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L'Effet-mère de Dominique Guyomard.

L'entre-mère-et-
fille. Du lien à la relation
Joyceline Siksou
Dans Revue française de psychanalyse 2011/3 (Vol. 75), pages 898 à 901
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 0035-2942
ISBN 9782130587446
DOI 10.3917/rfp.753.0898
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 26/03/2023 sur www.cairn.info (IP: 191.179.160.73)

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L’Effet-mère de Dominique Guyomard1.
L’entre-mère-et-fille. Du lien à la relation

Joyceline Siksou

Dominique Guyomard poursuit dans ce livre sa réflexion sur une pulsion-


nalité qui serait spécifique au maternel, elle se penche plus particulièrement,
ici, sur le passage du lien à la relation dans l’entre mère et fille.
Cette recherche d’une spécificité pulsionnelle au maternel, D. Guyomard
l’a ébauchée antérieurement dans « La folie maternelle : un paradoxe ? »2,
article paru dans l’ouvrage collectif consacré à La Folie maternelle ordinaire
sous la direction de J. André.
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Le fil de l’ouvrage se tisse entre d’un côté le péril de l’identique entre
mère et fille et la recherche d’une altérité difficile à conquérir du fait de cette
« mêmeté » et de l’autre une nécessaire transmission de ce féminin en tant que
processus psychique civilisateur.
Ce livre me paraît personnel et foisonnant d’axes de discussion. Il renvoie à
la part d’inconnu et d’énigmatique du féminin. L’ouvrage est cependant difficile
d’accès, non pas tant du fait des références lacaniennes pour qui n’en est pas fami-
lier, références qui sont constamment explicitées, mais par rapport à l’hypothèse
de l’auteur. D.  Guyomard déplie, en effet, pas à pas, l’idée d’« une spécificité
pulsionnelle » au maternel… comme registre particulier d’une transmission du
féminin et d’un lien narcissisant mère-enfant. Cette modalité narcissique qu’elle
nomme « lien », « pour la différencier de toute relation d’objet », implique dans
sa construction « l’obligation d’un narcissisme an-objectal », créé par le lien
mère-enfant, « enveloppant la mère et l’enfant dans ce tissu, le maternel ». Le
maternel serait dans son hypothèse « le registre du lien, du narcissisme de ce lien-
narcissisant qui enveloppe la rencontre mère-enfant en la rendant possible ».
Ce temps an-objectal qui protège la rencontre mère-enfant comporte dans
cette construction son corollaire, un registre du maternel qui n’est pas sexuel.

1.  D. Guyomard (2010), L’Effet-mère, Paris, puf, « Petite bibliothèque de psychanalyse ».


2.  La folie maternelle : un paradoxe ?, in La Folie maternelle ordinaire (sous la dir. de J. André),
Paris, puf, « Petite bibliothèque de psychanalyse », 2006, p. 113-129.
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D. Guyomard soutient, par ailleurs, un refoulement nécessaire de la


matrice :  « Le refoulement du sexuel est la condition de protection de
la matrice. » Le refoulement de cet espace féminin « demande à être pensé dans
deux registres d’érotisation : celui du maternel, qui n’est pas sexuel, et celui
de la sexualité érogène liée à l’altérité qu’elle soit hétéro- ou homosexuelle ».
Ce lien premier serait solidaire de la construction du narcissisme et ferait
« empreinte comme lieu ». Ce lieu du maternel est métaphorisé par l’enve-
loppe maternelle : c’est le « creux de mère », « source de toute capacité de
représentation inconsciente du féminin »1, et ceci, dans les deux sexes.
« C’est à partir de cette trace mémorisable qu’une transmission pourra
avoir effet métaphorisant. » « Ce lien est, alors, lieu de résidence d’un fémi-
nin comme creux, creux de mère qui favorise une transmission de ce spécifi­
quement féminin entre une mère et une fille, où ne réside pas la pulsion comme
registre de la relation… »2
La transmission de cette expérience du féminin et l’empreinte mère-enfant
m’ont évoqué, avec des cheminements théoriques très différents, les hypothèses
avancées par C. Chabert. Il s’agit pour cette dernière, d’une transmission égale­
ment du féminin et également antérieure à la relation objectale, une transmission
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du féminin par une toute première empreinte, empreinte qui relierait à la mère
seule. « Une femme, elle, est arrimée inconsciemment à l’organisation pulsion­nelle
d’une mémoire conditionnant son ancrage féminin dans le sein de sa mère. »3
Pour C. Chabert, cette empreinte serait à la base des constructions soute­
nant les tout premiers processus d’identification, identification narcissique
originaire par quoi se transmettrait le féminin, empreinte du maternel et du
féminin de la mère chez les sujets des deux sexes. Ces identifications à l’origine
marquées par la confusion, fusion à un objet mal différencié, forment le creuset
d’une perte indéfinissable, lieu d’identification mélancolique à un objet jamais
perdu, marqué par son « avers incestueux et meurtrier ». Ceci au lieu même où
D. Guyomard situe ce temps an-objectal qui laisserait une trace mémorisable,
possiblement mélancoligène.
Dans ce premier temps de « la constitution d’objet » préalable au change-
ment d’objet, pour D. Guyomard, « l’objet concerne la rencontre de l’autre et
non la satisfaction pulsionnelle ». Il s’agit de la satisfaction pulsionnelle au sens
où l’entend Lacan : « L’objet de la pulsion fait croire à la toute-puissance de la
jouissance alors que l’objet “perdu” du désir inscrit l’altérité, et l’autre qu’est le

1.  D. Guyomard, ibid., p. 200 et 201.


2.  Nos italiques pour souligner ce spécifiquement pulsionnel qui parfois n’est plus là.
3.  C. Chabert (2003), Féminin mélancolique, Paris, puf, « Petite bibliothèque de psychanalyse »,
p. 12 et 13.
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sujet dans la castration. » L’enfant doit être objet du désir et non de la pulsion et,
comme on l’a compris, la pulsion n’intervient pas dans l’immédiateté du lien.
C’est par le biais de l’effet-mère, « l’éphémère », que D. Guyomard
approche le paradoxe nécessaire, à ses yeux, de la perte liée à la toute première
séparation et au passage de ce lien premier narcissisant à la relation objectale.
L’éphémère « dit la nécessité d’une transformation qui comporte une perte non
pas d’objet, mais de plaisir ».
Dans le chapitre consacré au passage à la relation, D. Guyomard interroge
la question de la perte et « la trace possible dans le parcours œdipien féminin
d’un accent mélancolique » lié au péril de l’identique et également à ce reste
spécifique au lien fusionnel. Ce reste « à la fois mémoire et cicatrice, du destin
de la part fusionnelle dont l’empreinte sera ou non source métaphorique des
identifications féminines possibles dans une transmission mère-fille ».
Le lien narcissisant convoqué dans la toute première rencontre mère-enfant
doit se défaire, se déchirer en tant qu’enveloppe afin que le lien fusionnel se
transforme et se transmette au travers d’une empreinte métaphorisable. Ce lieu
du maternel peut alors se symboliser, se métaphoriser par l’enveloppe mater-
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nelle : c’est le « creux de mère », « source de toute capacité de représentation
inconsciente du féminin »1.
On suit facilement D. Guyomard lorsqu’il est question d’« excès du lien »,
d’« excès de la pulsion » et des débordements pulsionnels « assujettissant le
féminin à un maternel qui n’est plus alors qu’une figure idéalisée surmoïque-
ment – et non incarnée par une mère – et qui pourrait se nommer : La Mère »,
ce que D. Guyomard dénonce ailleurs en tant qu’injonction d’idéalisation.
Dans ce registre « séparer est meurtrier ». Oui, mais sans doute pas seu-
lement dans ces cas en excès. Comment, en effet, concevoir cette séparation
originaire et cette transmission sans y inclure les fantasmes meurtriers et, en
particulier, le trajet qui va de la haine au désir meurtrier à l’égard de la mère ?
Évidemment, D. Guyomard ne méconnaît ni la haine ni les pulsions des-
tructrices, mais elle fait de la mère des premiers temps une mère qui doit être
passifiée/pacifiée.
Tous les développements cliniques de D. Guyomard et les pathologies des
ratages de ce temps premier, où la perte est érotisée et l’excès du lien dénoncé, ainsi
que les risques de mélancolisation du passage à la relation sont passionnants.
La première rencontre et le baby-blues qui lui est associé ouvrent le livre
et permettent à D. Guyomard de différencier la dépression du post-partum,
ratage d’un hors-temps de « solitude radicale », qui suit l’accouchement, du

1.  D. Guyomard, ibid, p. 200 et 201.


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baby-blues, ce moment où l’effet traumatique pour le psychisme de la mère


est double1 et où le recours possible ou non à l’empreinte du maternel joue ou
non comme effet antitraumatique.
La mère subit, alors, l’effet traumatique de la séparation d’avec l’enfant
imaginaire (Michel Soulé) : « L’activité fantasmatique est saturée d’une réalité
sidérante : celle de ces deux corps », le « télescopage de la défaite de l’imagi-
naire du désir inconscient… dans le face-à-face femme-bébé » et la confron-
tation « à ce qui d’elle est lié à la mémoire du nourrisson qu’elle a été pour sa
mère », « une symbolique sans représentations qui relie toute “parturiente” à
sa propre mère » et « à la mémoire inconsciente du narcissisme du lien ».
Ce dernier point, ce qui ne peut ni se représenter ni se symboliser, me paraît
essentiel, tout système théorique confondu, pour comprendre l’effet-mère,
formule très heureuse pour évoquer ces temps du maternel et du féminin dont
les traces cheminent et font retour de façon traumatique pour chaque femme
devenant mère ; ce lieu de mère, lieu métaphorique possible de la mémoire de
ce lien à condition qu’il y ait déjà eu symbolisation donc séparation.
Évidemment, on suit complètement D. Guyomard dans ce qui nous est
familier : la nécessité pour l’enfant de rencontrer une mère et une femme et
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non « La Mère », dans la nécessité également de rencontrer la castration de sa
propre mère afin de déjouer « l’excès du lien », l’excès de la pulsion en termes
de terreur/jouissance, haine/amour, la sauvagerie du « féminin ancré dans le
maternel ». On la suit donc dans l’idée qu’au-delà des identifications incons-
cientes à sa mère et à la Mère2 « être mère suppose – supposerait3 – que soit
symbolisée la fonction maternelle ».
Les questions posées par ce livre : (passage du lien à la relation et trans-
mission d’une première empreinte, première empreinte à la base des premières
identifications, première empreinte transmise d’un reste du lien fusionnel au
corps de la mère, traces d’un lieu du maternel non symbolisable et lieu dans un
second temps métaphorique possible de la mémoire de ce lien) restent ouvertes
et ne demandent qu’à se nourrir et à se confronter à la clinique et à la théorie.
Le livre se termine sur la vaste interrogation de la part de processus civili-
sateur dont les femmes seraient porteuses, processus civilisateur, lieu de trans-
mission de ce maternel en quelque sorte sublimé.
Joyceline Siksou
48, rue Pernety
75014 Paris
joyce.siksou@wanadoo.fr

1. Nos italiques.
2.  Jean Cournut (1992), Elles ne se lâchent plus, Nouvelle revue de psychanalyse, no 45, p. 77-84.
3.  Ajout de l’auteur.

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