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REPRÉSENTATION
Jean Guillaumin
© Presses Universitaires de France | Téléchargé le 17/07/2022 sur www.cairn.info par enrique GRATADOUX (IP: 186.54.81.235)
2003/5 Vol. 67 | pages 1593 à 1597
ISSN 0035-2942
ISBN 2130535666
DOI 10.3917/rfp.675.1593
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-francaise-de-psychanalyse-2003-5-page-1593.htm
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Jean GUILLAUMIN
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Il me semble que la meilleure référence que nous puissions utiliser en psy-
chanalyse pour travailler les liens ou les oppositions entre les deux affects que
nous étudions et leurs divers niveaux ou états est celle du fondamental organi-
sateur œdipien de la triangulation entre le patient considéré, l’objet privilégié
investi et le tiers-réalité qui s’inscrit dans la psyché du sujet, par effet de pré-
sence et de représentation ou, au contraire, de manque à représenter, dans la
séparation et dans l’individuation du sujet considéré. En somme, il s’agit de se
servir ici de ce qu’A. Green a nommé la tiercéité et dont la découverte et
l’usage par Freud est d’une certaine façon la base de la pensée psychanaly-
tique. On notera au demeurant que cette fonction du tiers dans le vécu duel
primaire de la mère et de l’enfant a été abondamment et précocement repérée
et développée par l’école psychanalytique française (par exemple chez M. Fain
et D. Braunschweig dans leur étude sur la « censure de l’amante »).
C. Janin comme A. Beetschen accordent à Juste titre une grande impor-
tance à l’analyse en profondeur de ce qu’on pourrait nommer le noyau origi-
nel de l’affect de honte, d’une part, de culpabilité, d’autre part. C. Janin, tou-
tefois, privilégie une lecture ascensionnelle insistant sur la transformation dans
le développement psychique d’une forme primitive de la honte, comme prédé-
cesseur d’un maniement plus tardif, beaucoup plus différencié de cet affect.
A. Beetschen, quant à lui, accorde toute son attention à ce qu’il considère
comme l’inévitable effet du travail insatiable et constant des pulsions dans les
tâches de la vie. Celles-ci pour lui, si je le lis bien, créent, à mesure des inves-
tissements réalisés, un reste à représenter inassouvi, renvoyant à ce que les
choix pulsionnels ont été amenés à négliger, et appelant à tout niveau, pour
conjurer un vécu de brèche narcissique et d’impuissance à contrôler seul ce
processus, une mise en sens et un traitement par l’élaboration de la culpabilité
et de ses concomitants.
Si l’on applique au rapport de C. Janin le point de vue de la tiercéité
avancé plus haut, il paraît rapidement évident que la question clé concernant
ses hypothèses sur la honte primaire ou originaire est celle du mode de pré-
sence de la tiercéité aux différents niveaux envisagés par le rapporteur. Ici, la
clinique nous montre que la honte comme telle comporte un nécessaire rap-
port au tiers. Cela dans la mesure même où elle se présente dans tous ses états
comme une sorte d’effondrement laissant le sujet honteux totalement impuis-
La honte, la culpabilité... 1595
sant à faire autre chose qu’à exhiber au monde extérieur son dénuement, sa
mise à nu complète. Il s’agit donc d’une situation de régression où les défenses
du Moi, frappées d’incontinence, en appellent sur un mode passif à un secours
extérieur qu’il n’a pas pu se donner lui-même et que la protection narcissique
de la relation dyadique avec la « mère » ne lui a pas apporté, si bien qu’il la
lui réclame dans la détresse comme une dette vitale. Cette réclamation inscrit
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dans la passivation et l’effondrement du honteux l’insuffisance du sujet et celle
de la mère à traiter la violence du réel et de la séparation. Il existe un manque
à signifier, en hallucination négative, marque dès maintenant par avance, par
absence, la place du père innommé et encore à advenir ou imprudemment
négligé. Quant aux degrés et formes de cette expérience qui fait surgir le tiers
ou la face du tiers de son absence même ils peuvent se différencier en termes
de déploiement de ce que J.-C. Rolland a appelé la compulsion à représenter.
Celle-ci ne cesse en effet de travailler le manque à représenter pour l’inscrire
dans des figures ou dans des symboles qui visent à présentifier le tiers-
manquant. Il est clair que cette vision des choses, à mon avis éclairante, doit
sa pertinence à la mise en tension de la notion de représentation par absence,
reprise de Freud par A. Green.
La problématique que s’est donnée A. Beetschen contient elle aussi à
l’évidence la référence au tiers dont nous parlons. Son envisagement à niveau
fondamental de la production de la culpabilité à partir du travail des puisions
inscrit, quant à lui, l’autre manquant ou le tiers, que la construction de la cul-
pabilité précisera dans le travail du reste que crée incessamment l’insistance
pulsionnelle.
La relation entre honte et culpabilité tire alors parti également de
l’existence de ce référent implicitement commun, présent dans les analyses
parallèles et pourtant tout à fait indépendantes que nos deux rapporteurs
nous ont présentées. Je vois ce lien dans le déploiement, à travers les diverses
formes de ces deux affects, de deux lignées en quelque sorte. L’une intéressant
la culpabilité renvoie à la quête d’une représentation avant tout psychique du
tiers (y compris dans le vécu mélancolique où il est avalé dans la passion
dévorante du Moi pour l’objet lui-même englobant l’objet de l’objet) et de son
insertion dans une histoire personnelle de meurtre immémorial naguère
« arrivé » dont le paradigme est fourni chez Freud par Totem et tabou, thème
œdipien s’il en fût !
Par opposition, la honte constituerait un affect profondément immerge
dans l’expérience corporelle, de quelque façon prépsychique qui témoigne de
tout ce que les vécus de désastre et d’impéritie doivent à l’impuissance de
l’enfant à se réguler lui-même et au besoin intime qu’il a de l’intervention de
« l’autre proche et secourable » qu’est la mère ou son substitut. Ici il s’agit, on
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psyché-soma de l’instance du tiers-manquant. Sur ce point, j’avancerai volon-
tiers que c’est de l’intrication des pulsions du Moi et des pulsions désirantes
(J. Guillaumin, RFP, 2002), plutôt que celles des pulsions de vie considérées
en bloc avec la pulsion de mort, qu’il est question. La structure même de la
« tiercéité » découle en effet directement du « roc » biologique de la bi-
sexuation propre à notre espèce, fondement de toute transformation psy-
chique ultérieure des pulsions.
Comment alors ne pas prendre en compte dans une telle problématique la
fonction de l’affect dépressif ? Il n’est pas tellement difficile, en l’étudiant de
suffisamment près, de repérer que la dépression correspond sous toutes ses for-
mes, bruyantes ou discrètes, à une démarche marquée par une dimension défen-
sive, même quand elle affiche le plus complet désespoir, voire tout particulière-
ment quand elle se manifeste avec violence et insistance. La clinique
psychanalytique en tout cas nous enseigne que la dépression fonctionne comme
un genre d’agir transférentiel en direction de l’analyste, sollicitant son apitoie-
ment et éventuellement un abandon temporaire de sa place de garant du cadre.
On voit alors assez facilement que l’état dépressif constitue une régression en
direction d’une relation duelle où aucun tiers n’est censé intervenir et qui pré-
tend se nourrit seulement d’une nostalgie incurable, sauf secours maternel
urgent pour l’objet perdu originaire. Bien entendu, cette demande implicite
tend à forclore toute évocation d’un tiers-manquant que le psychanalyste est en
fait accusé de ne pouvoir donner au patient. La pratique fait apparaître la
valeur dans ce domaine d’une réintroduction du tiers par voie d’intervention
verbale. Une telle réintroduction a une fonction pare-excitante évidente et sus-
pend fréquemment les plaintes sans fin de « l’enfant abandonné ».
La dépression apparaît dans ces conditions comme un précieux moyen de
pénétration de l’interprétation en direction d’une tiercéité cachée que la
défense dépressive masque fortement. De là que, lorsque la dépression pointe,
du moins a minima, mais aussi sous une forme intense, elle suit ou accom-
pagne souvent la culpabilité et son nécessaire corrélat de honte (qui signe son
incarnation et peut alors se laisser encadrer et utiliser par elle), se trouve réa-
lisée la condition favorable pour une pénétration de l’interprétation via le
transfert et le contre-transfert, et pour l’accès au bénéfice d’une meilleure sub-
jectivation du patient.
La honte, la culpabilité... 1597
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ce que l’on appelle le tiers, des vues que j’ai développées ci-dessus.
Les quelques remarques ci-dessus contribueront peut-être au tissage des
liens que les deux remarquables rapports de ce Congrès nous incitent à faire
entre les expériences affectives que nous étudions ici.
Jean Guillaumin
6, rue Germain
69005 Lyon
BIBLIOGRAPHIE