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LA MAISON RELAIS : UN ÎLOT CRÉATIF ENTRE VEILLE SOCIALE ET

PROJET COLLECTIF ?

Évelyne Stahl

Érès | « VST - Vie sociale et traitements »

2013/1 n° 117 | pages 55 à 61


ISSN 0396-8669
ISBN 9782749236810
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https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-et-traitements-2013-1-page-55.htm
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Dossier

56 La maison relais:
un îlot créatif
entre veille sociale
et projet collectif ?
ÉVELYNE STAHL

« Une vie est acculée à la survie quand ses capacités


propres se heurtent à l’absence de tout contexte
facilitateur et de toute tonalité existentielle
favorable. »
G. Le Blanc, Que faire de notre vulnérabilité ?,
Bayard, 2011

Cette maison relais a vu le jour il y a tout juste un an. Il s’agit donc d’une jeune
expérience. Les valeurs et les nécessités qui ont porté le projet sont encore à
peine interrogées par le quotidien et par chacun des protagonistes. Il n’est sans
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doute pas encore temps de les refaçonner. J’avancerai donc à petits pas et
tenterai juste de réfléchir à partir des valeurs qui ont présidé à sa création.

Ce projet a été porté et réalisé par deux édu- prend aussi un accueil de jour, un service de
catrices spécialisées, salariées d’un service domiciliation et un service de soutien psy-
d’accompagnement social associatif. Par chologique qui est animé par un psychologue
ailleurs, elles ont pour mission d’accueillir des intervenant en soirées. L’emploi du « nous »
personnes en « difficulté sociale » dans un renvoie donc au travail de ces deux profes-
bassin d’emploi semi-rural, d’accompagner sionnelles.
socialement et professionnellement les huit
salariés de l’entreprise d’insertion de l’asso-
Des vies vulnérables, un projet,
ciation, de gérer un parc locatif de dix-neuf
quelques constats
logements dans le cadre de l’AVDL (politique
publique d’Accompagnement vers et dans Le temps des dispositifs étant rarement en
le logement) et d’un SIAO départemental (Ser- harmonie avec celui dont la personne a
vice intégré d’accueil et d’orientation vers le besoin pour reconstruire un parcours, le dis-
logement). Cette permanence sociale com- positif « maison relais », qui lui permet de se

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La maison relais

poser, de réfléchir, de s’organiser sans mesure que nous. Les dispositifs sont toujours
échéance butoir pour en partir (même si partir « ou bien trop ou bien pas assez », et il est 57
est une démarche possible), nous a semblé une certain qu’ils ont des limites pour s’adapter
réponse adaptée et intéressante dans ce à des réalités sociales complexes et à des situa-
qu’elle autorisait d’« inventions » et de rela- tions de grande vulnérabilité. Les réalités
tions à construire ensemble. Nous avions véri- sociales des « inclus », nos « vies cadrées »,
fié à quel point les étiquettes, lorsqu’elles ont à voir avec les injonctions au mérite indi-
étaient appliquées, avaient du mal à être décol- viduel, à la réussite sociale, à la compétition,
lées, et que « lorsque les personnes considè- à la consommation, au calcul, à la réactivité,
rent certaines situations comme réelles, elles à la capacité à s’organiser, à faire des choix
sont réelles dans leurs conséquences 1 ». rapides… Les vies des personnes que nous
Aussi, ce dispositif nous a semblé favorable accompagnons ne sont pas « cadrées » par
à une « (re)construction de parcours », pour les mêmes contraintes. Le travail, la famille,
peu que soient prises en compte certaines le soin, l’habitat sont des univers auxquels bien
conditions que nous allons aborder. souvent elles n’appartiennent plus. L’écart
Nous nous adressons à des personnes, entre ces deux réalités sociales est tel qu’il
hommes ou femmes, qui ne supportent plus n’existe pas de vraie communication, ni de
le poids de la solitude, qui sont vulné- véritable compréhension. Sans imagination,
rables, peu mobiles en termes de moyens et sans avoir passé de nombreuses heures à
de véhicule, à la recherche d’un logement et écouter des histoires de vie et à accompagner
d’une aide pour desserrer l’étau de leurs dif- ces personnes dans les dédales administra-
ficultés ; des personnes qui n’ont pas de tifs, sans capacité à transposer pour soi leurs
dépendance trop marquée ou de perte difficultés ou à les imaginer, il y a peu de
d’autonomie nécessitant une trop grande chances de concevoir leurs réalités sociales.
régularité de soins. Neuf personnes de 43 à Les injonctions à faire de nos partenaires et
69 ans ont accepté de faire partie de ce projet les jugements de valeur de la société civile ne
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depuis un an. La moitié des personnes qui sont donc pas si étonnants. Cependant, la
ont accepté de devenir « résidentes » ont été conjoncture économique et sociale catas-
orientées par d’autres structures et l’autre trophique dans laquelle est plongé notre pays
moitié est composée de personnes avec les- module les jugements hâtifs qui se font moins
quelles nous étions déjà en contact ou que virulents, car personne ne peut s’estimer à
nous logions provisoirement. l’abri des accidents de la vie et de voir son
Nous accueillons des personnes à la fois exi- identité sociale basculer.
geantes et conciliantes. Elles font partie de Ces personnes sont souvent en difficulté
cet ensemble obscur qui se cache sous des parce qu’elles ne parviennent pas à se pro-
termes génériques (RSA, AAH, CLD, SDF…) et qui téger, et qu’elles ont peu à protéger. Elles ne
se résume par ce dénominateur : « en dif- parviennent pas à reproduire cette nécessaire
ficultés sociales ». Elles ont souvent du mal protection pour elles-mêmes car elles en ont
à accepter les mesures et dispositifs prévus peu bénéficié dans leur histoire. La plupart
par le législateur, refusent des orientations, d’entre elles vivent une grande solitude rela-
vivent violemment ce qu’elles ressentent tionnelle, au point qu’elles ne peuvent
comme arbitraire et n’estiment pas toujours donner le nom d’aucune personne de leur
leur situation avec les mêmes outils de entourage si elles doivent faire face à une

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opération par exemple, si ce n’est, parfois, Une des dimensions « intégrative » de la


58 le nom d’un travailleur social qui s’est maison relais est la possibilité d’accéder à un
montré sensible à leur situation. En général, logement décent. Le logement est un « outil
ces personnes affrontent seules des épreuves, social » mais aussi un « outil existentiel » qui
sans avoir avec elles un carnet d’adresses, a en partie pour fonction la protection de l’in-
sans avoir autour d’elles des relations ami- timité. Les logements que ces personnes
cales et disponibles. Leurs relations sont fré- occupaient auparavant tenaient souvent
quemment liées à une « misère partagée », plus de l’abri que du logement, car l’habi-
à une solidarité et une entraide de survie, qui tat évolue en fonction de la situation per-
sont rarement porteuses de mieux-être. sonnelle comprise au sens large, de l’état du
Les temps collectifs prévus dans le disposi- moral, des circonstances, de l’éducation…
tif « maison relais » nous incitent à utiliser Nous estimons que ces « bases arrières » que
les compétences des uns et des autres, leurs sont nos propres logements doivent pouvoir
capacités à être solidaires, à être ouverts aux nous servir d’étalons de mesure pour penser
autres, inventifs, critiques…, à devenir ou avec l’autre son lieu d’habitation et l’évolu-
redevenir, pour certains, des personnes qui tion de celui-ci. Mobiliser des appartements
parlent et qui pensent en leur nom, qui peu- avec du potentiel (esthétiques, pratiques,
vent donner et recevoir. Cependant, et confortables, pas trop onéreux en loyer et en
pour l’instant, lorsque ces personnes pren- charges, bien isolés, pas trop éloignés du
nent la parole, c’est souvent pour confirmer centre ville…), ou en rechercher avec la per-
leur « exclusion », leurs manques. Nous sonne ou à partir de ses exigences (étage ou
sommes vigilantes pour éviter les rapports de rez-de-chaussée, nature proche ou balcon,
domination à l’œuvre qui les appréhendent douche ou baignoire…), devenait donc un
la plupart du temps comme des êtres impératif, même si cet impératif passe par
« sans », défaillants : cette représentation, « une porte étroite ».
« ordinaire » et très partagée, engendre
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chez les personnes qui la subissent le senti-
Pistes et questions
ment d’être « inutiles » et « en trop ». Vigi-
lantes également à prendre en compte ce Un an après l’ouverture de la maison relais,
sentiment dépressif d’inutilité au monde et, quelques pistes et des questions nous per-
pour certains, ce rapport exigeant à un temps mettent de confronter les valeurs de départ
stérile qui apporte si peu. « Vous allez vous avec la réalité quotidienne.
décourager avec moi, je suis tellement D’où vient cette idée selon laquelle ce qui
perdu et j’ai tellement besoin de temps ! » fonctionne de moins en moins formellement
Certaines personnes souffrent d’un état de pour les « inclus », à savoir « la dimension
santé particulièrement fragile et ce disposi- collective », devrait être imposé aux plus vul-
tif nous permet d’exercer, avec une légitimité nérables d’entre nous ? Quels préalables à
suffisante et avec le temps nécessaire, une la constitution d’un groupe qui serait vecteur
veille quotidienne. Combien de personnes de mieux-être pour chacun ? Devons-nous
quittent des lieux d’accueil dans des condi- constituer un groupe homogène, en âge, en
tions physiques et psychiques déplorables genre, en type de difficultés ? Si notre
sans que personne ait eu ni le temps ni la pos- « recrutement » s’appuie sur des critères trop
sibilité de leur venir en aide ? spécifiques, ne recréons-nous pas des formes

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d’exclusion, de ghetto ? Au contraire, si nous par avoir une connaissance précise de leurs
ouvrons ce dispositif à des personnes très dif- difficultés réciproques. Alors elles se donnent 59
férentes, tant dans leurs cultures que leurs des conseils, pas toujours éclairés et les morals
histoires, leurs problèmes, leurs âges, ou leurs bas parfois se contaminent. Elles peuvent se
situations personnelles et familiales, par- montrer excluantes, susceptibles, influen-
viendront-elles à se sentir suffisamment à çables, autoritaires, mais également
l’aise dans ce collectif ? accueillantes, circonspectes ou aidantes. La
Ne créons-nous pas une forme de dépen- vie en quelque sorte… Nous essayons d’être
dance et d’attachement dans cet « îlot » jus- vigilantes, en leur suggérant de se sentir res-
qu’ici assez protecteur, à tel point qu’il ponsables de leurs attitudes, chacune ayant
pourra être difficile aux personnes de le quit- sa part de responsabilité dans l’accueil de
ter et d’affronter le monde tel qu’il est ? Et l’autre, dans la bonne ou la mauvaise
comment le rendre désirable, ce monde ? Jus- humeur du jour…
qu’où peut aller une certaine « bienveillance » Nous pouvons penser l’autre comme indis-
sans fabriquer de la dépendance et des dif- pensable à nos vies, mais cette idée convient
ficultés à agir seul ? à ceux qui ne subissent pas la leur, qui ont
Quand nous évaluerons tous ensemble la per- une certaine tranquillité d’esprit, et une cer-
tinence de cette « action », comment nous taine confiance en eux et dans les autres. Il
assurerons-nous que l’évaluation des per- faudra du temps à ces personnes accueillies
sonnes « résidentes » de cette maison relais pour y parvenir. Pour l’instant, l’autre repré-
ne collera pas au supposé discours que nous sente encore un danger. Il a été la source de
serions en mesure d’attendre, ne serait-ce que leurs difficultés – l’autre originel, l’autre de
par loyauté à notre égard ? Comment nous, passage ou l’autre plus intime. Entre elles,
travailleurs sociaux, argumenterons-nous elles vivent souvent l’autre comme un peu
ou bien « lâcherons-nous du lest » sur des plus « exclu » qu’elles, plus en difficulté,
points qui nous semblaient importants, « moins rééducable » a-t-on entendu récem-
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mais qui, abordés par le groupe, lui parais- ment, ou alors bien moins en souffrance, tant
sent accessoires ou obsolètes ?... la vie de l’autre peut être fantasmée ; aucun
Autant de questions auxquelles nous n’avons doute, nous appartenons bien tous à la com-
pas encore répondu. munauté humaine dans cette propension que
nous avons à voir midi à notre porte et à isoler
celui dont les difficultés n’auraient rien à voir
La dimension collective : des freins
avec les nôtres, un peu comme si le malheur
mais aussi des leviers
des autres n’était rien comparé au sien.
Les personnes se retrouvent dans nos locaux Cet apprentissage du collectif ne va pas de
pour des temps formels (repas, réunions, sor- soi et celui que nous proposons est tout de
ties, activités…) et des temps plus informels même un collectif imposé, ne serait-ce que
(boire un café, regarder un film, se préparer par le règlement exigé par les financeurs et
à manger si manger seul leur pèse, s’occu- présenté par nous comme une dimension
per du jardin…). Même si, pour l’instant, elles incontournable. Ces personnes ont accepté
s’invitent peu les unes chez les autres, elles une proposition, celle d’un socle commun
se fréquentent plutôt par affinités, par d’aide à leur solitude, à leur hébergement,
genre. Après un certain temps, elles finissent à leurs difficultés, mais elles ne se sont pas

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choisies, elles sont contraintes de faire d’accompagner la personne dans sa réflexion


60 ensemble. Elles ne participent pas non plus et de quitter, dans des conditions acceptables,
à la commission d’admission. Le fait qu’elles un dispositif devenu un poids pour elle. Une
ne soient pas arrivées dans ce dispositif en personne en est partie sans donner d’expli-
même temps a permis aux premières, qui ont cations ; nous avons juste eu le temps d’ob-
eu quelques mois pour se poser et vérifier server son investissement un peu trop
qu’elles pouvaient nous faire confiance, démesuré. Une des explications tient-elle dans
d’être aussi relais de l’accueil des autres. Par- le fait qu’elle n’a pas pu le soutenir ou le
fois, elles mesurent le chemin parcouru en moduler dans la durée, et qu’il est sans doute
se « retrouvant » dans le désarroi de celle ou très difficile de passer d’une longue période
de celui qui arrive. Exemples vivants de la dans la rue, lorsque l’on a 62 ans, à un peu
capacité à changer, elles les rassurent. Nous trop de sollicitude ?
savons cependant ces évolutions, ces chan-
gements, fragiles… Les personnes accueillies
Des temps collectifs pour soutenir
sont donc contraintes de faire ensemble et
des parcours personnels
bien souvent elles y parviennent, dans les
temps de réunion, dans la préparation des La dimension collective de ce projet n’est pas
repas, dans des discussions informelles, un but mais plutôt un moyen. Elle est
dans des moments d’accueil… Ces situations pensée comme pouvant permettre à chacun
révèlent des capacités à dire « je », à pro- de s’exercer à recevoir (sans se sentir humi-
poser, à s’investir, à anticiper, à apporter de lié) et à donner (de façon adaptée pour
façon mesurée des critiques ou des sug- l’autre). Cependant, le parcours de chacun
gestions. Toutefois, le manque de diploma- reste à soutenir. Comment peut-il ressentir une
tie des uns ou la grande susceptibilité des appartenance si sa vie est totalement désor-
autres créent quelquefois des ruptures. À ganisée, si son histoire n’est pas prise en
nous d’être attentives pour que les relations compte, si son rythme n’est pas accompagné
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puissent se réparer, les conflits se résoudre, et qu’il n’y a aucun projet envisageable ? Ces
s’expliquer, se dépasser. difficultés sont levées de façon confidentielle
Un partenaire nous a dit qu’untel « ne avec une personne référente. C’est à ce prix
jouait pas le jeu » en refusant de venir à une que la participation, puis l’appartenance à un
réunion, à un repas. Or, pour ces per- groupe appelé ici « collectif » peuvent se faire.
sonnes, ce n’est pas un jeu, c’est une nou- Le sentiment de sécurité et la sensation de
velle vie à laquelle elles attachent une protection pourront alors se construire ou se
importance avérée. Nous devons admettre reconstruire. Je parle là d’un soutien de
que le groupe peut par moments être chaque jour pour remettre en ordre une situa-
pesant et que certains ont besoin de s’en tion administrative ; pour accéder dans des
soustraire sans pour autant le fuir. Nous avons conditions favorables à un logement, souvent
tous besoin de moments de retrouvailles avec pour la première fois de sa vie ; pour avoir des
nous-même. À nous de déceler chez l’autre moments de détente en dehors de la ville ;
ce qui est un besoin de souffler, un abandon pour prendre de vraies vacances, avoir les
un peu dépressif, ou carrément un « ras-le- « bonnes » adresses… – j’entends par là celles
bol » de ces contraintes venues des autres. des « inclus ». Des relations soutenues et pri-
Dans ce dernier cas, il est peut-être préférable vilégiées jour après jour, au fil des mois, sont

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La maison relais

des conditions nécessaires à l’accompagne- l’écart est immense, et que la discordance est
ment de chacun et du groupe, mais il nous grande entre travail réel ou effectif et travail 61
faut aussi être attentives à ne pas devenir leur prescrit si l’on veut atteindre nos objectifs.
seul horizon. Il faut bien admettre que le « col- Le devenir de cette maison relais nous dira
lectif » mis en avant par le législateur est ras- si nous avons suffisamment appris de l’autre
surant – pour le travailleur social également et de ces autres, si nos attitudes, nos postures,
–, car il est vu avant tout comme un modèle sont devenues suffisamment justes pour leur
émancipateur, ce qu’il n’est pas systémati- permettre un « apaisement durable ».
quement. En effet, un tel collectif ne se Il est fort probable que ce projet restera tou-
décrète pas, mais se construit pas à pas, et jours en pro-jet, une projection vers l’avenir :
s’invente chaque jour. Alors, du collectif, pour- d’abord parce qu’il suffit d’une seule per-
quoi pas ? Mais de quel collectif parlons- sonne (accueillant ou accueilli) pour le
nous ? D’un collectif à tout prix ? D’un réorienter (le fragiliser ou le renforcer),
collectif réglementaire ? D’un collectif plaqué, ensuite parce qu’il demande beaucoup en
incitateur, obligé, planifié ? Parce que si l’on adaptation, en vigilance et en créativité. Notre
parle de collectif émancipateur, n’est-il pas travail va consister à créer des conditions favo-
celui qui s’impose dans la tête de chaque pro- rables pour que ces personnes retrouvent un
tagoniste comme levier pour faire quelque apaisement, l’envie d’exister, la capacité à faire
chose, atteindre les objectifs d’un projet, entre des priorités et à se projeter. La dimension
personnes qui se reconnaissent égales ? collective semble donc une condition néces-
Au bout d’un an, si nous avons réussi à ce saire pour qu’elles « produisent leurs vies ».
que chacun trouve, à un moment donné, un Des vies qui les satisfassent.
appui, une sécurité, du désir, un certain plai- Mais cette dimension collective ne vaudra que
sir à la rencontre, un peu de réconciliation si chacun (y compris dans l’équipe si elle
avec l’autre, nous pourrons être satisfaits. intègre d’autres salariés) parvient à déve-
Notre travail, lorsqu’il sera abouti, ne devrait- lopper des liens de coopération, c’est-à-dire
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il pas permettre que s’installe un climat favo- des liens tissés de complémentarité, de
rable afin que les personnes résidentes de débats, de solidarité, de loyauté, de convi-
cette maison relais (ou au moins une partie) vialité, de compromis parfois et de recon-
se sentent suffisamment libres pour inven- naissance réciproque (l’équipe devant
ter le collectif dont elles auront besoin et, proposer à cet égard un « exemple » vivant
pourquoi pas, pour faire des choses sans de coopération possible).
nous, avec d’autres ou ensemble ? Notre tra- Et, au fond, la coopération n’est-elle pas une
vail ne serait-il pas aussi de nous affranchir alternative aux mécanismes d’exclusion ?
de la tâche technique qui nous est deman- Pour l’instant, nous devons faire en sorte que
dée, en ces temps particulièrement contraints, ces personnes aient des choses à attendre et
et qui nous oblige à mettre en valeur ce que des choses qui viennent aussi d’elles.
nous organisons dans l’immédiateté ? Mettre
ÉVELYNE STAHL
en valeur ce qu’il nous est demandé d’éva- Éducatrice spécialisée,
luer ? Un projet comme celui-ci devra s’éva- Master en sciences sociales
luer sur le long terme et sur bien d’autres
critères que ceux imposés par le travail et les Note
objectifs prescrits. Nous savons tous que 1. Théorème de W. I. Thomas, 1928.

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