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2016/1 n° 46 | pages 55 à 84
ISSN 1370-074X
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ISBN 9782807390140
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Elodie LEENAERT1
Marie VERVECKEN2
DOI: 10.3917/cpc.046.0055 55
56 Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique
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nent la constitution d’une institution trouée protéiforme, c’est-à-
dire qui se prête aux multiples usages qu’en font les sujets qui
s’en saisissent. Il s’agit donc de soutenir un cadre tel qu’il puisse
soutenir en retour les façons qu’a le sujet d’y prendre appui.
Mots-clés usage, fonction, dispositif institutionnel, inter-
stice, clinique.
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1. Mise au jour d’un triple interstice
5 Gavarini, L. (2003). déterminer les contours de ces réalités. Au fil de son histoire
Institution des sujets. épistémologique, la notion d’institution se décline dans une
Essai de dépassement
du dualisme et critique
tension permanente entre une idée de stabilité et de dyna-
de l’influence du misme d’une part et, entre matérialité sociale et subjective
néolibéralisme dans d’autre part5, ces registres n’étant pas mutuellement exclusifs.
les sciences humaines.
L’Homme et la société, S’il y a lieu de penser l’institution comme un « mélange
147, pp. 71-93. inégal de la reproduction des rapports sociaux et un lieu de
6 Bellegarde, P. (2003). créativité sociale »6, il est intéressant de se demander ce qui
Institutionnalisation, provoque le changement en son sein. Où se situe l’action
implication, restitution.
Théorisation d’une
subjective dans le balancement constant entre l’instituant et
pratique associative. l’institué7 ? Répondre à la question n’est pas chose aisée. Il y
L’Homme et la société, a bien, dans nos institutions de soin, des patients. Au sens éty-
147, pp. 95-114, p. 95.
mologique, le patient est celui qui subit l’action d’un agent.8
7 Robin, s’appuyant
La mise en en évidence de cette relation inégalitaire sous-
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sur l’enseignement de
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Castoriadis met « en tend la vision de l’institution, née dans les années ‘60, selon
tension la réalité double laquelle l’individu, en position de patient, se trouve aliéné par
de l’institution. D’une
part, son mouvement
les forces normatives de l’agent institutionnel. Toutefois, nous
créateur, proprement considérerons dans cet article l’individu en tant que sujet,
action d’instituer, de c’est-à-dire comme un être capable de « penser son état sub-
fonder, d’établir […] :
c’est l’instituant. D’autre jectif, ainsi que ses assujettissements »9. Avec l’introduction
part, […] le résultat du de la notion de subjectivité, la contrainte ne s’exerce donc plus
mouvement créateur.
L’institué, c’est ce qui
uniquement de l’institution vers l’individu mais également
s’est cristallisé, figé, dans le sens inverse. De plus, Gavarini10 rappelle que l’action
établi. » Dans Robin, normative de l’institution joue un rôle dans la construction
D. (2013). Dépasser
les souffrances du sujet en le préservant de l’anomie. En ce sens, l’institution
institutionnelles. Paris: aliène le sujet tout comme elle en soutient la constitution. Il
P.U.F., p. 75. en va de même de l’action du sujet sur l’institution.
8 « Au cours du Le présent travail se situe au point de rencontre entre l’ins-
XIVè S., patient reçoit
en philosophie le titution et le sujet. Considérer ces deux entités comme dyna-
sens didactique et miques engage implicitement la notion de contrainte, au sens
étymologique “qui de force contraire.
subit” (1370), désignant
également la personne D’une part, nous pouvons considérer qu’il n’est d’institu-
qui subit (1380), par tion sans contraintes d’existence. Ces contraintes sont inhé-
opposition à agent. »
Dans Rey, A. (2012).
rentes à sa nature d’objet émergeant du social. Les institutions
Dictionnaire historique de dans lesquelles nous exerçons sont reconnues, c’est-à-dire
la langue française. Paris: qu’elles sont mandatées officiellement. Le mandat désigne
Le Robert, p. 2475.
« le titre par lequel une personne donne à une autre le pou-
9 L. Gavarini, 2003,
op. cit., p. 86. voir de faire quelque chose en son nom »11. Les institutions
10 Ibid.
trouvent leur légitimité d’action au nom des pouvoirs publics
qui, en contrepartie des moyens symboliques, légaux et finan-
11 A. Rey, 2012,
op. cit., p. 1993. ciers qui leur sont nécessaires, les astreignent à une mission.
Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique 59
maladie ou trouble psychiatrique invalidant [...], ont perdu cer- 13 Institut National
d’Assurance Maladie-
taines habiletés ou ne disposent que d’habiletés limitées, et ce
Invalidité.
dans au moins un des domaines suivants : autonomie de base
14 Convention conclue
[...] ; autonomie résidentielle [...] ; autonomie communautaire entre le comité de
[...] ; langage et communication [...] ; socialisation [...] ; vie l’assurance soins
active [...] ; adéquation du fonctionnement personnel »15. de santé et l’a.s.b.l.
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“L’Equipe” concernant
Les visées socio-thérapeutiques des deux institutions dites la communauté
de « rééducation fonctionnelle » y sont également exposées. thérapeutique “La
La Pièce a pour objectif de « réaliser des changements dans la Pièce”, Bruxelles,
7 juillet 1997, p. 1.
vie du bénéficiaire afin d’arrêter (ou du moins mieux contrô-
ler) la toxicomanie et les épisodes délirants et de réaliser une 15 Avenant à la
convention signée le
réinsertion sociale »16. Le Foyer de L’Equipe « vise à remé- 1er décembre 1978
dier, dans un délai limité, à certaines difficultés de ces pa- entre le comité de
tients, afin de les traiter au moment où elles surgissent et de l’assurance de soins
de santé de l’Institut
permettre à ceux-ci un retour progressif dans la vie sociale »17. National d’Assurance
Dans les deux cas, les buts poursuivis sont sensiblement iden- Maladie-Invalidité
tiques : limiter le recours aux structures hospitalières et au et l’établissement
de rééducation
circuit psychiatrique en général, favoriser la participation à la fonctionnelle “Le
vie professionnelle ou la reprise d’études. À ceci près que la Foyer”, section internat
prise en charge au Foyer inclut un spectre diagnostique plus de l’a.s.b.l. L’Equipe,
Bruxelles, 1er janvier
large que celle de la Pièce tandis que la dimension toxicoma- 2008, p. 4.
niaque en est exclue.
16 Ceci “implique
Ces contraintes sociales, inévitables, ne sont pas sans notamment que le
conséquences. En effet, « la mise en œuvre d’une bureau- patient puisse se
maintenir dans la vie
cratie nécessaire pour l’équivalence avec la structure sociale
d’une façon autonome
environnante »18 astreint l’institution et le partenaire sociétal et puisse s’engager
à une définition commune du dispositif institutionnel. Or, dans des relations
sociales.“ Convention,
cette définition n’est pas neutre, tout comme la place qu’elle 1997, op. cit., p. 2.
assigne au patient, celle d’un objet de soin. Ce dernier reste en
17 Avenant à la
position de patient de l’agent sociétal. convention, 2008,
D’autre part, nous pouvons considérer qu’il n’est non op. cit., p. 2.
plus de sujet sans contraintes d’existence. À nous rappeler 18 Bellegarde, 2003,
les mots de Lacan qui le théorise, « le sujet n’est sujet que op. cit., p. 98.
60 Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique
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Séminaire livre XI.
Les quatre concepts
considérons comme sujet et non plus objet de soin. Qu’elle
fondamentaux de la le veuille ou non, l’institution est donc également mandatée
psychanalyse. Paris: subjectivement par le patient. Au nom de quoi s’adresse-t-il
Seuil, p. 172.
à elle sinon ? Au nom de quoi permet-il qu’elle assure une
20 Hoffmann, C. (2007). fonction pour lui ?
Subjectivité post-
oedipienne et division
C’est au sujet que nous prenons le parti de poser la ques-
du sujet, La différence tion, mobilisant une grille de lecture psychanalytique des inte-
sexuelle en débat. ractions entre contraintes institutionnelles et subjectives. Les
Journées de Barcelone
de la Fondation
conventions respectives de la Pièce et du Foyer arrêtent une
européenne pour la définition officielle de leurs fonctions sociales. Rien ne nous
psychanalyse. assure que la définition subjective que donneront les patients
21 Gavarini, 2003, de ces fonctions vienne recouvrir la version officielle. C’est là
op. cit., p. 86. le premier interstice à mettre en évidence.
22 Zenoni, A. (2009).
L’autre pratique clinique. 1.2. Un séjour ? Pour quoi ou pourquoi ?
Toulouse : Erès. Entre but et cause de la prise en charge
23 (2001). La psyché :
le cadet de mes De cette aporie entre définitions sociale et subjective découle
soucis ? Note politique une autre mise en tension : un interstice émerge entre une
relative aux soins de prise en charge thérapeutique pensée à partir du but d’un sé-
santé mentale. Magda
Alvoet, Ministre fédéral jour en institution et une prise en charge pensée à partir de sa
de la Santé publique, cause, distinction développée par Zenoni22.
de la Protection de Axer la prise en charge autour d’un but thérapeutique
la Consommation et
de l’Environnement, bouche implicitement l’interstice que nous venons de mettre
en collaboration avec en évidence entre attentes sociales et position subjective. Si
Franck Vandenbroucke, nous prenons pour exemple le fascicule informatif relatif aux
Ministre fédéral de
Affaires sociales et des soins de santé mentale23 publié à destination du grand public
Pensions. par le cabinet de la Ministre fédérale Magda Aelvoet dès 2001,
Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique 61
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présumée adéquation entre subjectivité et citoyenneté, entre
subjectivité et attentes de l’autre et donc, au bout du compte,
d’une harmonie possible dans le rapport à l’autre. Après tout,
la santé n’est-elle pas définie par l’O.M.S. comme « un état de
complet bien-être physique, psychique et social »27 ?
Une telle approche de la prise en charge thérapeutique,
centrée autour d’un but supposé commun, fait donc l’écono-
mie de la disjonction entre attentes singulières et collectives.
Elle se supporte de la vision idéelle et idéale de l’abrasion du
premier interstice, celui qui se crée entre la position du sujet
et celle de l’autre. Le patient y devient simultanément sujet et
objet de soin.
C’est la structure même de la notion de but qui se trouve ici
engagée. Orienter une prise en charge à partir de qui devrait
en précipiter la fin lui intime une structure temporelle particu-
lière. Le désir thérapeutique de l’usager y est pensé a priori,
avant même de le rencontrer. C’est donc à partir du désir iné-
vitablement fantasmé, projeté d’un patient futur que le dispo-
sitif thérapeutique se constitue.
A contrario, axer la prise en charge selon ce qui la cause
laisse ouvert le premier interstice, celui du rapport entre le
sujet et le social. Car il y a bien quelque chose dans ce rap- 24 Ibid, p. 34.
port qui fait nécessité puisque, ce patient, nous finissons par 25 Ibid.
le rencontrer. Comme le rappelle Zenoni : « la fréquentation 26 Ibid, p. 10.
d’un centre, la participation à des activités prétendues théra-
27 Site de l’O.M.S. :
peutiques, et la vie en collectivité pas comme les autres sont http://www.who.int/
d’abord la conséquence d’une difficulté [...] quelque chose topics/mental_health/fr/
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de cette cause. Ce double point d’aveuglement, connaître le
but thérapeutique mais méconnaître le sujet ou, reconnaître
le sujet mais méconnaître la cause de ses difficultés, dessine
un second interstice. La conséquence en est que le dispositif
institutionnel est par essence inadapté au sujet à venir.
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le sujet en dit plus que ce qu’il en sait, il dit autre chose que
ce qu’il voulait dire. C’est bien la dimension du signifiant qui
fait que nous pouvons lire entre les lignes35. Dès lors, cette
division insurmontable a pour conséquence le démantèlement
par Lacan de l’intersubjectivité36. Supposer une relation de
compréhension au cœur de la clinique et de la thérapeutique
reviendrait à nier la discontinuité entre signifiant et signifié.
Cela reviendrait à considérer le sujet comme transparent à lui-
même. Or, si nous envisageons l’inconscient comme consti-
tué de chaînes signifiantes, le sujet de la parole dit à son insu,
il est parlé.
Il y a donc un interstice insurmontable, une dissonance,
entre ce que nous croyons dire et ce que nous disons mais
encore, entre ce que l’autre croit en comprendre. En insti-
31 A. Zenoni, 2009,
tution, toute demande vient d’un ailleurs et est autre que ne op. cit.
le pensent ceux qui sont payés pour la recevoir. Faut-il donc
32 Zenoni, A. (1999).
attendre qu’un sujet formule une demande dans les termes La lettre, au-delà de
attendus par l’institution ? Et ce, alors que celle-ci ne pourra l’herméneutique. Les
y répondre et que le sujet ne s’entend pas. De quelle demande feuillets du Courtil, 17,
pp. 113-123.
se saisir alors ?
33 G. Chatenay, 2004,
op. cit.
34 A. Zenoni, 1999,
2. Conséquences du triple interstice op. cit.
sur la pratique
35 G. Chatenay, 2004,
op. cit.
Des interstices émergent donc entre les lectures officielle et 36 A. Zenoni, 1999,
subjective des fonctions d’une institution, entre une conception op. cit.
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tices sociaux, au travers desquels se manifestent des effets
innovants qui bien souvent ne sont pas prévisibles, ne relèvent
pas d’une intentionnalité »37.
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subversives si nous suivons au plus près la clinique.
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avec mon gamin. » D’un point de vue comportemental, l’ad-
mission de M. F à la Pièce est donc cohérente avec les critères
d’entrée fixés par la convention en ce qui concerne l’usage de
produits psycho-actifs : il dit consommer du cannabis45. Elle
l’est également au vu de la notion de « psychose chronique » :
il y a « 16 ans », après « une sale expérience » au cours de
laquelle il est « sorti » de son corps, il s’est mis à entendre des
« voix » et a été hospitalisé à plusieurs reprises en psychiatrie.
Le point de vue de M. F sur la question est cependant sen-
siblement différent. Si, sur le versant psychique, il considère
bien être « tombé malade » à cette époque, il ne se considère
nullement comme faisant usage de « drogue » : « Non, jamais
eu de drogue, même pas de l’ecstasy, rien du tout. » − contrai-
rement à son fils ou aux autres pensionnaires. Étonnamment,
cette affirmation n’apparaît en rien entamée par le fait qu’il
dise consommer du cannabis, une consommation qu’il nuance
par ailleurs : « Et encore le cannabis pour moi, c’est rare.
C’est rare. C’est plutôt l’alcool que je suis plus tenté... » Ce
sont les effets liés à l’alcool qui seront effectivement les plus
présents dans la vie communautaire, parfois de manière pro-
blématique. Notons que la Pièce ne se trouve pas mandatée
45 La notion de pour traiter ce produit. Paradoxe, s’il en est...
dépendance restant,
dans ce cas, néanmoins Les motifs subjectifs qu’avance M. F peuvent donc, au
discutable. Monsieur premier abord, paraître incohérents avec la prise en charge
F évoque, à certains proposée par l’institution. La lecture clinique de son discours
moments, consommer
du cannabis pour ne nous permet cependant d’entendre autrement la place que
pas boire d’alcool. prend la notion de « toxicomanie » pour lui. Nous constatons
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couteau qui a précipité sa dernière entrée dans l’institution
ou les « cocktails Molotov » évoqués plus haut : « Je prends
de l’alcool, je prends des médicaments, je prends tout ! » Ces
« T.S. » apparaissent dans des contextes analogues aux soucis
rencontrés avec son fils : « À cause que quand je rencontre
des problèmes comme ça, alors, ça va pas. Alors, comme je
ressens tout… Si je suis bouleversé, quoi… Alors là, je suis
prêt à faire une T.S. » Notons que la consommation d’alcool
semble survenir dans les mêmes circonstances et peut donc
recouvrir les mêmes fonctions que les « T.S. » : « Moi, quand
je bois, c’est quand vraiment j’ai un problème, quoi. Sinon,
je bois pas. »
M. F relie ces impulsions mortifères à la position fonda-
mentale qu’il a la sensation d’occuper auprès des autres dans
son existence : « À part que j’ai toujours dû me débrouil-
ler tout seul, j’ai rien de personne, et que personne m’a dit
un jour “Je t’aime” sincèrement, ben, je vois que je ne sers
à rien, quoi, ici. » « Tout ce que j’ai pu voir, c’est que les
gens sont venus avec moi par profit. » Il relie ce sentiment à
son histoire : « Et ça, c’est à cause des homes.46 […] Parce
que c’était chrétien, c’était strict. On devait faire le bien. Et
quand moi je suis… j’ai atterri à l’extérieur… […] Je pensais
pas… Le monde était pas comme je pensais dans le home. Et
là, ça a été catastrophique pour moi. J’ai fait des T.S., je sais
46 M. F a peu connu sa
pas, peut-être depuis mes 14 ans. […] J’en ai fait peut-être famille et a été élevé en
une vingtaine, des T.S. » institution.
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au sexe opposé : « À chaque fois que j’ai été avec quelqu’un,
pour finir, pour chercher l’embrouille, pour partir. »
Par ailleurs, M. F s’estime « trop émotif, trop émotif,
trop ». Au point que cela participe de sa « maladie » bien
avant les hallucinations : « Je ressens tout ». Il pose un lien
entre cette compétence et ses « T.S. », cette qualité entraînant
des effets néfastes pour lui : « la faiblesse humaine, c’est la
conscience et le cœur. » « Le fait c’est qu’il ne faut jamais
rester conscient, dans la conscience des conneries qu’on a
fait. […] Parce que du fait que vous allez rester conscients
des bêtises qui peuvent être aggravées, vous prenez ça grave,
vous allez être chagrinés. Alors votre cœur va avoir mal et
vous vous retrouvez dans une dépression. [...] On appelle ça
une mort psychologique. » Ce « tout » auquel il fait allusion
englobe donc la conscience de son propre ressenti mais éga-
lement celle du ressenti des autres, ce dont il peut se servir
pour les aider mais qui a un coût : « Quand on encaisse des
émotions, les malheurs des autres, on se met à leur peau, dans
leur peau et c’est là que la faiblesse arrive. »
M. F ne se trouve cependant pas sans ressource face à ses
difficultés. Au niveau relationnel, il choisit de se maintenir
à distance d’un rapport nocif aux autres : « Il y a un scien-
tifique qui disait : pour vivre plus longtemps… ce n’est pas
vous qui êtes emmerdeur, c’est les gens qui vous entourent
qui vous emmerdent. » Tandis qu’au niveau émotionnel, il
lui paraît indispensable d’épargner au « cœur » tout état de
« conscience » trop aigu. Il tente ainsi d’appliquer le conseil
Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique 69
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pensées, la médication lui permet de gérer la présence des
autres, par moment insupportable. Il peut ainsi prendre leurs
« conneries » « en riant », plutôt que de s’en prendre directe-
ment à eux ou à lui-même : « [Ma synthèse de dogue47] c’est
pour pas arriver à me suicider. »
Troisièmement, après être sorti une unique fois de son
corps, il a trouvé un autre moyen de voyager, constructif, cette
fois : « ce que je fais maintenant, je me téléporte dans les bons
moments tout ça. Ça c’est mes voyages. [...] Temporels ». « Je
pense, comme toi et moi, et je ferme les yeux et je vois une
image. Comme mon frère qui est décédé, je le vois rigoler,
je vois ce qu’il dit aux gens, je vois qu’on se marre, et je me
marre, hein ! » « Je sais le faire tout le temps, constamment. »
« Alors : des bons moments que je voudrais pour me ressour-
cer, pour pas me faire des T.S. [...]. »
Quatrièmement, il a « fait une psychanalyse sur » lui-
même : « Tous les 3 mois, je vais au docteur D.48 […]
Maintenant, ce que j’arrive à faire, c’est mettre une carapace
devant moi. Pour pas ressentir. […] Je ressens pas tout. […]
On dirait comme si le satellite de mon corps c’était des éner-
gies. […] Il y a un rond alentours de moi, comme si c’était du
courant, mais des ondes positives. » Il peut maintenant choi-
sir d’entrer ou non en contact avec les autres pour les aider :
47 M. F nomme sa
« J’ouvre tout le temps que je veux et après, je dis stop, je médication selon cette
referme. » expression.
Enfin, la Pièce participe de ces solutions. Avoir ou devenir 48 La psychiatre de
sa propre « source » de vie – une source dans laquelle l’autre M. F.
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et envahissement.
Cette fonction institutionnelle ne semble possible qu’à la
condition que M. F opère une nette distinction parmi les usa-
gers : « Ce qui m’aide ici ? Ben, vous. Rien que vous autres.
L’équipe. […] L’équipe entière. Pas les patients. » « Même,
moi, ça m’aide… pas de voir les gens malades… […] Non !
Ça ne m’aide pas. Mais j’ai vos énergies à vous […] Je les
prends pour moi. […] Quand vous rigolez ou quand vous êtes
de bonne humeur. […] Je m’envoie dans mon corps tout ce
qui est des joies, de la joie… »
Si M. F se distingue lui-même des « toxicomanes », des
autres patients de l’institution, nous ne pouvons écarter l’hy-
pothèse que ce signifiant ait joué un rôle dans son choix d’y
poser candidature. Choix sinon surprenant que de venir se
protéger des agissements d’un fils « toxicomane » dans un
lieu empli de « toxicomanes » sans en être un… Après tout,
la Pièce est un lieu qui traite de la toxicomanie et grâce à elle,
M. F a pu se constituer un savoir sur le sujet : « C’est grâce
à la rue et le centre ici que j’ai connu la gravité des gens, à
quel point qu’ils changent pour de la drogue, quoi. [...] C’est
très choquant pour moi. Alors, j’ai pu comprendre quelle vio-
lence [que mon fils] avait envers moi. » Il estime également
que la drogue a, pour le toxicomane, la même fonction que
la médication pour lui-même : « C’est la conscience [...] Ça
c’est pour atténuer ça, quoi, les pires souffrances. [...] Moi,
je comprends bien. »
Des usages inattendus d’un dispositif institutionnel : mises en valeur de l’interstice clinique 71
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des symptômes. M. F vient avant tout adresser à l’institution
une demande de soin du lien à l’autre. Mais entendre cette
demande n’empêche pas pour autant de travailler autour d’un
but thérapeutique. À suivre la logique des difficultés de ce su-
jet, rendre vivable la relation à l’autre, en lui offrant a minima
une possibilité temporaire de séparation, le préserve du pas-
sage à l’acte en général… et donc aussi des passages à l’acte
psycho-actifs que sont les « cocktails Molotov ». Améliorer
la relation à l’autre agit donc indirectement sur la dimension
toxicomaniaque des symptômes du moins, quand ils relèvent
du passage à l’acte. Pour finir, la demande de M. F s’ins-
crit tout entière dans l’équivocité propre au langage : il ne
se considère pas comme faisant usage de drogue, ni comme
toxicomane alors que l’aspect toxicomaniaque de son com-
portement est un des critères d’entrée à la Pièce. Nous consta-
tons que ces trois mises en tension offrent pourtant une réelle
occasion de travail. La mise en évidence d’autres fonctions
institutionnelles que celles attendues officiellement confère
un sens différent au séjour, tout aussi pertinent cliniquement.
La Pièce n’est pas un foyer pour parents battus, elle n’est
pas non plus destinée à prendre en charge les problèmes d’al-
coolisme. Pourtant l’acceptation de l’inattendu permet in fine
de créer un dispositif sur lequel M. F peut s’appuyer : « Ben,
ici je suis bien […] Je suis bien encadré. Je suis bien encadré.
Je suis bien encadré. » Même si cette solution institutionnelle
trouve ses limites au vu de la logique relationnelle du sujet.
Ainsi, M. F déclare à propos de l’institution : « Et après, bon,
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tionnelle dans l’établissement est d’augmenter les habiletés
des patients […] et d’adapter leur mode de vie afin de réaliser
des résultats significatifs dans au moins un des domaines sui-
vants : [...] domaine de la vie active [...] ; domaine de l’auto-
nomie et de la situation d’habitation [...] ; domaine de l’ins-
cription dans le lien social et la citoyenneté »51. L’équipe est
d’ailleurs tenue d’envoyer des rapports à son pouvoir subsi-
diant pour l’informer de cette évolution.
Toutefois, bien des demandes de prise en charge s’écartent
de ces prescriptions prises de manière littérale. Mais l’enjeu
d’un séjour pourrait se situer dans cet écart.
Prenons le cas de M. A. Sur le plan fonctionnel, M. A est
un homme autonome, qui s’exprime clairement, tout à fait
capable de se trouver un logement, de subvenir à ses besoins
en termes d’alimentation, de rencontrer de nouvelles per-
sonnes, de faire les démarches nécessaires pour s’inscrire à
une formation, pour être engagé pour un emploi ou encore,
pour obtenir des allocations.
Pourtant, M. A dit venir au Foyer en vue de régler ses pro-
blèmes administratifs (à savoir, qu’il n’a pas d’adresse où se
domicilier) et financiers. Cette problématique pourrait nous
évoquer, a priori, une prise en charge d’ordre plutôt social par
49 Avenant à la un C.P.A.S., par exemple. Mais ces difficultés pratiques ne
convention, 2008, trouvent leur éclairage que si nous partons de ce qui amène M. A
op. cit., p. 2. à demander un séjour au Foyer. En effet, ses difficultés dans le
50 Ibid, p. 5. champ du social découlent de son rapport très délicat et tendu à
51 Ibid, pp. 6-7. l’autre ainsi que de la précarité de son rapport à lui-même.
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À plusieurs reprises, M. A sera arraché à son contexte
de vie et envoyé d’un pays à l’autre, d’un groupe familial à
l’autre, pour des raisons de survie, d’argent mais surtout, hors
de tout contexte désirant. C’est au cours de ses migrations
successives qu’émergent le sentiment d’être « exclu » et un
sentiment d’étrangeté qui ne le quitteront plus. Il se situe sys-
tématiquement à la place de celui qui n’a pas de place.
Déchiré entre les pays maternel et paternel, M. A ne sait
plus à quelle communauté se référer et peine à arrimer et
unifier son identité aux contours incertains par la voie de la
nationalité : « Je me sens comme ça tiraillé entre deux natio-
nalités. Parce que c’est vraiment deux mondes qui n’ont rien
à voir. » Son identité apparaît vacillante, poreuse à la présence
de l’autre : « J’attrape ton tic » (de prononciation), nous as-
sène-t-il, par exemple, en conversant avec nous.
M. A situe dans ces déracinements l’origine de ses diffi-
cultés : « Je crois que c’est là que j’ai commencé à péter les
plombs. »
Depuis le début de l’âge adulte, M. A connaît des phases
de décrochage complet où plus grand-chose ne semble le rac-
crocher à la vie. Quand il va moins bien, il rompt sur tous les
plans et s’isole : « j’ai beaucoup déprimé. Je suis resté seul.
Beaucoup beaucoup déprimé. » Plus rien ne l’anime alors.
« J’ai touché le fond ». Son décrochage généralisé se mani-
feste également sur le plan alimentaire : « je ne mangeais
plus du tout […] Est-ce que… Je ne sais pas, j’avais peut-être
l’impression que je me préparais au pire, qu’il y avait une
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la solitude : « j’ai vraiment été seul et je me sentais un peu
perdu. »
La relation vient comme porter atteinte à son individualité
fragile, à sa liberté : « j’en avais marre d’être, qu’on soit tout
le temps l’un sur l’autre. […] Enfin, j’aime la liberté. » En
effet, M. A se trouve pris entièrement et instantanément dans
ces relations, toute étape potentielle étant court-circuitée.
Les femmes se substituent les unes aux autres dans une sorte
de chaîne, la relation à celles-ci ne ressortant pas d’un inves-
tissement particulier de la part de M. A mais d’un appel qu’il
ressent comme émanant de leur part. Il avait, par exemple, été
vivre avec la dernière de ses compagnes : « parce qu’elle se
sentait seule ».
N’ayant pas le support d’un désir sur lequel l’ancrer, sa vie
valse donc au gré de ses rencontres au caractère tumultueux.
Parallèlement à la série des femmes se déroule une série de
boulots et de formations par lesquels il va passer et qui dé-
bordent rapidement M. A, l’obligeant à prendre la fuite : « Le
travail, à un moment, c’est trop. […] Ça dégénère toujours.
[…] Quand je sens que ça ne va plus aller, je préfère partir. »
en raison également de difficultés relationnelles puisque cela
s’est « toujours mal passé avec [s]es collègues. »
La rencontre de l’autre est, pour lui, fondamentalement em-
preinte d’agressivité : « La vie, c’est une compétition. » Pour
décrire toute relation, il use de la formule : « C’est comme un
couple », ce qu’il déplie comme le fait que le début est tou-
jours serein mais rapidement suivi de tensions. Et dès que ça
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aux autres engendrent une inscription très ardue sur la scène
du monde puisqu’elles mettent en péril toute forme de sta-
bilisation : « J’arrive pas à me stabiliser. Vraiment depuis,
depuis 10 ans, je suis jamais resté à la même adresse plus
d’un an. »
Selon sa convention, le Foyer s’adresse à des « adultes ayant
des troubles psychiatriques »52. Or, M. A ne s’identifie pas du
tout à cela mais se considère plutôt comme un immigré en mal
de repères. Il situe la cause des difficultés qu’il a rencontrées
dans une différence culturelle. Son interprétation étiologique
porte sur son immigration. M. A dit se sentir « perdu » car il
n’est « pas sûr » d’être « au bon endroit en fait », car il vient
d’ailleurs, car il ne se sent pas chez lui.
« Moi, on va me dire, je suis… schizophrénique ou, […]
bipolaire ou… […], je ne vois pas ce que ça veut dire vrai-
ment pour moi. » Il envisage le second terme s’il peut le re-
lativiser comme banal ou alors, comme trait lié à sa créati-
vité, ce qui lui offre une communauté d’appartenance dont
découlent une étiquette et une utilité sociales : « Bipolaire,
peut-être. Mais alors, tout le monde est bipolaire ou alors, la
plupart des gens, c’est-à-dire avoir des hauts et des bas, […].
Déjà qu’au niveau, je pense, le fait d’être créatif, […] ça peut
pousser, enfin. […] je pense que la plupart des artistes sont
bipolaires. Pas, pas maladivement bipolaire. Mais je pense
qu’ils sont bipolaires ». Artiste est l’un des termes investi par
M. A pour asseoir quelque peu son identité et gagner en valo-
risation sociale. 52 Ibid, p. 2.
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cation fonctionnelle], j’ai écrit beaucoup de poèmes et quand
je les lis maintenant, je me dis : “C’est fou, c’est, j’arrive-
rais pas à faire aussi bien maintenant” […] parce que, c’est
vraiment une période déprimante pour moi mais, mais très
heureuse aussi parce que… […], j’arrêtais vraiment pas […]
d’écrire des poèmes. Mais maintenant, je veux le faire, j’y
arrive pas ». Il obtient par là une satisfaction paradoxale qu’il
recherche. « Pour apprécier un peu le bonheur, il faut, il faut
être très triste ».
M. A est accueilli dans un lieu de soin mais n’est pas cer-
tain de vouloir aller mieux. Il y a là un hiatus entre la raison
sociale d’être de l’institution et la demande inconsciente du
sujet duquel nous pouvons faire émerger la responsabilité de
ce dernier. Un mieux-être ne pourra être obtenu qu’à partir de
son consentement ou plutôt, de son choix d’une autre voie à
suivre. « Je pense qu’il n’y a pas de hasard. […] j’avais envie
d’aller très mal […]. Parce que, on a le choix. Si on veut aller
bien, je pense qu’on peut vraiment y arriver. »
Et, malgré cette attraction jouissive pour le mal-être, M. A
a fait le choix de se servir de l’occasion d’un séjour au Foyer
dans l’optique d’un apaisement : « Moi, depuis que je suis ici,
j’ai beaucoup avancé. » Sans être dupe du fait qu’il n’a pas
de garantie quant à la pérennité de ce dernier : « Je ne suis
pas sûr parfois que même maintenant ça ne m’arrive pas de
déprimer. Même maintenant. »
Alors que le ressort de la thérapeutique est censé être le
susdit programme de rééducation fonctionnelle intensif, pour
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dans laquelle il peut être pris et canalise ainsi son action : « en
venant ici, ça m’empêche de faire… De faire des bêtises, sor-
tir avec des filles pour sortir avec des filles par exemple. […]
Si, j’étais à l’extérieur, ça irait vite. Et puis on se dirait : “On
va vivre ensemble, on fait ceci cela.” Mais en étant ici, il y a
une sorte de… Je ne sais pas. Je suis structuré ».
Ensuite, M. A se soutient également du partenariat qu’il
parvient à nouer avec l’équipe. « La deuxième chose, c’est
que, il y a des gens qui sont là pour, pour t’aider. » La dispo-
nibilité d’intervenants qu’il connaît le sécurise. De plus, l’ins-
titution, en émergeant comme lieu d’une possible adresse,
paraît l’avoir mis à l’écart d’une autonomie trop radicale qui
le faisait sombrer : « J’aime bien me débrouiller seul pour
beaucoup beaucoup de choses mais […], voilà, j’aime bien
quand même avoir de l’aide parce que je pense il y a des,
enfin, dans la vie, personne n’est vraiment capable de s’en
sortir tout seul tout seul. […] il y a longtemps, je pensais que
c’était possible mais maintenant, je me rends compte, c’est,
c’est impossible. »
Finalement, M. A trouve un appui important dans les di-
verses rencontres qu’il fait au Foyer : « il y a une troisième
chose qui, qui est pas, […] c’est pas très visible mais qui est
encore plus importante que le reste, c’est la relation entre
humains […] tu vois de nouvelles […] façons de penser que
tu ne connaissais pas, des façons d’agir que tu ne connaissais
pas, […] autant du côté des travailleurs que du côté… […]
des, des résidants […] ça apporte beaucoup beaucoup […]
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l’accompagnement proposé au Foyer, un lien à juste dose thé-
rapeutique : « j’ai besoin de tranquillité aussi, […] tu sais,
être entouré comme ça, être dans sa chambre un peu seul,
parfois, c’est l’idéal je pense pour une personne qui a… Qui
a envie de se retrouver, et qui a envie de se réintégrer un peu
dans la société et de suivre un chemin… » Il trouve au Foyer
une balance présence-absence qui le soutient dans sa propre
présence au monde.
Toutes ces dimensions participent d’un effet de protection
et d’apaisement pour M. A dans ce « lieu apaisant » où il
parvient à être « tranquille ». S’il ne vient pas au Foyer dans
l’optique prévue de l’accroissement de ses habiletés, il fait
bien une série d’usages imprévus de son séjour qui lui sont
propres et qui lui permettront, selon lui, de « [s]e rétablir tout
doucement… mentalement », ce qui favorisera, finalement,
l’exercice de ses capacités.
Le Foyer n’est pas un centre d’intégration culturelle pour
immigrés, il n’est pas un centre pour jeunes hommes céliba-
taires, pas plus qu’un centre de médiation de dettes. Pourtant,
il l’aura été pour M. A, réalisant, par la voie de l’interstice,
l’occasion d’un travail clinique.
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prise en charge du patient s’impose et permet d’éviter l’écueil
de la standardisation de la pratique54, qui écrase la singularité.
Au niveau du deuxième interstice :
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ses suites car il fait consister l’institution pour le sujet et pour
ses membres : « Les critères d’admission (conditions de base)
que l’on pourrait voir comme des objectifs ont une valeur cli-
nique qui contribue à l’amorce de travail. »57 Cette manœuvre,
qui fait du mandat de l’institution un prétexte à la rencontre
et au travail, soutient la constitution d’une institution protéi-
forme, c’est-à-dire ni informe, ni rigidiforme, mais qui se
prête à la multiplicité des usages particuliers.
Au niveau du troisième interstice :
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la rencontre entre un sujet et un dispositif ne peut être évaluée
qu’en termes de « pari raisonnable »60.
4. Conclusions
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l’institution. En l’absence d’interstices structurels, de respira-
tions, d’espaces de liberté, pas de rencontre possible avec la
singularité autre, comme nous l’avons repéré dans les témoi-
gnages de MM. A et F. Oury voit, dans ces espaces, la condi-
tion pour que se dessinent « des lieux d’émergence, qui n’ont
d’existence que dans leur multiplicité ; lieux différentiels
62 Ibid, p. 41. d’une secrète tablature, chora qu’il faut préserver contre tout
63 Ibid, p. 44. impérialisme. »64 Il ne s’agit donc pas de plaider pour une ins-
64 Ibid, p. 44.
titution inconsistante mais, pour une institution protéiforme,
garante d’un cadre permettant au sujet de soutenir sa trajec-
65 (2009). Contribution
des représentants du
toire, qu’il y entre ou pas d’ailleurs.
monde politique, dans Mais travailler avec la faille, c’est travailler avec le risque, qui
T. Van de Wijngaert n’a pas forcément bonne presse de nos jours, particulièrement
& F. de Coninck,
L’autonomie en auprès des pouvoirs publics65. C’est là qu’Oury fait intervenir
question. Lien social la notion du désir de l’intervenant : « C’est une passion éthique
et santé mentale qui nous fait demeurer dans cet espace : l’espace d’accueil d’un
(pp. 36-39). Bruxelles :
F.F.I.H.P., Les lointain, d’un impossible. Cet accueil de l’inapparent, du non
Cahiers de la Santé encore dit, met en question notre assise, notre confort. »66
de la Commission Cet article a pour seule ambition d’ouvrir un espace de ré-
Communautaire
Française, p. 36. flexion, un interstice donc, dans le champ clinique, un champ
66 J. Oury, 2008,
dont les contours s’estompent sous nos tentatives de délimi-
op. cit., p. 42. tation. Mais telle Alice après s’être jetée dans le terrier du
67 Carroll, L. (2004).
lapin, nous pouvons constater que l’inattendu est aussi source
Les aventures d’Alice de trouvailles : « Car, voyez-vous, il se produisait depuis peu
au pays des merveilles. tant de choses étonnantes qu’Alice s’était mise à croire que
Paris : Flammarion,
p. 10. bien peu de choses, en réalité, étaient impossibles. »67
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Editeurs.
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