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ÉPIGÉNÉTIQUE ET AUTISME.

ENTRE INNÉ ET ACQUIS : UN ESPACE DE


CONVERGENCE

François Medjkane, Gisèle Apter

John Libbey Eurotext | « L'information psychiatrique »

2014/9 Volume 90 | pages 753 à 759


ISSN 0020-0204
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2014-9-page-753.htm
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L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 753–9

ÉPIGÉNÉTIQUE

Épigénétique et autisme. Entre inné et acquis :


un espace de convergence

François Medjkane 1 , Gisèle Apter 2

RÉSUMÉ
La description et la mise en évidence des facteurs étiologiques influençant l’émergence d’une pathologie autistique chez
les enfants ont fait et font l’objet de nombreux débats au sein de la communauté scientifique. Les controverses apparaissent
parfois particulièrement violentes du fait de l’articulation entre le registre étiopathogénique et le champ des prises en charge
thérapeutiques. Le point d’organisation des différents facteurs étiologiques mis en évidence s’est situé jusqu’à ce jour dans
le registre de l’articulation entre l’inné et l’acquis. Les facteurs génétiques ont fréquemment été situés du côté de l’inné
alors que les différents facteurs environnementaux et relationnels situés, eux, du côté de l’acquis. Les découvertes récentes
dans le domaine de l’épigénétique concourent à modifier sensiblement ces points de vue et nous offre la possibilité de
penser différemment l’articulation entre les données génétiques et relationnelles. Ces découvertes récentes confirment toute
l’importance de situer le modèle étiopathogénique du processus autistique dans le registre d’un modèle de compréhension
complexe polyfactoriel et intégratif. Les données décrites dans le domaine de l’épigénétique ouvrent alors de nouvelles
voies de compréhension quant au processus thérapeutique porté par les équipes de pédopsychiatrie et tendent à réaffirmer
toute l’importance d’un projet de soin multidisciplinaire et pluri-focal en pédopsychiatrie.
Mots clés : autisme infantile, trouble envahissant du développement, étiologie, pédopsychiatrie, facteur de risque, inné-
acquis

ABSTRACT
Epigenetics and autism. Between innate and acquired: a convergent space. The description and identification of
aetiological factors influencing the emergence of an autistic disorder in children have been and are still the subject of
great debate within the scientific community. Controversies sometimes appear particularly violent due to the link between
the etiopathogenic field and therapeutic treatment. The point of organizing the various identified aetiological factors is
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reflected today in the link between the innate and the acquired. Genetic factors have frequently been on the side of the
innate while the various environmental and relational factors are on the side of the acquired. Recent discoveries in the field
of epigenetics have contributed to significantly change these views and now offer us the opportunity to think differently
about the relationship between genetic and relational data. These recent findings confirm the importance of situating the
process of the etiopathogenic model of autism towards a model for understanding complex and multifactor integration. The
data described in the field of epigenetics may then open new avenues of understanding as regards the therapeutic process
contributed by psychiatric teams and tend to reaffirm the entire importance of a multidisciplinary care plan and multi-focal
child psychiatry.
Key words: child autism, pervasive developmental disorder, aetiology, psychiatry, risk factor, innate-acquired

1 Centre hospitalier régional et universitaire de Lille, Équipe de recherche REPPER : EPS Erasme, 143, avenue Armand-Guillebaud, 92161 Antony,
France.
doi:10.1684/ipe.2014.1262

Service de psychiatrie infantojuvénile, clinique de psychiatrie : Centre hospitalier régional et universitaire, Lille, France
<fmedjkane@gmail.com>
2 EPS-Erasme, Antony, France

Tirés à part : F. Medjkane

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 9 - NOVEMBRE 2014 753

Pour citer cet article : Medjkane F, Apter G. Épigénétique et autisme. Entre inné et acquis : un espace de convergence. L’Information psychiatrique 2014 ; 90 : 753-9
doi:10.1684/ipe.2014.1262
F. Medjkane, G. Apter

RESUMEN
Epigenética y autismo. Entre lo innato y lo adquirido: un espacio de convergencia. Describir y dejar patentes fac-
tores etiológicos que influencian la emergencia de una patología autística en los niños ha sido y sigue siendo objeto de
numerosos debates dentro de la comunidad científica. Las controversias aparecen a veces singularmente violentas a raíz
de la articulación entre el registro etiopatogénico y el campo de la atención terapéutica. El punto de organización de los
diferentes factores etiológicos evidenciados se ha situado hasta la fecha en el registro de la articulación entre lo innato y lo
adquirido. Los últimos descubrimientos en el sector de la epigenética contribuyen a modificar de manera apreciable estos
puntos de vista y nos ofrece la posibilidad de pensar diferentemente la articulación entre los datos genéticos y relacionales.
Estos descubrimientos recientes confirman toda la importancia de situar el modelo etiopatogénico del proceso autístico en
el registro de un modelo de comprensión compleja polifactorial e integrativo. Los datos descritos en el área de la epige-
nética abren en esta situación nuevos caminos de comprensión en cuanto al proceso terapéutico llevado por los equipos
de pedopsiquiatría y tienden a reafirmar toda la importancia de un proyecto de atención multidisciplinar y plurifocal en
pedopsiquiatría.
Palabras claves : autismo infantil, trastorno invasor del desarrollo, etiología, pedopsiquiatría, factor de riesgo, innato-
adquirido

Introduction stabilisé autour du modèle polyfactoriel ayant actuellement


cours en pédopsychiatrie. Ce modèle tente aujourd’hui de
Les découvertes récentes dans le domaine de rassembler les hypothèses biologiques, souvent présentées
l’épigénétique traitant des interactions entre le matériel comme du registre de l’inné et les hypothèses relationnelles
génétique et les facteurs de l’environnement réaffirment présentées comme appartenant au registre de l’acquis.
l’intérêt porté en pédopsychiatrie à propos d’un modèle de La multiplicité des facteurs pouvant rendre compte de
compréhension psychopathologique inscrit dans le registre l’émergence de pathologies autistiques peut s’entrevoir
polyfactoriel et intégratif. comme en lien avec le caractère syndromique des patholo-
La question des facteurs innés et acquis dans gies autistiques. Ainsi, la prévalence de l’autisme évaluée
l’apparition, le développement et la persistance de troubles en population générale reste très dépendante des facteurs
psychiatriques comportementaux, affectifs et relationnels diagnostiques choisis. La prévalence de l’autisme en popu-
est une question historique qui dépasse la question des réfé- lation générale est de l’ordre de 5/10 000 si l’on se réfère
rentiels nosographiques envisagés en pédopsychiatrie. Bien aux critères diagnostiques de l’autisme infantile de Kanner
avant la description de la forme prototypique d’autisme ou aux critères du DSM 3 et 4 et passe à 20/10 000 si l’on se
infantile décrite par Kanner, la question s’est posée de la réfère aux critères du DSM 4 R [3]. L’ensemble des patho-
prédominance de facteurs congénitaux ou acquis dans la logies autistiques et les différentes formes décrites dans la
compréhension des troubles mentaux affectant les enfants. CIM 10 tendent à témoigner du polymorphisme phénoty-
En effet, à partir des observations réalisées à propos de pique des enfants repérés comme porteurs de symptômes
Victor, l’« enfant sauvage de l’Aveyron », la question autistiques. Cette large variabilité d’expression du proces-
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des facteurs étiologiques a fait l’objet de débats entre sus autistique illustre pour de nombreux auteurs la grande
les tenants d’une hypothèse congénitale, acquise se réfé- variabilité des facteurs étiologiques et de leurs associations
rant à un désordre possiblement biologique et regroupée pouvant rendre compte de l’apparition de symptômes autis-
par Pinel dans la formule de « l’idiot congénital » et les tiques chez l’enfant.
tenants d’une hypothèse faisant référence à une carence Les études réalisées dans le domaine de l’épigénétique
de l’environnement et formulée par Itard sous la notion de nous propose de penser et de concevoir les questions
défaut de « commerce réciproque » [1]. de l’inné et de l’acquis de manière différente de ce que
Pour l’autisme, les premières théories de compréhen- nous portions du côté de l’inné les facteurs génétiques
sion faisant référence aux théories de la dégénérescence et biologiques et du côté de l’acquis les facteurs envi-
soutenaient alors le caractère congénital et possible- ronnementaux et relationnels. Ainsi, les études récentes
ment neurophysiologique des facteurs impliqués dans mettant en évidence des modifications d’expression du
l’apparition et le développement des symptômes autis- matériel génétique, inné, en fonction de facteurs environ-
tiques. Le modèle psychopathologique sous tendu entre nementaux biologiques, neurophysiologiques mais aussi
autre par la psychanalyse s’est aussi construit en réaction au relationnels nous offre à penser une articulation différente
pessimisme héréditariste et eugéniste porté par les théories des facteurs étiologiques mis en évidence comme poten-
précédentes [2]. tiellement en cause dans le développement des pathologies
Ce mouvement de bascule entre les tenants du tout biolo- autistiques. De cette conceptualisation différente s’ouvre
gique et les tenants du tout relationnel s’est progressivement alors de nouvelles voies de compréhension des phénomènes

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Épigénétique et autisme. Entre inné et acquis : un espace de convergence

psychopathologiques observés mais aussi possiblement de d’insertions, de délétions ou de répétitions de séquences


nouvelles voies de compréhension des processus thérapeu- décrites comme pouvant être soit héritées soit issues de
tiques proposés actuellement en pédopsychiatrie. mutation de novo [9,10]. Parmi les gènes identifiés comme
pouvant être impliqués dans le développement des patho-
logies autistiques, des régions plus à risque ont pu être
Éléments de compréhension identifiées [7] et concerneraient des gènes pouvant jouer un
génétique rôle dans la variabilité de l’expression du génome, du méta-
bolisme cellulaire et neuronal et concernant l’homéostasie
Les éléments de compréhension génétiques impliqués synaptique [7]. En particulier, il a pu être mis en évidence
dans l’apparition et le développement de symptômes autis- de possibles implications des gènes codant les récepteurs à
tiques se sont développés initialement sur la mise en la sérotonine (17q11q12) [7] et les récepteurs à l’ocytocine
évidence du caractère transmissible de l’autisme à partir (3p25p26) [7] dont on connaît les implications en termes
des études familiales. En effet, le taux de concordance de de régulation neuronale et de lien avec l’environnement
développer des symptômes autistiques au sein d’une même extérieur via le métabolisme du stress.
fratrie a pu être évalué comme nettement supérieur à la En plus de l’importance du nombre de gènes mis en
prévalence en population générale. Les différentes études évidence, l’interaction gène/gène est actuellement parti-
mettent en évidence un taux de concordance de 5 à 10 % culièrement étudiée et pourrait être un élément pour de
pour les enfants issus d’une même fratrie et comptant un nombreux auteurs de rendre compte de la grande variabilité
enfant autiste et jusqu’à 35 % dans les familles avec au phénotypique de l’expression de l’autisme en dehors de la
moins deux enfants autistes [4]. Si les études familiales ont part reconnue des facteurs environnementaux potentielle-
pu mettre en évidence un risque de transmission familiale ment impliqués [7].
dans l’apparition de l’autisme, le débat entre le facteur géné- Les recherches actuelles dans le domaine de la géné-
tique ou environnemental n’en est pas pour autant résolu. tique mettent ainsi en évidence une grande multitude de
Les fratries en question partagent en effet tant des simi- gènes candidats et/ou impliqués dans le développement des
litudes quant au patrimoine génétique transmis par leurs pathologies autistiques. Plus que la recherche d’une hypo-
parents qu’une similitude environnementale probable [5]. thèse monogénique, les recherches actuelles se centrent sur
Les études de jumeaux ont pu comparer l’apparition de les interactions gènes/gènes et l’épistatique génétique dans
symptômes autistiques pour des fratries partageant le même le cadre d’un modèle génétique polyfactoriel n’excluant pas
environnement mais avec des similitudes génétiques diffé- pour autant la dimension des facteurs environnementaux.
renciées : entre jumeaux monozygotes, partageant le même
héritage génétique, et les jumeaux dizygotes partageant le
même héritage que des frères et sœurs d’une même fratrie.
Facteurs de risque environnementaux
Les études de jumeaux ont pu mettre en évidence un taux de En parallèle des études génétiques réalisées, Gardener
concordance de 60 à 90 % pour les jumeaux monozygotes et al. [11, 12] et Guinchart et al. [13] ont pu proposer dif-
et de 0 à 20 % chez les jumeaux dizygotes [6, 7]. Le taux de férents travaux de revues et de méta-analyses des facteurs
concordance significativement plus élevé pour les jumeaux environnementaux identifiés comme corollaires au déve-
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monozygotes est un argument important pour évoquer le loppement de pathologies autistiques chez l’enfant. Outre
caractère génétique dans la transmission familiale. Néan- les éléments de caractérisation psychosociale de la famille,
moins, de nombreux auteurs soulignent le fait que même les facteurs de risque environnementaux se partagent entre
chez les jumeaux monozygotes, le taux de concordance les facteurs de risque prénataux, périnataux et postnataux.
n’est pas systématique et que l’écart mis en évidence de
10 à 40 % pourrait témoigner de la part environnementale
ou acquise dans l’expression de l’autisme chez l’enfant. Éléments de caractérisation psychosociale
À partir de la mise en évidence du caractère possiblement Il apparaît que l’âge élevé des parents, père et mère, à
génétique dans la transmission familiale des symptômes la naissance de l’enfant pourrait être un facteur de risque
autistiques, de nombreuses études génétiques ont pu être de développement d’une pathologie autistique [11, 12].
réalisées et s’appuient sur les méthodes cytogénétiques, de Si cette donnée est largement partagée dans la littérature,
séquençage du génome et de la recherche de gènes candidats sa présentation en termes de facteur de risque n’engage
impliqués dans l’autisme. en rien une hypothèse génétique, biologique et/ou rela-
Les études cytogénétiques ont pu mettre en évidence tionnelle sous-jacente. L’immigration parentale a pu faire
de possibles anomalies cytogénétiques concernant presque l’objet d’étude et il apparaît que le fait pour des enfants
chaque chromosome [8]. Plus de 200 gènes susceptibles d’être issus d’un couple parental ayant connu une situa-
d’être impliqués ont été identifiés aujourd’hui [7]. Les tion d’immigration peut représenter un facteur de risque
mécanismes mis en évidence concernent tant le polymor- de développer une pathologie autistique [14]. Il apparaît
phisme d’un seul nucléotide que des mécanismes à type important ici de souligner en quoi cet élément confirme

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F. Medjkane, G. Apter

que la qualité de l’entourage familial et social des parents en situation clinique à la naissance devant des symptômes
de l’enfant nouveau-né constitue un facteur important quant évocateurs.
à son bon développement affectif. Par ailleurs se discute le lien de causalité entre les
facteurs de risque périnataux et la dimension étiologique
du processus autistique observé et diagnostiqué chez les
Facteurs de risque prénataux enfants concernés par ces résultats. Les événements obser-
Concernant les facteurs de risque prénataux, il appa- vés et présentés comme facteurs de risque peuvent-ils
raît consensuel d’évoquer l’exposition médicamenteuse s’entendre comme une cause des symptômes autistiques
comme représentant un facteur de risque pour l’enfant de observés ou ne représentent-ils pas déjà des manifesta-
développer une pathologie autistique [11, 13] et plus parti- tions du processus autistique s’entendant comme en appui,
culièrement vis-à-vis de l’exposition fœtale au thalidomide, par exemple, d’une possible encéphalopathie antenatale
au valproate [15] et au misoprostol [16]. Les complica- fixée d’origine indéterminée ? Un fœtus présentant des
tions pendant la grossesse à type d’hémorragies gravidiques fragilités neuro-développementales non détectées pourrait
représentent un probable facteur de risque pour l’équipe de probablement présenter un risque plus élevé de complica-
Gardener et al. [13]. Le diabète gestationnel est évoqué par tions peri-partum en lien par exemple avec de discrètes
Gardener et al. [13] comme un facteur de risque ; néan- difficultés d’ajustements posturaux toniques et/ou senso-
moins il apparaît discuté par d’autres équipes comme celle riels.
de Guinchert et al. [12]. Après des résultats contradictoires,
les techniques d’assistance médicale à la procréation ne sont
plus reconnues aujourd’hui comme augmentant le risque de Facteurs de risque postnataux
développer une pathologie autistique pour l’enfant [17]. Les situations de déprivations sensorielles et affectives
apparaissent dans la littérature être d’importants facteurs de
risque pour l’enfant à naître de développer une pathologie
Facteurs de risque périnataux autistique.
Les facteurs de risque périnataux repérés par les auteurs Concernant les situations de déprivations sensorielles,
sont plus nombreux. La prématurité avec un risque plus il a pu être mis en évidence que les cécités congénita-
élevé d’autant que le poids de naissance est faible est les représentent un facteur de risque [18] tout comme
repéré comme un facteur de risque important [13], tout les situations de surdités congénitales [19]. Les troubles
comme l’hypotrophie et plus particulièrement un poids de l’interaction avec situations de déprivations affectives
de naissance inférieur à 1 500 g [12, 13], un accouche- sévères sont décrites comme un facteur de risque de déve-
ment dystocique avec présentation par le siège [12, 13], lopper un tableau d’autisme [20]. Les études menées auprès
le repérage d’une souffrance fœtale [12], un Apgar bas d’enfants adoptés ayant traversé une situation de probable
[12, 13], une situation d’hypoxie à la naissance [8], un déprivation d’interactions relationnelles et affectives et
tableau de circulaire du cordon [8], une inhalation de méco- ayant développés un syndrome autistique mettent en évi-
nium [12], une anémie néonatale [12], une incompatibilité dence une atténuation possible du tableau autistique initial
rhésus [12] et des difficultés d’alimentation en peri-partum surtout sur les items comportementaux [20].
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[12]. Une naissance en été a été rapportée comme un facteur La dépression maternelle est repérée comme un facteur
de risque possible de développer une pathologie autistique de risque important pour les enfants de présenter des symp-
[12] et est probablement à articuler avec l’hypothèse d’un tômes autistiques [21]. À partir de ces résultats d’étude a
déficit de production de mélatonine repérée chez certains pu se discuter l’impact de la prescription d’antidépresseur,
enfants autistes. L’hyperbilirubinémie à la naissance, repé- en particulier de type IRSS agissant sur le métabolisme
rée comme facteur de risque, renvoie elle aux complications sérotoninergique sur l’émergence de symptôme autistique
rencontrées en termes de lésions des ganglions de la base chez l’enfant. La prescription d’antidépresseur pouvant
[12, 13]. s’entendre ici non pas comme un facteur indépendant mais
Il se discute au travers de la littérature le caractère indé- comme une conséquence de l’état dépressif repéré de la
pendant des facteurs sus décrits les uns vis-à-vis des autres. mère de l’enfant à naître ou par ailleurs faire écho aux hypo-
En effet, les facteurs de risque décrits en termes de prématu- thèses de trouble du métabolisme sérotoninergique mis en
rité, d’hypotrophie mais aussi de complications rencontrées évidence chez des enfants autistes.
à la naissance pourraient s’envisager comme liés. Par
ailleurs, la notion de souffrance néonatale pourrait recou-
vrir différents facteurs de risque s’entendant alors comme Indépendance des facteurs de risque envisagés
symptômes ou facteurs de souffrance néonatale : Apgar bas, Dans la littérature, les auteurs questionnent le caractère
hypoxie, anémie néonatale, circulaire du cordon, inhalation indépendant des facteurs de risque postnataux sus décrits.
de méconium. Enfin, le lien entre l’hyperbilirubinémie et Le statut d’immigré par exemple pourrait représenter lui-
l’incompatibilité rhésus est systématiquement questionné même un facteur de risque de développer des troubles

756 L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 90, N◦ 9 - NOVEMBRE 2014


Épigénétique et autisme. Entre inné et acquis : un espace de convergence

dépressifs dans la période sensible qu’est l’accueil d’un métabolisme des cellules de Purkinje qui pourrait en être
enfant par sa famille. responsable.
Ces facteurs de risque peuvent s’entendre comme repré- Ainsi, il a pu être mis en évidence la persistance de
sentant des difficultés pour l’enfant nouveau-né à lier une l’expression du gène EN 2 et de la méthylation des histones
relation secure et affectivement satisfaisante avec son envi- chez des patients autistes adultes alors que physiologique-
ronnement et son entourage. Néanmoins, l’indépendance ment on observe une répression de l’expression de ce gène
de ces facteurs se discute au vue de leurs intrications en période postnatale [22]. Ces modifications d’expression
avec des pathologies sous-jacentes. Les déficits senso- génétique pourraient rendre compte de malformations céré-
riels peuvent par exemple être liés à des pathologies belleuses rencontrées de manière plus fréquentes chez les
neuro-développementales génétiques et être le témoin de individus autistes.
difficultés neurologiques sous-jacentes. Les discussions Par ailleurs, des modifications de la transcription du
ayant trait à l’impact de la prescription de traitement matériel génétique et de l’ARNm ont été mises en évi-
antidépresseur de type IRS font par ailleurs écho aux hypo- dence par l’entremise de modifications enzymatiques du
thèses de troubles de la régulation sérotoninergiques mis système A to I Editing impliqué dans les systèmes de
en évidence chez les enfants autistes. Ainsi la dépression régulations synaptiques et la régulation stimulation senso-
maternelle, si elle s’entend comme possiblement respon- rielle/comportement [23].
sable de troubles des interactions précoces peut aussi Plusieurs études centrées sur des expérimentations ani-
s’entendre comme le stigmate d’un trouble fonctionnel du males ont apporté des éléments de compréhension quant
métabolisme sérotoninergique chez la mère de l’enfant et aux facteurs pouvant être impliqués dans les modifications
dont la transmission génétique, épigénétique ou biologique épigénétiques, en particulier vis-à-vis des facteurs environ-
se discute actuellement. nementaux concernant la réalisation des soins apportés aux
À l’image des recherches portant sur les facteurs géné- nouveau-nés.
tiques en cause dans l’autisme, la plupart des auteurs Les soins maternels dans la première semaine de vie
évoquent que les recherches futures pourraient se centrer activent les sensations tactiles du nouveau-né et activent
sur des combinaisons de facteurs de risque plus que sur des l’expression des récepteurs aux glucocorticoïdes cérébraux
facteurs de risque isolés. à travers des modifications épigénétiques de l’ADN et
tendent alors à diminuer les réponses au stress [24]. Pour
Bagot et Meonay [25], les soins maternels agissent sur
l’expression génique et des modifications épigénétiques
Découvertes en épigénétique stables peuvent se transmettre d’une génération à l’autre.
Les facteurs de risque environnementaux et postnataux
Les recherches en épigénétique concernent l’étude peuvent, à partir de ces travaux, s’entendre comme avoir une
des modifications fonctionnelles du génome qui modifie influence sur l’expression génique. L’épigénétique se pro-
l’expression des gènes sans modifier la séquence nucléo- pose aujourd’hui comme un mécanisme d’action possible
tidique. Les mécanismes épigénétiques possibles mis en rendant compte de l’interaction gène/environnement.
évidence sont la méthylation de l’ADN et les modifications
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des histones par méthylation ou acétylation. Ces change-
ments observés peuvent alors modifier la configuration du Un modèle polyfactoriel
matériel génétique intracellulaire et en modifier son expres- de compréhension
sion. Les modifications épigénétiques des histones sont
décrites comme transitoires et réversibles alors que les Le modèle étipathogénique de l’autisme ayant cours
modifications épigénétiques de l’ADN sont décrites comme actuellement en pédopsychiatrie se propose de rassembler
plus stables et potentiellement transmissibles d’une géné- les différents facteurs sus décrits au sein d’un même modèle
ration à l’autre. Les modifications fonctionnelles observées de compréhension articulant des éléments de natures diffé-
sont décrites comme en lien avec des facteurs environne- rentes pouvant interagir les uns avec les autres sur le même
mentaux qui peuvent être internes ou externes à l’organisme registre, génétique ou environnemental. L’épigénétique
et être représentés par des variations de constantes biolo- nous apporte un élément de complexité supplémentaire en
giques, mais aussi par des facteurs dits externes comme nous proposant de penser une interaction possible entre des
la qualité ou la quantité de soins de nursing dispensés au éléments de nature différente, en particulier en envisageant
nouveau-né. des interactions gènes/environnement.
Concernant les modifications épigénétiques mises en Plusieurs hypothèses sont évoquées aujourd’hui pour
évidence aujourd’hui, plusieurs études se sont portées sur expliciter le poids de chaque facteur génétique, environ-
les fréquentes mais inconstantes anomalies cérébelleuses nemental et issu de l’interaction gène/environnement. Le
retrouvées chez les patients autistes, et en particulier sur facteur génétique apparaît comme la fondation à partir de
les anomalies de l’architecture neuronale du cervelet et du laquelle le processus pathologique va se développer [26]. Si

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F. Medjkane, G. Apter

la part génétique semble s’exprimer au travers de stigmates Liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de
notamment dysmorphiques et de troubles des fonctions lien d’intérêt en rapport avec cet article.
intellectuelles [27], il apparaît que les facteurs environne-
mentaux puissent modifier l’expression phénotypique de
l’autisme.

Références
1. Gineste T. Victor de l’Aveyron, dernier enfant sauvage, pre-
Conclusion mier enfant fou, Nouvelle édition. Paris : Hachette, 2004.
2. Hochmann J. Histoire de l’autisme. Paris : Odile Jacob, 2009.
L’épigénétique et l’influence du remodelage par
l’environnement de l’expression génétique ouvrent de 3. Fombonne E. Epidemiology of pervasive developmental
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sion, prévention et réalisation de soins précoces vis-à-vis 4. Ritvo ER, Freeman BJ, Pingree C, et al. The UCLA-
d’enfants présentant des symptômes autistiques [28]. University of Utah epidemiologic survey of autism:
prevalence. Am J Psychiatry 1989 ; 146 : 194-9.
L’autisme peut être considéré comme une organi-
sation psychopathologique en appui de facteurs divers 5. Carlier M, Roubertoux PL. Psychopathologie et génétique.
Mode d’emploi. In : Widlöcher D, éd. Traité de psychopatho-
biologiques et/ou psychologiques incluant des facteurs
logie. Paris : PUF, 1994, p. 586-613.
génétiques, des facteurs environnementaux et une interac-
tion gène/environnement [28]. 6. Hallmayer J, Cleveland S, Torres A, et al. Gene-
tic heritability and shared environmental factors among
Penser les pathologies autistiques au sein d’un sys-
twin pairs with autism. Arch Gen Psychiatry 2011 ; 68 :
tème complexe polyfactoriel nous enjoint alors à réaffirmer 1095-102.
toute l’importance du dépistage et de la réalisation de
7. Muhle R, Trentacoste SV, Rapin I. The genetics of autism.
bilans exploratoires somatiques exhaustifs, particulière- Pediatrics 2004 ; 113 : e472-86.
ment dans la recherche d’anomalies neuro-génétiques, mais
8. http://projects.tcag.ca/autism/
aussi à nous ouvrir à d’autres voies de compréhension
des mécanismes thérapeutiques proposés en pédopsychia- 9. Sebat J, Lakshmi B, Malhotra D, et al. Strong association
of de novo copy number mutations with autism. Science
trie actuellement. Ainsi, les recommandations actuelles des
2007 ; 316 : 445-9.
auteurs [29], en prônant une diversité des modalités thé-
10. Yu TW, Chahrour MH, Coulter ME, et al. Using whole-
rapeutiques à proposer aux enfants : pharmacologiques,
exome sequencing to identify inherited causes of autism.
rééducatives, pédagogiques et psychothérapiques tend à Neuron 2013 ; 77 : 259-73.
rendre compte du caractère polyfactoriel de l’étiologie des
11. Gardener H, Spiegelman D, Buka SL. Prenatal risk factors
pathologies autistiques et des cibles thérapeutiques mul-
for autism: comprehensive meta-analysis. Br J Psychiatry
tiples nécessaires. 2009 ; 196 : 416-7.
Par ailleurs, les découvertes récentes dans le domaine
12. Gardener H, Spiegelman D, Buka SL. Perinatal and neona-
de l’épigénétique nous offrent aussi la possibilité de penser tal risk factors for autism: a comprehensive meta-analysis.
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 23/11/2020 sur www.cairn.info (IP: 37.164.222.135)

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d’autres voies de compréhension de nos actions thérapeu- Pediatrics 2011 ; 128 : 344-55.
tiques proposées aux enfants autistes. En décloisonnant
13. Guinchat V, Thorsen P, Laurent C, Cans C, Bodeau N, Cohen
les registres du génétique et de l’environnement, on pour- D. Pre-peri-, and neonatal risk factors for autism. Acta Obstet
rait alors envisager que les projets de soins multifocaux Gynecol Scand 2012 ; 91 : 287-300.
tels que proposés par les pédopsychiatres aujourd’hui 14. Gillberg IC, Gillberg C. Autism in immigrants: a population-
ont un effet synergique supérieur aux effets cumulés based study from Swedish rural and urban areas. J Intellect
de chaque intervention. Dans le cadre d’un projet de Disabil Res 1996 ; 40 : 24-31.
soin résolument intégratif, les effets thérapeutiques atten- 15. Bromley RL, Mawer G, Clayton-Smith J, Baker GA. Autism
dus pourraient se penser tant en termes d’inscription spectrum disorders following in utero exposure to antiepilep-
relationnelle que dans le registre neurophysiologique pou- tic drugs. Neurology 2008 ; 71 : 1923-4.
vant représenter un facteur d’enracinement des progrès 16. Miles JH. Autism spectrum disorders-a genetics review.
réalisés. Genet Med 2011 ; 13 : 278-94.
Les recherches les plus récentes dans le domaine de 17. Lehti V, Brown AS, Gissler M, Rihko M, Suominen A,
l’épigénétique et de l’autisme nous enjoignent à considé- Sourander A. Autism spectrum disorders in IVF children:
rer l’autisme au-delà de la notion de handicap pour inscrire a national case-control study in Finland. Hum Reprod
cette pathologie au sein d’un modèle de compréhension 2013 ; 28 : 812-8.
médical dans une dimension processuelle, développemen- 18. Brown R, Hobson RP, Lee A, Stevenson J. Are there “autistic-
tale et psychopathologique dont la pédopsychiatrie se like” features in congenitally blind children? J Child Psychol
propose d’en être l’acteur et le coordinateur. Psychiatry 1997 ; 38 : 693-703.

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