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LA « PARENTALITÉ » : REMÈDE AU MALAISE DANS LA CULTURE

OU FORME NOUVELLE DU REFOULEMENT ET DE L'INHIBITION ?


François Richard

De Boeck Supérieur | « Cahiers de psychologie clinique »

2011/2 n° 37 | pages 75 à 87
ISSN 1370-074X
ISBN 9782804164997
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LA « PARENTALITÉ » :
REMÈDE AU MALAISE
DANS LA CULTURE
OU FORME NOUVELLE
DU REFOULEMENT
ET DE L’INHIBITION ?

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François RICHARD 1
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“PARENTHOOD”: A REMEDY FOR A CULTURAL


MALAISE OR A NEW KIND OF REPRESSION
AND INHIBITION?
SUMMARY This article links the current emergence of the par-
enthood concept to a specific present cultural malaise with a
clashing mixture of cynicism and violence, on the one hand,
and on the other, the ideology of a social bond dedicated to the
good. Kinship and parenthood are considered in what differen-
tiates them, leading to a debate with Mr. Godelier on current
developments in the family.
1 Psychologue,
KEY WORDS anthropology, ethics, family, cultural malaise, Psychanalyste, Membre
de la Société
kinship, parenthood, sexuality, psychoanalysis. Psychanalytique de
Paris, Professeur de
RÉSUMÉ Cet article relie l’émergence contemporaine de la psychologie clinique et
de psychopathologie à
notion de parentalité à la spécificité de l’actuel malaise dans la l’Université Paris 7-
culture, où l’on trouve un mélange détonnant entre d’un coté Denis Diderot.

DOI: 10.3917/cpc.037.0075 75
76 La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ?

cynisme et violence et de l’autre l’idéologie d’un lien social


voué au bien. Parenté et Parentalité sont envisagées dans ce qui
les différencie, ce qui introduit à une discussion avec M. Gode-
lier sur les évolutions actuelles de la famille.
MOTS-CLÉS anthropologie, éthique, famille, malaise dans la
culture, parenté, parentalité, sexualité, psychanalyse.

Je ferai ici l’hypothèse qu’il existe une corrélation forte entre


l’inflation contemporaine de la notion de parentalité et une
tendance sociétale à chercher une solution à l’actuel malaise
dans la culture dans une idéalisation du lien social, supposé
capable de se gérer et de se réformer lui-même alors que par

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ailleurs la perspective d’une historicité véritable tend à dispa-
raître. Du même coup, la notion de parentalité tend à recouvrir
celle de parenté, laquelle pourtant relève d’un champ théori-
que différent. La parentalité désigne l’exercice de la fonction
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(protectrice, éducationnelle et aimante) des parents, tandis


que la parenté concerne le système (hypercomplexe et très
structuré) des règles organisant la filiation entre générations et
les alliances entre lignages-règles définies juridiquement et
biologiquement mais surtout imaginairement et symbolique-
ment (théories sexuelles individuelles et collectives, mythes).
Or l’actuel malaise dans la culture (individualisme consumé-
riste se croyant autonome mais en fait grégaire, pathologies de
l’évitement du psychique dans les agirs externalisants, fonction-
nements en processus primaires et addictions) s’attaque précisé-
ment à la créativité imaginaire et symbolique de la psyché.
La capacité (qui se présente pour ainsi dire comme instinc-
tuelle) à incarner la fonction maternelle résulte en fait chez la
femme d’une série complexe d’identifications (à sa propre
mère, à elle-même comme ayant été le bébé de cette mère et
enfin à son bébé nouveau-né dont elle prend soin). Winnicott
nous a appris qu’il s’agit d’un travail de contenance de
l’espace intrapsychique du bébé, au cours duquel la représen-
tation de la fonction maternelle chez la jeune mère et l’attente
de contact intersubjectif chez le bébé entrent en dialogue pour
créer une dimension tierce. Cette « Relation d’Objet Virtuelle »
émerge par assimilation puis dépassement du « fonctionne-
2 Missonnier S., Devenir
parent, naître humain, ment psychique maternel placentaire prénatal » 2 (Missonnier),
Paris, P.U.F., 2009. forme primitive de la parentalité caractérisée par un mélange
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 77

complexe de contenance fusionnelle et de contenance défusio-


nante.
Qu’une bonne capacité à se comporter en mère, ou en père,
en parent ou tout simplement en adulte, corresponde à l’exer-
cice de la fonction (maternelle, paternelle, parentale) va telle-
ment de soi qu’on ne sait plus très bien distinguer parenté et
parentalité. Celle-ci, d’abord conçue comme l’accomplisse-
ment véritable d’une fonction assignée par la parenté, est de-
venue aujourd’hui un modèle social idéal, celui de l’adulte
altruiste éducateur, grand frère bienveillant pour tous ses sem-
blables. On pense bien sûr aux discussions sur l’homoparen-
talité, dont on peut faire l’hypothèse qu’elles sont hantées,
indépendamment du souhait d’adopter et d’éduquer des enfants,

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par le fantasme inconscient ou plutôt la théorie sexuelle d’une
reproduction sexuée par l’accouplement entre deux femmes
ou entre deux hommes. Ce fantasme (distinct des représenta-
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tions liées au clonage génétique) peut susciter un trouble (rejet


et/ou attirance) qui fausse les termes du débat : en pratique les
enfants éduqués par un couple parental homosexuel ne sont
pas issus d’un tel accouplement, les références inconscientes
de leurs parents-éducateurs à leur propre histoire généalogi-
que (où l’on trouve des hommes et des femmes, des pères et
des mères, des grands-pères et des grands-mères) ainsi que le
contexte d’une société où continuent à exister et à se transfor-
mer le gigantesque système représentationnel et juridique de
la parenté judéo-chrétienne (centrée sur le père et la mère), à
côté de la connaissance des autres systèmes étudiés par l’an-
thropologie (où domine non pas la « parentalité », mais des
mythes et des théories sexuelles collectives complexes), pro-
curent à ces enfants des repérages structurellement identiques
à ceux des autres enfants. Si danger il y a, il résiderait dans
l’oubli de la richesse imaginaire créatrice des systèmes de
parenté, que la moderne notion de parentalité tend parfois à ré-
duire à une parenté biologique (pourtant simultanément con-
sidérée comme substrat insuffisant), ce qui va dans le sens
d’une homogénéisation du monde humain à un seul niveau, la
réalité sociale s’autogérant, se reproduisant, pour le bien de
tous, fraternelle-parentale.
La théorie du complexe d’Œdipe introduit à une exigence
éthique de parentalité bien assumée mais n’exclut pas la pa-
renté ; elle incite à une curiosité ouverte à des systèmes de
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parenté distincts de celui où Freud théorisa l’Œdipe à partir de


la névrose. Avec Winnicott, et d’autres, l’accent se porte plus
du côté de la parentalité, alors qu’avec Lacan la parenté se
noue à la parentalité dans la notion de fonction (symbolique).
Les psychanalystes ne tendraient-ils pas souvent à se situer,
dans l’écoute de leurs patients, comme des adultes assagis,
des « parents », même dans des situations où aucune gravité
du cas ne pourrait susciter un contre-transfert protecteur ?
C’est alors le transfert (celui du patient mais aussi celui de
l’analyste) qui est pris pour un mode de relation en effet
« parental », répétitif et sans terme – le travail analytique in-
voluant alors en une sorte d’assistance analytique voire de
simple étayage. Souvent un adolescent assigne inconsciem-

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ment son analyste à une place de double narcissique avec un
écart, une différence susceptible d’introduire utilement à
l’élaboration d’un transfert parental, mais on trouve celui-ci
aussi dans les cures d’adultes. L’enjeu est alors de permettre à
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notre interlocuteur de s’approprier subjectivement sa capacité


à effectuer des transferts, à vrai dire infinie, tout à l’opposé
d’une attitude qui consisterait à endosser l’habit de l’objet pa-
rental transféré et à se prendre pour l’éducateur enfin trouvé,
le véritable parent ! Un fantasme d’adoption et de sécurité ris-
que de remplacer le fantasme de séduction, lequel du même
coup se déplace dans une suspicion généralisée envers tout
adulte qui s’occupe d’enfants ou d’adolescents.
Bien sûr, il faut qu’un adolescent puisse envisager ses
parents et donc son psychothérapeute comme sexuellement
« obsolètes » pour se défaire de l’empreinte et de l’emprise de
ses objets internes incestueux inconscients. De la même
façon, il faut qu’un analysant adulte parvienne à distinguer
son analyste comme personne de la fonction analytique, ce qui
devient possible lorsque le psychanalyste aura suffisamment
interprété les transferts incestueux hystéro-phobiques dont il
était l’objet dans l’imaginaire de l’analysant confondant sa
personne et sa fonction : le calme revient parce que l’analyste
n’a pas évité d’interpréter l’excitation sous prétexte d’étayage,
bien au contraire en l’interprétant il a appris au patient à arti-
culer un système de différences (entre l’analyste comme objet
d’investissement, la fonction analytique et le transféré). Le
vrai bon étayage en psychanalyse n’est autre que cette propé-
deutique à la tiercéité subjectivante.
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 79

La « parentalité » serait-elle l’avenir d’une parenté désor-


mais soumise à une gestion sociale éducationnelle ? On n’a
jamais vu une telle condensation, et donc une telle tension,
entre d’un côté les idéaux de respect d’autrui et de maîtrise des
pulsions et de l’autre l’apologie d’une liberté individuelle sup-
posée capable de se représenter voire d’expérimenter les mou-
vements pulsionnels les plus variés. Aujourd’hui, le malaise
analysé par Freud s’est complexifié au point que nous ne som-
mes plus sûrs de le reconnaître : la barbarie de toujours
emprunte le discours « politiquement correct » comme pour
mieux en montrer l’inanité. Les faits renvoient en effet tous
les jours ce discours à son impuissance à tel point que l’on
peut légitimement se demander s’il n’est pas complice de ce

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qu’il dénonce, comme l’était jadis la morale traditionnelle
avec son hypocrisie foncière, mais d’une autre façon.
Parentalité plutôt que parenté, thérapies comportementales
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ou narcissisantes plutôt qu’éclairage de l’intériorité psychi-


que, idéologie d’un changement permanent plutôt qu’histori-
cité : il y a là comme l’effet d’une désublimation dépressive,
peut-être la fin d’une période, celle de la laïcisation du reli-
gieux se métamorphosant en « subjectivation croyante » 3
individuelle. Le mot parentalité ne résonne-t-il pas en effet
comme une formation de compromis entre les parents œdi-
piens et les parents considérés comme des dieux, idéalisés
dans une pure fonction éducationnelle civilisée ? George Sim- 3 J’emprunte ce terme
mel a en 1916 cette heureuse formule : « Les gens ne sont plus à J. Arènes qui effectue
une recherche sur les
dans un monde religieux objectif ; ils sont subjectivement évolutions du champ du
religieux dans un monde objectivement indifférent » 4. religieux à la suite des
hypothèses de
Cette religiosité se présente comme un surinvestissement M. Gauchet, Le
du rapport psychologique entre individus. Le discours de la désenchantement du
psychologie collective contemporaine euphémise le sexuel monde, Paris, Gallimard,
1985. Cf. Arènes J.,
dans la dimension du lien et dans une parentalité généralisée Fonction du religieux
(la prise en charge adulte de l’autre et conséquemment l’infan- dans l’élaboration
tilisme comme régimes de toute relation, la nécessaire éthique psychique. Narcissisme,
impasses de
de l’altérité affadie en idéologie du soin). La diffusion des subjectivation et
connaissances en psychologie a pu elle aussi favoriser la pro- question du religieux,
motion de la notion de parentalité. Ne voit-on pas Unetelle Thèse de doctorat,
Université Paris-Diderot,
parler de sa relation « maternelle » à Untel, ou tel autre analy- 2009.
sant (homosexuel) évoquer la place de « fils » qu’il donne à
4 Simmel G., [1916],
son beaucoup plus jeune compagnon, non sans conscience de Rembrandt, Delval,
la difficulté qui est alors la sienne, puisqu’il lui faut aussitôt Circé, 1998, p. 173.
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ajouter qu’il s’en sent autant (ou plus ?) l’éducateur et le pro-


tecteur que le père ? Il s’agit d’être attentif aux formes émer-
gentes du lien interhumain mais pour cela, encore faut-il
prendre la mesure des évidences qui empêchent de penser :
subsumer dans la notion de parentalité les niveaux différents
de la relation infantile aux parents (où joue la double identifi-
cation sexuée à l’homme et à la femme) et de relations plus
construites et secondarisées peut mener à sous-estimer la
richesse spécifique de chacun de ces niveaux. Oui, ça existe,
la parentalité primaire de l’enfant qui se fait « parent » d’une
poupée, d’un animal domestique ou d’un petit frère, et sans
doute d’une façon relativement autonome par rapport au fil
des identifications sexuées œdipiennes. Les parents ? Mais ils

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ne sont jamais assez « parentaux » du point de vue de l’enfant
séduit et excité par la femme et l’homme qu’ils sont, tout en
l’étant toujours trop du point de vue des idéaux d’autonomisa-
tion adolescente et adulte. Jean Laplanche montre bien que
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l’enfant se construit en repérant derrière la façade des condui-


tes parentales officielles ces « signifiants énigmatiques » situés
dans l’écart entre sa connaissance du sexuel infantile et ce qu’il
entr’aperçoit de la scène primitive 5. Une bonne parentalité, ça
sert à recouvrir les signifiants énigmatiques pour mieux s’y
repérer, de ce point de vue c’est une figure du refoulement. Or
il n’existe pas de bon niveau d’un refoulement suffisamment
fort et souple à la fois, acquis une fois pour toutes : le sexuel
incestueux archaïque peut resurgir de l’intérieur même d’une
parentalité se voulant asexuelle, par exemple dans les patho-
logies d’une dépendance et d’une agressivité narcissiques
réciproques entre parents et enfants, y compris enfants deve-
nus adultes, pouvant donner l’impression d’un effondrement
de la différence entre les générations, et même celle d’un trou-
ble concernant le lien comme tel, avec toute la violence inter-
subjective qui peut alors poindre.
Je pense à un jeune étudiant d’une vingtaine d’années ne
parvenant pas à quitter le domicile parental, dépeignant avec
finesse le système relationnel qui le lie à ses parents ainsi que
le confort de bénéficier à la fois de ce système et d’une vie
amoureuse apparemment libre : mais voilà, il s’ennuie, ne croit
5 Laplanche J., pas à ses études, n’est jamais vraiment amoureux. Un jour, il
Nouveaux fondements
pour la psychanalyse, me parle d’Henry Miller, de son talent à restituer le style et
Paris, P.U.F., 1987. l’éprouvé des errances d’un sujet à la fois misérable et tout
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 81

puissant, entre écriture, copains, alcool et sexualité au hasard


des rencontres. Lors de la séance suivante se fait jour une
colère contre des parents irréprochables, et simultanément la
prise de conscience de sa culpabilité comme de son inhibition
alors qu’il tenait jusque-là sur lui-même le discours d’un
Œdipe déçu par ses premières rencontres amoureuses, voué à
l’amour de bons parents installés dans une parentalité exem-
plaire. Le refoulement avait opéré comme en pleine lumière,
au niveau d’une insuffisante subjectivation de son rapport à
ses pulsions, dans le contexte d’une relation plus ambivalente
qu’il ne le pensait à ses parents.
Je pourrais aussi évoquer cet homme qui, au décours d’un

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divorce et d’un engagement dans une nouvelle vie de couple,
fait un épisode dépressif trahissant une dépendance archaïque
envers une figure maternelle à la fois bienfaisante et castra-
trice, ainsi qu’envers une vie familiale idéalisée qu’il a besoin
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d’isoler de sa nouvelle vie sexuelle. Il recourt alors à un exercice


volontariste de sa fonction parentale par rapport à ses jeunes
enfants pour contre-investir ce que lui révèle, dans l’angoisse et
dans le plaisir, sa nouvelle vie de couple concernant l’actualité
de ses vœux œdipiens inconscients d’origine infantile.
Le cas suivant illustre la tendance contemporaine à la re-
cherche de modalités inédites de l’alliance : ce patient décou-
vre grâce à son analyse qu’il répète le fait d’avoir été assigné
à la place du fils susceptible de prendre en charge les difficul-
tés des autres dans sa famille (dépression de la mère, handicap
et maladie du père, des frères et des sœurs) – ce qui éclaire une
inhibition à aller plus de l’avant dans son activité profession-
nelle. Sa vie amoureuse homosexuelle souffre elle aussi de
cette répétition, il se plaint de porter beaucoup d’attention aux
attentes de son compagnon qu’aux siennes. C’est dans ce con-
texte qu’émerge un projet de parentalité : son ami et lui sou-
haitent pouvoir éduquer un enfant et, dans le même temps, son
ami engage le même projet (ou, plutôt, un projet parallèle)
avec une amie à lui, une femme homosexuelle qui désir être
mère et avoir un enfant. Comme on peut voir la situation n’est
pas simple même si les désirs de chacun sont clairement affir-
més. Cette femme tombe enceinte du compagnon de mon pa-
tient, et, petit à petit, se met en place une configuration où,
d’une part un véritable couple tend à se former entre cette
femme et le père (« biologique ») et où, d’autre part, ils se ren-
82 La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ?

contrent de plus en plus fréquemment à trois pour dîner ou


sortir le soir. On peut ici distinguer trois parentalités : celle
des deux parents « à proprement parler » qui s’attachent l’un
à l’autre autour de l’enfant à naître (mais sans vie sexuelle
entre eux), celle du couple établi depuis longtemps entre ce
père virtuel et le patient, et, fait peut-être le plus intéressant
ici, celle d’un accueil de l’enfant par ces trois-là construisant
une néo-famille. Les deux parents purement « biologiques »
au départ deviennent des alliés risquant de supplanter le cou-
ple homoparental, du moins telle est l’appréhension de mon
patient confronté à ce qu’il croit être une position de mère tra-
ditionnelle hétérosexuelle chez cette femme. Ce qui pourra lui
être interprété dans la continuité de la compréhension de sa

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tendance fondamentale à l’effacement face aux autres, et, sin-
gulièrement, face à la mère déprimée de son enfance. Cette si-
tuation d’inégalité de statuts (le patient sera l’un des pères de
l’enfant, mais peut-être « moins » que l’autre) génère un for-
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midable bouleversement des identifications, des régimes d’in-


vestissement et des solutions jusqu’alors adoptées. Le groupe
parental des trois équilibrera-t-il le couple des parents biolo-
giques ? Quelle sera sa place à lui ? Luttant pour occuper la
place qui lui revient, il se sent moins amoureux de son ami, et
remontent en lui des conflits anciens trop longtemps réprimés
(la révolte contre l’assignation familiale à un rôle d’adulte sa-
crificiel et aidant ainsi qu’une dimension œdipienne jusqu’alors
refoulée). Les mécanismes de défense cédant, la difficulté
6 Mesurons l’écart mais subjectale s’exprime comme telle dans un présent de crise non
aussi finalement les
points communs entre dépourvu d’issues possibles quoi qu’encore confuses, l’une
une « famille d’accueil » d’entre elle consistant en cette fonction d’accueil – de l’en-
contemporaine pour fant, mais tout autant de relations nouvelles aux autres. Car à
enfants « placés » retirés
d’une famille première côté de la parenté et de la parentalité cherchant tant bien que
maltraitante, et le mal à se différencier, apparaît ici une autre dimension qui les
placement en nourrice transcende : l’accueil, le désir, inextricablement imaginaire et
loin du domicile parental
d’un enfant d’aristocrate
symbolique au-delà du biologique et du social-éducationnel 6.
du XVIIIè siècle. Nous avons tous à l’esprit des exemples où un discours
L’armature imaginaire et
symbolique de la parenté
« adulte », la volonté de bien peser les termes d’une alterna-
aristocrate du XVIIIè, quoi tive, de juger par exemple sans illusion juvénile les impasses
que maltraitante à sa jugées irrémédiables d’une relation que l’on interrompt alors
façon, fournissait sans
doute plus
qu’elle apportait pourtant des satisfactions, à moins qu’il ne
d’identifications s’agisse de s’enferrer au contraire dans un lien destructeur,
subjectivantes. recouvrent un conflit pulsionnel « classique ». Mais ce qu’il y
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 83

a désormais de nouveau c’est l’exigence culturelle de respon-


sabilité déviée dans des rationalisations concernant la paren-
talité, celle qui lie aux enfants et qui assujettit sans fin aux
variations des conduites des parents et désormais celle qui
semble présider à la gestion du couple. Au discours social
compassionnel obsédé par la sécurité correspond une redon-
dance des discours individuels contraints par l’idéal d’un lien
de type “parental” étendu à tous les types de relation, justifiant
des ruptures amoureuses répétitives avec d’excellents argu-
ments, là où agit souterrainement un désengagement subjectal
(affectif et pulsionnel). On “décide” de mettre fin à une rela-
tion amoureuse parce que le/la partenaire présente des traits
narcissiques par exemple, ou encore parce que la passion

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amoureuse diminue et nourrit moins le narcissisme propre : la
raison réside souvent en fait ici dans une phobie de l’implica-
tion affective, pulsionnelle interpsychique forcément de plus
en plus intense (et ressentie comme étouffante) dans la pro-
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grédience de la relation, autrement dit dans une phobie du


désir véritable, que l’on peut définir comme désir de proxi-
mité toujours croissant entre deux psychés se pénétrant l’une
l’autre. En ce cas le discours contemporain sur la parentalité,
s’étendant jusqu’à un discours sur les bons usages de l’amour,
correspondrait à une forme nouvelle du refoulement et de
l’inhibition de toujours. Si d’un côté la phase de latence est
sérieusement mise à mal chez de nombreux enfants par l’omni-
présence de représentations excitantes de ce qui devrait être
refoulé, d’un autre côté une nouvelle latence généralisée sem-
ble s’avancer dans le souci du lien, le désinvestissement
corollaire du sexuel et l’augmentation réactive paradoxale
d’agirs violents désobjectalisants 7.
Le sujet humain ne peut-il émerger (et se « subjectiver »)
que dans l’Œdipe ou, plus largement, que dans le lien généa-
logique de filiation ? On ne saurait ici se satisfaire d’opinions,
de souhaits ou d’idées reçues dans un sens comme dans un
7 Je développe plus
autre : dans les discours actuels sur la parentalité la réflexion
amplement ces vues
reste insuffisante sur la distinction à faire entre la relation sou- sur les pathologies
haitée à un enfant et le fait qu’il devienne son enfant (ce qui contemporaines dans
est le propre de la filiation) : ce désir-là suppose une implica- mon ouvrage
La Rencontre
tion où l’on se donne totalement, mais du même coup où l’on Psychanalytique, Paris,
reconnaît en soi une incomplétude, que la différence des sexes Dunod, 2011.
84 La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ?

représente par excellence, mais qui pourrait, peut-être, se voir


représentée et symbolisée autrement.
Si, aujourd’hui, les interdits familiaux et sociaux se font
moins contraignants, le besoin psychique interne de référence
à la Loi, lui, ne diminue pas, ce qui entraîne une discordance
et un sentiment dépressif généralisé. La fonction paternelle ne
disparaît pas, elle change et dans cette transition on dirait
qu’elle tient paradoxalement grâce à ses défaillances parce que
celles-ci suscitent à son égard un appel renouvelé - du moins
jusqu’à un certain point, on ne saurait sous-estimer les patho-
logies liées à une insuffisante différenciation de la fonction
paternelle par rapport à la fonction maternelle.

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L’anthropologue Maurice Godelier suggère que nous serions
parvenus à un certain équilibre entre la parenté (alliance et
filiation) et la parentalité (gestion sociale civilisée de la repro-
duction de l’espèce et de la transmission de sa culture) 8. Il y
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aurait là plus continuité que rupture dans la mesure où les sys-


tèmes de parenté auraient toujours été au service d’une produc-
tion du social par le social, avec des variations plus importantes
qu’on ne le pense. Peut-on néanmoins repérer quelques inva-
riants au sein de ces variations ? Une discussion récente avec
Maurice Godelier 9 a fait avancer la question.
À propos des Moso (parfois dits Na), peuple tibéto-birman
de Chine, où le système matrilinéaire est poussé à l’extrême
(il n’y a pas de mariage, frères et sœurs vivent ensemble et cel-
les-ci élèvent les enfants qu’elles ont avec des amants jamais
considérés comme des maris ou des pères, la prohibition de
l’inceste concerne les relations entre frères et sœurs), Maurice
8 Godelier M., Godelier fait remarquer que la parenté s’y présente comme
Métamorphoses de la parentalité : les frères renoncent à leurs sœurs et désirent les
parenté, Paris, Ed.
Fayard, 2004.
sœurs des autres, il y a échange social total, sans reste, hors
l’atome fermé du triangle œdipien. La sexualité foncièrement
9 Godelier M., «Freud
et Lévi-Strauss asociale, ainsi contrôlée, est mise au service de la production
désarçonnés : à propos du lien social. Je lui posais alors la question suivante : certes
de l’inceste», in sous la les Moso ignorent notre catégorie occidentale de « père » et
direction de F. Richard et
F. Urribarri, Autour de même de géniteur, mais ne trouve-t-on pas chez eux un savoir
l’oeuvre d’André Green. sexuel primaire de sujets dans leur rapport psychique à leurs
Enjeux pour une pulsions (savoir qu’un enfant est toujours issu d’un coït entre
psychanalyse
contemporaine, Paris, un homme et une femme, même si les mythes, les théories
P.U.F., 2005. sexuelles collectives, en proposent des versions déplacées et
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 85

baroques) ? Dans toutes les sociétés humaines les incestes


père-fille et surtout mère-fils, malgré des transgressions, ne
furent-ils pas rares et toujours très mal considérés ? D’ailleurs,
comme le dit P. De Neuter 10 chez les Moso, les relations entre
fille et père (lorsqu’il est connu) sont explicitement décon-
seillées tandis que les mères sont angoissées de la proximité
qu’elles peuvent avoir avec leurs enfants, les choses n’étant
pas aussi simples qu’il y parait. Maurice Godelier répondit
qu’il y a un niveau du lien et de l’identité sociale qui englobe
et dépasse la parenté dans une totalisation de l’imaginaire
dans le sacré. « Le sexuel prohibé devient du social et celui-ci
devient du parental, lequel à la fin redevient du sexuel » 11 où
la différence entre les sexes est marquée par des attributs

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sociaux et par la transmission intergénérationnelle incons-
ciente. Le psychanalyste entend dans son fauteuil des théories
infantiles à survalorisation symbolique, l’anthropologue étu-
die les ensembles imaginaires politico-religieux totalisants
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qui organisent le sexuel, autorisant tel type d’union sexuelle et


prohibant tel autre. Dans les mythes et les rituels la société
parle d’elle-même et s’avoue infantile. Comme on peut voir,
l’approche anthropologique dialectise et rend complémentai-
res parenté et parentalité : il y a socialisation du sexuel mais
aussi imprégnation de tous les rapports sociaux par la logique
et les représentations du sexuel.
Godelier parle d’un « pur imaginaire » exigeant des « prati-
ques symboliques » organisatrices fortes (mythes, rites, construc-
tions politiques, transmission intergénérationnelle inconsciente
de l’imaginaire collectif totalisant). Que devient dans le monde
actuel ce « niveau de totalisation de l’imaginaire dans le sacré, 10 Neuter de P.,
irréductible à ses constituants » (ibid¸ p. 254) ? L’avènement « « Avec ses frères et
sœurs, toute sa vie, sous
de la rationalité technique et scientifique favorisant une le même toit. Notule à
croyance en la production du social par le social, le niveau de propos de la fratrie chez
la construction des sujets dans leur rapport au sexuel garde-t- les Moso de Chine »,
Cahiers de psychologie
il la même importance ? L’anthropologue s’avoue ici déso- clinique, n° 27, 2006/2
rienté, ainsi Godelier peut-il déclarer, en contradiction avec sa 11 Godelier M., Ibid.,
propre conception d’une créativité collective à la fois imagi- p. 253.
naire et symbolique culminant dans le sacré, que « nulle 12 Godelier M., « La
part… la famille et les rapports de parenté n’ont la capacité de famille en chantier .
Entretien avec Maurice
fabriquer une société » 12. Il brosse le tableau d’une coexis-
Godelier », Le Monde
tence, à propos des familles recomposées, « des rapports de Magazine du 4
parenté classiques combinant parenté biologique et parenté décembre 2010.
86 La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ?

sociale – parents, frères et sœurs – et des rapports de “quasi-


parenté” uniquement sociale – beaux-parents et quasi frères et
sœurs » (ibid.). Il est en effet requis des beaux-parents qu’ils
se comportent comme des parents (ne pas avoir de relations
sexuelles avec les enfants de son nouveau conjoint bien
qu’aucun lien biologique ne les unisse) : doit-on en conclure
à l’apparition d’une autorégulation civilisée et éducationnelle
de la société par elle-même qui remplacerait le lien de recon-
naissance mutuelle dans la filiation, lequel est imaginaire et
symbolique, et pas « biologique » et/ou « social » ? Sans qu’on
y prenne garde, les termes de « biologique » et de « social »
remplacent ceux d’« imaginaire » et de « symbolique » : ce
glissement impose un nouveau paradigme, celui d’une équi-

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valence de la parenté avec le biologique et de la parentalité
avec le social. L’idéologie contemporaine d’homogénéisation
du monde humain à un seul niveau, celui de la réalité sociale
s’autogérant, se reproduisant, pour le bien de tous, fraternel-
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parental, s’est emparé du discours de l’anthropologie sociale,


qui nous avait pourtant appris à concevoir la référence incoer-
cible de la psyché humaine à une dimension d’altérité à la fois
fondatrice et libératrice. Que devient l’ouverture à une altérité
sans fond et sans fin dans cette vue d’un simple « accompa-
gnement » des « transformations de la société » vers plus
d’individualisme ? Je suis d’accord avec Godelier lorsqu’il dit
que « Dans une famille qui compte “deux mères”, la figure du
père disparaît mais les oncles, les cousins ou les grands-pères
peuvent devenir des vecteurs d’identification de la fonction
paternelle », plus encore, je dirais que le contexte d’une société
où continue à exister simultanément le système représenta-
tionnel de la parenté centrée sur le père et sur la mère, suffit à
procurer aux enfants d’un couple homoparental des repérages
semblables à ceux des autres enfants.
Dans le même ordre d’idée, comment ne pas voir que le
projet de révision des lois de bioéthique prévoyant de lever
l’anonymat des donneurs de gamètes (ovocytes ou sperme),
sous couvert de garantir l’accès à leurs origines, des enfants
nés d’un don de gamètes (ce qui est en effet souvent leur
demande) constitue un paradoxe, puisque la donneuse d’ovo-
cyte ou le donneur de sperme y sont dans le même geste
magnifiés comme originaires et diminués à du biologique
dépourvu de consistance imaginaire, symbolique, sociale ?
La « parentalité » : remède au malaise dans la culture ou forme nouvelle du refoulement et de l’inhibition ? 87

Ou encore, comment comprendre l’attitude consistant à se


dire favorable à la pratique des « mères » porteuses d’un enfant
qui ne sera pas leur enfant, pour la seule raison que « cette
évolution est irréversible » et qu’il faut donc réglementer des
« indemnisations limitées afin de montrer qu’il ne s’agit pas
d’une location d’utérus ou d’un acte de prostitution de la
maternité » ? L’ancien imaginaire patriarcal misogyne (avec
la lourdeur de ses théories sexuelles névrotiques) ne fait-il pas
formidablement retour dans cette dénégation ? Gageons que
le travail d’élaboration symbolique collective sur ces ques-
tions ne fait que commencer, et qu’il sera long et passionnant.
L’histoire hésite ici entre plusieurs directions, elle est à

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faire comme le dit Castoriadis. Le discours sur un supposé
« retard français » concernant les lois sur la parentalité et la
bio-éthique n’exprime-t-il pas une croyance en la fin de
l’histoire ? Au-delà du caractère irrecevable d’un argument
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calqué sur un stéréotype politique (le « retard » d’une fiscalité


trop élevée par exemple), on doit voir sa cohérence idéologi-
que : le progrès triomphe dans une post-modernité (ou une
hyper-, une sur-modernité) où, comme le dit Godelier, pour la
première fois dans l’histoire humaine, le social est en mesure
de se gérer et de se diriger lui-même, produisant une civilisa-
tion inédite en rupture avec toutes les cultures précédentes
fondées sur la parenté et sur un nouage de l’imaginaire et du
symbolique dans des formes variées du sacré. Ce qui pose pro-
blème ne réside pas seulement dans les innovations actuelles,
mais aussi dans une certaine façon d’en parler, d’une part
comme si elles étaient la réalité historique accomplie, d’autre
part comme s’il s’agissait de les défendre contre une instance
condamnatrice et de contre-attaquer en s’en prenant aux caté-
gories de la filiation imaginaire et symbolique (que l’on confond
alors avec la forme historiquement datée du droit patriarcal),
sans voir qu’on se prive ainsi de la richesse psychique à
l’œuvre dans cette générativité des systèmes de parenté où
Godelier voit à juste titre une métamorphose. Comment ne pas
discerner que se profile, sous couvert d’une bonne direction
du social par lui-même, un nouveau puritanisme au service du
refoulement, hostile à cette capacité de métamorphose qui
n’est autre que celle de la psyché ?

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