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Dynamiques familiales et conduites addictives : l'exemple

des toxicomanies
Myriam Cassen
Dans Le Journal des psychologues 2008/1 (n° 254) , pages 57 à 60
Éditions Martin Média
ISSN 0752-501X
DOI 10.3917/jdp.254.0057
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pages fondamentales

SYSTÉMIQUE
Dynamiques familiales
et conduites addictives :
l’exemple des toxicomanies

Myriam Cassen Psychologue clinicienne


Responsable de l’institut
Michel-Montaigne,
Bordeaux
Thérapeute familiale
Partant du présupposé que la compréhension des conduites addictives et de couple
Addictologue
ne peut être que multiple, c’est au modèle systémique d’approche familiale
des addictions que l’auteur s’intéresse ici. Myriam Cassen pose notamment
la question de la fonction du symptôme dans l’homéostasie familiale.
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L
a compréhension que nous avons s’agit de réponses impulsives-compulsi- ce qui expliquerait leur choix sans cesse
aujourd’hui des conduites addicti- ves liées au rôle du cortex préfrontal dans répété de récompenses immédiates et
ves, quel que soit le produit utilisé, le contrôle inhibiteur. Un dérèglement donc leur incapacité de différer une
est multifactorielle et intègre des données fonctionnel du cortex préfrontal serait conduite. Le développement de l’addiction
de divers champs – neurobiologique, à l’origine de ces conduites impulsives- entraîne un dérèglement de la capacité
sociologique, familial. Nous traiterons ici compulsives (Jentsch et Taylor, 1999). Les d’attribuer à un « renforceur » commun
plus particulièrement de la dimension états de motivations internes, qui orien- une valence attractive normale en raison
familiale, même s’il apparaît aujourd’hui tent le sujet vers la consommation de de l’usurpation de ces valences par les dro-
que les trois sont interactives et parfois « renforceur » primaire (la drogue, par gues d’usage au détriment des capacités
difficilement dissociables. exemple), sont régulés par un contrôle de choix – ou de libre arbitre – du sujet. Ces
Il semble important de commencer par un inhibiteur puissant préfrontal. circuits de contrôle inhibiteur doivent avoir
bref rappel neurobiologique. Son dérèglement provoque une concen- été sollicités régulièrement pour être en
tration des conduites sur les stimuli de mesure de fonctionner. Cela renvoie donc
Sur le plan neurobiologique, nous savons au rôle réellement essentiel des parents et
que les régions préfrontales sont impli- dépendance. Il y a d’ailleurs une conver-
gence des données expérimentales (ani- de la famille.
quées dans des mécanismes essentiels de
contrôle et d’inhibition (Le Moal, 2006). males) et de l’imagerie cérébrale en ce
Ces mécanismes sont affectés par une domaine. Beaucoup de jeunes « addicts » Des facteurs familiaux
exposition importante et prolongée aux présentent des anomalies graves du fonc- et socio-environnementaux
drogues, et ces dysfonctions cognitives tionnement des cortex préfrontal et cingu-
peuvent provoquer une incapacité d’inhi- laire, et donc une détérioration des con- Un modèle familial fut proposé par Denise
ber les réponses associées aux drogues. Il trôles inhibiteurs et des prises de décision, Kandel (1975) qui mettait l’accent sur le fait

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que l’initiation du processus était plutôt dans un monde – le monde de la drogue –, les travaux de William R. Miller (2003).
socio-environnementale, alors que la opposé aux valeurs sociétales et parenta- Aux équipes de soins de reconsidérer
dépendance semblait plutôt liée à une psy- les. Il s’agit bien là d’une solution para- alors la place des membres familiaux dans
chopathologie préalable et-ou à des fac- doxale, une pseudo-individuation per- les protocoles de prise en charge 1. Si la
teurs biologiques et génétiques. Mais qui va mettant d’être à la fois dedans et dehors, famille contribue aux difficultés d’un de
succomber ? Qui est résilient ? L’importance où l’on s’émancipe apparemment de sa ses membres, elle peut aussi contribuer à
des facteurs familiaux est considérable. famille tout en y restant, puisque l’addic- l’amélioration de la situation. Encore faut-
Les consommations d’alcool et de tabac tion entretient la dépendance à la famille il que le regard des soignants évolue et ne
apparaissaient essentiellement influen- sur les plans économique et affectif, les les considère plus dans une causalité
parents se sentant obligés de protéger linéaire et simpliste comme étant les seuls
cées par les pratiques sociofamiliales, cel- responsables – et donc coupables – des
les de cannabis par les pairs, et les usages l’« addict » de lui-même.
Ce modèle de compréhension a évidem- difficultés de leur enfant. Si la famille fait
d’autres drogues illicites surtout par des partie du problème, elle fait aussi partie
facteurs familiaux. ment des limites. Il s’agit d’un modèle des-
de la solution.
La description typique de la famille criptif et non étiologique ne prenant pas
en compte d’autres facteurs de vulnérabi- Dans le même temps, les conceptions du
« addicte » (description qui apparaît sevrage et du mieux-être en addictologie
aujourd’hui caricaturale) décrivait la mère lité qui interagissent avec les dynamiques
familiales. Par ailleurs, il est établi, à l’in- évoluent.
comme hyperprotectrice et permissive, le
père comme absent, détaché ou parfois verse de ce modèle, que beaucoup de En toxicomanie, tout d’abord, une appro-
violent, imprévisible, un « homme de patients « addicts » avaient plutôt connu che plus nuancée s’est développée en
paille ». De même, ces premiers travaux des expériences précoces de séparation, reconnaissant l’utilité et la légitimité d’ob-
soulignaient des taux très élevés de sépa- de placement, de ruptures… Bel exemple jectifs intermédiaires qui introduisaient
rations et de pertes. d’équifinalité ! une dimension comparative (aller mieux)
Tout cela explique, pour partie, que beau- et non plus absolue (tout ou rien). Ainsi, on
Salvador Minuchin et Jay Haley dévelop- pouvait penser que prendre moins de pro-
pèrent un premier modèle systémique coup d’intervenants dans les années
1970-1980 aient eu la tentation de la duits différents, moins illégaux, moins sou-
d’approche familiale des addictions, mais vent, en moins grandes quantités, avec des
c’est à M. Duncan Stanton et Thomas Todd « parentectomie » : pour soigner le jeune
usager de drogues, victime d’une famille modes d’administration moins périlleux
que l’on doit les premiers travaux spécifi- (par voie intraveineuse), était préférable à
ques, en 1978 et 1982. (et d’une société) pathogène(s), il fallait,
pour son bien, le couper de cet environne- un idéal parfois inaccessible d’abstinence.
Au-delà des particularités déjà relevées, ces ment « toxique ». C’est l’enjeu des politiques de réduction
auteurs notèrent l’extrême fréquence des des risques et des dommages.
Pour autant, ce type de problématique de
interactions, souvent conflictuelles, entre Dans cette perspective, même la
séparation-individuation pourrait débou-
les jeunes « addicts » et leur famille, de lon- « rechute » n’est plus perçue comme une
cher sur toutes sortes d’autres symptô-
gues cohabitations, généralement difficiles, mes, pourquoi spécifiquement l’addic- fin du monde, un nouvel échec rédhibi-
qui posaient le problème de la dépendance tion ? Cela pose la question du « choix du toire, mais plutôt comme une étape dans
affective et évoquaient par là même une symptôme ». Certains facteurs familiaux le parcours de soins dont il convient de
entrave au processus d’individuation du sont plus particulièrement associés au tirer les leçons pour aller plus loin. C’est
jeune addict. Pour problématique qu’elle plan épidémiologique : familles déjà expo- souvent l’expérience de la rechute qui met
est, la toxicomanie participe et résulte de sées à des usages de substances psy- le patient sur la voie de ses propres vulné-
l’équilibre familial. Ainsi, ces deux auteurs choactives (tabac, alcool, drogues…) ou à rabilités psychologiques, familiales, socia-
insistèrent-ils sur la fonction du symptôme
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d’autres pratiques addictives (jeu, vidéo, les. Le produit n’explique pas tout.
dans l’homéostasie familiale. etc.), familles collées avec de forts liens
L’addiction protégerait la famille en don- d’étayage réciproque, relation mère- Une alliance thérapeutique
nant à l’« addict » une raison externe, enfant symbiotique, forte présence des
acceptable, de ne pas s’autonomiser. L’an- décès, familles en cours d’acculturation. C’est ce point de vue qui a permis à la poli-
goisse fondamentale de séparation ali- Afin de permettre l’évolution de la problé- tique de réduction des risques et des
menterait des mécanismes de codépen- matique et donc l’amélioration de la qua- dommages de se développer, en France,
dance : « Nous accepterons tout, plutôt lité des interactions familiales, il est impor- depuis 1987. Elle entérine cette nouvelle
que de te voir nous quitter. » tant de favoriser l’alliance thérapeutique approche pragmatique : programmes
avec les familles. d’échange de seringues, « boutiques »,
Sur le plan psychobiologique, le recours substitution, etc.
au produit en induisant un plaisir régressif
infantile fonctionne également comme Travailler avec On renonce à l’idéal d’abstinence immé-
anxiolyse. Il permet la mise à distance des diate pour que les patients « aillent mieux »
affects tout en permettant au sujet d’être et non sur la famille (VIH, insertion sociale, appui psychologi-
physiquement présent dans la relation. Quand les familles sont présentes – rap- que…), avec des objectifs plus rapidement
pelons que près de la moitié des toxico- accessibles.
Sur le plan comportemental, il crée une
apparente indépendance grâce à la vie manes suivis en centres de soin sont en En ce qui concerne les autres produits,
rupture ou en conflit avec leur famille –, nous pouvons noter que, pour l’alcool,
elles peuvent être un support essentiel de toutes les études indiquent également
1. Voir l’ouvrage de Ausloos G., changement dans le cadre d’approches que la réduction des quantités d’alcool
La Compétence des familles, paru en 1995, collaboratives. Il s’agit de travailler avec et consommé et/ou du nombre de jours de
aux éditions Érès. non sur la famille, comme le préconisent consommation ont un effet bénéfique.

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Pour le tabac, la réduction de la consom- culpabilité sont fréquents. De même, les une pathologie vise à sa propre pérennité,
mation n’a pas un effet immédiat sur le sentiments de dépression et les dynami- il développera donc toute sorte de straté-
risque de cancer, mais permet d’améliorer ques de renoncement sont souvent à gies pour s’assurer de cet objectif. Ces
le pronostic en termes de problèmes res- l’œuvre. Le thérapeute jouera donc un rôle stratégies permanentes permettent l’ho-
piratoires et de risques cardio-vasculaires. fondamental en posant sur les familles un méostasie (l’équilibre du système). Il est à
Il est donc légitime de prescrire des gom- regard positif qui leur permette d’envi- noter que le terme « équilibre » est à
mes, y compris à un fumeur qui ne sou- sager un changement possible. entendre comme synonyme de pérennité
haite pas totalement arrêter, de façon à Nous allons donc présenter maintenant et non forcément d’harmonie et de bien-
réduire certains des risques somatiques. quelques principes de l’approche sys- être. Un couple ayant un problème d’al-
Cette approche plus nuancée suggère une témique appliquée au traitement des cool depuis dix ans constitue un système
évaluation des progrès non plus fondée addictions. en équilibre, c’est-à-dire qu’il a construit
sur la seule approche toxicologique, mais des modalités de relation qui s’inscrivent
prend en compte des paramètres biomé- dans un contexte qui dure depuis une
dicaux, psychologiques, socio-environne- Approche systémique décennie. Comment font-ils pour que ce
mentaux et de qualité de vie. Cette dyna- et addictions système de maltraitance et de souffrance
mique, souvent plus proche des attentes perdure ? Le thérapeute systémique insis-
des patients, permet de bâtir plus aisé- Gregory Bateson, ethnologue, dont l’in- tera dans ce cas précis sur ces aspects
ment une alliance thérapeutique. fluence dans le champ systémique a été d’autopréservation d’un système qui pro-
fondamentale, considérait que la compré- duit un trouble des conduites. Il analysera
Cette approche progressive permet égale- hension d’un comportement était lié au avec les patients les modalités des inter-
ment de prendre en charge des personnes contexte dans lequel il apparaissait. actions ainsi que la fonction et le sens de
qui fuyaient les soins parce qu’elles ne la violence dans la relation.
voulaient pas arrêter ou ne pensaient pas « Le psychiatre est formé pour aborder un
pouvoir y arriver. cas particulier avec un modèle de maladie ● Le principe d’équifinalité, qui postule
mentale, il essaye de se l’expliquer grâce à que des causes différentes peuvent avoir
Beaucoup de patients n’arrêteront leur ce modèle. » (Bateson, 1977.) G. Bateson un même effet ou des causes semblables
consommation que s’ils ne se sentent pas s’est intéressé aux conditions qui ont per- des effets différents, nous amène à renon-
acculés à le faire. En effet, les pressions de mis l’émergence dans tel système humain, cer au concept de causalité linéaire et à
l’entourage, les attentes des soignants, dans tel contexte, de ce comportement nous interroger sur la complexité multifac-
engagent souvent le patient dans un bras particulier. Ce qui fait sens est alors indis- torielle à l’œuvre dans toute production
de fer avec ses proches et l’entourage sociable du contexte qui le fait naître. humaine.
médical. Donc, créer un nouveau contexte inaugure
de nouvelles interactions. Fondamentalement, les systémiciens
Il y a là un paradoxe clinique. Lorsque les insistent sur le fait que toute difficulté,
différents entourages – amical, familial, C’est ainsi que Paul Watzlawick, philoso- tout comportement ou trouble des condui-
social – renoncent aux tentatives de per- phe et figure éminente du champ systémi- tes sont le résultat d’une conjonction
suasion et à influencer la démarche du que, a formulé l’hypothèse des prophéties d’éléments, conjonction dans laquelle les
patient, il est alors possible, pour ce der- autoréalisatrices. Si le modèle social ou réactions et rétroactions de chacun des
nier, de mettre en place une démarche de médical pense que la rechute est assurée membres du système ont également leur
soin qu’il a le sentiment d’avoir pleinement et l’évolution nécessairement péjorative importance.
choisie. (« Qui a bu boira ! », « Ces alcoolos, ou ces
toxicos, ils ne s’en sortent jamais, ils n’ont Le système thérapeutique résulte donc
Viser plus simplement à aller mieux grâce à des interactions thérapeute-famille. Les
toutes sortes d’objectifs accessibles – pas de volonté »), les patients ont alors,
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hélas, des risques de se conformer à ce protocoles de soin sont coconstruits par la
réduction de la consommation, doses famille et le thérapeute, ce dernier s’utili-
moins importantes…– permet à la per- modèle.
sant comme amplificateur des ressources
sonne dépendante d’expérimenter une de la famille.
forme de contrôle de sa consommation. Ce Les quatre principes fondamentaux
vécu, en renarcissisant le patient, lui per- Dans une perspective systémique, il s’agira,
met également d’envisager à moyen terme de la théorie systémique pour une famille (ou un système) dont un
la maîtrise ou la fin de la dépendance. La théorie systémique postule quatre membre est dépendant d’un produit, de
principes fondamentaux régissant tout permettre la reconnaissance du trouble
Nous comprendrons aisément que, dans par l’ensemble des personnes concernées,
ce contexte, le travail avec les familles système humain.
d’ouvrir la possibilité d’en parler et de le
s’avère un outil important pour soutenir et ● Le principe de totalité souligne l’interdé-
dénommer, de repérer les interactions qui
favoriser la démarche du patient. En effet, pendance de tous les éléments consti-
si les interactions familiales peuvent sont des facteurs aggravants, qui pérenni-
tuant le système : si un élément change, sent ou, au contraire, favorisent une évo-
constituer parfois une entrave à l’évolu- alors l’ensemble du système changera.
tion du sujet, elles peuvent aussi permet- lution positive.
● Le principe de non-sommativité insiste
tre d’expérimenter de nouvelles relations. Le thérapeute, avec la famille et le patient
C’est là tout le travail du thérapeute que sur le fait qu’on ne peut réduire le système désigné, va construire un protocole de
d’aider la famille à développer et à expri- à la somme des éléments qui le compose et soins à chaque fois différent, chaque sys-
mer sa propre compétence en matière doit tenir compte des phénomènes propres tème étant singulier. Le protocole peut
d’empathie et de soutien. L’entourage au système, comme sa dynamique, son comporter différentes étapes. L’explora-
familial, lorsqu’il arrive à la consultation, identité, la qualité de ses interactions, etc. tion du problème se fera auprès de cha-
a souvent un vécu long et difficile de l’ad- ● Le principe d’homéostasie. Tout système cun des membres de la famille : « Quel est
diction. Les sentiments d’échec et de confronté ou non à des difficultés ou à le problème pour vous ? », « D’après vous,

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quel est le problème pour vos parents, Depuis une vingtaine d’années déjà, nos
votre conjoint ? », « Qui souffre du pro-
blème ? », « Qui demande quoi ? » Il s’agit,
amis anglo-saxons ont expérimenté un
modèle de groupes multifamiliaux. Il s’agit,
Bibliographie
en réalité, d’un travail sur la représentation à raison d’une séance mensuelle, d’un tra-
de chacun, débouchant sur la construction vail thérapeutique avec quatre ou cinq Ausloos G., 1995, La Compétence des
d’un contexte visant à favoriser l’empathie. familles vivant le même type de difficulté. familles, Ramonville-Sainte-Agne, Érès.
Nous rappelons que l’empathie est la On peut, selon les séances, dissocier
capacité que nous avons d’imaginer ce parents et fratrie du groupe de patients Bateson G., 1977, Vers une écologie
que vit et ressent l’autre, de nous décen- toxicomanes. de l’esprit, Paris, Le Seuil.
trer de notre point de vue pour expéri- Toutes les évaluations de ce type de pro-
menter un regard différent sur telle ou Cassen M., 2007, « Thérapies
tocole de soin, qu’il s’agisse de patients multifamiliales et addictions », in Cook
telle situation ou problème. schizophrènes, toxicomanes, en situation Darzens S., Thérapies multifamiliales : des
Il conviendra d’identifier toutes les tentati- précaire…, concluent à une nette amélio- groupes comme agents thérapeutiques,
ves de solution mises en place par la ration des problématiques, qu’il s’agisse Ramonville-Sainte-Agne, Érès.
famille. Elles seront explorées ainsi que de compliance au traitement (patients
les alliances ou coalitions cachées qui schizophrènes), de diminution des con- Cassen M., 2004, « Maternité et
pourraient être des obstacles à l’améliora- sommations (patients toxicomanes), d’a- toxicomanie », in Addictions au féminin,
tion de la situation. Le thérapeute peut- mélioration des relations intrafamiliales 2, Inserm.
être amené à souligner parfois le « tou- des compétences sociales, etc.
jours plus de la même chose » dans lequel Le Moal M., 2006, « Théories
nombre de familles s’enferment. Sont neurobiologiques de l’addiction », in
nommées « toujours plus de la même En conclusion… Reynaud M., Traité d’addictologie, Paris,
chose » toutes les stratégies relationnelles Nous insisterons sur le fait que les dynami- « Médecine-Sciences », Flammarion.
conscientes ou inconscientes qui débou- ques familiales, si elles jouent un rôle dans
chent sur des phénomènes de redondance l’émergence des problèmes d’addiction, Miller W. R., 2003, « A Collaborative
et de répétition. sont elles-mêmes un facteur parmi tant Approach to Working with Families »,
Il s’agira notamment de permettre à cha- d’autres pour comprendre ce phénomène. Addiction, 98 (1) : 5-6.
cun de sortir du bras de fer avec le patient On ne perdra pas de vue que, si la com- Stanton D. et Todd T., 1978, Heroin
désigné. On tentera d’anticiper et de plexité de ces situations nous conduit à Addiction as a Family Phenomenon,
promouvoir les contextes de facilitation prendre en compte des causalités multi-
des relations. A contrario, les situations à New York, Guilford Press.
factorielles, elle doit aussi nous inciter à
risque seront analysées, repérées, et l’en- multiplier des modèles de soins suscep- Stanton D. et Todd T., 1982, The Family
semble du groupe familial sera mis tibles de répondre à différents aspects des Therapy of Drug Abuse and Addiction,
à contribution afin de promouvoir leur problématiques addictives. ■ New York, Guilford Press.
évitement.
Il conviendra également de procéder à une
co-évaluation des changements : Qu’est-ce
qui a changé ? Pour qui ? Qu’est-ce qui est
privilégié dans ces nouvelles interactions ?
Ou bien qui ? Y a-t-il des perdants ? Des
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nouveaux problèmes ? Quelles stratégies
la famille pourrait-elle développer pour
retrouver l’état antérieur, tant le change-
ment peut être source d’angoisse ?
Le travail pourra se poursuivre sur les
mêmes bases ou déboucher sur des modi-
fications du protocole de soins après éva-
luation conjointe : Quels sont les nouveaux
problèmes ? Sur quoi va-t-on travailler ?
avec qui ? comment ?
Les thérapeutes peuvent être parfois
amenés à changer le cadre de la prise en
charge, par exemple passer d’entretiens
familiaux à des entretiens de couple.

2. À ce sujet, on lira avec intérêt le livre


Thérapies multifamiliales : des groupes
comme agents thérapeutiques, paru
aux éditions Érès, en 2007, qui fait le point
de façon relativement exhaustive sur cette
question

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