p. 8-9). Paul prouve le contraire dans un style rhétorique appelé
rîbe30: Ga 3,26-29

26 A Tous en effet fils de Dieu Vous êtes


B par la foi dans le Christ-Jésus
C car vous tous qui dans le Christ avez été baptisés
27 D le Christ vous avez revêtu
Il n'y a pas de juifs ni de Grecs
28 E Il n'y a pas d'esclave ni de libres
Il n'y a pas d'homme et de femme
A' Tous en effet un seul vous êtes
dans le Christ
29 B' et si vous en Christ vous êtes

30
Roland MEYNET,"Composition et genre littéraire de la première section de l'épître aux Galates", in
Paul de Tarse (LD 165), p. 51-64
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C' Alors d'Abraham la semence vous êtes


D' selon la promesse héritiers vous êtes

III.3. LA THÉOLOGIE DE LA LETTRE AUX GALATES

III.3.1. LA «VERITE DE L’EVANGILE»

L’épître aux Galates est bien plus qu’un texte apologétique, dans lequel Paul
défendrait sa propre conception de la mission. Ce qui est en jeu, ce n’est pas une
«pastorale», une méthode missionnaire particulière, c’est la nature même de l’Évangile,
sa «vérité» (2,5.14). Qu’il y ait deux types possibles d’évangélisation, l’un adapté aux
circoncis, l’autre aux païens, Paul ne le conteste pas. (2,7-9). Mais il n’y a et ne peut y
avoir qu’un seul Évangile, annoncé par tous les apôtres (cf. 1Co 15,11), Evangile que
Paul résume en quelques versets d’une densité exceptionnelle (2,16-21).
L’homme n’est pas justifié par la pratique de la Loi, mais seulement par la foi au
Christ Jésus (2,16). L’accès à la justification est le même pour le juif et pour le païen, en
sorte que l’on peut dire, à ce niveau, que les anciennes catégories n’ont plus cours : «Il
n’y a plus ni Juif, ni Grec, ni esclave ni homme libre» (3,28).

L’épître aux Galates est par excellence la charte de la liberté chrétienne, comme le
montre d’ailleurs la répétition du substantif eleutheria (liberté : 2,4 ; 5,1.13) de l’adjectif
eleutheros (libre : 3,28 ; 4,22.26) et du verbe eleutheroun (libérer : 5,1). Ce ne sont pas là
simplement des mots, car «c’est pour que nous soyons vraiment libres que le Christ nous
a libérés» (5,1). Paul caractérise ses adversaires en disant qu’ils sont «des faux frères, des
intrus qui, s’étant insinués, épiaient notre liberté, celle que nous avons en Jésus Christ»
(2,4). La «vérité de l’Évangile», c’est d’être l’Évangile de la liberté.

III.3.2. LA JUSTIFICATION PAR LA FOI

L’écriture affirme clairement qu’Abraham a été justifié par la foi (Ga 3,6 citant
Gn 15,6). La déclaration catégorique de Gn 15,6 est d’ailleurs conforme au principe
général qu’on peut lire en Ha 2,4 : «celui qui est juste par la foi vivra». Prétendre qu’on
est justifié par la loi est donc contraire à l’Écriture. De plus, l’expérience ne montre-t-elle
pas que la loi a été incapable de justifier qui que ce soit ? (Ga 3,22).

Quand Abraham a été justifié par la foi, il n’y avait pas encore de loi : celle-ci
n’est venue que 430 ans plus tard (3,17) ; elle ne peut donc être la cause de la
justification. Et qu’on ne dise pas que le dessein de Dieu a pu être modifié au cours des
âges, la loi venant abolir ce que la Promesse avait fixé. Les promesses faites à Abraham
sont un «testament» solennel, le testament de Dieu, qui ne peut être modifié par aucune
disposition, subséquente (3,15).
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Ce que Dieu a promis à Abraham et à tous les peuples, c’est la bénédiction. Les
bénédictions promises à Abraham ne concernaient pas seulement un peuple particulier,
mais toutes les nations (Gn 12,3). Ce n’est donc pas par la descendance charnelle que
l’on est fils d’Abraham, mais par la foi31.

Les judaïsant se réclament d’Abraham par une filiation toute charnelle, et non par
celle de la foi en la promesse. Or, si l’on se réfère au cas d’Abraham, on voit que la
filiation charnelle (celle d’Ismaël) est celle de l’esclavage, alors que celle qui résulte de la
foi en la promesse (celle d’Isaac) est celle de la liberté. Seuls donc ceux qui sont fils
d’Abraham selon la foi (païens aussi bien que Juifs) deviennent héritiers de la promesse
et accèdent à la liberté (4,22-31).

III.3.3. LE ROLE DE LA LOI


Si, comme Paul l’affirme, la loi est totalement incapable de procurer aux hommes
la justification, elle a tout de même, dans le passé, concouru, d’une certaine manière, à la
réalisation des promesses.

Négativement : Elle est venue s’ajouter «pour que se manifestent les


transgressions» (Ga 3,19. Affirmation mystérieuse qu’éclairera le développement de Rm
7.7-12). En mettant le péché en pleine lumière, par les interdits qu’elle contenait, la loi
présentait «l’avantage (bien relatif il est vrai) de multiplier les transgressions entièrement
conscientes et très imparfaitement effacées par les rites extérieurs et, par là, de démontrer
le besoin d’un pardon descendant immédiatement de Dieu et touchant les cœurs»32.

Positivement : La Loi joua, en son temps, un rôle comparable à celui d’un


pédagogue ou d’un tuteur. Le pédagogue, c’est l’esclave ou l’affranchi qui maintient les
enfants dans la discipline et les conduit à l’école. Sa fonction n’est pas inutile, mais elle
ne dure qu’un temps. Parvenu à l’état adulte, l’enfant est libéré de la surveillance du
pédagogue. Ainsi de la Loi : «Après la venue de la foi, nous ne sommes plus soumis à ce
pédagogue» (3,25).

Paul souligne la distance entre la Loi et Dieu en ajoutant : la Loi a été promulguée
par les anges, ce qui lui confère une infériorité au regard d’une promesse directe de Dieu.
Ensuite cette Loi a été transmise par la main d’un médiateur : Moïse a eu affaire à un
ange. Paul ne s’intéresse ainsi qu’à la signification actuelle et à l’autorité de la Loi.

III.3.4. LA CHAIR ET L’ESPRIT

31
Cf. L. CERFAUX, L’itinéraire spirituel de saint Paul, Paris, Cerf, 1966, p. 98.
32
IDEM, p. 100.
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Il convient de noter les passages dans lesquels le mot chair n’a pas de sens
péjoratif ni même de portée morale. Il désigne alors l’humanité en générale (2,16), soit la
nature humaine considérée dans le domaine qui lui est propre : 1,16 ; 2,20 ; 4,13.23 ;
6,13. Ces passages ne sont pas à prendre en considération.

En d’autres cas, la chair est considérée comme liée aux réalités qui ont fait leur
temps (la Loi, la Servitude). Elle s’oppose alors à l’Esprit qui est l’agent des temps
nouveaux. Lorsque les Galates sont tentés d’adopter les pratiques du judaïsme, ils n’ont
pas conscience d’en venir à la chair, alors qu’ils avaient commencé par l’Esprit (3,3).

A partir du chapitre 5, l’opposition Chair-Esprit a une portée spécifiquement


morale. La chaire est tout ce qui entraîne au mal par les désirs qu’elle inspire (cf. Ga
5,19-21). Le regime de l’Esprit n’est pas celui de la Loi, car il relève d’une autre
économie ; il est l’Esprit de la Promesse (3,14). Ceux qui l’on recu sont les «enfants de la
Promesse» (4,28-29). C’est par l’Esprit que le croyant devient vraiment fils et, comme
fils, héritier (4,6-7).

III.3.5. LA CROIX DU CHRIST

C’est l’Évangile du crucifié que Paul a prêché aux Galates, dès le début de son
séjour parmi eux (3,1), quitte à ce que cette annonce soit apparemment scandaleuse
(3,13). Un véritable apôtre est «crucifié avec le Christ» (2,19) ; c’est là le seul titre de
gloire qu’il puisse revendiquer. Plus largement, «tous ceux qui sont au Christ ont crucifié
la chair avec ses passions et ses désirs» (5,24) Source de grâce et de salut, la croix du
Christ est une exigence de vie pour tout chrétien. Il n’y a là ni masochisme ni dolorisme
morbide, car la mort en croix avec le Christ débouche sur la vie véritable (2,20-21), sur la
nouvelle création (6,15).

QUATRIEME CHAPITRE : L’EPITRE AUX ROMAINS


IV.1. OCCASION ET BUT

La date à laquelle l'Evangile parvint à Rome est inconnue de même, d'ailleurs, que le
nom des premiers évangélisateurs de la ville. On peut raisonnablement penser que ce fut
dans les années quarante de notre ère, et que les missionnaires s'adressèrent d'abord aux
Juifs qui posaient sur place de plusieurs synagogues. La première trace historique d'une
présence chrétienne à Rome se trouve être un édit de Claude par lequel les Juifs de la ville
en furent expulsés. L'historien romain Suétone (70-128 ap. J.-C.) connaît cet édit : "Comme
les Juifs se soulevaient continuellement à l'instigation de Khristos, il (Claude) les chassa de
Rome" (Suétone, Vie de Claude, XXV).
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Le texte de Suétone opère un raccourci maladroit, présentant les choses comme si


Khristos s'était effectivement rendu à Rome. L'explication la plus vraisemblable de la
décision impériale rapportée par l'historien est l'existence de troubles au sein de la
communauté juive, troubles consécutifs aux débats vigoureux, voire musclés, qui se
produisirent entre Juifs attachés à Christ et Juifs non chrétiens. Ne comprenant pas grand-
chose à ces dissensions internes et désireuses avant tout de rétablir le calme, Claude trouva
sans doute plus simple d'expulser tous les Juifs sans distinction.

Les Actes des Apôtres sont témoins du même événement. Lorsque Paul arrive à
Corinthe au cours de son second voyage missionnaire, en 49 ou 50, il trouve sur place un
couple de Juifs déjà chrétiens, Aquilas et Priscille, qui viennent précisément d'arriver à
Rome à la suite de l'édit de Claude : "Après cela, s'étant éloigné d'Athènes, il (Paul) vint à
Corinthe. Et, ayant trouvé un Juif du nom d'Aquilas, originaire du Pont, récemment arrivé
d'Italie, ainsi que Priscille sa femme, du fait que Claude avait prescrit à tous les Juifs de
s'éloigner de Rome, il fit connaissance avec eux; et du fait qu'ils étaient du même métier, il
se mit à demeurer chez eux et travailler; ils étaient en effet, de leur état, fabricants de tentes"
(Ac 18,1-3).
La date de l'édit de Claude est controversée. Claude règna de 41 à 54 de notre ère.
Selon certains témoignages, l'édit daterait du début de son règne, c'est-à-dire des années 41-
42; selon d'autres, il faudrait le reporter aux années 49-50. Quoi qu'il en soit de la
chronologie précise, la mesure impériale fut suivie d'effets : tous les Juifs de Rome durent
quitter la ville. La communauté juive non chrétienne se vida complètement. Et il ne resta de
l'Eglise sur place que quelques membres d'origine païenne qui avaient rejoint les juifs
chrétiens dans un même attachement au Christ.

Quant aux juifs expulsés, ils s'exilèrent en Méditerranée orientale : certains à


Corinthe ou dans d'autres villes de l'empire comportant des communautés de la diaspora,
d'autres à Jérusalem, partout ou ils disposaient de famille ou de relations pour les accueillir.

Claude mourut sur ces entrefaites, en 54. Sa mort fut perçue par les juifs de Rome
exilés comme l'occasion de rentrer chez eux. Néron, son successeur, favorable aux courants
religieux originaires d'Orient, ne s'y opposa pas. De retour dans la capitale, les Juifs
chrétiens trouvèrent une communauté chrétienne qui avait grandi sans eux et qui, de ce fait,
avait perdu contact avec ses racines juives. Elle ne respectait plus les fêtes juives ni les
règles alimentaires de la Kashrout, plus rien des observances de la Tora constitutives de la
jeune communauté chrétienne avant l'édit de Claude. Il en résulta de nouvelles dissensions,
non plus au sein de la communauté juive comme celles qui avaient provoqué la décision
impériale, mais cette fois-ci entre chrétiens. Les chrétiens d'origine juive n'étaient pour ainsi
dire plus chez eux à leur retour, subissant des pressions de la part des pagano-chrétiens pour
qu'ils abandonnassent toute pratique de la Tora (Rm 14,1 - 15,13). Telle est sans doute la
situation délicate par laquelle passe l'Eglise de Rome lorsque Paul lui écrit.
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Paul, pendant ce temps, séjourne trois mois à Corinthe au cours de son troisième
voyage missionnaire (Ac 20,2). Il envisage de quitter bientôt la ville et de rentrer à
Jérusalem pour y porter l'argent qu'il a collecté auprès des communautés qu'il a fondées.
Mais il a peur d'y être mal reçu. Les positions qu’il a prises depuis quelques années en tant
qu'apôtre des païens sont en effet peu acceptées de Jacques de Jérusalem et de son entourage
(Ga 2,11-14). Il craint même que les responsables de l'Eglise mère ne le renvoient avec son
argent, ce qui serait la pire des humiliations (Rm 15,30-33).

Par ailleurs, estimant qu'il a terminé son apostolat en Méditerranée orientale, il


projette un quatrième voyage en Espagne (Rm 15,23-29). Rome sera pour lui une étape. Il
espère obtenir des Romains une aide logistique et financière pour s'engager sur les routes de
l'Occident. C'est avec cela en tête qu'il leur écrit, alors même que son troisième voyage n'est
pas encore terminé. Il tient d'abord à préparer sa venue. Mais il espère aussi se concilier les
bonnes grâces des chrétiens de Rome, et parmi eux des Juifs qui en font partie : car ceux qui
sont récemment rentrés de Jérusalem sont restés en relation suivie avec l'Eglise mère et
pourront plaider sa cause.

Ainsi s'explique pour une part l'intérêt que Paul porte à la loi et à la question juive
dans l'épître aux Romains. L'oeuvre n'est pas du tout, comme on l'a longtemps affirmé, un
traité intemporel dans lequel Paul se plairait à synthétiser sa pensée, mais bien un écrit de
circonstance, comme d'ailleurs toutes ses autres lettres. Rédigée à Corinthe pendant un
séjour de trois mois assez mouvementé du fait des difficultés locales, elle puisa ses
caractéristiques dans les circonstances qui l'aident à voir le jour : sa vigueur sa compléxité,
son unité profonde. Nous sommes sans doute, selon la chronologie qui tend aujourd'hui à
s'imposer, en l'an 54 de notre ère.

IV.2. PLAN ET CONTENU

L'Epître aux Romains comprend un discours en quatre grandes parties, chacune


commandée par une proposition principale :
- Première partie, Rm 1,16 - 4,25
- Deuxième partie, Rm 5,1 - 8,39
- Troisième partie, Rm 9,1 - 11,36
- Quatrième partie, Rm 12,1 - 15,13
Une telle organisation a l'intérêt de mettre en valeur la dernière proposition
principale (Rm 12,1-2) qui, à la différence des autres, est une exhortation que Paul adresse à
ses lecteurs à la deuxième personne du pluriel. Les consignes qui la suivent sont toutes des
orientations ou des conseils pratiques. Elle ouvre donc une partie à prédominance éthique,
tenant compte des problèmes concrets qui se posaient dans la communauté chrétienne de
Rome. C'est à ce type de discours-là que conduit l'ensemble de l'oeuvre. La constatation est
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importante pour la compréhension du texte. Loin d'être un traité théorique dans lequel Paul
exposerait l'essentiel de sa théologie à un public virtuel, l'épître aux Romains se révèle alors
être une oeuvre de circonstance, bel et bien adressée ! une Eglise particulière. Et cela
conditionne le propos, y compris ce qui y est écrit de la loi.

Les différents thèmes


1. La loi avant le Christ
1.1. Les païens aussi ont la loi
1.2. Le païen observant sa conscience jugera le juif
1.3. A quoi bon être juif ?
2. La loi opposée à la foi
2.1. La foi seule
2.2. Une loi de foi
2.3. La loi exalte la foi d'Abraham
3. Vous n'êtes plus sous la loi
3.1. De Moïse à Jésus
3.2. La loi incompatible avec la grâce
3.3. Je reconnais le péché que par la loi
3.4. La loi de l'Esprit
3.5. La loi dans l'histoire du monde
3.6. Ambiguïté de la loi juive
4. Israël sans la loi ?
4.1. Les deux Israël
4.2. Israël historique ne parvient pas à la loi
4.3. Le sort d'Israël
5. De l'art et de la manière de vivre sans loi
5.1. La vie éthique est un culte rendu à Dieu
5.2. La plénitude de la loi
5.3. Et les Juifs Chrétiens
A part ces thèmes liés au rapport entre le juif et le païen, la loi et la foi, Paul aborde
d'autres thèmes importants et connexes :
- La puissance de la grâce
- la malédiction du péché
- La justification par la foi
- La mort et la vie avec le Christ Ressuscité
- L'action de l'Esprit sur le baptisé (La Bible et son message, n 107, 1976) : "La
puissance de l'Esprit"

Au chrétien d'origine juive qui est attaché à la loi, il fallait montrer que la loi elle-
même énonce ses propres limites, en même temps elle annonce l'Evangile. C'est un long
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travail de déconstruction (relatif au statut et à la fonction de la loi) qu'opère Paul ( Cf. Aletti,
Israël et la loi, L.D. 173, couverture, page finale)

IV.3. LA THEOLOGIE DE L’EPITRE AUX ROMAINS


IV.3.1. L’HUMANITE PECHERESSE SOUS LA COLERE DE DIEU
«L’Écriture a tout soumis au péché, dans une communauté en captivité ». Cette
affirmation de l’épître aux Galates (3,22) se trouve presque mot à mot en Rm 11,32. Elle
est longuement développée en Rm 1,18—3,19. Paul brosse là un tableau pessimiste de la
situation de l’humanité tout entière pécheresse (Juifs comme Païens) et, par là, sous la
colère de Dieu. Absent de Ga, le terme de «colère» est fréquent dans Rm (1,18 ; 2,5.8 ;
3,5 ; 4,15 ; 5,9 ; 9,22 ; 12,19 ; 13,4-5). Pour mieux mettre en lumière la toute puissance
de la grâce, Paul se complaît à souligner l’incapacité de l’homme à se libérer de
l’esclavage du péché, soit par les ressources de son intelligence (les païens) soit par la
pratique de la Loi (les Juifs).

Le constat catastrophique établi dans les trois premiers chapitres de la lettre


semble acculer au désespoir l’homme laissé à lui-même. C’est alors que se révèle la
justice de Dieu, «justice de Dieu par la foi en Jésus Christ pour tous ceux qui croient, car
il n’y a pas de différence ; tous ont péché, sont privés de la gloire de Dieu, mais sont
gratuitement justifiés par sa grâce» (3,22-24).

IV.3.2. LA JUSTIFICATION PAR LA FOI


a) LA JUSTIFICATION

Dans la langue française, le mot justice est ordinairement compris comme désignant
la vertu qui demande que l’on rende à chacun son dû. Il implique une idée d’équivalence
entre deux valeurs : il est «juste» de compenser un dommage subi, par une réparation
correspondante. Tel n’est pas le sens qui convient quand il s’agit de la «justice de Dieu».

Dans la langue biblique, la «justice de Dieu» est essentiellement la fidélité de Dieu à


ses promesses. Dire de Dieu qu’il est juste, c’est affirmer d’une part qu’il veut le bien de
l’homme et d’autre part qu’il est fidèle à lui-même et à ses engagements, en particulier à
la grande promesse faite à Abraham (Gn 12,2-3). Dieu se révèle juste en plénitude quand
il réalise en Jésus Christ le salut de l’humanité, conformément à son dessein d’amour.

C’est dans cette ligne qu’il faut comprendre le verbe justifier. Dire que Dieu justifie
l’homme ne signifie pas qu’il lui donne raison, qu’il reconnaît son innocence ou ses
mérites personnels, qu’il proclame son «bon droit». Cela veut dire que, librement, par
fidélité à lui-même, Dieu prononce sur l’homme un verdict de grâce qui le sauve du
péché et lui donne, de façon totalement gratuite, accès aux biens de la promesse. Dès lors,
tout orgueil humain est disqualifié. Il n’est demandé à l’homme que de recevoir, dans
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l’humilité et la confiance, une grâce qui ne relève pas de ses mérites antérieurs. Il est
justifié non parce qu’il était dans son bon droit, mais parce que Dieu est fidèle.

La justification, dont il est question en Rm, c’est la situation nouvelle dans laquelle se
trouve désormais l’homme «gracié», c’est-à-dire objet de la grâce. Dire que Dieu déclare
l’homme juste, c’est dire qu’il le crée réellement tel ; le Nouveau Testament n’hésite pas
à parler de nouvelle création (Ga 6,15), ou de résurrection (Rm 6,3-11). L’homme justifié
vit de l’Esprit qui habite en lui (8,9), qui le conduit (8,14), après l’avoir fait enfant de
Dieu, donc héritier de Dieu et cohéritier du Christ (8,17 ; Ga 4,6-7).

b) LA FOI

C’est par la foi que l’homme accède à la justification. La foi dont il s’agit ici n’est pas
d’abord l’adhésion intellectuelle à un certain catalogue de vérités, mais une remise totale
de l’homme à Dieu considéré comme seul capable de la sauver. Elle pourrait s’exprimer
simplement par cette prière du publicain de la parabole : «Fais miséricorde au misérable
que je suis» (Lc 18,13). C’est pour avoir eu cette attitude d’humble accueil à l grâce que
le publicain «descendit chez lui justifié» (Lc 18,14).

Il est important de remarquer que Paul ne dit jamais que la foi justifie (comme si le
croyant, par sa foi, était l’auteur de sa justice). Il affirme toujours que c’est Dieu qui
justifie «par» la foi ou que l’homme est justifié (sous-entendu par Dieu) «par la foi», «au
moyen de» la foi.

IV.3.3. LE CHRIST SECOND ADAM

Il faut bien comprendre que Paul ne s’intéresse pas au premier Adam pour lui-
même, mais seulement dans la mesure où il met en valeur le second. Ce n’est pas d’abord
d’Adam mais du Christ que Paul va parler. C’est l’incorporation au Christ qui mène
l’apôtre à présenter Adam comme celui en qui toute l’humanité est incluse, perspective
qui est celle des contemporains de Paul.

IV.3.4. LE BAPTEME

Paul développe une théologie, une mystique et des exigences concrètes du


baptême (Rm 6,3-14). L’immersion baptismale symbolise à ses yeux l’ensevelissement
du Christ au tombeau et sa résurrection glorieuse au matin de Pâques. Mais il y a plus
qu’un symbole : le geste baptismal réalise une véritable Pâque dans la personne du
baptisé. Celui-ci est désormais radicalement mort au péché et vivant de la vie même du
Christ (ressuscité). Il doit donc devenir ce qu’il est fondamentalement devenu à son
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baptême. La vie chrétienne est l’expression concrète du mystère pascal, auquel le baptisé
a été configuré, «assimilé» (Rm 6,5).

CINQUIEME CHAPITRE : L’EPITRE AUX PHILIPPIENS


V.1 OCCASION ET BUT DE L’EPITRE

En dépit de la brièveté de ses séjours à Philippes, Paul resta toujours attachés aux
chrétiens de cette ville. C’est avec une tendresse toute particulière qu’il s’adresse à eux
(Ph 1,7-8 ; 4,1.10). La lettre aux Philippiens «est la plus affectueuse, la plus tendre de
toutes celles que Paul a écrites. C’est une suite d’effusion qui défie l’analyse» (Osty).
Faisant exception à la règle qu’il s’est fixée (1Co 4,12 ; 9,15.18 ; 1Th 2,9 ; 2Th 3,8 ; Ac
20,34), Paul accepte de recevoir des Philippiens de l’argent et des secours (Ph 4,10-16 ;
2Co 11,8-9), ce qui témoigne d’une simplicité de rapport dont on n’a pas d’autres
exemples dans la carrière de l’apôtre.

V.2. PLAN ET CONTENU

L’Apôtre exprime ses idées au fur et à mesure qu’elles lui viennent à l’esprit
1. L’adresse de la lettre 1, 1-2
2. L’action de grâce 1,3-11
3. Les nouvelles personnelles 1,12-26
4. Première série d’exhortation 1,27—2,18

- Unité dans la constance 1, 27-30


- Humilité comme le Christ 2, 1-11 (6-11)
- Vénérence du Seigneur 2, 12-18
5. Deuxième exhortation 2,19—4,9
6. L’exposé des projets de l’apôtre à ses correspondants 4, 10-15
7. Les salutations finales 4,21-23

V.3. LA THEOLOGIE DE L’EPITRE


V.3.1. LA JUSTIFICATION PAR LA LOI
Paul oppose la justice qui vient de la loi 3,6, justice toute humaine 3,9, à la justice
qui vient de Dieu, qui s’appuie sur la loi et est obtenue «par la foi au Christ». La foi par
laquelle l’homme est justifié est elle-même don de grâce (1,29 ; cf. 1,11), car c’est Dieu
qui opère en l’homme «le vouloir et le faire» (2,13 ; cf. 1,6). Le croyant ne peut donc pas
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se glorifier de ses mérites ; il n’a aucune raison de «s’enorgueillir» (3,3), verbe qui
souvent revient en Rm, 1Co et plus encore en 2Co. Succomber à cette tentation d’orgueil
serait faire fi de la croix du Christ (3,18 ; cf. Ga 6,12-14).

V.3.2. L’EVANGILE

On reconnaît l’importance de mot et la fréquence de ses emplois dans les grandes


épîtres. Tout est dit en Rm 1,16 : «Je ne rougis pas de l’Évangile. C’est une force de Dieu
pour le salut de quiconque croit». L’annonce de l’Évangile est la mission essentielle de
Paul.

Or, si courte que soit l’épître aux Philippiens, le thème de l’Évangile y revient très
souvent. Paul est voué à la défense de l’Évangile (1,16) ; peu importe qu’il soit
prisonnier, puisque sa captivité tourne au profit de l’Évangile (1,12). S’il loue les
Philippiens, ce n’est pas seulement à cause de leur générosité, mais encore parce qu’ils
ont «pris part à l’Évangile» (1,5), à la «défense et l’affermissement de l’Évangile» (1,7),
à l’exemple de Timothée, ce fidèle «serviteur de la cause de l’Évangile» (2,22). Les
croyants doivent lutter pour l’Évangile (4,3), «mener une vie digne de l’Évangile» (1,27),
«tenir ferme et combattre ensemble, d’un même cœur, pour la foi de l’Évangile» (1,27).
V.3.3. LA JOIE
Si le thème de la joie n’a jamais été absent des écrits pauliniens, il revient avec
une particularité : l’insistance dans la lettre aux Philippiens (9 fois le verbe «se réjouir», 2
fois le verbe «se réjouir avec», 5 fois le mot «joie»). Non seulement Paul, malgré sa
captivité et la perspective d’un martyre possible, déborde de joie (1,1.18 ; 2,17 ; 4,1.10),
mais, comme aux chrétiens de Rome (Rm 12,12) ou de Corinthe (2Co 13,11), il demande
à ceux de Philippes de se réjouir avec lui (2,18.28 ; 3,1 ; 4,4).
V.3.4. L’UNION DU CHRETIEN AU CHRIST ET L’UNION DES CHRETIENS
DANS LE CHRIST
Saisi par le Christ (3,12), Paul désire ardemment quitter cette vie terrestre pour
rejoindre définitivement son Seigneur (1,23). Mais en attendant cette échéance ultime, il
poursuit sa course (3,12-14). Il peut dire alors «pour moi vivre c’est le Christ» (1,21). En
toute confiance, il attend des cieux «le Seigneur Jésus Christ qui transformera notre corps
de misère, pour le conformer à son corps de gloire (3,21).

Cette intimité avec le Christ est maintes fois exprimées par la formule «dans le
Christ», ou «dans le Christ Jésus», ou «dans le Seigneur».
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A l’exemple de Paul, qui met dans le Christ seul sa fierté (1,26) et son espérance
(2,24), les Philippiens sont «dans le Christ Jésus» (1,1). C’est «dans le Christ» ou «dans
le Seigneur» qu’ils doivent tenir bon (4,1) accueillir les frères (2,29), vivre en bonne
intelligence (4,2), se réjouir (3,1 ; 4,4), annoncer l’Évangile (1,14), recevoir la paix et les
autres dons de Dieu (4,1.19). Ainsi unis au Christ parce qu’ils sont «en lui», les
Philippiens ne pourront qu’être étroitement unis entre eux.

SIXIEME CHAPITRE : L’EPITRE AUX COLOSSIENS


VI.1. OCCASION ET BUT

Pour les hérétiques de Colosse, les puissances intermédiaires sont un adjuvant


nécessaire, elles seules rendent possibles une participation pleine et entière à la plénitude
de la divinité. Pour Paul, la foi au Christ assure un contact direct dont le baptême et le
pardon des péchés sont les seules garanties suffisantes : la souveraineté du Christ,
nettement affirmée dans les deux premiers chapitres, libère les croyants qui deviennent
responsables de leur obéissance envers lui, ainsi l’Évangile est à la fois connaissance et
révélation, mais aussi exhortation, incitation, ordre positif ou défense.

VI.2. PLAN ET CONTENU

Adresse : 1,1-2
Partie dogmatique : les richesses de la foi chrétienne : 1,3—2,5
Action de grâce pour les nouvelles reçues : 1,3-8
Prière s’épanouissant en hymne au Christ : 1,9-20
Richesse de l’espérance apportée par l’évangile, 1,21-29
Le souci de Paul pour la communauté : 2,1-5
Partie parénétique : conséquences de la foi chrétienne : 2,6—4,6
La véritable circoncision : 2,6-15
La condition céleste du Chrétien : 2,16—3,4
La communauté des hommes nouveaux : 3,5-17
La vie des chrétiens dans le monde : 3,18—4,6
Complément : 4,1-17
Envoi de Tychique et d’Onésime : 4,7-9
Salutation des compagnons de Paul : 4,10-14
Salutations aux destinataires : 4,15-17.

VI.3. LA THEOLOGIE DE L’ÉPITRE


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La théologie de l’épître aux Colossiens insiste sur trois aspects : la christologie,


l’eschatologie et l’ecclésiologie.
1. La christologie de Col est basée sur l’hymne traditionnelle en 1, 15-20. :
Le Christ - l’image du Dieu invisible (1, 15 ; Cf. 2Co 4, 4)
- le premier avant toute créature (1, 15 ; Rm 8, 29)
- préexistant à toute chose (1, 17)
- le commencement (1, 18)
- le premier né d’entre les morts (1, 18)
- tout est crée par lui et pour lui, tout subsiste en lui (1, 16-17)
- tout est réconcilié en lui (1, 20 ; Rm 5, 10 ; 2Co 5, 18-19)
- la tête du corps, l’Eglise (1, 18 ; Ep 1, 22 ; 4, 12 ; 5, 23)
Eléments spécifiques de la christologie de Col
- mystère de Dieu (1, 27 ; 2, 2-3)
- le fidèle est ressuscité avec le Christ 2,12 ; 3, 1
- le Christ pardonne les péchés (1, 13-14 ; 3, 13 ; Cf Ep 1, 7)
- le Christ est vainqueur de toutes autorités et pouvoirs (2, 15)
Eléments christologiques communs aux lettres pauliniennes
- le Christ est les Fils en qui les croyants reçoivent le pardon des péchés (1, 13 ;
Rm 3, 24 ; 1Co 1, 30)
- les croyants sont ensevelis avec le Christ dans le baptême (2, 12 ; Rm 6, 4)
- le Christ est assis à la droite du Père (3, 1 ; Rm 8, 34)

2. L’eschatologie est décrite comme réalisée33. On remarque peu d’indication pour une
attente eschatologique en Col, tandis que Paul attendait la parousie imminente dans
d’autres lettres (1Th 4, 15 ; 5, 23 ; 1Co 7, 26). L’idée d’un future retour du Christ
apparaît en 3, 4, mais les croyants sont encouragés à rendre les choses d’en haut une
réalité présente (3, 1-2). Les chrétiens sont déjà ressuscités avec le Christ (2, 12 ; 3,
1), tandis que dans les autres lettres la résurrection est une attente future (1Co 6, 14 ;
2Co 4, 14).
- Une note particulière sur l’eschatologie se remarque dans la théologie du
baptême. Tandis qu’en Rm 6,1-4, le baptême concerne le futur, en Colossiens, il
évoque le salut accompli. Dans le baptême les croyants ne sont pas seulement
morts avec le Christ, mais aussi ressuscités avec lui.

3. Une particularité ecclésiologique


Dans les autres lettres pauliniennes le mot «Eglise» désigne habituellement une
Eglise locale dans un sens spécifique et concret, mais dans Colossiens le terme
« Eglise » signifie l’entité universelle, le corps dont le Christ est la tête (1, 18.24 ; 2,
19 ; 3, 15), sauf 4, 15.16 qui se réfèrent à des Eglises locales.

33
Maurya P. Horgan, «Colossians» in NJBC, 877.
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Le rôle des croyants est de rester fermes, attachés à la tête de qui le corps entier
tire la croissance que Dieu lui donne. Chaque croyant doit instruire et avertir l’autre
(3, 16). Il n’y a pas de description des offices spéciaux ou structures spéciales dans
l’Eglise. Toutefois Paul se présente comme apôtre (1, 1).Lui, Epaphras et Tychique
sont appelés des ministres, compagnons de service dans le Seigneur (1, 7.23 ; 4, 7).

SEPTIEME CHAPITRE : L’EPITRE AUX EPHESIENS


VII.1. OCCASION ET BUT

La lettre aux Ephésiens fut apportée par Tychique lorsqu’il apportait celle aux
Colossiens (Ep. 6, 21-22 ; Col. 4, 7-9). C’est pendant les années de captivité que Paul
mûrit ses idées en vue de nouvelles synthèses. A cause de certaines similitudes et des
parallélismes avec l’Epître aux Colossiens, on suppose que l’Epître aux Ephésiens a été
écrite au même moment que celle aux Colossiens, et ils ont un seul porteur.
Quels sont les buts essentiels de l’épître ?
L’épître a un but didactique. Nous avons signalé ci-haut que l’Apôtre avait
séjourné à Ephèse pendant trois ans. Pendant cette période, Paul en a profité pour
convertir les païens et les enrichir dans la saine doctrine. La plupart des convertis étaient
des chrétiens issus du paganisme. Ce but didactique surgit presque dans tous les écrits de
l’âge apostolique où les dépositaires de la Révélation, conscients de leur proche
disparition, se sentent obligés de consigner les précieuses vérités qui leur ont étés
confiées34.
Ainsi, Paul se sent obligé d’affermir toujours les pagano-chrétiens. F. Godet dira :
« L’auteur veut engager les Eglises en majeure partie pagano-chrétiennes, qui relève de
sa mission en Asie, à élever leur conduite morale à toute la hauteur de sainteté que
réclame la dignité de membres du Corps du Christ, qui leur appartient à l’égal des
membres de l’ancien peuple élu »35.

L’épître a également un but exhortatif à l’unité. Cette exhortation à l’unité se


trouve dans la partie doctrinale et pratique. Dans cette dernière, l’apôtre exhorte à l’unité
ses convertis du judaïsme avec les chrétiens issus du paganisme. En effet, le plan de Dieu
n’est pas de désunir mais de réunir tous sous la tête du Christ(1,10). Pour y arriver, il faut
une conversion : « Vous les païens qui, après avoir entendu l’Evangile de votre salut,
vous avez cru » (Ep 1, 13). «Vous marchiez autrefois selon le train de ce monde ». (Ep 2,
2) « Ainsi, par la croix du Christ vous avez été rapprochés » v.13 ; « et le Christ a créé
les deux peuples en un seul» v.15. Il les a réconciliés l’un et l’autre en un seul corps.
(Ep. 2, 16)

34
KUEN A. op. cit.., p. 215 .
35
GODET Cité par KUEN A., op. cit., p. 217.
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Par ailleurs, le contenu du mystère révélé à Paul n’a d’autre visée que
l’intégration des païens dans le mystère d’unité. Les païens sont cohéritiers, forment un
même corps et participent à la même promesse en Jésus Christ par l’Evangile (3,6).
Grâce aux dons spirituels que le Christ offre à ses croyants, ils parviendront à conserver
une unité de la foi et de la connaissance du fils de Dieu (4, 13). L’unité de l’Esprit est
conservé lorsque chacun reconnaît les dons de l’autre sachant que tout les charismes si
divers soient-ils, contribuent à la même tâche : l’édification du corps unique »36.

Toutefois il y a certains obstacles à cet esprit d’unité : le manque de douceur, de


patience (4, 2), ainsi que les différents péchés : Mensonge (4, 25), colère (4,26),
malhonnêteté (v.28), paroles mauvaises (v.29), amertume, animosité, méchanceté 4,31,
refus de pardonner ‘,32, parole et conduite contraire à la bienveillance, fornication,
cupidité (5, 3), débauche (5, 4). Selon Paul, ces péchés mettent en péril l’unité.

L’unité que Paul cherche à restaurer n’est autre que celle de mettre ensemble juifs
et anciens païens. Pour y arriver, Paul exhorte les pagano-chrétiens à renoncer aux
péchés qui scandalisent les juifs et les empêchent d’être en communion avec eux.
L’Epître a également un but prophylactique. La prophylaxie est l’ensemble des
mesures prises pour prévenir l’apparition ou la propagation d’une maladie ou de
plusieurs maladies37. En effet, il y avait certaines menaces des doctrines étrangères dans
les églises de Colosses et d’Ephèse. Et Paul ne pouvait pas se taire devant ces menaces.
Dans l’Epître aux Colossiens, sa meilleure arme contre l’erreur est un exposé approfondi
de la vérité concernant le Christ. Chez les Ephésiens, il enseigne les grandes doctrines
concernant l’œuvre de Dieu, de Jésus Christ et du Saint-Esprit, la vocation de l’Eglise,
corps universel dans lequel se trouvent ensemble les vrais croyants. L’apôtre veut ainsi
vacciner les chrétiens contre les instructions des doctrines étrangères qui raviraient à Dieu
la gloire (1, 6, 12,14) à Jésus Christ sa prééminence (1, 21-23) et attristeraient le Saint-
Esprit qui a scellé les croyants (1, 13 ; 4, 30).

Pour parvenir à combattre toutes ces maladies, il faut que les lecteurs aient
confiance aux hommes que Dieu a donnés à son Eglise tels que : les apôtres, les
prophètes, les évangélistes et les pasteurs et les docteurs pour leur fonctionnement (4, 11-
12) et leur croissance spirituelle, alors ils ne se laisseraient pas emporter à tous vents de
doctrine par la tromperie des hommes, par leurs ruses par les moyens de séduction.

Avec ce but, Paul cherche à mettre les croyants en garde contre les erreurs qui
pourraient détruire L’Eglise. A ce sujet, John Eadie dira : « Dans les Ephésiens, des
principes sont posés qui pourront constituer une barrière contre l’introduction de

36
KUEN A., op. cit., p. 219.
37
Nouveau Petit Dictionnaire Larousse, Paris, Librairie Larousse, 1972, p. 829.
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l’erreur théosophique. L’Epître peut donc être gardée comme étant de nature
prophylactique plus tôt que corrective »38.

VII.2. PLAN ET CONTENU

Adresse : 1,1-2
Partie dogmatique : les richesses de la foi chrétienne
Hymne décrivant les richesses spirituelles apportées par le Christ : 1,3-14
Prière pour l’illumination de la communauté : 1,15-23
Nous sommes tous sauvés de la colère par la grâce de Dieu : 2,1-10
Vous êtes devenus participants de la promesse : 2,11-22
Paul instrument de la révélation du mystère : 3,1-13
Prière pour l’illumination des croyants : 3,14-21
Partie parénétique : conséquences de la foi chrétienne
L’unité du corps du Christ : 4,1-16
Le renouvellement du jugement : 4,17-24
Rapports mutuels entre les membres d’un même corps : 4,25—5,2
Rupture avec les pratiques païennes : 5,3-21
Principes de vie domestique : 5,22—6,9
Dernières consignes : 6,10-20
Complément
Envoi de Tychique : 6,21-22
Salutations finales : 6,23-24.

VII.3. LA THEOLOGIE DE L’EPITRE

Dans l’hymne d’ouverture l’Epître trace toute l’histoire du salut qui s’origine dans
le Père, se réalise dans le Fils et s’offre dans l’esprit. Sa structure est trinitaire et le Christ
est au centre : Il est cité 11 fois précédé de nombreuses prépositions ; en lui, par lui, dans
lui, sous lui.
1ère strophe : notre élection par Dieu (4-6)
2ème strophe : notre rédemption par Jésus Christ (7-12)
3ème strophe : le sceau de l’Esprit Saint (13-14)

VII. 3. 1. Particularité théologique de la lettre aux Ephésiens

38
EADIE J., cité par KUEN A., op.cit, p.221.
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a. L’Eglise est venue comme un phénomène cosmique qui englobe toute la création (1,
21-23 ; 3, 9-11), tandis que dans les autres lettres Paul envisage Eglises dans le sens
de communautés locales (1Co 1, 2; Ga 1, 2 ; Phm 2 ; sauf 1Co 12, 28 ; 15, 9 ; Ga 1,
13;). L’Eglise a pour fondation les Apôtres et les prophètes (2, 19-22) dans Ep,
tandis qu’en 1Co 3, 1 c’est le Christ lui-même.
b. La tension polémique entre Gentils et Juifs n’existe pas dans la lettre aux Ephésiens.
L’auteur ne considère pas la conversion des Païens comme une occasion de
provoquer la jalousie d’Israël (Cfr Rm 11). Dans l’épître aux éphésiens juifs et Païens
ensemble ont été réconciliés avec Dieu dans un seul corps par la croix (2,16). Le mur
de la haine a été détruit (2, 14).
c. L’eschatologie de l’épître aux Ephésiens est une eschatologie réalisée. On ne parle ni
de la palousie ni d’une fin du monde imminent. L’accent est mis sur le présent : Les
chrétiens sont déjà ressuscités avec le Christ et sont assis avec lui dans les cieux (2, 5-
6). Or dans les autres lettres Pauliniennes, les chrétiens participent à la mort du
Christ, mais la participation à sa résurrection reste une espérance non encore
accomplie (Rm 6, 5 ; Ph 3, 10-11).

VII. 3.2. Certains thèmes importants dans Ephésiens

1. La récapitulation universelle par le Christ39. Le projet de Dieu nous est présenté


comme un mystère, resté caché jusqu’au temps fixé. Les païens sont invités à
constituer la même Eglise que les juifs, le corps même du Christ (3, 6). Tous les êtres
sont unis dans le Christ. Le couple de totalité «cieux-terre» représente en effet la
manière hébraïque, l’univers dans toute son extension, avec les êtres visibles et les
êtres invisibles (Cfr. Ep 1, 21 ; 3, 10 ; 6, 12). La réunion qu’opère le Christ comporte
la liquidation d’un lourd passé qui pesait, tant sur les païens que sur les juifs et permet
le surgissement de l’Homme nouveau (2, 15). Un jour tout l’univers et toute
l’humanité sera « récapitulé » sous un seul chef, le Christ dans une participation à
l’échange trinitaire40.
2. Un seul baptême est le rite par lequel on entre dans la communauté de ceux qui sont
ressuscités avec le Christ (Col 3,1) et qui sont membres de son corps (1Co 12, 13 ;
Ep 4, 5-6). Et lorsqu’un se convertissait, toute sa maison le suivait, y compris les
enfants (Ac 10, 2 ; 16, 15.34 ; 18,8 ; 1Co 1, 16). C’est ainsi que Col 2, 10-11
l’appelle une circoncision.
3. La prédestination (Ep 1, 5-3)

39
Ca Ev n° 50 ; Jésus. Treize textes du N.T. par P.-Marie Beaude et alii, Cerf, Paris,1984, p. 52.
40
Delhez C., Apprendre à lire la bible, St Paul Afrique, Kinshasa, p. 121.
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En créant les hommes, Dieu poursuit un projet : les faire participer à sa plénitude.
Avant même la création, Dieu a formé pour chacun d’entre nous le vœu que nous
partagions un jour son bonheur. Dieu ne prédestine jamais à la damnation. Mais ce
projet d’amour comporte aussi la liberté de l’homme ; la liberté peut refuser ce à quoi
Dieu nous a prédestinés. La liberté est créée pour réaliser le projet de Dieu mais, elle
est aussi capable de dire non. C’est pourquoi à la fin de l’épître Paul exhorte les
chrétiens au combat de la foi (6, 10-20)

HUITIEME CHAPITRE : LA BILLET A PHILEMEON


VIII.1. LES CARACTERISTIQUES LITTERAIRES
VIII.1.1. UNE LETTRE AUTOGRAPHE

C’est la seule lettre entièrement écrite de la main de l’apôtre qui d’ordinaire


dictait son courrier. M. Goguel l’a qualifiée de «véritable chef-d’œuvre de tact et de
cœur».

VIII.1.2. LA STRUCTURE

Une structure analogue à celle d’une lettre privée :


A Adresse : 1-3
B Action de grâce : 4-7
C Demande en trois points :
 Onésime trouve maintenant son utilité véritable : 8-11
 Fils spirituel de Paul, il devient frère de Philémon : 12-16
 Qui est en dette ? Paul à l’égard de Philémon ou bien l’inverse ? : 17-20
B’ Paul fait confiance : 21-22
A’ Salutations

VIII.2. PAUL ET L’ESCLAVAGE


VIII.2.1. SENEQUE, PAUL ET L’ESCLAVAGE

A cette époque, la situation des esclaves dans l’empire romain est en lente
amélioration. L’épicurisme et le stoïcisme ont eu une influence sensible sur le sort qui
leur est fait.

Dans le passage bien connu de la lettre à Lucilius n o47, Sénéque n’hésitera pas à
poser la question : «Que dira-t-on ? Ce sont des esclaves ? Mais ils sont des hommes…»
Pour arriver là, il aura fallu des siècles… Paul en écrivant aux Galates s’était montré plus
hardi encore : «Il n’y a plus ni juifs, ni grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il
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n’y a plus ni l’homme et la femme, car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ» (Ga
3,28).

VIII.2.2. DU RACHAT DE L’ESCLAVE

D’un point à l’autre de l’empire, la situation des esclaves varie et dépend de


besognes auxquelles ils étaient employés. Toutefois, plus qu’à aucune des époques
précédentes, l’esclave peut espérer obtenir un jour l’affranchissement. Des règles ont
même été fixées pour son rachat. Le pécule nécessaire au rachat (mot qui prendra une
singulière résonance dans la doctrine chrétienne !) une fois fixé ne peut être ni capté par
le maître, ni réévalué quant à son montant, ni augmenté quant à la durée du temps
nécessaire pour obtenir son affranchissement… N’est-ce pas un affranchi, Félix, qui,
devenu gouverneur de province accueillera Paul prisonnier lors de son transfert de
Jérusalem à Césarée (Ac 23,26-35) ?

VIII.2.3. L’EGLISE ET LES ESCLAVES

Joël Schmidt dans son livre sur l’esclavage dans l’empire romain résume bien la
situation : «L’Église a pénétré partout ; elle n’entend pas privilégier une classe plutôt
qu’une autre, ni nuire aux riches pour servir les pauvres, ni libérer les esclaves pour
ruiner les grands propriétaires et finalement l’économie générale de l’empire…»

Si, comme les autres croyants, les esclaves sont appelés à témoigner de leur foi au
Christ, ce sera là où ils sont, avec les occasions que leur fournit leur situation particulière
… Bref, l’Évangile agit plus par l’intérieur que par l’extérieur.

N.B : Au regard de R. Mugaruka : cette explication au relent apologétique


demeure cependant peu satisfaisant au regard de la nouvelle relation qu’instaure entre les
hommes la foi au Christ et qui appelle non seulement l’égalité entre tous mais aussi le
respect absolu de la dignité de l’homme et de tout homme, image de Dieu et frère du
Verbe incarné. Ne serait-il pas plus exact d’attribuer cette tolérance au caractère
progressif de la compréhension par l’Église des vérités de la foi et des valeurs
évangéliques ?

Le Paraclet promis par le Christ a entre autres comme tâche de mener l’Église à la
vérité toute entière. «Mais quand il viendra, lui, l’Esprit de vérité, il vous introduira dans
la vérité toute entière» (Jn 16,13). A son époque, Paul n’a pas réalisé toutes implications,
ni tiré toutes les conséquences de la dignité conférée à l’homme et à tout homme par
l’incarnation du Verbe. Il en sera de même, jusqu’à une époque encore récente, à propos
de l’esclavage et de la colonisation.
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VIII.2.4. LE CAS D’ONESIME DANS LA LETTRE A PHILEMON

Onésime, esclave de Philémon, s’est enfui de chez son maître. Toute une série de
questions se posent : comment a-t-il rencontré Paul? Était-il déjà converti? Est-ce au
dehors? Est-ce en prison? Connaissait-il déjà l’apôtre à Colosses? Ou seulement de
réputation? A-t-il voulu le rejoindre, ce qui expliquerait la liberté avec laquelle Paul l’a
accueilli, exerçant en quelque sorte un droit d’asile?

Ce qui est sûr – et sur ce point Col 4,9 est formel -, c’est que des liens d’amitié
profonde existent aujourd’hui entre Paul et Onésime, qui retourne à Colosse avec
Tychique, porteur de deux lettres à Philémon et aux Colossiens.

«Reçois-le comme moi-même» déclare Paul. Il n’hésite pas à glisser cette formule
commerciale : «…si tu me tiens pour associé» (17). Philémon est un membre généreux de
l’Église de Colosse (5-7), converti par Paul (19) et resté très lié à l’apôtre (1). De ce fait,
Paul ne doute pas qu’il accueille Onésime de telle sorte qu’il ne soit plus esclave, mais
frère bien-aimé. Avec habileté, en un style éblouissant, Paul suggère que Philémon
pourrait fort bien dans la suite confier Onésime à Paul comme collaborateur.

NEUVIEME CHAPITRE : LES EPITRES PASTORALES


IX.1. LES DESTINATAIRES

Exception faite du billet à Philémon, les Pastorales sont les seules lettres adressées
à des individus, ce qui d’ailleurs n’empêche pas que, derrière eux, des communautés
soient visées (cf. les salutations finales).

Timothée, originaire de Lystres en Lycaonie, était fils d’un père païen et d’une
mère juive devenue chrétienne. Paul, l’ayant sans doute rencontré au cours de sa première
mission (Ac 14,8-20), se l’attacha définitivement au cours de son deuxième passage à
Lystres. C’est alors qu’il le circoncit «à cause des juifs qui se trouvaient dans ces
parages» (Ac 16,1-3).
Tite, païen de naissance, embrassa la foi chrétienne sans être obligé de se faire
circoncire (Ga 2,1-5). Au plus fort de la crise corinthienne, il remplit avec brio une
difficile mission de conciliation (2Co 7,6-16). Chargé de la collecte au profit des
chrétiens de Jérusalem (2Co 8,6), il se montra digne de la confiance qui lui avait été faite
(2Co 12,17-18). D’après Tt 1,5, Paul l’aurait envoyé en Crète pour y organiser les églises
naissantes. Autant qu’on puisse en juger, Tite semble avoir été un homme de caractère en
même temps que diplomate souple et avisé. Ce qui ne va pas toujours de pair

IX.2. LA STRUCURE DES EPITRES PASTORALES


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IX.2.1. LA PREMIERE EPITRE A TIMOTHEE

Adresse 1,1-2
1. Timothée et l’annonce de l’Évangile 1,3-20
a) Timothée lutte contre les faux docteurs : ils se méprennent sur le «dessein de Dieu
et sur le rôle de la foi, ils se prétendent indûment les spécialistes compétents 3-11.
b) Timothée peut, à travers l’exemple de Paul, persécuteur devenu apôtre, découvrir
la puissance de la grâce de Dieu qui veut témoigner à tous sa miséricorde. Une
doxologie, peut-être d’origine liturgique conclut le passage 12-17.
c) Timothée, à la suite de Paul et avec la grâce qu’il a lui-même reçue par une
intervention des prophètes de la communauté, doit combattre le bon combat 18-
20.
2. Timothée et l’organisation du culte 2,1-15
a) Le caractère universel de la prière de l’Église 1-7. Il faut prier pour tous les
hommes, car «Dieu veut que tous soient sauvés et parviennent à la connaissance
de la vérité», ainsi que l’atteste une formule de foi qui remonte aux origines.
b) Les formes concrètes de la prière 8-15. Paul indique comment les hommes et les
femmes doivent se comporter dans les assemblées liturgiques.
3. Timothée et les ministres de l’Église 3,1-16
a) Les qualités requises des épiscopes 1-7
b) Les qualités requises des «diacres» et, sans doute, des «diaconesses» 8-13
c) L’Église et «le mystère de la piété» 14-16. En attendant qu’il puisse le rejoindre,
Paul rappelle à Timothée comment il doit se comporter dans l’Église, «maison du
Dieu vivant». Une hymne au «mystère de la piété» conclut le passage.
4. Timothée et la charge pastorale 4,1—6,2a
a) Timothée devra combattre les faux ascétismes (condamnation du mariage, tabous
alimentaires) : tout ce que Dieu a créé est bon 1-5
b) Timothée sera un bon serviteur (ministre) s’il se nourrit de la bonne doctrine,
s’exerce à la piété, lit et proclame la Parole de l’Écriture, exhorte et enseigne avec
courage, confiant dans le charisme qu’il a reçu par une intervention prophétique et
l’imposition des mains du collège presbytérale 6-16.
c) Timothée saura comment se comporter vis-à-vis des diverses catégories de fidèles
5,1—6,2a : chrétiens en général, veuves, anciens, esclaves.
Conclusion 6,2b-21
- La véritable piété opposée aux faux docteurs 3-10
- La belle profession de la foi de Jésus, modèle de la foi du vrai croyant 11-16
- Avertissement aux riches 17-19
- Exhortation finale («Garder le dépôt») et salutations 20-21.

IX.2.2. L’EPITRE A TITE


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Adresse 1,1-4
1. Tite et l’organisation de l’Église 1,5-16
a) Dans chaque ville de Crète, Tite devra installer des Anciens ayant des aptitudes
nécessaires 5-9
b) Tite aura à combattre les faux docteurs judaïsant 10-16.
2. Tite et la vie chrétienne de fidèles 2,1—3,11
a) Devoirs particuliers à certaines catégories de fidèles 1-15 : vieillards, femmes
âgées, jeunes gens, esclaves. Fondement doctrinal de ces exigences : Dieu s’est
acquis un peuple saint, pain d’ardeur pour les «belles œuvres».
b) Devoirs des chrétiens en général 3,1-8 : Les croyants sauront se soumettre aux
autorités et se montrer accueillants à tous. Fondement doctrinal de ces exigences :
le chrétien, par son baptême, est né à une vie nouvelle.
c) Devoirs propres à Tite en matière doctrinale 3,9-11 : Tite devra fuir les vaines
recherches et rompre avec «l’homme hérétique».
Conclusion 3,12-15 : Informations concernant les déplacements de plusieurs
collaborateurs de Paul. Salutations.

IX.2.3. LA DEUXIEME EPITRE A TIMOTHEE

Adresse et action de grâce 1,1-5


1. Apôtre du Christ, Timothée doit savoir lutter et souffrir pour l’Évangile 1,6—2,13
a) Que Timothée «ravive le charisme» qu’il a reçu par l’imposition des mains de
Paul et qui l’a consacré au ministère apostolique 6-8.
b) Que la puissance salvifique de Dieu lui soit une raison de garder courage 9-10.
c) Que l’exemple de Paul et celui d’Onésiphore le réconfortent 11-18
d) Que les souffrances et la mort du chrétien soient toujours vues à la lumière de la
résurrection du Christ. Une hymne conclut ce passage.
2. Pasteur du troupeau, Timothée doit être vigilant 2,14—4,5
a) Timothée proclamera courageusement la Parole, face au péril de faux docteurs 14-
26 : Que Timothée tienne bon; il en est trop qui se sont laissé séduire par des
propagandes fallacieuses. Qu’il se rappelle que la «maison de Dieu» est
inébranlable. Contre les faux docteurs, le serviteur de Dieu doit être doux, bon et
patient envers tous.
b) Timothée doit se préparer à affronter les périls des derniers temps 3,1—4,5 : Il lui
faut s’attendre à des jours difficiles. Il devra tenir bon, méditant l’exemple de Paul
et se montrer fidèle aux Saintes Écritures. En tout temps et en toutes circonstances
il faut proclamer la Parole de Dieu.
Conclusion 4,6-22
- Paul, au soir de sa vie, s’apprête à paraître devant Dieu 6-8. Il a combattu le bon
combat, achevé sa course, gardé la foi.
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- Paul donne quelques nouvelles et demande à Timothée de lui rendre de menus


services 9-13.
- Paul évoque son procès et constate avec tristesse que beaucoup l’ont abandonné
14-18.
- Salutations et souhait final 19-22.

IX.3. LA THEOLOGIE DES PASTORALES


IX.3.1. LES DONNEES FOURNIES PAR LES TEXTES
IX.3.1.1. DIEU

Dieu, appelé «Père» dans l’adresse de chacune des trois lettres, est le créateur de
tout ce qui existe (1Tm 4,3-4), le dispensateur généreux de tout bien (1Tm 7,17). A lui
s’adresse l’hymne solennelle de 1Tm 6,15-16. Poussé par son amour miséricordieux et
fidèle (Tt 3,4-5; 2Tm 2,13), il veut le salut de tous les hommes (1Tm 2,4), qu’il appelle
en vertu de son dessein de grâce (2Tm 1,9). Le terme de «Sauveur» est particulièrement
apte à le désigner (1Tm 1,1; Tt 1,4).

IX.3.1.2. LE CHRIST

Le Christ est Dieu véritable (Tt 2,13) et homme véritable (1Tm 2,5), issu de la
race de David (2Tm 2,8). L’incarnation est chantée dans une hymne liturgique (1Tm
3,16) qui n’est pas sans affinité avec celle de Ph 2,6-11. Venu dans le monde pour sauver
les pécheurs (1Tm 1,15), le Christ reviendra à la fin des temps, en une manifestation
(«épiphanie») glorieuse (Tt 2,13; 2Tm 4,1.8).

IX.3.1.3. L’ESPRIT SAINT

L’Esprit a glorifié (litt. «Justifié» 1Tm 3,16) Jésus à la Résurrection. Il habite dans
les croyants (1Tm 1,14), après les avoir engendrés à une vie nouvelle par le baptême (Tt
3,5). Il aide les responsables de l’Église à garder intact le «dépôt» de la foi (2Tm 1,14).

IX.3.1.4. LE SALUT
En deux textes de tonalité très paulinienne, l’auteur décrit le dessein de salut
conçu par Dieu «avant les temps éternels dans le Christ Jésus et maintenant manifesté par
l’apparition de notre Sauveur, le Christ Jésus» (2Tm 1,9-11; Tt 3,5-8). En ces deux
passages, l’auteur insiste sur le fait que ce n’est pas en vertu de leurs œuvres que les
hommes ont accès à la justification (Tt 3,7) ou au salut (Tt 3,5; 2Tm 1,9).

IX.3.1.5. L’EGLISE
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L’Église est comparée à une maison dont les ministres sont les intendants (Tt 1,7).
Peuple de Dieu que le Christ s’est acquis, le rachetant de ses iniquités et le purifiant par
son sacrifice (Tt 3,14), l’Église se rattache aux apôtres : c’est par l’imposition des mains
de Paul que Timothée a été établi dans sa charge (2Tm 1,6) et c’est par l’imposition des
mains de Timothée que les presbytres sont consacrés au ministère (1Tm 5,22).

IX.3.1.6. LA MORALE CHRETIENNE

Les vertus morales occupent une place de choix : pondération, tempérance,


maîtrise de soi, pureté, modestie, patience, hospitalité, douceur. L’amour-charité n’est pas
oublié, mais n’a pas de prééminence particulière. Toute la vie chrétienne a pour centre la
«piété» (cf. 1Tm 3,16, «le mystère de la piété»), terme qui a une signification très large et
embrasse la totalité du comportement; il doit s’entendre au sens de vie droite, conforme à
la volonté de Dieu. En 2Tm 2,3-6, trois comparaisons, déjà utilisées par Paul (la carrière
militaire, l’ascèse sportive, le métier de cultivateur), invitent Timothée, et les fidèles à
son exemple, à accepter les exigences de la vocation chrétienne.

IX.3.2. UNE THEOLOGIE SURPRENANTE

La théologie des Pastorales est déconcertante. D’une part en effet, ces épîtres
contiennent des exposés qui reprennent les grands thèmes pauliniens; d’autre part, on y
trouve des passages qui (fond et forme) en sont apparemment très éloignés.

IX.3.2.1. LES TRAITS PAULINIENS

Les traits pauliniens ne manquent pas, nous avons déjà pu le constater plus haut :
conscience du péché et impuissance de l’homme à mérité par lui-même la justification
gratuite du salut offert par Dieu en Jésus Christ, l’unique rédempteur de tous les hommes,
rôle essentiel de la foi, importance du baptême, affirmation du dessein éternel de Dieu
(cf. le «mystère» de 1Tm 3,16). Les règle morales concernant les esclaves ou les
chrétiens face au pouvoir établi sont les mêmes que celles qu’on lit dans les grandes
épîtres. La conviction que les souffrances de l’apôtre peuvent concourir au bien spirituel
des fidèles (2Tm 2,10) rappelle des développements pauliniens connus.
IX.3.2.2. LES DIFFERENCES

Mais, à côté de ces ressemblances il existe des différences importantes :


- La foi, de lien vivant avec le Christ, tend à devenir la fidélité à un credo officiel,
pierre de touche de l’orthodoxie. Le premier souci des pasteurs est moins
d’évangéliser que de garder le dépôt reçu et de la transmettre fidèlement.
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- L’auteur revient à plusieurs reprises sur la nécessité des «bonnes, belles œuvres»
(1Tm 5,10.25; 6,18; Tt 2,7.14; 3,8.14; 2Tm 4,5.18). Cette expression est absente
des grandes épîtres.
- La morale chrétienne semble se résumer en un humanisme équilibré, assez
éloigné des engagements radicaux et compromettants («une morale bourgeoise»
dit Dibelius).
- L’Esprit Saint, s’il est bien l’agent de la renaissance baptismale, est tout autant le
garant du dépôt confié. On ne le voit pas agissant, comme en 1Co par exemple, en
suscitant des charismes variés.
- L’amour-charité n’est plus la vertu par excellence, le «lien de la perfection» (Col
3,14), qui dépasse tous les charismes (1Co 12,31—13,13); c’est une vertu parmi
d’autres (1Tm 2,15; 4,12).
- La grâce pourrait sembler n’être qu’un secours extérieur qui vient soutenir les
efforts de l’homme (Tt 2,12).

IX.4. LA THEOLOGIE DES PASTORALES ET CELLE DES GRANDES EPITRES

Les différences avec les grandes épîtres sont donc réelles. Il ne faut pourtant pas
les exagérer.
Loin de faire des œuvres la source de justification, Tt 3,5-7 rejette énergiquement
une telle conception. Que la foi doive s’épanouir en œuvres concrètes. Paul l’avait déjà
affirmé (Rm 2,7; 2Co 9,8; Ga 5,6; 2Th 2,17). Il est bien vrai que l’Esprit Saint tient peu
de place dans les Pastorales, mais sa mention est également rare en Col (1 fois) et en 2Th
(1 fois). L’opposition entre la foi conçue comme adhésion vitale à la personne du Christ
(Paul) et la foi comprise comme l’acceptation d’un credo (Pastorales) n’est que relative.
Paul n’ignore pas la foi «objective» ou «enseignée» (Ph 1,27; Col 2,7) et les Pastorales
connaissent la foi «subjective» ou «vécue» (1Tm 1,16; 2Tm 3,15).
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DIXIEME CHAPITRE : L’EPITRE AUX HEBREUX


X.1. L’AUTEUR DE L’EPITRE

Elle ne comporte pas de nom d'auteur. Alors que Tertullien l'attribuait à Barnabé1
(De Pudicitia 20), elle est considérée par certains comme une épître de l'apôtre Paul, par
d'autres comme d'un autre auteur.

 Arguments contre le fait que ce soit Paul de Tarse qui ait rédigé cette épître :

Origène disait à ce sujet : « Pour moi, si je donnais mon avis, je dirais que les pensées
sont de l'apôtre ; mais la phrase et la composition sont de quelqu'un qui rapporte les
enseignements de l'apôtre ». Divers noms ont été proposés, notamment celui d' Apollos
(dont il est question en 1 Co 1, 12), mais aussi Clément Romain, Silas ou Luc.

 Arguments pour le fait que ce soit l'apôtre Paul qui ait rédigé cette épître :

On reconnaît sa façon de raisonner et surtout la Bible elle-même donne des


indications car l'auteur envoie des salutations d’Italie et mentionne son compagnon
Timothée, qui était avec lui à Rome. On peut retrouver ces points en Philippiens 1:1 ;
Colossiens 1:1 ; Philémon 1 et Hébreux 13:23, 24. Quoi qu'il en soit, tant l'Église
catholique que les Églises orthodoxes, dans le canon des Écritures comme dans les
lectures liturgiques, rangent l'épître sous le nom de Paul de Tarse, ainsi que la Bible de
Jérusalem.

Quel est l'auteur de l'épître aux Hébreux ? Paul ? Barnabé ou Apollos, sur les
instructions de Paul ? ...

L'accord n'existe pas entre les exégètes au sujet de l'auteur anonyme de l'épître
aux Hébreux.

L'attribution à l'apôtre Paul lui-même date de la plus haute antiquité. Elle est
toujours tenue fermement par l'Église catholique et par l'ensemble des Églises
orthodoxes. Le plus ancien papyrus qui nous l'ait conservée, le P 46, daté des environs de
l'an 200, l'insère parmi le corpus paulinien, entre l'épître aux Romains et la première aux
Corinthiens!

Cependant l'absence de suscription et la différence de style empêchent de


l'attribuer immédiatement à l'Apôtre, mais plutôt à un membre de son entourage.

Barnabé sur les instructions de Paul ?


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La candidature de saint Barnabé se présente d'abord sous les meilleurs auspices.


Originaire de Chypre, il a pu bénéficier d'une vaste culture alexandrine. On sait en effet
que l'île de Chypre vivait depuis des siècles dans la sphère culturelle, sinon politique,
d'Alexandrie et plus généralement, depuis toujours, de l'Égypte. En tant que lévite,
Barnabé avait dû s'intéresser aux aspects liturgiques, cultuels, du judaïsme.

Il jouissait d'une haute réputation dans l'Église primitive. Il a lui-même introduit


Paul dans le cercle des apôtres. Il l'accompagnait dans ses premières missions. Si un
différend l'opposa un moment à l'apôtre Paul, cet incident ne doit pas être exagéré. Marc,
l'objet du litige, et qui avait d'abord suivi son cousin Barnabé, redeviendra disciple de
Paul, qui en parle avec les plus grands éloges.

Paul lui-même évoque Barnabé dans 1 Co 9,6, où l'on ne discerne pas la moindre
trace de rivalité. La présence de Barnabé à Rome est signalée par les Recognitiones
pseudo-clémentines et les Actus Petri cum Simone. Ces romans ont pu conserver un
souvenir historique.

On sait que l'Église d'Occident a longtemps hésité avant d'admettre cette épître
comme paulinienne. Tertullien au début du IIIe siècle l'attribuait formellement à Barnabé.
Le portrait psychologique que l'auteur trace de lui-même dans He 13,18-19 correspond
exactement aux éloges de Barnabé qu'on trouve dans les Actes, spécialement en Ac
11,22-24. Déjà il "encourageait" les disciples. La mise en commun des ressources, que
l'épître préconise (cf. He 13,16), fait penser à la générosité de Barnabé mise en exergue
dans les Actes. (Cf. Ac 4,37). Il avait été surnommé Barnabé, c'est-à-dire "fils
d'encouragement" (Ac 4,36), par les apôtres eux-mêmes. Toute l'épître aux Hébreux se
présente comme "un discours d'encouragement" (He 13,22) et renferme d'innombrables
exhortations.

semble bien que l'épître aux Hébreux s'adresse, d'Italie, aux chrétiens d'Antioche,
spécialement à ceux d'origine juive, parmi lesquels Barnabé s'apprêtait à retourner. S'il y
jouissait d'un immense prestige, il n'exerçait pas cependant d'autorité proprement dite. Il
se recommandait aux chefs de la communauté.

Apollos sur les instructions de Paul ?

Luther fut le premier à proposer Apollos comme l'écrivain anonyme, auteur de


l'épître aux Hébreux. Aujourd'hui une telle opinion est partagée par la majorité des
critiques protestants et par quelques exégètes catholiques. Le père Spicq O.P. a défendu
avec fougue cette hypothèse5. Le portrait-robot qu'on peut dresser de l'auteur
correspond trait pour trait à la notice des Actes consacrée à Apollos. (Cf. Ac 18,24-28).
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Un juif, originaire d'Alexandrie, versé dans les Écritures. Le père Spicq a exposé
dans une étude très fouillée6, que l'auteur de notre épître était non seulement de culture
alexandrine mais encore un familier de l'œuvre de Philon, un philonien converti au
christianisme. "Démontrant par les Écritures que Jésus est le Christ" (Ac 18,28), la
formule de Luc dans les Actes définit au mieux le propos de l'épître aux Hébreux.

On ne voit pas cependant comment Apollos aurait acquis un tel ascendant auprès
des judéo-chrétiens de Palestine ou d'Antioche, comment il les aurait connus, pour leur
adresser ces exhortations et leur annoncer qu'il allait les revoir... Ce qui évoque à
nouveau la crédibilité de la paternité paulinienne et l'autorité qu'elle suppose auprès des
diverses Églises primitives.

X.2. LES DESTINATAIRES DE L’EPITRE

Cette épître s’adresse à des chrétiens sortis du judaïsme, qui restaient encore
attachés à son culte et à ses cérémonies et qui, ne voyant pas la réalisation de leurs
espérances en Christ comme Messie terrestre, exposés au contraire à la persécution,
étaient en danger de se décourager et de retourner en arrière vers l’ancien ordre de
choses. L’Esprit Saint leur fait voir que cet ordre de choses terrestre n’était que
transitoire, et établit la supériorité du christianisme, du nouvel ordre de choses où tout est
céleste et permanent. Pour cela, tout en montrant en quoi les deux systèmes, tous deux
établis de Dieu, sont semblables, il fait ressortir leurs contrastes, et démontre ainsi que le
premier, consistant en ombres et figures, a dû faire place au second qui ne renferme que
les réalités.

Dans son discours, l’auteur de l’épître procède progressivement. Il enlève du


judaïsme pièce après pièce, pour le remplacer par quelque chose de plus excellent,
jusqu’au dernier chapitre où il conclut par la nécessité d’abandonner décidément un ordre
de choses qui a fini son temps, pour se trouver avec Christ hors du camp en portant son
opprobre. Il montre finalement que ceux qui restent attachés aux ordonnances judaïques,
ne peuvent participer à l’autel des chrétiens, de même que, dans le corps de l’épître, il
avait averti ses lecteurs des terribles conséquences résultant de l’abandon du
christianisme après l’avoir connu. Quelle grâce aussi de la part du Seigneur de détacher
du judaïsme ces chrétiens hébreux, au moment où la ruine finale de Jérusalem et du
temple mettait effectivement fin aux ordonnances ! Quel bonheur pour eux d’être
rattachés à un Christ céleste, le même hier et aujourd’hui et éternellement !

L’auteur de l’épître ne se nomme pas. Il ne se présente pas comme apôtre, parce


qu’il veut diriger nos regards vers le grand Apôtre, Jésus (chap. 3:1). Il se place au milieu
de ceux auxquels il s’adresse, comme faisant partie avec eux d’une classe de personnes
qui sont en relation avec Dieu depuis longtemps. Telle était, en effet, la position des
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Juifs : pour eux, le christianisme, nouvelle relation avec Dieu, se soude, pour ainsi dire, à
une relation antérieure. Il n’en était pas de même des gentils qui, à proprement parler,
n’avaient eu de relations antérieures qu’avec les démons (1 Cor. 10:20-22).

X.3. PLAN ET CONTENU DE L’EPITRE

Les chapitres 1 et 2 expliquent que Jésus est plus grand que les anges.

Les chapitres 3 à 7 comparent Jésus à Moïse et à la loi de Moïse et témoignent qu'il est
plus grand que l'un et l'autre. Ils enseignent aussi que la Prêtrise de Melchisédech est plus
grande que celle d'Aaron.

Les chapitres 8 et 9 expliquent comment les ordonnances mosaïques ont préparé le


peuple au ministère du Christ et comment le Christ est le Médiateur de la nouvelle
Alliance.

Le chapitre 10 est une exhortation à la diligence et à la fidélité.

Le chapitre 11 est un discours sur la foi.

Le chapitre 12 contient des exhortations et des avertissements.

Le chapitre 13 explique la respectabilité du mariage et l'importance de la bienfaisance.


Salutations finales.

X.4. LA THEOLOGIE DE L’EPITRE AUX HEBREUX

X.4.1. LE SACERDOCE DANS L’EPITRE AUX HEBREUX

1. Le Christ Jésus, grand-prêtre

A) L’attribution de l’office sacerdotal à Jésus

« Que Jésus-Christ ait œuvré comme prêtre et grand-prêtre ne relève pas de


l’évidence, mais du discernement théologique (le sacerdoce appartenait aux « figures » de
l’économie ancienne, et son accomplissement exigeait un changement de plan). » 41
Le sacerdoce était l’ombre des choses à venir…Par contre, l’attestation biblique
est assez discrète en général. Un seul écrit, l’Épître aux Hébreux, développe de façon

41
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 247.
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explicite la relation entre les sacrifices de l’Ancienne Alliance et le Sacrifice de Christ


pour la Nouvelle Alliance. La clarté et la pertinence des arguments de l’auteur de l’Épître
aux Hébreux « ne laissent, cependant, subsister aucun doute : ce qu’Aaron et ses
successeurs ont été pour l’Ancienne Alliance, Jésus l’est pour la Nouvelle. »42

Quels sont les indices externes (en dehors de l’Épître aux Hébreux) qui tendent à
démontrer que Jésus est bien le grand-prêtre ?

Jésus s’applique à lui-même le psaume 110 (dans Matthieu 22,43-45), qui est le
psaume qui relie la royauté au sacerdoce (Melchisédech).Dans Jean 17, Jésus prie pour
ses disciples… « Sanctifie-les par ta vérité : ta parole est la vérité. »… « Et je me
sanctifie moi-même pour eux, afin qu’eux aussi soient sanctifiés par la vérité. »…On
appelle cette prière : la prière sacerdotale. Jésus intercède pour les siens, il les sanctifie
par sa propre sanctification. On cite parfois la longue robe du Christ, avec la ceinture d’or
sur la poitrine (Ap 1,13), qui rappellerait le vêtement sacerdotal d’Aaron.

Ces indices ont un certain d’intérêt, mais n’ont pas un très grand poids. « C’est
l’Épître aux Hébreux qui fait du sacerdoce de Jésus-Christ son thème, sinon unique, du
moins principal. »43 Pour faire une étude complète du sujet, il faudrait étudier l’Épître aux
Hébreux en entier. En effet, toute l’Épître expose l’office sacerdotal de Jésus. Nous nous
limiterons à relever les grandes lignes de cette merveilleuse Épître.

Dans son premier chapitre, l’Épître aux Hébreux cite de nombreux psaumes pour
montrer la supériorité de Christ sur les anges, dont le psaume 110…Dans sa partie
centrale, il reprend le psaume 110 et explique le lien entre Christ et Melchisédech…
Reprenant l’exemple d’Aaron, il fait le parallèle entre Aaron et Christ. Dieu l’a appelé…
Hé 5,4 Dieu l’a proclamé…Hé 5,10 « Perfectionné »44 pour l’accomplissement de sa
mission…Hé 5,9 Jésus est intervenu, « pour assurer les conditions objectives de la
communion des hommes avec Dieu » 45 La purification des péchés… Hé 1,3 La
sanctification des enfants de Dieu…Hé 2,11; 10,10 Le perfectionnement…Hé 10,1.14

« Jésus, enfin, comme tout grand-prêtre, est pris d’entre les hommes et, par
l’expérience de la faiblesse et de la tentation, peut compatir avec ceux qu’il représente.

42
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 247.

43
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 248.

44
Il n’est pas devenu parfait comme s’il ne l’était pas déjà dès le commencement. Le mot
grec, teleiow, signifie : avoir fini, accomplir, avoir achevé, parfaitement…
45
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 248.
P a g e | 98

»46 Les conclusions de l’auteur sont très claires et sans équivoque. Hé 2,17; 4,15 « Rien
ne manque à Jésus-Christ pour qu’il réalise ce dont Aaron était la figure. »47

B) Le sacrifice offert par Jésus

Hé 8,3 : Tout souverain sacrificateur est établi pour présenter des offrandes et des
sacrifices; d’où il est nécessaire que celui-ci ait aussi quelque chose à présenter. Jésus
devait donc avoir quelque chose à offrir, il s’est offert lui-même en sacrifice. Le
sacerdoce de Christ n’est pas transmissible, il est exclusif. Il existe cependant un lien
évident entre les rituels lévitiques et l’oeuvre qu’a accompli Jésus. « L’oeuvre de Jésus a
été le modèle dont Moïse a confectionné une « image », une « ombre ». »48 Hé 8,5

Aaron était un « type » que Jésus a accompli Jésus est la victime expiatoire. Les
animaux immolés étaient des « types » de Christ. Les sacrifices expiatoires de l’Ancienne
Alliance avaient une valeur prophétique et provisoire, annonçant un sacrifice ultime et
parfait. On peut aussi remarquer le lien qui existe entre le fait que le corps des animaux
était brûlé « hors du camp » et le fait que Jésus ait souffert « en dehors de la porte ». Hé
13,11-14 Il s’agit d’une belle invitation aux Hébreux à sortir du judaïsme pour se joindre
à Jésus-Christ.

C) L’intercession sacerdotale de Jésus-Christ

« L’immolation de la victime (pour Jésus, le moment de la Croix) n’est pas le seul


acte, ni même le plus caractéristique, du prêtre. » 49 On l’a vu, le rôle du prêtre n’est pas
d’immoler, mais de présenter le sang dans le sanctuaire. (Lévitique 1,5) Lévitique 17,3 :
Si un homme de la maison d’Israël égorge dans le camp ou hors du camp un bœuf, un
agneau ou une chèvre, 4 et ne l’amène pas à l’entrée de la tente d’assignation, pour en
faire une offrande à l’Éternel devant le tabernacle de l’Éternel, le sang sera imputé à cet
homme; il a répandu le sang, cet homme-là sera retranché du milieu de son peuple.

C’est le sang qui, versé sur l’autel (le propitiatoire), rendait « propice ou
favorable » celui qui avait offert le sacrifice. Hé 9,22 « Le fait central du salut n’est pas
tant le crucifiement ni même la résurrection du Christ que l’entrée du grand-prêtre dans le

46
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 249.

47
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 249.

48
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 249.

49
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 250.
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temple des cieux. »50 Hé 9,12 On comprend bien que la crucifixion et la résurrection
étaient « nécessaires » pour que Christ puisse entrer dans le temple des cieux. Mais, «
C’est l’ascension qui marque le début du service liturgique dans le ciel. » 51Hé 8,1-2 Le
sacrifice de Christ est un sacrifice unique. Contrairement aux sacrifices de l’Ancienne
Alliance qui devaient être répétés constamment. Hé 7,26-27 Christ continue d’intercéder
pour nous, en « invoquant » l’efficacité de sa mort sacrificielle. Hé 7,25 La force de
l’intercession sacerdotale réside dans l’efficacité permanente de sa mort (son sang) pour
effacer les péchés.

2. Le Christ Jésus, grand-prêtre selon l’ordre de Melchisédech

Jésus a accompli le « type » d’Aaron, mais il n’était pas Lévite Hé 8,4 « Le


sacerdoce de Jésus-Christ n’est pas d’ordre Lévitique, mais melkisédécien. » 52 Nous
mettrons en lumière, deux aspects qui caractérisent ce Melchisédech, et nous verrons en
quoi le sacerdoce de Jésus lui est comparable.

A) Sacerdoce royal

Melchisédech était à la fois prêtre et roi.


Ce qui distingue le sacerdoce (prêtrise) de Jésus, c’est qu’il est en même temps le
Messie Davidique (roi). Melchisédech était roi de justice et roi de paix. Hé 7,1-3 La
justice et la paix sont deux caractéristiques du règne messianique !
« La séparation des deux offices en Israël était une marque d’incomplétude
(Imperfection); leur union dans le Christ montre la venue de l’accomplissement
(perfection). »53 On pourrait ajouter qu’il existait un réel danger d’unir les deux offices
sous l’Ancienne Alliance. L’Union du pouvoir politique et du pouvoir religieux peut
mener facilement à la corruption. « La « mondanisation » menace le divin, et le pouvoir
politique risque d’être divinisé »54 Pensons seulement à ce qui est arrivé quand
l’empereur Constantin a « joint » le christianisme en 313, alors qu’il publia à Milan un
édit de tolérance qui lui rallia les chrétiens, devenus prédominants dans l'empire. Seul
Jésus-Christ, dans sa perfection peut réunir les deux offices sans risque de corruption.

50
SPICQ, cols. 1071s. cf. La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 250.

51
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 250.

52
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 251.

53
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 252.

54
La doctrine du Christ, EDIFAC, Henri Blocher, 2002, P. 252.
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B) Sacerdoce éternel

Le sacerdoce de Jésus-Christ est non seulement associé au trône, il est éternel !


Hé 7,3 L’auteur mentionne que Melchisédech est un « type » (rendu semblable) du Fils
de Dieu. Melchisédech et Aaron sont donc deux types de Christ. Les deux sont
sacrificateurs, mais représentent deux « ordres » de sacrificateurs différents. Le sacerdoce
Lévitique est charnel, on y accède de père en fils et la durée du ministère est limitée par
la loi. Le sacerdoce de Melchisédech ne se transmet pas de père en fils (sacrificateur
pour toujours), il n’est pas mentionné qu’il soit mort (il n’a ni fin), ni qu’il ait une origine
(ni commencement), et il est spirituel. Hé 7,8

Même si l’Épître aux Hébreux parle de Melchisédech comme de quelqu’un qui est
toujours vivant, il ne faudrait pas conclure qu’il est toujours vivant de façon charnelle.
Rappelons-nous la parole du Seigneur concernant Abraham, Isaac et Jacob… Matthieu
22.32 : … Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob ? Dieu n’est
pas Dieu des morts, mais des vivants. Le fait que l’auteur aux Hébreux parle d’un
Melchisédech vivant, nous indique le caractère « spirituelle et éternel » de son sacerdoce
versus le caractère « charnel et temporel » du sacerdoce d’Aaron. Jésus-Christ n’est pas
sacrificateur selon l’ordre d’Aaron, il est sacrificateur selon l’ordre de Melchisédech. Son
sacerdoce est royal et éternel !

X.4.2. LA FOI DANS L’EPITRE AUX HEBREUX

1. Qu’est-ce que la foi (11 : 1 – 3)

Le célèbre chapitre 11 se situe dans un contexte où l’auteur a montré l’importance


de garder la foi en attente de la réalisation des promesses de Dieu. Ce passage nous aide à
comprendre ce que la Bible veut dire par « la foi ». Ce n’est pas une simple confession de
foi (Jac. 2 : 14 – 19), ni une force intérieure qui rend capable de faire certaines choses ; la
foi est avant tout le fait de croire Dieu quand il parle (Rom. 4 : 3). D’où le lien entre la foi
et les oeuvres : on prend les avertissements de Dieu au sérieux et on agit en conséquence
(cf. Jac. 2 : 25). On vit aussi à la lumière des promesses de Dieu (cf. Héb. 10 : 34).
Le professeur F.F.Bruce note ceci : « L’auteur montre qu’à l’époque de l’Ancien
Testament, il y avait de nombreuses personnes qui n’avaient aucun fondement autre que
les promesses de Dieu, sans la moindre évidence que ces promesses seraient réalisées ;
pourtant elles tenaient tellement à ces promesses qu’elles ordonnaient toute leur vie à
leur lumière. Les promesses parlaient de l’état des choses dans l’avenir ; mais ces
personnes étaient tellement convaincues que Dieu pourrait les réaliser et les réaliserait,
qu’elles agissaient d’une telle manière comme si ces choses étaient déjà. En d’autres
termes, ils étaient des hommes et des femmes de foi. Leur foi consistait simplement à
croire Dieu sur parole et à diriger leur vie en conséquence. ». Donc même si on ne voit
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pas la réalisation des promesses pour l’avenir, on croit que ce sera ainsi (cf. Rom. 8 : 24 ;
Héb. 2 ; 8 et 9) et la foi constitue l’évidence pour leur réalité.

Plutôt que de présenter un simple argument théorique, l’auteur fait appel à des cas
réels. Il traverse l’histoire des relations entre Dieu et Israël pour montrer que les héros
d’Israël avaient la foi et vivaient en conséquence. Ils n’ont pas reçu ce qui était promis
tout de suite (vv.13 & 39) mais ils n’ont pas abandonné pour autant. Ils ont vécu dans la
foi et ainsi Dieu les approuvait (cf. v.5). v.3 est une charnière étant le début du parcours
de Genèse mais aussi une illustration de la nature de la foi. Il faut de la foi pour croire
que Dieu a tout créé de rien (cf. Rom. 1 : 18 – 21). La foi représente le fait de simplement
accepter ce que Dieu a dit (cf. Psa. 33 : 6 – 9). Ceci reflète notre espoir éternel : Dieu a le
pouvoir de réaliser les choses qu’on ne voit pas encore.

2. La foi avant le déluge (11 : 4 – 7)


L’histoire d’Abel est troublante parce que Genèse ne fait que relater les faits sans
explication (Gen. 1 : 4 – 10). Ce passage montre que la vraie différence n'était pas dans la
nature des offrandes en soi, mais dans la foi des personnes. Dieu a accepté l’offrande
d'Abel parce qu'il vivait par la foi (1 Jn 3 : 12). Il est fort possible que Dieu avait déjà
révélé que seuls des sacrifices d'animaux étaient acceptables étant donné que la foi est
généralement une confiance dans ce que Dieu dit et que la Bible révèle l’importance du
sang (Héb. 9 : 22). En tout cas Abel vivait selon tout ce que Dieu avait dit et était ainsi
juste alors que l’offrande de Caïn était rejetée surtout parce que Dieu rejette les offrandes
des injustes (Prov. 15 : 8 ; Esa. 1 : 10 - 15).
Hénoc est un des deux seuls hommes à ne pas mourir, avec Elie – ceci n’est pas clair
dans Genèse (Gen. 5 : 21 – 24) mais très clair ici. Dieu a repris Hénoc (d'où certains
pensent que Hénoc et Elie seront les deux témoins de l’Apocalypse).

Le récit de Hénoc révèle aussi un aspect de la nature de la foi en tant que style de
vie. Genèse dit qu'il marcha avec Dieu (cf. Mic. 6 : 8). Ici, les termes grecs traduisent
l'idée : il plaisait à Dieu, il lui était agréable. Mais ce qui est important dans cette histoire
n'est pas le style du départ de Hénoc mais le fait qu'il marchait par la foi – ce qui est le
seul moyen en tout temps d'être agréable à Dieu (Rom. 3 : 28). Il faut placer sa confiance
dans la personne de Dieu et dans ses promesses (cf. Jac. 1 : 5 - 8). Noé aussi était accepté
à cause de sa foi et sauvé, physiquement et spirituellement par sa foi (Gen. 6 : 8 - 14, 22).
Noé illustre le fait que la foi est une confiance dans ce que Dieu révèle (cf. v. 1). Noé
était sauvé parce qu'il a agi lorsque Dieu a dit que le monde serait détruit par l'eau
(malgré le fait que cela devait lui sembler ridicule). Noé préférait agir en fonction de ce
que Dieu disait que de ses propres sens. Ainsi, ses actes ont condamné le monde parce
qu'il était la preuve vivante que Dieu avait parlé mais que le monde avait refusé
d'accepter son message.
P a g e | 102

3. La foi des patriarches pour recevoir un héritage (11 : 8 – 22)


Les patriarches ne sont pas toujours un bon exemple en tout mais ils sont un bon
exemple de la foi expliquée dans v.1. Ils vivaient sur le fondement des promesses de
Dieu. La réponse d’Abraham à son appel est un grand exemple de la confiance totale en
Dieu (Gen. 12 : 1 – 4). Abraham n’as pas reçu d’explication, ni de feuille de route
(souvent Dieu nous guide un pas à la fois et on ne comprendra pas toujours tout (2 Cor.
5 : 7)). Mais la promesse est devenue sa réalité (cf. Ac. 7 : 2 – 7).

Plusieurs générations sont passées avant la réalisation de cette promesse mais


Abraham, Isaac, Jacob et Joseph ont agi en fonction de la promesse. Abraham ne
regardait plus son ancien pays comme chez lui (Gen 24 : 5 – 7). Il préférait vivre sous
tente dans le pays promis que de retourner en arrière. La bénédiction donnée par Isaac
prévoyait aussi l’accomplissement de la promesse (Gen. 27 : 27 – 29) comme pour la
bénédiction de Jacob (Gen. 48 : 1 – 5). Joseph en était tellement convaincu qu’il
demandait qu’on ne l’ensevelisse pas en Egypte mais conserve son corps à être enterré en
Israël (Gen. 50 : 24 – 26).

Leur motivation était leur confiance en Dieu. Ils avaient compris qu’il valait
mieux se satisfaire de ce que Dieu offrait que le monde. L’auteur note que leur espoir
allait au-delà d’un pays sur terre et ils étaient donc détachés des choses de ce monde (cf.
Héb. 10 : 34 ; 1 Pi. 2 : 11). Ils vivaient pour hériter les promesses éternelles de Dieu.
L’auteur a déjà rappelé aux chrétiens qu’il ne faut pas se compromettre pour gagner ce
monde (Héb. 10 : 36 ; cf. Mc 8 : 36). Même s’ils n’ont pas vu de leur vivant les réalités
promises ils s’en réjouissaient d’avance (vv.39 & 40 ; Jn 8 : 56). Dieu reconnaît son
peuple par cette foi (cf. Mc 8 : 38).

Abraham et Sara ont montré la même confiance en Dieu concernant la promesse


d’un fils. Même s’il a fallu plusieurs années entre la promesse initiale et sa réalisation ils
ont accepté les instructions de Dieu (Gen. 18 : 9 – 14) – même s’ils ont ri, ils ont agi par
la foi (Rom. 4 : 17 – 21). Puis Abraham a aussi témoigné de sa confiance en Dieu lorsque
Dieu lui a dit de sacrifier Isaac. Ici nous voyons sa motivation : les promesses de Dieu
étaient données en Isaac donc Abraham était sûr que Dieu lui rendrait Isaac (Gen. 22 : 5).
Il ne savait pas comment mais même si pour cela il fallait le ramener des morts, Abraham
était convaincu que Dieu lui rendrait Isaac. En effet, Dieu a rendu Isaac pour
l’accomplissement des promesses.
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CONCLUSION

La théologie de saint Paul est inséparable de sa vie et de son expérience de Dieu.


C’est pourquoi notre étude de la doctrine de saint Paul a été articulée en deux parties : la
première portant sur l’itinéraire spirituel et missionnaire de saint Paul, et la seconde sur
sa théologie.

Après avoir évoqué et qualifié dans leurs convergences et leurs divergences, les
deux sources scripturaires de renseignements sur la vie et la doctrine de saint Paul, à
savoir les Actes des Apôtres et les épîtres pauliniennes elles-mêmes, la première partie du
cours se penche sur son itinéraire avant et après sa conversion. Elle est clôturée par
l’évocation des conditions et des influences qui ont entouré l’activité missionnaire et
épistolaire de l’Apôtre des Gentils.

La deuxième partie du cours a passé en revue les diverses épîtres de sant Paul et
dégagé la théologie de chacune d’elles, à partir de sa structure et du contenu des thèmes
qu’elle aborde. Un accent particulier est mis sur les questions théologiques qui appellent
et ouvrent des perspectives de recherche, du quadruple point de vue dogmatique, morale,
pastorale et spirituel.

Les épîtres aux Thessaloniciens montrent comment Paul a abordé et résolu les
problèmes qui se posaient dans l’Église de Thessalonique à propos de l’attente de la
parousie. Cette attente qui invite à raviver la foi, l’espérance et la charité en vue du retour
du Christ.

En ce qui concerne la correspondance de Paul avec les Corinthiens, elle vise à


répondre à la difficulté à accepter le message de la croix du Christ, qui semble être à la
fois un non-sens et un scandale. Comment accepter la souffrance du Christ et croire en sa
résurrection qui constitue l’assurance de la nôtre ? L’apôtre propose des solutions
concrètes pour vivre cette foi. Cela donne lieu aux premières réflexions sur les ministères
ainsi que sur une éthique chrétienne appliquées aux problèmes de l’amour, du mariage,
des conditions sociales, du rôle et de la place de la femme dans l’Église. Paul explique
comment vivre la liberté chrétienne sans tomber dans le laxisme.

Tout en demeurant rattaché à la tradition, il développe une christologie et une


ecclésiologie ouvertes aux cultures et aux situations nouvelles au sein desquelles le
christianisme naissant doit prendre place. Mais par-dessus tout, il insiste sur la charité
fraternelle : l’agapè qu’il qualifie par une quinzaine de verbes plutôt que par des adjectifs.
Ses directives sur la célébration eucharistique et sur la collecte pour l’Église de Jérusalem
vont dans le sens de cet amour du Christ, impliquant la fraternité et la solidarité
universelle et, partant, le partage.
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Dans l’épître aux Philippiens, Paul se montre très attachant et affectueux. Il y livre
l’essentiel de sa christologie autrement dit de son évangile de la croix. Dans l’hymne de
Ph 2,6-11, Paul présente le Christ obéissant jusqu’à la mort, comme modèle de la vie et
de l’agir du chrétien. Cette obéissance exprime l’humilité qui permet à tous les fidèles de
partager les sentiments du Christ et de s’aimer dans la reconnaissance et le respect
mutuels, et de vivre dans la joie et l’unité.

Dans l’épître aux Galates, Paul aborde la question de la justification par la foi en
Jésus Christ et de la liberté chrétienne. La foi au Christ libère de la loi ancienne mais
c’est pour accorder la liberté dans l’Esprit qui permet de vivre de l’amour et de la liberté
des enfants de Dieu.

Dans l’épître aux Romains, Paul développe les enseignements qu’on trouve déjà
dans l’épître aux Galates, sur la justification et le salut par la foi, nouvelle naissance par
le baptême, et appartenance au Christ ressuscité.

En ce qui concerne les autres épîtres dites deutéropauliniennes, elles développent,


pour la plupart, des thèmes déjà annoncés dans les écrits authentiques de Paul dont elles
s’inspirent ou qu’elles imitent. L’épître aux Colossiens, accorde une place de choix au
thème de la plénitude de Dieu qui habite dans le Christ, en qui tout subsiste et à qui
revient la primauté. Corps du Christ, l’Église est associée à cette plénitude. Quant à
l’épître aux Éphésiens, elle insiste sur la pertinence de la mort du Christ pour l’Église
(2,1-10) et sur la relation avec Dieu dont le Christ est l’artisan dans l’œuvre de la
réconciliation (4,1-16). Elle met en relief les couples «Christ-Église» et «Apôtre-
Prophète».

Enfin, les épîtres pastorales (à Timothée et à Tite), aborde divers enseignements


relatifs au ministère de la parole et du culte ainsi qu’à la charge pastorale et à ses
exigences. Considéré à part, le billet à Philémon offre à Paul l’occasion de traiter du
comportement à adopter face aux esclaves, appelés à vivre et montrer leur liberté en
Christ.

Ecrits de circonstance, de par leur nature, plutôt que des traités de théologie, les
épîtres pauliniennes sont à comprendre et à interpréter comme telles, en tenant compte
des questions et des situations historiques particulières et spécifiques auxquelles elles
répondent et correspondent. Cela vaut, en particulier, pour les textes parénétiques dont la
portée exacte est à déterminer en fonction du questionnement et des situations spécifiques
auxquels ils correspondent. En effet, «la lettre tue, tandis que l’esprit vivifie».
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Quant à l’épître aux Hébreux, elle s’adresse à des chrétiens sortis du judaïsme, qui
restaient encore attachés à son culte et à ses cérémonies et qui, ne voyant pas la
réalisation de leurs espérances en Christ comme Messie terrestre, exposés au contraire à
la persécution, étaient en danger de se décourager et de retourner en arrière vers l’ancien
ordre de choses. L’Esprit Saint leur fait voir que cet ordre de choses terrestre n’était que
transitoire, et établit la supériorité du christianisme, du nouvel ordre de choses où tout est
céleste et permanent. Pour cela, tout en montrant en quoi les deux systèmes, tous deux
établis de Dieu, sont semblables, il fait ressortir leurs contrastes, et démontre ainsi que le
premier, consistant en ombres et figures, a dû faire place au second qui ne renferme que
les réalités.

Dans son discours, l’auteur de l’épître procède progressivement. Il enlève du


judaïsme pièce après pièce, pour le remplacer par quelque chose de plus excellent,
jusqu’au dernier chapitre où il conclut par la nécessité d’abandonner décidément un ordre
de choses qui a fini son temps, pour se trouver avec Christ hors du camp en portant son
opprobre. Il montre finalement que ceux qui restent attachés aux ordonnances judaïques,
ne peuvent participer à l’autel des chrétiens, de même que, dans le corps de l’épître, il
avait averti ses lecteurs des terribles conséquences résultant de l’abandon du
christianisme après l’avoir connu. Quelle grâce aussi de la part du Seigneur de détacher
du judaïsme ces chrétiens hébreux, au moment où la ruine finale de Jérusalem et du
temple mettait effectivement fin aux ordonnances ! Quel bonheur pour eux d’être
rattachés à un Christ céleste, le même hier et aujourd’hui et éternellement !

L’auteur de l’épître ne se nomme pas. Il ne se présente pas comme apôtre, parce


qu’il veut diriger nos regards vers le grand Apôtre, Jésus (chap. 3:1). Il se place au milieu
de ceux auxquels il s’adresse, comme faisant partie avec eux d’une classe de personnes
qui sont en relation avec Dieu depuis longtemps. Telle était, en effet, la position des
Juifs : pour eux, le christianisme, nouvelle relation avec Dieu, se soude, pour ainsi dire, à
une relation antérieure. Il n’en était pas de même des gentils qui, à proprement parler,
n’avaient eu de relations antérieures qu’avec les démons (1 Cor. 10:20-22).

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