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Un enfant de lui
Lorsqu'elle apprend qu'elle est enceinte, Philly sent la panique l'envahir. Il est si
difficile d'imaginer qu'à cause d'un seul moment de folie et d'égarement, sa vie va
changer pour toujours... Si difficile, surtout, de continuer à vivre comme si de rien
n'était et de soutenir le regard de son patron qu'elle aime en secret. Son patron qui
ignore qu'elle attend un enfant de lui et qu'elle est la mystérieuse inconnue qu'il a
aimée un soir, lors du bal masqué de l'entreprise, et qui s'est enfuie de peur qu'il
ne découvre son identité...
Chapitre 1.
Encore une journée qui démarrait sur les chapeaux de roues
! se dit Damien De Luca en se calant dans son fauteuil.
Il s'agissait sûrement de M. De Luca. Elle ne lui avait parlé qu'une fois au
téléphone. C'était au début, quand elle avait commencé à travailler dans
l'entreprise. Elle avait eu juste le temps d'échanger quelques mots avec lui avant
que Sam ne lui retire le récepteur des mains. Cependant, elle avait la certitude que
le timbre grave, le ton autoritaire appartenaient à celui que l'on appelait « Numéro
Uno. »
Elle sursauta et éprouva un vif sentiment d'irritation. Pour qui se prenait Numéro
Uno ? Pour Dieu le père ? Il avait beau être le patron et un génie en matière
d'affaires, elle n'était pas d'humeur aujourd'hui à supporter les hurlements d'un
égocentrique.
Après avoir aspiré une bouffée d'air, elle pressa le pas en direction de la porte
ouverte.
— Eh bien ? demanda la voix.
Elle s'arrêta sur le pas de la porte et distingua une silhouette haute, athlétique,
dressée près de la large baie, derrière le bureau.
Elle savait à quoi ressemblait Damien De Luca — il y avait dans le service où elle
travaillait un classeur plein de photographies le montrant à son bureau ou en
compagnie d'un employé, ou encore posant devant l'entrée de la tour qui abritait
les locaux de Delucatek.
Elle reconnut le regard incisif, les cheveux bruns, épais, les sourcils sombres, la
mâchoire carrée, la fossette au menton, les lèvres généreuses. Bien des vedettes
de cinéma auraient envié ses traits à cet homme, et même le recours à la chirurgie
plastique n'aurait pas réussi à façonner un visage aussi séduisant que le sien.
Oui, elle savait exactement à quoi il ressemblait. Cependant, un frisson la
parcourut de la tête aux pieds.
Aucun des portraits qu'elle avait vus n'avaient suscité en elle les sentiments qu'elle
éprouvait en cet instant : l'impression d'un danger imminent, de l'excitation...
Et peut-être, seulement peut-être, quelque chose de plus.
Chapitre 2.
— Qui êtes-vous ? demanda Damien d'un ton rogue.
La femme en tailleur gris se raidit, bouche bée, tandis que ses yeux le
dévisageaient. Elle serrait contre elle son dossier comme si elle avait voulu
disparaître derrière pour se protéger. Elle hésita un instant sur le seuil, avant de se
décider à risquer quelques pas en direction du bureau.
— Vous n'êtes pas Sam Morgan, accusa-t-il.
Les lèvres de l'inconnue se refermèrent, son menton se redressa. Ce geste ne fit
gagner que quelques millimètres à sa silhouette menue, mais ses yeux brillèrent
d'une lueur nouvelle quand ils soutinrent les siens. Puis elle arqua les sourcils et
sourit.
L'espace d'un instant, il se détendit. Finalement, cette fille n'était pas si mal malgré
sa tenue stricte. En fait elle était plutôt jolie, même si les lunettes à monture
d'écaillé et ses vêtements ternes ne plaidaient pas en sa faveur.
— Monsieur De Luca, dit sa visiteuse en inclinant la tête de côté, on m'a dit que
vous étiez un génie. Manifestement, on ne s'est pas trompé.
Elle avait parlé d'une voix légèrement rauque, émaillée d'intonations douces, et il
eut l'impression que ses mots ne traduisaient pas forcément un compliment.
— Effectivement, je ne suis pas Sam Morgan, poursuivait-elle. Je suis Philly
Summers. Ravie de vous rencontrer.
Il considéra la main qu'elle lui tendait puis reporta son attention sur le sourire
qu'elle arborait. Il avait la conviction qu'elle mentait. Elle n'était pas plus heureuse
de le rencontrer qu'il ne l'était de voir Mlle Gris Souris s'immiscer dans son bureau.
A quoi diable Sam pensait-il quand il lui avait envoyé cette mijaurée ?
Il finit par accepter sa main et la serra brièvement, tout en s'étonnant de la vigueur
avec laquelle cette femme si frêle répondait à son geste.
Il s'enfonça de nouveau dans son fauteuil de cuir, les bras sur les accoudoirs, un
stylo Mont Blanc entre les doigts.
— Où est Sam ?
— Chez lui, à présent, j'espère. Il a eu un malaise dans son bureau il y a une demi-
heure. On l'a renvoyé chez lui en taxi.
C'est une sorte de grippe qui sévit en ce moment.
— Et personne n'a pensé à me mettre au courant ?
— Je croyais qu'on vous avait prévenu.
— Eh bien non.
— Quoi qu'il en soit, monsieur De Luca, l'important, c'est que le projet vous soit
présenté aujourd'hui, même en l'absence de Sam. Parce que nous avons besoin
de votre accord rapidement si nous ne voulons pas prendre du retard pour le
lancement du nouveau produit.
Bon sang ! Cette fille avait-elle l'intention de l'impressionner en prenant l'initiative
des opérations ? Elle avait réussi.
Chacune de ses paroles était sensée.
Mais dans ce cas, pourquoi se sentait-il tellement contrarié ?
— Si seulement vous avez une petite idée de ce projet, je vous écoute, marmonna-
t-il. Asseyez-vous, je n'ai pas de temps à perdre.
Mlle Gris Souris serra les mâchoires mais resta debout.
— Je ferai de mon mieux pour ne pas vous faire perdre une seconde. Mais j'ai
besoin d'accéder à votre ordinateur. Le projet est enregistré. Cette copie...
Elle désigna le dossier qu'elle tenait.
— ... est pour vos archives.
Il haussa les épaules et désigna l'ordinateur sur son bureau.
— Je vous en prie, dit-il sans bouger d'un pouce. Je suis tout ouïe.
— Très bien, répliqua-t-elle en contournant le bureau pour atteindre l'appareil.
La jeune femme se tenait près de lui, maintenant. Si près qu'il pouvait respirer son
parfum. Un parfum doux et fruité, différent de ceux qu'il offrait à ses maîtresses.
Une fragrance neuve qu'il n'arrivait pas à identifier et qui mettait ses sens en éveil.
Quand elle se pencha vers l'écran, un effluve plus intense émana d'elle. Les
narines de Damien s'élargirent, frémissantes. L'abricot ? Oui, cette fille sentait
l'abricot.
C'était nouveau pour lui. Il n'avait rencontré de femme qui sentît l'abricot.
Philly percevait le regard aigu de son patron braqué sur elle et avait l'impression
qu'il traversait le mince lainage de son tailleur, mettant à nu chaque parcelle de sa
peau.
En cet instant, elle aurait volontiers envoyé au diable celui qu'on appelait « Numéro
Uno ».
N'avait-il pas conscience de la faveur qu'elle lui faisait en remplaçant Sam au pied
levé, alors qu'elle avait suffisamment de soucis dans sa vie privée ?
Mais en même temps, une foule de sensations étrangères au travail
l'envahissaient. Damien De Luca irradiait une aura de pure sensualité à laquelle
elle ne restait pas insensible. Et ce constat la gênait. Jusque-là, aucun de ses
employeurs ne lui avait fait prendre conscience à ce point qu'il était un homme.
Chapitre 8.
Chapitre 9.
Chapitre 10.
Chapitre 11.
Chapitre 12.
Chapitre 13.
!
Epilogue
Quelle journée ! Damien quitta l'autoroute, desserra sa cravate et goûta avec
volupté le souffle du vent dans ses cheveux. Il aurait pu garder le toit fermé et l'air
conditionné branche maintenant qu'il avait quitté la ville, il voulait sentir l'air autour
de lui, respirer les odeurs de la campagne brûlée par le soleil. Il voulait faire partie
intégrante de la nature.
A 2 heures de l'après-midi, il avait décrété il était plus important pour lui d'être à la
maison que de rester au bureau.
A vrai dire, rentrer tôt lui était devenu une habitude. Enid n'avait pas manqué de lui
en faire la remarque. Non pas qu'elle en fût contrariée, mais cela l'obligeait à
jongler avec les rendez-vous et à aménager son agenda en fonction de sa nouvelle
manière de vivre. Voilà deux ans, déjà, qu'il avait changé de rythme dans son
travail. Jamais il n'aurait pensé qu'il éprouverait de la satisfaction à passer autant
de temps en dehors de ses obligations professionnelles.
Ce bouleversement dans son existence, c'était à Philly qu'il le devait.
Il regarda la pendule du tableau de bord alors qu'il s'engageait dans l'allée de la
propriété. Formidable ! Il arrivait assez tôt pour embrasser son bout de chou
d'Anna avant qu'on ne la couche pour sa sieste.
Il trouva les femmes assises sur la terrasse ombragée. Une petite fille aux cheveux
bruns pataugeait avec délices dans un petit bassin installé entre elles. Dès qu'elle
l'aperçut, Anna tendit ses menottes vers lui en appelant « pa-pa, pa-pa » de sa
voix de bébé.
Il la souleva, toute nue et toute mouillée, et elle éclata de rire quand il fit claquer de
petits baisers sur sa peau.
— Tu es en avance, fit remarquer Philly tandis qu'il se penchait pour effleurer ses
lèvres.
— Comment pourrais-je rester au bureau en sachant que les trois femmes les plus
importantes de ma vie sont en train de s'amuser comme des petites folles ?
Damien ébouriffa les cheveux de sa fille, la vit bâiller et ses paupières s'alourdir.
— Oh, on a sommeil, ma puce, poursuivit-il. C'est l'heure pour toi d'aller au dodo,
ma princesse.
— Je l'emmène, proposa Daphné. Une petite sieste ne me fera pas de mal non
plus.
Sa robe bain de soleil ne cachait pas sa maigreur, mais son visage ne portait plus
les marques de la maladie. Elle enveloppa l'enfant dans une serviette-éponge
moelleuse, la laissa embrasser ses parents et s'éloigna.
Damien la regarda entrer dans la maison avant d'aider Philly à quitter son siège et
de l'entraîner vers la rambarde de la terrasse.
— C'est remarquable à quel point ta mère a changé, dit-il. On n'aurait jamais
imaginé il y a deux ans qu'elle serait assez forte pour porter un enfant dans ses
bras.
— Je sais, répondit Philly.
Elle s'accouda à la balustrade, les yeux fixés sur le jardin.
— Je sais qu'elle est loin d'avoir gagné la partie, mais elle résiste beaucoup
mieux. Les médecins n'en reviennent pas.
Ils pensent que c'est parce que son état d'esprit a changé : maintenant, elle permet
aux médicaments d'agir.
— Et toi ? demanda-t-il. Qu'est-ce que tu penses ?
Philly reporta le regard sur lui.
— Je pense que c'est un miracle, répondit-elle. Et ce miracle a quelque chose à
voir avec toi et avec ce que tu as fait pour ma famille.
— C'est vous, ma famille, à présent, affirma-t-il.
Du bout du doigt, il lui souleva le menton et posa ses lèvres sur les siennes.
— Pour toujours. Et je remercie les étoiles pour le jour où tu es entrée dans ma vie.
Je t'aime, Philly.
—
Je
t'aime
aussi,
murmura-t-elle
avant
qu'il
n'approfondisse son baiser.
Lorsque, enfin, leurs bouches se furent séparées. Damien sourit et posa sa paume
sur le ventre rond et ferme de sa femme.
— Et notre autre miracle ? demanda-t-il. Comment mon fils progresse-t-il ?
Elle rit.
— Tu es tellement sûr que c'est un garçon ! Peut-être as-tu raison, après tout ? A
en juger par la manière dont il donne des coups de pied... A mon avis, il s'entraîne
pour quand ce sera lui le patron. Exactement comme son papa.
Damien serra Philly plus étroitement contre lui.
— Tu ne te moques pas de moi, j'espère ? Quand je pense que je te prenais pour
une timide petite souris grise... Je te préviens, je te ferai payer la moindre
incartade.
— Ah oui ? s'exclama son épouse. Et quelle punition m'infligeras-tu ?
Il la considéra, les yeux scintillant d'amour et de désir.
— Une torture lente, délicieuse, répliqua-t-il en l'entraînant vers la maison. Jusqu'à
ce que tu me supplies d'arrêter.