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LIENS AFFECTIFS
JEUNES, DANGER
RÉSUMÉ
Prenant acte de la recrudescence des comportements violents dans des tableaux cliniques variés, nous voudrions montrer
après deux ans de prise en charge d’un cas d’enfant très violent, que la pédopsychiatrie peut apporter des réponses
adéquates. Nul angélisme cependant dans notre propos : les différents soignants se souviennent et peuvent témoigner qu’il
s’agit d’une tâche de longue haleine, impliquant doute et souffrance. Parmi les dispositifs thérapeutiques mis en œuvre,
nous portons un attention toute particulière sur la reconstruction des liens familiaux de l’enfant, les rencontres dans le cadre
de la musicothérapie avec son père, le travail avec les familles d’accueil, les reprises avec l’équipe de l’hôpital de jour et
quelques fragments significatifs de sa psychothérapie. L’efficacité de notre prise en charge résulte plus de l’ensemble de ces
dispositifs que de l’un d’eux en particulier. Ce succès thérapeutique nous permet de valider notre politique de soins qui
privilégie les alternatives à l’hospitalisation à temps plein.
Mots clés : passage à l’acte, accueil familial thérapeutique, identification projective, enveloppes, suppléance, fonction a
ABSTRACT
Treatment of a violent child: rebuilding of emotional links. Having taking note of the rise in violent behaviour patterns
in a number of clinical pictures, we would like to demonstrate, through a description of the treatment of a very violent boy,
that it is possible to find a satisfactory course of therapy. We do not claim that this was easy however. The medical team
remember it as a long and exacting task involving doubts and sufferings over the full two years of treatment. Of the various
therapeutic avenues explored, we have chosen to focus on the rebuilding of family links, music therapy sessions with the
father, work with the foster families, supervision by the team from the outpatients’ clinic and some significant moments of
psychotherapy. The positive outcome results more from the combination of different therapies than any one in particular.
This successful therapy validates our care policy, which favours other types of treatment over full-time hospitalisation.
Key words: acting out, family therapy, projective identification, envelopes, substitution, a fonction
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1
Pédopsychiatre, chef de service du secteur Est de psychiatrie infanto-juvénile du département de la Vendée, Centre hospitalier Georges Mazurelle,
85026 La Roche-sur-Yon Cedex. <mariereveillaud@yahoo.fr>
2
Psychologue clinicien, docteur en psychanalyse, secteur Est de psychiatrie infanto-juvénile du département de la Vendée, Centre hospitalier Georges
Mazurelle, 85026 La Roche-sur-Yon Cedex. <guyod@wanadoo.fr>
3
Infirmière, secteur Est de psychiatrie infanto-juvénile du département de la Vendée, Centre hospitalier Georges Mazurelle, 85026 La Roche-sur-Yon
Cedex. <mahe.pjag@wanadoo.fr>
Combien de fois avons-nous senti l’équipe soignante de ments violents chez Dylan : dans le même temps qu’il lui
l’hôpital de jour et les différents lieux de vie de Dylan sur le est prodigué un câlin, il griffe et égratigne le cou.
point d’abandonner et ne plus pouvoir supporter le poids À l’âge de 3 ans, Dylan est placé en famille d’accueil
contre-transférentiel massivement distillé, sans relâche, tandis que se déclare un cancer chez sa mère. Elle apprend
jour après jour, jusqu’au point de rupture. Il ne s’agissait alors à son fils que son père n’est pas mort, contrairement
pas seulement d’une peur d’être confronté aux coups, qui aux propos qu’elle lui avait tenus jusqu’alors, et désire que
ne manquaient jamais dans les périodes les plus ombrageu- la famille d’accueil adopte son fils à sa disparition qui
ses. Mais à cela s’ajoutait l’angoisse qui prend aux tripes et survient quelques mois plus tard. Mais, très vite, il est établi
qui altère les processus de pensée, l’angoisse induite par le une maltraitance de la famille d’accueil sur Dylan. La
patient psychotique il est vrai, mais d’un cachet bien spé- seconde famille d’accueil divorce. La troisième porte des
cifique, rebelle à la caractérisation, propre à la singularité coups sur Dylan et le mari est suspecté d’agressions sexuel-
du sujet, de son histoire et des conflits non intégrés qui les.
l’agitent, une angoisse qui ne s’estompait pas, même lors- À l’âge de 7 ans, alors qu’il est placé dans une nouvelle
que l’enfant était ailleurs et qui interdisait de l’oublier, y famille d’accueil, il est orienté dans un institut de rééduca-
compris lors des temps de repos et de repli. tion pédagogique où il demeurera jusqu’à ses 11 ans ; à la
Bref, un signe qui ne trompe pas [9], preuve constante suite d’une crise d’agitation, il sera hospitalisé d’abord en
des investissements à l’œuvre chez cet enfant sur l’ensem- psychiatrie adulte, puis dans un service de pédiatrie et,
ble des dispositifs thérapeutiques que nous avons déployés enfin, dans notre service.
au cours de sa prise en charge en réseau, pluri- À son arrivée, le tableau symptomatologique est des
institutionnelle et pluri-partenariale, comme autant d’enve- plus préoccupants. L’angoisse, l’agressivité et la colère de
loppes contenantes emboîtées les unes dans les autres, Dylan s’expriment par des coups violents portés sur les
fermes et souples à la fois, centrées sur l’espace interne du soignants, hommes et femmes. Il bouscule et malmène
sujet dans ses rapports aux objets. volontiers les enfants plus jeunes ou les personnes fragiles.
C’est l’ensemble de ces dispositifs thérapeutiques et de Lorsqu’il frappe, il prend un regard noir que nous avions
leurs effets dont nous voudrions rendre compte dans le pris l’habitude de qualifier de « regard de loup ». Son
présent écrit, capable selon nous d’apporter des réponses maintien psychomoteur se décompose, donnant l’impres-
adéquates à la montée en puissance des hospitalisations en sion d’un démantèlement, les épaules montées, la tête bais-
pédopsychiatrie d’enfants présentant au premier chef du sée, tel un rugbyman, car il est d’une morphologie impo-
tableau symptomatologique des passages à l’acte violents. sante, qui aurait perdu toute consistance.
À cet effet, nous présenterons un cas d’enfant dont la Il est très collé aux adultes et présente toujours le besoin
pathologie se manifestait par une dangerosité, une explo- d’être touché ou de toucher lui-même : il touche les seins
sion de violences brutale et imprévisible : immotivée au des infirmières, surtout lorsqu’elles sont décolletées. Il ne
premier abord mais non sans cause [11], comme nous supporte pas que quelqu’un soit dans son dos.
tenterons de le démontrer dans ce qui suit. Il recherche l’exclusivité de la relation duelle, vampirise
l’attention et les affects du soignant, monopolise et contrôle
ce qui est fait et dit. Lorsqu’il y a plusieurs soignants, il
Histoire de Dylan : un regard de loup opère d’emblée un clivage entre le bon soignant qu’il idéa-
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l’identification adhésive postulée par Esther Bick [1] et nisées chez la famille d’accueil qui a élevé le père et qui
magistralement articulée dans les développements de transmet à l’enfant les souvenirs d’enfance du père et des
Geneviève Haag [6]. photos. Dylan découvre peu à peu des personnes qu’il ne
En ce début de prise en charge, Dylan oscillait ainsi de connaissait pas ayant un lien soit familial, soit affectif avec
manière frappante entre bidimensionnalité, caractérisée par lui, sur lesquels il peut s’appuyer pour se construire dans un
la recherche de contacts sensuels avec les surfaces [4], une sens non négatif.
relation au temps essentiellement circulaire (quête Les troubles du comportement qui ont nécessité son
d’immuabilité) et tridimensionnalité [12] où le temps et hospitalisation persistent dans les lieux hospitaliers.
l’espace deviennent discernables, les espaces internes du L’enfant est maintenu en hôpital de jour, trois fois par
moi et de l’objet se différencient, tandis qu’apparaissent les semaine et, dans ses moments d’hospitalisation de jour, il
premiers produits de l’appareil à penser les pensées [2], peut se montrer violent, dangereux. Il agresse à plusieurs
racines de l’émergence d’une instance tierce à même de reprises des soignants infirmiers, éducateurs ou médecins.
médiatiser l’immédiateté de la chose en soi (éléments b). Les contentions physiques et les recours à une mise en
Nulle trace cependant du moindre signe d’une position chambre d’apaisement sont nécessaires et fréquents.
dépressive : les conflits en présence demeurent largement Pour soutenir l’équipe soignante, les temps de réunion
pré-œdipiens. de synthèse et le travail régulier et assidu des reprises des
C’est selon ce référentiel, munis de cette boussole groupes thérapeutiques de l’hôpital de jour avec la psychia-
qu’émergèrent nos premières hypothèses de travail puis tre et le psychologue s’avèrent incontournables et décisifs,
l’ébauche de notre prise en charge. tant pour désintoxiquer les résidus d’éléments b générés
dans la relation à Dylan que pour mobiliser leur appétit de
savoir (mise en branle de la fonction a), leur capacité de
Reconstruction du complexe familial rêverie [3, 5], dans la résolution de nouveaux problèmes
Nous écartons d’abord un premier projet médical qui émergeant dans la prise en charge.
consistait à transférer l’enfant vers un lieu de vie éloigné de Pour contenir la violence de l’enfant, nous nous coor-
400 km de sa famille et privilégions, en accord avec le donnons avec l’ASE pour organiser un placement dans une
service de l’ASE, le retissage des liens familiaux. famille d’accueil thérapeutique de notre structure 3 jours
Nous mettons en place une prise en charge à l’hôpital de par semaine, que nous soutenons tout autant en la rencon-
jour et un accueil familial thérapeutique (AFT) pour soute- trant tous les 15 jours.
nir le nouveau placement de l’ASE. Ainsi le projet est Étonnement, Dylan se révèle non violent dans l’une et
coordonné entre les deux institutions : ASE et pédopsy- l’autre famille. Il tente cependant de les mettre en rivalité
chiatrie. l’une contre l’autre. Notre règle de fonctionnement, qui
Nous œuvrons de concert afin de reconstruire avec interdit tout accès direct à la famille d’accueil par des
l’enfant son histoire et celle de ses parents, du côté paternel, personnes ne faisant pas partie de l’équipe de soins, permet
par des rencontres avec le père, en accord avec le service de de surmonter cette rivalité qui aurait pu être destructrice.
psychiatrie adulte qui le soigne, et avec les grands-parents Nous comprenons que, outre les traumatismes, Dylan a été
paternels. Le père nous apprenant qu’il ne voit plus sa prisonnier des discours toxiques véhiculés sur lui et sur ses
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grand-mère paternelle plusieurs fois par an, avec les oncles lisé un crayon à une camarade de classe et produit un
paternels une fois par an. gribouillage sur sa feuille de dessin : « Coupe moi le bras
Ce tissage permet de parler avec Dylan et de l’aider à que je saigne ».
reconstruire son roman familial avec tous ses éléments Ces épisodes conduisent à un resserrage strict du cadre.
nouveaux dont beaucoup sont positifs. Ce nouveau roman Les séances sont interrompues dès qu’il y a violence et les
va prendre une place importante et va remplacer les trous interdits sont nommés face à son père. Dans le même
qui étaient liés aux arrachages répétés avec les familles temps, le travail de retissage de liens fait avec la famille
d’accueil successives qui avaient pris soin de lui. paternelle et la famille d’accueil où était placé son père
commence à porter ses fruits. Les rencontres de Dylan avec
ces personnes permettent de modifier l’image de fou qu’il
Rencontres avec le père réel porte sur son père. De même, la grand-mère maternelle a
et sollicitation de la fonction paternelle compris l’intérêt de ce travail, elle a modifié le regard
symbolique qu’elle portait sur ce dernier.
De son côté, le père exprime souvent sa peur de la séance
Nous mettons en place un espace thérapeutique père-fils de musicothérapie craignant sa propre violence. Il ne peut
dans le cadre d’un atelier de musicothérapie. Ces rencon- toujours pas s’opposer à Dylan. Pour autant, il est constaté
tres ont lieu une fois tous les 15 jours et sont encadrées par par l’équipe de psychiatrie adulte une très nette améliora-
une infirmière de l’hôpital de jour et un musicothérapeute. tion de sa position subjective : nouvelles capacités d’élabo-
Lors des premières séances, Dylan est très réceptif à la ration, travail de construction sur son histoire. Il s’indivi-
musique, il danse spontanément. Cependant, il est dans dualise et s’autonomise davantage : sa dernière
l’excès. Il doit être recadré et sécurisé constamment. Il hospitalisation remonte à plus d’un an alors qu’auparavant
recherche le contact physique avec son père, souvent avec il était hospitalisé à sa demande environ toutes les 6 semai-
violence : il lui écrase les pieds, lui parle de façon gros- nes.
sière, lui tire les cheveux, les oreilles. Le père, en grande Un certain respect s’actualise entre le père et le fils
quête affective, cherche à l’embrasser mais ne peut répon- autour du piano. C’est alors que Dylan nomme pour la
dre à ses attaques. La mère est réintroduite à travers première fois son père « papa ». De la même manière et
l’écoute d’une chanson, Petite piaule créole. Dylan toujours pour la première fois, le père exprime son opposi-
accepte enfin que son père lui parle des origines créoles de tion à son fils quelques séances suivantes, lorsque celui-ci
sa mère. Il réclame régulièrement cette chanson et en demande à rester seul avec lui. Le départ est alors mouve-
demande le texte. menté : Dylan se jette dans les bras de son père, pleurant à
Lors des séances où il est seul, il utilise l’infirmière chaudes larmes et le supplie de le garder avec lui.
comme un fauteuil, jusqu’à sentir son souffle sur son cou, Coïncidence ? Le père va s’absenter : il a décroché un
évoquant la notion de plan dos développée par G. Haag [7] contrat de travail avec le cirque Jean Richard et doit partir
qui permet à l’enfant de s’accaparer la pensée de l’autre. Il en tournée en Suisse. Les séances sont maintenues avec
confiera à cette infirmière qui l’accompagne lors d’une Dylan. Il s’opère un nouveau travail de symbolisation sur la
sortie : « Tu sais, plus ma mère est morte, plus je me perte d’objet : l’absence n’égale pas nécessairement la dis-
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l’arrière-plan du tableau et, pour la première fois, des ment les fenêtres avec violence et fracas ; il envoie valdin-
signes dépressifs sont tangibles. Nous décidons de mettre guer le mobilier de la salle de séance, touchant comme sans
en place une psychothérapie. faire exprès mes jambes, mes pieds, venant se blottir sur
Le père surprend à nouveau son fils : il lui propose de le mes genoux avec la volonté d’entrer dans mon corps ; il
faire baptiser. Dylan rétorque qu’il ne croit pas en Dieu. demande régulièrement à fixer mon regard en tête à tête,
Tous deux réfléchissent. Dylan pense alors à un baptême silencieusement, sans aucun geste, et de rester ainsi aussi
civil. La grand-mère maternelle a du mal à encaisser. longtemps que possible ; il m’assène des gifles magistrales,
L’ASE met un frein au projet, le père ne jouissant pas de propose régulièrement de se livrer à des bras de fer ou à des
l’autorité parentale et de son exercice ; il faudra donc du jeux de barbichette.
temps et franchir de nouvelles étapes juridiques. Qu’à cela Dès les premières séances, il me lâche : « Je veux que
ne tienne, l’important est que le désir de reconnaissance du ma mère ressuscite et vivre éternellement avec elle... Je
père pour son fils ait été émis par le père et reconnu par le veux que mon père meure, il a fait des choses ignobles, il
fils. m’a battu et il a battu ma mère ». Plus tard il reprend :
Les effets sont immédiats aux séances suivantes : Dylan « Mon père a des yeux verts de vipère, parfois il fait
laisse de manière frappante une place de père à Mr X qui peur ».
peut à présent s’opposer à son fils, le reprendre, voire se En venant à une séance, il hurle de toutes ses forces,
montrer exigeant avec lui. Il ne l’attaque plus, ne montre s’approche de mon oreille et me tympanise. Il parle fort,
plus d’agressivité : il l’écoute et le respecte. c’est pour marquer son territoire, précise-t-il. Il refuse
Nous organisons une rencontre avec la famille d’accueil l’interruption de séance, me colle et me serre tandis que je
qui a élevé son père en présence de ce dernier. Le couple se le raccompagne à l’hôpital de jour : subrepticement, il me
remémore avec bienveillance les tranches de vie du père. donne un coup dans les parties génitales.
Dylan est très attentif. Un album de photographies consti- La séance suivante et pour la première fois, Dylan est
tué par le père au fil des années lui est remis. Dylan constate détendu, mais aussi soucieux : l’épingle d’un badge qu’il a
qu’il y apparaît, entouré des membres de sa famille pater- l’habitude d’utiliser, donné par son infirmière référente, est
nelle et maternelle, dont une photographie de sa mère. Sur cassée. Je passe le temps de la rencontre à la lui réparer et,
le chemin du retour, Dylan regarde cette photographie le contre toute attente, y parviens. Dylan exulte de contente-
vague à l’âme. « Je contemple ma mère », dira-t-il, avant ment et me fait un bisou sur la joue en guise de remercie-
de se laisser glisser tout doucement dans un sommeil ment. Je lui propose de lui fournir une étiquette qu’il puisse
homéostasique jusqu’à la fin du trajet. glisser dans son badge. Il me demande de lui trouver l’idée
Lors de la dernière séance de musicothérapie avant d’un métier pour la séance suivante : je l’invite à y réfléchir
l’interruption des grandes vacances, Dylan répète les aussi. « Je voudrais faire policier », commence-t-il. Puis il
contacts physiques avec son père, mais avec mesure, sans se rétracte : « Non, clochard, je voudrais fumier [au lieu de
exubérance ni intrusion. Il s’allonge sur ses genoux, se fumer], devenir alcoolo, drogué, faire la sieste, manger et
laisse tomber, sollicitant son père pour qu’il le soutienne et boire ». À une nouvelle séance : « Je voudrais être soit
le rattrape. Le père se prête sans difficulté à ce rapproche- policier, soit éboueur, mais comme je connais pas mes
ment. Dylan lui dit au revoir avec tendresse. tables de multiplication, je serai éboueur ». Finalement, il
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compréhension de ses passages à l’acte. Lors du comporte- une machine à remonter le temps, afin qu’il retrouve les
ment violent, un gonflement imaginaire rassemble son siens. L’extraterrestre dit, en clignant des yeux : « Je veux
corps morcelé et écrit l’ébauche d’un début d’identification rentrer chez moi parce qu’on m’a abandonné ». Maladroit
symbolique : « Dans ces moments-là, je me sens léger et et gauche dans un débordement de joie, l’extraterrestre
puissant, la tête dans les nuages, fort, et j’ai l’impression casse l’épaule de l’enfant qui, de colère, détruit la machine
d’être Hercule ». Mais un Hercule à qui l’on a voulu et à à remonter le temps : « L’extraterrestre pleurait tellement
qui on veut faire la peau. Il emprunte à diverses sources de qu’il finit par se dessécher et perdit toutes les parties de
quoi métaphoriser son vécu paranoïde : paléontologie, son corps. Et c’est ainsi que la mère pleurait pour son fils,
films (Mars attack, E.T., Stars War), ouvrages pour enfants l’extraterrestre ». La confusion s’installe ici et il devient
(Il y a un cauchemar dans mon placard), religion... et très difficile de résister à l’hypothèse de considérer l’extra-
exige que j’écrive scrupuleusement le détail de ses chiffra- terrestre comme l’envers ou le double du petit garçon, et au
ges. fond de reconnaître Dylan lui-même derrière ce masque
Un rêve d’abord, plus proche de l’hallucination noc- bicéphale, se débattant contre le laissé en plan de l’aban-
turne, pour ce qui concerne Dylan, que du phénomène don.
onirique si l’on en croit Bion [3], dans lequel un homme Il conclut cependant sur un dénouement heureux, qui
dans des temps archaïques, se fait dévorer par un tyranno- contraste de manière frappante avec les émotions catastro-
saure : « Avec ses dents, il l’a mangé, on voyait tout le phiques qui accompagnaient jusque-là son récit. La mère
sang couler, il y avait des hurlements, on voyait les tripes constate que l’extraterrestre est mort, et l’enfant se met à
et les os, on voyait le sang gicler, les yeux crevés et c’est pleurer. Une larme se répand sur ce dernier et le ramène à la
tout ». Il prime ici une préoccupation relative aux organes, vie : « L’extraterrestre dit : c’est la première fois que j’ai
telle que repérée par Freud [5] dans la dynamique schi- un ami et je voudrais rester avec toi sur Terre. Et c’est
zophrénique. Plus tard, en des temps historiques, ce sont les ainsi que finit l’histoire. Ils vivent heureux à jamais ».
extraterrestres qui attaquent l’humanité : « Il était une fois, La séance suivante, Dylan m’annonce qu’il voudrait
150 ans avant Jésus Christ, une bande de Martiens qui savoir ce qu’il y a après la mort. Bien plus, il voudrait être
arrivèrent sur Terre, et c’est ainsi que commençait l’his- mort : il s’allonge alors sur le dos, immobile, les bras en
toire. Ils détruisaient tout sur leur passage. Pour dire croix, yeux fermés, avec un large sourire qu’il ne peut
bonjour, ils faisaient pipi avec leurs doigts, pour dire au retenir. Suit un rêve qu’il tient à me rapporter, dans lequel il
revoir, un coup de pied dans les couilles. Fin ». a rêvé de sa propre mort. Puni par le « maître des Dieux »
Apparaissent alors des figures parentales, un enfant et qui l’électrocute parce qu’il bat les autres, il est envoyé en
son double, double à l’aspect monstrueux, immergés dans enfer « au-dessus des nuages », où il retrouve sa mère, son
un bain d’objets bizarres et terrifiants. Il s’agit de la reprise grand-père et Anakin Sky Walker.
de l’ouvrage pour enfant, Il y a un cauchemar dans mon Voilà où en est Dylan dans sa psychothérapie, avec une
placard, auquel Dylan apporte quelques ajouts et quelques extension croissante de sa capacité à penser les pensées ou,
variantes. Un enfant affronte le noir de sa chambre et se voit selon un autre référentiel théoricoclinique, dans son travail
l’objet de phénomènes inquiétants. Il prend son courage à de construction de suppléance à la forclusion du nom-du-
deux mains, se dirige vers le placard et découvre un extra- père [10]. C’est en effet le problème relatif à la fonction
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