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LES ORIGINES SOCIALES DE LA SCHIZOPHRÉNIE OU LA

SCHIZOPHRÉNIE SANS LARMES

G. Devereux

John Libbey Eurotext | « L'information psychiatrique »

2015/1 Volume 91 | pages 81 à 82


ISSN 0020-0204
DOI 10.1684/ipe.2014.1296
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2015-1-page-81.htm
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L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 81–2

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE, IL Y A 50 ANS

Article paru dans le no 10 de décembre 1965

Les origines sociales de la schizophrénie


ou la schizophrénie sans larmes

G. Devereux (Ph.D.)

L’année 1965 de notre revue finissait par la traduction schizophrénie. C’est la plus répandue de toutes les psy-
d’un article sombre de Georges Devereux, le fondateur de choses dans notre société civilisée. La presque impossibilité
l’ethnopsychiatrie : « la schizophrénie sans larmes ». Cet de guérir complètement la schizophrénie a été avancée par
article devait avoir un retentissement certain : il voulait certains pour prouver qu’elle a une origine organique. Cette
ignorer tout progrès en neurobiologie et se situait dans un vague explication, ce subterfuge, ne sont pas surprenants.
abord anthropo-psychanalytique de la schizophrénie. De La physiologie et l’anatomie microscopique ont bon dos et
la schizophrénie et non de la psychose, ce qui veut dire il est facile de blâmer l’invisible et l’inconnu pour tous nos
qu’il n’escamotait pas les symptômes que l’on appellera péchés connus ou méconnus. Malheureusement, pour cette
plus tard négatifs ou déficitaires au profit d’une paranoïa pseudo-explication, l’authentique noyau schizophrénique
littéraire, les interprétant ensuite dans un champ culturel se trouve être absent chez les primitifs, dans la mesure où
ou sociologique. Il faut se souvenir que c’était aussi la ils ne sont pas soumis à un violent processus d’acculturation
période des champs d’interprétation sociologiques et et d’oppression.
politiques tels « la fausse conscience » de Joseph Gabel, La vérité semble être que la schizophrénie est presque
l’œuvre de Bastide, de Goffman etc. L’existentialisme en incurable, non du fait de son origine organique, mais
étant la marque française alors originale, avec ses liens parce que ses principaux symptômes sont systématique-
chaotiques avec le marxisme. ment encouragés par quelques-uns des aspects les plus
Le rapport de l’OMS publié un an plus tard affirmait importants de notre civilisation moderne. Son étiologie et
l’universalité de la schizophrénie, son pronostic plus sa symptomatologie sont renforcées par quelques-unes des
sombre et plus négatif dans les sociétés à haute technicité, valeurs les plus puissantes mais aussi les plus dénuées de
mettant tout le monde d’accord. À peu près. sens et d’utilité de notre société. De plus, comme ces valeurs
L’article de Devereux devait être repris dans ses Essais sont aussi quelquefois celles du psychiatre, il est souvent
d’ethnopsychiatrie (Gallimard). incapable d’aborder le problème de la schizophrénie dans
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Nous n’en publions que l’introduction et la conclusion. un esprit vraiment objectif et scientifique. Ses propres fon-
(Traduction Thérèse Bertherat) dements culturels et ethniques, et ses lacunes, gênent ses
efforts thérapeutiques aussi bien que peuvent le faire ses
T.T. réactions contretransférentielles inconscientes et idiosyn-
crétiques.
Un malade mental, qu’il soit névrotique ou psychotique,
ne peut être soigné que par un psychiatre ou un psychana-
lyste ne souffrant pas lui-même de la même maladie, et
seulement si le traitement s’insère dans un milieu social
Conclusion
qui, tout en émettant le vœu de guérir ce malade, ne vient Bien que j’aie moi-même souligné que, chaque groupe
pas d’une manière indirecte encourager et renforcer les ethnique a sa névrose ou psychose « ethnique » spécifique,
principales manifestations de la maladie. Or, de toutes les on m’objectera peut-être que l’on ne doit pas trop tenir
maladies mentales, la plus réfractaire au traitement est la
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compte du fait que la société occidentale possède égale-


ment sa propre maladie mentale privilégiée. L’important,
dans mon argument, n’est pas que la société occidentale
Directeur d’études à l’École pratique des hautes études,
et professeur de recherche d’ethnopsychiatrie à ait sa psychose ethnique, mais que cette psychose soit la
la Temple University School of schizophrénie, plutôt que des troubles plus bénins relative-
Medecine. ment, tels que l’hystérie, par exemple, laquelle prédominait

L’INFORMATION PSYCHIATRIQUE VOL. 91, N◦ 1 - JANVIER 2015 81

Pour citer cet article : Devereux G. Les origines sociales de la schizophrénie ou la schizophrénie sans larmes. L’Information psychiatrique 2015 ; 91 : 81-2
doi:10.1684/ipe.2014.1296
G. Devereux

au xixe siècle comme elle le fait encore dans de nombreuses bénigne, comme l’hystérie, alors que la maladie ethnique
sociétés primitives. En réalité, bien qu’elle soit une névrose des sociétés déclinantes – Sparte, après le ive siècle av. J.-C.,
indiscutable, l’hystérie n’implique pas une désorganisation Rome au ve siècle ap. J.-C., etc. – est une psychose maligne,
radicale et totale de l’Ego d’un sujet. Elle ne détériore comme la schizophrénie. Mais, quoi qu’il en soit, une chose
pas, comme la schizophrénie, les fondements de la rela- paraît sûre : l’augmentation du nombre des névroses et psy-
tion interhumaine et les réactions de l’individu face au réel. choses latentes dans certains systèmes sociaux condamnés
Une société dont la névrose ethnique est l’hystérie peut est un des faits historiques les moins connus. Lorsqu’il
fonctionner et s’épanouir, bien qu’à un moindre degré, évi- arrive que le trouble ethnique latent est un désordre grave
demment, qu’une société exempte de traits névrotiques. Au comme la schizophrénie, seul un programme complet de
contraire, une société dont la schizophrénie est le trouble guérison sociale peut prévenir une catastrophe.
central fonctionne très en dessous de son niveau optimum En bref, la société occidentale devra ou bien cesser
et peut, à moins que l’on n’y remédie rapidement, perdre d’entretenir sa « mass-schizophrenia » ou elle devra tout
toute capacité de survie. simplement cesser d’exister. Il est encore temps de retrou-
En fait, il est possible, pour qui s’intéresse à l’histoire ver la santé ! Mais l’histoire avance rapidement : nous
psychiatrique des sociétés, de montrer que la névrose devons retrouver notre humanité par la médiation du réel ou
des sociétés évoluant normalement – ve siècle av. J.-C., périr.
Grèce, xixe siècle européen – est une névrose relativement
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