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Vengeance andalouse

De Jacqueline Baird
1.
— Jamie me paraît bien jeune pour se marier. Il a vingt-quatre ans
et toute la vie devant lui ! Telle que je te connais, tu devrais pouvoir
le convaincre d'attendre un peu. C'est ton fils, après tout.
Comme pour ponctuer sa remarque, Xavier jeta un regard narquois
à sa sœur qui se prélassait sur le canapé.
Il était bien placé pour savoir que Teresa était parfaitement capable
de se faire obéir quand elle le décidait. De dix ans son aînée, elle
s'était chargée de son éducation après la mort de leur mère. Dios! Il
en gardait quelques souvenirs cuisants... Prenant son rôle très au
sérieux, Teresa s'était toujours montrée inflexible avec lui. Malgré
son immense tendresse pour elle, il avait éprouvé un véritable
soulagement lorsqu'elle était tombée amoureuse de David Easterby.
A la recherche d'un cheval andalou pour ses écuries du Yorkshire,
cet Anglais était venu visiter l'hacienda de la famille Valdespino,
située à quelques kilomètres à l'est de Séville. Déjà vingt-cinq ans
avaient passé ! Et maintenant c'était au tour de Jamie, le fils unique
de Teresa, de vouloir se marier, songea-t-il en proie à une soudaine
nostalgie.
Du reste, si Xavier était venu — à contrecœur — jusque dans le
Yorkshire chez sa sœur et son beau-frère, c'était pour assister à un
dîner organisé en l'honneur du jeune couple dans un restaurant des
environs. Dîner à l'occasion duquel les deux familles devaient se
rencontrer.
— Le problème, c'est que tu n'as jamais été amoureux, répondit
Teresa.
— En revanche, j'ai été marié, ironisa-t-il. Et je peux t'assurer que
tous les mariages sont loin d'être aussi heureux que le tien.
— Sottises. Tu n'es qu'un incorrigible cynique. De toute façon, la
décision appartient à Jamie, et David et moi lui apportons notre
soutien inconditionnel. Alors garde tes opinions pour toi et essaie de
te montrer aimable. Il devrait être là d'une minute à l'autre en
compagnie d'Ann et de ses parents.
— Sans parler de la cousine célibataire, compléta Xavier avec un
sourire sarcastique.
A son arrivée, trois heures plus tôt, il avait appris avec agacement
qu'une cousine de la fiancée de Jamie faisait partie des invités au
dîner.
— Je te préviens, Teresa. Si tu as une idée derrière la tête à propos
de cette vieille fille, tu peux l'oublier. U n'est pas question que je
joue les chevaliers servants !
— Comme si j'étais assez téméraire pour comploter derrière ton
dos ! s'exclama Teresa en couvant son frère d'un regard affectueux.
Xavier était un homme imposant à bien des égards. De haute
stature, il dépassait la plupart de ses semblables et sa prestance
était telle que peu de femmes lui résistaient. D'épais cheveux de jais
encadraient un visage taillé à la serpe, d'une beauté hors du
commun. Ses yeux bruns brillaient d'un éclat inquiétant, adouci par
des reflets dorés lorsqu'il était troublé. Malheureusement, depuis
quelques années, son regard restait le plus souvent froid et sa
bouche aux lèvres sensuelles souriait rarement.
Exaspéré par l'air apitoyé de sa sœur, il lui tourna le dos et se
dirigea vers l'une des fenêtres de l'élégant salon. Après tout, cela ne
le regardait pas ! Si son neveu tenait à se marier à un âge aussi
précoce, pour quelle raison tenterait-il de l'en empêcher?
Il s'efforça de fixer son attention sur un point précis et se plongea
dans la contemplation de la châtaigneraie qui jouxtait la maison. En
vain. Ses pensées étaient tournées vers son père, don Pablo Ortega
Valdespino. Agé de soixante-dix ans et malade du cœur, celui-ci
était trop faible pour faire le voyage jusqu'en Angleterre et avait
insisté pour que Xavier le représentât au dîner de fiançailles.
Ce dernier lui avait d'abord opposé un refus catégorique, mais avait
fini par céder lorsque Don Pablo lui avait reproché de ne pas lui
avoir donné de petits-enfants, menaçant ainsi la pérennité du nom
des Valdespino. Xavier n'aimait pas les dîners, sauf lorsqu'ils se
déroulaient chez lui, en compagnie de quelques amis triés sur le
volet. Cela faisait bientôt neuf ans qu'il ne quittait plus l'Espagne
qu'exceptionnellement. Lorsqu'il daignait se déplacer hors de son
pays, c'était toujours parce que des raisons professionnelles l'y
obligeaient. Désormais, le travail occupait la plus grande partie de
sa vie. Certes, il avait une maîtresse, mais cette relation n'avait rien
de sentimental — des rencontres occasionnelles, purement
hygiéniques, sans plus. Et encore, sa dernière nuit avec elle devait
remonter à plus de trois mois...
Un crissement de pneus sur le gravillon le tira de ses pensées. Deux
véhicules remontaient l'allée. Le premier était le 4x4 qu'il avait offert
à Jamie pour son vingt et unième anniversaire; quant au second, il
sortait de l'ordinaire. C'était une voiture de sport, une Jaguar type E
des années 60, de couleur verte. L'élégant capot et les jantes
métalliques étaient reconnaissables entre mille. Immaculée, sa
carrosserie étincelait sous le soleil de l'après-midi. Une petite
merveille, songea Xavier, grand amateur de voitures de luxe.
Son neveu Jamie sauta du 4x4 et ouvrit la portière arrière à un
couple d'une cinquantaine d'années. Xavier jeta un coup d'œil
rapide à l'homme et à la femme, ainsi qu'à la jeune fille brune qui
descendait du côté du passager. Mais loin de s'attarder sur la
fiancée de son neveu, son regard se porta très vite vers la seconde
voiture. Le week-end ne serait peut-être pas perdu, après tout.
Avec un peu de chance, il pourrait discuter automobiles avec un
passionné. Nul doute qu'il allait s'entendre avec le propriétaire de la
Jaguar.
Mais aussitôt, il se figea. La personne qui conduisait la Jaguar venait
de descendre du véhicule. Ce n'était pas un homme, mais une
femme ! Et quelle femme ! Grande, élancée, elle avait des jambes
sublimes et une abondante chevelure cuivrée aux reflets blonds,
nouée sur la nuque par un foulard de soie rouge. Bien que la fenêtre
fût fermée, Xavier distinguait sans peine le son des voix qui
s'élevaient dans l'air frais de cette journée de printemps.
— D'où sort cette antiquité, Rose? s'exclama Jamie d'un ton
espiègle.
La jeune femme referma le coffre de la Jaguar, duquel elle venait de
sortir une petite valise, et se tourna vers le jeune couple.
— Attention, gamin ! Insulter Bertram, c'est m'insulter
personnellement ! Cette voiture est l'amour de ma vie, bien plus
fiable et plus fidèle qu'un homme.
Ses grands yeux émeraude pétillaient de malice et ses lèvres
pulpeuses affichaient un sourire éclatant.
— Et sache qu'elle me vient de mon père, ajouta-t-elle. C'était sa
grande fierté et elle vaut probablement beaucoup plus cher que le
monstre que tu conduis.
— Rosalyn a raison. C'est un modèle très recherché, intervint
l'homme aux cheveux grisonnants. En tout cas, quelle coïncidence
de se rencontrer sur la route ! ajouta-t-il en se tournant vers la jeune
femme. J'espère que tu n'as pas conduit trop vite, au moins.
— Rassure-toi, oncle Alex, je n'ai jamais dépassé la vitesse
autorisée ! répliqua-t-elle en riant.
Xavier entendit à peine la suite de leur conversation. En proie à une
réaction violente et sans équivoque, son corps rendait hommage à la
beauté stupéfiante de la jeune femme. Dios mio! Depuis combien de
temps n'avait-il pas ressenti un tel émoi à la vue d'une femme ? Mais
ce n'était pas si surprenant, après tout. Ne venait-il pas de constater
qu'il n'avait pas vu sa maîtresse depuis des mois ?
Il recula d'un pas et, à demi dissimulé par les lourds rideaux de
velours, continua d'observer la jeune femme. Pas de doute, elle était
exceptionnelle. Bientôt, sa décision fut prise : avant de repartir pour
l'Espagne, il l'aurait séduite. Presser ses lèvres pulpeuses contre les
siennes, dévêtir son corps splendide... Ce week-end resterait
inoubliable pour elle comme pour lui, il en faisait le serment.
La voyant tourner la tête vers la maison, il recula encore. Le destin
de cette jeune femme était scellé, mais le moment d'agir n'était pas
encore venu...
Il pivota brusquement et s'adressa vers sa sœur.
— Tes invités sont arrivés, Teresa, annonça-t-il d'un ton neutre. Je
vais faire un tour. Je les verrai au dîner.
Puis, sans attendre de réponse, il gagna la serre attenante au salon,
puis sortit dans le jardin par une porte latérale.
Un grand sourire aux lèvres, Rose prit le temps d'observer l'aspect
de la maison. Avec sa façade de brique rouge patinée par le temps,
elle était coquette et accueillante. Une profusion de plantes
grimpantes encadraient les fenêtres et les murs étaient recouverts
d'une magnifique vigne vierge, dont les feuilles vert vif se mêlaient
aux fleurs roses d'une clématite luxuriante. Le week-end ne
s'annonçait pas trop mal, songea-t-elle. Et, empoignant sa valise,
elle s'avança vers la maison.
Soudain, inexplicablement, elle s'arrêta en réprimant un frisson.
Pourquoi avait-elle l'impression que quelqu'un épiait ses moindres
gestes? Alors qu'elle considérait de nouveau le bâtiment, il lui parut
cette fois menaçant. « Ne fais pas l'enfant, Rose ! » se sermonna-t-
elle avant de hâter le pas pour rattraper les autres.

Le directeur de l'organisation humanitaire pour laquelle elle travaillait


comme médecin en Afrique depuis trois ans lui avait intimé l'ordre
de s'accorder du repos. Selon lui, elle prenait trop à cœur le sort de
ses jeunes patients et souffrait de fatigue nerveuse. Il avait insisté
pour qu'elle s'offre un congé de trois mois et rentre en Angleterre.
Sceptique, elle avait accepté à contrecœur. Mais peut-être avait-il
raison, après tout. Si elle s'imaginait que des yeux la suivaient
partout, c'était qu'elle avait réellement besoin de vacances !
Prise dans le flot des présentations, Rose oublia vite le sentiment
qu'elle avait eu d'être épiée. Teresa, la mère de Jamie, était une
petite femme brune au physique agréable, qui devait avoir une
quarantaine d'années. Très grand, les cheveux grisonnants, son
mari, David, semblait nettement plus âgé.
Ils restèrent tous un moment sur le seuil de la maison à échanger les
commentaires d'usage sur le temps qu'il faisait et à comparer les
avantages respectifs des itinéraires qui menaient à la propriété.
Jetant un coup d'ceil à sa tante Jane et à son oncle Alex, Rose
constata avec plaisir qu'ils semblaient parfaitement détendus. Quant
à sa cousine Ann, que Jamie serrait fermement contre lui, elle
rayonnait de bonheur. Les regards qu'échangeaient les deux jeunes
gens ne laissaient aucun doute sur la force de leur amour.
— Mon père est souffrant et n'a pas pu faire le voyage depuis notre
maison de famille à Séville, expliqua Teresa. Cependant, nous
espérons qu'il sera rétabli pour le mariage, en septembre.
Séville ! Le cœur de Rose fit un bond dans sa poitrine.
— Vous êtes espagnole! On ne le dirait pas..., laissât-elle échapper
étourdiment.
La conversation s'interrompit et son visage s'empourpra, tandis que
tous les regards convergeaient vers elle. Teresa se mit à rire,
rompant le silence embarrassé.
— Mon mari me dit sans arrêt que je parais plus anglaise que lui,
mais étant donné que je vis ici depuis vingt-cinq ans, ce n'est pas
très surprenant.
Sans doute. Cependant, Rose ne pouvait s'empêcher d'être
troublée. Cinq minutes plus tard, tandis qu'ils montaient tous à
l'étage, elle était toujours en proie à un malaise étrange. Alex et Jane
s'installèrent dans une suite située sur le devant de la maison, à côté
de la chambre d'Ann, tandis que Teresa invitait Rose à la suivre plus
loin dans le couloir.
— Cette chambre est celle de mon frère, dit-elle en indiquant une
porte close. Il est arrivé ce matin mais, en ce moment, il se promène
dans la châtaigneraie. Vous ferez sa connaissance au dîner.
Jamie avait un oncle ! L'appréhension de Rose redoubla. Mais elle
se raisonna aussitôt. Ses craintes étaient totalement irrationnelles !
Les chances qu'il s'agît du seul Sévil-lan qu'elle avait connu étaient
infimes.
— Voici votre chambre, dit Teresa en ouvrant la porte voisine.
Rose entra et promena son regard autour d'elle. La pièce était
décorée avec beaucoup de goût. Les meubles en pin,
manifestement anciens, étaient ravissants. Le papier peint à fleurs et
les rideaux de cretonne contribuaient à créer une atmosphère
paisible, invitant à la détente. Considérant l'immense lit recouvert
d'une couette moelleuse, la jeune femme fut tentée de s'allonger.
Depuis qu'Ann et Jamie étaient venus la chercher à l'aéroport, une
semaine plus tôt, et l'avaient conduite à son appartement, au nord
de Londres, elle avait passé la plus grande partie de son temps à
dormir. Décidément, son directeur avait raison, elle était épuisée...
Mais, se souvenant que Teresa l'avait invitée à descendre à 19
heures pour prendre l'apéritif, elle décida de défaire sa valise. Après
avoir rangé ses affaires dans la commode et la penderie, elle se
déshabilla et gagna la salle d'eau. Petite mais pimpante, celle-ci était
équipée d'une cabine de douche, d'un lavabo et de toilettes.
Rose ouvrit les robinets et soupira d'aise sous la caresse du jet
d'eau chaude. Fermant les yeux, elle repensa à l'excitation de sa
cousine lorsqu'elle lui avait annoncé ses fiançailles dès sa descente
d'avion. Mais cette décision n'était-elle pas un peu déraisonnable?
Après tout, la jeune fille n'avait que vingt et un ans.
Pourtant. Rose avait de quoi se sentir un peu responsable de la
rencontre des deux jeunes gens. Pendant les trois années qu'elle
avait passées à l'étranger, elle avait loué son appartement londonien
à des étudiants et avait proposé à Ann d'occuper une chambre, à
titre gratuit. Sa cousine avait donc partagé le confortable quatre
pièces avec Jamie et un autre jeune homme, Mike. Jamie et Ann,
qui avaient rapidement sympathisé en découvrant qu'ils habitaient à
quelques kilomètres l'un de l'autre dans le Yorkshire, avaient bientôt
éprouvé des sentiments plus profonds.
Allons, ce week-end serait certainement très agréable ; il n'y avait
aucune raison de s'en faire, se dit-elle tandis que son corps et son
esprit se détendaient peu à peu sous le jet bienfaisant.

Vingt minutes plus tard, elle descendait l'escalier. La porte du salon


était entrouverte, laissant filtrer des bruits de voix et des rires.
Prenant une profonde inspiration, elle poussa la porte et rejoignit
l'assemblée.
— Rosalyn, tu es la dernière, comme d'habitude ! Mais je dois
reconnaître que tu es plus belle que jamais.
Un sourire malicieux aux lèvres, son oncle Alex était debout près de
la cheminée. Rose avança vers lui, mais la voix de Teresa la cloua
sur place.
— Rosalyn, permettez-moi de vous présenter Xavier, mon frère.
« Xavier... » Non, une coïncidence aussi extravagante était
impossible ! Nerveusement, Rose essuya ses paumes moites sur ses
hanches fines et se tourna lentement vers Teresa et l'homme qui se
tenait près d'elle, à l'entrée de la serre. Le destin ne pouvait pas être
aussi cruel, se dit-elle en se raccrochant à un ultime espoir. Mais
avant même de l'avoir regardé, elle eut la certitude qu'il s'agissait
bien du même homme...

— Mon frère, Xavier Valdespino. Xavier, je te présente la cousine


d'Anne, le Dr Rosalyn May.
Rose entendit à peine les paroles de Teresa. Quelle ironie ! La
probabilité de retrouver cet homme était infime.
C'était pourtant bien lui qui s'avançait maintenant vers elle, le visage
impassible.
— Je suis ravi de vous rencontrer, docteur... Rosalyn May,
déclara-t-il d'une voix profonde, en marquant une brève hésitation.
S'inclinant légèrement, il lui serra la main. Paralysée par le choc,
Rose sentit ses longs doigts se refermer avec vigueur sur les siens.
S'attendant au pire, elle soutint son regard cependant qu'aucune
lueur de reconnaissance ne s'allumait dans ses yeux sombres.
— Enchantée, murmura-t-elle d'une voix à peine audible.
Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Il émanait de lui le
même mélange de force et de virilité qui lui avait coupé le souffle
lors de leur première rencontre, dix ans auparavant. Seules de
longues années de pratique de la médecine, au cours desquelles elle
avait appris à maîtriser ses émotions, lui permirent de garder son
sang-froid. Et dans ce cas précis, ne rien laisser paraître de son
trouble relevait de l'exploit !
— Pas autant que moi, répondit-il.
Avant qu'elle n'ait eu le temps de deviner son intention, il inclina la
tête et effleura des lèvres le dos de sa main. Ce geste, qui aurait pu
paraître théâtral de la part d'un autre homme, semblait tout naturel
venant de lui.
Electrisée, elle retira vivement sa main, ouvrant puis refermant la
bouche sans pouvoir proférer un son.
— Si je puis me permettre, ajouta-t-il d'un ton suave, je suis
entièrement d'accord avec votre oncle. Vous êtes très belle.
Ses yeux sombres la fixèrent longuement, passant toute sa personne
en revue depuis sa chevelure cuivrée jusqu'à la pointe de ses
escarpins. Elle sentit ses joues s'enflammer en même temps que
l'irritation la gagnait. Le smoking noir et la chemise de soie blanche
de Xavier révélaient sans ostentation la puissance de son corps
athlétique. A son élégance s'ajoutait une aisance naturelle qui lui
conférait un charme irrésistible. Mais, visiblement, il n'avait rien
perdu de son impudence. Même marié — sans doute un détail
insignifiant à ses yeux —, il ne semblait pas avoir renoncé à ses
habitudes de séducteur invétéré !
— Merci, répondit-elle d'un ton qu'elle espérait neutre.
Pourquoi fallait-il qu'elle subît pareille épreuve ? Elle qui, au cours
des dix années qui s'étaient écoulées depuis leur rencontre, n'avait
cessé de se féliciter qu'il soit sorti de sa vie. Sans pouvoir détacher
son regard de lui, elle remarqua alors ce que l'émotion lui avait
masqué au premier coup d'œil : une longue cicatrice creusait sa
peau hâlée, de l'oreille à la mâchoire.
— Je crois que je suis votre cavalier pour la soirée, Rosalyn. Mais
peut-être préférez-vous que je vous appelle autrement ? demanda-
t-il en arquant des sourcils interrogateurs.
Autrement? Seigneur, pourquoi cette question?
— Eh bien, hormis mon oncle et ma tante, la plupart des gens
m'appellent Rose, mais je n'ai pas de préférence, répondit-elle
prudemment.
L'aurait-il reconnue, en fin de compte? Impossible d'en être
certaine. Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, elle n'était encore qu'une
adolescente. Par ailleurs, elle était beaucoup plus mince et ses
cheveux, coupés très court, étaient légèrement plus foncés. Au
cours des trois dernières années, le soleil d'Afrique les avait
éclaircis. Lui, en revanche, avait déjà vingt-neuf ans à l'époque et, à
l'exception de sa cicatrice, il n'avait guère changé.
— Avec votre permission, je vous appellerai Rosalyn. C'est un
prénom si féirrinin. Il vous va à merveille, commenta-t-il d'une voix
grave.
Non, décidément, il ne semblait pas l'avoir reconnue. Cela n'avait
d'ailleurs rien de surprenant. Pour lui, elle n'avait été qu'une aventure
sans lendemain, une conquête facile parmi des dizaines d'autres...
Comment pouvait-elle être assez naïve pour s'imaginer qu'elle lui
avait laissé le moindre souvenir? Sans compter que, pendant la
brève période où elle avait été mannequin, elle utilisait un nom
d'emprunt.
— Comme vous voudrez, acquiesça-t-elle d'un ton léger.
— Allons, oncle Xavier, n'accapare pas ma future cousine, intervint
Jamie. Je ne voudrais pas qu'elle meure de soif! Du Champagne,
Rose?
Le jeune homme lui tendit une flûte de cristal remplie de dom-
pérignon. Reconnaissante, Rose la prit en souriant.
— Puisque personne ici ne semble décidé à le faire, je porte un
toast à Ann et à moi-même, déclara Jamie dans un large sourire.
Rose profita des félicitations qui suivirent pour rejoindre Jane à
l'autre bout de la pièce. Elle avait cependant la désagréable
sensation qu'une paire d'yeux bruns scrutateurs suivait ses moindres
mouvements.
Tandis que Jamie débouchait une seconde bouteille de Champagne,
Rose ne put s'empêcher d'observer à la dérobée l'homme qui l'avait
tant fait souffrir autrefois. Ses cheveux couleur d'ébène, légèrement
plus longs que dans son souvenir, étaient parsemés d'imperceptibles
stries blanches. Ses fines pattes-d'oie et les rides de son front
avaient beau s'être légèrement creusées, c'était toujours le plus bel
homme qu'elle eût jamais rencontré. Dommage que son esprit ne
soit pas à la hauteur de son physique !
Le voyant se diriger vers elle, Rose sentit les battements de son
cœur s'accélérer. Que lui arrivait-il donc? Elle n'allait tout de même
pas se laisser prendre de nouveau au piège de son charme
vénéneux ! Mais contrairement à ce qu'elle pressentait, ce fut à son
oncle et à sa tante que Xavier s'adressa.
— David vient de m'informer que les taxis sont arrivés. Si vous êtes
prêts, nous pouvons y aller.
Son répit fut de courte durée car il se tourna aussitôt vers elle.
— Nous allons partager la même voiture, tous les quatre.
Seigneur! La dernière chose dont elle avait envie, c'était de passer
une soirée en compagnie de Xavier Valdespino ! Prenant soudain
conscience qu'elle serait sans doute obligée de supporter sa
présence durant tout le week-end, elle se sentit gagnée par un
profond découragement. Il était convenu, en effet, qu'elle reste
jusqu'au lundi matin, comme son oncle et sa tante, chez qui elle
devait ensuite séjourner une quinzaine de jours.
— Quand repartez-vous pour l'Espagne? s'enquit-elle tandis qu'ils
se dirigeaient vers le taxi.
La chaleur de sa main sur son bras nu faisait renaître des sensations
qu'elle croyait avoir oubliées depuis longtemps.
— Voilà une question qui manque de tact, Rosalyn, fit-il observer
avec une lueur moqueuse dans les yeux. Nous venons à peine de
nous rencontrer et vous songez déjà à mon départ.
— Pas du tout. C'était juste pour engager la conversation, répliqua-
t-elle d'une voix moins assurée qu'elle ne l'aurait souhaité.
— Excusez-moi. Je ne suis pas très au fait des usages en vigueur
dans votre beau pays. Peut-être pourriez-vous me les enseigner, lui
susurra-t-il à l'oreille.
Puis il lui lâcha le bras et s'effaça pour laisser son oncle et sa tante
monter dans la voiture.
Dieu merci, le trajet jusqu'à l'hôtel serait bref! se dit Rose pour
s'encourager. Troublée malgré elle, la jeune femme faisait son
possible pour éviter tout contact avec lui. Pourtant, dans les virages
de la petite route de campagne, son épaule et sa cuisse effleuraient
celles de Xavier qui ne semblait pas y prêter attention.
— Rosalyn est allée une fois en Espagne, vous savez. En entendant
Jane faire ce commentaire, elle tressaiUit.
— En vacances, intervint-elle vivement.
Il ne fallait surtout pas laisser sa tante mentionner qu'elle avait
travaillé comme mannequin ! Cela risquerait de rafraîchir la mémoire
de cet odieux personnage...
— Ainsi, vous avez visité mon pays, Rosalyn? Où êtes-vous allée?
Son visage n'exprimait rien d'autre qu'un intérêt poli. Allons !
Manifestement, elle dramatisait. Il était loin de se douter qu'il l'avait
déjà rencontrée.
— A Barcelone. Une ville merveilleuse, répondit-elle d'un ton
faussement détaché.
— Je suis d'accord avec vous. J'avais l'habitude de m'y rendre tous
les ans pour le Grand Prix automobile. Mais je n'y suis pas retourné
depuis quelques années.
— Vous étiez pilote ? intervint Alex avec enthousiasme.
— Non. Je finançais une équipe. Malheureusement, d'autres
occupations m'accaparent désormais et je n'en ai plus le temps.
Mais j'aime toujours les voitures et j'en ai une assez belle collection
à la maison.
— Avez-vous vu celle de ma nièce? C'est une petite merveille.
Xavier se tourna vers la jeune femme.
— Oui, je l'ai remarquée dans l'allée. Une Jaguar type E. Une
voiture un peu trop rapide pour une femme, de mon point de vue.
— Une remarque plutôt machiste, de mon point de vue, rétorqua-t-
elle du tac au tac.
— Vous n'êtes pas une de ces féministes enragées qui méprisent les
hommes, j'espère?
Rose se hérissa.
— Et si c'était le cas?
— J'ai toujours pensé que les belles femmes avaient été créées pour
être choyées et protégées par les hommes. Et pour faire des
enfants, bien sûr, ajouta-t-il d'un ton provocateur. C'est tellement
affligeant de découvrir qu'un visage d'ange peut cacher un esprit
vindicatif.
Effleurant sa joue, il remit en place une boucle de ses cheveux
derrière son oreille.
— Une mèche rebelle, murmura-t-il.
Au diable la mèche rebelle ! Les yeux émeraude de Rose
étincelèrent de fureur. 11 se moquait ouvertement d'elle !
— Cela vaut mieux que de ne pas avoir d'esprit du tout, comme
certains hommes de ma connaissance, rétorqua-t-elle d'un ton
cassant.
Mais qu'est-ce qui l'irritait le plus? se demanda-t-elle. Les
sarcasmes de son interlocuteur ou le trouble qu'elle avait ressenti au
contact de ses doigts sur sa joue?
— Je plaisantais, dit Xavier avec le plus grand calme. Et je
cherchais à savoir si votre tempérament était aussi ardent que votre
magnifique chevelure.
2.
Dardant sur Xavier un regard méprisant, Rose releva le menton d'un
air de défi.
— Si vous aviez habité dans des pays où les coutumes machistes
qui régissent la société mettent chaque jour la vie de milliers de
femmes en danger, vous n'auriez pas le cœur à plaisanter. J'ai vu
mourir en couches sous mes yeux une gamine de quatorze ans.
Enceinte après avoir été violée, elle avait été mariée de force à son
agresseur ! Quant aux ravages de l'excision... C'est une pratique
illégale, mais comme c'est également une tradition, la loi ferme les
yeux. Les gens comme vous ne savent pas de quoi ils parlent,
conclut-elle.
— Visiblement, mes propos vous ont bouleversée. Ce n'était pas
mon intention. Je m'en excuse sincèrement, dit Xavier.
Alex intervint.
— Ne vous inquiétez pas. Rose est toujours prompte à s'enflammer
et, malheureusement pour vous, vous avez touché son point
sensible. Mais elle s'en remettra.
— Si cela ne te fait rien, mon oncle, j'aimerais mieux que tu ne
t'exprimes pas à ma place. Je suis encore capable de le faire, coupa
Rose, ignorant les excuses de Xavier.
Au fond d'elle-même, elle se rendait compte qu'elle nourrissait
toujours à son égard un profond ressentiment. La façon dont il
l'avait traitée alors qu'elle n'était qu'une adolescente sans expérience
la faisait encore bouillir de colère. Dire qu'elle avait cru que tout
cela était derrière elle... Ces retrouvailles inattendues avaient fait
remonter à la surface une foule de souvenirs particulièrement
pénibles. Sans compter que ce mufle ne l'avait même pas reconnue
!
Ils arrivèrent enfin à l'hôtel que Rose connaissait bien. Enfant, elle y
avait souvent dîné en compagnie d'Alex et de Jane, chez qui elle
passait la plupart de ses vacances.
Teresa et David prirent place chacun à un bout de la table. Dès que
son oncle et sa tante se furent assis, Rose se hâta de s'installer entre
eux et David. Pas question de dîner à côté de Xavier ! Attrapant la
serviette de lin qui se trouvait sur son assiette, elle la déplia sur ses
genoux en laissant échapper un imperceptible soupir de
soulagement. Lequel fut, hélas, de courte durée. Levant les yeux,
elle vit l'objet de sa rancune assis juste en face d'elle.
Leurs regards se croisèrent, et, l'espace d'une seconde, elle crut
voir briller dans ses yeux bruns une lueur menaçante. Aussitôt, elle
se dissimula derrière le menu que venait de lui tendre le serveur.
Mais, à son grand dam, elle fut incapable de se concentrer sur la
liste des plats. La proximité de cet homme cynique et sans cœur
était trop déstabilisante. Les questions se bousculaient dans son
esprit. Pourquoi Xavier était-il venu seul en Angleterre? Elle savait
de source sûre qu'il était marié, alors où se trouvait sa femme ? Et
ses enfants ? Il en avait forcément. A cette pensée, elle ressentit un
pincement au cœur.
Observant son oncle et sa tante à la dérobée, elle se sentit
submergée par une profonde mélancolie. Depuis que ses parents
étaient morts dans un accident d'avion lorsqu'elle avait dix-sept ans,
Alex, Jane et Ann consti-tuaient sa seule famille. Or, une fois Ann
mariée, cette famille serait unie à celle de Xavier, ce qui représentait
pour elle une catastrophe. Xavier Valdespino présent à tous les
mariages, anniversaires, baptêmes... Quel cauchemar ! Jamais elle
ne pourrait continuer à faire semblant de ne pas le connaître. En fait,
il serait même miraculeux qu'elle parvienne à tenir tout le week-end
sans lui dire ses quatre vérités...
— Avez-vous choisi, Rosalyn?
Son prénom prononcé d'un ton suave la détourna de ses pensées.
— Ou dois-je choisir pour vous ?
Quelle arrogance ! Abaissant son menu, elle lui décocha un regard
noir. Paradoxalement, sa cicatrice ajoutait à son charme et
soulignait la perfection de ses traits. Cependant, elle n'enlevait rien à
sa fatuité...
— Je n'ai pas besoin de votre aide. Je prendrai du melon et une
salade de crevettes, annonça-t-elle sèchement.
— Vous surveillez votre ligne? C'est vraiment inutile. Vous êtes
délicieusement proportionnée. Je suis sûr que de nombreux hommes
vous l'ont déjà dit.
Décidément, il maîtrisait toujours aussi bien l'art de la séduction. La
lueur qui dansait dans ses yeux sombres était suffisamment
suggestive pour être flatteuse mais pas assez pour être offensante.
Oh, il savait s'y prendre ! Mais s'il s'imaginait qu'il allait
l'impressionner, il se trompait lourdement.
— Vous êtes un flatteur, señor Valdespino, commenta-t-elle d'un
ton neutre.
— Appelez-moi Xavier, je vous en prie. Et ce n'est pas de la
flatterie. Vous êtes réellement une femme superbe, ajouta-t-il après
une pause délibérée, en laissant ses yeux s'attarder sur son
décolleté. Il serait criminel de gâcher une telle perfection par un
régime stupide.
Rose tressaillit. Cette remarque était douloureusement familière ! Il
lui avait fait la même réflexion au cours de la soirée qu'ils avaient
passée ensemble dix ans plus tôt. Elle scruta son visage, mais son
expression était indéchiffrable. L'arrivée du serveur venu prendre la
commande évita à Rose le soin de répondre.
Une fois le Champagne servi, David porta un toast aux futurs mariés
au milieu d'un joyeux brouhaha. Jaune insista ensuite pour porter un
toast à chacun des convives.
— Si tu n'avais pas loué ton appartement londonien, je n'aurais
peut-être jamais rencontré Ann, dit-il à Rose quand son tour fut
venu.
La jeune femme eut un sourire malicieux.
— J'espère pour toi que tu ne le regretteras jamais ! Je connais ma
cousine depuis assez longtemps pour savoir qu'elle peut vous
entraîner dans de drôles d'aventures ! Je me souviens qu'un jour,
alors qu'elle n'avait que dix ans, elle a réussi à me persuader de
suivre une chasse à courre sur un âne emprunté à oncle Alex. Non
seulement j'étais furieuse d'assister à une tradition barbare, mais je
me sentais, en plus, parfaitement ridicule !
— J'aurais bien voulu voir cela. Vous aimez monter à cheval,
Rosalyn? demanda Xavier en se penchant vers elle.
Elle soutint son regard sans ciller. Les yeux de cet homme brillaient
d'un éclat inquiétant, tandis que son sourire, à première vue
enjôleur, avait quelque chose de factice.
— J'aimais beaucoup ça lorsque je séjournais chez mon oncle et ma
tante. Mais ces dernières années, je n'en ai pas vraiment eu
l'occasion. Sauf si l'on compte la fois où je me suis retrouvée à dos
de dromadaire dans le désert du Kalahari. Mais je doute fort que
ce type d'expédition puisse avoir du charme aux yeux d'un homme
aussi sophistiqué que vous.
— Je pourrais être tenté d'essayer si vous vous joi-gniez à moi,
répondit-il d'une voix âpre. La compagnie d'une femme séduisante
incite souvent à sortir des sentiers battus.
Rose l'observa avec perplexité. Quelque chose clochait. Même
lorsqu'il flirtait avec elle, il gardait une certaine réserve qui
contrastait avec les compliments qu'il lui adressait.
— Vous perdez votre temps, señor Valdespino.
— Oh, je ne pense pas. Après tout, nous avons toute la nuit devant
nous.
Se calant contre le dossier de sa chaise, il fit signe au serveur et
commanda une autre bouteille de champagne. Puis il lâcha
négligemment :
— Qui sait quels miracles peuvent accomplir les bulles de ce
pétillant breuvage, ma chère Rosalyn ?
Toute la table accueillit ce commentaire par des éclats de rire, et
Xavier eut un large sourire qui découvrit des dents étincelantes.
— Je serais étonnée que votre épouse trouve cette remarque
amusante, rétorqua Rose d'un ton mordant.
— Qu'est-ce qui vous fait croire que j'ai une épouse ? lâcha-t-il, le
visage crispé.
Rose se sentit profondément gênée. Comment avait-elle pu
commettre pareille bévue? Elle était censée ne rien savoir de lui !
Prise au dépourvu, elle tenta de rattraper son impair en l'attaquant
sur son machisme.
— Eh bien... un homme de votre âge, avec vos opinions... Je ne
vous imagine pas autrement que marié avec trois ou quatre enfants
et une femme, probablement enceinte, qui vous attend sagement à la
maison.
— Votre perspicacité est remarquable. On pourrait presque penser
que nous nous sommes déjà rencontrés.
Rose se figea. Il l'avait reconnue ! Depuis le début, il se jouait d'elle
! Mais il poursuivit sur un ton posé :
— J'ai en effet été marié, mais je n'ai pas d'enfants et ma femme est
décédée il y a deux ans.
Atterrée, Rose se sentit devenir cramoisie.
— Je suis désolée, bafouilla-t-elle.
Si seulement le sol avait pu s'ouvrir sous sa chaise et l'engloutir!
L'antipathie qu'elle ressentait pour cet homme lui avait fait perdre
son sang-froid et elle avait enfreint les règles du savoir-vivre le plus
élémentaire. A cet instant, Ann se leva de table et lui sauva la mise.
— Excusez-moi, mais il faut que j'aille me rafraîchir, claironna la
jeune fille. Tu viens avec moi, Rose?
Trop heureuse de pouvoir s'échapper, Rose suivit sa cousine.
— Mais enfin, qu'est-ce qui t'a pris? s'exclama Ann en pénétrant
dans les très chic lavabos du restaurant. Si tu cherches à ce que nos
fiançailles soient annulées, tu n'as qu'à continuer à attaquer Xavier
comme tu le fais.
— Je ne vois pas le rapport, répondit Rose en promenant son
regard sur les murs tapissés de miroirs.
— Pour l'amour du ciel, Rose ! Mon avenir est entre les mains de
Xavier. S'il décide de s'opposer à notre mariage, je suis perdue. Je
ne doute pas de l'amour de Jamie, mais financièrement, il dépend
entièrement de son oncle. C'est Xavier qui paie ses études et lui
donne l'argent nécessaire pour vivre. Or tu n'as pratiquement pas
cessé de l'insulter depuis que tu as fait sa connaissance. Que se
passe-t-il ? C'est un homme charmant et très courtois. Un peu âgé
mais plutôt séduisant, si l'on fait abstraction de sa cicatrice. Ce n'est
tout de même pas sa cicatrice qui te le rend antipathique ?
— Bien sûr que non ! protesta Rose, mortifiée que sa cousine pût
imaginer une chose pareille. Mais je ne savais pas que l'approbation
de Xavier comptait à ce point pour Jamie et pour toi. David et
Teresa doivent pourtant être très à l'aise, non? Ils possèdent une
ferme immense et des écuries de courses. Tu ne crois pas que tu
accordes un peu trop d'importance à l'opinion d'un oncle?
— De toute évidence, tu es restée trop longtemps à l'étranger. Tu
n'as pas l'air d'avoir conscience des problèmes que connaît
l'Angleterre sur le plan agricole. Depuis quelques années, on ne
compte plus les fermiers qui ont dû mettre la clé sous la porte. Des
centaines d'entre eux ont été ruinés par la maladie de la vache folle
et l'embargo européen sur les exportations de bœuf britannique.
Sans l'aide de Xavier, il y a longtemps que la ferme de David et
Teresa aurait fait faillite. Quant aux écuries de courses, elles
rapportent tout juste de quoi couvrir les frais qu'elles occasionnent,
selon Jamie. Alors par pitié, essaie de te montrer aimable avec
Xavier. Nous comptons sur lui pour aider Jamie à ouvrir son propre
cabinet vétérinaire dans deux ou trois ans.
— Je ne savais rien de tout cela, reconnut Rose.
Au fil des années, elle avait perdu le contact avec Ann, se dit-elle
avec un sentiment de culpabilité. La petite fille qui ne la lâchait
jamais d'une semelle était devenue une jeune femme sûre d'elle et
qui savait parfaitement ce qu'elle voulait. Elle soupira.
— Tu as raison. J'ai sans doute perdu le sens des réalités... et celui
des bonnes manières. Excuse-moi. Je te promets que dorénavant je
serai tout miel avec Xavier Valdespino.
Elle jeta un coup d'œil à son reflet dans l'un des miroirs, remit en
place quelques boucles et redressa les épaules.
— Il n'aura plus aucune raison de se sentir offensé. Tu as ma
parole.
— Voilà qui est mieux ! approuva Ann avec un grand sourire.
Elle lança un regard admiratif à sa cousine.
— En tout cas, tu n'as rien perdu de ta beauté ni de ton élégance.
Tu pourrais toujours travailler comme mannequin.
— Surtout, pas un mot sur cet épisode de ma vie! s'écria aussitôt
Rose.
— Pourquoi pas?
— Je ne veux pas, un point c'est tout. Tu tiendras ta langue ?
— Oui, promis. Mais de ton côté, plus de remarques blessantes. A
propos, ajouta Ann avec un sourire espiègle, même une femme
amoureuse de son métier autant que tu l'es doit reconnaître que
c'est un beau parti. Un peu distant et hautain, je veux bien
l'admettre. Mais fortuné, raffiné et libre. Et tu lui plais énormément,
cela crève les yeux !
Si elle savait! songea Rose. Tandis qu'elles regagnaient la salle de
restaurant, elle prit la jeune fille par le bras.
— Tu sais, cousine, dit-elle mi-sérieuse, mi-taquine, je viens de
découvrir une faille dans ton caractère, par ailleurs si parfait : tu es
un peu intéressée.
— Non. J'ai simplement l'esprit pratique, objecta Ann.
Il n'y avait rien à répondre à cela...

Rose mangea sans appétit. Elle avait beau faire tout son possible
pour ne pas regarder Xavier, ses yeux étaient irrésistiblement attirés
vers lui. Il discutait avec tout le monde sans lui accorder la moindre
attention. Au moment du dessert, la conversation s'orienta vers les
voyages. Xavier s'adressa à elle pour la première fois depuis plus
d'une heure.
— Votre tante m'a appris que vous étiez restée trois ans à
l'étranger. Vous devez avoir vécu des expériences passionnantes.
Soucieuse de respecter la promesse qu'elle avait faite à sa cousine,
Rose se força à sourire.
— J'ai surtout beaucoup travaillé. Mais comme mon métier est
passionnant, peu importe la charge de travail. Vous savez, il y a
pénurie de médecins dans la plupart des Etats africains, en
particulier dans les zones rurales. En Occident, nous sommes
tellement habitués à obtenir une ambulance sur un simple coup de
téléphone, que nous oublions que, dans beaucoup de pays du
monde, les gens n'ont pas cette chance.
— Allons, Rose, tu crois que c'est le moment? intervint Jane.
— Mais nous devrions tous avoir honte, tante Jane ! riposta-t-elle
avec véhémence. Il est inadmissible qu'au xxf siècle, il existe encore
tant d'endroits sur la planète où les gens n'ont pas accès aux soins
les plus élémentaires.
— Rose, s'il te plaît. Pas ce soir. Tu sais ce que t'a recommandé
ton supérieur : trois mois de repos et de détente, lui rappela sa
tante.
— Cela ne m'empêche pas de défendre mes opinions, objecta
Rose avec obstination.
Mais, voyant la moue inquiète d'Ann, elle s'interrompit.
— Je ne savais pas que vous étiez en congé pour plusieurs mois,
déclara Xavier.
Ses yeux sombres la fixaient avec intensité.
— Comment le sauriez-vous ? Nous venons à peine de nous
rencontrer, mentit-elle d'un ton affable.
A son grand dam, son esprit fut soudain traversé par l'image de son
corps hâlé, tout en muscles, entièrement nu sur des draps de satin.
Un éclair de désir brûlant la foudroya. Qu'est-ce qui lui prenait,
enfin? Pourquoi cette attirance pour un homme qui lui avait fait tant
de mal et qui représentait de surcroît ce qu'elle méprisait le plus ?
Pourquoi ne voyait-elle plus en lui qu'un homme plein de charme ?
Détachant ses yeux des siens, elle se mit à détailler sa mâchoire
volontaire, sa bouche bien dessinée et si sensuelle... Elle déglutit
péniblement. « Un peu de bon sens ! » se sermonna-t-elle. Un
instant, elle ferma les yeux pour chasser les images obsédantes du
passé. Lorsqu'elle les rouvrit, il lui fallut un moment avant de
comprendre que Xavier lui parlait.
— Vous devez venir avec Ann et Jamie demain. J'insiste.
Rose lui jeta un coup d'œil circonspect. Que voulait-il dire ? Où
Ann et Jamie devaient-ils aller le lendemain ?
— Oh oui ! Quelle bonne idée ! s'écria Ann. Je craignais justement
d'être perdue au milieu de tous ces hommes. Et de ne trouver
personne pour faire du shopping avec moi.
— Vous ne pouvez pas refuser, Rose, renchérit Jamie en riant. Si
vous m'épargnez le shopping, vous aurez droit à ma reconnaissance
éternelle.
— Cela ne peut te faire que du bien, approuva Jane.
De quoi parlaient-ils donc tous? L'esprit un peu confus, Rose
regarda tour à tour leurs visages souriants. Sans doute le jeune
couple projetait-il de passer la journée à Harrogate ou à Leeds ?
Visiblement, Ann souhaitait ardemment qu'elle accepte. Soucieuse
de faire plaisir à sa cousine, elle capitula.
— D'accord, vous pouvez compter sur moi. Mais où devons-nous
aller, exactement?
— Mais... chez moi, à Séville, répondit Xavier en esquissant un
mouvement pour se lever de table. Maintenant que ce détail est
réglé, je pense que nous pouvons passer dans le salon, où le café
nous attend. Et je suis sûr que ces deux jeunes gens sont impatients
de descendre rejoindre leurs amis à la discothèque.
D'abord paralysée par la stupeur, Rose bondit si brusquement de sa
chaise qu'elle faillit la renverser.
— Attendez une minute! Je ne peux pas aller en Espagne ! s'écria-
t-elle. Je croyais qu'il s'agissait d'aller passer la journée à Leeds
pour faire du shopping.
Dans quoi s'était-elle laissé entraîner? Il était hors de question
qu'elle parte à Séville ! C'était un malentendu !
Elle jeta des regards effarés autour d'elle. Sept paires d'yeux la
dévisageaient.
— Bien sûr que tu peux y aller ! objecta Jane. Ce sera bien plus
amusant pour toi que de rester à Richmond avec Alex et moi. Tu as
ton passeport?
— Oui, mais...
— Alors il n'y a pas de problème, coupa sa tante.
— Mais je ne peux pas partir en Espagne comme ça, enfin !
Rose jeta un rapide coup d'œil à Xavier, mais il n'y avait aucun
soutien à attendre de sa part. Une lueur moqueuse dansait dans ses
yeux sombres. Visiblement, sa confusion le réjouissait au plus haut
point.
— Ton grand-père est malade, Jamie, fit-elle observer en désespoir
de cause. Il ne voudra pas d'une personne de plus chez lui.
— Au contraire, intervint Teresa. Mon père sera enchanté. Il est de
la vieille école et, pour être honnête, je dois vous avouer qu'il était
réticent à ce qu'Ann séjourne à l'hacienda seule avec Jamie avant
leur mariage, sans être accompagnée d'un chaperon.
— Un chaperon ! répéta Rose d'un ton incrédule. Cet homme vivait
donc au Moyen Age?
— Vous plaisantez !
Mais, manifestement, c'était très sérieux...
— Ma sœur dit vrai, confirma Xavier. Chez nous, il est d'usage
qu'une parente plus âgée joue le rôle de chaperon de la future
mariée. Vous rendriez un immense service à notre père en lui
permettant de cesser de se tourmenter à ce sujet.
— Xavier a raison, insista Ann en venant se placer à côté de Rose
et en posant une main sur son bras. S'il te plaît, accepte. Je ne veux
pas contrarier le grand-père de Jamie avant même d'être mariée.
Rose ouvrit la bouche mais aucun son n'en sortit. Elle fusilla Xavier
du regard. L'odieux personnage ! De toute évidence, il trouvait cela
très amusant. Mais devant les yeux suppliants de sa cousine, elle se
résigna.
— Bon, c'est d'accord.
Avait-elle le choix? Cependant, vivre sous le même toit que Xavier
Valdespino allait être un véritable calvaire...
— Tu es un amour ! s'exclama Ann en la serrant dans ses bras.
Nous allons bien nous amuser, tu verras.
Puis, s'adressant à Jamie :
— Il est temps de descendre à la discothèque, tu ne crois pas?
Après avoir adressé un clin d'œil à Rose, la jeune fille s'éloigna en
compagnie de son fiancé.
— Permettez-moi de vous escorter dans le salon, proposa Xavier
en posant une main au creux de ses reins. Vous semblez un peu
étourdie. Trop de Champagne, peut-être ?
Il continuait de se payer sa tête ! songea-t-elle. Quel mufle !
— Je n'ai d'autre choix que de vous suivre, apparemment,
rétorqua-t-elle avec raideur.
Toutefois, le contact de sa main la troublait bien plus qu'elle ne l'eût
souhaité. Décidément, la soirée tournait au cauchemar !
Pendant qu'ils dégustaient le café, Xavier décrivit à Rose les
différentes résidences des Valdespino. L'hacienda se trouvait à
quelques kilomètres de Séville, dans les hautes plaines de l'intérieur,
expliqua-t-il. Mais la famille possédait aussi une maison en ville.
— Je peux vous assurer que vous ne vous ennuierez pas, affirma
Xavier. Mon père vit actuellement dans notre maison de Séville. D
est préférable qu'il reste à proximité de l'hôpital durant mon
absence. Vous et votre cousine aurez donc l'occasion de visiter un
peu la ville. Ensuite, si nous avons l'accord du médecin de mon
père, nous irons tous à l'hacienda.
— Cela me semble parfait, approuva Rose d'un ton qu'elle espérait
enjoué.
Mais la perspective de passer une semaine chez ce macho suffisant
était loin de la réjouir.
Lorsque, un peu plus tard, le réceptionniste vint les informer que les
voitures attendaient, Xavier se pencha vers elle.
— Me ferez-vous l'honneur de m'accompagner à la discothèque?
demanda-t-il d'une voix profonde.
— Vas-y, intervint Jane. Fais-moi plaisir, va t'amuser un peu,
Rosalyn. Tu mènes une vie beaucoup trop sérieuse. Et n'oublie pas
de jeter un coup d'œil sur Ann et Jamie.
Quelques minutes plus tard, Rose se trouvait à l'entrée du club en
sous-sol, poussée en avant par une main posée au creux de ses
reins. Des éclairs de lumière stroboscopique déchiraient la
pénombre ambiante, accentuant les mouvements frénétiques des
danseurs qui se déhanchaient sur la piste. La musique était
assourdissante.
— Vous n'avez tout de même pas envie de rester ici ! dit-elle en se
tournant vers son compagnon.
Mais sans lui laisser le temps de réagir, il l'attira dans ses bras et lui
effleura des lèvres le lobe de l'oreille.
— Désolé, mais je n'ai rien entendu. J'imagine que ce genre
d'endroit ne vous plaît guère, Rosalyn. Juste une danse, un rapide
coup d'œil à nos deux tourtereaux et nous pourrons nous en aller.
D'accord?
Troublée par la caresse de son souffle tiède, elle hocha
machinalement la tête. Malheureusement, le dise-jockey choisit cet
instant précis pour mettre un slow. La plaquant contre lui, Xavier
l'entraîna sur la piste avec une sensualité qui anéantit en elle toute
velléité de résistance.
Electrisé, tout son corps semblait se réveiller d'une longue torpeur.
Seigneur ! Si elle avait une once de bon sens, elle s'enfuirait
immédiatement ! Xavier Valdespino était un homme extrêmement
dangereux, elle en avait déjà fait la douloureuse expérience... Mais
elle fut incapable de s'arracher à son étreinte.
Après le slow, la musique reprit un rythme plus entraînant.
— Savez-vous danser la salsa? questionna Xavier.
— Oui.
C'était un danseur exceptionnel. Son corps athlétique se mouvait
avec une souplesse qui n'avait d'égal que son sens du rythme. Pas
de doute, il avait une allure magnifique. D'ailleurs, il attirait tous les
regards féminins.
Etait-ce le Champagne ? L'euphorie communicative de la musique
afro-cubaine? Toujours est-il qu'elle se jeta à corps perdu dans la
danse.
Elle était toujours sous le charme lorsque la musique s'arrêta. Et
quand il la pressa contre lui et que son visage ténébreux s'inclina
lentement vers le sien, elle crut qu'il allait l'embrasser... Le regard
voilé, elle entrouvrit ses lèvres frémissantes. Mais il se redressa
brusquement, soudain froid et distant, puis il s'écarta d'elle, la
toisant de la tête aux pieds.
3.
Déconcertée, Rose leva les yeux vers lui. En dépit d'un éclair de
lumière stroboscopique qui illumina ses traits d'un coup, le visage de
Xavier semblait impénétrable.
— Vous dansez bien, déclara-t-il d'un ton poli.
— Merci, bredouilla-t-elle, rouge de confusion.
— Venez, je pense que nous avons accompli notre devoir. Nos
deux amoureux n'ont pas besoin de surveillance et j'ai terriblement
soif, reprit-il.
La prenant par le bras, il l'entraîna vers la sortie et le calme relatif du
salon. Trop fatiguée pour protester, elle le suivit docilement.
Il commanda deux limonades à un serveur qui passait, puis invita
Rose à s'asseoir sur un grand canapé.
— Trop de Champagne et de danse. Nous risquons la
déshydratation, commenta-t-il en s'installant près d'elle.
— Je sais, je suis médecin, dit-elle d'un ton crispé.
Le serveur arriva avec leurs boissons et ils burent leur verre d'un
trait.
Puis, s'accoudant nonchalamment au bras du canapé, Xavier
l'étudia attentivement, paupières mi-closes.
— Une Anglaise qui danse la salsa comme une fille des Caraïbes,
c'est plutôt surprenant, fit-il observer en arquant les sourcils.
Révélez-moi votre secret. Où avez-vous appris?
— En Afrique.
Rose fit une pause, tandis que l'évocation de souvenirs heureux
allumait dans ses yeux verts une lueur nostalgique.
— Mais encore?
— Dans notre hôpital en Somalie, nous avons recueilli et soigné un
archéologue de Buenos Aires qui s'était fait attaquer. Des brigands
lui avaient dérobé toutes ses affaires et il était sérieusement blessé.
Mais, curieusement, il avait réussi à sauver un CD de musique
latino-américaine. Il le passait jour et nuit. Lorsqu'il est parti, trois
mois plus tard, j'avais appris à danser la salsa, le tango et la samba.
Dominic était également un très bon chanteur, précisa-t-elle avec un
sourire.
Elle se sentait plus détendue. La limonade l'avait rafraîchie et la
soirée était presque terminée : en même temps que les boissons,
Xavier avait commandé un taxi pour le retour.
Rose était à mille lieues de se douter combien elle fascinait son
interlocuteur. Xavier ne la quittait pas des yeux, ne se lassant pas de
contempler son visage à l'ovale parfait, qu'éclairaient ses grands
yeux émeraude. Le décolleté de sa robe verte laissait voir la
naissance de ses seins et la peau satinée de ses cuisses partiellement
dévoilées était une véritable invitation aux caresses. Inconsciente du
trouble qu'elle suscitait chez lui, elle n'en était que plus séduisante à
ses yeux.
— Il est parti pour le Brésil, poursuivit-elle. La dernière fois que j'ai
eu de ses nouvelles, il explorait la cordillère des Andes, à la
recherche d'un cimetière sacrificiel.
Une pointe de mélancolie assombrit son regard. Dominic était
tombé amoureux d'elle, et, une nuit, elle s'était retrouvée dans son
lit. Une erreur qui avait failli gâcher une grande amitié.
Heureusement, il s'était incliné de bonne grâce lorsqu'il avait
compris que son cœur ne lui appartiendrait jamais.
Xavier adressa un bref signe de tête à quelqu'un qui se trouvait
derrière Rose et se leva.
— Apparemment, notre taxi est arrivé.
Lui tendant la main, il la tira hors du canapé avec une brusquerie qui
faillit la faire trébucher.
— Pourquoi cette hâte? ne put-elle s'empêcher de demander en
frissonnant, tandis qu'il l'entraînait dehors.
— La journée a été longue, répliqua-t-il sèchement en s'effaçant
pour la laisser monter dans la voiture. Et la soirée plus encore. Pour
ma part, j'en ai assez. J'ai hâte d'être à demain et de rentrer en
Espagne.
Manifestement, elle n'avait aucune raison de s'inquiéter. Non
seulement il ne l'avait pas reconnue, mais elle ne l'intéressait pas du
tout. De plus, elle ne pouvait que se réjouir d'aller à Séville. Puisque
Xavier n'avait aucune vue sur elle, ce séjour espagnol se déroulerait
certainement à merveille.
De retour chez Teresa, elle monta directement se coucher. Une
heure plus tard, elle ne dormait toujours pas. C'était sans espoir.
Avec un soupir résigné, elle ouvrit les yeux et laissa son esprit
remonter le temps. Si elle osait affronter ses démons — ou plus
exactement Xavier, son unique démon —, peut-être finirait-elle par
trouver ce repos dont elle avait tant besoin...
Les premières notes de musique venaient d'annoncer son entrée. La
tête haute, elle avança sur l'estrade d'une démarche chaloupée. Le
décolleté de sa minuscule robe de soie, dont la jupe lui arrivait au
ras des fesses, plongeait pratiquement jusqu'au nombril. Ses
cheveux aubum coupés très court étaient savamment ébouriffés et
fixés par du gel. L'expression maussade de son beau visage était
accentuée par l'épais trait de khôl qui soulignait ses yeux émeraude.
Le look « ravagé » était à la mode...
A seize ans, Rose avait été repérée par une agence de mannequins
lors du défilé de mode organisé par les commerçants de
Birmingham. Grande et svelte, d'une beauté exceptionnelle, elle
correspondait exactement au profil recherché. On lui avait donc
proposé un contrat.
Après qu'ils en eurent discuté ensemble, ses parents avaient
consenti à ce qu'elle travaille comme mannequin, mais uniquement
pendant les vacances scolaires. Son père lui avait recommandé de
prendre un pseudonyme si elle voulait être prise au sérieux
lorsqu'elle deviendrait médecin, comme elle le souhaitait. Elle avait
choisi « Maylyn », une contraction de son nom — Rosalyn May.
Promenant un regard absent sur le public qui réunissait un nombre
impressionnant de célébrités, Maylyn prêta à peine attention aux
applaudissements enthousiastes. Ce soir, elle avait l'esprit accaparé
par les problèmes pratiques posés par son prochain déménagement.
Quand allait-elle trouver le temps d'emballer toutes ses affaires ?
Après la mort tragique de ses parents en avion au cours d'une
mission humanitaire un an plus tôt, elle s'était retrouvée seule avec
Peggy, la jeune femme qui s'occupait d'elle depuis qu'elle était toute
petite. En accord avec Rose, sa tante Jane et son oncle Alex
avaient décidé qu'elle resterait dans la maison londonienne de ses
parents avec Peggy jusqu'à la fin de ses études secondaires. Bien
que ravagée par le chagrin, elle avait brillamment réussi son examen
de fin d'études, l'été précédent. Acceptée en première année de
médecine à Londres, elle avait décidé de faire une pause d'une
année qu'elle consacrerait entièrement à son métier de mannequin.
Son but était de gagner suffisamment d'argent pour subvenir à ses
besoins jusqu'à l'obtention de son diplôme de médecin.
A Noël, Peggy lui ayant annoncé son prochain mariage, elle avait
mis en vente la maison de famille et acheté un appartement dans le
même quartier.
En ce mois de mai, elle se trouvait à Barcelone pour participer à
plusieurs défilés, organisés au profit d'œuvres de bienfaisance à
l'occasion du Grand Prix automobile d'Espagne. S'il n'avait tenu
qu'à elle, elle serait restée en Angleterre pour célébrer son
anniversaire dans le Yorkshire, chez son oncle et sa tante. Elle avait
dix-neuf ans aujourd'hui et ce métier commençait à lui peser.
Heureusement, elle n'en avait plus pour longtemps.
Maylyn le mannequin, fonctionnant sur pilote automatique, atteignit
le bout de l'estrade et pivota avec un déhanchement gracieux. Sa
robe de soie grise tourbillonna autour de ses hanches. Aucune
femme sensée n'aurait l'idée de s'exhiber en public attifée de la sorte
! songea-t-elle avec dérision. Mais dès le surlendemain, elle
redeviendrait une femme sensée, et n'aurait plus jamais à porter de
tels accoutrements... Elle sourit involontairement à cette pensée
encourageante. La semaine prochaine, elle emménagerait dans son
nouvel appartement, puis, après de longues vacances, elle
reprendrait ses études pour réaliser son rêve : devenir médecin
comme ses parents. Tandis qu'elle parcourait l'estrade en sens
inverse, elle fut parcourue d'un frisson, aussi intense qu'inattendu.
Parmi la foule, elle venait de distinguer un homme immense, très
brun, qui la fixait de ses yeux étincelants, un sourire sensuel aux
lèvres.
Oh non ! Il avait cru que c'était à lui qu'elle avait souri ! Il était déjà
présent la veille et elle avait eu toutes les peines du monde à
détacher les yeux de son visage taillé à la serpe, qui dégageait un
charme magnétique. Après le défilé, il était venu lui parler dans les
coulisses.
— Maylyn, je brûle de faire votre connaissance, lui avait-il alors
déclaré d'une voix profonde. Vous avez été remarquable, ce soir.
Intelligente et très indépendante, Maylyn avait jusqu'alors évité tous
les pièges qui étaient l'apanage de son métier. Jamais aucun
séducteur n'avait réussi à l'attirer dans son lit ni à la faire succomber
aux tentations des plaisirs artificiels. Mais dès qu'elle avait posé les
yeux sur cet étranger à l'épaisse chevelure noire, elle avait été
enflammée par son regard de braise. Foudroyée sur place, elle avait
senti tous ses grands principes partir en fumée. Son instinct lui disait
que cet homme était dangereux, mais elle avait préféré l'ignorer.
Levant les yeux vers lui avec un sourire timide, elle avait murmuré
d'une voix altérée par l'émotion :
— Merci.
Mais lorsqu'elle avait refusé la cigarette qu'il lui avait offerte, il lui
avait fait comprendre qu'il pouvait lui procurer des substances plus
stimulantes. Cruellement déçue, elle l'avait giflé et s'en était allée. Ce
n'était qu'un vulgaire dealer... Et à présent, il devait s'imaginer
qu'elle avait changé d'avis. Détournant les yeux, elle rejoignit les
coulisses.
— Je t'avais pourtant recommandé de ne pas sourire ! glapit le
styliste barcelonais pour qui elle défilait. Par ailleurs, je trouve que
tu as grossi. Tu devrais te montrer vigilante.
Maylyn ne put réprimer un nouveau sourire. L'un des stratagèmes
auxquels recouraient les couturiers pour faire pression sur les
mannequins était de leur faire des remarques sur leur ligne. Mais
que lui importait, désormais ? Dans deux jours, elle serait libre.
— Désolée, Sergio, dit-elle d'un ton faussement penaud, je n'ai pas
pu m'en empêcher.
— Tu es impossible, Maylyn ! Superbe mais impossible. Pour une
fois, sois gentille de faire ce que je te demande. Garde cette robe et
mêle-toi aux invités. Le cocktail est sur le point de commencer.
Tous les membres de la jet-set sont là, ainsi que les plus grands
pilotes de course et ceux qui dirigent leurs écuries.
— Suis-je vraiment obligée d'y aller? maugréa-t-elle.
— Si tu veux être payée, oui.
Saisissant sur le plateau d'un serveur une coupe de Champagne
qu'elle n'avait nullement l'intention de boire, Maylyn se fraya un
chemin à travers la foule compacte, répondant par un sourire et un
bref signe de tête aux salutations. Elle finit par trouver ce qu'elle
cherchait : un coin tranquille derrière un grand palmier en pot.
S'adossant au mur, elle enleva une chaussure et soupira d'aise. Ces
talons ridiculement hauts étaient une vraie torture! Avec un peu de
chance, elle pourrait s'échapper dans quelques minutes et regagner
son hôtel. Jetant un regard prudent autour d'elle, elle vida sa coupe
dans le pot du palmier.
— Je vous ai vue. Décidément, vous êtes bien cruelle ! Vous venez
d'empoisonner cette pauvre plante aussi tranquillement que vous
avez anéanti mes espoirs, hier soir.
Stupéfaite, elle lâcha sa coupe. L'homme au charme diabolique qui
avait surpris son sourire pendant le défilé se tenait juste derrière le
palmier.
Elle devint écarlate.
— Je ne voulais pas... Je n'étais pas..., bredouilla-t-elle, le cœur
battant.
Ça alors ! Il était encore plus éblouissant que dans son souvenir.
Avec sa chevelure ébène, ses yeux bruns aux reflets dorés qui
surmontaient des pommettes saillantes et un nez aquilin, il évoquait
un ange déchu, songea-t-elle en frissonnant. Quant à sa bouche
sensuelle... la plupart des femmes se seraient damnées pour y
cueillir un baiser. Ses larges épaules tendaient le fin coton de sa
chemise, visiblement taillée sur mesure. Une ceinture de cuir
maintenait, taille basse, un pantalon de toile crème. Sa tenue était
décontractée, mais ses vêtements portaient la griffe d'un grand
couturier.
S'adossant au mur près d'elle, il croisa ses longues jambes.
— C'était une plaisanterie, Maylyn. Je suis heureux de vous revoir
parce que je tenais à mettre les choses au clair. Je ne suis pas un
revendeur de drogue, comme vous avez semblé le croire hier. Je
voulais au contraire m'assurer que vous n'étiez pas toxicomane.
Veuillez m'excuser pour ma méfiance excessive à l'égard du milieu
de la mode.
Elle le crut. Après réflexion, il n'avait ni l'allure ni les manières d'un
dealer.
— Il n'y a pas de mal.
— Je peux vous assurer que je gagne ma vie honnêtement. Et
j'aimerais beaucoup pouvoir discuter avec vous sans me faire gifler.
— Tant qu'il ne s'agit que de discuter, vous pouvez y aller, répliqua-
t-elle d'un air de défi.
— A vrai dire, j'avais également autre chose à l'esprit...
Aussitôt, Maylyn remit sa chaussure. Combien de séducteurs
avaient essayé de l'attirer dans leur lit au cours de l'année écoulée?
Elle avait espéré que celui-ci serait différent, mais manifestement,
elle s'était trompée.
— Désolée de vous décevoir, mais vous vous trompez de
partenaire, déclara-t-elle sèchement en s'éloignant.
— S'il vous plaît, poursuivit-il en la retenant par le bras. Je voulais
simplement dire que je serais honoré si vous acceptiez de dîner en
ma compagnie.
— J'ignore même votre nom, objecta-t-elle.
Il fallait cependant reconnaître que cette invitation était tentante... Le
contact de ses doigts sur son bras nu l'électrisait. Son regard
expressif semblait vouloir faire tomber le masque du mannequin
pour percer à jour la femme qu'il dissimulait. Il semblait sincère.
Pourquoi ne pas lui faire confiance?
— C'est vrai, reconnut-il. Acceptez mes excuses et permettez-moi
de me présenter. Xavier Valdespino. J'ai vingt-neuf ans et je suis
célibataire. Je suis également espagnol. De Séville, pour être précis.
Je suis à Barcelone pour le Grand Prix.
Sa voix profonde et son accent chantant lui firent l'effet d'une
caresse. A cet instant précis, Maylyn décida de faire fi de toute
prudence et d'accepter de dîner avec lui. Après tout, c'était son
anniversaire...
— Maylyn, annonça-t-elle en tendant la main. J'ai dix-neuf ans et je
suis anglaise.
Xavier eut un sourire éblouissant.
— Dois-je en conclure que vous acceptez mon invitation? s'enquit-il
en lui serrant la main.
— Oui.
— Je ne pourrai plus jamais voir un palmier en pot sans penser à
vous, murmura-t-il en lui offrant son bras.
— On m'a déjà fait des compliments plus flatteurs, répondit-elle en
pouffant.
— Mais jamais d'aussi sincères, j'en suis certain.
Leurs regards se rivèrent l'un à l'autre. L'espace d'un instant, la foule
et le bruit s'évanouirent et le monde se figea. Grands dieux! Le
charme de cet homme était décidément irrésistible...
— Maylyn, susurra-t-il en effleurant sa joue d'un long doigt fin. Un
nom délicieux pour une jeune fille délicieuse.
Elle sentit quelque chose de chaud se nouer au creux de son ventre,
puis irradier jusqu'à une partie plus intime de son anatomie. Que lui
arrivait-il ? Jamais elle n'avait ressenti un tel trouble... Elle ouvrit la
bouche, désireuse de dissiper la tension qui montait entre eux, mais
il plaça un doigt sur ses lèvres.
— Non, ne dites rien. C'est inutile.
Tandis qu'il caressait du regard ses rondeurs féminines, elle sentit à
sa grande honte les pointes de ses seins se durcir sous la soie de sa
robe. Le cœur battant la chamade, elle leva vers lui un regard
éperdu.
Les yeux brillant de désir, il approcha son visage du sien. Il allait
l'embrasser! Mais au même instant, un homme s'adressa à lui dans
sa langue maternelle et le charme fut rompu...
Après avoir échangé quelques mots avec son compatriote, Xavier
entraîna la jeune fille à travers la foule. Il fut interpellé à de
nombreuses reprises et répondit chaque fois par quelques mots en
espagnol, que Maylyn ne comprit pas. Lorsqu'ils atteignirent la
sortie, elle se rappela brusquement où elle se trouvait et comment
elle était vêtue.
— Attendez ! Je dois me changer.
— C'est inutile. Vous êtes parfaite, lui dit-il à l'oreille.
— Mais cette robe n'est pas à moi.
— Maylyn ! Te voilà enfin ! Je te cherche depuis des heures. Je
croyais t'avoir demandé de te mêler aux invités.
Sergio venait de surgir à son côté en faisant de grands gestes.
— Je veux que tout le monde voie ce modèle, alors pour l'amour du
ciel, ma chérie, fais ce que je te dis !
— Elle est avec moi, intervint Xavier en lançant un regard noir au
styliste. Pour ce qui est de la robe, adressez-moi la facture.
J'emmène Maylyn dîner.
— Attendez une minute ! protesta-t-elle.
Elle n'acceptait de cadeau de personne et il n'était pas question de
laisser un inconnu lui offrir une robe — de haute couture, de
surcroît! Cet homme était peut-être très séduisant, mais il la prenait
visiblement pour une écervelée !
— Je n'avais pas compris que tu étais avec el señor Valdespino, ma
chérie. Garde la robe et file, dit Sergio en la poussant littéralement
vers la sortie. Passe une bonne soirée, mais surtout n'oublie pas :
demain à midi, défilé privé pour la famille royale. Se tournant vers
Xavier, il insista :
— J'ai absolument besoin d'elle à midi.
Sans avoir le temps de réagir, Maylyn se retrouva assise à côté de
Xavier dans une voiture de sport noire qui fonçait dans les rues de
Barcelone.
— Je tiens absolument à me changer, répéta-t-elle avec entêtement.
Elle avait bien cru qu'elle ne retrouverait jamais sa voix!
— Il n'est pas question que vous m'offriez cette robe et, de plus, je
n'ai pas l'intention d'aller au restaurant dans cette tenue, insista-t-
elle.
— Pas de problème, répondit-il avec une lueur malicieuse dans les
yeux. J'ai la solution idéale : nous allons dîner chez moi.
— Mais... mais..., bafouilla-t-elle. Que dire ? Prise de court, elle ne
sut comment réagir. Une main puissante se posa alors sur son
genou.
— Ne vous inquiétez pas, Maylyn. Vous êtes en sécurité avec moi.
Je vous le promets.
Rose s'agita dans son lit. C'était la première promesse que Xavier
lui avait faite à l'époque. Et il ne l'avait pas davantage tenue que la
suivante. Avec le recul, elle comprenait aujourd'hui que leur
rencontre avait eu lieu à un moment crucial de sa vie.
Après plus d'une année passée à pleurer ses parents et à travailler
comme un automate, elle avait commencé à reprendre goût à la vie.
Elle avait vendu la maison où elle avait grandi et s'apprêtait alors à
emménager dans son propre appartement. Sur le point de vivre
seule pour la première fois, elle allait enfin entrer dans le monde des
adultes. Le monde réel, pas l'univers factice de la mode. Impatiente
d'entamer ses études pour réaliser son rêve, elle avait confiance en
elle et dans son avenir. Au cours du défilé, elle s'était surprise à
sourire spontanément pour la première fois depuis plus d'un an.
Erreur qui avait été lourde de conséquences...
Tandis que les premières lueurs de l'aube commençaient à poindre
dans le ciel, Rose poussa un gémissement et enfouit sa tête dans
l'oreiller dans l'espoir de chasser ces souvenirs. En pure perte. Ils
avaient hanté ses rêves pendant des années et avaient influencé le
regard qu'elle portait sur les hommes depuis cette époque. Il était
grand temps de tourner la page. Elle souhaitait se marier et fonder
une famille. Allait-elle laisser une stupide aventure sans lendemain
gâcher sa vie pour toujours ? Quant à Xavier, il avait fait le bon
choix : il l'avait purement et simplement oubliée. « Pourquoi ne
l'imites-tu pas?» se rabroua-t-elle. Après tout, la nuit qu'ils avaient
passée ensemble n'avait pas été si extraordinaire !
Si seulement elle parvenait à s'en convaincre et à oublier le temps
où elle s'appelait encore Maylyn...
4.
Debout au milieu du salon, Maylyn se sentait mal à l'aise. Pourquoi
avait-elle accepté de venir chez cet homme plutôt que de rentrer
sagement à l'hôtel? s'interrogeait-elle. Son hôte possédait un
appartement magnifique, avec une immense baie vitrée donnant sur
les lumières scintillantes de Barcelone, mais était-ce une raison pour
lui faire confiance? Promenant son regard autour d'elle, elle constata
que le mobilier était réduit à sa plus simple expression. Sur le
parquet de chêne, deux grands canapés de cuir blanc étaient
disposés chacun d'un côté d'une table basse en marbre noir. Une
photo dans un cadre d'argent était le seul objet posé sur la tablette
de l'élégante cheminée. Elle traversa la pièce pour y jeter un coup
d'œil. Xavier et un autre homme entouraient une jeune fille brune
ravissante qu'ils tenaient par les épaules. Tous les trois riaient et la
jeune fille avait au doigt une énorme bague.
— Des amis à vous? demanda-t-elle pour engager la conversation
et masquer son embarras.
— Oui, de très bons amis, répondit Xavier en souriant.
Un sourire qu'elle ne pouvait s'empêcher de trouver extrêmement
déstabilisant...
— Votre appartement est très agréable.
— Il vous plaît? répliqua-t-il d'un ton distrait. Que diriez-vous d'une
authentique omelette espagnole, accompagnée d'une salade et
arrosée d'une bonne bouteille de vin blanc?
— Cela me convient très bien.
Il la prit par le bras et l'entraîna vers la cuisine.
— Venez, vous allez m'aider.
La préparation du repas permit à Maylyn de se détendre un peu,
même si le trouble l'envahissait chaque fois que leurs corps se
frôlaient dans cet espace réduit. Mais lorsqu'elle se retrouva assise
en face de lui à la petite table, elle fut submergée par une bouffée
d'anxiété. Us étaient seuls. Chez lui. Avait-elle perdu la raison?
— Un toast à ma belle Maylyn.
Les reflets dorés de ses yeux noirs avaient quelque chose de
fascinant. Cet homme était peut-être dangereux, mais il avait un tel
charme! Oubliant son appréhension, elle lui sourit.
Il porta lentement son verre à ses lèvres et but une gorgée en
effleurant son décolleté du regard. A son grand dam, Maylyn sentit
les bourgeons de ses seins pointer douloureusement sous le fin tissu
de sa robe. Elle faillit s'étrangler en buvant. Si seulement elle
parvenait à maîtriser les réactions de son corps! D'un geste
brusque, elle reposa son verre et croisa les bras sur sa poitrine.
Xavier lui prit la main.
— Ne soyez pas embarrassée, Maylyn, murmura-t-il d'une voix
rauque. Je ressens la même chose que vous. Jamais une femme ne
m'a troublé à ce point.
Cramoisie, elle fut incapable d'articuler un mot. Rejetant la tête en
arrière, il éclata de rire.
— Quelle innocence ! C'est vraiment charmant ! Toutefois, vous
aviez raison à propos de cette robe. Mieux vaut ne pas la porter
devant n'importe qui. Maintenant, mangez votre omelette avant
qu'elle refroidisse.
Toujours muette, elle parvint à avaler péniblement deux bouchées,
mais fut incapable de continuer. Jamais elle n'aurait dû accepter de
venir chez lui...
— Qu'avez-vous? L'omelette n'est pas à votre goût? demanda-t-il
d'un ton inquiet.
Elle esquissa un sourire contraint.
— Ce n'est pas ça. Elle est excellente, mais je n'ai plus faim.
— En tant que mannequin, je comprends que vous surveilliez votre
ligne, cependant, vous êtes splendide, Maylyn. Il serait criniinel de
gâcher une telle perfection par crainte de prendre du poids.
Mangez, s'il vous plaît.
Elle s'exécuta.
Il parvint à détendre l'atmosphère en lui parlant de sa passion pour
les voitures. Manifestement, son métier avait un lien avec les
courses. Bientôt, ils se mirent à bavarder comme de vieux amis. Elle
lui raconta quelques anecdotes amusantes sur sa vie de mannequin,
puis il lui apprit que son père possédait une hacienda au sud de
l'Espagne. Quand il évoqua son unique expérience de toréador —
qui s'était terminée par une chute de cheval dans les arènes de
Séville —, elle rit de bon cœur.
Elle en oublia même que c'était son anniversaire. Il émanait de
Xavier un magnétisme extraordinaire. Comment ne pas se laisser
envoûter? Ils continuèrent à échanger des confidences jusqu'à ce
que Xavier fasse observer qu'il n'était jamais resté aussi longtemps
assis sur une chaise si peu confortable. Il suggéra de passer dans le
salon.
Installée à côté de lui sur l'un des canapés, elle dégusta son café
tout en l'observant du coin de l'œil, fi s'était comporté en parfait
gentleman et elle le regrettait presque. C'était un comble ! Allons, il
était temps de prendre congé.
Elle se leva.
— Je dois partir, annonça-t-elle en tirant nerveusement sur sa robe.
H est tard et demain je travaille.
Il lui prit la main, et avant qu'elle ait eu le temps de comprendre ce
qui lui arrivait, elle se retrouva sur ses genoux.
— Pas sans un baiser d'adieu, tout de même.
— S'il vous plaît, vous allez abîmer la robe, protesta-t-elle d'un ton
peu convaincu.
Seigneur ! Elle devait lui faire l'effet d'une oie blanche !
Sentant sa main remonter lentement le long de sa nuque, elle fut
parcourue d'un long frisson. Il passa ses doigts fins dans ses
cheveux et attira son visage près du sien, très lentement, comme
pour ne pas l'effaroucher.
— Ne vous inquiétez pas. J'en prendrai soin puisque je vous l'ai
offerte.
— Je ne peux pas accepter.
Parlait-elle de la robe ou de son baiser? Elle n'en savait plus rien.
— Considérez-la comme un cadeau d'anniversaire, murmura-t-il en
effleurant ses lèvres. Ma douce Maylyn.
Cette réflexion la fit sursauter.
— Comment savez-vous que c'est mon anniversaire aujourd'hui ?
demanda-t-elle avec un sourire ravi.
Elle en oubliait la situation délicate dans laquelle elle se trouvait.
Sa question fut accueillie par un rire guttural.
— Je ne le savais pas. Nous sommes tellement en harmonie que ce
doit être de la perception extrasensorielle !
L'enveloppant de ses deux bras puissants, il la pressa contre lui.
— Joyeux anniversaire, ma belle. Pourquoi ne m'avez-vous rien dit?
Une omelette n'est pas digne d'un repas de fête. Si j'avais su, je
vous aurais invitée dans un grand restaurant. Mais... et vos amis,
vos parents? Us n'avaient pas envie de fêter cet événement avec
vous?
Profondément touchée, Maylyn sentit ses yeux se brouiller de
larmes. Il était si attentionné...
— Mes parents sont morts il y a presque dix-huit mois.
— Oh, pauvre chérie !
Et, inclinant la tête vers elle, il captura ses lèvres dans un long baiser
étourdissant. Un baiser plein de tendresse et de compassion.
Lorsque ses lèvres s'ouvrirent aux siennes, il émit un son étouffé et
la fit basculer sur le canapé.
Entourant son visage à deux mains, il approfondit son baiser avec
ferveur. Jamais personne ne l'avait embrassée ainsi. L'avait-on déjà
embrassée, d'ailleurs? Elle ne se souvenait plus de rien, bouleversée
par ce baiser fougueux qui était comme une révélation. Ses sens,
comme s'ils avaient été bridés jusqu'alors, répondaient avec
empressement à l'incandescente sensualité que dégageait Xavier.
Il leva la tête et riva ses yeux aux siens. Doucement, il fit glisser sur
son épaule la fine bretelle de sa robe. Puis il s'écarta légèrement
pour contempler le globe rebondi de son sein.
— Tu es divine, murmura-t-il en caressant de son pouce le
bourgeon rose gorgé de désir.
Frémissante, emportée dans un tourbillon de sensations toutes
nouvelles, elle glissa ses mains dans la chevelure de Xavier. Tout
son corps vibrait sous ses caresses, tandis que son odeur musquée
emplissait ses narines, provoquant en elle une douce ivresse. Cet
homme lui faisait perdre la tête! Déjà, elle avait le sentiment de ne
plus s'appartenir...
— Pas ici, dit-il d'une voix âpre.
Il se redressa, la prit dans ses bras et l'emmena jusqu'à la chambre.
La posant délicatement sur le ht, il se pencha au-dessus d'elle, le
regard luisant de reflets dorés. Après avoir fait glisser l'autre
bretelle, il lui retira sa robe, découvrant complètement sa poitrine.
— Dios! Tu es si belle.
Il ne lui fallut que quelques secondes pour se débarrasser de ses
vêtements et la rejoindre sur le lit.
A la fois intimidée et fascinée, Maylyn admira la splendeur de son
corps nu. La curiosité l'aidant à surmonter sa gêne, elle baissa les
yeux sur sa virilité pleinement éveillée. Soudain électrisée, elle sentit
son sang palpiter plus intensément dans ses veines.
Délicatement, il lui ôta ses chaussures, puis la débarrassa de son slip
de dentelle. Enfin nue sur le lit, entièrement exposée à son regard
fiévreux, eUe laissa échapper un gémissement lorsqu'il lui effleura
les cuisses du bout des doigts, faisant naître des ondes voluptueuses
qui se répercutaient dans tout son corps. Elle en tremblait de plaisir
et de désir mêlés.
— Xavier, gémit-elle.
Appuyé sur un coude, il se pencha sur elle et captura de nouveau sa
bouche. Il l'embrassa avec une passion impétueuse et sauvage qui la
mit dans un état proche de la transe. S'arrachant à ses lèvres, il
descendit le long de son cou avant de mordiller alternativement les
pointes dressées de ses seins, lui arrachant de petits cris de plaisir.
Puis sa main s'attarda sur son ventre et descendit plus bas, vers son
triangle soyeux.
Maylyn soupira. Aucun homme ne l'avait caressée de manière aussi
intime auparavant Sous ses caresses, elle avait l'impression de
prendre feu. Incapable de contrôler ses réactions, elle n'en avait de
toute façon nulle envie. Elle désirait cet homme avec une telle force
qu'elle avait le sentiment d'être en proie au vertige.
Glissant la main entre ses cuisses, il toucha le cœur de sa féminité.
Elle en éprouva une émotion si violente qu'elle en était presque
douloureuse.
— S'il te plaît... ! cria-t-elle.
Se redressant, il se plaça devant elle puis s'immobilisa. Guidée par
une impulsion inconnue, elle noua instinctivement les jambes autour
de ses reins pour mieux le recevoir. Alors, d'un mouvement lent et
doux, il entra en elle.
Ebranlée jusqu'au tréfonds de son être, elle eut le sentiment que son
corps s'ouvrait comme une fleur. Ses mouvements s'accordaient
spontanément à ceux de Xavier, comme en une harmonie sensuelle.
Cambrée, elle s'abandonnait aux flammes du plaisir qui la
consumaient, enfonçant ses ongles dans son dos. Il l'emportait dans
un tourbillon irrésistible au sein duquel ils ne formaient plus qu'un
seul être. Puis ce fut comme si le monde chavirait. Une ultime vague
la propulsa au sommet de la volupté. Elle prononça son nom dans
un cri, tandis qu'il la rejoignait, confondant son plaisir avec le sien.

A présent allongé sur elle, il avait le visage enfoui dans son cou. Elle
leva une main tremblante et caressa ses cheveux noirs humides de
sueur. Elle aimait tellement la sensation de son corps sur le sien, sa
chaleur, son odeur. Elle l'aimait tellement...
Poussant un soupir, il roula sur le dos, l'attirant contre lui.
— Je suis le premier, murmura-t-il en cherchant son regard.
Pourquoi ne m'as-tu rien dit?
— Est-ce que c'est très important? demanda-t-elle d'un ton léger.
Cela devait arriver un jour ou l'autre.
Elle tenta d'esquisser un sourire mais ne parvint qu'à se mordiller la
lèvre inférieure. Comment était-elle censée se comporter après
l'amour? Elle n'en avait aucune idée. Un rire nerveux lui échappa.
— Maylyn, ce n'est pas drôle.
— Désolée. Comme tu as pu t'en rendre compte, je ne suis pas
habituée à ce genre de situation, répondit-elle, un peu vexée.
Il lui passa tendrement la main dans les cheveux.
— Et moi, tu crois que j'ai l'habitude? Eh bien, j'ai un aveu à te faire
: c'était une première pour moi aussi. Tu sais, Maylyn, tu n'as
vraiment aucune raison d'être désolée : c'était merveilleux ! Tu es à
moi, et à moi seul ! D'ailleurs, dans une minute, je te le prouverai de
nouveau.
Ses lèvres esquissèrent un sourire sensuel. Maylyn fut parcourue
d'un délicieux frisson. Gaiement, elle lui planta un baiser sur le nez.
— Plus tard. Je dois aller à la salle de bains.
Lorsqu'elle revint dans la chambre, elle s'immobilisa à quelques pas
du ht. Xavier était étendu sur le dos, les yeux fermés. Son torse
puissant se soulevait à un rythme régulier. Curieusement, son corps
splendide semblait vulnérable. Elle ressentit une telle bouffée
d'amour pour lui qu'elle en eut le souffle coupé.
— Viens, Maylyn. Je sais que tu es là, murmura-t-il sans ouvrir les
yeux. Viens, répéta-t-il en tendant la main.
Il l'attira contre lui, l'embrassa avec une tendresse infinie, puis
lentement, langoureusement, ils exécutèrent de nouveau la danse
immémoriale de l'amour.

La sonnerie du téléphone arracha Maylyn à un profond sommeil.


Esquissant un mouvement, elle se rendit compte qu'un bras puissant
la clouait au ht.
— Xavier, le téléphone.
Il déposa un baiser rapide sur sa bouche et se tourna vers la table
de chevet pour décrocher le combiné. Maylyn se rallongea et
continua de l'observer à travers ses paupières mi-closes. Il était si
beau ! Ce qui lui arrivait était inouï : Xavier l'aimait. U lui avait
demandé de quitter son travail de mannequin pour vivre avec lui.
Elle avait accepté. De toute façon, ce métier était pour elle
provisoire. Mais avant qu'elle ait eu le temps de le lui expliquer, il
l'avait attirée contre lui et lui avait de nouveau fait passionnément
l'amour...
Non, jamais elle n'aurait imaginé qu'un tel bonheur pût exister. Mais
tout à coup, elle vit son visage se rembrunir tandis qu'il raccrochait
le téléphone et elle se sentit aussitôt gagnée par l'appréhension.
— Que se passe-t-il? demanda-t-elle en lui caressant le dos.
Il sursauta et se retourna. Avait-il déjà oublié sa présence?
Son visage affichait un sourire contraint.
— Je suis désolé, ma chérie, mais je dois me rendre sur le circuit.
Je ne sais pas pour combien de temps j'en ai.
Relevant une boucle qui lui tombait sur le front, il ajouta :
— Rendors-toi, il n'est que 6 h 30. Je vais te laisser une clé de
l'appartement sur la table de la cuisine et une carte avec l'adresse.
Si je termine assez tôt, je passerai voir ton défilé. Ton dernier défilé.
Il l'embrassa furtivement.
— Sinon, je t'appellerai à ton hôtel et je viendrai te chercher. Mais
si à 17 heures tu n'as pas eu de nouvelles, fais ta valise et viens
m'attendre ici. D'accord?
Il disparut dans la salle de bains.
Un sourire ravi aux lèvres, Maylyn se couvrit avec le drap. Deux
minutes plus tard, elle dormait de nouveau à poings fermés. Elle ne
vit pas Xavier sortir de la salle de bains, ni s'approcher du ht pour la
contempler avec tendresse. Mais dans son rêve, elle sentit un baiser
aussi léger qu'un papillon se poser sur ses lèvres, et entendit une
voix profonde chuchoter : « Je t'aime. »
Quelques heures plus tard, elle étudiait son reflet dans le miroir de la
salle de bains. Il n'y avait pas de doute, quelque chose en elle avait
changé. Son visage rayonnait d'un éclat nouveau. Elle était
amoureuse. Xavier ! Elle avait envie de crier son nom. Le nom de
son prince charmant ! En sifflotant joyeusement, elle gagna la cuisine
et se prépara un café.
Sa tasse entre les mains, elle jeta un coup d'œil à la petite clé posée
sur une carte de visite, sur la table. Elle brillait dans le soleil matinal.
La clé de sa nouvelle vie... Sa vie avec Xavier. Son amant. Son
amour. Son âme sœur. Elle ne le connaissait que depuis la veille,
mais aucun doute n'était permis. Ils étaient faits l'un pour l'autre.
Après avoir mis la carte dans son sac, elle ramassa la clé et la garda
au creux de sa main. Dehors, un oiseau se mit à chanter, reléguant à
l'arrière-plan le bruit de la circulation. Tout à coup, elle entendit la
porte d'entrée s'ouvrir. Xavier était de retour !
Les yeux pétillant de joie, elle traversa le salon en courant. A la vue
de la silhouette masculine qui venait de passer le seuil, elle se figea,
bouche bée. L'homme était un parfait inconnu... De taille moyenne,
trapu, les cheveux noirs et frisés, il était vêtu d'un jean et d'un
sweat-shirt blanc. Il tenait à la main un sac de voyage qu'il laissa
tomber sur le sol. Apercevant Maylyn, il la détailla de la tête aux
pieds. Puis il dit quelque chose en espagnol. Un juron,
probablement, à en juger par son expression.
— Que faites-vous ici? demanda-t-elle, se rendant compte
brusquement que la situation pouvait s'avérer dangereuse.
— Mon anglais est loin d'être parfait, mais je me présente :
Sébastian Guarda. J'habite ici.
— C'est impossible. Nous sommes chez Xavier.
— Ah, Xavier.
Secouant la tête, il alla s'asseoir sur le canapé.
— Xavier habite ici avec moi pendant la semaine du Grand Prix,
mais ce n'est pas chez lui, même s'il vous a raconté le contraire,
déclara-t-il avec un sourire narquois. Où est-il ? Encore au ht
pendant que vous préparez le café ?
— Non, il est parti travailler.
— Travailler ! s'exclama l'homme avant d'éclater de rire. Mais
après tout, c'est une excuse qui en vaut bien une autre. Ecoutez, ma
petite demoiselle, je suis épuisé, j'ai voyagé toute la nuit. Je voudrais
prendre une douche et aller me coucher. Xavier et moi avons
l'habitude de tout partager...
Il lui lança un regard éloquent.
— ... mais ce matin, je ne suis pas en état. Alors pourquoi ne
rentreriez- vous pas gentiment chez vous ?
Maylyn sentit le sang refluer de son visage.
— Je ne vous crois pas ! Xavier m'aime. Il... il m'a demandé de
venir vivre ici avec lui, bégaya-t-elle.
Qui était cet odieux personnage? Comment osait-il la mettre à la
porte?
Un grognement de dérision accueillit ce commentaire. Puis, comme
s'il venait de comprendre qu'elle était sérieuse, l'homme se redressa.
— Il vous l'a dit?
— Oui. Il doit me retrouver lorsqu'il aura fini son travail sur le
circuit.
Il le lui avait promis. Comment aurait-il pu lui mentir? Elle ne voulait
même pas l'envisager... Mais une petite voix ténue monta du fond
d'elle-même. Que savait-elle exactement de Xavier? A part que
c'était un amant merveilleux, pas grand-chose... Soudain, elle
reconnut l'homme qui était en face d'elle.
— C'est vous qui êtes sur la photo qui se trouve sur la cheminée.
— Oui. Et cet appartement est le mien.
Elle eut l'impression de recevoir un coup de poing dans l'estomac.
Mais sentant la clé dans sa main, elle la brandit comme un talisman.
— Il m'a donné la clé !
— Il vous a donné la clé, répéta Sébastian Guarda après un silence.
Levant un regard cynique sur le visage sans couleurs de Maylyn, il
ajouta :
— Et, bien sûr, vous l'avez essayée?
Effondrée, elle eut envie de rentrer sous terre. D'un air hébété, elle
regarda la clé dans sa main : jamais il ne lui serait venu à l'idée de
l'essayer avant de s'en aller.
— Xavier en a plusieurs en réserve. C'est un de ses stratagèmes
favoris pour se débarrasser en douceur de ses conquêtes d'un soir.
J'en sais quelque chose. C'est mon meilleur ami et il est fiancé à ma
soeur, Catia. Mais si vous ne me croyez pas, essayez de l'introduire
dans la serrure.
— Fiancé à votre sœur!
Maylyn était médusée. La photographie dans le cadre d'argent
représentait Xavier en compagnie de sa fiancée! Au bord de la
nausée, elle chancela. C'était impossible, tout cela ne devait être
qu'un cauchemar !
Sébastian Guarda s'approcha vivement pour la soutenir.
— Etes-vous sûre que tout va bien ? Vous êtes si pâle. Venez vous
asseoir. Vous venez de subir un choc.
Docilement, elle se laissa conduire jusqu'au canapé.
— Permettez-moi de m'excuser pour la conduite de mon
compatriote. Je suis désolé. Vous êtes beaucoup plus jeune que ses
maîtresses habituelles. J'aurais dû agir avec plus de tact
Il la prit par les épaules.
— Vous avez vu la photo sur la cheminée ? Elle a été prise il y a
trois mois. Ai-je besoin d'en dire plus ?
— Mais votre sœur... Cela vous est égal? Je veux dire... que Xavier
lui soit infidèle ?
Il éclata de rire.
— La famille de Xavier est l'une des plus vieilles de Séville. C'est un
homme de traditions. Sa fiancée doit rester vierge jusqu'à la nuit de
noces. De son point de vue, il ne lui est donc pas infidèle. Il ne fait
qu'assouvir ses besoins charnels avec diverses femmes
consentantes, qui n'ont aucune importance à ses yeux. Même si
Caria le comprend, je dois avouer que j'ai parfois honte pour lui.
Paralysée par le choc, Maylyn était incapable de parler. Sébastian
lui commanda un taxi et, cinq minutes plus tard, elle était sur le
chemin de l'hôtel.
Sergio fut comblé par sa prestation lors du défilé. Dans les
coulisses, il la félicita.
— Formidable, Maylyn. Ton visage tourmenté : plus vrai que nature
!
Ses grands yeux émeraude se remplirent de larmes qu'elle tenta en
vain de refouler.
— Je suis ravie qu'au moins quelqu'un soit satisfait de moi, balbutia-
t-elle d'une voix blanche.
— Mon Dieu ! Valdespino. Ne me dis pas que tu es tombée
amoureuse de lui ! Pauvre petite.
La mine compatissante, Sergio passa un bras autour de ses épaules.
— J'aurais dû te prévenir. Il a une réputation de don Juan. Il faut
cependant reconnaître qu'il est très généreux avec les femmes. Tôt
ce matin, un de ses collaborateurs m'a appelé pour régler la robe.
Alors, essaie plutôt de voir le bon côté des choses : tu as gagné un
fabuleux modèle original, signé Sergio !
A ces mots, Maylyn sentit s'évanouir le peu d'espoir qui lui restait
Ce n'était donc pas un terrible malentendu ! Xavier ne viendrait pas
la chercher. Ni ici ni à son hôtel. Il l'avait utilisée le temps d'une nuit
pour le prix d'une robe. Cette robe qu'elle n'aimait pas beaucoup à
l'origine, et qu'à présent, elle détestait.
De retour dans sa chambre d'hôtel, elle appela l'aéroport. Par
chance, elle trouva une place sur un avion qui décollait à 16 h 30 le
jour même. En toute hâte, elle entassa ses affaires dans sa valise. Le
visage ruisselant de larmes, elle déchira la robe et la jeta à la
poubelle. Pleurait-elle de chagrin ou de rage? Peu importait, après
tout. Elle avait au moins une certitude : jamais plus elle ne ferait
confiance à un homme !
Elle appela un taxi et vérifia qu'elle avait bien son passeport dans
son sac. Son regard tomba sur la carte de visite. Le nom de
Sébastian Guarda y était inscrit avec l'adresse et le numéro de
téléphone de l'appartement. Une preuve supplémentaire, s'il en était
besoin, que Xavier s'était moqué d'elle. Le téléphone sonna. Elle
décrocha.
La voix irritée de Xavier retentit à l'autre bout de la ligne.
— Maylyn, à quoi joues-tu? Pourquoi as-tu laissé la clé?
— Je n'ai pas besoin de la clé, ni de toi. Adieu ! lança-t-elle avant
de raccrocher.
Quelques secondes plus tard, la sonnerie retentissait de nouveau.
Elle prit sa valise et quitta la chambre sans répondre.
5.
Réveillée par un claquement de porte, Rose mit quelques secondes
à reconnaître la chambre où elle se trouvait. Tout ce qui s'était
passé la veille était donc bien réel. Elle n'avait pas rêvé : Xavier
Valdespino allait faire partie de sa famille. Cette pensée était
insupportable... Elle était sur le point de s'enfouir de nouveau sous
les couvertures lorsque la porte s'ouvrit.
— Désolée, Rose, mais tu dois te lever.
Ann s'approcha du lit, une tasse de café à la main.
— Quelle heure est-il?
— 11 h 30.
Rose se redressa d'un bond.
— Pourquoi ne m'as-tu pas réveillée?
Repoussant les couvertures, elle s'assit au bord du lit et prit la tasse
qu'Ann lui tendait.
— Parce que Xavier nous a rappelé que ton patron t'avait envoyée
en Angleterre pour te reposer et a insisté pour que nous te laissions
dormir. Je crois que ta as fait sa conquête ! ajouta la jeune fille avec
un sourire mutin.
Sur ces mots, elle quitta la pièce.
Mortifiée, Rose but son café et se leva. Une invitée qui restait au lit
jusqu'au déjeuner, c'était d'un sans-gêne... Et tout ça à cause de
Xavier ! Après une douche rapide, elle enfila prestement un soutien-
gorge et un slip. Elle mit ensuite un polo bleu à manches courtes et
un pantalon kaki.
Lorsqu'elle arriva en bas de l'escalier, elle vit Xavier,
nonchalamment adossé à la porte du salon, qui l'observait.
— Bonjour, Rosalyn. J'imagine que vous avez bien dormi.
Il était vêtu d'un jean et d'un polo noirs, qui soulignaient chaque
muscle de son corps athlétique et faisaient ressortir l'éclat de son
regard ardent. Impossible de nier qu'il avait un charme fou.
— Oui, merci, répondit-elle avec raideur. Mais je déteste être
debout après tout le monde. Il fallait me réveiller plus tôt.
Voilà qui lui ôterait peut-être l'envie d'organiser son emploi du
temps à l'avenir! songea-t-elle, ne décolérant pas contre lui.
— Voilà une suggestion très tentante, ironisa-t-il. Il faudra que je
m'en souvienne la prochaine fois que vous ferez la grasse matinée.
Elle sentit son visage s'enflammer. Passant devant lui sans un mot,
elle se dirigea à grands pas vers la cuisine, en tentant d'ignorer les
échos de son rire moqueur. Cet homme était vraiment impossible !
Il n'était pas question qu'elle aille en Espagne avec lui.
Dans la cuisine, elle retrouva Ann, Jane et Teresa. A peine fut-elle
entrée qu'une assiette d'oeufs au bacon fut posée sur la table. On la
pria de s'asseoir et de manger. Le départ était prévu une demi-
heure plus tard.
Entre deux bouchées, elle tenta d'expliquer qu'elle n'irait pas à
Séville.
— Nous sommes au xxième siècle. Plus personne n'a besoin d'un
chaperon de nos jours.
— S'il te plaît, Rose, cesse de perdre du temps, coupa vivement
Ann. Xavier a déjà appelé deux fois son pilote pour reporter l'heure
du décollage. L'aéroport des East Midlands est surchargé à cette
époque de l'année. Si nous ratons la prochaine plage horaire
disponible, nous serons obligés d'attendre demain.
Rose faillit s'étouffer. Il possédait son propre avion !
— Tes bagages sont prêts ? demanda Ann.
— Oui... non, marmonna Rose. Les affaires que j'avais prises pour
le week-end sont dans ma chambre et le reste est dans la voiture.
La Jaguar !
— Je ne peux pas abandonner Bertram, annonça-t-elle
triomphalement.
Un mouvement du côté de la porte attira son attention. Xavier
pénétra dans la pièce, suivi d'Alex.
— Je suis certain que votre petit ami parviendra à se passer de
vous pendant une semaine pour rendre service à votre famille,
intervint-il d'un ton crispé.
Alex et Ann éclatèrent de rire.
— Vous vous méprenez, expliqua Alex lorsqu'il se fut calmé.
Bertram n'est pas le petit ami de Rosalyn, mais le surnom de sa
voiture.
Se tournant vers Rose, il ajouta :
— Inutile de t'inquiéter pour la Jaguar. Jane et moi la garderons
jusqu'à ton retour et j'en prendrai grand soin. Ce sera un plaisir
pour moi de m'asseoir de nouveau au volant. Ton père me laissait la
conduire, de temps en temps. Nous nous amusions tellement !
L'allusion à son père et le sourire nostalgique qu'Alex lui adressa
contraignirent Rose à rendre les armes.
— Je vais chercher ma valise et les clés, dit-elle en se levant à
contrecœur.
— Voilà une sage décision, approuva Xavier avec un grand sourire.
Et je vous promets que vous passerez d'excellentes vacances.
Sans répondre, elle quitta la pièce. Malheureusement, elle était bien
placée pour savoir ce que valaient les promesses de Xavier
Valdespino...
Après être montée dans sa chambre et avoir rangé ses affaires dans
son sac, elle redescendit prendre sa valise dans le coffre de la
Jaguar, dont elle remit les clés à son oncle. Lorsque les adieux
furent terminés, elle prit place en compagnie des jeunes fiancés et
de Xavier dans le taxi qui les attendait pour les conduire à
l'aéroport.
Une fois dans l'avion, Rose attacha sa ceinture avec une moue
désapprobatrice. Un tel étalage de richesse était indécent! songeait-
elle en examinant la cabine du jet privé. Quand on avait côtoyé la
misère, il semblait tout simplement scandaleux qu'un individu pût
être aussi fortuné.
— Je donnerais cher pour connaître vos pensées.
Xavier, qui avait fini de discuter avec le pilote, s'était installé sur le
siège voisin. Sa cuisse effleura la sienne et, à sa grande honte, Rose
sentit un frisson langoureux amollir son corps. Pourquoi cet homme
lui faisait-il tant d'effet? C'était injuste. Mais à dire vrai, la vie elle-
même était injuste. Et pour masquer son trouble, elle se lança dans
une diatribe contre le luxe ostentatoire.
Comme elle était absorbée par leur conversation sur la répartition
des richesses, le vol lui parut très court. A sa grande surprise, Rose
prit beaucoup de plaisir à discuter avec Xavier. Remarquablement
intelligent, il développait des arguments pertinents. Mais lorsqu'ils
évoquèrent l'annulation de la dette des pays en voie de
développement — mesure à laquelle elle était favorable et Xavier
opposé —, elle perdit son sang-froid et le traita de « capitaliste
despotique et borné ».
— Inutile de vous emporter, Rose, oncle Xavier vous fait marcher.
Il verse régulièrement des dons à d'innombrables œuvres de charité
et il finance les études de nombreux jeunes Africains. Entre autres
choses.
— C'est exact? questionna Rose, perplexe.
— Je plaide coupable, murmura Xavier en esquissant un sourire.
Mais vous mordez si facilement à l'hameçon, que je n'ai pas pu
résister.
— Je suis désolée de vous avoir insulté de la sorte, marmonna-t-
elle.
— Vos excuses sont prématurées, répliqua-t-il avec une lueur
étrange dans les yeux. Vous aviez raison sur un point : je suis
despotique.
Pourquoi se sentit-elle soudain menacée? Décidément, il avait le
don de la déstabiliser...
A cet instant précis, la voix du pilote les informa qu'ils étaient sur le
point d'atterrir.
Une fois les formalités de police et de douane accomplies, Xavier
informa Rose que Jamie et Ann rejoindraient la maison en limousine,
tandis qu'elle et lui les suivraient dans sa Ferrari, qu'il avait laissée au
parking de l'aéroport.
Une fois installée dans la voiture de sport surbaissée, Rose se sentit
à l'étroit. Le long corps de Xavier était dangereusement proche du
sien...
— J'aurais dû me douter que vous aviez une Ferrari, déclara-t-elle
pour dissiper la tension qui s'installait entre eux.
— Vous me connaissez si bien, ironisa-t-il.
Seigneur ! Chaque fois qu'il faisait une réflexion de ce genre, elle
avait l'impression qu'il savait parfaitement qui elle était.
— Eh bien..., ce n'est pas très difficile à deviner, répliqua-t-elle d'un
ton qui se voulait désinvolte. Vous avez semblé impressionné par
ma Jaguar. J'en ai déduit que vous étiez amateur de voitures de
sport.
— Exact. J'ai une belle collection de modèles anciens. Je vous les
montrerai. Mais pour le quotidien, je préfère ma Ferrari.
— Pourquoi l'avoir choisie rouge? C'est un peu éblouissant sous le
soleil, non? railla-t-elle.
— Je suis un homme de traditions. Pour moi, une Ferrari ne peut
être que rouge.
S'abstenant de tout commentaire, Rose s'absorba dans la
contemplation de la ville. Ils roulaient dans des rues étroites et
tortueuses. Dans certaines, des stores de toile étaient tendus entre
les immeubles. Xavier lui expliqua que c'était pour atténuer la
chaleur écrasante du soleil estival. Il lui proposa de lui faire faire un
premier tour rapide de Séville. Elle accepta.
Il lui montra la cathédrale, un des édifices gothiques les plus
imposants au monde et dont la construction avait demandé un peu
plus d'un siècle. Elle admira en particulier la Giralda, minaret maure
transformé en clocher au xvf siècle — dernier vestige, avec le Patio
d e los Naranjos, de la Grande Mosquée autrefois située sur le
même site.
— Je ne savais pas que Séville était traversée par un fleuve, dit-elle
en constatant que la rue dans laquelle ils se trouvaient longeait un
cours d'eau.
— Le Guadalquivir est renommé et Séville est un grand port fluvial.
C'est d'ici que Christophe Colomb est parti à la découverte de
l'Amérique.
Rose était fascinée par la richesse architecturale de la ville et par
son atmosphère si particulière. La voiture s'engagea sous un
imposant porche de pierre et s'arrêta dans une cour pavée, au fond
de laquelle se dressait une demeure majestueuse. Devant de lourdes
portes de chêne garnies de fer, un petit homme brun se tenait au
garde-à-vous. Visiblement, il les attendait. Xavier descendit de la
Ferrari et la contourna pour lui ouvrir la portière.
— Bienvenue chez moi, Rosalyn.
Lui offrant le bras, il la conduisit en haut des marches et la présenta
à Max, qui faisait office de majordome et de chauffeur, tandis que
sa femme Marta était chargée de la cuisine.
A l'intérieur de la maison régnait une fraîcheur particulièrement
appréciable pour qui venait de la fournaise de la ville. Le plafond en
coupole du vaste hall reposait sur un réseau complexe de nervures
de pierre, décorées de motifs stylisés en mosaïque. De gracieuses
colonnes étaient ornées d'azulejos, typiques de l'architecture maure.
Un grand escalier de bois sculpté montait vers l'étage.
— Mon père se repose : vous le verrez au dîner. Je vais vous
montrer votre chambre.
Sans lui lâcher le bras, Xavier l'entraîna vers l'escalier. Soudain,
Ann et Jamie surgirent derrière eux.
— Nous allons visiter la ville, annonça joyeusement le jeune
homme.
— Attendez ! s'écria Rose. Mais ils avaient déjà disparu.
— Je ne suis pas un chaperon très efficace, remarqua-t-elle.
La pression des doigts de Xavier s'accentua sur son bras.
— Oh, je suis sûr que je peux vous trouver d'autres occupations. Et
certaines, fort agréables, murmura-t-il d'une voix doucereuse.
A l'étage, il la conduisit le long d'une galerie avant de prendre un
couloir sur lequel donnaient plusieurs portes.
— Marta vous a attribué la suite en angle. J'espère qu'elle vous
conviendra.
Il ouvrit une porte et s'effaça pour la laisser entrer.
— Quelle splendeur ! s'exclama-t-elle.
Elle n'avait jamais rien vu de tel. Un immense lit à baldaquin trônait
au milieu de la pièce, masqué par des tentures de soie or bordées
d'un ruban bleu. De grandes fenêtres voûtées offraient une vue
magnifique sur les toits de Séville ainsi que sur le fleuve. Contre le
mur, entre deux fenêtres, se trouvait un élégant secrétaire d'ébène
incrusté d'ivoire. Un canapé ancien recouvert de satin bleu et or et
un fauteuil assorti encadraient une table de bois sculpté.
— Le lit provient du harem d'un cheikh. Il vous plaît? demanda-t-il
d'un ton désinvolte.
Des reflets or s'étaient allumés dans ses yeux.
— S'il me plaît? J'ai vu des familles entières vivre sous des tentes
qui n'étaient pas aussi grandes que ce lit.
Cette remarque le fit éclater de rire.
— Par ici vous avez la salle de bains et le dressing-room, qui mène
à un salon donnant sur le couloir.
Il traversa la pièce et ouvrit une porte. Rose le suivit.
Entièrement en marbre blanc, la salle de bains comportait une
double cabine de douche, un grand lavabo et, au ras du sol, une
énorme baignoire ronde à remous. Tous les robinets étaient en or.
— Un tel luxe est indécent, commenta Rose en faisant demi-tour
pour regagner la chambre.
Xavier, qui se trouvait juste derrière elle, posa fermement les mains
sur ses épaules. Elle tenta de se dégager, mais ses doigts
s'enfoncèrent dans sa chair et il l'obligea à se tourner vers lui.
— Il faudra pourtant t'y habituer, ma chère Maylyn. Elle eut
l'impression que son cœur s'arrêtait de battre.
Lentement, elle leva les yeux vers lui. A en juger par son rictus
méprisant, elle avait parfaitement entendu... Son sang se glaça dans
ses veines. Il savait! Il l'avait reconnue ! Depuis le début, sans
doute. Pendant tout le week-end, il avait joué avec elle comme un
fauve s'amuse avec sa proie avant de lui porter le coup fatal... Et à
présent, il l'observait attentivement, guettant ses réactions, savourant
son triomphe.
Mais pas question de lui faire le plaisir de s'effondrer devant lui !
Comme médecin, elle était devenue experte dans l'art de contenir
ses émotions.
— Si tu m'avais reconnue, pourquoi ne pas l'avoir dit? demanda-t-
elle froidement.
Elle recula d'un pas et parvint à se dégager de son étreinte.
— Je pourrais te poser la même question, répliqua-t-il d'un ton
cynique. Mais je connais la réponse. Je l'ai lue sur ton visage
lorsque Teresa nous a présentés. Tu étais pâle comme un linge.
Sans doute redoutais-tu que je révèle à tout le monde que le
médecin si dévoué et si sérieux était autrefois un mannequin aux
mœurs légères ?
Rose fut incapable d'articuler un mot. Pourquoi n'avait-il rien dit?
Quelles étaient ses intentions? A voir la lueur cruelle qui brillait dans
son regard, elles seraient de toute évidence malveillantes.
— Je t'ai observée de la fenêtre lorsque ta es arrivée. A part ta
coiffure, ta n'as pas vraiment changé. Le temps a été indulgent avec
toi. Tu es même encore plus belle qu'à dix-neuf ans. Ta féminité
s'est épanouie.
Il posa nonchalamment la main sur un de ses seins. Bien malgré elle,
Rose fut parcourue d'une onde voluptueuse.
— Bas les pattes ! cria-t-elle en s'écartant vivement.
— Ne me dis pas que tu es devenue farouche, persifla-t-il.
Avec un sourire menaçant, il plongea ses yeux bruns dans les siens.
— Tu ne peux pas avoir changé à ce point. Après avoir été initiée
au plaisir dans mes bras, ta as sauté directement dans le lit du
premier homme que ta as rencontré! C'est toujours plus fort que toi,
j'imagine.
Révoltée par ce commentaire aussi infondé qu'insultant, elle sentit
son sang bouillonner dans ses veines.
— Espèce de... !
Elle leva le bras pour le gifler, mais il lui attrapa le poignet et l'attira
contre lui.
— Pas de ça, ma jolie. En revanche, nous devons parler, toi et moi.
Fermant les yeux, elle compta silencieusement jusqu'à dix pour
tenter de se calmer. Pas question de s'abaisser à discuter avec ce
goujat. De toute façon, si elle s'autorisait à régler ses comptes avec
lui, elle en viendrait rapidement à l'insulter. Or il n'en valait même
pas la peine. D'autant plus qu'il serait sans doute ravi de la voir
perdre son sang-froid... Prudemment, elle rouvrit les yeux.
— Personnellement, j'estime que nous n'avons rien à nous dire. Nos
chemins se sont séparés il y a longtemps, et remuer des souvenirs
aussi anciens ne sert à rien, déclara-t-elle d'un ton déterminé.
Elle ne s'en tirait pas si mal, songea-t-elîe avec fierté. Pourtant, elle
n'en menait pas large ! Elle avait l'impression d'avoir l'estomac sens
dessus dessous. Si seulement il consentait à la lâcher...
Il haussa les épaules, le visage impassible.
— Je suis d'accord avec toi. Il est inutile de revenir sur le passé.
C'est le présent qui m'intéresse.
— Que veux-tu ? demanda-t-elle, la bouche sèche.
Il darda sur elle un regard méprisant, dénué de toute chaleur.
Stupéfaite, elle le vit incliner la tête vers elle. Avec un temps de
retard, elle tenta de le repousser de sa main libre. En vain. Sa
bouche s'écrasa avec sauvagerie sur la sienne.
Il força le barrage de ses lèvres fermement serrées avec une
brutalité qui la révolta tout en l'excitant. Il n'avait rien perdu de son
habileté ! Peu à peu, son baiser se fit moins agressif, plus doux,
presque tendre. Elle se prit à faire des efforts désespérés pour ne
pas y répondre avec ardeur. Un gémissement mourut dans sa
gorge, tandis qu'elle se sentait sombrer dans un océan de sensualité
qui menaçait d'engloutir toute sa résistance.
Conscient de sa victoire, Xavier mit fin à leur baiser et s'écarta
d'elle. Elle était anéantie par sa propre réaction. Comment son
corps pouvait-il la trahir ainsi ?
— Je pense que tu ferais mieux de sortir, à présent..., murmura-t-
elle en évitant son regard.
La saisissant par le menton, il l'obligea à lever la tête vers lui. Son
regard dur s'attarda sur ses lèvres gonflées avec une lueur de
satisfaction.
— Tu m'as demandé ce que je voulais? questionna-t-il d'un ton
narquois. C'est très simple. Je veux que tu deviennes ma femme.
Bouche bée, elle le fixa avec effarement.
— Ou tu plaisantes ou tu es fou.
— Non. Simplement logique. Mon père est malade. Il ne lui reste
plus beaucoup de temps à vivre. Ses derniers mois sur cette terre
seront beaucoup plus sereins s'il me sait marié.
— Pas avec moi !
Secouant la tête énergiquement, elle libéra son menton. L'époque
où elle n'était qu'une stupide gamine amoureuse était révolue.
Aujourd'hui, elle était une femme mûre et lucide. Or il n'était pas
nécessaire d'être devin pour comprendre que Xavier espérait
pouvoir se servir d'elle, comme il l'avait fait autrefois.
— Dommage. Je trouvais qu'Ann et Jamie formaient un joli couple.
Elle se figea.
— Mais il suffirait d'une intervention de ma part pour que le mariage
n'ait pas lieu en septembre, poursuivit-il d'une voix suave. Jamie
pourrait attendre la fin de ses études et d'ici là, je m'assurerais qu'il
goûte aux délices de la vida loca. Cela fait déjà longtemps qu'il
étudie. Je suis certain qu'il apprécierait de pouvoir se défouler un
peu. Dommage pour ta cousine, mais elle trouvera certainement un
autre homme à aimer.
— Tu es...
Comment trouver un qualificatif à pareille vilenie ?
— Tu n'hésiterais pas à détruire leur amour? s'écria-t-elle, outrée.
C'était insensé ! Mais il ne parviendrait pas à ses fins.
— Ils s'aiment. Ils ne se laisseront pas faire. Elle tiendrait bon. Pour
qui la prenait-il ?
— Si tu es prête à risquer le bonheur de ta cousine, libre à toi. Mais
tu sais aussi bien que moi à quel point l'amour est inconstant à cet
âge.
Elle se remémora la conversation qu'elle avait eue avec Ann la
veille, au restaurant. Seigneur ! Cette situation était inextricable...
— C'est toi qui paies ses études, n'est-ce pas?
— Oui. Si m acceptes de m'épouser, Jamie conservera son
allocation et il bénéficiera même d'une augmentation suffisante pour
faire face aux dépenses indispensables d'un jeune ménage. Une
attention que ta cousine appréciera, j'en suis certain. Sinon...
Il haussa les épaules comme pour dire : « Tant pis pour elle... »
6.
— Mais pourquoi moi? demanda-t-elle d'une voix éteinte.
Cela n'avait aucun sens. Xavier était le genre d'homme qui faisait
rêver les femmes. Il n'avait pas besoin de recourir au chantage pour
trouver une épouse.
— Tu as dit toi-même que tu étais très attaché aux traditions, reprit-
elle. Alors pourquoi ne pas épouser une jeune Espagnole? Je suis
sûre qu'il y en a des dizaines qui ne demanderaient pas mieux.
— J'ai déjà été marié à une femme très jeune et très amoureuse.
Aujourd'hui, je veux une épouse indépendante, ayant ses propres
centres d'intérêt. Ce mariage doit être un arrangement dans lequel
les sentiments n'entrent pas en ligne de compte. Te connaissant
comme je te connais, je pense que tu es la candidate idéale.
Ces propos blessants la mirent hors d'elle. Comment osait-il
l'accuser d'être sans cœur, alors que lui-même s'était comporté avec
le plus grand cynisme dix ans plus tôt? C'était un comble !
— Va au diable ! s'écria-t-elle.
Il eut un rire cruel.
— Pas question, ma chère. Tu as une dette envers moi et je
recouvre toujours mes créances.
Il était tout près d'elle. Trop près...
— J'ai une dette envers toi?
Il devait avoir perdu la raison...
— Sébastian m'a raconté comment tu lui es tombée dans les bras
dès que tu as fait sa connaissance, rétorqua-t-il d'un ton glacial.
— Sébastian a simplement tenté de me réconforter! s'écria-t-elle,
sans nier qu'elle s'était retrouvée dans ses bras.
Elle bouillonnait d'une telle rage qu'elle ne pensa même pas à
rétablir l'exactitude des faits.
— Et il a été honnête, lui ! poursuivit-elle. Il m'a dit la vérité. On ne
peut pas en dire autant de toi. Monsieur affecte un respect sans
faille pour les traditions tout en multipliant les aventures. Je plains ta
pauvre femme. Elle a dû vivre un enfer.
A peine eut-elle prononcé ces mots qu'elle les regretta.
— Je t'interdis de faire allusion à ma défunte épouse, assena Xavier
d'un ton lourd de menaces. Et en tant que future Mme Valdespino,
tu ferais bien d'apprendre les bonnes manières.
— Tu peux toujours rêver !
— Je serai de retour à 19 heures pour connaître ta décision et
t'accompagner au dîner. D'ici là, peut-être auras-tu envie de
discuter de tes réticences avec Ann. Je suis sûr qu'elle se montrerait
très compréhensive si son mariage devait être retardé à cause de
toi, dit-il d'un ton sarcastique.
Toute parole était désormais inutile, songea-t-elle en le regardant se
diriger vers la porte.
— Et surtout, ne commets pas une deuxième fois l'erreur de me
sous-estimer, conseilla-t-il avant de sortir.
Elle resta immobile un long moment, les yeux dans le vague. De
toute évidence, il n'hésiterait pas à détruire l'avenir du jeune couple.
Et malheureusement, il en avait parfaitement les moyens. Certes, elle
appréciait beaucoup Jamie et ne mettait pas en doute son amour
pour Ann, mais il était si jeune... Si Xavier menaçait de lui couper
les vivres, il accepterait de retarder son mariage jusqu'à la fin de ses
études. Ensuite, son oncle n'aurait sans doute aucun mal à le
détourner de sa fiancée en lui faisant découvrir des plaisirs qui
tourneraient la tête à n'importe quel jeune homme de son âge...
Elle essuya d'un geste rageur une larme qui roulait sur sa joue.
Quelle cruelle ironie! Aujourd'hui, la demande en mariage de Xavier
la réduisait au désespoir, alors que, dix ans plus tôt, elle aurait
comblé tous ses vœux...

Un mois après son retour en Angleterre, elle s'était aperçue qu'elle


était enceinte et avait décidé de garder l'enfant pour l'élever seule.
Mais au bout de quelques semaines, profondément déprimée, elle
avait ravalé sa fierté et téléphoné à l'appartement de Barcelone.
Lorsque Sébastian avait répondu, elle lui avait demandé de prévenir
Xavier qu'elle avait besoin de lui parler de toute urgence, sans
préciser pourquoi. Quelques minutes plus tard, Sébastian l'avait
rappelée pour lui annoncer que Xavier se mariait la semaine
suivante et qu'il ne voulait plus jamais entendre parler de « Maylyn
». D'ailleurs, il lui avait formellement interdit de lui communiquer ses
coordonnées. Quelques heures après, elle s'était mise à saigner,
puis avait fait une fausse couche dans la nuit. Dix ans après, la plaie
ne s'était toujours pas refermée.

Son regard émeraude se durcit. Ce n'était pas en ruminant le passé


qu'elle allait résoudre son problème! Elle gagna la salle de bains,
ouvrit les robinets de la baignoire et se déshabilla. Un coup d'œil
dans le dressing-room l'informa que ses affaires avaient été
déballées par la femme de chambre. Relevant ses cheveux, elle les
attacha à l'aide d'épingles. Quelques instants plus tard, alanguie
dans un bain délicatement parfumé, elle renversa la tête sur le
coussin en plastique prévu à cet effet. Si seulement ses ennuis
pouvaient se dissoudre dans l'eau tiède...
Malheureusement, ce n'était pas si simple. Dans l'avion, Xavier avait
reconnu être despotique. Et il était loin de plaisanter. Alors
comment se sortir des griffes de cet ignoble individu ?
Malheureusement, aucune solution ne lui venait à l'esprit. Elle sortit
de la baignoire et s'enveloppa en frissonnant dans un épais drap de
bain d'une blancheur immaculée. Dire qu'elle avait promis à sa
cousine de ne rien faire qui pût compromettre son mariage...
Décidément, il n'y avait pas d'issue. A moins peut-être de le
prendre à son propre jeu et de se montrer aussi cynique que lui...
Ragaillardie par cette résolution, elle pénétra d'un pas décidé dans
le dressing-room et choisit dans un tiroir un slip et un soutien-gorge
noirs. Elle prit ensuite une robe noire dans la penderie. Son geste lui
arracha un sourire désabusé : sa tenue serait assortie à ses
pensées...
Lorsqu'elle regagna la chambre, Xavier était debout près d'une
fenêtre, vêtu d'un pantalon noir et d'une veste de smoking blanche
avec une chemise assortie. La seule touche de couleur de
l'ensemble était le rouge de son nœud papillon. A son grand dam,
elle sentit les battements de son cœur s'accélérer. Malgré le mépris
qu'il lui inspirait, il fallait reconnaître que c'était l'homme le plus
séduisant qu'elle eût jamais rencontré.
— Dans mon pays, la tradition veut que l'on frappe avant d'entrer,
lâcha-t-elle d'un ton cassant.
— C'est ce que j'ai fait, répliqua-t-il en dardant sur elle un regard
énigmatique.
Elle avait laissé son épaisse chevelure auburn retomber en boucles
lâches sur ses épaules. Sa robe de soie au col droit finement brodé
de perles découvrait entièrement son dos et ses épaules.
Légèrement évasée à partir de la taille, elle s'arrêtait au-dessus du
genou. Des mules noires à talons plats mettaient en valeur ses
ongles de pieds fraîchement vernis, comme ceux de ses mains. Un
rouge à lèvres assorti soulignait ses lèvres pulpeuses. Une touche de
fard sur ses paupières et une fine couche de mascara sur ses longs
cils recourbés faisaient ressortir ses grands yeux émeraude.
— Sais-tu qu'en noir tu es encore plus sexy ? commenta Xavier.
— Cela m'a semblé la couleur la plus appropriée pour un chaperon,
expliqua-t-elle d'un ton caustique. Nous y allons?
Elle se dirigea vers la porte, mais il la retint par le bras.
— Pas si vite. Je veux ta réponse. Acceptes-tu de m'épouser?
Ainsi, sa proposition tenait toujours, hélas ! La mort dans l'âme, elle
se décida à lui proposer le marché qu'elle avait imaginé. Certes, ce
type de procédé allait à l'encontre de tous ses principes, mais elle
n'avait pas trouvé mieux...
— Je n'ai pas l'habitude de me mettre au Ut avec tous les hommes
qui le demandent, déclara-t-elle le plus tranquillement du monde. Et
il est hors de question que je me marie avec toi. Mais si tu insistes,
j'accepte d'être ta maîtresse pendant la durée de mon congé, à
condition que tu ne contrecarres pas les projets d'Ann et de Jamie.
— Je n'ai pas besoin d'une maîtresse. J'en ai déjà une, précisa-t-il
d'un ton indifférent. J'ai besoin d'une épouse. C'est oui ou c'est non?
Quel mufle ! Dire qu'elle s'était naïvement imaginé pouvoir lui
imposer ses propres conditions ! Dire aussi qu'elle avait cru qu'il la
désirait encore..., murmura une petite voix intérieure qu'eUe préféra
ignorer.
— Si je comprends bien, tu me proposes un mariage blanc?
— Quelque chose dans ce genre.
Son visage impassible ne dévoilait rien de ses pensées.
— Pourquoi n'épouses-tu pas ta maîtresse ?
— Voyons, Rosalyn, c'est contraire aux traditions, répondit-il avec
un sourire perfide. Alors, tu acceptes ?
Il jeta un coup d'œil impatient à sa montre. Découragée, elle baissa
les yeux. Décidément, son cynisme était sans bornes. Elle était prise
au piège.
— Quand aurait lieu le mariage ? questionna-t-elle d'une voix à
peine audible.
— Dans deux semaines, peut-être trois. A partir de ce soir, nous
commencerons à nous témoigner de l'affection. Nous échangerons
de temps à autre quelques baisers, quelques gestes tendres. D'ici la
fin de la semaine prochaine, j'annoncerai nos fiançailles. Tu peux me
laisser le soin de régler tous les détails techniques.
— Ai-je le choix? demanda-t-elle avec dérision.
Il la toisa d'un air impitoyable.
— Pas si le bonheur de ta cousine te tient autant à cœur que tu le
prétends.
— D'accord, j'accepte, lâcha-t-elle d'une voix blanche.
— Voilà qui est raisonnable.
Posant une main au creux de ses reins, il l’entraîna hors de la pièce.
Comme ils approchaient du salon, elle s'écarta de lui avec un
mouvement d'humeur. Ce n'était pas parce qu'eUe avait accepté
son chantage qu'elle était prête à jouer les amoureuses éperdues !
La tête haute, elle passa devant lui et pénétra dans la pièce.
— Ann, Jamie, dit-elle en saluant d'un signe de tête le jeune couple
qui se prélassait sur un canapé de brocart.
Puis son regard fut attiré par un homme qui venait de s'extirper avec
peine d'une bergère. S'appuyant sur une canne à pommeau d'ivoire,
il s'avança vers Rose, il avait dû être très grand, mais l'âge et la
maladie avaient courbé son dos. Son smoking noir flottait sur son
corps amaigri et le nœud papillon qui retenait le col de sa chemise
blanche à jabot ne parvenait pas à masquer la minceur de son cou.
Manifestement, il était très malade. Seul un savoir-vivre d'un autre
âge l'avait contraint à se lever pour la saluer.
Elle s'avança vers lui, la main tendue.
— Vous devez être don Pablo Valdespino.
Dieu merci, elle se souvenait de son prénom !
— Le grand-père de Jamie, ajouta-t-elle. Je suis le Dr Rosalyn
May. Ann est ma cousine et j'ai le plaisir d'être son chaperon pour
la semaine.
Dans son visage creusé de rides profondes et ravagé par la douleur,
le regard terne du vieillard s'éclaira.
— Ma chère, vous êtes bien trop jeune et trop belle pour un
chaperon. Tu n'es pas d'accord, fils?
Jetant un regard en biais à Xavier, Rose vit que son visage
d'ordinaire si arrogant était illuminé d'un sourire de pure tendresse.
Visiblement, il adorait son père.
— Tu as très certainement raison, père, acquiesça Xavier. Mais
assieds-toi. Je vais servir à boire à nos invités.
Il se dirigea vers la table roulante qui faisait office de bar.
— Que veux-tu ? demanda-t-il à Rose.
— Un sherry, s'il te plaît, répondit-elle sans quitter le vieil homme
des yeux.
Don Pablo se rassit avec précaution.
— Il paraît que vous êtes médecin, mais vous ne ressemblez à
aucun de ceux que je connais. Et croyez-moi, j'ai eu l'occasion d'en
voir défiler des dizaines, depuis quelques années. Si l'un d'entre eux
vous avait ressemblé, je suis sûr que je serais guéri depuis
longtemps.
— Vous êtes un flatteur, don Pablo ! dit-elle en riant. Le vieil
homme lui adressa un clin d'oeil malicieux.
— En compagnie de jolies femmes, les compliments me viennent
encore facilement !
Rose éclata de rire.
— C'est un fiirteur incorrigible, commenta Xavier en lui tendant un
verre de cristal.
Ses doigts fins effleurèrent les siens. La gorge soudain sèche, elle
s'empressa de boire une gorgée de sherry. Il fallait absolument
qu'elle se reprenne ! Elle enrageait que ses sens répondent avec tant
d'avidité au contact d'un homme qu'elle méprisait souverainement.
Max vint annoncer que le dîner était servi et tout le monde gagna la
salle à manger. Rose fut impressionnée par la somptuosité du décor.
De lourdes tentures pourpres et or ornaient les murs. Sur la table,
assez grande pour accueillir une vingtaine d'invités, étaient disposées
des assiettes de porcelaine de Chine, encadrées de couverts en
argent. Quant aux verres, ils étaient d'un cristal de la plus belle eau.
Don Pablo prit place en bout de table et indiqua d'un signe que
Rose devait s'asseoir à sa gauche et Ann à sa droite. Xavier
s'installa à côté de Rose, et Jamie, à côté de sa fiancée.
Rose prit un verre pour l'admirer de plus près. Le monogramme de
la famille, un « V » stylisé, était gravé sur le cristal.
Xavier inclina la tête vers elle.
— Ils sont dans la famille depuis des générations, lui murmura-t-il à
l'oreille.
De toute évidence, il n'avait pas l'intention de perdre de temps pour
mettre son plan à exécution. Cet aparté servait vraisemblablement la
stratégie qu'il lui avait exposée quelques minutes auparavant.
— Ils sont magnifiques, commenta-t-elle d'un ton léger en reposant
le verre avec précaution.
A présent, elle n'allait plus oser boire dedans de crainte de le laisser
tomber...
Le dîner se déroula sans incident. En entrée, on leur servit une
salade verte aux noix, assaisonnée d'huile d'olive et de vinaigre de
Xérès. Elle fut suivie par du filet de bœuf préparé à l'andalouse avec
des tomates, des poivrons, de l'ail et des oignons.
Don Pablo se révéla un hôte charmant et plein d'esprit : il
connaissait parfaitement l'histoire de la région et leur raconta
nombre d'anecdotes savoureuses. Le repas se déroulait dans une
atmosphère détendue jusqu'à ce que Max vînt informer Xavier
qu'on le demandait au téléphone. Us étaient en train de terminer le
dessert.
Le père et le fils échangèrent plusieurs propos en espagnol et leur
ton indiquait un désaccord croissant. Finalement, Xavier s'excusa
auprès de ses hôtes et quitta la pièce.
— Je vous prie d'excuser les mauvaises manières de mon fils,
déclara don Pablo d'un air digne.
Son visage livide s'était couvert de plaques rouges sous l'effet de la
contrariété.
— Ne vous inquiétez pas, s'empressa de répondre Rose, soucieuse
d'apaiser le vieil homme. Ça n'a aucune importance. Vous avez une
demeure splendide, don Pablo. Elle doit être très ancienne.
— En effet. Cette maison a plus de cinq cents ans. Au cours des
siècles, elle a bien entendu subi des transformations, mais elle a
toujours appartenu à notre famille. Aujourd'hui, il y a
malheureusement de fortes chances pour que le nom des
Valdespino s'éteigne à jamais, conclut-il d'un ton dépité.
Elle qui avait espéré le calmer! Manifestement, elle n'avait pas choisi
le bon sujet. Xavier revint à cet instant.
— Excusez-moi. Je crains de devoir m'absenter un moment.
Il s'était adressé à Ann et à Jamie, daignant à peine jeter un coup
d'œil à Rose. Puis il dit quelques mots en espagnol à son père, sur
un ton très sec, avant de s'en aller.
Don Pablo sonna Max.
— Je vais être obligé de me retirer, à présent, s'excusa-t-il.
Se levant avec l'aide du serviteur, il ajouta :
— Je suis très fatigué, mais que cela ne vous empêche pas de
passer une bonne soirée.
Enfin, il quitta la pièce.
— Oh ! là, là ... ! Quel coup de théâtre ! s'exclama Ann, un peu
abasourdie.
— Ne faites pas attention, intervint Jamie. J'ai assisté à ce genre de
scène des milliers de fois. Mon oncle et mon grand-père se
disputent sans arrêt. Ils se ressemblent trop. Mais cela ne les
empêche pas de s'aimer énormément.
— Toi qui comprends l'espagnol, Jamie, peux-tu nous dire à quel
sujet ils se querellaient? demanda Rose, intriguée.
— Grand-père était furieux parce que oncle Xavier est parti voir sa
maîtresse. C'est elle qui lui a téléphoné.
— Si jamais tu prends exemple sur lui, je t'étrangle! menaça Ann
d'un ton espiègle.
Rose observa le jeune couple. De toute évidence, l'amour d'Ann
pour Jamie était partagé. Il n'était pas question de laisser un individu
sans scrupule comme Xavier gâcher l'avenir des deux jeunes gens.
Bien qu'il lui en coûtât énormément, accepter de l'épouser était la
meilleure décision...
Après le café, Rose prit congé à son tour et monta dans sa chambre
avec une atroce migraine. Quelle journée ! Tandis qu'elle se
démaquillait, elle se sentait en proie à une tourmente de sentiments
contradictoires. Elle détestait Xavier pour son machisme
insupportable et pour tout le mal qu'il lui avait fait dix ans plus tôt.
Mais dès qu'il la touchait, elle se sentait prête à rendre les armes
pour s'abandonner au désir ardent qu'il éveillait en elle. Comment
allait-elle supporter de vivre platoniquement près de lui ? Ce
simulacre de mariage était absurde...
Après avoir revêtu un pyjama blanc, elle se mit à arpenter
nerveusement la pièce. Elle était bien trop perturbée pour dormir!
S'arrêtant devant une fenêtre, elle jeta un coup d'œil dans la cour.
Au même instant, la Ferrari franchit le porche. Xavier rentrait bien
tôt de son rendez-vous galant... En descendant de voiture, il leva la
tête et regarda dans sa direction, comme s'il avait senti sa présence.
Elle recula vivement, non sans avoir eu le temps de remarquer qu'il
n'avait plus ni veste ni nœud papillon.
Il n'était pas si tôt, après tout. Il était resté absent plus de deux
heures. En fin de compte, c'était une bonne chose qu'il ait une
maîtresse : il avait bien précisé qu'il voulait une épouse qui ne se
mêlerait pas de sa vie et aurait ses propres centres d'intérêt. Dans
quelques mois, elle pourrait vraisemblablement reprendre son
travail. Car malheureusement, don Pablo ne vivrait plus très
longtemps. Cette pensée l'attrista. Le vieil homme était si
attachant...
Mais elle ne devait pas se laisser abattre de la sorte ! Il fallait rester
optimiste! se morigéna-t-elle. En épousant Xavier, elle ferait le
bonheur d'au moins trois personnes : Ann, Jamie et don Pablo. Elle
s'allongea sur le ht, ferma les yeux et essaya de trouver le sommeil.
Mais elle avait beau tenter de se détendre, tous ses muscles
restaient noués. Des images ne cessaient de défiler derrière ses
paupières closes. Le corps puissant et hâlé de Xavier étendu nu sur
un lit, sa splendeur de mâle, promesse de délices erotiques dont elle
gardait des souvenirs malheureusement très précis... Etouffant un
soupir, elle enfouit la tête sous l'oreiller.
Le lendemain matin, le murmure d'une conversation la guida
jusqu'au salon où était servi le petit déjeuner.
Xavier l'accueillit avec un sourire charmeur.
— Bonjour, Rosalyn. Tu es ravissante, ce matin.
Elle était vêtue d'une robe de coton courte à fines bretelles, qu'elle
portait sans soutien-gorge, et avait chaussé des sandales à talons
plats. Il faisait trop chaud pour porter quoi que ce fût d'autre.
Manifestement, Xavier avait décidé de commencer à lui faire
ouvertement la cour dès ce matin. Respectant son engagement, elle
lui adressa un sourire radieux, malgré une furieuse envie de le gifler.
— Merci, Xavier.
— C'est sincère. Mais à mon grand regret je ne vais pas pouvoir
rester avec vous ce matin.
Se tournant vers Jamie et Ann qui étaient déjà installés à table, il
ajouta :
— Vous pouvez aller visiter la ville tous les trois, mais veniez à être
de retour avant 13 heures. Nous partirons pour l'hacienda après le
déjeuner.

Une heure plus tard, Rose, accablée de chaleur, était complètement


perdue. Jamais elle ne retrouverait son chemin dans le dédale de
ruelles de la vieille ville! Ann et Jamie avaient disparu depuis
longtemps, la laissant seule. Elle les cherchait en vain depuis une
heure et elle en avait plus qu'assez. Par ailleurs, elle mourait de soif.
Apercevant une femme seule assise à une table devant un petit café,
elle décida de faire comme elle et se laissa tomber sur une chaise de
plastique d'un blanc douteux. Un homme bourru vint prendre la
commande.
Après avoir bu un café et un grand verre d'eau, elle jeta un regard
paresseux autour d'elle et se rendit compte que les immeubles du
quartier étaient dans un état de délabrement important. Un inconnu
s'arrêta devant sa table et lui adressa la parole. N'ayant pas la
moindre idée de ce qu'il lui disait, elle se contenta de sourire
bêtement. Mais lorsqu'il lui saisit le bras, elle bondit de sa chaise et
se dégagea d'un mouvement brusque. Il était grand temps de partir !
Elle se précipita à l'intérieur du café et s'avança vers le comptoir
pour régler sa consommation.
En ouvrant son porte-monnaie, elle étouffa un juron. Quelle idiote
elle faisait ! Elle avait quelques livres sterling sur elle, mais pas une
seule peseta ! Elle tendit sa carte de crédit au patron. Comme
c'était prévisible, il la refusa. Que faire ? A grand renfort de gestes,
elle tenta de le convaincre de l'attendre pendant qu'elle partirait à la
recherche d'un distributeur de billets. Mais, apparemment, il refusait
de la laisser quitter rétablissement tant qu'elle ne l'aurait pas payé.
De plus en plus énervé, il se lança dans une grande diatribe en
espagnol. Un seul mot compréhensible émergea de son discours :
Policía. La situation devenait de plus en plus épineuse...
Furieuse d'en être réduite à cette extrémité, elle finit par mentionner
les noms de don Pablo et de Xavier Valdespino et suggéra par
gestes au patron de leur téléphoner.
Après quelques mots en espagnol dans le combiné, son attitude
changea radicalement. Avec un grand sourire, il le lui tendit.
— Qu'est-ce qui t'a pris, Rosalyn? Es-tu devenue folle? rugit la voix
de Xavier. Où sont Jamie et Ann ?
— Je les ai perdus, rétorqua-t-elle sèchement. De quel droit lui
parlait-il sur ce ton ?
— Dios mio! On ne peut pas te laisser sortir seule! Assieds-toi et
attends-moi. Ne bouge pas et surtout, ne parle à personne. Le
patron du bar est à ta disposition. Tu peux lui demander ce que tu
veux. Compris ?
— Oui.
Que répondre d'autre?
— Repasse-moi le patron.
Elle se débarrassa du téléphone avec soulagement. Quelques
instants après, l'homme la reconduisit à sa table et la força
pratiquement à s'asseoir. Puis il apporta une bouteille de soda et un
verre étincelant de propreté, et s'installa en face d'elle. JJ ne
manquait plus que ça ! Elle était sous surveillance !
Dix minutes plus tard, elle poussa un soupir de soulagement en
voyant la Ferrari déboucher en trombe dans la rue et s'arrêter
devant le café dans un crissement de pneus. La porte s'ouvrit à la
volée et Xavier descendit du véhicule. Manifestement, il était fou de
rage.
7.
En deux enjambées, il fut près d'elle.
— Qu'est-ce qui t'a pris? vociféra-t-il.
— Je...
— Tais-toi!
De toute façon, elle se sentait incapable d'articuler un mot de plus.
Il s'entretint pendant de longues minutes avec le propriétaire, à qui il
finit par donner — visiblement de très mauvaise grâce — une liasse
de billets. Ensuite seulement, il daigna se tourner de nouveau vers
elle.
— Tout va bien? demanda-t-il d'un ton agressif en l'étudiant
attentivement.
Elle haussa les épaules.
— J'ai bien cru que j'allais fondre à cause de la chaleur.
— Tu as de la chance qu'il ne te soit rien arrivé de pire.
La saisissant par le bras, il la hissa sur ses pieds.
— Nous partons.
Rose adressa un sourire furtif au propriétaire. Elle n'en menait pas
large à côté de Xavier. Il semblait prêt à l'étrangler.
Sa voiture bloquait la circulation. Au milieu d'un concert de coups
de Klaxon et de jurons d'impatience, il la poussa brutalement à
l'intérieur et claqua la portière.
Puis il se glissa derrière le volant, mit le contact et démarra en
trombe.
Lui jetant un regard à la dérobée, elle cherchait quelque chose à
dire lorsque ses yeux s'arrêtèrent sur son cou, dégagé par le col
ouvert de sa chemise. Elle constata avec surprise que la cicatrice
qui lui barrait la joue se prolongeait jusqu'à la clavicule. Jamais elle
ne s'en était aperçue auparavant. Il était vrai que malgré la chaleur,
elle l'avait toujours vu avec des chemises entièrement boutonnées.
— D'où vient ta cicatrice?
La question lui échappa avant qu'elle pût la retenir.
— Por Dios!
La voix de Xavier retentit comme une détonation dans l'espace
confiné de l'habitacle.
— Décidément, tu aimes vivre dangereusement! Tu connais
pertinemment la réponse à cette question et si tu tiens un tant soit
peu à la vie, je te conseille de te taire jusqu'à ce que nous soyons
arrivés.
Elle connaissait la réponse ? Que voulait-il dire ?
— Désolée d'avoir osé parler, marmonna-t-elle.
Ils roulèrent dans un silence tendu jusqu'à la maison, devant laquelle
il pila. Puis il extirpa Rose de la voiture sans ménagement et la traîna
jusque dans le hall.
— Lâche-moi !
Elle en avait plus qu'assez d'être traitée comme une gamine
irresponsable !
— Nous allons dans mon bureau.
Quelques secondes plus tard, il la poussait dans une pièce aux murs
tapissés d'étagères de livres, claquait la porte et la verrouillait
fermement.
— Je me suis perdue, et alors ? Ce n'est tout de même pas la peine
d'en faire toute une histoire ! protesta-t-elle. Et ne t'inquiète pas, je
te rembourserai ce que tu as payé pour moi.
Mais il resserra encore ses doigts sur son bras et l'obligea à pivoter
sur elle-même pour lui faire face.
— Perdue dans le quartier des prostituées, précisa-t-il d'une voix
glaciale.
Le quartier des prostituées ! Qui l'eût cru?
— Que s'est-il passé? L'homme qui t'a abordée ne te plaisait pas ?
— Comment sais-tu que quelqu'un m'a parlé?
— Le propriétaire du bar s'est fait un plaisir de me le raconter et a
exigé que je paie pour le temps que tu as passé à racoler à la
terrasse de son établissement.
Rose sentit le sang se retirer de son visage.
— Racoler...?
Elle s'interrompit, scrutant le visage sombre de Xavier. Il se moquait
d'elle, c'était certain.
— Non, ta dois te tromper, j'ai choisi ce café parce qu'il y avait
déjà une femme seule assise en terrasse, alors...
Consternée par le manque de jugeote dont elle avait fait preuve, elle
se tut.
— Une femme qui attendait le client. Et qui devait reverser au
propriétaire du café une partie de ses gains pour l'usage de sa
terrasse. La même règle s'appliquait à toi.
— Tu veux dire qu'il a cru que je faisais le trottoir? s'exclama Rose.
Ce fut plus fort qu'elle. Elle éclata de rire. Le grand Xavier
Valdespino obligé de payer pour la location d'une terrasse à des
fins de prostitution ! Pas étonnant qu'il soit furieux...
— Parce que ça t'amuse? lança-t-il d'un ton hargneux. Si l'homme
qui t'a abordée t'avait obligé à le suivre, ta aurais trouvé ça drôle?
D'un mouvement vif, il glissa un bras autour de sa taille et l'attira
sans douceur contre lui, puis l'embrassa sauvagement.
— Qu'aurais-tu fait? murmura-t-il contre ses lèvres.
Alors qu'elle ouvrait la bouche pour protester, il la réduisit au
silence par un autre baiser.
Le cœur battant à tout rompre, elle tenta de le repousser. Mais il
referma la main sur ses fesses et il la plaqua contre lui. Suffoquée
par la force de son désir viril, qui pointait contre sa cuisse, elle
étouffa un cri. Il glissa l'autre main sous sa robe et enveloppa
fermement le galbe de son sein.
« Résiste ! » s'exhorta-t-elle. Mais son corps réagissait avec la
même fougue qu'à dix-neuf ans. Elle noua les bras autour du cou de
Xavier, tremblante de désir. Seigneur! Impossible de nier l'attirance
folle qu'elle éprouvait pour cet homme. Lorsqu'il caressa du pouce
la pointe tendue de son sein, elle ne put retenir un gémissement.
— Arrête, s'il te plaît, supplia-t-elle tout en frissonnant de plaisir.
La petite voix intérieure qui tentait désespérément de se faire
entendre depuis trois jours y parvint enfin. Serait-elle encore
amoureuse de Xavier ? En tout cas, dès qu'elle se retrouvait dans
ses bras, plus rien n'avait d'importance. Il était le seul capable
d'éveiller en elle de telles sensations. Des sensations primitives
irradiant dans tout son corps, et contre lesquelles elle était
totalement impuissante. Elle était destinée à cet homme. Dans dix
ans, dans vingt ans, jusqu'au jour de son dernier soupir, son corps
vibrerait avec la même intensité au contact du sien. Cette réflexion
la bouleversa...
Soudain, il remonta sur son épaule la bretelle de sa robe et s'écarta
d'elle.
— Tu es l'esclave de tes sens, railla-t-il. Quand tu seras ma femme,
je vais avoir intérêt à te surveiller de près.
Aussitôt, un sursaut d'indignation la fit revenir à la raison.
— Je suis parfaitement capable de me surveiller moi-même !
A l'entendre, elle avait l'habitude de se jeter à la tête du premier
venu ! D'où lui venait cette idée? Qu'importe, et d'ailleurs, pourquoi
chercher à le détromper? Qu'il continue donc de croire que tous les
hommes éveillaient son désir avec la même impétuosité ! Mieux
valait qu'il ne découvrît pas qu'il était le seul à la plonger dans un
pareil émoi...
— Je te conseille de t'en tenir à ta maîtresse et de me laisser
tranquille.
— Je ne pense pas que j'aurai besoin d'une maîtresse. Tes réactions
me laissent penser que tu me suffiras. Du moins pour l'instant.
Outrée par son arrogance, Rose était sur le point de lui assener une
réplique cinglante lorsque des coups retentirent à la porte.
— Oncle Xavier, puis-je te parler? demanda la voix de Jamie.
Xavier alla ouvrir.
— Moi aussi, j'ai deux mots à te dire, répondit-il à son neveu.
Le jeune homme regarda son oncle, puis Rose. Ses yeux
s'écarquillèrent. Les cheveux ébouriffés de la jeune femme et ses
lèvres gonflées la trahissaient.
— Eh bien, je vois que tu as retrouvé Rose, commenta Jamie avec
un sourire malicieux. Mais peut-être aviez-vous prévu de vous
échapper tous les deux pour passer la matinée ensemble, comme
Ann et moi ?
— Va préparer ta valise pour l'hacienda et laisse-moi seul avec lui,
intima Xavier à Rose.
A peine la porte s'était-elle refermée qu'elle l'entendit tancer
vertement le jeune homme. Pauvre Jamie ! Malgré tout, il n'était pas
autant à plaindre qu'elle. Devoir reconnaître qu'elle brûlait de désir
pour un individu aussi suffisant et machiste que Xavier, quelle ironie
! Elle qui avait toujours mis un point d'honneur à dénoncer les abus
de la phallocratie...
Cet échange lui ayant sapé le moral, elle fut la dernière à se rendre à
la salle à manger pour le déjeuner. Xavier bondit immédiatement
pour tirer sa chaise, tandis que don Pablo tentait de se lever, fidèle
à lui-même.
— Je vous en prie, je suis en retard. Ne vous donnez pas cette
peine, dit-elle en s'asseyant.
— De mon temps, la courtoisie à l'égard d'une dame était un
devoir, répondit le vieil homme.
Il se rassit en lançant un regard réprobateur à Jamie qui n'avait pas
bougé.
— Il semble malheureusement que les jeunes aient tendance à
l'oublier, ajouta le vieil homme.
— Ce n'est pas la seule chose qu'ils oublient, renchérit Xavier.
— Je ne vois pas pourquoi tu nous en veux, oncle Xavier, intervint
effrontément Jamie. Il me semble que nous t'avons rendu service en
te donnant l'occasion de jouer les chevaliers servants auprès de
Rose.
Malheureusement, don Pablo insista pour qu'on lui expliquât ce qui
s'était passé. A la grande honte de la jeune femme, Jamie raconta sa
mésaventure avec moult détails. Les yeux pétillant de malice, don
Pablo la regarda avec un sourire mutin, puis il dit quelque chose en
espagnol. Xavier et Jamie lui jetèrent à leur tour un regard amusé et
tous les trois éclatèrent de rire.
Rose sentit ses joues s'empourprer. Etre l'objet des sarcasmes
masculins lui déplaisait particulièrement. Surtout quand elle n'avait
pas compris un mot de ce qui venait d'être dit...
— Pourquoi as-tu tout raconté à Jamie? Demanda-t-elle sèchement
à Xavier en aparté.
— J'ai voulu qu'il prenne conscience des conséquences de sa
négligence, l'informa-t-il à voix basse. Je ne pouvais pas deviner
qu'il le répéterait. Excuse-moi.
Consciente que don Pablo observait leur échange avec intérêt, elle
n'insista pas.
Le déjeuner fut un véritable supplice pour Rose. Xavier joua son
rôle de soupirant avec une conviction qui la laissa sans voix. Son
regard froid s'enflammait dès qu'il posait les yeux sur elle et il la
gratifiait de sourires enjôleurs. Cet homme avait raté sa vocation ! Il
aurait fait un excellent comédien.

L'hacienda des Valdespino était une splendide demeure à un étage.


En ce début de soirée, Rose et Ann se délassaient dans l'un des
trois jardins en terrasse, assises sur un banc circulaire qui entourait
un énorme jacaranda. Plus loin s'étendait un lac dont le clapotis à
peine perceptible offrait une sensation de bien-être et d'apaisement.
Le voyage s'était déroulé sans incident. A son grand soulagement,
Rose avait pris place dans le minibus loué spécialement pour
l'occasion, en compagnie de don Pablo, Max et sa femme, et Ann.
Xavier et Jamie avaient fait le trajet en Ferrari.
— C'est un endroit splendide, dit-elle à sa cousine.
— Oui, agréable pour se reposer, mais un peu trop calme à mon
goût, répondit Ann. D'après Jamie, il n'y a pas un seul magasin
digne de ce nom à des kilomètres à la ronde.
— Comme tu es à plaindre! se moqua gentiment Rose.
Pour la première fois depuis trois jours, elle commençait à se
détendre.
Jamie et Xavier jouaient au football dans la cour de devant avec
plusieurs membres du personnel. Don Pablo, fatigué par le voyage,
s'était retiré pour la nuit. Il dînerait dans sa chambre. Pour les
autres, le dîner serait servi à 22 heures, conformément aux
habitudes andalouses.
Ann se pencha légèrement en avant, la mine soucieuse.
— Je sais bien que je n'ai aucune raison de me plaindre, Rose. Toi,
en revanche, ta pourrais bien te trouver dans une situation
périlleuse. Certes, je t'ai demandé d'être aimable avec Xavier,
mais... J'ai remarqué les regards langoureux qu'il te lance, et Jamie
m'a dit qu'il vous avait surpris dans le bureau en train de faire Dieu
sait quoi. Bien sûr ta es plus âgée que moi et tu as plus
d'expérience, mais il a une réputation de don Juan. Je ne voudrais
pas te voir souffrir à cause de lui.
— Ne t'inquiète pas. Je sais ce que je fais, répondit Rose d'une
voix douce, touchée par la sollicitude de sa cousine.
Dieu merci, la pénombre dissimulait les larmes qui lui brouillaient les
yeux.
— Je suis une grande fille, maintenant, plaisanta-t-elle. Et pas aussi
naïve que ta semblés le penser.
Ann eut un sourire rassuré.
— Tant mieux ! Nous avons failli nous disputer à ce sujet, Jamie et
moi. Il m'a affirmé que tu étais capable de te débrouiller seule. Mais
puisque Xavier a une maîtresse, il ne devrait pas flirter avec toi. Et
pourquoi ne l'amène-t-il pas chez lui? Ça n'a aucun sens.
— Ne te tracasse pas pour des choses qui n'en valent pas la peine,
renchérit Rose en serrant affectueusement la jeune fille dans ses
bras.
Puis, après avoir jeté un coup d'œil à sa montre, elle ajouta d'un ton
enjoué :
— Allons-y, c'est l'heure.
On dîna au Champagne. Une tradition respectée à chaque retour
dans l'hacienda après un séjour à Séville. Une tradition de plus !
songea Rose avec dérision.
— Aux jeunes amoureux !
Xavier leva sa flûte pour porter un toast.
Pendant tout le repas, il continua de jouer son rôle à la perfection, la
couvant du regard et lui adressant des sourires charmeurs.
Comment réagir devant une situation si déstabilisante? Rose avait
beau se répéter que tout ceci n'était qu'une mascarade, elle ne
pouvait s'empêcher d'être troublée. Tout au long du repas, elle
laissa Xavier remplir régulièrement sa flûte sans protester. Si bien
qu'au moment du café, une légère ivresse ajoutait encore à la
confusion qui régnait dans son esprit.
— Si vous voulez bien nous excuser, nous allons faire un tour.
Jamie et Ann se levèrent de table.
— Ah, non, pas question ! lança Rose d'un ton faussement sévère.
N'oublie pas que je suis ton chaperon, Ann.
Elle se leva à son tour, chancelante.
— Je viens avec vous.
— Sûrement pas, intervint Xavier en riant.
Il la saisit par le bras.
— Laisse nos tourtereaux tranquilles, Rosalyn, et permets-moi de
t'escorter jusqu'à ta chambre. Il est l'heure d'aller au lit.
Instinctivement, elle eut un mouvement de recul.
— Toute seule... pour l'instant, ajouta-t-il d'un ton moqueur.

Le lendemain matin, elle s'éveilla avec une forte migraine et le


souvenir confus de mains qui lui ôtaient doucement ses vêtements,
et l'allongeaient sur le lit avant de remonter sur elle un drap de coton
frais. Puis des lèvres avaient effleuré sa bouche...
Qu'est-ce qui lui avait pris de boire autant? Elle ne supportait pas
l'alcool, et d'ordinaire, elle s'en tenait prudemment à un ou deux
verres de vin, tout au plus. Se levant péniblement, elle se traîna
jusqu'à la salle de bains, où elle prit une douche glacée. Revigorée,
elle revêtit un short blanc et un corsage bleu très court.
Lorsqu'elle ouvrit les portes-fenêtres de son grand balcon, le soleil
entra à flots dans la pièce. Située à l'arrière de la maison, sa
chambre donnait sur les jardins en terrasses et sur le lac. Tandis
qu'elle admirait le paysage, un groupe d'échassiers prit son envol et
se dirigea vers les collines qui se dressaient dans le lointain. Si
seulement elle pouvait en faire autant ! Poussant un soupir, elle
rentra dans la pièce. Elle était en train de démêler ses cheveux,
assise sur le lit, lorsqu'un coup fut frappé à la porte. C'était
probablement Ann qui venait lui raconter à quel point elle s'était
ridiculisée la veille, en étant ivre.
— Entre ! Et surtout pas de commentaires...
Elle se tourna vers la porte et se figea. Ce n'était pas Ann, mais
Xavier.
Il portait un plateau d'argent, sur lequel se trouvaient une cafetière,
un pot de lait, un sucrier et deux tasses. Quelle prestance! Elle ne
put s'empêcher d'admirer ses larges épaules et les muscles de son
torse puissant, moulé dans un T-shirt noir. Un short en lin kaki
mettait en valeur ses cuisses et ses jambes hâlées.
— Que veux-tu? demanda-t-elle d'une voix étranglée.
Question imprudente, songea-t-elle aussitôt. Il posa le plateau sur la
table de chevet et l'observa longuement, tel un prédateur préparant
son attaque. Les mains tremblantes, elle laissa tomber la brosse.
Elle se pencha pour la ramasser mais il fut plus rapide qu'elle.
— Oh, je pense que tu le sais, répondit-il avec un sourire
carnassier, en effleurant sa joue de ses doigts avant de les promener
le long de son cou et de les refermer sur sa nuque.
Levant la tête, elle parvint à soutenir son regard sans ciller.
— Puis-je avoir ma brosse ?
— Quel sang-froid, fit-il observer en scrutant son visage fier. Mais
peut-être cela vaut-il mieux pour l'instant. Sers le café, je vais
m'occuper de tes cheveux.
Elle voulut protester, mais il s'assit à côté d'elle et se mit à brosser
ses boucles cuivrées avec délicatesse.
A son grand désespoir, elle fut électrisée par le contact de sa main
sur son épaule, de la brosse dans ses cheveux, et aussi par son
odeur, sa chaleur... Comme elle avait envie de se laisser aller contre
le rempart solide de son torse ! L'espace d'une seconde, elle faillit
succomber à la tentation.
— Ça suffit, marmonna-t-elle entre ses dents, esquissant un
mouvement pour se lever.
Ses cheveux restèrent accrochés à la brosse et elle fit une grimace
de douleur.
En riant, il l'attira vers lui et prit possession de sa bouche dans un
baiser gourmand.
D'une légère pression de la main, il la renversa sur le ht et s'allongea
sur elle sans cesser de l'embrasser. Puis il se cala entre ses cuisses,
sa bouche toujours soudée à la sienne, tandis que sa main montait le
long de son ventre vers son sein, sur lequel elle se referma.
Emportée par la fièvre qui la dévorait, elle perdit tout contrôle
d'elle-même. Nouant ses jambes autour des siennes, elle creusa les
reins pour mieux sentir contre elle la puissance de son désir
d'homme. Comme elle avait envie de lui ! Chaque fibre de son
corps se languissait de sa chaleur...
Fiévreusement, elle glissa une main tremblante sous son T-shirt et
caressa voluptueusement sa peau veloutée, au creux de ses reins.
Mais il s'écarta brusquement et se releva.
Elle le regarda rentrer son T-shirt dans son short. Manifestement,
son désir pour elle ne s'était pas éteint. Alors pourquoi cette
soudaine volte-face?
— Redresse-toi et remets de l'ordre dans ta tenue, je vais servir le
café, dit-il d'un ton neutre.
Le visage brûlant, Rose se rassit et ramena son corsage sur ses
seins douloureux. Quelle gamine ! Elle aurait dû mettre le holà dès
qu'il avait commencé à la toucher. Il était tellement humiliant
d'admettre sa vulnérabilité face à cet homme... Alors que, de son
côté, il restait parfaitement capable de contrôler son désir.
Le visage à présent très pâle, elle se leva.
— C'est inutile, il doit être froid. Je préfère en boire un chaud dans
la cuisine.
— Bonne idée, répliqua-t-il en lui ouvrant la porte.
Rose passa devant lui, en évitant soigneusement son regard
moqueur. Mais tout à coup, il la retint par le poignet.
— Lâche-moi...
— Attends, Rosalyn. Tes cheveux sont de nouveau tout emmêlés.
Tu ferais mieux de te recoiffer avant de rencontrer le reste de la
maisonnée.
Mais cette suggestion arriva trop tard.
8.
A quelques mètres d'eux, don Pablo était assis dans une chaise
roulante que poussait Max. Posant un regard ébahi sur la chevelure
ébouriffée de Rose, puis sur le bras de Xavier glissé autour de sa
taille, il tira de ce spectacle la conclusion qui s'imposait.
Pour un homme aussi affaibli, il poussa un rugissement
impressionnant.
— Xavier ! Comment oses-tu te conduire de la sorte avec une
invitée ?
Le visage écarlate. il continua en espagnol, invectivant son fils dans
une tirade manifestement émaillée de jurons.
En médecin, Rose reprit le dessus. Craignant les effets d'un tel
accès de colère sur la santé du vieil homme, elle intervint.
— S'il vous plaît, don Pablo, calmez-vous. Ce n'est pas...
— Laisse-moi faire, intima Xavier en resserrant violemment
l'étreinte de sa main sur sa taille.
Faire quoi ? Elle le foudroya du regard : ne voyait-il donc pas à quel
point il avait bouleversé son père ? Sans lui prêter attention, il
poursuivit :
— Rosalyn était sur le point de t'expliquer que tu te méprends sur
mes intentions. Elle vient de me faire l'honneur d'accepter ma
demande en mariage.
Ulcérée, Rose ouvrit la bouche pour démentir cette nouvelle, mais il
enfonça ses doigts encore plus profondément dans sa chair, la
réduisant au silence.
Le regard surpris de don Pablo alla plusieurs fois de son fils à Rose,
pour finalement s'arrêter sur le visage empourpré de la jeune
femme...
— Ma chère Rose, vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis
heureux, finit-il par déclarer, visiblement très ému.
Un sourire radieux illumina son visage ridé.
— J'avais abandonné l'espoir que ce bonheur me soit accordé un
jour. Venez m'embrasser, ajouta-t-il en tendant vers elle une main
frêle.
Décochant un regard noir à Xavier, elle se mordit la lèvre. Avait-
elle le droit de détromper le vieillard? De toute façon, qu'il apprît la
nouvelle aujourd'hui ou la semaine prochaine, cela n'y changerait
rien. Elle prit sa main et déposa un baiser furtif sur sa joue ridée. Le
sort en était jeté...
— Ça n'a pas été trop pénible, j'espère? s'enquit Xavier d'un ton
sarcastique, après que Max et son père furent partis en toute hâte
vers le téléphone le plus proche pour répandre la bonne nouvelle.
Que répondre? Discuter était désormais inutile.
— J'ai toujours besoin d'un café, déclara-t-elle d'un ton posé.
— Tu as également besoin d'une bague.
— Certainement pas ! protesta-t-elle.
Cinq minutes plus tard, dans le bureau, une tasse de café à la main,
elle le regardait ouvrir le coffre mural, sans pouvoir s'empêcher
d'admirer ses belles jambes bronzées.
Pivotant brusquement sur lui-même, il surprit son regard. Souriant
avec une expression de convoitise, il s'approcha d'elle.
— D'abord la bague et le mariage, dit-il d'un air entendu.
S'efforçant de reprendre ses esprits, Rose but lentement son café,
puis posa sa tasse sur une table.
— Ecoute, Xavier. Mettons les choses au point. Ce mariage est un
mariage de convenance, rien de plus. Je... ne veux pas que ce qui
s'est passé entre nous il y a quelques instants se renouvelle.
— Je ne m'opposerai pas à ta volonté.
Son regard brillait d'une lueur étrange que Rose ne parvint pas à
définir.
— Cette bague appartenait à ma mère et je veux que tu la portes,
reprit-il.
Dans l'écrin de velours rouge qu'il tenait à la main reposait une
magnifique émeraude finement taillée, cerclée de diamants. Jamais
elle n'avait vu un bijou aussi splendide. Mais il n'était pas question
de s'extasier.
— Plaisait-elle à ta femme? demanda-t-elle brutalement.
— Ma défunte femme avait choisi sa propre bague, répondit-il
d'une voix sèche. Toi, tu n'as pas le choix.
Prenant sa main gauche, il glissa l'émeraude à son doigt.
— Elle te va parfaitement. Mon père va être content.
Une fois de plus, il avait un argument imparable : la satisfaction de
don Pablo. Elle sentit une vague de mélancolie l'envahir. Recevoir
un tel bijou de la part de son futur mari comblerait n'importe quelle
femme. Mais pour elle, pas question de bonheur. Tout cela n'était
qu'une sinistre farce.
— Très bien. Je la porterai, mais uniquement pour faire plaisir à ton
père.
— Merci de laisser éclater ta joie, railla-t-il.
Puis, sans lui laisser le temps de réagir, il la prit dans ses bras et
l'embrassa fougueusement. Lorsqu'il la lâcha, elle suffoquait de rage.
— Je croyais pourtant avoir été claire! s'écria-t-elle. Je ne veux plus
que cela se reproduise.
— Pardonne-moi ce cliché, Rosalyn, mais tu es si belle quand tu es
en colère... Je n'ai pas pu résister.
Tout à coup, sans savoir exactement pourquoi, Rose sentit son
irritation s'évanouir. Etait-ce sa façon de la regarder? Un accent de
sincérité dans sa voix? Ou l'absurdité de la situation? Prise d'un fou
rire, elle fut incapable de le contenir.
— Je suis heureux que tu me trouves amusant, finalement. Ton rire
me change agréablement de ta mine renfrognée.
Son sourire joyeux le rajeunissait de dix ans. Il en devenait presque
attendrissant...
— Si nous sellions deux chevaux? proposa-t-il. Je te ferai visiter ton
nouveau domaine pendant que tu es d'humeur à apprécier ma
compagnie. Qu'en dis-tu?
Après avoir troqué son short contre un pantalon de toile crème,
Rose rejoignit Xavier dans le hall. Lui aussi s'était changé. Avec son
pantalon noir à taille basse et son chapeau à large bord, il était
outrageusement séduisant !
— Il faut te protéger du soleil, dit-il en lui enfonçant un chapeau sur
la tête.
Puis, saisissant un panier posé sur une table, il ajouta :
— Notre déjeuner.
Les écuries se trouvaient à quelques minutes de marche. Un petit
homme voûté s'avança vers eux, tenant par le licou une jument
alezane d'apparence docile. Lorsque Rose fut en selle, le petit
homme amena un étalon noir, manifestement beaucoup plus
nerveux.
La jeune femme ne put s'empêcher d'admirer l'aisance avec laquelle
Xavier enfourcha son cheval. L'homme et l'animal semblaient
parfaitement habitués l'un à l'autre. Ils se mirent en route, la jument
suivant l'étalon.
Une fois qu'ils furent sortis de l'enclos, Xavier s'arrêta et se retourna
vers Rose pour l'observer.
— Tu as une bonne assiette. On voit que tu sais monter,
commenta-t-il avec un sourire. Allons-y.
D'une légère pression des cuisses, il lança son cheval au galop.
Le temps était splendide et le ciel parfaitement dégagé. Le soleil
faisait miroiter les eaux du lac, transformant celui-ci en un diamant
étincelant. Ils galopaient sur la terre aride et Rose savourait
pleinement cette promenade. Au bout d'un moment, ils s'arrêtèrent
et attachèrent les chevaux à la branche d'un arbuste. Puis ils
s'installèrent au pied d'un arbre pour partager le pique-nique
préparé par Marta.
— Cette région est magnifique, murmura Rose.
Repue, elle s'adossa au tronc de l'arbre. Elle se sentait aussi
détendue qu'il lui était possible de l'être en compagnie de Xavier.
— Je n'arrive pas à comprendre qu'il puisse t'arriver d'avoir envie
de quitter cet endroit, ajouta-t-elle.
Sur la terre brûlée par le soleil s'étendaient à perte de vue des
champs d'oliviers. Curieusement, une portion de terrain était plantée
de tournesols, qui lui évoquèrent la France. A un autre endroit, du
bétail paissait tranquillement. Des montagnes aux contours
déchiquetés s'élevaient à l'horizon.
Xavier s'étendit dans l'herbe à côté d'elle.
— Je voyage très rarement, et uniquement pour des raisons
professionnelles. Grâce aux nouvelles technologies, je peux gérer la
banque et le reste de mes affaires de chez moi.
— Je vois.
En fait, elle était surprise. Il donnait l'image d'un play-boy courant
les mondanités. Du moins, c'était la réputation qu'il avait à l'époque
où ils s'étaient rencontrés. Elle fronça les sourcils. Peut-être son
amour pour sa femme l'avait-il guéri de ses habitudes frivoles?
Difficile à croire.
Le regard pénétrant, il scrutait son visage.
— J'ai l'impression que tu ne me crois pas, déclara-t-il en posant
négligemment une main sur sa cuisse. Je me trompe ?
Elle sentait chacun de ses doigts à travers la toile de son pantalon.
Sa proximité, son odeur si particulière, la chaleur qui se dégageait
de son corps éveillèrent en elle les sensations exquises qu'elle
redoutait. Comme il était difficile de combattre les ondes
voluptueuses que déclenchait la moindre de ses caresses! Tout à
coup l'atmosphère sereine des dernières heures se dissipa et l'air se
chargea d'électricité.
Elle se leva.
— Tu ne m'as jamais donné aucune raison de te croire. De toute
façon, ce que je pense ou ce que je ressens n'a jamais eu
d'importance à tes yeux et n'en aura jamais.
Elle promena un regard dépité sur son long corps athlétique étendu
dans l'herbe. Avec une pointe d'amertume, elle ajouta :
— Je te rappelle que nous avons conclu un accord. Avant que je te
laisse me conduire devant l'autel, je veux que soit rédigé un contrat
en bonne et due forme, stipulant que tu t'engages à subvenir aux
besoins financiers de Jamie et d'Anne. Sinon, je ne t'épouserai pas.
Le visage fermé, une lueur mauvaise dans les yeux, il se redressa
d'un bond.
— Bien sûr. Je n'en attendais pas moins de toi.
Ramassant les restes du pique-nique, il se dirigea vers l'arbuste
auquel étaient attachés les chevaux et rangea le panier dans sa
sacoche de selle.
— Que dirais-tu de rentrer?
Sans se soucier de sa réponse, il monta à cheval, puis attendit
qu'elle en fît autant, le regard dédaigneux.

Deux semaines plus tard, Rose se tenait devant le grand miroir de


sa chambre. Les cheveux relevés en un chignon souple sur lequel
était posé un diadème de fleurs, elle était vêtue d'une robe de satin
ivoire de coupe sobre, qui soulignait sa taille fine et ses hanches
étroites, puis tombait souplement jusqu'à ses pieds chaussés de
mules assorties. Elle était prête à partir pour l'église. Pourtant, son
cœur ne débordait pas de joie comme celui d'une mariée, au matin
du grand jour. Dans le miroir, l'expression de résignation que
reflétait son regard émeraude était frappante.
— Tu es superbe ! déclara Ann d'un ton adrniratif. Je meurs
d'impatience de me marier à mon tour.
Rose jeta un coup d'œil à la jeune fille. Vêtue d'une robe vert d'eau
aussi sobre que la sienne, elle était ravissante.
— Toi aussi, tu es magnifique, dit-elle. Alex frappa à la porte
entrouverte.
— Il est temps d'y aller.
Ann tendit un petit bouquet de fleurs à Rose.
— Je te verrai à l'église, dit-elle avant de quitter la pièce pour
rejoindre Jane.
Alex prit Rose par le bras et la conduisit dehors jusqu'à la voiture
des mariés.
— Tu es splendide, ma chérie. Tes parents seraient très fiers de toi,
murmura-t-il.
Tandis qu'Alex l'aidait à monter dans la voiture, Rose sentit sa
gorge se nouer. Depuis leur querelle du pique-nique, le jour où il
avait annoncé à son père qu'ils allaient se marier, elle avait très peu
vu Xavier.
Il faisait une brève apparition au petit déjeuner, puis disparaissait
jusqu'au dîner, pendant lequel il jouait son rôle de fiancé avec
suffisamment de talent pour abuser tout le monde. Le bonheur de
don Pablo était la seule consolation de Rose. La perspective du
mariage de son fils lui avait donné un regain de vie et il faisait plaisir
à voir.
Comment aurait-elle eu le cœur de détruire ses illusions? Résignée,
elle s'était laissé entraîner dans une activité frénétique. Le week-end
suivant, elle s'était rendue en Angleterre — en jet privé, bien sûr —
et était revenue avec son oncle et sa tante, ainsi que les parents de
Jamie. A peine arrivée à Séville, Teresa avait pris en main
l'organisation du mariage. Entre le shopping, les séances à l'institut
de beauté et les essayages, même si Rose avait eu envie de parler à
Xavier en privé, elle n'en aurait pas trouvé le temps.
Nul besoin d'être devin pour sentir qu'il l'évitait. Une fois leurs
fiançailles annoncées officiellement, il ne l'avait pas embrassée, en
dehors de baisers sur la joue pour donner le change devant sa
famille. La conclusion s'imposait d'elle-même. D'ailleurs, n'avait-il
pas été très clair dès le début? Il la considérait comme une épouse
socialement acceptable, répondant aux vœux de son père. Ni plus
ni moins. Pour ce qui était des relations intimes, il avait sa maîtresse.
Mais après tout, c'était mieux ainsi-Son oncle Alex lui pressa la
main, la tirant de sa rêverie. Us étaient arrivés. L'église était située
de l'autre côté du lac, dans le minuscule hameau de Valdespino, à
quelques minutes en voiture de l'hacienda.
Sentant son cœur s'affoler dans sa poitrine, elle se sentit
reconnaissante envers son oncle. Si elle n'avait pas eu son bras
auquel se cramponner, elle n'aurait sans doute jamais réussi à gravir
les quelques marches qui menaient à l'entrée de l'église.
Debout au pied de l'autel, superbe dans un élégant costume gris
perle, Xavier l'attendait. Lorsque son regard croisa le sien, Rose y
vit un éclair de triomphe. Mon Dieu ! Comme elle avait envie de
faire demi-tour et de s'enfuir en courant...
Plus tard, il lui resta peu de souvenirs de la cérémonie, honnis la
présence à son côté de ce tyran qui n'avait pas hésité à exercer sur
elle un odieux chantage pour la faire plier à sa volonté. Lorsqu'il lui
passa l'anneau nuptial au doigt, elle eut le sentiment que les
mâchoires d'un piège se refermaient sur elle.
Après l'inévitable séance de photographies, elle se laissa tomber
avec un soupir de soulagement sur le siège arrière de la voiture.
Enfin un court répit avant d'affronter de nouveau tout le monde, à la
réception qui devait se dérouler à l'hacienda !
— Tout s'est très bien passé, je trouve, fit observer Xavier en se
glissant à côté d'elle. Et tu es très belle, ma tendre épouse, ajouta-t-
il en l'enveloppant d'un regard gourmand. Ta tenue est très virginale.
Le mufle ! Il savait parfaitement qu'elle n'était pas vierge, et pour
cause...
— C'est ta sœur qui a choisi cette robe, pas moi, rétorqua-t-elle
avec véhémence.
Elle devait avoir perdu la raison pour avoir accepté de l'épouser! Il
n'y avait pas la moindre tendresse dans ses yeux. Uniquement une
satisfaction égoïste.
— Personnellement, j'aurais préféré du noir, reprit-elle avec hargne.
De toute évidence, il n'apprécia pas du tout cette dernière
remarque. Eh bien, tant mieux ! Il l'avait cherché, après tout. Car
curieusement, elle avait été blessée qu'il pût faire preuve de cynisme
à peine sorti de l'église.
Pendant toute la réception, l'hacienda retentit joyeusement du
brouhaha des conversations, des rires et de la musique. Le
Champagne coulait à flots et la maison comme les jardins
regorgaient d'invités. Rose s'efforça de sourire sans relâche, jusqu'à
en avoir une crampe à la mâchoire. Heureusement, vers la fin de
l'après-midi, elle se sentit gagnée par une douce torpeur qui lui
permit de se détendre. Sûrement l'effet bénéfique du Champagne.
La tenant fermement par la taille — il ne l'avait pratiquement pas
lâchée de la journée —, Xavier lui murmura à l'oreille :
— Il est temps de partir pour notre voyage de noce, Rosalyn.
Puis, l’oeil égrillard, il ajouta :
— Veux-tu que je t'aide à te changer?
Elle le fusilla du regard.
— Tu plaisantes ! Et la tradition alors ? C'est le rôle de la
demoiselle d'honneur, lança-t-elle en avisant Ann qui passait près
d'eux.
Prenant la jeune fille par le bras, elle l'entraîna vers sa chambre.
Pendant qu'elle se changeait, Ann, pleine d'enthousiasme et grisée
par le champagne, lui confirma que Xavier avait respecté sa part du
contrat.
— Ton mari est vraiment très généreux. Il a augmenté l'allocation de
Jamie.
— Tu me l'as déjà dit hier, fit observer Rose.
Elle n'avait aucune envie d'entendre une fois de plus la jeune fille
s'extasier sur les mérites de Xavier !
Après avoir enfilé une robe bain de soleil ocre brun, elle ramassa la
veste assortie et son sac. Elle se sentait presque soulagée de partir.
Elle avait beau adorer Ann, son exubérance lui était insupportable à
cet instant !
Xavier, qui l'attendait dans le hall, promena sur ses jambes
interminables un regard chargé de sous-entendus. Mais ce n'était
qu'une feinte destinée aux invités, bien sûr. Alors pourquoi un tel
émoi? se rabroua-t-elle. Elle était vraiment ridicule !
— Tu es superbe, murmura-t-il en l'entraînant vers la pièce où était
assis son père, entouré de toute sa famille.
Do n Pablo e t Teresa embrassèrent chaleureusement la jeune
femme. Puis ce fut le tour de Jane, Alex, David, Jamie et Ann. Rose
serra sa cousine dans ses bras. Celle-ci ne devait jamais apprendre
qu'elle avait fait tout ça pour elle...
La Ferrari rouge descendit lentement la longue allée avant de
s'engager sur la route.
N'ayant aucune envie de discuter avec celui qui était désormais son
mari, Rose ferma les yeux et fit semblant de dormir. Puis, épuisée
par de nombreuses nuits sans sommeil, elle finit par s'assoupir pour
de bon.
— Rosalyn, entendit-elle au milieu d'un rêve.
— Oui, répondit-elle avec un soupir en ouvrant les yeux.
— Nous sommes arrivés à Séville, dit Xavier en se penchant sur
elle pour détacher sa ceinture de sécurité.
L'esprit encore embrumé par le sommeil, Rose fut parcourue par un
frisson langoureux et sa main se leva machinalement vers son visage,
tout proche du sien. Prenant conscience juste à temps de ce qu'elle
était sur le point de faire, elle se reprit et se passa la main dans les
cheveux d'un geste qu'elle espérait désinvolte.
Un homme qu'elle n'avait jamais vu ouvrit sa portière. Une fois qu'ils
furent tous les deux descendus de voiture, Xavier fit les
présentations.
— Rosalyn, voici Franco, mon majordome. Intriguée, elle fit
observer :
— Je pensais que c'était Max.
— Max et Marta sont au service de mon père. Ils le suivent partout
où il va. Franco, lui, est responsable de cette maison. Il était en
congé la dernière fois que tu as séjourné ici.
Un repas froid et du Champagne les attendaient dans la salle à
manger. Rose mangea quelques bouchées de viande, mais elle avait
du mal à avaler. Elle prit soin de boire modérément. Il était
particulièrement important ce soir de garder toute sa lucidité... Au
fur et à mesure que les minutes s'écoulaient, elle sentait la tension
monter entre eux.
Ils échangèrent des platitudes. Le mariage s'était bien passé. Teresa
semblait en forme. Ils avaient eu la chance d'avoir un temps
magnifique. Rose s'efforçait d'entretenir la conversation, mais
Xavier répondait par monosyllabes. Son silence maussade devenait
à chaque instant plus pesant ! Finalement, n'y tenant plus, elle se
leva.
— Tu vas quelque part? demanda-t-il en prenant son verre.
Il but une gorgée d'un air indifférent. Visiblement, ce qu'elle avait
l'intention de faire lui importait peu...
— Je vais me coucher. La journée a été longue et je suis fatiguée.
— Comme tu voudras. Je pense que Franco t'a installée dans ton
ancienne chambre.
— Bonsoir, dit-elle d'un ton neutre avant de quitter la pièce, tandis
que Xavier ne faisait rien pour l'en empêcher.
Une demi-heure plus tard, après avoir pris une douche et revêtu une
chemise de nuit en satin, elle s'allongea dans le grand lit à baldaquin.
C'était une nuit de noces peu banale, songea-t-elle avec dérision.
Etendue sur le dos, elle pouvait voir le croissant de la lune à travers
la porte-fenêtre à demi ouverte. Dans cette chambre baignée de
rayons argentés, tout semblait beau et serein. Apaisée tout à coup,
elle plongea rapidement dans un demi-sommeil. Ce fut le contact
aérien de douces lèvres sur sa bouche qui l'éveilla ainsi que la
sensation merveilleuse d'être enveloppée dans un cocon douillet.
Elle tressaillit et chercha à goûter de la langue la forme et la texture
de ces lèvres mystérieuses. Langoureusement, elle ouvrit les yeux,
mais ne vit rien. L'obscurité était totale. De toute évidence, elle
rêvait. Elle tendit les bras vers son amant fantôme. Mais, au lieu du
vide attendu, ses mains rencontrèrent un dos musclé, recouvert
d'une étoffe soyeuse... La forme sombre penchée sur elle était bien
réelle !
— Xavier, murmura-t-elle.
— Qui d'autre, ma douce Rosalyn?
Instinctivement, elle tenta de le repousser et ses mains se posèrent
sur son torse puissant. Une épaisse et douce toison dépassait de
l'échancrure de son pyjama entrouvert. Sa peau était brûlante. Mais
d'un mouvement vif il captura ses poignets d'une seule main et,
l'obligeant à rejeter les bras en arrière, il se pressa contre son corps
frémissant.
— Ma femme, ajouta-t-il d'une voix rauque,
— Nous étions pourtant d'accord pour..., commença-t-elle d'une
voix peu convaincante.
La fin de sa phrase mourut dans sa gorge.
Allongée dans l'obscurité avec la sensation du corps de Xavier sur
elle, Rose se sentit soudain transportée dix ans en arrière.
De nouveau il s'était emparé de ses lèvres, mêlant sa langue à la
sienne en une joute erotique. Incapable de nier plus longtemps le
désir ardent qui la consumait, elle noua les bras sur sa nuque et
répondit avec fougue à son baiser passionné. Emportée dans un
tourbillon de sensualité, elle pouvait sentir le cœur de Xavier contre
sa poitrine, la chaleur et la fermeté de sa virilité tendue contre son
ventre...
Les lèvres de Xavier finirent par quitter les siennes pour descendre
le long de son cou, tandis que sa main libre se glissait sous le tissu
de sa chemise de nuit, à la recherche de la rondeur d'un sein. Dès
qu'il l'effleura, le bourgeon gorgé de désir se dressa sous sa paume.
Un long râle s'échappa de la gorge de Rose et, fébrilement, elle
tenta de se dégager pour le caresser à son tour. Elle avait tellement
envie de sentir la douceur de sa peau satinée sous ses doigts...
Mais il se pressa plus fort contre elle.
— Laisse-moi faire, Rosalyn, murmura-t-il d'une voix rauque en
redressant la tête.
Et d'un geste habile, il la débarrassa de sa chemise de nuit.
Tous ses sens aiguisés à l'extrême, elle se prit à maudire l'obscurité
car elle brûlait de pouvoir admirer le corps splendide de son mari.
— Enfin ! J'ai tellement rêvé de cet instant ! murmura-t-il d'une voix
âpre, tout contre ses lèvres.
Alors que sa main virile descendait lentement jusqu'à son ventre,
Rose fut emportée dans une spirale de sensations extraordinaires.
Plus rien ne comptait que le désir fou qui la dévorait. Lorsqu'il
mordilla la pointe de son sein, elle laissa échapper un cri qui se
prolongea par un long gémissement. Mais déjà il reprenait ses
caresses à la recherche du cœur brûlant de sa féminité et elle crut
défaillir quand ses doigts se mirent à en explorer la fleur. Se
cambrant, elle s'abandonna sans retenue aux ondes délicieuses qui
la parcouraient tandis qu'il enveloppait d'une main ferme la rondeur
de ses fesses, puis la soulevait pour la pénétrer de sa puissance
virile.
— Xavier!
Son nom lui échappa comme un appel déchirant, tandis qu'il
commençait à bouger en elle avec une lenteur infinie. Se cambrant
davantage, elle s'abandonna aux flammes du plaisir. Le mouvement
rythmé de leurs deux corps confondus s'accéléra peu à peu, les
emportant dans un voyage vers la félicité suprême, qu'ils atteignirent
en même temps, tandis qu'elle criait son nom.
Il fallut un long moment à la jeune femme pour revenir de cette
échappée paradisiaque. Dans la chambre obscure, elle reprit peu à
peu conscience du poids du corps de Xavier sur le sien, des
battements sourds de son cœur contre sa poitrine, de son souffle
régulier au creux de son cou. Comment avait-elle pu succomber
aussi complètement, dès son premier baiser? Serait-elle donc
jamais capable de résister à cet homme?
— Ma douce et sensuelle Rosalyn, tu n'as pas changé, murmura-t-il
d'une voix grave en l'embrassant dans le cou.
Elle posa les mains sur ses épaules et fut troublée de constater qu'il
avait gardé sa veste de pyjama.
9.
Lorsque Rose s'éveilla, la chambre était toujours plongée dans
l'obscurité et un bras musclé reposait sur son ventre. Etirant son
corps endolori, elle tenta de se dégager.
Xavier marmonna quelque chose dans son sommeil et roula sur le
dos sans se réveiller. Elle s'assit, prête à se lever, mais quelqu'un
frappa à la porte.
Celle-ci s'entrouvrit, puis la lumière s'alluma. Un large sourire aux
lèvres, Franco entra avec un plateau de petit déjeuner dans les
mains.
Aussitôt, Rose se rejeta en arrière et saisit le drap, dont elle se
couvrit précipitamment. Au même moment, Xavier ouvrit les yeux et
se redressa en grognant :
— Que diable... ?
Tournant son regard vers lui, Rose ne put retenir un cri horrifié.
— Oh, mon Dieu !
Sa veste de pyjama s'était relevée, découvrant une large cicatrice
qui lui barrait la moitié du dos.
— Que t'est-il arrivé? demanda-t-elle d'une voix tremblante.
Mais il n'était pas besoin d'être médecin pour se rendre compte qu'il
avait été gravement brûlé. On avait tenté de limiter les dégâts grâce
à une intervention de chirurgie esthétique, mais la gravité de la
blessure ne faisait aucun doute. Imaginant la douleur atroce qu'il
avait dû ressentir, elle sentit sa gorge se nouer.
— Laisse-nous, Franco ! lança Xavier d'un ton cinglant.
Puis il se tourna vers Rose.
— A quoi t'attendais-tu donc après mon accident de voiture ? A
une petite cicatrice nette et discrète ?
S'asseyant au bord du lit, elle passa impulsivement la main sur sa
peau meurtrie.
— Je ne savais pas. Je suis désolée.
Tout à coup, Rose comprit mieux certains détails. L'obscurité dans
la pièce, cette nuit. La veille au soir, lorsqu'elle s'était couchée, la
chambre était baignée par les rayons de la lune. D avait dû tirer les
rideaux avant de la rejoindre dans le ht. Et sa veste de pyjama.
Voilà pourquoi il ne l'avait pas retirée.
Il braqua sur elle un regard méprisant.
— Tu étais parfaitement au courant.
Il retira sa main de son dos d'un geste bmsque et se leva.
— Tu as le visage d'un ange mais tu mens comme un démon,
poursuivit-il avec un rictus cruel.
Rose nageait en pleine confusion. Que voulait-il dire par là? Ce
n'était pas la première fois qu'il la traitait de menteuse. Mais pour
quelle raison, elle l'ignorait. Avait-on parlé de cet accident dans les
médias? Xavier semblait penser que tout le monde était au courant.
Mais d'après son expérience de médecin, Rose se souvint qu'il
arrivait souvent qu'une victime d'un accident grave devienne un peu
paranoïaque au sujet de celui-ci.
— Je n'ai que faire de ta pitié, déclara-t-il avec humeur. Tout ce
que je désire, c'est ton corps. Et j'ai prouvé de manière irréfutable
que, de ton côté, tu désirais le mien.
Aussi incroyable que cela puisse paraître, il était manifeste que
Xavier, si arrogant et si sûr de lui d'ordinaire, était vulnérable sur un
point. Il lui avait délibérément dissimulé son corps. Par ailleurs, elle
se rendait compte à présent qu'il avait adroitement guidé ses mains
pour qu'elle le touche à peu près partout sauf dans le dos.
Même si l'accident de Xavier avait dû être terrible, pour-quoi cette
agressivité tournée contre elle ? Peut-être qu'une femme l'avait
rejeté à cause de ses cicatrices, le traumatisant ainsi à tout jamais.
Son épouse? Qui que ce fût, Rose en voulut à celle qui avait blessé
Xavier plus profondément encore que son accident. Elle se sentit
prise d'une immense compassion pour lui. Et, à cet instant précis,
elle perçut enfin ce qui lui crevait les yeux mais qu'elle n'avait jamais
compris : elle l'aimait et n'avait jamais cessé de l'aimer depuis leur
première rencontre...
Ses doigts se crispèrent sur le drap. Sans doute l'aimerait-elle
éperdument jusqu'à la fin de ses jours. Submergée par l'émotion,
elle déglutit péniblement.
— Je n'ai jamais eu l'intention de nier mon désir pour toi, murmura-
t-elîe d'une voix hésitante.
La bouche de Xavier se tordit en une moue dédaigneuse.
— Mais à présent que tu m'as vu, je te dégoûte. Peu importe, tu t'y
feras. Comme on dit, « la nuit, tous les chats sont gris ».
Révoltée par ces paroles, Rose, oubliant qu'elle était nue, bondit
hors du ht et s'avança vers lui.
— Tu n'as pas le droit de dire des horreurs pareilles ! Je t'... ' '
Epouvantée, elle se mordit la lèvre inférieure. Elle avait bien failli lui
avouer son amour ! Levant vers lui un regard timide, elle rougit
jusqu'aux oreilles.
Il promenait sur sa nudité un regard de convoitise. Le voyant
soudain froncer les sourcils, elle baissa la tête pour jeter un coup
d'œil à sa morphologie et aperçut çà et là quelques bleus qu'elle
s'était faits en montant à cheval.
— Je t'ai fait mal? demanda-t-il d'un air inquiet.
Il mériterait qu'elle réponde par l'affirmative! songea-t-elle avec un
certain ressentiment. Mais son amour fut plus fort et elle n'eut pas le
cœur de lui mentir.
— Non, murmura-t-elle en rougissant de plus belle.
Manifestement, il prenait beaucoup de plaisir à la contempler. Fière
de son regard admiratif, elle se redressa.
— Tant mieux, dit-il en caressant des yeux ses cuisses fuselées, puis
ses mollets au galbe parfait.
A son tour, elle ne put résister à l'envie de détailler son corps
d'athlète. Ses yeux s'attardèrent sur la sombre toison bouclée qui
couvrait son torse, puis effleurèrent ses hanches larges et ses cuisses
puissantes.
A la vue de sa virilité qui se dressait fièrement sous son regard
scrutateur, elle sentit la rougeur de ses joues gagner tout son corps.
Perdant contenance, elle annonça d'une voix mal assurée :
— Je vais prendre une douche.
Poursuivie par son rire moqueur, elle gagna la salle de bains.
Une fois séchée, elle enfila prestement un slip et un soutien-gorge de
dentelle blanche. Quelqu'un avait défait ses bagages et rangé ses
vêtements dans le dressing-room. Une des domestiques, sans
doute. Propre et presque habillée, elle se sentit plus à l'aise. Elle prit
une robe de coton vert dans la penderie, la passa et en lissa la jupe
sur ses hanches. On entendait de l'eau couler. Sans doute avait-elle
laissé un robinet ouvert. Retournant dans la salle de bains, elle se
figea sur le seuil. A travers la paroi vitrée de la cabine de douche,
Xavier, la tête rejetée en arrière et les yeux clos, offrait son corps
splendide à la force revigorante du jet.
Voilà qu'elle se laissait de nouveau hypnotiser par ce spectacle
fascinant ! Pivotant sur elle-même, elle regagna la chambre en toute
hâte. Remarquant le plateau que Franco avait apporté, elle se versa
une tasse de café. Puis elle ouvrit les lourds rideaux, laissant le soleil
entrer à flots dans la pièce. Elle but une gorgée de café et grimaça.
Il était presque froid. Malgré tout, elle avait besoin de la stimulation
de la caféine pour remettre de l'ordre dans son esprit confus, se dit-
elle en finissant sa tasse. A cet instant, Xavier sortit de la salle de
bains, une serviette nouée sur les hanches.
— Que tu forces l'entrée de ma chambre, c'est déjà désagréable,
mais tu pourrais au moins utiliser ta propre salle de bains, lança-t-
elle d'un ton vif.
Il arqua les sourcils en laissant tomber sur le ht les vêtements qu'il
avait à la main.
— Cette salle de bains est la nôtre, figure-toi.
— Une minute! Tu m'as dit que cette chambre était la mienne.
Malgré le trouble qui régnait dans son esprit, elle avait eu le temps
de réfléchir sous la douche. Certes, elle aimait Xavier de toute son
âme, mais leur mariage n'en était pas moins le résultat d'un odieux
chantage. Et cet homme était loin d'être un ange : il ne lui avait
jamais juré fidélité et n'avait pas cessé de fréquenter sa maîtresse.
Ce n'était pas parce qu'elle l'aimait qu'elle était prête à tout
accepter! Avait-elle oublié la façon dont il l'avait traitée dix ans plus
tôt?
— Cette chambre est la suite nuptiale, déclara-t-il avec un sourire
narquois en laissant tomber la serviette pour enfiler un caleçon de
soie marine.
— Lorsque je suis arrivée ici la première fois, tu m'as dit que c'était
une chambre d'amis, objecta-t-elle, les yeux étin-celant de colère.
— Et alors ? Il me plaisait de te savoir dans cette pièce, parce que
j'avais déjà l'intention de t'épouser.
Son rictus moqueur lui glaça le sang. Certes, elle se doutait bien
qu'il avait soigneusement planifié toute cette histoire. Mais en avoir
la confirmation de sa propre bouche était insupportable. \
— Il y a dix ans, j'ai juré de me venger de toi. Curieusement, je
savais qu'un jour je te posséderais de nouveau. Dès l'instant où je
t'ai vue descendre de ta Jaguar chez Teresa, j'ai su que mon heure
était arrivée. Et je suis parvenu à mes fins, querida. Beaucoup plus
facilement que je ne l'espérais, conclut-il avec un sourire cruel.
Pendant un long moment, elle resta sans voix. Il l'avait épousée pour
se venger... C'était un comble ! Si quelqu'un avait de bonnes raisons
de chercher vengeance, c'était plutôt elle. Il méritait qu'elle efface ce
sourire par une bonne gifle, songea-t-elle, furieuse. Mais au prix
d'un immense effort, elle parvint à se maîtriser.
— Qu'ai-je fait pour t'offenser à ce point?
Elle se devait de tirer cela au clair.
— Si je me souviens bien, il y a dix ans, tes dernières paroles furent
: « Je n'ai pas besoin de la clé, ni de toi. Adieu. » Puis tu m'as
raccroché au nez.
— C'est pour ça que tu veux te venger? s'exclamât-elle, stupéfaite.
Parce que je t'ai laissé tomber?
La colère avait fait grimper sa voix d'une octave. Monsieur s'était
permis de bouleverser sa vie uniquement parce qu'elle lui avait
raccroché au nez dix ans auparavant ? Sûrement un crime de lèse-
majesté pour ce macho qui avait l'habitude que les femmes restent
suspendues à ses lèvres. Quelle suffisance !
— C'est complètement insensé, lâcha-t-elle avec dédain.
— En tout cas, aujourd'hui tu es ici, et tu es ma femme. La tradition
a été respectée. Pratiquement toutes les épouses Valdespino ont
passé leur nuit de noces dans le lit du harem. C'est considéré
comme un gage de fertilité. Mais telle que je te connais, je suppose
que tu es une adepte de la contraception, déclara-t-il en s'habillant
Elle ouvrit la bouche pour protester, mais la referma aussitôt. Ce
commentaire acerbe lui rappela sa grossesse et son issue tragique.
Une douleur violente lui noua l'estomac comme si on venait de lui
enfoncer un couteau dans le ventre. Dire qu'elle s'était laissé
attendrir en imaginant qu'il était vulnérable... En fait il n'éprouvait
absolument rien pour elle.
— En tout cas, tes traditions stupides n'ont visiblement pas réussi à
ta première femme. Tu n'as pas d'enfant à ce que je sache. Ou du
moins, pas d'enfant légitime, déclara-t-elle froidement
En deux enjambées, il fut près d'elle. Bien qu'effrayée par son
regard menaçant, elle refusa de se laisser mtirnider et n'esquissa pas
le moindre mouvement de recul.
— Je t'ai déjà interdit de faire allusion à ma première femme. C'est
la dernière fois que je le répète, compris?
Elle commençait à comprendre, en effet. Il avait hissé sa sainte
épouse sur un piédestal, mais cela ne l'avait pas empêché de la
trahir avec Rose — et avec une foule d'autres femmes... Toute la
rancune qu'elle avait enfouie au plus profond d'elle depuis tant
d'années refit surface et la submergea.
— Et moi je t'interdis de me parler sur ce ton ! Si tu l'aimais tant,
pourquoi l'as-tu trompée? Quand tu m'as attirée dans ton lit il y a
dix ans, tu t'es bien gardé de me dire que tu étais fiancé ! Alors
aujourd'hui, évite de prendre des grands airs avec moi.
Des doigts d'acier se refermèrent sur ses épaules.
— Inutile de te fatiguer, Rosalyn. Contrairement à ce que tu
prétends, je n'étais pas fiancé lorsque je t'ai rencontrée. C'est
encore un de tes mensonges. Et il t'a sans doute aidée à refouler la
culpabilité qui te rongeait après t'être enfuie comme tu l'as fait?
— Ne me prends pas pour une idiote, s'il te plaît. J'ai vu la photo
sur la cheminée et Sébastian...
— Ne prononce pas ce nom devant moi ! coupa-t-il avec une telle
violence qu'elle en resta abasourdie.
Ses doigts s'enfoncèrent davantage dans la chair de ses épaules.
— Je ne te laisserai pas calomnier mon ami pour apaiser ta
conscience.
— Apaiser ma conscience ! C'est un comble ! s'indigna-t-elle en
serrant les poings.
— Ça suffit lança-t-il d'un ton dédaigneux. A sa grande surprise, il
la lâcha et s'écarta d'elle.
— Se disputer à propos du passé ne sert à rien, Rosalyn, dit-il en
reprenant une attitude froide et distante. Tu es mon épouse et je suis
prêt à tirer un trait sur le passé. Je ne te poserai pas de questions au
sujet de tes anciens amants — Dominic ou les autres — et tu
m'accorderas la même faveur.
Sentant ses joues s'empourprer, Rose se maudit intérieurement pour
cette réaction. Elle n'avait rien à se reprocher, que diable ! Mais
comment Xavier avait-il pu deviner que Dominic avait été son
amant? Elle ne lui avait parlé de Dominic qu'une seule fois, et sans
mentionner leur brève liaison. Son intuition était stupéfiante.
De toute évidence, il était inutile de perdre son temps à tenter de lui
faire reconnaître ses torts. Dans ce cas, pourquoi ne pas profiter
plutôt de ce qu'il était prêt à lui donner, sans rêver d'en obtenir
davantage? La nuit précédente, elle avait connu une jouissance
absolue, dont elle avait perdu tout espoir de refaire un jour
l'expérience. Quelle importance, au fond, si son amour pour lui
n'était pas partagé ? A vingt-neuf ans, il était un peu tard pour rêver
encore du prince charmant, se dit-elle avec dérision.
— Je crois comprendre par ton silence que tu acceptes mes
conditions, dit-il en arquant les sourcils d'un air narquois. Je pense
que nous sommes assez mûrs tous les deux pour reconnaître
l'inutilité de ce genre de confessions. Tu es d'accord?
— Oui, acquiesça-t-elle d'un ton posé. Mais à une condition.
J'exige de toi une fidélité absolue.
Certes, il ne l'aimait pas, mais s'il existait un espoir, même infime,
pour que ses sentiments évoluent un jour, eUe devait absolument
refuser de le partager avec sa maîtresse.
Manifestement il était extrêmement surpris. Il semblait même ému...
— Tu as ma parole, querida. Mais tu dois comprendre que j'exige
la même chose de toi.
Alors qu'il tendait la main vers elle, elle recula vivement.
— Une minute. Et la maîtresse dont tu m'as parlé le jour où tu m'as
fait cette si romantique demande en mariage?
Il fit la moue.
— C'est terminé depuis des mois.
— Ça ne prend pas, Xavier. Ne commence pas à me mentir, j'ai
horreur des menteurs.
— Tu me crois capable de mentir? questionna-t-il d'un ton
incrédule. Personne, tu entends, personne n'a jamais mis ma parole
en doute. Comment peux-tu... ?
— Tais-toi, coupa-t-elle d'un ton acerbe. Pendant le dîner, le
premier soir, dans cette maison, tu as reçu un coup de téléphone.
Tu te souviens ?
— Qui t'a dit que c'était elle? demanda-t-il, sans paraître gêné le
moins du monde. Pas mon père, en tout cas.
— Ton père était furieux et il s'est retiré dans sa chambre. Mais
Jamie a plaisanté sur le sujet.
— Apparemment, il ne t'a pas raconté toute l'histoire.
Toute l'histoire? Elle n'était plus très sûre de vouloir l'entendre...
— Mon père était furieux parce que la femme en question avait
téléphoné ici plusieurs fois au cours des derniers mois. Je refusais
systématiquement de lui parler, mais rien n'y faisait. Or pour mon
père, une bonne maîtresse doit savoir rester discrète. Et surtout pas
téléphoner à son amant chez lui.
— Je crois rêver ! Quel machisme !
— Peut-être, mais c'est comme ça. Ce soir-là, j'ai décidé de
répondre à son coup de téléphone et de lui rendre visite pour mettre
fin à notre relation une bonne fois pour toutes. Après tout, je n'avais
plus besoin d'elle puisque je t'avais, toi.
Quel goujat ! Elle en eut le souffle coupé.
— Qu'as-tu fait? Tu l'as payée pour qu'elle te laisse tranquille ?
— Peu importe. Toujours est-il que depuis ce soir-là, notre liaison
est officiellement et définitivement terminée. Tu n'as aucune raison
de douter de ma parole ni de ma fidélité.
Esquissant un sourire lumineux, il lui caressa doucement la joue
avant de s'incliner vers elle pour déposer sur ses lèvres un baiser
léger comme un papillon.
Ebranlée par ce geste tendre, Rose ne savait plus que penser.
Devait-elle lui faire confiance?
— Décide-toi, Rosalyn. Il est presque midi et je meurs de faim.
Il ne manquait pas de toupet ! Tandis qu'elle cherchait une réplique
cinglante, il ajouta avec un air piteux :
— J'étais si nerveux, hier, que je n'ai pratiquement rien pu avaler de
toute la journée.
Rose ne put s'empêcher de sourire. Cet aveu le rendait tellement
plus humain, tout à coup !
— Allons déjeuner, dit-elle d'un ton enjoué.
— Sais-tu faire la cuisine ?
— Et si je répondais « non »? Ce serait un motif de divorce ?
Et elle le précéda dans le couloir, un sourire espiègle aux lèvres.
Pour la première fois depuis des semaines, elle se sentait le cœur
léger. Quelle sensation exquise !
— Non, Rosalyn, il ne sera jamais question de divorcer, répondit-il
en glissant un bras possessif autour de sa taille. Jamais. Je veux que
tu sois la mère de mes enfants.
Rose eut un pincement au cœur. S'il savait...
— Penses-y, ajouta-t-il en remettant délicatement une mèche
cuivrée derrière son oreille. Quant au repas, je vais m'en charger.
Le dimanche, Franco est en congé à partir de 11 heures.
10.
Le déjeuner se déroula dans une ambiance très détendue.
— Le jambon et les œufs brouillés étaient délicieux, déclara Rose
avant d'en déguster la dernière bouchée.
Assis en face d'elle, Xavier la regardait avec un sourire malicieux.
— A présent, va choisir quelques vêtements et un maillot de bain.
Nous partons pour quelques jours.
Elle écarquilla les yeux.
— Où ça?
— J'ai une villa à Marbella. A deux heures de route à peine. Sur la
côte, il fera un peu moins chaud qu'ici.
— Donne-moi dix minutes! dit-elle en se levant de table.
La villa, ultramoderne, se trouvait sur une colline surplombant la ville
de Marbella. Perchée sur une saillie rocheuse, elle semblait
suspendue dans le vide. On y accédait par une allée sinueuse et
escarpée, bordée d'arbres.
— Quel endroit fantastique ! s'exclama Rose en descendant de
voiture.
Il n'y avait pas de jardin à proprement parler, mais la maison était
nichée dans la nature. Xavier avait garé la voiture devant la porte du
garage, sous la villa. Un large escalier de bois menait à une grande
terrasse entourant trois cotés de la maison et soutenue par
d'énormes piliers plantés dans le flanc de la colline.
A l’intérieur, la fraîcheur contrastait agréablement avec la chaleur
torride qui régnait dehors.
— La cuisine, indiqua Xavier en ouvrant une des deux portes qui
donnaient sur l'entrée au sol carrelé.
Puis il disparut derrière la seconde.
Elle le suivit dans une vaste pièce. Une baie vitrée occupant tout le
mur extérieur découvrait un panorama à couper le souffle. Rose fit
coulisser la porte et sortit sur la terrasse. Contre toute attente, une
piscine rectangulaire y était creusée, flanquée d'un Jacuzzi. Elle
s'avança jusqu'au bord de la terrasse et s'accouda à la balustrade.
La vue était prodigieuse. Au-delà des immeubles de Marbella, dont
la blancheur était accentuée par les rayons du soleil, s'étalait une
immense marina. A l'horizon, l'étendue azurée de la Méditerranée se
confondait avec le bleu limpide du ciel.
— Une ville aussi animée n'est peut-être pas le meilleur choix pour
une lune de miel, murmura Xavier, juste derrière elle. Mais vu l'état
de santé de mon père, je préfère ne pas trop m'éloigner de Séville
en ce moment.
— Je comprends.
— Si tu allais piquer une tête dans la piscine? proposa-t-il. J'ai
quelques coups de téléphone à donner, et ensuite je te rejoindrai.
Il n'y avait qu'une chambre, séparée de la salle de séjour par un
petit vestibule. Egalement dotée d'une baie vitrée, elle offrait le
même panorama. La salle de bains attenante était somptueuse.
Rose se dévêtit prestement et enfila un Bikini noir. Tressant ses
cheveux en une longue natte, elle ouvrit la porte vitrée et sortit sur la
terrasse. Xavier avait disparu.
Elle se laissa glisser dans la piscine : la fraîcheur de l'eau était
délectable ! Enchaînant les longueurs, elle tenta de faire le point. Elle
se remémora les propos de son patron, le jour où il lui avait
ordonné de rentrer chez elle pour se reposer. « Vos parents étaient
des médecins extraordinaires, qui répondaient toujours présents
lorsqu'on faisait appel à eux, n'importe où dans le monde. Mais ils
se soutenaient l'un l'autre et ils avaient la chance de vous avoir.
Vous êtes vous-même un excellent médecin, très dévoué, mais vous
êtes seule. Il serait temps que vous pensiez un peu à vous et que
vous envisagiez de fonder un foyer. »
Rose ferma les yeux en faisant la planche. Elle était mariée à
l'homme qu'elle aimait. H était possible qu'elle soit déjà enceinte.
Etait-il vraiment important que Xavier l'ait épousée uniquement par
vengeance, parce qu'elle était probablement la seule femme à l'avoir
jamais laissé tomber? Cet homme représentait une chance
merveilleuse pour elle d'avoir un jour une famille. Ne lui avait-il pas
déjà précisé qu'il ne serait jamais question de divorcer? Après tout,
peut-être qu'un jour son désir pour elle se transformerait en un
sentiment plus profond...
Soudain, elle se sentit agrippée par la taille et attirée sous l'eau. Se
débattant à grands coups de pied et de main, elle parvint à remonter
à la surface.
— Pourquoi as-tu fait cela? bafouilla-t-elle en recrachant de l'eau et
en s'accrochant à ses larges épaules.
Sans répondre, il l'enlaça et lui vola un baiser ardent qu'elle lui rendit
avec fougue.
— Je te regarde depuis dix minutes et tu me rends fou, murmura-t-
il. J'ai envie de toi... maintenant.
Son corps bronzé ruisselant de gouttes luisantes, il sortit de la
piscine, puis hissa Rose hors de l'eau. Sans lui laisser le temps de
réagir, il captura de nouveau ses lèvres tout en lui arrachant les deux
pièces minuscules de son Bikini, puis retira son propre maillot.
Tombant à genoux, il l'allongea sur le sol sans cesser de la couvrir
de baisers et de caresses fiévreuses. Submergée par une poussée
de désir irrépressible, elle laissa échapper un cri rauque. Les yeux
étincelants, il reprit sa bouche avec impatience en même temps qu'il
se fondait en elle.
Corps contre corps, ils laissèrent libre cours à la passion qui les
emportait tous les deux. Bientôt, une vague tumultueuse les souleva
dans laquelle ils ne formaient plus qu'un seul être. Puis, tel un raz-
de-marée s'abattant sur une île, la volupté suprême les submergea.
Ouvrant les yeux, Rose vit au-dessus d'elle le bleu éclatant du ciel.
Xavier était allongé sur le ventre, le corps encore parcouru de
spasmes de plaisir. La cicatrice de son dos luisait sous les rayons du
soleil. Tendant la main, elle la caressa tendrement.
— Comment te sens-tu? demanda-t-elle dans un souffle.
— C'est moi qui suis censé poser cette question, fît-il observer avec
un petit rire. J'ai perdu tout contrôle de moi-même. C'est bien la
première fois.
Il se leva et la prit dans ses bras.
— Ma cicatrice ne te gêne pas ?
— Non. J'en ai vu des centaines d'autres, bien pires. Mais que fais-
tu... ?
— Pénitence pour m'être jeté sur toi avec sauvagerie, répondit-il en
la transportant dans la maison.
Il semblait bouleversé. Il n'y avait plus sur son visage aucune trace
de son arrogance habituelle.
C'était étrange, mais elle se sentait soudain à l'abri de tout danger au
creux de ses bras puissants, songea-t-elle avant de se rendre
compte qu'ils se trouvaient dans la salle de bains. Il la déposa dans
la cabine de douche, y entra à son tour et fit couler l'eau. Avec des
gestes d'une infinie douceur, il fit glisser ses mains savonneuses sur
chaque parcelle de son corps. Elle le savonna à son tour, puis ils
eurent juste le temps de gagner le lit...
Lorsque Rose se réveilla, il faisait nuit. Se redressant sur un coude,
elle regarda par la baie vitrée. Du lit, on ne voyait que le ciel. C'était
comme s'ils habitaient eux-mêmes les hautes sphères auprès des
dieux, songea-t-elle avec émerveillement.
— Rosalyn.
Près d'elle, Xavier s'étira, puis s'assit brusquement.
— Tu es toujours là? demanda-t-il en refermant ses doigts sur son
bras.
Elle lui jeta un regard surpris.
— Bien sûr. J'étais en train de m'extasier sur la beauté sublime de
cet endroit.
Il l'attira contre lui.
— Je suis content qu'il te plaise, murmura-t-il en effleurant son cou
de ses lèvres.
Mais l'estomac de Rose se réveilla tout à coup.
— Avant de reprendre les câlins, il va falloir me nourrir, plaisanta-t-
elle.
Quelques instants plus tard, ils roulaient vers la ville.
— Le restaurant n'est qu'à quelques minutes à pied, annonça-t-il
une fois qu'il se fut garé.
Après l'avoir aidée à descendre de voiture, il la prit par les épaules
et la guida à travers la foule.
Ebahie par le spectacle, Rose ne savait plus où poser son regard. Il
régnait dans Marbella une animation trépidante. Grouillant de
touristes, la ville était manifestement un temple de la consommation
ostentatoire. Alors qu'ils longeaient la marina, elle s'exclama, les
yeux écarquil-lés :
— On pourrait rembourser la dette de tous les pays du tiers-monde
en revendant ces yachts !
— Aïe ! lâcha Xavier avec une lueur espiègle dans les yeux. J'avais
oublié tes idées généreuses sur la répartition des richesses. C'est le
dernier endroit où j'aurais dû t'amener.
— Tu as raison. Par ailleurs, j'ai le sentiment désagréable de ne pas
être assez habillée. Ou peut-être trop, au contraire. Je n'ai jamais vu
une telle concentration de créatures de rêve, commenta-t-elle en
suivant des yeux une superbe blonde aux jambes parfaites.
Elle était vêtue d'une étroite bande d'étoffe bordée de franges en
guise de jupe, et d'un haut de Bikini.
Xavier éclata de rire.
— Ce n'est pas drôle, je n'ai apporté que cette robe.
— Ne t'inquiète pas, querida. Demain nous ferons du shopping.
Nous sommes arrivés, ajouta-t-il en s'effaçant pour la laisser entrer
dans le restaurant.
Le décor était élégant et luxueux. Quant à la clientèle, c'était
visiblement une des plus huppées et des mieux vêtue de la ville.
Jetant un coup d'œil sur sa robe de coton vert, toute simple, elle
esquissa une moue piteuse.
— Tu es la plus belle femme du restaurant, murmura Xavier. Alors
détends-toi. Tu veux que je commande pour toi ?
— Oui, s'il te plaît.
Elle lui adressa un sourire de reconnaissance pour ce compliment.
Allons, autant profiter de la soirée ! La nourriture était excellente, le
vin exquis, et lorsqu'on leur servit le café, Rose se sentait un peu
grise, mais complètement détendue. Tout à coup, une jeune fille
brune ravissante s'arrêta à leur table et discuta pendant cinq bonnes
minutes en espagnol avec Xavier.
Sa silhouette parfaite était moulée dans une robe de satin rouge.
Manifestement un modèle de haute couture. A son cou et à ses
oreilles, des diamants brillaient de mille feux. Mais le sourire qu'elle
adressa à Xavier avant de s'éloigner éclipsa l'éclat des pierres
précieuses. Rose sentit une douleur familière lui nouer l'estomac. Il
était clair qu'elle n'était pas en mesure de rivaliser avec les femmes
sophistiquées qui peuplaient la vie de son mari.
— A quoi penses-tu ? interrogea Xavier.
Elle tressaillit.
— Je me demandais qui était ton amie. Tu ne nous as pas
présentées.
— Isabelle n'est pas mon amie. C'était une amie de ma femme.
Rose scruta son visage. Quelle réflexion étrange ! Pourquoi les
amies de sa femme ne seraient-elles pas aussi ses amies à lui?
— Raconte-moi, Rosalyn. Quand as-tu décidé d'entreprendre des
études de médecine?
Ce revirement dans la conversation était tellement abrupt que Rose
répondit sans réfléchir :
— Mes parents étaient médecins, et depuis toute petite j'ai eu envie
de suivre la même voie qu'eux. Je suis entrée à l'université l'année
de mes... dix-neuf ans, en septembre, précisa-t-elle d'une voix
hésitante.
Le passé était un sujet tabou...
— Si je comprends bien, lorsque nous nous sommes rencontrés, tu
savais que tu allais abandonner ta carrière de mannequin?
Son ton était désinvolte, mais une lueur inquiétante s'était allumée
dans son regard.
— Non..., enfin... si.
Seigneur! Son sourire n'était pas plus rassurant.
— Oui, je le savais, reprit-elle. J'avais prévu de travailler seulement
un an comme mannequin, pour financer mes études. Mais je croyais
que nous ne devions pas évoquer le passé. C'est toi-même qui me
l'as dit.
Brusquement Xavier jeta de l'argent sur la table et l'aida à se lever.
— Tu as raison. Oublions ça et allons-y.

Cinq jours plus tard, debout devant le miroir de la salle de bains,


Rose achevait de se maquiller. Une légère couche de mascara et ce
serait parfait... Elle enfila la ravissante robe noire qu'elle avait
achetée — avec une foule d'autres vêtements — sur les instances
de Xavier. Elle tourbillonna devant le miroir. Dos nu, la robe était
taillée dans une étoffe fluide qui moulait ses hanches étroites et
flottait en plis souples jusqu'à ses chevilles.
Des escarpins noirs à talons hauts complétaient sa tenue. Satisfaite
de son allure sophistiquée, elle sortit sur la terrasse.
Xavier l'attendait, accoudé à la balustrade. Vêtu d'un costume de lin
crème impeccablement coupé, il dégageait un charme dévastateur.
— Tu es belle à croquer, murmura-t-il avec un regard admiratif en
s'approchant d'elle.
— Bas les pattes ! protesta-t-elle avec un sourire mutin. J'ai mis un
temps fou à me préparer et il n'est pas question que je te laisse
gâcher des heures de travail !
— Tu te méprends sur mes intentions, ma chère épouse, rétorqua-
t-il avec un petit rire ravi. Je voulais juste te donner ceci.
De la poche de sa veste, il sortit un écrin de velours qu'il ouvrit,
révélant un magnifique collier de diamants et d'émeraudes. Il
l'accrocha autour de son cou.
Elle observa son reflet dans la baie vitrée. Avec sa robe noire et ses
boucles cuivrées relevées en chignon, l'effet était saisissant.
— Il est magnifique, dit-elle en se tournant vers Xavier. Mais il a dû
coûter une fortune.
Cette remarque fit sourire Xavier.
— Il est simplement digne de ta beauté, Rosalyn. Et c'est un cadeau
de mariage, alors par pitié, pas de discours sur la misère du monde!
De toute façon, nous n'avons pas le temps.
Ils étaient attendus à une réception dans la villa d'un des plus gros
clients de la banque Valdespino. Dès que la nouvelle de son arrivée
s'était répandue, Xavier avait reçu des dizaines d'invitations. Mais
celle-ci était la seule qu'il avait acceptée, car dès le lendemain, il
était prévu qu'ils repartent pour l'hacienda.
C'était une soirée mondaine, réunissant une centaine de personnes
autour d'un buffet. Lorsqu'ils arrivèrent, quelques dizaines de
couples dansaient déjà au son de l'orchestre. Rose ne mit pas
longtemps à s'apercevoir qu'elle était au centre de toutes les
conversations. La nouvelle du remariage du grand Xavier
Valdespino avait fait sensation. Elle le lui fit remarquer après le dîner
lorsqu'il l'entraîna sur la piste de danse.
— Ce n'est pas parce que tu es mon épouse, mais parce que tu es
la femme la plus sexy de l'assemblée. Toutes les autres invitées sont
vertes de jalousie parce qu'il n'y a pas un homme ici qui ne rêve de
t'attirer dans son lit.
A la fin du morceau, il la pressa contre lui et l'embrassa
délicatement dans le cou.
Leur hôte, un petit homme brun d'une soixantaine d'années,
s'approcha d'eux en compagnie de sa femme et s'adressa à Xavier
en espagnol. Puis il se tourna vers Rose :
— J'espère que vous ne m'en voudrez pas, ma chère Rosalyn,
déclara-t-il avec un fort accent. Je suis obligé de vous emprunter
votre mari quelques instants. Ma femme va vous tenir compagnie.
Avec un clin d'œil malicieux, Rose murmura à l'adresse de Xavier :
— Les affaires avant le plaisir, hmm ?
— Je n'en ai pas pour longtemps, je te le promets, assura-t-il de sa
voix grave, les yeux brillant d'une promesse sensuelle.
Elle le regarda s'éloigner en souriant.
Leur mariage se révélait bien plus heureux qu'elle ne s'y attendait, se
dit-elle en laissant échapper un soupir de satisfaction. Le Xavier
arrogant et distant qui l'avait pratiquement forcée à l'épouser avait
fait place à un homme tendre, sexy et plein d'humour. Si ce n'était
pas encore le cas, il finirait sans nul doute par l'aimer vraiment.
La pauvre hôtesse faisait des efforts louables pour discuter avec
Rose, mais comme aucune des deux ne parlait la langue de son
interlocutrice, leur échange était assez laborieux. Par chance,
quelqu'un vint s'adresser à elle, accaparant son attention. Soulagée,
Rose se fondit dans la foule.
— Ça alors, mais c'est la nouvelle épouse de Xavier !
Pivotant brusquement, elle se retrouva nez à nez avec Isabelle, la
jolie brune du restaurant. La jeune femme la regardait sans aménité.
— Bonsoir, dit poliment Rose.
— Xavier vous a déjà abandonnée ? Vous avez intérêt à vous y
habituer. Il se comporte ainsi avec toutes les femmes, railla la jeune
femme.
Humiliée, Rose eut un mouvement de recul et bouscula quelqu'un.
Trop heureuse de cette diversion, elle se tourna en disant :
— Je suis terriblement désolée.
Plus petit qu'elle, l'homme était cependant séduisant et son regard,
pétillant de malice.
— Si vous voulez vraiment vous faire pardonner, accordez-moi
cette danse.
Elle était sur le point de refuser lorsqu'elle le reconnut.
— Sébastian!
— Oui.
Glissant un bras autour de sa taille, il l'entraîna au milieu des
danseurs.
— Cela me peine terriblement, mais je dois vous avouer, charmante
créature, que je ne me souviens pas de votre nom.
Il ne l'avait pas reconnue...
— Rosalyn. Dr Rosalyn May, annonça-t-elle, secrètement amusée.
— Ah, bien sûr! Je me souviens de vous. Comment ai-je pu
oublier? Dites-moi, Rosalyn, que devenez-vous depuis notre
dernière rencontre? demanda-t-il d'un ton patelin.
Quel beau parleur! Ce nom ne pouvait sûrement pas lui avoir
rafraîchi la mémoire, puisqu'il ne connaissait que « Maylyn ». Rose
réprima un fou rire.
— Voyons, laissez-moi réfléchir, dit-elle en plongeant son regard
dans le sien. Je me suis mariée, la semaine dernière.
— Mon cœur est brisé! Mais laissez-moi au moins embrasser la
mariée.
Avant qu'elle ait eu le temps de réagir, il déposa un baiser sonore
sur sa joue.
— Dites-moi qui est l'heureux époux, que j'aille le tuer sur-le-
champ.
Cette fois, elle ne put s'empêcher de pouffer.
— Vous ne vous souvenez pas du tout de moi, apparemment. Vous
m'avez connue sous le nom de Maylyn. A Barcelone, il y a dix ans,
précisa-t-elle. Aujourd'hui je suis Mme...
Avant qu'elle n'ait eu le temps de terminer sa phrase, Sébastian
s'était brusquement écarté d'elle comme s'il avait reçu une décharge
électrique. L'espace d'une seconde, elle vit un éclair de terreur
déchirer son regard. Mais non, elle avait dû se tromper.
Apparemment très détendu de nouveau, il souriait à quelqu'un
derrière elle. Tournant la tête, elle vit Xavier qui les observait, le
visage crispé.
— Aujourd'hui mon épouse, Sébastian, précisa-t-il d'un ton glacial.
— Mes sincères félicitations, mon vieux. Je vous souhaite beaucoup
de bonheur. Je regrette seulement d'avoir manqué la cérémonie.
— Je n'ai pas jugé utile de te faire revenir de Buenos Aires avant la
fin de ta mission. En fait, je ne t'attendais pas si tôt. Comment cela
s'est-il passé?
Ils poursuivirent en espagnol.
Sébastian travaillait sans doute toujours pour Xavier. Absorbés par
leur conversation, ils l'ignoraient totalement. Elle tenta de se dégager
de l'étreinte de Xavier, qui avait glissé un bras autour de sa taille et
la serrait si fort qu'elle avait du mal à respirer. Elle posa la main sur
la sienne. Il la pressa doucement et la porta à ses lèvres.
— Dis au revoir à Sébastian, querida. Nous partons.
Rose leva les yeux vers Sébastian. Son sourire poli ne laissait rien
deviner de ses sentiments.
— Bonsoir, Sébastian. Je suis ravie de vous avoir revu, dit-elle
avec sincérité.
Il lui avait témoigné de la sympathie à un moment où elle en avait
besoin, se rappela-t-elle tandis que Xavier l'entraînait vers la sortie.
Un domestique avança la voiture. Xavier poussa Rose sans
ménagement sur le siège du passager, puis il prit place derrière le
volant et démarra en trombe.
— Pourquoi cette hâte ? demanda-t-elle en lui jetant un regard en
biais.
— Tais-toi, riposta-t-il sèchement.
Le visage fermé, il ne lui accorda pas un regard. De toute façon,
mieux valait qu'il garde les yeux fixés sur la route, songea Rose,
tandis que la voiture fonçait sur deux roues dans un virage. Un peu
effrayée, elle posa une main apaisante sur sa cuisse.
— Que s'est-il passé? Notre hôte s'est-il montré réticent à
rembourser ses emprunts ? tenta-t-elle de plaisanter.
Sans répondre, il retira brutalement sa main de sa cuisse et prit un
autre virage sur deux roues. Elle fut projetée violemment contre la
portière. Lançant un coup d'œil angoissé au précipice qui bordait la
route, elle cessa aussitôt de s'inquiéter pour Xavier. Qu'importait la
raison de sa fureur pourvu qu'ils parviennent entiers à la maison...
Jamais elle n'avait eu aussi peur de sa vie!
La voiture s'arrêta dans un crissement de pneus à quelques
centimètres de la porte du garage. Rose descendit aussitôt,
soulagée de sentir de nouveau le sol sous ses pieds.
— Qu'est-ce qui t'a pris de conduire comme un dément? Tu voulais
nous tuer tous les deux? s'écria-t-elle.
Sans un mot, Xavier contourna la voiture, lui agrippa le bras et
l'entraîna avec brutalité jusqu'en haut des marches.
— Entre dans la maison avant que je te précipite pardessus la
balustrade, intima-t-il, les mâchoires serrées.
Puis il la poussa jusque dans le séjour, alluma la lumière et ferma la
porte derrière lui.
— Mais qu'est-ce qui se passe, enfin? questionna Rose, atterrée.
— Tu oses me le demander? fulmina-t-il en s'avançant vers elle d'un
air menaçant.
Les yeux agrandis par la peur, elle recula. Mais elle ne fut pas assez
rapide. Xavier referma une main sur son épaule, tandis que l'autre la
saisissait par les cheveux, lui tirant violemment la tête en arrière.
— Un seul regard à Sébastian, et tu n'as pas pu t'empêcher de lui
retomber dans les bras.
— Pas du tout ! protesta-t-elle.
— Ne mens pas ! rugit-il.
— Je ne mens pas !
Le voyant lever la main, elle ferma les yeux, attendant le coup en
tremblant.
— Bios mio! Tu me pousses à commettre des folies !
Elle rouvrit lentement les yeux. Il s'était figé, le bras en l'air, le poing
fermé. De toute évidence, il était consterné. Il baissa lentement le
bras, mais les doigts de son autre main restèrent enfoncés dans la
chair de son épaule.
Sa bouche se tordit en un rictus méprisant.
— Je n'ai pas le droit de me plaindre. Je savais parfaitement à quoi
m'en tenir lorsque je t'ai épousée. Lors de notre première rencontre,
tu es sortie de mon lit pour entrer tout droit dans celui de Sébastian.
Tu aurais fait de même ce soir si tu en avais eu l'occasion, lança-t-il
avec mépris.
Il la lâcha enfin. Muette de stupeur, elle ouvrit de grands yeux. Il
semblait croire sincèrement qu'elle avait couché avec Sébastian !
Retrouvant enfin sa voix, elle déclara avec un calme qu'elle était loin
de ressentir :
— Je n'ai jamais « sauté dans le ht » de Sébastian, comme tu le dis.
Avant ce soir, je ne l'avais vu qu'une seule fois. Le lendemain de la
soirée que nous avons passée ensemble, toi et moi, dans son
appartement. L'appartement que tu m'avais présenté comme le tien.
— J'en avais la clé et je te l'ai d'ailleurs laissée, F aurais-tu oublié?
— Comment aurais-je pu l'oublier? Sébastian m'a expliqué que tu
en avais toute une collection, que tu distribuais à tes innombrables
maîtresses. Seulement, ta tactique ne s'arrêtait pas là : aucune de
ces clés ne correspondait à la serrure! lança-t-elle rageusement. Ce
matin-là, il m'a également appris que tu étais fiancé à sa sœur et que
ta avais l'habitude d'utiliser son appartement pour tes aventures
d'une nuit. Aventures qui t'évitaient de souiller l'honneur de ton
innocente fiancée avant le mariage.
Il secoua lentement la tête.
— Ne crois pas que je vais me laisser abuser aussi facilement. Le
jour où je t'ai annoncé mon intention de t'épouser, ta as reconnu
être tombée dans les bras de Sébastian. Aurais-tu oublié ce détail?
demanda-t-il d'un ton acerbe.
Horrifiée, elle tenta de se remémorer les propos exacts qu'ils
avaient échangés ce jour-là. Il lui semblait bien en effet avoir admis
que Sébastian l'avait consolée. Mais pas un instant elle n'avait
imaginé que Xavier en tirerait une telle conclusion !
— Je n'ai jamais couché avec Sébastian ! s'indigna-t-elle. Comment
peux-tu penser une chose pareille ?
Décidément, il avait une bien piètre opinion d'elle. Dire qu'elle s'était
bercée d'illusions, allant jusqu'à croire qu'il pourrait l'aimer un jour...
— Tu dois me croire, insista-t-elle.
Mais à en juger par son regard dédaigneux, il ne lui accordait pas le
moindre crédit. Pourquoi essayer de le convaincre puisque la cause
semblait perdue? Néanmoins, elle fit une dernière tentative.
— Sébastian m'a effectivement prise dans ses bras, mais c'était sur
le canapé du salon.
Xavier émit un grognement sceptique. Seigneur, comme il était
borné !
— Et uniquement pour me consoler, parce que j'étais effondrée par
ses révélations sur tes méthodes de don Juan, ajouta-t-elle en
désespoir de cause.
— Et c'est à ce moment-là que vous avez découvert que vous étiez
irrésistiblement attirés l'un vers l'autre.
— Ne sois pas ridicule !
Cette fois, c'en était trop ! Pivotant sur elle-même, elle se précipita
vers la chambre. Vite, se cacher n'importe où avant d'éclater en
sanglots ! Dire que cette soirée avait si bien commencé...
Il l'attrapa par le poignet.
— Sébastian m'a tout raconté, Rosalyn. C'est mon homme de
confiance. Il m'a dit qu'il t'avait téléphoné à ton hôtel pour te
prévenir que j'avais eu un accident de voiture. Mais ta lui as
répondu que cela ne te concernait pas.
— Tu as eu un accident le jour de mon départ? s'exclama-t-elle
avec un regard épouvanté.
— Arrête cette comédie ! assena-t-il d'un ton cinglant.
— Je t'assure que je n'en ai jamais rien su! Je n'ai plus jamais eu de
nouvelles de Sébastian après être partie de l'appartement. J'ai quitté
l'hôtel pour l'aéroport immédiatement après t'avoir raccroché au
nez, et le soir même, j'étais à Londres. Tu vois bien que Sébastian
n'aurait pas pu me joindre, même s'il en avait eu l'intention !
Soudain, elle se souvint du regard terrorisé qu'avait eu Sébastian
lorsqu'il avait enfin compris qui elle était, à la réception. Quel
scélérat ! Tout était clair, à présent !
— Sébastian t'a menti, Xavier.
Il avait menti pour préserver les intérêts de sa sœur, bien sûr.
— Tu espères que je vais te croire? questionna-t-il d'un ton
sarcastique.
Il resserra les doigts autour de son poignet.
— Je connais Sébastian depuis toujours. Jamais il ne me mentirait.
— C'est pourtant ce qu'il a fait. Sébastian ne m'a jamais téléphoné
et je n'ai jamais couché avec lui.
— C'est ce que tu dis...
Profondément blessée par son manque de confiance, elle haussa les
épaules avec lassitude.
— Crois ce que tu veux. Quelle importance, après tout?
Maintenant, lâche-moi, s'il te plaît. Je vais me coucher.
Il s'exécuta avec un rire sans joie.
— Tu as raison, que je te croie ou non n'a aucune importance.
Nous sommes mariés et nous avons décidé d'un commun accord de
ne plus revenir sur le passé. Restons-en au présent.
Sur ces mots, il l'enlaça et l'attira contre lui.
Il écrasa sauvagement sa bouche contre la sienne, capturant sur ses
lèvres un baiser profond, auquel il ne mit fin qu'après sa complète
capitulation.

Seule dans la chambre, Rose se dévêtit, les yeux brouillés de


larmes. Elle retira le collier qu'il lui avait offert quelques heures plus
tôt. En une soirée elle était passée du bonheur parfait à l'abattement
le plus profond ! songea-t-elle, le cœur serré. Sans confiance, leur
relation n'avait aucune chance. Entre sa parole et celle de Sébastian,
Xavier avait clairement choisi. Soudain, une pensée lui glaça le sang.
Si Sébastian avait menti à Xavier, il était fort possible qu'il lui ait
menti également. Si elle avait essayé la clé, ce matin fatal, si elle
avait accepté de parler à Xavier lorsqu'il l'avait appelée à l'hôtel, si
elle lui avait fait confiance... Les joues inondées de larmes, elle
s'effondra sur le Ut.
Il était trop tard, à présent. Il ne l'aimerait jamais comme elle rêvait
d'être aimée. Quel gâchis ! Combien de temps pouvait durer un
mariage fondé uniquement sur le désir charnel? Enfouissant le visage
dans l'oreiller, elle pleura comme elle n'avait jamais plus pleuré
depuis la perte de son bébé.
11.
La vue brouillée par les larmes, Rose jeta une poignée de terre sur
le cercueil. Seule la présence de don Pablo lui avait permis de tenir
le coup durant le mois précédent, et aujourd'hui, on l'enterrait.
A leur retour de Marbella, Xavier et elle avaient emménagé dans la
suite nuptiale de l'hacienda. Il avait de nouveau adopté avec elle une
attitude très distante, jouant les maris attentionnés quand ils n'étaient
pas seuls, tout en l'évitant le plus possible. Leur mariage n'avait
d'existence réelle que la nuit, dans le ht immense où ils
s'abandonnaient à la passion qui les consumait tous les deux. Mais
ce n'était pas de l'amour... Et depuis quinze jours, ils faisaient
chambre à part.
Rose avait passé la plus grande partie de son temps au chevet de
don Pablo, qui, pour la remercier de ses soins, lui enseignait
succinctement l'espagnol. Deux semaines après leur retour à
l'hacienda, Xavier s'était rendu à Séville pour quelques jours, la
laissant seule avec son père. L'état du vieil homme s'étant aggravé,
le Dr Cervantes avait demandé à Rose si elle voulait bien se charger
de lui administrer de la morphine en cas de crises trop
douloureuses. Elle avait accepté. A son retour de Séville, Xavier en
avait profité pour s'installer dans une autre chambre, prétextant qu'il
ne voulait pas troubler le peu de repos qu'elle aurait l'occasion de
prendre pendant qu'elle s'occupait de son père. En fait, c'était
probablement parce qu'il avait renoué avec sa maîtresse, avait
songé Rose. Mais elle ne lui avait posé aucune question.
Durant cette période, elle avait appris à mieux connaître don Pablo
et elle s'était prise d'une grande affection pour lui. Il lui avait raconté
maintes anecdotes sur l'enfance de Xavier, et, la veille de sa mort, il
lui avait fait promettre de ne pas quitter son fils. Cet homme
intelligent et attentionné s'était rendu compte que tout n'allait pas
pour le mieux entre eux.
Esquissant un sourire chargé de tristesse, elle essuya ses larmes
d'une main tremblante. Le vieil homme allait lui manquer. Mais elle
avait au moins la satisfaction de savoir qu'il était mort en paix,
rassuré par le secret qu'elle lui avait confié.
Elle s'éloigna de la tombe pour retourner auprès de Xavier. Il posa
son regard froid sur elle avant de s'abîmer de nouveau dans la
contemplation du cercueil à moitié recouvert de terre. Puis les
membres de l'assemblée regagnèrent leurs voitures respectives pour
se rendre à l'hacienda.
Circulant parmi les invités une heure plus tard, Rose fut surprise par
le nombre considérable des amis de don Pablo. Elle promena son
regard sur la disposition des lieux. Visiblement, tout était en ordre.
On avait installé des tables chargées de mets divers dans la cour et
le Champagne coulait à flots, selon les instructions de don Pablo qui
avait souhaité que ses amis célèbrent son départ dans la gaieté.
Un mouvement sur sa gauche attira son attention. Xavier était
penché vers Isabelle, vêtue d'une minuscule robe noire qui
découvrait presque entièrement sa poitrine et ses cuisses. En
larmes, elle s'accrochait à son bras.
Rose se prit à sourire avec amertume. Peut-être s'était-elle trompée
au sujet de Xavier et de sa maîtresse. Peut-être était-ce Isabelle qui
avait aujourd'hui les faveurs de son mari. Xavier leva la tête et son
regard rencontra le sien. Arquant les sourcils, elle le toisa d'un air
ouvertement dédaigneux. Flirter le jour des funérailles de son père!
Comment osait-il? Leur tournant le dos, elle partit vers l'arrière de
la maison.
Elle avait absolument besoin de réfléchir et le jardin en terrasses
était l'endroit idéal pour être tranquille. Choisissant le banc de
prédilection de don Pablo, elle laissa son regard errer sur les eaux
miroitantes du lac. Puis elle ferma les yeux et fit lentement pivoter sa
tête, tentant de soulager la tension dans ses épaules : les dernières
semaines avaient été particuhèrement éprouvantes.
— Puis-je me joindre à vous ?
Elle ouvrit les yeux.
Sebastian ! C'était bien la dernière personne avec qui elle avait
envie de parler. Mais ses devoirs d'hôtesse primaient sur ses états
d'âme...
— Si vous voulez.
Avec un sourire circonspect, il prit place à côté d'elle. Soudain,
Rose sentit comme un déchc au plus profond d'elle-même. Rester
courtoise en toutes circonstances et jouer scrupuleusement le rôle
que Xavier lui avait imposé, elle en avait plus qu'assez ! A force de
se prêter à la mascarade des secrets et des mensonges, elle était en
train de perdre son intégrité. Elle se leva d'un bond.
— Et puis non ! Je n'en ai aucune envie ! s'écria-t-elle en dardant
sur Sebastian un regard furieux. Comment avez-vous osé raconter à
Xavier ce tissu de mensonges à mon sujet?
Sebastian tressailht.
— Il vous en a parlé?
— Que vous imaginiez-vous ? C'est mon mari.
Pour sa propre tranquillité d'esprit, elle avait besoin de savoir
exactement ce qu'il avait raconté à Xavier dix ans auparavant.
— Avez-vous réellement osé prétendre que j'avais couché avec
vous?
— Je suis désolé.
Il avait au moins la décence de prendre un air piteux, songea-t-elle.
— Pourquoi avez-vous fait cela?
— Vous ne devinez pas ? questionna-t-il d'un ton désabusé. Vous
êtes aussi belle qu'intelligente. Dès que je vous ai vue dans
l'appartement, j'ai compris que vous étiez différente des conquêtes
habituelles de Xavier. J'ai tout de suite su que vous représentiez une
menace sérieuse pour ma sœur Catia, qui était amoureuse de lui
depuis des années.
— Vous avez prétendu qu'ils étaient fiancés. Vous m'avez dit qu'elle
était vierge, selon la tradition. Que Xavier respectait son innocence
et qu'il s'accordait quelques aventures sans lendemain avant le
mariage.
Comme tout cela sonnait faux ! Avec le recul, elle en prenait
conscience. Comment avait-elle pu se montrer assez sotte pour
gober ces inepties ?
Sébastian laissa échapper un rire amer.
— J'aurais bien aimé que ce soit vrai ! Catia avait couché avec
Xavier des années auparavant, mais il ne l'avait jamais prise au
sérieux, en grande partie parce qu'il n'était ni son premier ni son
dernier amant. Cette semaine-là, à Barcelone, elle espérait le
conquérir pour de bon. Mais lorsque vous m'avez montré la clé, j'ai
tout de suite compris qu'il fallait que je me débarrasse de vous.
Alors j'ai inventé cette histoire de fausse clé. J'ai supposé que vous
n'oseriez pas l'essayer et j'ai eu raison.
Rose secoua la tête, atterrée.
— Et l'accident de voiture?
— C'est arrivé alors que Xavier se rendait à votre hôtel. J'étais
dans la voiture avec lui et j'essayais de le convaincre de renoncer.
Mais il ne voulait pas croire que vous aviez laissé la clé sans donner
d'explication. Tout à coup, un conducteur ivre qui roulait à
contresens nous est rentré dedans. La voiture de Xavier n'a pas été
très endommagée, mais il a été brûlé en extirpant l'homme de l'autre
véhicule.
— Mon Dieu! murmura Rose. Et lorsqu'il a repris connaissance,
vous lui avez fait croire que j'étais au courant mais que je refusais de
le voir.
— Oui. Avant de perdre connaissance, il m'a demandé de vous
appeler à votre hôtel.
— L'avez-vous fait?
— Oui. Mais vous étiez déjà partie.
Il y eut un léger craquement dans les buissons derrière eux.
Sébastian tourna la tête.
— Qu'est-ce que c'est?
— Peu importe! répliqua-t-elle avec impatience. Qu'avez-vous dit à
Xavier?
— Que vous ne vouliez plus entendre parler de lui, reconnut-il en
haussant les épaules. Il est resté à l'hôpital pendant plusieurs
semaines, avec Catia à son chevet. Trois mois plus tard, quand
vous avez cherché à le joindre, j'ai paniqué. JJ était rétabli et voulait
vous retrouver pour vous dire vos quatre vérités. Comme je
n'arrivais pas à le dissuader de le faire, j'ai fini par avouer comme à
contrecœur que nous avions couché ensemble.
Rose écarquilla les yeux, épouvantée. Le machiavélisme de cet
homme dépassait l'entendement !
— Vous devez me comprendre, supplia-t-il en lui saisissant le bras.
J'ai été obligé d'agir ainsi pour protéger ma sœur. Xavier était la
dernière chance de Catia. Les rumeurs les plus déshonorantes
commençaient à courir à son sujet.
— Si je comprends bien, quand vous m'avez rappelée pour
m'annoncer que Xavier se mariait la semaine suivante, c'était
également un mensonge ?
— Oui. Mais de toute façon, après ma révélation sur notre
supposée liaison, il n'a plus jamais fait une seule allusion à vous. Et
quelques mois plus tard, il épousait réellement Catia.
Rose ferma les yeux un instant. Tous ces mensonges, la mort d'un
enfant, et tout ça pour quoi ? Jetant un coup d'œil au visage défait
de Sébastian, elle demanda avec amertume :
— Pourquoi m'avouez-vous tout cela aujourd'hui, dix ans trop tard
? Ce n'est sûrement pas votre conscience qui vous torture.
Manifestement, vous n'en avez pas.
— J'aimerais connaître la réponse, moi aussi. Stupéfaite, Rose se
retourna brusquement.
— Xavier, que fais-tu ici?
Le visage crispé, il lança d'un ton sec :
— Retourne près de nos invités. Moi, je m'occupe de lui.
Rose hésita. Elle regarda alternativement les deux hommes.
Sébastian fixait Xavier d'un air de défi. Xavier dardait sur Sébastian
un regard meurtrier. On aurait dit deux fauves sur le point de
s'entre-dévorer ! Mais que lui importait, après tout? Il était trop
tard, désormais. Profondément abattue, elle haussa les épaules et
regagna la maison.
Saisissant une coupe de Champagne sur le plateau d'un serveur, elle
la vida d'un seul trait. Puis, se reprenant, elle se mêla aux invités
pour recevoir les condoléances des amis de don Pablo.
— Rosalyn, ma chère.
Le Dr Cervantes s'avança vers elle.
— Je suis obligé de partir, mais je voulais d'abord vous exprimer
une fois encore ma gratitude. Don Pablo a eu beaucoup de chance
de vous avoir près de lui et il en était conscient. Que Dieu garde son
âme en paix. Vous avez adouci ses derniers jours.
Rose sourit au vieil homme. Son émotion était sincère.
— Merci. Et merci d'être venu.
— C'est à moi de vous remercier. Je me fais vieux, trop vieux pour
travailler à plein temps. Plus tard, il faudra que nous discutions, tous
les deux. J'ai besoin d'un associé — ou d'une associée. Quelqu'un
de jeune. Vous avez fait des progrès remarquables en espagnol
grâce à don Pablo. Alors réfléchissez-y.
— Je n'y manquerai pas, promit-elle avant de lui souhaiter une
bonne nuit.
Non seulement cet homme était touchant, mais sa proposition
méritait qu'elle y réfléchisse, se dit-elle.
En l'espace d'une heure, la plupart des invités prirent congé. Rose
aperçut la haute silhouette de Xavier. Sacolère était retombée.
Etait-ce la proposition du Dr Cervantes? L'avenir ne lui paraissait
plus aussi sombre.
Par ailleurs, plus elle pensait aux révélations de Sébastian, plus elle
reprenait espoir. Si Xavier et elle discutaient franchement, peut-être
avaient-ils une chance de sauver leur mariage. Cependant,
lorsqu'elle le vit faire ses adieux à Isabelle, elle perdit ses illusions.
Comment pouvait-eUe être si naïve? Rien n'avait changé... Il serrait
tendrement la jeune femme dans ses bras. Lorsqu'il se redressa, son
regard croisa le sien. Avec un pincement au cœur, elle le vit
s'avancer vers elle.
— Rosalyn, dit-il en la prenant par le coude, il est temps de saluer
nos derniers invités.
— Maintenant que ta petite amie Isabelle est partie, compléta-t-elle
d'un ton sarcastique.
— Elle n'est pas ma petite amie et ne l'a jamais été, répliqua-t-il
avec raideur. A présent, fais-moi le plaisir de me prendre le bras et
déjouer ton rôle d'hôtesse à mon côté jusqu'au bout, à la mémoire
de mon père.
Elle pouvait difficilement refuser... Une fois tout le monde parti, elle
posa la question qui lui brûlait les lèvres.
— Qu'est-il arrivé à Sébastian ?
— Rien qui puisse t'intéresser, déclara-t-il d'un ton morne.
Sans la regarder, il ajouta :
— Maintenant, si tu veux bien m'excuser, la journée a été rude et
j'ai encore plusieurs choses à régler.
Dans sa hâte à quitter le hall, il la bouscula.
Il disparut dans son bureau et claqua la porte derrière lui. Les
révélations de Sébastian n'avaient en rien modifié son
comportement. Il ne l'aimait pas... Il ne l'avait jamais aimée...
Mieux valait regarder la vérité en face : Xavier ne la désirait plus.
Cela faisait trois semaines qu'il ne l'avait pas touchée. Il avait passé
toutes ses journées dehors, ne revenant que le soir pour passer un
moment en compagnie de son père. Et lorsque Rose entrait dans la
chambre du malade, il s'en allait. Quant à la façon dont il avait
étreint Isabelle tout à l'heure, elle en disait long... Mais qu'il passe
son temps avec sa maîtresse ou avec Isabelle, quelle importance? Il
lui avait juré fidélité et il avait rompu sa promesse.
Refoulant ses larmes, Rose promena un regard triste sur le hall.
C'était la fin d'une époque. Don Pablo n'était plus et elle se
retrouvait bien seule. Si seulement elle pouvait retourner en Afrique
et oublier les mois qui venaient de s'écouler... Mais ce n'était pas
aussi simple. Avait-elle le droit de rompre le serment qu'elle avait
fait au vieillard mourant parce que son mari l'avait trahie ?
Profondément troublée, elle s'avança à pas lents jusqu'à la cuisine et
se laissa tomber sur une chaise. Quelle journée ! Aurait-elle
l'énergie suffisante pour se traîner jusqu'à sa chambre? En tout cas,
elle n'avait pas la force d'affronter son mari. Au bout d'un long
moment, elle finit par se lever et quitta la pièce.
Elle était en train de traverser le hall lorsqu'elle entendit un
hurlement, suivi par un fracas de verre brisé. Le bureau ! Sans
réfléchir, elle courut vers la porte de ce dernier et l'ouvrit.
Xavier était effondré sur le canapé, la tête dans les mains, les
épaules secouées de sanglots. Sur le sol de mosaïque, à côté d'une
veste et d'une cravate, étaient éparpillés les éclats d'une bouteille
brisée. Une flaque de hquide ambré répandait une odeur de cognac.
— Xavier, murmura-t-elle.
Enfin, il s'abandonnait à son chagrin! Elle se précipita auprès de lui
et lui passa un bras autour des épaules.
Il releva la tête et tourna vers elle des yeux baignés de larmes.
— Rosalyn, tu es toujours là?
— Chut... Laisse-toi aller. Il n'y a pas de honte à pleurer, murmura-
t-elle d'une voix apaisante.
Son cœur débordait de compassion. Cet homme d'ordinaire
arrogant et invulnérable, anéanti par la mort de son père... C'était un
spectacle déchirant.
D'un geste tendre, il remit en place une mèche cuivrée qui lui
tombait sur le front.
— Je ne peux pas te mentir, dit-il en lui prenant le menton. Ce n'est
pas la mort de mon père qui me cause un tel chagrin. C'est toi.
Comment peux-tu encore m'adresser la parole après la façon dont
je me suis comporté avec toi ? Tu dois me haïr.
Le cœur de Rose se mit à palpiter plus intensément : il pleurait à
cause d'elle ?
— Jamais je ne pourrai te haïr, dit-elle d'une voix tremblante
d'émotion, n'osant dévoiler la nature de ses sentiments.
Xavier la dévisagea longuement.
— Mais pourras-tu jamais m'aimer? demanda-t-il d'une voix altérée
par le chagrin.
Il y avait une telle détresse dans son regard que Rose en resta
muette.
— Non, bien sûr, dit-il en se levant. Je n'ai même pas le droit de te
poser cette question. Je n'ai aucun droit sur toi puisque j'ai cru les
mensonges de Sébastian. En te retrouvant, je t'ai soumise à cet
odieux chantage pour t'obliger à m'épouser. Dios ! Je n'arrive pas à
croire que tu sois encore là. J'étais persuadé que tu quitterais cette
maison dès la fin de la réception. Je me suis enfermé ici avec
l'intention de me soûler pour éviter de te voir partir.
Il eut un rictus désabusé.
— Même ça, je n'en ai pas été capable. J'ai cassé la bouteille.
Lentement, Rose se leva à son tour et posa la main sur son bras.
— Tu veux que je m'en aille ? Il déglutit péniblement.
— Non. Non! Je t'aime! Je t'aime depuis le premier jour.
A ces mots qu'elle rêvait d'entendre depuis si longtemps, Rose
sentit son cœur se gonfler d'une joie indicible.
— Je t'aime depuis dix longues années, reprit-il d'une voix
étranglée. Mon premier mariage n'était qu'une imposture. Je n'ai
jamais aimé ma première femme et je n'aurais jamais dû l'épouser.
Et à présent que je t'ai enfin retrouvée, il est trop tard. Je t'aime trop
pour te retenir ici contre ton gré.
Rose se raidit.
— Qui choisirais-tu pour me remplacer? Isabelle ou ta maîtresse ?
Il fallait qu'elle lui pose la question. Elle ne pouvait pas faire
autrement! Cela faisait des semaines qu'elle se torturait en
l'imaginant dans les bras d'une autre femme.
Il plongea ses yeux ardents dans les siens.
— Jamais personne. Aucune femme ne peut prendre ta place,
Rosalyn. Tu dois le savoir. Tu dois bien le sentir quand je suis dans
tes bras, quand je me perds en toi.
— Mais ces dernières semaines...
— J'ai souffert comme un damné, coupa-t-il. Mon père t'adorait. Il
me l'a dit. Il était très heureux pour moi parce que j'avais enfin
trouvé la femme parfaite. Durant le peu de temps où il t'a côtoyée, il
a reconnu ta grandeur d'âme, ta nature compatissante et généreuse,
ton honnêteté. A ses yeux, tu étais pratiquement une sainte. Il a été
capable de voir ce que je refusais d'admettre. Après notre séjour à
Mar-beîla, je me suis senti le dernier des derniers. Au fond de moi,
je savais qu'il avait raison. Je n'avais pas besoin d'entendre la
confession de Sébastian. Je savais déjà que tu ne pouvais pas avoir
commis les fautes dont je t'accusais. Je ressentais simultanément un
amour sans bornes pour toi et une culpabilité écrasante. C'est pour
cette raison que je me suis enfui à Séville.
— Oh, Xavier.
— Non, laisse-moi finir. A mon retour, lorsque j'ai vu comment tu
prenais soin de mon père, j'ai été submergé par un tel dégoût de
moi-même que je n'ai plus osé te toucher, et encore moins t'avouer
mon amour. Je ne te méritais pas et j'avais une peur panique de te
perdre une deuxième fois.
Rose n'arrivait pas à croire à son bonheur. Jamais dans ses rêves
les plus insensés elle n'avait espéré une telle déclaration !
— Non seulement je n'ai pas l'intention de m'enfuir, mais je t'aime,
avoua-t-elle enfin. Depuis le premier jour, moi aussi.
Il se figea et dans son regard éteint s'alluma une étincelle dorée.
— Rosalyn, ta es sérieuse ? Ne joue pas avec moi, je t'en supplie.
Je n'aurai pas la force de le supporter.
Nouant les bras autour de son cou, elle murmura :
— Je n'ai jamais été aussi sérieuse. Je t'aime, Xavier. Deux bras
puissants se refermèrent sur ses épaules.
— J'ai du mal à te croire, mais je ne vais pas prendre le risque de te
laisser changer d'avis. J'ai besoin de toi, Rosalyn. Je ne pourrais
plus vivre sans toi, déclara-t-il d'un ton grave, avant de capturer ses
lèvres avec une passion qui révélait l'intensité de ses sentiments.
Puis il la prit dans ses bras et l'emmena jusqu'à la chambre. Après
l'avoir reposée sur ses pieds, il déboutonna fiévreusement sa robe,
tandis qu'avec la même impatience elle le débarrassait de sa
chemise. Bientôt nus tous les deux, ils tombèrent sur le ht et leurs
bouches s'unirent avec une ardeur fébrile, presque désespérée.
Rose noua les mains autour de sa nuque. Il lui semblait que des
siècles s'étaient écoulés depuis leur dernier baiser ! Après cette
journée de deuil et de chagrin, cette étreinte fut pour eux une
manière d'affirmer que la vie continuait. Us se laissèrent emporter
dans un océan de tendresse et de volupté qui scellait leur amour
enfin avoué : un plaisir intense pour leurs corps consumés de désir
et un baume apaisant pour leurs âmes meurtries.
Bien plus tard, blottie dans ses bras, elle demanda d'une voix
alanguie :
— Qu'est devenu Sébastian ?
— Malgré une furieuse envie de le tuer, j'ai réussi à me maîtriser et
je me suis contenté d'un bon direct du gauche. Quand je pense à
toutes ces années perdues...
Il la serra plus fort dans ses bras, frottant son menton contre le
sommet de son crâne.
— Me pardonneras-tu jamais pour mon manque de confiance? Je
n'aurais jamais dû l'écouter.
— Je suis aussi fautive que toi. Moi aussi je l'ai cru.
— Tu n'avais que dix-neuf ans, objecta-t-il. J'étais bien plus âgé
que toi, je n'aurais pas dû me laisser influencer. Mais il y a encore
une chose que je ne comprends pas. Pourquoi as-tu téléphoné à
Sébastian trois mois après m'avoir quitté?
C'était justement la question qu'elle redoutait... Mais elle lui devait la
vérité. Ses yeux émeraude s'assombrirent.
— Un mois après mon retour en Angleterre, je me suis rendu
compte que j'étais enceinte. J'avais un appartement à moi et
suffisamment d'argent pour vivre. Je me suis dit que je pourrais très
bien élever cet enfant seule. Mais au fil des semaines, j'ai commencé
à me sentir de plus en plus déprimée et j'ai pensé que tu avais le
droit de savoir. Alors j'ai fini par me décider à téléphoner à
Barcelone. Lorsque Sébastian m'a répondu, je lui ai simplement dit
que j'avais besoin de te parler et que c'était urgent, mais je n'ai pas
précisé pourquoi. Il m'a rappelé peu de temps après pour
m'annoncer que ta te mariais la semaine suivante et que tu ne voulais
plus entendre parler de moi.
Rose s'interrompit et leva les yeux vers lui. Son visage était
impassible.
— Continue.
Oh non! Il devait croire qu'elle s'était débarrassée de leur enfant...
— Le même jour, j'ai... j'ai commencé à saigner, balbutia-t-elle.
C'était encore tellement douloureux d'en parler !
— J'ai été hospitalisée en urgence le soir même et j'ai fait une fausse
couche. Trop d'émotions sans doute...
— Dios! s'écria Xavier. Si j'avais su, j'aurais tué ce misérable !
— C'est du passé, dit-elle d'une voix apaisante en lui caressant la
joue.
— Non.
Visiblement, il était en état de choc.
— Tu ne comprends pas. J'ai été marié pendant huit ans et Catia
n'est jamais tombée enceinte. Il est possible que mes chances de
concevoir un enfant soient minces. Ce qui tourmentait le plus mon
père, c'était justement de ne pas avoir de petits-enfants.
— Eh bien, s'il nous observe en ce moment, il doit avoir un sourire
ravi. Peut-être aurais-je dû te l'annoncer plus tôt. Lui, en tout cas, a
appris la bonne nouvelle la veille de sa mort. Je suis enceinte.
— Tu portes mon enfant !
Xavier promena sur son corps nu un regard extasié. Il posa
tendrement la main sur son ventre.
— Tu en es sûre? Rose éclata de rire.
— Je suis médecin!
Un sourire de joie et de fierté mêlées illumina son visage. Rose
passa tendrement la main dans ses cheveux noirs. C'était tellement
extraordinaire de le voir si heureux !
Inclinant la tête vers elle, il prit sa bouche dans un baiser fervent,
plein des promesses d'un avenir radieux.

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