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Représentations sociales et délinquance en situation de

crise : L'affaire Joe Van Holsbeeck en Belgique


Sophie Antoine, Nicolas Van der linden
Dans Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale 2010/3 (Numéro 87), pages
491 à 513
Éditions Presses universitaires de Liège
ISSN 0777-0707
DOI 10.3917/cips.087.0491
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“ Représentations sociales et


délinquance en situation de crise :
L’affaire Joe Van Holsbeeck en Belgique

Social representations
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of delinquency in crisis
situations: the Joe Van
Holsbeeck case in Belgium

Sophie Antoine et Nicolas Van der Linden


Unité de Psychologie Sociale, Université Libre de Bruxelles,
Bruxelles, Belgique
Ce travail analyse les représentations socia- This study analyzed the social
les de la délinquance à partir de la situa- representations of delinquency in a
tion de crise suscitée par l’affaire Joe Van crisis situation produced by the Joe
Holsbeeck, ainsi que les liens éventuels Van Holsbeeck case (Belgium), as well
qu’entretiennent ces représentations avec as the possible links between those
le niveau de mobilisation des individus. representations ant the individuals’ level of
Une analyse de correspondance met en mobilization. A correspondence analysis
évidence (1) que ces représentations s’or- showed that (1) these representations were
ganisaient essentiellement autour d’une organized essentially around a dimension
dimension opposant une lecture catégo- opposing a categorical reading (based on
rielle (selon un critère ethnique, socio-éco- an ethnic, socio-economic, or generational
nomique ou générationnel) à une lecture criterion) to an individualized reading of
individulisante de l’évènement mais aussi the event, but also (2) the constitutive role
(2) le rôle constitutif que le stéréotype du that the stereotype of the Maghrebi has
Maghrébin a joué dans l’élaboration des played in triggering the masses’ reactions.
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réactions populaires. Enfin, nos résultats Finally, our results equally suggested (3)
suggèrent également (3) qu’un niveau that a higher level of mobilization seems
plus élevé de mobilisation semble lié à la to be linked to the questioning of solidarity
remise en cause de la solidarité et de la and morality of the Belgian society.
moralité de la société belge.

La correspondance pour cet article doit être adressée à Nicolas Van der Linden, Unité
de Psychologie Sociale, Université Libre de Bruxelles, 50 avenue F. D. Roosevelt, 1050
Bruxelles, Belgique. Courriel : <nivdlind@ulb.ac.be>. Le nom des auteurs est inscrit selon
l’ordre alphabétique.
Cette étude a été, en partie, soutenue par le Fonds David et Alice Van Buuren.
«
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 493

« De minderjarige dader wordt in 1830 gestraft voor wat hij heeft gedaan […]
De jeugddelinquent van de twintigste eeuw is immers geen dader meer van
een misdrijf. Hij of zij pleegt ‘als misdrijf omschreven feiten’, is stout en ge-
draagt zich slecht of is het slachtoffer van een gevaarlijke opvoedingsituatie. »1
(Christiaens, 1999, pp. 345 et 351)

1. Introduction
Parmi les faits de délinquance juvénile grave dont les médias belges se sont réguliè-
rement fait l’écho ces dernières années, nul n’a suscité autant d’émoi et entraîné une
mobilisation aussi importante que l’agression de Joe Van Holsbeeck, un adolescent
de 17 ans poignardé à mort par deux autres adolescents de 16 et 17 ans, le 12 avril
2006. Plusieurs aspects de l’agression et des suites de l’affaire ont nourri les com-
mentaires des journalistes. Tout d’abord, le motif de l’agression, à savoir le vol d’un
MP3 et, allant, son caractère gratuit. Deuxièmement, le contexte de l’agression. Cel-
le-ci s’est déroulée en pleine après-midi dans un hall de la gare centrale de Bruxelles
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bondé. Or, aucun des témoins de l’agression ne s’est interposé, ni n’a poursuivi les
agresseurs. Ensuite, le temps, jugé trop long par certains, qu’il faudra aux enquê-
teurs pour arrêter les agresseurs. Enfin, l’identité présumée des agresseurs. En effet,
sur base de témoignages, le magistrat Wim De Troy déclare que les agresseurs sont
d’origine nord-africaine, une information vite relayée par les médias, certains (e.g.,
Haquin, 2006) n’hésitant pas à lui conférer un haut degré de certitude.
Pour rendre compte des différents aspects de l’agression, les médias fourniront plu-
sieurs explications que l’on peut classer en 4 grandes catégories. Une première relève
de ce que l’on pourrait qualifier d’anomie morale. Ici, l’agression, et la délinquance
juvénile de façon générale, est expliquée par le cocktail explosif que formeraient
le matérialisme ambiant et la permissivité dont jouiraient les jeunes d’aujourd’hui
dans leur éducation (e.g., Haquin & Fiorilli, 2006). À l’instar de la précédente, la
deuxième explication, que l’on appellera anomie sociale, consiste en une critique
de la société dans son ensemble. Celle-ci serait minée par un délitement des liens
sociaux qui aboutirait à une indifférence généralisée de tout un chacun vis-à-vis de
son prochain (e.g., Joe (17) doodgestoken om MP3-speler, 2006). Selon une troi-
sième catégorie d’explication, que l’on nommera anomie institutionnelle, les causes
de cette agression sont à chercher dans un mauvais fonctionnement des institutions.
N’assurant pas correctement la sécurité de ses citoyens, l’État serait, par son laxisme,
responsable du développement d’un sentiment d’impunité propice à l’augmenta-
tion de la criminalité (e.g., Volckaerts, 2006). La dernière catégorie, utilisée jusqu’à
l’arrestation des auteurs de l’agression, invoque un racisme anti-blanc qui se serait
développé au sein de la communauté marocaine de Belgique ; communauté dont les
membres auraient tendance à agresser une personne, juste parce celle-ci est Belge ou
non-musulmane (e.g., Mp3-roofmoord mogelijk ook racistisch gemotiveerd, 2006).
Notons que ces différentes explications ne sont pas mutuellement exclusives. Par
exemple, les « lenteurs » de l’enquête permettaient à la fois d’illustrer l’inefficacité
des institutions et d’avancer la thèse selon laquelle les agresseurs étaient « protégés »
par la communauté marocaine de Belgique.
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Couverte abondamment par les médias, l’agression de Joe Van Holsbeeck ne man-
quera pas d’engendrer une situation de crise. En effet, l’agression semblait n’avoir
suivi aucune logique et avoir été totalement gratuite – n’importe qui peut donc se
faire agresser, pour n’importe quelle raison et ne peut compter ni sur l’aide de son
prochain, ni sur la protection des autorités pour l’en prémunir. Elle constituait à
ce titre une situation particulièrement menaçante qui ne laissa pas la population
indifférente. Une pétition réclamant plus de dialogue avec les jeunes et davantage
de sécurité dans les lieux publics, et qui fut remise au Premier ministre, réunira plus
de 255.000 signatures. Le dimanche 23 avril, une marche silencieuse fut organisée
à Bruxelles. Plus de 80.000 personnes y participeront, ce qui est en fait la mobilisa-
tion la plus importante depuis la marche blanche2. À cette occasion, les parents de
Joe demanderont que la mort de leur fils ne soit pas récupérée à des fins politiques,
et appelleront les marcheurs à défiler sans calicot ou signe d’appartenance politi-
que ou idéologique. Ces différentes actions ne resteront pas sans réponse. Plusieurs
mesures furent prises dans le domaine de la justice. Elles porteront notamment
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sur la nouvelle loi sur la protection de la jeunesse et la sanction des jeunes ayant
commis des faits graves et furent accompagnées de l’engagement d’une dizaine de
magistrats de la jeunesse supplémentaires (Nagels & Rea, 2007).
Dans ce travail, nous nous sommes particulièrement intéressés aux explications
naïves que cet évènement a générées dans l’opinion publique belge, explications
étudiées en tant que représentations sociales3 (Moscovici, 1961/2004). Comment
donc la femme et l’homme de la rue ont donné sens à cet évènement ? Bien que
s’inspirant du discours médiatique, les représentations sociales n’en sont pas
une copie conforme (Rouquette, 1998). Elles méritent en cela d’être étudiées
pour elles-mêmes. Un tel choix conceptuel a des implications méthodologiques
(Doise, 1990). Il nous amènera à investiguer le contenu des explications de nos
participant(e)s, à en identifier les principes organisateurs et à en étudier l’imbrica-
tion dans des insertions sociales spécifiques (comme le fait d’être une femme ou
d’appartenir à une classe d’âge particulière). Ensuite, nous avons cherché à établir
un lien entre explications naïves et niveau d’implication. Pouvons-nous, sur base
du niveau d’implication d’une personne - selon, par exemple, qu’elle ait participé
ou non à la marche silencieuse -, prédire les explications qu’elle privilégiera ? Afin
de répondre à ces deux questions, nous avons privilégié une approche inductive
(Namey, Guest, Thairu & Johnson, 2008).

2. Méthode
2.1. Participants et procédure
Trente-sept personnes ont été interrogées. Souhaitant faire varier le niveau d’impli-
cation de nos participant(e)s, nous avons consulté la littérature sur la mobilisation
collective (i.e. Ennis & Schreuer, 1987 ; Klandermans, 1984). Cette dernière a no-
tamment mis en évidence que la participation à des actions ou mouvements sociaux
est déterminée en grande partie par les coûts (en termes de temps, d’opportunité,
…) qu’elle entraîne : Toutes choses étant égales par ailleurs, plus la participation est
coûteuse, moins elle suscitera d’adhésion. Pour qu’un individu s’engage dans une
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telle action, il faut, entre autres choses, qu’il se sente personnellement concerné et
intéressé par l’objectif que l’action est censée atteindre, bref qu’il se sente impliqué.
Partant du postulat que coûts et implication sont positivement corrélés, nous avons
abordés des personnes engagées ou non dans des actions plus ou moins coûteuses
en lien avec l’affaire Joe Van Holsbeeck. Dix-huit personnes ont été interrogées à
la gare centrale de Bruxelles, après avoir signé le registre des condoléances (coût
et implication moyens) ; dix l’ont été à l’une des deux voies d’accès des abattoirs
d’Anderlecht4, après qu’elles y aient fait leurs courses (coût et implication faibles) ;
neuf, enfin, l’ont été avant ou après leur participation à la marche silencieuse (coût et
implication élevés). Afin de nous assurer de l’impartialité du processus de sélection,
chaque troisième personne qui signait le registre des condoléances, qui quittait les
abattoirs ou qui rejoignait le lieu de départ (ou quittait le lieu d’arrivée) de la marche
par un des points d’accès était abordée. Le taux de participation s’élève à 82% à la
gare, à 40% aux abattoirs et à 65% à la marche.
Les entretiens ont eu lieu le samedi 22 avril à la gare et le dimanche 23 avril aux
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abattoirs et à la marche, soit 9 et 10 jours, respectivement, après les faits et 2 et 1
jour, respectivement, avant l’arrestation d’un des deux agresseurs. Les entretiens
duraient 3 à 11 minutes. Le guide d’entretien comprenait 8 questions fermées5,
principalement d’ordre biographique, et 9 questions ouvertes. Parmi ces dernières,
celles que nous avons retenues et qui feront l’objet des analyses subséquentes sont
les suivantes :
– Comment avez-vous réagi à l’annonce de la mort de Joe ? Quelles sont les émo-
tions que vous avez ressenties ?
– Diriez-vous que ce type d’agression est très courant, assez courant, assez excep-
tionnel ou très exceptionnel ?
– Pourquoi Joe a-t-il été agressé ? Quelles étaient les motivations des agresseurs de
Joe ?
– Quels types de personnes sont les agresseurs de Joe ? Comment les agresseurs de
Joe en sont arrivés jusque-là ? Les agresseurs de Joe sont-ils les seuls responsables
de sa mort ?
– À ce jour, les agresseurs n’ont pas encore été retrouvés. Comment expliquez-vous
cela ?
– Que devrait-on faire pour éviter que ce type d’agression se reproduise ? Y a-t-il
quelque chose que vous pouvez faire ? Y a-t-il quelque chose que les autorités
pourraient faire ?
Enregistrés, les entretiens ont ensuite été retranscrits. À ce stade, deux entretiens
réalisés à la gare furent éliminés : Le premier était inaudible, tandis que deux per-
sonnes prenaient part au second. Statut bilingue (français-néerlandais) de Bruxelles
oblige, certains entretiens ont eu lieu en néerlandais. Conformément à la technique
« translation-backtranslation » (voir van der Vijver & Leung, 1997), ceux-ci ont été
traduits en français par le second auteur. Le résultat de ce travail a ensuite été re-
traduit en néerlandais par une locutrice néerlandophone. La technique fut répétée
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jusqu’à ce que la retraduction effectuée par la locutrice néerlandophone soit jugée


suffisamment proche des réponses initiales des participant(e)s néerlandophones. Le
corpus ainsi obtenu comprend plus de 18.000 mots.
L’échantillon final est majoritairement composé de francophones (77%), de Belges6
(71%) et d’hommes (57%). Les participants sont âgés de 15 à 68 ans (M = 39,
ET = 13)7. Les professions des participants se répartissent principalement entre les
étudiants (20%) et les employés (14%). Les hommes sont surreprésentés parmi les
répondants des abattoirs (8/10), la répartition étant plus égalitaire parmi les répon-
dants de la gare (8/16) et ceux de la marche (4/9). Bien que l’âge moyen des partici-
pants aux trois endroits soit très proche (M = 39, 39 et 38 pour les répondants de la
gare, des abattoirs et de la marche, respectivement), les répondants des abattoirs se
trouvent plus souvent dans la catégorie des 31-48 ans (6) que dans celle des 15-30
ans (2) ou des 49-68 ans (2). La proportion de personnes de nationalité ou d’origine
étrangère est plus importante parmi les répondants des abattoirs (5/10) et de la gare
(5/16) que parmi ceux de la marche (0/9)8. Notons également que la plupart des
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répondants néerlandophones (6/8) ont été interrogés à la gare.

2.2. Analyse
Nous avons procédé en deux étapes :
a. Nous avons, tout d’abord, codé les réponses aux questions ouvertes ci-dessus.
Sur base de l’approche prototypique des émotions de Shaver, Schwartz, Kirson et
O’Connor (1987), nous avons classé les émotions des participants (Question 1)
selon qu’elles font partie de la famille des émotions liées au choc et plus générale-
ment à la peur (6), à la tristesse (24) ou à la colère (18). Les réponses à la seconde
question, portant sur la fréquence de ce type d’agression, ont été regroupées en
trois catégories, selon que le participant soit d’avis que ce type d’agression est as-
sez ou très courant (19), assez ou très exceptionnel (7), ou que, bien que assez ou
très courant, l’issue est malgré tout exceptionnelle (9). Afin de coder les questions
3 à 6, nous avons eu recours à une analyse thématique (Braun & Clarke, 2006). Ce
type d’analyse se déroule en plusieurs phases.
Après une première phase de familiarisation avec les données, nous avons décom-
posé le corpus en unités de texte pertinentes eu égard à nos questions de recherche
et généré des codes initiaux pour les classer. Ensuite, nous avons regroupé ces
codes en essayant de leur trouver un thème commun. Il est important de souligner
qu’une même unité de texte pouvait être classée dans plus d’un thème. L’analyse
s’est poursuivie en vérifiant la cohérence des thèmes ainsi trouvés tant du point
de vue des unités de texte codées que de l’ensemble du corpus. Enfin, nous avons
donné un nom et une définition à chacun des thèmes ainsi qu’une quantité suffi-
sante d’unités de texte les étayant avant de classer l’entièreté des unités de texte.
L’analyse thématique a abouti à l’identification de 20 thèmes (voir annexe 1 pour
une liste complète). L’analyse fut exhaustive en cela que 85% du corpus a pu être
classé dans au moins un des thèmes identifiés. La fiabilité du classement en thèmes
a été établie en demandant à deux étudiantes de coder, contre rémunération, les
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réponses de 7 participants pris au hasard. L’accord inter-juge, obtenu en calculant


l’alpha de Krippendorff (2004), est acceptable (a = 0.68)9. En cas de désaccord, la
règle de la majorité fut suivie.
b. Une fois les données codées, nous les avons, ensuite, analysées à l’aide du lo-
giciel Trideux (Cibois, 2006). Ce logiciel nous a permis, premièrement, d’effectuer
une analyse factorielle de correspondance à partir d’un tableau croisant les modali-
tés de nos différentes variables. Les thèmes y ont été introduits en tant que variables
actives tandis que les renseignements biographiques dont nous disposions sur les
participant(e)s, y compris le lieu où ils/elles ont été interrogée(e)s, ont été introduits
en tant que variables supplémentaires10. Afin de voir s’il existe un lien entre ni-
veau d’implication et type d’explication, nous avons, dans un second temps, utilisé
l’option Ecapem de Trideux. Cette option croise chaque modalité avec toutes les
autres modalités qu’elle classe dans l’ordre décroissant de leur degré de liaison11.
Enfin, nous avons examiné de façon approfondie les extraits de discours qui ont
été désignés par l’analyse automatique comme étant les plus typiques des versants
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de chacun des facteurs préalablement identifiés12. Ces extraits, dont la sélection
n’est donc pas arbitraire, nous permettront d’illustrer les types de discours mis en
évidence par l’analyse de correspondance.

3. Résultats
3.1. Analyse de correspondance
Six personnes, toutes interrogées à la gare, ayant signalé qu’elles avaient l’intention
de participer à la marche silencieuse, nous avons réalisé 2 analyses de corres-
pondance différentes : Une analyse incluant ces participants et une analyse les
excluant. Les résultats restant, dans l’ensemble, inchangés, nous ne communique-
rons, dans la suite de l’article, que les résultats de la première analyse. Là où des
différences se sont malgré tout manifestées, nous l’indiquerons au lecteur.
Le premier facteur (voir figure 1) extrait de l’analyse de correspondance explique
26.2% de la variance totale13. Il oppose un discours ethnicisant, dans lequel l’origi-
ne ethnique présumée des agresseurs semble jouer un rôle explicatif, à un discours
individualisant, fortement associé aux questions sécuritaires. En effet, sur le versant
négatif de ce facteur, nous retrouvons, associés à l’opinion que ce type d’agression
est exceptionnel14, différents thèmes liés aux étrangers : La discrimination qu’ils
subissent mais également l’essentialisation de différences perçues entre eux et les
Belges. Les agresseurs sont ici clairement identifiés comme étant d’origine étran-
gère, comme étant jeunes et comme étant dangereux. Ceci s’accompagne par une
mise en cause de la responsabilité de leurs parents qui sont, par ailleurs, accusés
de les protéger. En réponse à ces maux, des solutions préventives sont préconisées.
L’ambivalence de ce discours qui consiste à mettre en avant le critère ethnique
pour expliquer l’agression, à la fois pour contextualiser le comportement des agres-
seurs et pour l’essentialiser, est illustrée par les extraits suivants :
Q : Quels types de personnes sont les agresseurs de Joe ? Comment en sont-ils arrivés
jusque-là ?
498 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

P11 : Je dirais des gens paumés parce que ça ne doit pas être facile d’être, de ne pas
être Belge en Belgique et de ne pas être Marocain au Maroc, donc euh. Je crois que…
et que ne pas avoir de boulot en plus, donc ne pas pouvoir se payer les mp3 quand on
voudrait bien, ce qui n’excuse pas le fait qu’on ne doit pas à tout coup égorger les gens
comme ils le font trop rapidement. (participant francophone, belge, de la catégorie des
49-68 ans, interrogé à la gare).
P13 : Ca doit être certainement un problème de …, on parle toujours de violence,
de manque d’intégration, de, il doit y avoir un malaise chez ces gens-là. Mais on est
responsable de ça aussi, nous qui n’avons pas commis ces actes-là. Pour moi, je le vois
plus comme un tout. (participant francophone, belge, de la catégorie des 15-30 ans,
interrogé à la gare).

Sur le versant positif de ce premier facteur, le discours est caractérisé par des pro-
pos dévalorisant les agresseurs ainsi que par des propos critiques à l’égard des
institutions qui sont appelées à assurer plus de surveillance et de sécurité. Pointant
du doigt l’anomie sociale, ce discours insiste aussi sur la fréquence élevée de ce
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type d’agression, ou sur son issue exceptionnelle dans ce cas-ci. La solution qui y
est privilégiée se veut répressive, voire parfois expéditive :
Q : Quels types de personnes sont les agresseurs de Joe ?
P35 : Des merdeux, des merdeux qui ne font que foutre la merde et qui méritent la
mort. (participant francophone, belge, de la catégorie des 15-30 ans, interrogé à la
marche).
Q : Que devrait-on faire pour éviter que ce type d’agression se reproduise ?
P5 : Plus de surveillance. Pas seulement avec des caméras. Il y a des caméras ici et
personne qui réagit. Normalement, il y a une personne qui est derrière les caméras
et peut dire à des agents en civil ou des agents en uniforme qu’il y a quelque chose
d’étrange se passe par là, quelque chose de bizarre, de pas juste se passe par là. Ce
n’est pas si difficile. (participante néerlandophone, belge, de la catégorie des 15-30
ans, interrogée à la gare).

Du point de vue des variables supplémentaires, nous observons que le discours eth-
nicisant est plus typique des participant(e)s belges. D’une des deux analyses réali-
sées, il ressort que ce discours est également associé aux participant(e)s interrogé(e)
s à la gare. Le discours individualisant est quant à lui plus typique des participant(e)
s de nationalité ou d’origine étrangère (y compris marocaine), de la tranche d’âge
des 15-30 ans, des femmes et des participant(e)s interrogé(e)s aux abattoirs.
Le second facteur explique 17,3% de la variance totale. Il oppose un discours
alarmiste, associé aux participant(e)s de nationalité ou d’origine marocaine et aux
femmes, à un discours qui appelle à un changement collectif, associé aux hommes.
Sur le versant négatif, nous retrouvons l’opinion selon laquelle ce type d’agression
est courant. Se focalisant sur les agresseurs, les propos soulignent la dangerosité
des agresseurs, les dévalorisent et engagent la responsabilité de leurs parents, tout
en reconnaissant la discrimination qu’ils subissent en tant qu’étrangers. Mais si un
contexte défavorable est invoqué, son existence n’en est pas moins imputée aux
agresseurs. Par ailleurs, ce discours ne manque pas d’évoquer un sentiment d’insé-
curité et d’impuissance.
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 499

Figure 1 : Analyse de correspondance: facteurs 1 et 2 (note : afin de faciliter la lecture, les


modalités se chevauchant ou se trouvant, en partie, en dehors des limites de la figure ont
été déplacées pour désintriquer leurs intitulés)
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500 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

Q : Comment les agresseurs de Joe en sont arrivés jusque-là ?


P32 : Ces gens n’avaient certainement pas beaucoup d’éducation et, comment vais-je
dire, je n’ai rien à dire d’autre que je pense que ce sont des gens qui vivent en marge
de toute société et qui n’ont aucun respect ni de la vie humaine, ni de la propriété
d’autrui, je les plains de tout mon cœur. (participante francophone, belge, de la caté-
gorie des 49-68 ans, interrogée à la marche).
Q : Que devrait-on faire pour éviter que ce type d’agression se reproduise ?
P26 : Plus de responsabilité pour les parents, qu’ils laissent leurs enfants dans la rue
jusqu’à minuit, ça c’est. Ils peuvent même pas voir l’enfant qu’est-ce qu’il mange,
est-ce qu’il sent l’odeur sur les vêtements, est-ce qu’il fume de la drogue, est-ce qu’il
fume des cigarettes. (participant francophone, marocain, de la catégorie des 31-48 ans,
interrogé aux abattoirs).

Aux antipodes du sentiment d’impuissance, le versant positif est caractérisé par une
incitation au changement collectif. Les propos y expriment par ailleurs le choc et
l’incompréhension associés à l’issue tragique de l’agression, vue comme excep-
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tionnelle. Au banc des accusés, nous retrouvons les inégalités sociales ainsi que
l’anomie sociale, fléaux qui doivent aussi être combattus par des mesures préven-
tives. L’extrait suivant illustre bien l’idée d’un lien entre appartenance à un groupe
de bas niveau dans la hiérarchie sociale et comportement délinquant :
Q : Comment les agresseurs de Joe en sont arrivés jusque-là ?
P 24 : À mon avis, c’est plutôt un problème social au niveau que, apparemment,
ces jeunes-là, à mon avis, n’ont pas beaucoup les moyens. Pour acquérir cet objet,
je suppose qu’ils ont vraiment un problème fondamental, un problème social et un
problème de reconnaissance, enfin je veux dire, un problème de pauvreté, je ne sais
pas. (participant francophone, de nationalité étrangère, de la catégorie des 15-30 ans,
interrogé aux abattoirs).

L’utilisation d’explications socioéconomiques y est accompagnée d’un rejet d’ex-


plications à caractère ethnique :
Q : Y a-t-il quelque chose que vous pouvez faire ?
P25 : (…) Et il y a une chose qu’il faut essayer de faire et ça je le fais toujours à mon
niveau dans ce genre de cas, c’est ne pas faire d’amalgame stupide, de classer les gens
dans les tiroirs en disant ces gens-là, par exemple, donc ici on a bien mis en évidence
que c’était visiblement des jeunes qui étaient d’origine maghrébine mais je ne veux
pas qu’on fasse des amalgames stupides (…). (participant francophone, belge, de la
catégorie des 31-48 ans, interrogé aux abattoirs).

Le dernier facteur explique quant à lui 14% de la variance totale. Le versant négatif,
typique de la tranche d’âge des 49-68 ans, est fortement saturé par le thème de l’in-
sécurité, tandis que l’issue tragique de l’agression y est perçue comme exception-
nelle. Ce discours est associé à une identification précise des agresseurs. La nature
du problème et sa solution résident clairement dans les jeunes et dans la mauvaise
éducation qu’ils reçoivent de leurs parents :
Q : Comment les agresseurs de Joe en sont arrivés jusque-là ?
P 15 : (…) je crois que c’est la société, tout le monde veut tout et ces gens-là certaine-
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 501

Figure 2 : Analyse de correspondance: facteurs 2 et 3 (note: Afin de faciliter la lecture, les


modalités se chevauchant ou se trouvant, en partie, en dehors des limites de la figure ont
été déplacées pour désintriquer leurs intitulés)
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502 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

ment, ils sont jeunes comme les autres, donc ils veulent avoir, eux savent pas l’avoir,
donc ils le prennent, ils le volent, on va dire. (participant francophone, belge, de la
catégorie des 49-68 ans, interrogé à la gare).
Q : Que devrait-on faire pour éviter que ce type d’agression se reproduise ?
P30 : Beaucoup, (…), il faudrait tout changer dans les jeunes, dans la société actuelle. (par-
ticipante francophone, belge, de la catégorie des 49-68 ans, interrogée à la marche).

Cette critique de la jeunesse et de l’éducation des parents relève, dans l’ensemble,


de l’anomie morale. Cependant, par moments, elle vise spécifiquement la commu-
nauté maghrébine15 :
Q : Les agresseurs de Joe sont-ils les seuls responsables de sa mort ?
P15 : Probablement pas (…) ces gens-là (…), tout le monde dit que ce sont des Maghré-
bins, leurs parents n’éduquent pas de la même façon que nous, ça je le sais (…).

Sur le versant positif, typique des participant(e)s les plus jeunes, la réponse au
problème réside essentiellement dans une prise de conscience collective et, dans
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une moindre mesure, dans des mesures sécuritaires. Les causes identifiées sont la
discrimination dont souffrent les étrangers, discours qui s’accompagne malgré tout
d’une dévalorisation des agresseurs et de l’essentialisation des différences entre
Belges et étrangers. On retrouve ici l’ambivalence caractéristique du versant négatif
du premier facteur. Également exprimés, sont le choc et l’ignorance :
Q : Les agresseurs de Joe sont-ils les seuls responsables de sa mort ?
P31 : Non, je crois que c’est aussi la société qui n’accepte pas les Arabes dans la
société et que je crois que si on savait plus les intégrer, il ne se passerait pas des cho-
ses comme ça quoi. (participante francophone, belge, de la catégorie des 15-30 ans,
interrogée à la marche).
Q : Quels types de personnes sont les agresseurs de Joe ?
P16 : Aucune idée non plus. Mais ça doit être des sauvages, je ne sais pas moi, je
sais pas s’ils étaient vraiment dans leur état normal. C’est, je sais pas, la réaction du
jeune garçon. C’était peut-être par rapport à ça, je sais pas. Je ne sais pas, il a dû leur
répondre quelque chose, ça ne leur a pas plu ou je sais pas. Moi, je sais pas du tout.
Oui. (participante francophone, d’origine marocaine, de la catégorie des 15-30 ans,
interrogée à la gare).

3.2. Profil de modalités actives associées aux lieux de l’entretien


Le tableau 1 reprend les liaisons positives entre les trois lieux d’entretien et les thèmes
abordés par les participants. Précisons d’emblée qu’aucune des liaisons du tableau
n’est significative, ce que l’on peut attribuer, en partie du moins, à la taille limitée des
effectifs. C’est donc avec prudence que nous commenterons ce tableau.
Le problème le plus associé à un faible niveau d’implication (participant(e)s
interrogé(e)s aux abattoirs) est l’anomie institutionnelle tandis que les problèmes
les plus associés à un niveau moyen (participant(e)s interrogé(e)s à la gare) et à
un niveau élevé (participant(e)s interrogé(e)s à la marche) d’implication sont, res-
pectivement l’anomie sociale et l’anomie morale. Il est également intéressant de
constater que, si à un niveau plus faible d’implication, l’état est appelé à assu-
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 503

Tableau 1 : Degré de liaison entre lieux d’entretien et thèmes

Effectif (Observé/
Lieu Thème PEM (%)
Total)
Anomie institutionnelle 36.4 6/13
Insécurité 30 5/10
Répression 22.2 4/9
Abattoirs
Sécurité 17.6 6/18
Ignorance 12.5 6/19
Fréquent 12.5 6/19
Anomie sociale 53.9 6/8
Incompréhension 53.9 6/8
Choc 38.6 4/6
Agresseurs protégés 38.6 4/6
Altérité 38.6 6/9
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Ignorance 31.6 11/19
Gare
Dangerosité des agresseurs 29.1 8/13
Prévention 21.1 8/14
Tristesse 20.5 12/24
Etrangers 18 10/19
Anomie morale 16.3 6/11
Parents des agresseurs 16.3 6/11
Colère 54.2 7/18
Dévalorisation 40.2 5/9
Collectif 32.7 3/6
Marche
Répression 25.2 4/9
Anomie morale 19 4/11
Issue exceptionnelle 10.3 3/9
Note : seuls les PEM > 10 ont été retenus.

mer ses fonctions répressives et sécuritaires, à un niveau plus élevé d’implication,


c’est sur le nécessaire changement collectif des individus qu’insistent le plus les
participant(e)s.

4. Discussion
La présente recherche avait pour objectif (1) d’examiner les représentations sociales
élaborées au sein de l’opinion publique belge dans le but de donner sens à l’agres-
sion de Joe Van Holsbeeck et (2) d’identifier les liens qui pouvaient exister entre
représentations sociales et niveau d’implication. Des entretiens réalisés à la gare
centrale de Bruxelles, aux abattoirs d’Anderlecht et à la marche silencieuse, il res-
sort que les différentes représentations de l’évènement et de ses causes partagent
plusieurs éléments que l’on peut organiser en une conception commune. Dans cette
conception, les agresseurs sont vus comme étant des jeunes frustrés qui, n’ayant pas
de revenus, ont vite recours à la violence pour assouvir des désirs exacerbés par
504 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

la société de consommation actuelle. Néanmoins, derrière ce consensus manifeste,


des divergences importantes apparaissent. Un premier clivage s’observe entre un
discours, dominant, qui accorde un pouvoir explicatif aux appartenances sociales et
un discours qui, se focalisant sur la personne des agresseurs, engage la responsabilité
des institutions. Au sein du premier discours, que l’on pourrait qualifier de catégo-
riel, deux autres clivages permettent de dégager trois sous-théories explicatives. La
première, teintée d’ambivalence, se base sur le critère ethnique pour donner sens
à l’évènement. La frustration des agresseurs est ici expliquée par la discrimination
qu’ils subissent mais aussi par le fait qu’ils appartiennent à une communauté dont
les membres ont des mœurs les rendant différents des Belges (plus agressifs, n’aimant
pas les non-musulmans) et par là-même plus dangereux. Dans la seconde, la frus-
tration des agresseurs est expliquée en termes d’inégalités socioéconomiques. Sans
pour autant dédouaner les agresseurs, cette théorie fait la part belle aux structures
sociales et à leurs dysfonctionnements (y compris les anomies sociale, morale et
institutionnelle). Selon la troisième, axée sur le critère générationnel, ce qui pose
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problème ce sont les jeunes d’aujourd’hui, jeunes dont la socialisation est défaillante
(mauvaise éducation principalement imputée aux parents).
Nous retrouvons dans les représentations sociales de nos participant(e)s certai-
nes des dimensions qui semblent organiser les prises de positions des individus
à l’égard de la délinquance en général. Ainsi, plusieurs études (Doise & Papas-
tamou, 1987 ; Widmer, Languin, Pattaroni, Kellerhals & Robert, 2004), ont mis à
jour une opposition entre un discours sur la délinquance accordant la primauté
aux insertions sociales à un discours insistant sur la responsabilité individuelle.
D’autres (Hammer, Widmer, & Robert, 2009 ; Lupton, 1999) montrent par ailleurs
que le discours qui explique la délinquance en termes de déviance individuelle
et d’anomie institutionnelle tend à justifier la répression des agresseurs tandis que
le discours qui voit la délinquance comme la conséquence de conditions socio-
économiques défavorables privilégie leur réinsertion. Nos résultats reproduisent
également la tendance des femmes et des personnes plus âgées à accorder plus de
poids à la responsabilité des parents dans la genèse du comportement délictueux
(Furnham & Henderson, 1983).
Un parallèle peut également être tracé avec les travaux de Staerklé, Delay, Gianet-
toni et Roux (2007). Ceux-ci ont mis en évidence plusieurs logiques qui président
à la formation des jugements politiques pouvant s’actualiser dans différents do-
maines, y compris la délinquance. Ces logiques sont au nombre de quatre. Selon
la conception de l’ordre social qu’une personne défend, elle peut privilégier des
principes de régulation des relations sociales qui aboutissent (1) au conformisme
aux valeurs de l’endogroupe, (2) à l’équité entre individus, (3) à l’essentialisation –
aussi bien positive que négative - des différences intergroupes ou (4) à la gestion,
dans le sens d’une réduction ou d’une accentuation, des inégalités structurelles.
Notons d’emblée que les deux premières et les deux dernières logiques se répar-
tissent, respectivement, de part et d’autre d’un continuum qui oppose une pensée
qui ramène les faits sociaux à l’individu et une pensée qui considère que l’individu
est un produit social. À côté de ce continuum, nous retrouvons aussi dans nos
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 505

données les logiques d’essentialisation des différences intergroupes et de gestion


des inégalités structurelles, en particulier sur la première et la deuxième dimension
du graphique factoriel.
Au-delà des ressemblances, des différences émergent aussi. Certaines explications
identifiées dans la littérature sur les représentations sociales de la délinquance ou
certaines logiques que l’on retrouve dans celle consacrée à l’étude de la création
des attitudes politiques ressortent peu ou prou des propos de nos participant(e)s.
Il en est ainsi des explications biologiques, de celles posées en termes d’instabilité
mentale ou de la logique de l’équité. D’autres, par contre, s’agencent de façon à
former un discours original (au sens où il ne transparait pas des études que nous
avons passées en revue). C’est le cas, par exemple, des explications qui, tout en
stigmatisant la communauté d’appartenance présumée des agresseurs et en blâ-
mant le rôle que leurs parents et que leur entourage a pu jouer dans leur sociali-
sation, pointent du doigt l’exclusion et les inégalités dont ils sont les victimes. Un
tel discours se retrouve aussi au sein de l’institution scolaire belge et française qui,
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attachée au discours antiraciste, prend plus souvent l’environnement familial et
culturel des enfants issus de l’immigration musulmane pour cible de ses critiques
que les enfants eux-mêmes : Celui-ci y est habituellement perçu comme laxiste
mais aussi comme archaïque, voire barbare (Manço & Manço, 2000 ; Perroton,
2000). De tels stéréotypes ont l’avantage de fournir un cadre justificatif à la réponse
qu’il convient de donner aux faits d’agression (Nagels & Réa, 2007). Des mesures
éducatives, par exemple, peuvent en effet être vues comme à même d’extraire les
agresseurs, et avec eux les jeunes d’origine maghrébine, de leur particularisme
culturel et de leur environnement rétrograde en vue d’une pacification de l’espace
public. Ceci suggère que le stéréotype, en tant qu’élément de la représentation que
l’on se forme d’un groupe, joue un rôle constitutif dans l’élaboration des réactions
aux situations de crise. Comme l’a fait remarquer Rouquette (1997), « c’est toujours
la crise, petite ou grande, prolongée ou brève, qui rend le stéréotype pertinent,
l’arrache en quelque sorte de son sommeil. Elle ne le fabrique pas, elle le convo-
que. » (p. 32).
Le stéréotype semble donc en mesure de déterminer les coordonnées du champ
représentationnel dans lequel la compréhension d’un fait va s’inscrire. En soumet-
tant l’appréhension d’un nouveau fait à un ‘déjà là’ pensé, le stéréotype limite le
champ des causes possibles que des individus lui attribueront. Si cette conclusion
ne ressort pas des études sur les représentations sociales de la délinquance, cela
tient, à notre avis, du fait que dans ces études, la nature du délit et l’identité des
délinquants ne sont pas précisées. Pourtant, nombreux sont les auteurs qui s’accor-
dent pour dire que le jugement qui est porté sur un crime dépend de la gravité des
faits ainsi que de l’image que l’on se fait de l’infracteur et de la victime (Hammer,
Widmer, & Robert, 2009 ; Herzog, 2003 ; Languin, Widmer, Kellerhals & Robert,
2004 ; Rouquette, 1997). Par ailleurs, les individus ont tendance à associer la délin-
quance à certaines catégories sociales telles que les jeunes ou les étrangers (Garos-
cio, 2006). On ne peut donc exclure que, lorsqu’un(e) répondant(e) est interrogé(e)
sur la délinquance, certaines identités ne soient automatiquement activées par lui/
506 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

elle, en dehors de tout contrôle de la part du chercheur. Cette éventualité peut,


selon Herzog (2003), avoir renforcé une tendance vers le consensus car, plus un
fait est dépouillé de son contexte, moins grande sera la probabilité de trouver des
dissensions entre individus ou groupes d’individus. Afin de mieux évaluer le poids
des stéréotypes dans l’organisation des représentations sociales de la délinquance,
des recherches futures pourraient s’inspirer du procédé expérimental appliqué par
Chryssochoou, Picard et Pronine (1998) au domaine des représentations sociales
de l’échec scolaire. Répartis aléatoirement dans des conditions créées en manipu-
lant l’identité des protagonistes d’un délit, les participant(e)s pourraient ensuite être
amenés à devoir expliquer les causes du délit et à lui trouver une solution.
Nos résultats se démarquent également sur un deuxième point. Les études sur les
représentations sociales de la délinquance aboutissent souvent au constat de la
faible influence des déterminants identitaires et sociaux sur les représentations
sociales (Gaffié, 2006 ; Languin, Widmer, Kellerhals & Robert, 2004). Or, un tel
constat semble ne pas pouvoir s’appliquer à nos données. En effet, nous observons
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de fortes associations entre le fait d’être étranger (de nationalité ou d’origine), mais
aussi la catégorie d’âge des 15-30 ans, et le discours qui, orienté sur la personne
des agresseurs, engage la responsabilité des institutions. Et, tandis que la catégorie
d’âge des 15-30 ans est également associée au discours mêlant logique de diffé-
rentiation intergroupe et logique de gestion des inégalités, celle des 49-68 ans l’est
à un discours critique à l’égard des jeunes, accusés de succomber trop facilement
aux sirènes d’une société matérialiste et dont les parents sont vus comme démis-
sionnaires. Ces associations sont, selon nous, révélatrices d’une réaction face à la
menace identitaire. Dans le cas des catégories pointées du doigt dans l’affaire, tout
comme d’ailleurs dans celui des catégories qui ne le sont pas, les discours qui leur
sont associés peuvent s’apparenter à une stratégie de (re)valorisation. En effet, le/a
participant(e) de nationalité ou d’origine marocaine et le/a jeune qui proposent une
lecture de l’évènement centrée sur la personne des agresseurs et le laxisme de l’État
prémunissent pareillement leur groupe d’appartenance de toute attaque et restau-
rent par là-même une identité sociale positive. On le voit, si les représentations
sociales permettent aux collectivités, en fournissant une grille d’interprétation du
réel, de rendre intelligible l’incompréhensible, elles ont également pour fonction,
en affirmant un lien social, de protéger les collectivités qui se sentent menacées
(Licata & Klein, 2000 ; Moscovici, 1961/2004). Elles ne constituent donc pas, loin
s’en faut, un reflet fidèle de la réalité.
Que pouvons-nous dire, à présent, au sujet du deuxième objectif de notre recherche ?
La marche silencieuse, tout comme la marche blanche, fait partie de ce que Walgrave
et Verhulst (2006) appellent les ‘nouveaux mouvements émotionnels’ (‘new emotio-
nal movements’). Selon ces auteurs, ces mouvements se démarquent d’autres types
de manifestations de masse par quatre caractéristiques : (1) Centrés sur des victimes
et les souffrances de leurs proches, ils sont typiquement organisés par ces derniers ;
(2) ils sont faiblement organisés ; (3) et ils jouissent du soutien des médias ainsi que
(4) des élites. Relativement récentes, ces manifestations n’ont pas encore fait l’objet
de beaucoup d’études scientifiques. Nous en savons donc encore peu sur les raisons
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 507

qui poussent les individus à participer à ce type de mouvement. Néanmoins, dans


leur étude des représentations sociales de l’affaire Dutroux, Licata et Klein (2000) ont
observé qu’une plus grande implication dans le mouvement blanc était sous-tendue
par une représentation du monde politique qui, perçu comme impur et coupable, le
distinguait du peuple, perçu comme pur et innocent. Ainsi disqualifié, l’État, à tra-
vers les formes traditionnelles de participation politique qu’il propose, ne réunissait
plus les conditions nécessaires à l’expression de l’émotion populaire. Notre étude
vient compléter ces résultats en montrant que, dans l’affaire Joe Van Holsbeeck, des
niveaux plus élevés d’implication allaient de pair avec des préoccupations sociales,
i.e. désapprouver le manque de solidarité, et morales, i.e. condamner le matéria-
lisme ambiant. Plus que le monde politique, c’est la société dans son semble qui
était ici mise au banc des accusés par les participants les plus impliqués. Mais dans
un cas comme dans l’autre, les institutions étatiques ne sont pas envisagées comme
un partenaire de choix et, de fait, la solution est plutôt recherchée du côté de la
prise de conscience et du changement collectif des individus. Toutefois, étant donné
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le manque de puissance de nos données sur ce point, nous ne pouvons proposer
cette conclusion qu’à titre d’hypothèse, hypothèse que des recherches ultérieures
devraient vérifier. Dans cette perspective, il nous semblerait particulièrement intéres-
sant d’investiguer plus directement les liens qui peuvent exister entre représentations
de l’État, y compris le rôle que les individus lui assignent dans la genèse et/ou la
résolution de la crise qui les a amenés à s’impliquer, et participation aux ‘nouveaux
mouvements émotionnels’.
Avant de conclure, relevons quelques limites de notre recherche. Une première
limite concerne l’approche, qualitative, privilégiée tout au long de l’étude. Cette
approche s’est matérialisée par le recours à l’entretien comme mode de recueil des
réponses de nos participant(e)s et par celui de l’analyse thématique pour le codage
de ces réponses. En ce qui concerne l’entretien, les critiques portent généralement
sur l’influence que l’identité de l’interviewer, son savoir implicite et son style peu-
vent avoir sur le contenu et la structure du discours des interviewés (Delhomme &
Meyer, 2002). Aucune garantie non plus que les questions posées aux participant(e)
s leur ont permis d’aborder les éléments de l’affaire les plus structurants de leurs
réactions, ni même ceux qui ont le plus contribué à leur implication16. Cependant,
l’entretien est une des meilleures, si pas la meilleure, voies d’accès aux signifi-
cations subjectives que les individus donnent à leurs expériences (Delhomme &
Meyer, 2002 ; Poupart, 1997). Or, la prise en compte de ces significations subjec-
tives est indispensable à la bonne compréhension des conduites humaines (Mos-
covici, 1961/2004 ; Staerklé, Delay, Gianettoni, & Roux, 2007), ce qui explique,
qu’en tant qu’instrument, l’entretien soit fréquemment utilisé dans l’étude des re-
présentations sociales (voir Doise, Clémence, & Lorenzi-Cioldi, 1992).
À l’instar de l’entretien, l’analyse thématique accorde aussi une place active au/à la
chercheur/se. La flexibilité de cette technique permet de dire beaucoup de choses
à propos des données (Braun & Clarke, 2006). Or, le regard que le/a chercheur/se
jette sur les réponses de ses participant(e)s est guidé par ses connaissances et ses at-
tentes et est donc forcément partiel, voire partial. Le fait que nous ayons été en me-
508 CIPS n°87 – 2010 – pp. 491-513

sure de comparer nos résultats à ceux issus de la littérature sur les représentations
sociales de la délinquance ainsi qu’à celle consacrée aux réactions populaires en
situation de crise et de les reproduire, du moins en partie, nous conforte néanmoins
dans la pertinence et la validité de notre approche.
L’absence d’une perspective comparative est également de nature à nuancer les
conclusions de notre travail. En effet, nous ne pouvons affirmer avoir démontré
avec certitude que l’identité belge de Joe et celle, présumée maghrébine, de ses
agresseurs aient joué un rôle clé dans la structuration des explications de nos
participant(e)s car rien ne nous garantit que les représentations sociales de l’agres-
sion auraient été différentes si les agresseurs avaient été d’une autre origine et/
ou si la victime avait été d’origine étrangère. Notre interprétation est néanmoins
confortée par une autre étude que nous avons menée sur l’agression de Joe Van
Holsbeeck (Antoine & Van der Linden, 2011). Dans cette étude, nous avons analysé
les témoignages laissés sur un blog à la mémoire de l’adolescent. Cette analyse
nous a notamment permis de comparer les témoignages déposés avant et après
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l’arrestation des agresseurs et de constater la difficulté avec laquelle la nouvelle
sur l’identité réelle (pour rappel, polonaise) des agresseurs a été acceptée par cer-
tains : « L’assassin un polonais et quoi encore !!! Une fois de plus nos élus nous
manipulent. » (témoignage déposé le 25 avril). Passé l’effet de surprise, d’autres
ont, dans un second temps, continué à se raccrocher à l’identité maghrébine des
agresseurs : « fred, je suis dubitative aussi, mais dis-toi bien qu’il y a des Arabes bel-
ges et pourquoi pas des Arabes polonais ? La terre appartient à tout le monde […].
Ils se délocalisent jusqu’à qu’ils trouvent une bonne terre d’accueil. » (témoignage
déposé le 25 avril). Et même quand elle était finalement acceptée, la nouvelle ne
remettait pas pour autant en question les stéréotypes associés aux Maghrébins :
« J’habite Bruxelles et je constate depuis de nombreuses années que la majorité des
agressions sont l’œuvre des jeunes maghrébins (et j’insiste sur le mot jeune). […]
Si les autorités judiciaires ont affirmé que les auteurs étaient d’origine maghrébine,
c’était uniquement par habitude... » (témoignage déposé le 26 avril). Ces quelques
témoignages illustrent le pouvoir explicatif que peuvent conférer les stéréotypes,
ici ceux qui circulent à propos des membres de la communauté maghrébine de
Belgique. Ces stéréotypes permettaient de donner sens à l’agression car ils met-
taient à disposition de celui/celle qui ne les rejetait pas un ensemble restreint et
cohérent de causes possibles. L’incompréhensible, i.e. tuer un adolescent pour lui
dérober son MP3, devenait compréhensible si on pouvait l’expliquer à la lumière
de l’agressivité et de la haine des non-musulmans que l’on attribue habituellement
aux jeunes maghrébins. Or ces causes, fortement associées à une certaine repré-
sentation de la communauté maghrébine, semblent s’être mal accommodées de la
réelle identité des agresseurs.
Nonobstant ses limites, l’analyse que nous avons proposée met en évidence la
façon dont un échantillon de la population belge s’est représenté, à un moment
donné, les causes de l’agression de Joe Van Holsbeeck mais aussi et surtout les
motivations identitaires auxquelles les différentes représentations identifiées répon-
dent. Notre travail a également permis de souligner les liens entre représentations
Représentations sociales et délinquance en situation de crise 509

sociales des causes de l’agression de Joe Van Holsbeeck et niveau d’implication. À


travers leur plus ou moins grande implication, nos participants semblent avoir été
mus par la volonté de restaurer la solidarité et la moralité de la société belge.
En guise de conclusion, et pour revenir à la citation de Christiaens en début d’in-
troduction, on pourrait, sur base de notre travail, dire que le jeune délinquant du
vingt-et-unième siècle est jugé non seulement pour ce qu’il a fait mais aussi pour
ce qu’il représente. Quand il prend les traits de l’étranger, plus particulièrement du
Maghrébin dans le cas belge, il symbolise une menace et personnifie les angoisses
suscitées par la démission des institutions, la déliquescence des liens sociaux et la
décadence morale typiquement associées à la modernité. Reste à savoir si, au-delà
de l’émotion et des actions qu’elle a pu inspirer, l’affaire Joe Van Holsbeeck a mar-
qué une rupture avec cette tendance à ethniciser la délinquance ou si, au contraire,
elle a contribué à l’accentuer. 
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Notes
1. « Le criminel mineur d’âge est en 1830 puni pour ce qu’il a fait […] Le jeune délinquant du
vingtième siècle n’est en définitive plus l’auteur d’un crime. Il ou elle commet ‘des fait décrits
comme un crime’, est vilain(e) et se comporte mal ou est le/a victime d’un contexte éducatif
dangereux. » (Notre traduction)
2. La marche blanche est le nom d’un mouvement de protestation né de l’affaire Dutroux,
du nom d’un pédophile dont les méfaits ont mis en lumière une série de dysfonctionnements
dans l’appareil judiciaire belge. Elle a rassemblé plus de 300.000 manifestants le 20 octo-
bre 1996 à Bruxelles (pour des études scientifiques de ce mouvement, voir Garcin-Marrou,
2004 ; Licata & Klein, 2000 ; Walgrave & Verhulst, 2006).
3. Moscovici a décrit une représentation sociale comme étant « un système de valeurs,
d’idées et de pratiques » (1973, p. xiii).
4. Le site des abattoirs d’Anderlecht abrite des marchés publics de produits alimentaires et
de brocante qui drainent plus de 100.000 consommateurs chaque semaine, dont 60.000 le
dimanche.
5. En outre, les répondant(e)s de la gare et des abattoirs devaient nous indiquer si ils/elles
avaient l’intention de participer à la marche silencieuse. Les répondant(e)s des abattoirs de-
vaient également nous indiquer si ils/elles s’étaient rendu(e)s à la gare centrale pour y signer
le registre des condoléances.
6. La variable ethnie a été codée de la façon suivante : de nationalité belge (25), de natio-
nalité ou d’origine marocaine (5), de nationalité ou d’origine étrangère autre que marocaine
(5). La communauté marocaine ayant été directement visée dans les premières semaines de
l’affaire, nous voulions ainsi nous donner les moyens d’identifier des différences dans les
modes explicatifs de ses membres.
7. La variable âge a été recodée en 3 groupes : les 15-30 (12), les 31-48 (12) et les 49-68 (11).
8. L’absence de personnes de nationalité ou d’origine étrangère parmi les participant(e)s
interrogé(e)s à la marche ne peut en aucun cas être extrapolée à l’ensemble des 80.000
marcheurs. La présence, en nombre, de personnes de nationalité ou d’origine étrangère, y
compris marocaine, à cette marche a, en effet, été fortement documentée dans les médias
(e.g., Vaes, 2006).
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9. Cet indice statistique nous indique que le degré d’accord entre les 3 codeurs dépasse de 68%
le degré que nous aurions obtenu si les codeurs avaient répondu au hasard. Bien qu’acceptable,
ce résultat est en-deçà du seuil que Krippendorff recommande (2004, p. 242), à savoir 0.8. À
titre informatif, le pourcentage d’accord, qui ne prend pas en compte l’accord - habituellement
non nul – que l’on obtiendrait en classant les données aléatoirement, est de 79%.
10. Contrairement aux variables actives, les variables supplémentaires ne participent pas à
la création des facteurs. Les rapports d’analyse générés par le logiciel Trideux fournissent
néanmoins des contributions hypothétiques pour ces variables, c’est-à-dire les contributions
qu’obtiendraient des variables actives identiques (voir Cibois, 2007).
11. La technique utilisée est celle du pourcentage d’écart maximum (PEM, sur le principe et
les justifications de cette technique, voir Cibois, 1993).
12. Par défaut, Trideux est programmé pour dégager trois facteurs.
13. Le taux d’explication de chaque facteur est donné à titre indicatif. En effet, du fait du ca-
ractère très artificiel du c² du tableau dit de Burt – tableau obtenu en croisant chaque moda-
lité avec l’ensemble des autres modalités de l’étude -, à partir duquel l’analyse est effectuée,
il est plutôt recommandé de regarder la valeur propre associée à chaque facteur. Celle-ci doit
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être supérieure à .01, seuil en deçà duquel le risque d’un faible écart à l’indépendance est
élevé (voir Cibois, 1997). Pour les trois facteurs issus de notre analyse, la valeur propre est,
respectivement, de .056, .037 et .03.
14. Il est d’usage de ne prendre en compte que les modalités dont la contribution est au moins
égale à la contribution moyenne, à savoir, dans notre cas, 1000 (la somme des contributions
par facteur de toutes les modalités)/39 (nombre de modalités) = 26. Cette règle, qui a pour but
de faciliter la lecture des graphiques factoriels et le travail d’interprétation des facteurs, n’est
cependant pas absolue (à ce propos, voir Cibois, 2007).
15. Notons, malgré tout, que les contributions des thèmes « dangerosité des agresseurs »,
« anomie morale » et « origine des agresseurs » sont légèrement en deçà du seuil de contri-
bution moyenne.
16. Ici, nous devons également prendre en considération l’effet de pressions sociales sur les
réponses de nos participant(e)s. Ces pressions sociales peuvent aboutir à la création d’une
zone muette (voir Garoscio, 2006), à savoir une zone constituée d’éléments qui rentrent
en contradiction avec des valeurs morales (par exemple, l’antiracisme) chères aux membres
d’une collectivité et qui, par conséquent, ne sont pas verbalisés avec une méthode classique
de recueil de données.

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Annexe 1 : Liste complète des thèmes identifiés selon que le discours porte sur…
L’origine des agresseurs L’ignorance du partici- L’impuissance du partici-
La sécurité (18) Les inégalités (14)
(19) pant (19) pant (17)
Les agresseurs sont Il n’y a pas assez de policiers Il n’y a rien que l’on peut
La société est inégale
d’origine marocaine Je ne sais pas qui patrouillent faire pour éviter cela
Les agresseurs ne doivent pas avoir
Les agresseurs sont des Je n’en ai aucune idée Il faudrait plus de caméras Je ne vois pas ce que je
beaucoup de moyens
allochtones de surveillance peux faire
La dangerosité des agresseurs L’anomie institutionnelle
La prévention (14) L’âge des agresseurs (14) L’anomie morale (11)
(13) (13)
Les agresseurs ont agi par
Il faut dialoguer avec les Les agresseurs sont des La justice ne fonctionne
pur plaisir ou par envie de La société est matérialiste
jeunes jeunes pas bien
nuire La société est devenue trop permis-
Il faut écouter les gens Les jeunes doivent Les policiers ne font pas
Les agresseurs sont des sive
qui se sentent mal changer leur boulot
sauvages
La responsabilité des
Le sentiment La dévalorisation des
parents des agresseurs La répression (9) La mise en altérité des étrangers (9)
d’insécurité (10) agresseurs (9)
(11)
Les agresseurs ont reçu Les agresseurs doivent être Les parents marocains n’éduquent
Représentations sociales et délinquance en situation de crise

On se sent en insécurité Les agresseurs sont des


une mauvaise éducation sévèrement punis pas leurs enfants comme nous
Je peux me faire sauvages
Les parents sont respon- Les agresseurs devraient être Les étrangers ne font pas beaucoup
agresser C’est de la racaille
sables tués d’efforts pour s’intégrer
L’incompréhension du La responsabilité collective La complicité de l’entourage des
L’anomie sociale (8) La discrimination (6)
participant (8) (6) agresseurs (6)
Les gens ne se préoccu- Je ne comprends pas Tout le monde doit faire un
La famille les cache ou les protège
pent pas des autres Je ne peux pas imaginer examen de conscience Les étrangers sont rejetés
Les parents ne vont pas dénoncer
Les témoins de quelles étaient leurs Tout le monde doit travailler La société est intolérante
leurs enfants
l’agression n’ont rien fait motivations ensemble
Note. Les thèmes sont présentés dans l’ordre décroissant de leur prévalence (communiquée entre parenthèses) dans les réponses des participants. Ils sont illustrés
513

par deux codes.

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