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© 2006, Lee Wilkinson. © 2010,
Traduction française : Harlequin S.A.
83-85, boulevard Vincent-Auriol, 75013
PARIS — Tél. : 01 42 16 63 63
978-2-280-81560-4
Si vous achetez ce livre privé de tout ou partie de sa
couverture, nous vous signalons qu'il est en vente irrégulière. Il
est considéré comme « invendu » et l'éditeur comme l'auteur
n’ont reçu aucun paiement pour ce livre « détérioré ».
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise
sous le titre :
KEPT BY THE TYCOON
Traduction française de
ANNE DAUTUN
HARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin
et Azur ® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
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Chère lectrice,
N’est-ce pas au mois de mars, à l’issue d’un hiver qui semble
parfois s’éterniser, que nous commençons à guetter avec
impatience les premiers signes du printemps ? Mais, après tout,
pourquoi ne pas profiter encore un peu de ces journées
maussades pour savourer, bien au chaud, la lecture de vos
romans ? Ce mois-ci, je vous propose notamment une histoire de
Trish Morey qui vous dépaysera puisqu’elle se passe en grande
partie sous le soleil de la Méditerranée : Sous le charme du
souverain (n° 2978). Elle met en scène un héros forcé
d’accepter, malgré ses réticences, la couronne de Montvelatte, et
une héroïne amoureuse mais trop fière pour accepter de n’être
que la maîtresse du souverain. A moins… à moins que le désir et
les sentiments qui les poussent l’un vers l’autre ne les conduisent
tous deux dans des contrées qu’ils n’auraient jamais imaginées…
Ne manquez pas non plus le dernier volume de la trilogie de
Lynne Graham, « Secrets et passions », dans lequel bien des
secrets vont être dévoilés, et où vous ferez enfin la connaissance
de Molly, la demi-sœur perdue d’Ophélia (Sous l’emprise d’un
séducteur, n° 2983).
Egalement au rendez-vous du mois de mars : le troisième titre
de la série « Le royaume des Karedes » (La maîtresse secrète,
de Marion Lennox, n° 2984), qui se passe bien sûr sur l’île
d’Aristos, mais avec, en contrepoint, l’Australie et ses paysages
sublimes. Grâce à cette histoire à la fois bouleversante et pleine
d’espoir, marchez dans les pas d’un prince irrésistible, et d’une
future princesse charmante et peu conventionnelle.
Très bonne lecture !
La responsable de collection
1.
En cette fin d’après-midi, la salle de kinésithérapie de la
luxueuse Grizedale Clinic, dans le quartier londonien de Mayfair,
ressemblait à un havre de paix. Un vase de roses pourpres
répandait ses effluves odorants dans l’air, et la table de massage
en cuir noir, recouverte d’une toile immaculée, était prête pour le
prochain patient.
Vêtue d’un tailleur gris sur un chemisier de soie écrue, ses
longs cheveux blonds noués en queue-de-cheval, Madeleine était
à son bureau, occupée à compléter le dossier de sa dernière
patiente.
Un léger coup frappé à la porte lui fit lever la tête et son amie,
Eve, entra, impeccable dans son uniforme bleu, ses boucles
brunes soigneusement retenues par une barrette.
Madeleine connaissait Eve Collins et son frère Mark depuis
l’âge des jeux dans le bac à sable et c’était Eve qui avait
l’informée qu’un poste intéressant venait de se libérer à la
clinique.
— Je dois t’avertir, lui avait-elle dit, qu’il s’agit uniquement
d’un remplacement, Maddy. La titulaire est en congé de
maternité. Mais le salaire est satisfaisant et l’ambiance agréable.
Cela t’aiderait à te mettre à flot en attendant que tu te sois
constitué une vraie clientèle. A condition que tu sois prête à
travailler quatre soirs par semaine durant l’été…
— Cela ne me dérangera pas du tout, avait répondu
Madeleine, reconnaissante. L'argent sera le bienvenu, et
l’expérience profitable.
Ayant obtenu le poste, elle s’était mise à l’ouvrage sans tarder.
Il lui avait fallu renoncer à voir sa mère en soirée. Mais elle s’était
organisée pour lui rendre visite à la maison de repos entre deux
consultations.
Eve sourit à son amie en déposant sur le bureau des
documents administratifs. Puis, son regard bleu pétillant
d’excitation, elle annonça :
— Tu as un nouveau patient en salle d’attente. Un certain
Ryan Lombard. Quel physique ! Vraiment sublime. Grand, brun,
athlétique… avec un charme démentiel.
Amusée, Madeleine leva les yeux au ciel.
— Le dernier « beau gosse » que tu m’as annoncé avait des
boutons sur la figure et des pellicules !
— Je n’exagère pas, je t’assure ! Toutes les employées sont
excitées comme des puces ! Tu reconnaîtras que Thelma est
plutôt remontée contre les hommes, en général. Eh bien, il a suffi
qu’il lui sourie pour qu’elle fonde comme de la guimauve. Elle
était si perturbée qu’elle en a laissé tomber ses dossiers !
— Tu ferais mieux d’arrêter ton boniment et de m’envoyer ce
demi-dieu, sinon, je n’aurai pas le temps de l’examiner avant la
fermeture, ironisa Madeleine.
Eve s’éclipsa. Quelques instants plus tard, la porte se rouvrit
pour livrer passage au nouveau venu. Délaissant les notes qu’elle
achevait de rédiger, Madeleine leva les yeux vers lui.
L'homme qui était entré dégageait une impression de pouvoir,
d’assurance souveraine. A la vue de cet inconnu superbe, aux
traits hardis et pleins de caractère, elle eut l’impression que son
cœur cessait de battre, que son sang se figeait dans ses veines
sous l’effet du choc.
C'était comme si, jusqu’alors, elle n’avait fait que compter les
heures qui la séparaient de cette rencontre. Comme si elle n’avait
attendu que lui, et qu’il venait enfin combler le sentiment de vide
qui n’avait cessé de l’habiter, même à l’époque où elle était
mariée avec Colin.
Au lieu de se lancer dans un flot de propos volubiles, à l’instar
de la plupart des patients, il se contentait de rester immobile,
fixant sur elle ses yeux vert émeraude.
Au prix d’un gros effort, Madeleine s’efforçait de recouvrer
son sang-froid. L'effet que produisait l’inconnu sur elle était aussi
foudroyant que dévastateur ! D’instinct, elle sentait qu’elle devait
garder ses distances.
Pour la première fois, elle comprenait toute la portée de la
recommandation obstinée de ses professeurs : ne jamais
s’impliquer affectivement avec les patients. Et elle en mesurait
aussi… l’inefficacité !
Prenant une profonde inspiration, elle se leva et s’avança d’un
pas aussi assuré que possible, la main tendue.
— Bonjour, monsieur Lombard. Je suis Madeleine Knight…
Il lui serra fermement la main, en souriant et en la regardant
droit dans les yeux. Ce qui ne manqua pas de la troubler de plus
belle.
— Si j’ai bien compris, dit-elle, la gorge sèche, vous auriez
subi un traumatisme cervical. Quand cela est-il arrivé ?
— Voici deux ou trois heures, précisa-t-il d’une voix grave et
un peu rauque qui la fit frissonner. Depuis, j’éprouve une gêne
persistante. Je ne crois pas qu’il y ait lieu de s’inquiéter, mais on
m’a conseillé de consulter, pour m’assurer qu’il n’y avait pas de
lésion.
D’une voix mal assurée, elle s’enquit :
— Comment cela s’est-il produit ?
— Je tournais sur un circuit avec ma voiture de course lorsque
ma direction a lâché. Quand on est lancé à cette vitesse, les
balles de foin acquièrent une étrange solidité, acheva-t-il avec un
sourire.
S'efforçant de rester professionnelle, Madeleine poursuivit :
— Veuillez vous mettre torse nu et vous allonger, s’il vous
plaît. Nous allons voir ça.
Puis elle se concentra sur ses notes tandis qu’il ôtait son
veston et sa chemise, les suspendait au dossier d’un fauteuil et
s’étendait sur la table d’examen.
Ce fut seulement lorsqu’il fut prêt qu’elle osa relever les yeux.
Elle admira son dos musclé, la puissance racée de ses larges
épaules, et sa taille mince. Sa peau halée semblait douce,
évoquant presque une soie moirée. Et sa chevelure brune,
bouclant sur la nuque, avait quelque chose de follement sexy.
Elle s’approcha de la table, et, se concentrant sur sa tâche,
l’examina avec soin, d’un toucher à la fois sûr et délicat.
Il avait sûrement conscience de l’effet qu’il produisait sur les
femmes. Pourtant, il ne lança pas de plaisanteries déplacées, pas
plus qu’il ne tenta de faire la conversation. Il se contenta de
rester allongé, levant les bras et fléchissant ses muscles à sa
demande.
— Bien, fit-elle une fois l’examen terminé.
Elle se hâta de s’écarter tandis qu’il se redressait.
— Il y a une raideur musculaire dans la région de la nuque et
des épaules, reprit-elle. Mais aucun signe de véritable dommage.
D’ici à quelques jours, tout sera résorbé.
— Parfait, dit-il avec un sourire charmeur qui révéla ses dents
blanches parfaitement alignées.
Des fossettes creusèrent ses joues viriles, de fines lignes
apparurent au coin de ses yeux verts. Des yeux pareils auraient
donné un relief singulier même au plus ordinaire des visages. Et le
visage de cet homme-là était loin de l’être !
Elle détourna le regard avec effort, s’efforçant d’ignorer les
battements précipités de son cœur.
— Prenez tout le repos nécessaire ce week-end, lui conseilla-
t-elle. Je vous suggère d’effectuer ensuite une visite de contrôle
pour parer à tout imprévu.
Il la regarda droit dans les yeux.
— Très bien. Quand est-ce que je vous revois ? demanda-t-il.
Son regard intense, et la manière dont il avait formulé sa
question mirent aussitôt Madeleine sur ses gardes. Elle ne pouvait
pas revoir cet homme — fût-ce d’un point de vue professionnel.
Cela aurait équivalu à courtiser le danger ! A courir au désastre !
La clinique imposait à ses employés une règle draconienne :
maintenir une stricte distance avec les patients. Elle ne pouvait
pas se permettre de perdre son travail ! D’autant que les frais
des soins qu’elle devait assumer pour sa mère allaient croissant.
Elle fit mine d’étudier sa grille de rendez-vous avant de
s’enquérir :
— Est-ce que lundi à la même heure vous conviendrait?
Mme Plump, la kiné rondouillette et heureuse en ménage qui
assurait les consultations le lundi soir, prendrait soin de lui sans
encourir le moindre risque, pensa-t-elle.
— Cela me va à la perfection.
— Eh bien, alors, c’est entendu. Au revoir, monsieur
Lombard.
— Bonsoir, mademoiselle Knight. Je vous remercie beaucoup.
Sur ces mots, il gagna la porte et sortit. Ce fut un peu comme
s’il emportait avec lui la vitalité intense qu’il créait autour de lui, et
elle pensa avec mélancolie : « Ainsi va la vie… »
Elle se rassit à son bureau, hantée par la vision de son visage
bronzé et attirant, et se mit en devoir de coucher ses
observations médicales dans son dossier.
Un moment plus tard, Eve frappa à la porte et entra, la
surprenant alors qu’elle avait le regard perdu dans le vague.
— Je me demandais si tu étais encore là. Presque tout le
monde est parti.
« Mais moi, personne ne m’attend à la maison », songea
Madeleine, peu pressée de rejoindre son appartement pour un
dîner en solitaire.
Eve reprit :
— Alors ? Comment as-tu trouvé Ryan Lombard ?
— Aussi beau que tu l’avais annoncé, concéda Madeleine,
s’efforçant d’adopter un ton léger.
— S'il n’y avait que ça ! s’exclama son amie. D’après Joanne,
qui connaît tous les potins, il est le patron de Charn Industries. Il
est l’héritier de Christopher Charn, son parrain. Donc, Ryan
Lombard est milliardaire ! Et toujours célibataire, en plus ! Il a
apparemment réussi à éviter qu’on lui mette le grappin dessus.
Un vrai défi en soi, non ? Si j’avais la moindre chance de réussir,
je le relèverais sans hésiter. Après tout, un milliardaire vaut bien
qu’on risque de perdre sa place !
Eve marqua un temps d’arrêt, puis continua :
— Enfin… à condition de croire aux miracles ! Il y a peu de
chances qu’il s’intéresse à une fille comme moi. Avec un
physique pareil et ce charme infernal, il doit avoir toutes les
femmes à ses pieds !
Eve avait très certainement raison sur ce point… Réprimant un
soupir, Madeleine refoula Ryan Lombard au fin fond de son
esprit.
— Bon, je me sauve, déclara Eve. J’ai rendez-vous avec
Dave. A mardi prochain ! Ne passe pas tout ton week-end à la
maison de santé, surtout. Essaie de te distraire un peu !
— C'est promis.
Depuis que sa mère souffrait d’un grave traumatisme crânien à
la suite de l’explosion de gaz qui avait anéanti leur maison,
Madeleine avait passé le plus clair de son temps libre à son
chevet. Assise auprès du corps figé de la malade, elle lui parlait
ou lui faisait la lecture, sans même avoir la certitude d’être
entendue ou comprise.
C'était dur pour elle.
Tout comme avait pesé lourd la mort de Colin, son mari,
disparu dans la même catastrophe.
Un drame dont elle ne pouvait rejeter le blâme que sur elle-
même…
A mesure que les semaines avaient passé, ses amis s’étaient
éloignés, fuyant sa tristesse. Seuls Eve et Mark étaient restés
fidèles. Avec sa gaieté et son tempérament terrien, Eve lui avait
apporté un précieux soutien émotionnel. Quant à Mark, il l’avait
tout d’abord aidée à retrouver un toit. Et puis il l’avait emmenée
au restaurant pour l’inciter à se nourrir, lui avait remonté le moral
de son mieux tandis qu’elle s’efforçait de rassembler les débris
épars de son existence.
Mark était le premier à admettre qu’il n’était pas très fort pour
étancher les pleurs. Il avait, en revanche, le don de la faire rire,
de l’amener à oublier, ne fût-ce que quelques instants, la tragédie
de sa vie.
Aujourd’hui, il lui manquait, depuis que la compagnie
pétrolière qui l’employait l’avait muté à l’étranger. Elle regrettait
son appui généreux, son humour impertinent, sa décontraction.
Il manquait une présence masculine dans sa vie.
Depuis qu’elle était seule, plusieurs hommes avaient tenté de
lui faire la cour. Mais, consciente que sa situation s’opposait à la
réussite d’une nouvelle relation, elle avait maintenu ses distances.
Certes, elle savait qu’il était temps d’aller de l’avant !
Cependant, aucun homme n’avait exercé sur elle d’attirance
assez puissante pour la pousser à saisir sa chance, et être le
catalyseur du renouveau de son existence.
Jusqu’à aujourd’hui.
Or, cette nouvelle attirance, si violente qu’elle fût, était inutile
et vaine.
Elle soupira. Il était grand temps qu’elle quitte la clinique !
Après avoir refermé la fenêtre, elle prit son sac à bandoulière et
sortit par une porte latérale pour se diriger vers la grille.
Lorsqu’il pleuvait, elle regagnait en bus son appartement de
Knightsbridge. Mais, par beau temps, comme aujourd’hui, elle
rentrait à pied. Pourtant, en s’engageant dans Grizedale Street,
elle se sentait plutôt abattue, peu enthousiaste à l’idée
d’accomplir une demi-heure de marche.
Au moment où elle allait dépasser une limousine bleu nuit
garée le long du trottoir, la portière arrière s’ouvrit, et un
passager descendit du véhicule. Gênée par le soleil couchant, qui
plaçait en contre-jour la haute silhouette surgie devant elle,
Madeleine mit un instant à identifier l’homme qui lui barrait le
passage.
Ryan Lombard.
Elle s’immobilisa, figée d’étonnement.
— Je me suis dit que j’aurais peut-être la chance de vous
cueillir au passage, si j’étais patient, dit-il. Seriez-vous d’accord
pour dîner avec moi ?
Déstabilisée, elle balbutia :
— N… non… mais merci.
— J’ai été stupide de vous prendre ainsi par surprise. Mais
puisque je reconnais ma bêtise, fit-il en riant, accepterez-vous de
revenir sur votre décision ? Vous pourrez rire à mes dépens !
— J’y renonce, dit-elle en souriant.
— Allons, acceptez ! Je vous assure que je ne mords pas.
— Désolée, mais c’est toujours non.
— Puis-je connaître la raison de ce refus ?
Il déployait tant de charme qu’elle se sentait troublée.
— La clinique exige qu’il n’y ait aucune familiarité entre le
personnel et les clients, et qu’ils n’entretiennent pas de relations
personnelles, expliqua-t-elle d’un ton embarrassé.
— Soyez assurée que je saurai garder le secret s’il s’installe
de la familiarité entre nous, affirma-t-il avec une légère ironie.
— Je ne suis pas habillée comme il convient pour sortir…
— Moi, je vous trouve parfaite.
Elle n’eut pas le loisir de protester davantage. La tenant par le
coude, il l’entraînait déjà jusqu’à la limousine et l’incitait à se
glisser sur le siège arrière. Il s’assit à côté d’elle. Puis,
galamment, il se pencha vers elle pour boucler sa ceinture avant
d’en faire autant. Alors que sa cuisse virile entrait en contact avec
la sienne, elle fut envahie par un trouble intense.
Ryan perçut sa réaction, et se déplaça pour rétablir un espace
entre elle et lui. Il le sentait, il ne fallait pas brusquer les choses…
Le soleil qui filtrait dans la voiture avivait l’éclat des prunelles
aigue-marine, semées de paillettes dorées, de la jeune femme, et
exaltait son teint de pêche. Réprimant une envie folle de caresser
sa joue veloutée, Ryan demanda du ton le plus léger qu’il put :
— Il y a un endroit qui vous tente plus particulièrement?
— Non, je…, ne put que balbutier Madeleine.
Seigneur, jamais elle n’aurait dû se trouver là !
Après avoir appuyé sur un bouton, Ryan Lombard dit au
chauffeur :
— Roulez un moment, Michael.
La voiture démarra en douceur. Se sentant presque «
kidnappée », Madeleine bredouilla faiblement :
— Qu’est-ce qui vous a… ?
— ... poussé à tenter ma chance ? suggéra-t-il. Ma
détermination. Si j’avais été sûr de vous revoir, je n’aurais sans
doute pas provoqué le destin. Mais, après m’être discrètement
informé et avoir découvert que vous n’étiez pas là le lundi, j’en
suis arrivé à la conclusion que cela ne pouvait avoir que deux
significations : soit j’étais un patient que vous ne vous souciiez
pas de revoir…, soit j’étais susceptible de vous intéresser, mais,
vu les exigences de la clinique, vous préfériez marquer vos
distances. J’ai espéré que la seconde hypothèse était la bonne.
Madeleine s’efforça de dompter un élan d’excitation. Il s’était
exprimé avec prudence. Mais son aplomb révélait qu’il était sûr
de lui. Et la manière dont elle s’était laissé entraîner n’avait pu
que renforcer sa conviction !
En fait, l’attirance entre eux avait la puissance d’un champ
magnétique. Cela, elle le sentait. Cependant, elle n’avait pas
oublié les commentaires d’Eve sur l’ascendant que Ryan devait
exercer sur les femmes… Peu désireuse de lui laisser croire
qu’elle était du genre à lui tomber dans les bras, elle s’efforça de
prendre une expression détachée.
— Cela ouvre tout un champ de possibilités, reprit-il avec un
sourire. Et je suis ravi que vous soyez libre de les explorer.
— Qu’est-ce qui vous prouve que je le suis ? répliqua-t-elle.
— Pour commencer, vous ne portez pas d’alliance…
— Cela ne signifie rien, de nos jours.
— C'est juste. Aussi ai-je « cuisiné » votre collègue.
— Laquelle ?
— La jolie brune qui m’a d’abord reçu. Je l’ai vue sortir de la
clinique et je lui ai parlé. Elle s’appelle Eve, n’est-ce pas ? Si j’ai
bien compris, c’est votre meilleure amie.
Sans honte aucune, il ajouta :
— Je lui ai soutiré des informations à votre sujet.
— Quel genre d’informations ? demanda-t-elle, tendue.
— Il me fallait savoir si vous étiez mariée ou engagée dans une
relation stable. Elle m’a appris que vous étiez veuve, et que vous
viviez seule. Il me semblait impossible qu’une femme aussi belle
que vous soit célibataire. Mais elle a paru certaine qu’il n’y avait
aucun homme dans votre vie.
Comme Madeleine se contentait de le dévisager, il demanda :
— Donc, vous n’avez pas de petit ami ? Personne ne vous
attend à la maison, c’est bien ça ?
— Non, reconnut-elle, incapable de mentir.
— Alors, je peux m’autoriser à penser que vous préférez
dîner avec moi plutôt que seule ?
La voyant toujours silencieuse, il se montra plus pressant :
— Allons, avouez, ne fût-ce que pour apaiser mon fragile ego!
Elle sourit malgré elle. Ce sourire rendait sa beauté vibrante de
vie, et faisait pétiller les paillettes dorées de ses yeux. Fasciné par
ce spectacle, Ryan la contempla, tandis qu’elle répliquait avec
une vivacité un peu sèche :
— J’ai la nette impression que votre ego se porte à ravir!
— J’ai affaire à une femme d’esprit, à ce que je vois !
commenta-t-il en riant. Alors, où aimeriez-vous aller ?
— Je n’ai aucune préférence. Je vous laisse choisir.
« Il a une très belle bouche », pensa Madeleine. Une bouche
qui exprimait un mélange fascinant de sensualité, de maîtrise de
soi et de sensibilité.
Ryan donna ses instructions au chauffeur avec une sensation
de triomphe. Le premier obstacle était franchi !
— Au Xanadu, Michael, s’il vous plaît.
Il lui fallait s’interdire de toucher cette femme tout de suite, il
en était conscient. Pourtant, il ne put s’empêcher de saisir sa
main et, caressant sa paume du bout du pouce, il continua d’une
voix douce :
— Reconnaissez que c’est un cadre idéal pour une soirée
romantique.
« Mon Dieu, tout va trop vite ! » pensa Madeleine avec un
frisson. Elle retira sa main, puis, pour se donner une contenance,
elle se détourna et regarda par la vitre.
Elle n’avait pas tout à fait recouvré une respiration régulière
lorsqu’ils franchirent les hautes grilles en fer forgé et se garèrent
devant le célèbre restaurant de Mayfair.
Ancienne demeure privée, le Xanadu avait l’allure d’une
hacienda espagnole. Il se dressait à l’abri de jardins subtilement
éclairés, où grands arbres et buissons, associés à de belles
pelouses, offraient un cadre aussi discret qu’enchanteur.
Le chauffeur, un homme d’âge mûr, descendit pour leur ouvrir
la portière.
— Ne vous donnez pas la peine d’attendre, dit Ryan. Rentrez
donc retrouver votre femme, Michael.
— Merci, répondit ce dernier avec gratitude. Bonsoir,
monsieur. Madame…
Ryan poussa la double porte d’entrée du Xanadu avec
l’aisance qui le caractérisait. Dès le vestibule, il fut débarrassé de
son pardessus, et ce fut le directeur en personne qui les accueillit.
— Bonsoir, monsieur Lombard… Madame… C'est un plaisir
de vous voir, monsieur. Vous désirez être placé à votre table
habituelle ?
— Oui, Henri, s’il vous plaît.
« Sa table habituelle ? » pensa Madeleine. « A-t-il coutume
d’amener ses conquêtes ici ? »
Le maître d’hôtel s’approcha, et, les précédant au travers
d’une série d’arches voûtées, les mena à une table retirée, dans
un coin de l’élégante salle aux murs blancs.
Les hautes fenêtres donnant sur le jardin étaient grandes
ouvertes, laissant pénétrer le parfum vespéral des roses et du
chèvrefeuille. Quelques étoiles et un mince croissant de lune
argenté ponctuaient déjà le ciel bleu nuit.
C'était en effet un lieu merveilleusement romantique, pensa
Madeleine.
Tandis qu’ils savouraient un apéritif, elle tenta de se concentrer
sur le menu. Pourtant, en dépit d’elle-même, elle ne cessait de
regarder son compagnon à la dérobée.
Avec sa fossette au menton, sa bouche à la fois ascétique et
sensuelle, son nez droit, ses hautes pommettes, ses yeux
émeraude frangés de cils épais et ses sourcils bruns d’un arc
parfait, il était mieux que beau : fascinant.
Ce n’était pas seulement une question de physique, à vrai dire.
Il y avait en lui quelque chose… qu’elle n’aurait su définir. Mais
en tout cas, cela comblait un besoin en elle. Elle avait la sensation
d’être à sa place auprès de lui, comme si elle l’avait connu depuis
toujours, comme s’ils étaient faits pour être ensemble.
Pendant qu’ils savouraient l’excellent repas, il aborda des
sujets variés, explorant leurs centres d’intérêt communs, quêtant
son avis. Et, bien qu’elle fût troublée par sa présence, par
l’attirance brûlante qui circulait entre eux, elle se surprit à
répondre avec facilité et aisance.
Cependant, lorsqu’ils en furent au café, il s’aventura sur un
terrain plus glissant.
— Parlez-moi de votre mari.
Aussitôt tendue, elle observa :
— Il n’y a pas grand-chose à en dire.
— Comment s’appelait-il ?
— Colin. Colin Formby.
— Vous avez conservé votre nom de jeune fille ?
— Oui. C'est ce que voulait ma famille, énonça-t-elle d’une
voix calme.
— Vous êtes fille unique, c’est ça ?
— Oui.
Ryan se carra sur son siège, puis demanda après une pause :
— Votre mari travaillait dans quel domaine ?
— Il était physiothérapeute.
— Et vous vous êtes connus comment ?
— A l’université, lâcha-t-elle, fuyant le regard perçant et
intense qu’il posait sur elle.
— Vous étiez de la même promotion ?
— Non. J’étais en dernière année d’études. Colin était chargé
de cours.
— Il était plus âgé que vous, alors ? s’enquit Ryan, intrigué.
— Il avait dix-huit ans de plus.
— C'est une grande différence.
— Oui, dit-elle laconiquement.
Elle avait toujours pensé que cela n’avait pas la moindre
importance. Tout aurait été différent si elle avait véritablement
aimé Colin.
Ryan la sentit mal à l’aise, mais il brûlait d’en savoir davantage
aussi poursuivit-il :
— Combien de temps êtes-vous restés mariés ?
— Six mois.
— Très peu de temps, alors.
— Certes, murmura-t-elle.
Il marqua un temps d’arrêt, conscient qu’il l’amenait à aborder
quelque chose de pénible.
— Comment est-il mort ?
— Dans une explosion.
— C'est dur, dit-il, réprimant les questions qui lui montaient
aux lèvres.
— Ça l’a été, oui.
Il lut de la tristesse dans son regard comme elle levait enfin les
yeux vers lui. Et aussi, une autre émotion qu’il n’aurait pas su
préciser. Mais il ne s’agissait pas, il en était certain, du chagrin
insondable, de la désolation infinie de quelqu’un qui a tout perdu.
Il en fut soulagé. Il avait redouté, en apprenant qu’il n’y avait
pas d’homme dans sa vie, qu’elle fût encore éprise de son mari
disparu. Les courants qu’il captait à présent lui indiquaient qu’il
s’était trompé.
Tant mieux, cela augmentait ses chances de réussite.
Il lui resservit du café, puis, avec aisance, changea de sujet :
— Que faites-vous de votre temps libre ? Seriez-vous une
accro de la télévision ?
De nouveau détendue, elle répondit en riant :
— Non ! Je préfère de beaucoup la lecture.
— Ah ! Vous êtes une femme selon mon cœur, alors ! Avez-
vous lu Funny Business, de Matthew Colt ?
— Oh, oui ! J’adore le passage où Joe essaie de voler le
caniche de son ex-femme…
Ils parlèrent de l’ouvrage, riant à l’évocation des passages
qu’ils avaient trouvés les plus drôles. Madeleine finit par observer
:
— J’ai lu qu’il allait être adapté au théâtre.
— Il paraît, oui. Cela promet d’être amusant… Vous aimez le
théâtre ?
— J’adore.
— Avez-vous vu cette nouvelle pièce à Covent Garden dont
tout le monde parle ?
— Mon impresario préféré ?
Elle secoua la tête.
— J’imagine que les places se vendent à prix d’or.
— Si vous avez envie de la voir, je peux obtenir deux billets
sans grande difficulté.
Elle sentit son cœur battre à grands coups, et lutta contre la
tentation de répondre « oui ». Elle était déjà folle d’avoir accepté
ce dîner ! Ryan Lombard n’avait sans doute en vue qu’une brève
aventure. La plupart des femmes auraient sans doute sauté à
pieds joints sur une telle occasion, mais ce n’était pas du tout son
style.
De plus, cela pouvait lui coûter son travail.
— Je vous remercie, mais non.
— Comment dois-je interpréter cette réponse ? insista-t-il.
Vous n’avez pas envie de la voir ? Ou vous n’avez pas envie d’y
aller avec moi ?
Madeleine eut l’impression d’être acculée au bout d’une voie
sans issue. Redressant le menton, elle répondit avec le plus de
calme possible :
— Je ne suis pas très disponible. Et je ne désire pas
m’engager.
Ryan avait deviné d’emblée qu’il n’apprivoiserait pas aisément
cette femme, mais il prit conscience que la tâche serait encore
plus ardue qu’il ne l’avait cru. Pour autant, dès qu’il l’avait vue, il
l’avait désirée avec une violence passionnée qui l’avait surpris.
Voire déstabilisé. Aussi était-il résolu à parvenir à ses fins, quoi
qu’il lui en coûte.
Cependant, il aurait commis une erreur stratégique de taille en
se montrant insistant ! pensa-t-il. D’un geste désinvolte, il
concéda sa défaite, puis aiguilla la conversation sur un sujet
moins périlleux.
Pourtant, en notant le soulagement de la jeune femme, une
question le taraudait. Pourquoit était-elle ainsi sur ses gardes, si
réticente à se lier ?
Mais la nuit commençait à peine, il lui restait du temps pour la
faire changer d’avis !
Au moment où ils se levèrent pour quitter les lieux, Ryan sentit
que la jeune femme était si détendue qu’elle n’avait aucune envie
de partir…
Il l’escorta au-dehors.
Le taxi qu’il avait fait demander les attendait. Plaçant une main
au creux de son dos, il l’entraîna vers la voiture. Puis, quand ils
furent installés à l’arrière, il s’enquit :
— Selon Mlle Collins, vous habitez Knightsbridge. Où,
exactement ?
Elle lui donna son adresse. A l’instant où ils s’engageaient dans
le trafic londonien, Ryan se tourna vers elle et plongea son regard
dans le sien.
Troublée, légèrement essoufflée, Madeleine avait l’impression
de faire un rêve éveillé.
Alors, emprisonnant son visage entre ses paumes, Ryan inclina
la tête et déposa un baiser sur ses lèvres. Si fugitive qu’elle fût, la
caresse la bouleversa, éveillant en elle une émotion infinie.
Ryan s’écarta d’elle.
— Et voilà. C'est ce que vous avez redouté toute la soirée.
Pourtant, cela n’avait rien de si effrayant, n’est-ce pas ?
Elle se contenta de le dévisager.
— Je peux donc recommencer ? reprit-il.
— Je n’y tiens pas, mumura-t-elle.
— Soit.
Mais il l’embrassa de nouveau. Cette fois, il n’était plus
question d’une caresse légère et fugitive ! Et, comme elle
entrouvrait les lèvres sous la pression des siennes, il imprima un
tour passionné à son baiser jusqu’à ce qu’elle en ait le vertige.
La sentant prête à s’abandonner, il murmura :
— Mon appartement est tout près. Je vous offre un dernier
verre ?
— Il est tard, objecta-t-elle d’une voix tremblante. Je dois
rentrer me coucher.
— Justement, je ne pense qu’à ça… Il existe une telle alchimie
entre nous…
— Je ne suis pas tentée par les aventures sans lendemain…
— Qui parle d’une nuit ? répliqua Ryan. Mille et une nuits ne
suffiraient sans doute pas à me rassasier.
Elle baissa les yeux. Pour la première fois de sa vie, elle était
follement tentée de suivre les conseils répétés d’Eve, qui lui disait
toujours : « Vis donc un peu, bon sang ! »
Mais son éternel sentiment de culpabilité vint à son secours, lui
rappelant qu’elle ne pouvait se permettre de céder à cet homme.
Une liaison avec lui comporterait trop de risques, financiers et…
émotionnels.
Prenant une profonde inspiration, elle déclara :
— Je ne veux pas coucher avec vous. Je veux rentrer. S'il
vous plaît.
2.
Elle s’était attendue à une réaction de dépit, à de l’insistance.
Il n’en fut rien. Sans manifester ni déception ni déplaisir, Ryan
concéda :
— Soit. Si c’est ce que vous voulez.
Soulagée, elle se détendit. Mais c’était avoir compté sans son
obstination !
— Mais vous accepterez de dîner avec moi demain ? reprit-il.
Le beau temps va durer, à en croire la météo. Nous pourrions
pique-niquer ? Je connais un endroit merveilleux pour ça.
— Je crains de ne pouvoir venir.
— Pourtant, vous ne travaillez pas le samedi ?
— Non, mais j’ai à faire. Mon ménage… mes courses…
Elle achetait toujours de menus présents pour sa mère avant
de prendre le bus pour la maison de santé, en début d’après-
midi.
— Les courses et le ménage peuvent attendre, non ? Il serait
beaucoup plus agréable de partir en excursion à la campagne.
Se remémorant le sort de sa mère et de Colin, l’amertume de
la culpabilité lui monta à la bouche, et elle déclara d’un ton
tranchant :
— Il n’y a pas que l’amusement, dans la vie !
Voyant passer une ombre sur le visage de Ryan, elle regretta
sa sortie.
— Désolée, s’excusa-t-elle. Ce n’était pas très aimable de ma
part.
— Certes, dit-il, emprisonnant sous ses doigts la main qu’elle
avait posée sur sa manche dans un geste de contrition. Mais vous
n’avez pas à l’être avec moi. Je préfère l’honnêteté…
Sa réponse surprit la jeune femme. Aucun des hommes qu’elle
avait approchés n’avait attaché de valeur particulière à la
franchise !
— Si vous me disiez plutôt, continua-t-il, pourquoi vous êtes si
bouleversée à l’idée de vous détendre un peu ?
Cela, elle ne pouvait se résoudre à le lui confesser ! Elle
n’avait pu s’en ouvrir à personne. Pas même à Eve et à Mark!
— Vous vous trompez, fit-elle en retirant vivement sa main.
C'est juste que…
— Vous me trouvez antipathique ?
— Ce n’est pas ça du tout ! répondit-elle étourdiment.
— Quoi, alors ?
— Je… je n’ai pas de temps pour m’attacher…
— Je ne vous demande que quelques heures ! Si vous êtes
occupée demain matin, nous pouvons nous voir dans l’après-
midi.
— Je suis prise à partir de 14 h 30.
— Et quand serez-vous rentrée ?
— Aux environs de 18 heures, lâcha-t-elle.
— Dînez avec moi, alors.
Tandis qu’elle cherchait vainement un faux prétexte, ils
pénétrèrent dans Danetree Court, un quartier à l’ancienne, sur
une place ombragée. Ils se garèrent devant son appartement en
rez-de-jardin, et, cherchant fébrilement sa clé dans son sac, elle
déclara :
— Inutile de me raccompagner jusqu’à ma porte.
Ignorant cette injonction, Ryan, ayant prié le chauffeur
d’attendre, l’escorta sur le trottoir. A la lumière ambrée du
réverbère, il ouvrit la porte à sa place puis lui rendit la clé.
Son visage viril n’était qu’à quelques centimètres du sien, et il
aurait suffi d’un rien pour que leurs lèvres s’effleurent. Cette seule
idée la troubla.
— Merci pour cette soirée, dit-elle en reculant. C'était très
agréable.
— Je suis content que cela vous ait plu. Nous pourrions aller
chez Annabel’s, demain soir…
Madeleine hésita, partagée entre la nécessité de mettre fin à
cette rencontre et le désir de la prolonger, de revoir cet homme.
La sentant vaciller, Ryan déclara avec fermeté :
— Je passe vous prendre à 19 h 30.
— Entendu, concéda-t-elle.
Comme il haussait ironiquement les sourcils à cet
acquiescement sans enthousiasme, elle ajouta :
— J’en serai ravie. Bon, eh bien… bonne nuit, Ryan.
C'était la première fois qu’elle utilisait son prénom et elle se
délecta de ses sonorités dans sa bouche.
— Bonne nuit, Madeleine. Dormez bien.
Mais au lieu de faire demi-tour comme elle s’y attendait, il
demeura immobile, la fixant du regard. Elle aurait dû entrer chez
elle et refermer sa porte. Pourtant, comme fascinée par son
regard intense qui attisait la tension sensuelle circulant entre eux,
elle demeura sans bouger lorsqu’il inclina la tête et l’embrassa.
Il l’attira contre lui, promenant ses lèvres sur les siennes.
Quand il tenta d’approfondir leur baiser, elle ouvrit la bouche
sans résister. Il lui dispensa alors une caresse brûlante qui la
laissa sans force. Son cœur se mit à battre à grands coups
désordonnés. Un désir dévastateur la submergea. Elle avait
presque perdu l’esprit quand il libéra sa bouche, un instant plus
tard, et murmura d’une voix rauque :
— Tu es si belle… J’ai hâte de te sentir nue contre moi, de te
faire l’amour…
Les yeux rivés aux siens, dans la pénombre, elle se sentit
incapable de lui opposer un refus.
— C'est ce que tu veux aussi ? murmura-t-il.
Elle hocha la tête. Puis elle patienta, rongée de nervosité,
fébrile, tandis qu’il payait la course. Dès qu’il l’eut rejointe, il
reprit sa bouche, la grisant d’un baiser plus doux que le miel, plus
capiteux qu’un grand vin. Et, tout en l’embrassant, il leur fit
franchir le seuil, refermant la porte d’un léger coup de pied.
Il continua à meurtrir ses lèvres dans la pénombre, retirant à
tâtons la barrette qui maintenait sa longue chevelure blonde. Elle
entendit son murmure étranglé de satisfaction alors que la masse
soyeuse se dénouait entre ses doigts virils.
Ses mains fermes et douces à la fois se promenèrent sur son
corps et il souffla au creux de son oreille :
— Jamais je n’ai eu envie d’une femme à ce point…
Emportée dans un tourbillon sensuel, elle savoura des mots,
des sensations, des saveurs qui lui étaient inconnues. Sans même
qu’elle ait eu le temps de s’en rendre compte, il avait ouvert son
chemisier et dégagé la bretelle de son soutien-gorge. Il effleura
avec son pouce la pointe d’un de ses seins dressée. Comme elle
lâchait un gémissement étranglé, il s’inclina à demi et happa la
pointe entre ses lèvres, la titillant et la mordillant en une délicieuse
torture.
N’y tenant bientôt plus, la jeune femme le repoussa, lui prit la
main, et l’entraîna vers sa chambre. Quand elle entendit le déclic
de la porte qui se refermait, une voix intérieure lui lança en guise
d’avertissement : « Tu es folle ! Cela ne te ressemble pas ! »
Mais elle avait déjà franchi le point de non-retour, et n’avait
aucune envie d’écouter sa raison ! Gagnant la fenêtre, elle tira sur
le cordon du store vénitien ; les lattes rabattues à l’oblique
épaissirent les ténèbres de la chambre.
Un instant, elle perçut l’éclat intense de ses prunelles, dans le
noir. Puis Ryan actionna l’interrupteur de la lampe de chevet, et
un halo de lumière ambrée naquit dans l’angle de la pièce.
Il aperçut sur le chevet une photo d’elle, à côté d’un homme
souriant, aux cheveux clairs. Il la saisit, et demanda avec
circonspection :
— C'est ton mari ?
— Oh, non, c’est Mark, répondit-elle sans réfléchir. Il est au
Moyen-Orient, en ce moment. Il travaille dans la pétrochimie.
— Un ex ?
— Un ami.
Ryan reposa la photo avec soin, puis se tourna vers elle. Elle
s’attendait qu’il se montre pressant, peu soucieux des
préliminaires. Pourtant, il dit avec douceur, sans manifester la
moindre hâte :
— Déshabille-toi, je t’en prie. J’ai envie que tu le fasses pour
moi.
Comme ensorcelée, elle obéit. Mais, en dépit de son regard
approbateur, elle se sentit rougir lorsqu’elle se retrouva devant lui
dans le plus simple appareil. Le désir n’annihilait pas sa pudeur…
Ryan émit un bruit de gorge expressif en la découvrant dans sa
nudité. Puis il entreprit de se dévêtir à son tour, et elle
expérimenta le même trouble que lui… Quand il étendit la main
en un signe d’invite, elle se rapprocha docilement. Il s’allongea
sur le lit avec elle. Puis, redressé sur un coude, il étendit un bras
pour la caresser, s’attarda sur un de ses seins.
— Tu es ravissante, dit-il. Je n’ai jamais rien vu d’aussi exquis.
Colin n’avait pas été un amant très excitant. Il n’avait jamais
fait preuve, ni d’une libido très affirmée, ni de beaucoup de
savoir-faire. Il avait préféré lui faire l’amour dans le noir, et ne
l’avait jamais touchée ainsi ! En réalité, il avait plutôt fui les
contacts, trouvant qu’il y avait de la honte à se montrer sensuel, à
prendre du plaisir.
De toute évidence, Ryan n’avait pas ces inhibitions…
— Tu sens la fleur de pommier, murmura-t-il.
Il promena ses lèvres sur sa peau, allumant de petits brasiers
sur sa chair, l’amenant à frissonner délicieusement. Elle
s’abandonna à ces sensations, goûta les caresses hardies que sa
main habile, glissée entre ses cuisses, dispensait au cœur de sa
féminité.
Mais ce tourment exquis ne tarda pas à se révéler presque
intolérable pour la jeune femme, et elle se contorsionna et gémit,
en proie à un violent désir de le sentir en lui. Répondant à son
appel, il l’amena à se retourner, attira intimement jusqu’à lui ses
hanches rondes. Puis il la pénétra, et ils se livrèrent à une danse
sensuelle et rythmée qui les mena ensemble vers les hauteurs
vertigineuses du plaisir.
Epuisés, comblés, ils demeurèrent un moment l’un contre
l’autre, leurs cœurs battant la chamade. Puis leurs respirations
s’apaisèrent.
Ryan la tourna alors face à lui et l’enlaça tendrement.
Comme elle avait été mariée, sa timidité tout comme la façon
dont elle avait réagi à ses caresses l’avaient déconcerté. Elle avait
ressenti du plaisir, de toute évidence. Mais il aurait juré qu’elle
éprouvait aussi de la gratitude. Avait-elle eu un partenaire
maladroit ? Ou tout simplement indifférent ?
Elle capta son air rembruni et demanda avec une certaine
anxiété :
— Je t’ai déçu ?
— Au contraire, dit-il en l’embrassant avec tendresse. Tu es
spéciale, et je suis flatté que tu m’aies accueilli dans ton lit.
Il fut soulagé de la voir se détendre, et la ramena contre lui,
logeant sa jolie tête contre son épaule.
Elle se laissa aller, épuisée par l’intensité de leur échange, mais
en même temps extatique, follement heureuse.
Elle n’aurait jamais cru que l’amour — oui, c’était forcément
de l’amour, ce sentiment si violent — pouvait éclore et fleurir si
vite. Il ne s’agissait pas de frustration enfin comblée, ou
d’alchimie sensuelle. Non, c’était autre chose. Bien plus fort, bien
plus vaste.
Leur osmose semblait totale, aussi bien physiquement que
mentalement, pensa-t-elle en sombrant peu à peu dans le
sommeil. Elle avait trouvé sans le chercher l’homme qui lui
convenait en tout point, son âme sœur.
***
Le travail ne manquait pas, à la clinique sportive. Madeleine
s’absorba dans sa tâche, qui était gratifiante. Peu à peu,
l’amertume de sa désillusion sentimentale, de la trahison de Ryan,
qu’elle avait cru loyal et digne de foi, commença à s’atténuer,
même si le souvenir en siégeait toujours dans un recoin de son
esprit.
Cependant, lorsque Alan Bannerman rejoignit leur équipe, le
plus dur de la crise était passé. La douceur d’Alan, sa charmante
timidité la touchèrent. Après l’avoir côtoyé pendant un mois ou
deux, elle accepta un rendez-vous. Ce fut un compagnon
agréable qui lui fit oublier sa solitude. Après trois mois de
fréquentation, il la demanda en mariage.
Elle fut surprise par l’ardeur de sa requête. Lui qu’elle avait
cru placide, peu enclin aux émotions fortes ! Elle lui demanda un
temps de réflexion et il accepta de patienter une semaine. Ils
dîneraient ensemble le samedi suivant, elle lui donnerait alors sa
réponse…
Le samedi matin venu, toutefois, elle n’avait toujours pas
réussi à prendre une résolution. Elle décida de téléphoner à Eve.
Son amie l’aiderait sûrement à se décider !
Eve fut ravie de l’entendre. Elles échangèrent quelques propos
affectueux, puis Madeleine lui annonça qu’elle avait un conseil à
lui demander. Lorsque Madeleine eut terminé son récit, Eve
s’écria :
— Un homme beau, honnête et fiable demande ta main, et tu
appelles ça un problème ? Alors que l’homme de ma vie a enfin
emménagé chez moi, mais qu’il n’y a toujours pas moyen de
l’amener à s’engager ! Mais bon…, je te comprends. Le
mariage, c’est capital. Ce doit être terrible de ne pas savoir où
on en est sur ce point !
Madeleine ne put s’empêcher de rire. Elle protesta pourtant :
— Eve, sois sérieuse une minute. J’ai un vrai problème.
— Comment est-il au lit ? demanda abruptement son amie.
— Je n’en sais rien, avoua Madeleine.
— Tu l’as tenu à distance, si je comprends bien. C'est
compréhensible après ce qui t’est arrivé. Mais ce ne serait pas
une mauvaise idée de savoir si vous vous entendez sur le plan
sexuel avant d’envisager de te laisser passer la bague au doigt !
— Justement, soupira Madeleine, j’aime bien Alan, mais il ne
m’inspire pas de passion.
— Je m’en doutais. Tu n’hésiterais pas à l’épouser, sinon.
Tu… tu penses toujours à Ryan, n’est-ce pas? Tu l’aimes
encore.
— Non ! s’insurgea Madeleine.
Prenant conscience que sa véhémence était révélatrice, elle
réitéra plus sobrement :
— Non, je ne suis plus amoureuse de lui.
— Mais tu n’as pas surmonté votre rupture.
— Cela n’a rien à voir avec Ryan !
— Pff ! Cela a tout à voir, au contraire !
— Je te jure que c’est du passé. C'est fini, et bien fini.
— Soit, je te crois. Alors, qu’attends-tu de moi ?
— Je voudrais ton opinion sincère. Est-ce que tu penses que
je dois épouser Alan ?
— Si tu as besoin de mon avis, c’est que tu ne l’aimes pas
suffisamment. Donc, tu ne dois pas te marier avec lui.
La simplicité de cette réponse soulagea Madeleine.
— Merci, dit-elle. Tu as tout à fait raison, je m’en rends
compte. Il ne serait pas loyal de l’épouser. Je lui ferai part de
mon refus ce soir. Nous dînons ensemble.
— Et ensuite ? Si vous travaillez ensemble, cela pourrait créer
des difficultés.
— Je sais…, répondit Madeleine, tout en réfléchissant. Le
mieux serait de donner ma démission, et de chercher un autre
job.
— Je suis d’accord. Cela lui permettra d’encaisser cet échec,
et d’aller de l’avant, approuva Eve.
Comme Madeleine poussait un cri étranglé sous l’effet du
choc, son amie commenta avec calme :
— Il faut savoir se montrer cruel pour être bon, parfois. Si tu
restais, tu ne lui rendrais certes pas service ! Alors, comment te
sens-tu, maintenant que tout est éclairci ?
— Je n’en sais trop rien. Je suis soulagée… un peu triste… et
assez déstabilisée. Et puis, entendre ta voix a réveillé mon mal du
pays…
— Voilà plus d’un an que tu es partie, Maddy. Si tu rentrais
chez nous ?
A peine Eve eut-elle prononcé ces mots que Madeleine eut
très envie de regagner Londres. Mais Londres était aussi la ville
de Ryan ! Elle pouvait tomber sur lui par hasard, et, même si ce
risque était minime, elle n’en supportait pas l’idée. En fait, cela lui
donnait la chair de poule !
Sentant son désarroi, Eve décida d’aborder franchement le
sujet.
— A moins que tu ne redoutes de tomber sur Ryan ?
— Eh bien, je…
— Londres est une grande ville, Maddy. Et puis, vous ne
fréquentez pas les mêmes milieux.
— C'est juste... Au fait, il est sûrement marié à Fiona.
— Je suppose. Je n’ai rien vu dans les journaux, mais je ne lis
pratiquement jamais les articles « people ». Alors, c’est oui ? Tu
rentres ?
— J’aimerais bien… Mais je n’ai presque pas d’économies, il
faudra que je trouve un travail. Et un appartement.
— Tu pourras dormir chez moi en attendant, je viens
d’acheter un divan-lit. Dave n’y verra aucune objection. Quant
au boulot, tu peux toujours prendre une clientèle privée jusqu’à
ce que tu aies trouvé le poste qui te convient. Il faut que tu ailles
de l’avant, Maddy !
— Je sais !
— Eh bien, je vais voir demain à la clinique quels clients ont
besoin d’un suivi à domicile. Je te tiendrai au courant… Bon,
avant de raccrocher, j’aimerais te passer quelqu’un. Il dort sur
mon divan en attendant d’avoir trouvé un job, justement.
Madeleine entendit presque aussitôt une voix familière au bout
du fil :
— Salut, la belle !
— Mark ! s’exclama-t-elle. Je suis si contente de t’entendre!
— Ah, je le savais bien ! Dépêche-toi de revenir. Tu seras
encore plus emballée de me voir en chair et en os !
Rieuse, Madeleine observa :
— Je ne savais pas que tu étais rentré.
— Pour de bon, en plus. Prêt à me rendre au bureau tous les
jours.
— Encore une de tes blagues, rétorqua Madeleine,
parfaitement incrédule.
— Je t’assure que non. Je vais vraiment essayer.
— Y a-t-il une raison particulière à ce changement radical?
— Tu te demandes s’il y a une femme derrière ça ? La
réponse est oui. Elle s’appelle Zoé, elle a une silhouette de rêve,
des cheveux noirs, des yeux chocolat. Ajoute qu’elle a bon
caractère, qu’elle est intelligente, loyale, et qu’elle pense que je
suis la huitième merveille du monde, plastronna Mark.
— Pas étonnant, tu as toujours su te vendre, plaisanta
Madeleine. Tu es le roi des bonimenteurs. Tâche de lui cacher
tes défauts le plus longtemps possible !
— Des défauts, moi ? fit mine de s’indigner Mark. Comme
tous les hommes, je suis parfait ! Mais bon, je te pardonne. A
condition que tu reviennes le plus vite possible.
— J’en ai l’intention.
— Y a-t-il une chance que tu sois là pour les fêtes ? Je parie
que nous aurons un Noël blanc, cette année. Notre rêve
d’enfance à tous les trois.
— Oui…, murmura Madeleine, nostalgique. Mais Noël, c’est
dans trois jours ! Je ne crois pas pouvoir être à Londres avant le
nouvel an. Je vous tiens au courant.
— Je compte sur toi ! A bientôt.
Madeleine raccrocha avec un soupir. Elle était sûre, à présent,
qu’elle allait rentrer en Angleterre. Son départ porterait un coup
à son oncle et à sa tante. Et elle n’avait pas plus envie de leur
annoncer cette nouvelle que d’opposer un refus à Alan. Mais il
fallait le faire.
***
Le lendemain matin, cependant, alors qu’elle savourait seule
un somptueux petit déjeuner apprêté par Ryan — qui le lui avait
apporté au lit —, elle tenta de réfléchir.
On était à la veille de Noël, et il ne lui avait pas caché qu’il
aurait aimé passer les fêtes à Hethersage, avec elle. « En tant que
simple invitée », avait-il souligné. Touchée par sa prévenance, sa
délicatesse, elle avait eu toutes les peines du monde à ne pas le
rappeler auprès d’elle lorsqu’il s’était éclipsé…
Elle regrettait amèrement de ne pas avoir eu confiance en lui,
et d’avoir détruit ce qu’ils auraient pu continuer à partager. Mais
personne ne pouvait revenir en arrière. Le passé était le passé.
Une seule option s’ouvrait à elle, désormais : aller de l’avant. Ou
du moins, essayer.
Alors, se sentait-elle prête à rester près de Ryan, et à lui
donner ce qu’il attendait ? Pouvait-elle accepter une vie
commune alors qu’elle l’aimait et que son amour n’était pas
partagé ?
Après tout, elle n’était pas tenue de trancher tout de suite. Elle
pouvait passer tranquillement Noël à Hethersage… C'était une
bonne occasion de faire le point, non ?
Posant le plateau sur le chevet, elle se doucha et se prépara
rapidement. Puis elle revint vers le plateau, où Ryan avait disposé
une rose pourpre à peine éclose, au parfum capiteux. Elle
enveloppa la tige dans du coton humide, glissa la fleur dans son
sac. Puis elle saisit son manteau, l’écrin à bijoux, et passa dans le
séjour.
Debout près de la baie vitrée, Ryan contemplait le patio
enneigé. Il semblait tendu. Quand il se retourna lentement vers
elle, elle avança jusqu’à lui et lui remit l’écrin.
— Cela signifie-t-il que tu as décidé de ne pas venir ?
— Je… j’accepte de venir en tant qu’invitée.
Le soupir de soulagement qu’il poussa était à peine audible,
mais pourtant Madeleine le perçut parfaitement.