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BENOÎT BORRITS, AU-DELÀ DE LA PROPRIÉTÉ

La Découverte, 2018, 248 p., 19 €

Louise Roblin

C.E.R.A.S | « Revue Projet »


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2019/1 N° 368 | pages 90 à 92
ISSN 0033-0884
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-projet-2019-1-page-90.htm
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| LECTURE |

des employés au contrôle de leur travail, il


convient de s’y intéresser. Mais plutôt que les
Benoît Borrits
coopératives d’usagers ou de salariés (associa-

AU-DELÀ DE
tions de producteurs ou d’ouvriers), l’auteur
défend les coopératives multicollèges : « En

LA PROPRIÉTÉ
associant usagers et travailleurs dans la ges-
tion commune d’une entreprise, on permet
[…] un élargissement de la notion de service
La Découverte, 2018, 248 p., 19 €
public au sens étymologique du terme : on ne
Voilà de longues années que Benoît Borrits produit plus pour mettre en valeur un capi-
défend les coopératives et l’autogestion. C’est tal mais pour répondre à un besoin social et
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d’ailleurs par là qu’il commence, rappelant que l’ensemble des parties prenantes est impliqué
c’est dans le mouvement coopératif que s’est dans ce processus. »
élaborée la première tentative de dépassement Contrairement au modèle de l’entreprise, où
de la propriété privée, le sujet de cet ouvrage. la totalité des fonds propres relève du régime
Mais pourquoi remettre en cause cette der- de la propriété privée, ceux de la forme co-
nière ? D’abord parce que le modèle sociétal opérative sont constitués de parts sociales et
qui lui est corrélé montre ses limites (la crise de réserves impartageables – et seules les parts
sociale et écologique le rappelle tragiquement), sociales relèvent de la propriété privée. L’angle,
mais aussi parce que, pour Borrits, aucune on le comprend bien vite, est post-marxiste (la
forme de propriété étatique n’a réussi. Lorsqu’il possession des moyens de production doit être
possède des moyens de production, l’État (et collective) et post-proudhonien (la propriété,
donc la couche sociale qui le contrôle) « se c’est le vol). Mais le mouvement coopératif ne
comporte toujours en propriétaire en monopo- suffit pas, puisqu’il « ne remet pas en cause
lisant la fonction de décision ». La coopérative le fondement du capital. Il se contente de le
elle-même a tendance à s’autonomiser par déclarer second en instituant des règles qui
rapport aux usagers. Faut-il, alors, en revenir dérogent à sa vocation originelle » (dont celle,
à l’hypothèse de la non-propriété (à la suite par exemple, d’une voix par personne plutôt
de Proudhon, des communards, ou des révo- qu’une voix par action). Ainsi, une propriété
lutionnaires espagnols) ? L’auteur prouve par collective reste une propriété qui, ne concer-
une analyse historique que cette voie-là non nant pas les non-membres de la coopérative,
plus n’est pas féconde et qu’il faut chercher la leur apparaît comme privée.
solution dans la gouvernance des entreprises. Malgré ces limites, Benoît Borrits prend le
L’autogestion comme point de départ, donc. temps d’étudier l’apparition de l’autogestion
Et puisque ce mouvement croît sensiblement dans les socialismes du XIXe siècle, qui pro-
ces dernières années (53 850 personnes étaient posent des initiatives innovantes. Les débats
employées par des coopératives en 2016, sont concentrés sur le rôle de l’État : peut-il
alors qu’elles étaient 36 000 en 2005) et qu’il devenir le cadre d’une propriété collective
semble répondre aux nouvelles aspirations qui serait alors vraiment une alternative à

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la propriété privée sous toutes ses formes, y et d’appropriation développée sur la base de
compris coopérative ? L’auteur met ainsi en la coactivité. »
lumière trois grandes approches. Celle d’une Cette notion de « biens sociaux » est reprise par
« étatisation de l’économie réalisant la pro- la Confédération française démocratique du
priété collective comme propriété étatique ». travail (CFDT) dès 1966. Elle refuse toute jus-
Celle « qui préconise la destruction de l’État et tification du droit de propriété sur les moyens
son remplacement par des conseils souverains de production, pour prôner une « propriété
de travailleurs organisés du bas vers le haut sociale » et une gestion par les travailleurs
sans rien laisser subsister de la propriété ». Une eux-mêmes. Quant aux biens de production,
tentative, enfin, « de constituer l’État comme ils doivent appartenir à tous.
cadre de réalisation d’une propriété collective L’approche autogestionnaire sera de même
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dont la gestion serait confiée aux travailleurs, très présente lors des débats de Mai 68, ainsi
et éventuellement aux usagers, gestion qui qu’au sein du Parti socialiste unifié (PSU), puis
devrait ouvrir la perspective du dépassement du Programme commun (1972). Toute une aile
de l’État ». de la CFDT et du PSU propose ainsi la notion
Ces approches ont eu un écho dans les expé- de « dépropriation », pensée par Pierre Rosan-
riences mises en place au XXe siècle, en par- vallon : non pas la substitution du propriétaire
ticulier la propriété collective par l’État en individuel des moyens de production par un
URSS, le modèle conseilliste de la révolution propriétaire collectif, mais un vrai dépassement
espagnole (dans lequel les travailleurs s’em- de la notion de propriété (privée comme éta-
parent des moyens de production et se coor- tique). Cependant, il n’y a là « aucune remise
donnent afin de définir un plan commun) et le en cause de la propriété mais simplement un
modèle yougoslave d’autogestion des moyens démembrement des droits de la propriété clas-
de production par les travailleurs, qui dura sique – usus, fructus, abusus – entre différents
de 1950 aux années 1980. Trois expériences niveaux de décision ».
(URSS, Espagne, Yougoslavie), qui permettent Benoît Borrits tourne alors son attention
à Borrits d’évaluer « la faisabilité de la vision vers un autre phénomène, apparemment
conseilliste d’une planification du bas vers le plus modeste : la socialisation des revenus au
haut », en tant que seules véritables tentatives XXe siècle. L’invention des cotisations sociales
de gommer la notion de propriété. Or le verdict n’est-elle pas un élément de contestation de la
est sans appel : ce furent trois échecs. Dans le propriété ? Outre un salaire direct, l’entreprise
cas yougoslave en particulier, le concept de paye des contributions diverses au travailleur
« propriété sociale » définie comme « propriété (salaire différé) et à la société (salaire socialisé).
de tous et de chacun » est « un véritable mystère Ne pourrait-on passer à « un niveau supérieur
qui ouvrira la voie de la privatisation ». Pour de socialisation du revenu » et déconnecter
autant, Borrits souligne la création du statut partiellement la rémunération des travailleurs
juridique de « biens sociaux », qui sont l’ob- du revenu généré par l’unité de production
jet d’une appropriation fondée sur le travail : dans laquelle ils opèrent ? Borrits prône ainsi
« On approche ici la notion de non-propriété « une situation dans laquelle seule une partie

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des flux générés par l’unité de production sera entreprises, donc, mais seulement un finan-
directement appropriée par les travailleurs en cement réalisé par l’entremise des établisse-
poste, de quoi largement relativiser l’intérêt ments bancaires. Cette solution, longuement
pour le maintien de rapports de propriété ». détaillée, peine à convaincre. D’autant qu’à
Finalement, en se débarrassant des action- cette ambition s’ajoutent des phrases comme :
naires et de leurs dividendes – les témoins « Il est difficile de figer ce que sera l’entreprise
aujourd’hui de la valeur d’une entreprise –, de demain : elle sera ce que les citoyens en
les seuls revenus primaires seraient ceux du feront. »
travail. Quant au secteur non marchand (celui C’est ainsi, cependant, que Benoît Borrits pose
qui délivre des prestations gratuites), il béné- les bases « d’une économie organisée sur le
ficierait d’un revenu socialisé, c’est-à-dire des principe du commun plutôt que sur celui de la
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cotisations sociales assises sur du travail valo- propriété ». Il articule plusieurs « communs »
risé dans la sphère marchande. Et en encou- déjà visibles : un commun productif « dans
rageant cette logique, on augmentera toujours lequel travailleurs et, souvent, usagers exercent
plus la part de biens ou de services rendus ensemble le pouvoir » (les coopératives), en
gratuitement, en socialisant une part toujours interaction avec des communs de socialisation
plus importante de la sphère marchande. Mais des revenus et des communs de financement.
finalement, ce mouvement de rétrécissement C’est dans cette articulation que réside la force
de l’aire marchande ne conduit-il pas à une de l’ouvrage, audacieux par la visée dont il est
contradiction, en menant à une réduction de porteur : un futur sans propriété, ni privée ni
la base monétaire et à une augmentation des publique. Louise Roblin
prélèvements ? Contradiction qui ne peut se
résoudre qu’avec la disparition de la monnaie
et donc des prélèvements. Tout est gratuit !
Plus personne n’est rémunéré ! L’auteur lui-
même émet des doutes quant à la réalisation
d’un tel vœu…
Outre les cotisations, un deuxième dépas-
sement avancé de la propriété des moyens
de production concerne le financement de
l’entreprise (son passif). La solution : permettre
« un financement total des actifs de l’entre-
prise par endettement ». Sans fonds propres,
c’est la notion même de propriété de moyens
de production qui disparaît. À l’inverse d’un
actionnaire, un créancier n’a aucun pouvoir
sur l’entreprise et se contente d’être rémunéré
et remboursé selon les termes d’un contrat.
Évidemment, cela implique un secteur bancaire
socialisé, à l’exemple de l’Association inter-
nationale des banques coopératives (ICBA),
qui financerait intégralement les unités de
production. Plus de financement direct des

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