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Les ruptures de suivi médical des personnes vivant avec le

VIH à Kayes (Mali). Approche anthropologique


Séverine Carillon
Dans Sciences sociales et santé 2011/2 (Vol. 29), pages 5 à 39
Éditions John Libbey Eurotext
ISSN 0294-0337
DOI 10.3917/sss.292.0005
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Sciences Sociales et Santé, Vol. 29, n° 2, juin 2011

Les ruptures de suivi médical


des personnes vivant
avec le VIH à Kayes (Mali).
Approche anthropologique

Séverine Carillon*

Résumé. Bien qu’un suivi médical régulier et durable soit recommandé


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aux personnes vivant avec le VIH (virus de l’immunodéficience
humaine), certaines le rompent pendant plusieurs mois, voire plusieurs
années consécutives, mettant ainsi en péril la stabilité de leur état de
santé et le succès des traitements à venir. La compréhension de ces com-
portements nécessite une approche multidimensionnelle dont cet article
rend compte. L’analyse proposée est effectuée à partir d’une étude de
terrain réalisée en milieu hospitalier à Kayes, au Mali. Elle invite à
concilier trois niveaux d’analyse intrinsèquement liés : individuel, rela-
tionnel et organisationnel.

Mots-clés : personnes vivant avec le VIH, rupture de suivi médical, Mali.


doi: 10.1684/sss.2011.0201

∗ Séverine Carillon, anthropologue, CEPED (Centre population et développement),


UMR 196 Université Paris-Descartes-INED-IRD, 19, rue Jacob, 75006 Paris, France ;
severine.carillon@ceped.org
6 SÉVERINE CARILLON

L’infection à VIH exige un traitement continu au long cours qui


nécessite d’être pris régulièrement. Plus de 95 % des doses de médicaments
prescrites sont estimées indispensables à la stabilité de l’état de santé des
patients (Paterson et al., 2000). Une étude conduite en Ouganda montre
également que les arrêts de traitements de plus de deux jours tendent à
accroître significativement les risques d’apparition de résistances, mettant
ainsi en péril le succès des traitements à venir (Oyugi et al., 2007). Face à
cette exigence d’une observance aux traitements quasi parfaite, le suivi
régulier et durable des personnes vivant avec le VIH (PVVIH) — sans
lequel aucune prescription d’antirétroviraux (ARV) n’est envisageable —
est devenu une composante essentielle du dispositif de prise en charge des
personnes infectées et un facteur-clé du succès thérapeutique (1).
Dans ce contexte, les PVVIH qui abandonnent le suivi de leur ma-
ladie, sans avis ni contrôle médical, interpellent. Pourquoi cessent-elles le
suivi de leur infection ? Ne s’inscrivant plus dans le processus de prise en
charge initialement prescrit, ces patients sont, d’un point de vue thérapeu-
tique, considérés « perdus de vue ». En dépit des enjeux cliniques, écono-
miques et de santé publique qu’elle revêt, cette question est encore peu
documentée.
Les populations dites « perdues de vue » font l’objet d’études essen-
tiellement quantitatives visant à mesurer l’ampleur du phénomène et
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explorer les facteurs de risque exposant les patients à la « perte de vue »
(Brinkhof et al., 2008 ; Lanoy et al., 2009). L’approche prédictive ainsi
privilégiée occulte les raisons et les motivations des individus. Les appro-
ches qualitatives visant à comprendre le phénomène sont, quant à elles,
rarissimes (Mills et al., 2006). Ce manque de données peut être expliqué,
en partie, par la difficulté de réaliser des études sur des populations défi-
nies avant tout par leur absence et dont on n’a, par définition, aucune
trace.
Cette difficulté méthodologique a conduit à la réalisation d’une
recherche qualitative non pas sur les « perdus de vue », faute de les ren-
contrer (2), mais sur les personnes qui, à l’issue d’une rupture de suivi

(1) La définition du terme d’« observance » retenue dans cet article est celle du respect
des prescriptions médicales. Les prescriptions prises en considération ici sont celles
relatives à la régularité du suivi médical (définies dans la suite de ce texte).
(2) Une recherche anthropologique réalisée auprès des « perdus de vue » pose des
difficultés méthodologiques (identification des individus) et éthiques (respect de la
confidentialité, de l’anonymat, etc.) qui, dans le cadre de cette recherche, en compro-
mettaient la mise en œuvre. Le choix de la population d’étude répond donc à un posi-
tionnement méthodologique et éthique du chercheur.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 7

médical de plusieurs mois, voire plusieurs années consécutives, ont repris


le suivi de leur infection. Il s’agit donc de PVVIH ayant adopté, à un
moment donné, des comportements d’inobservance au suivi médical (3).
Une constante dans les processus observés entre les deux catégories de
populations est supposée. Les difficultés rencontrées parmi les PVVIH
ayant interrompu le suivi de leur infection seraient exacerbées dans le cas
des « perdus de vue ». Par conséquent, les résultats obtenus, partiellement
généralisables, contribueraient à la compréhension de la question des
« perdus de vue ».
L’objet de cet article est d’analyser la production sociale de ces com-
portements d’inobservance (4). Réalisée dans une perspective compré-
hensive — versus prédictive (Spire et al., 2002) — la recherche sur
laquelle il s’appuie a pour objectif d’étudier les systèmes de contraintes
(5), les mécanismes et les logiques qui sous-tendent les ruptures de suivi
médical et, ainsi, identifier et analyser les situations de vulnérabilité indi-
viduelle et collective qui favorisent ces ruptures (6).
L’anthropologie de la santé a établi que les comportements des
malades jugés irrationnels du point de vue biomédical obéissent à d’autres
logiques (Fainzang, 1997, 2001). Partant du postulat selon lequel les com-
portements des individus, loin d’être à rejeter dans le domaine des pul-
sions incontrôlées ou irrationnelles, émergent de logiques certaines, il
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importe de rechercher l’origine de ces comportements de façon à mettre
en évidence les logiques économiques, sociales et symboliques qui les
sous-tendent.

(3) Ces comportements désignent ici la non-fréquentation de la consultation médicale


initialement prévue, à deux reprises consécutives (autrement dit, deux consultations
manquées consécutivement).
(4) Ces comportements sont appréhendés vis-à-vis du suivi médical et non des prises
médicamenteuses. Parce qu’elle engendre inévitablement un arrêt du traitement, l’ab-
sence en consultation des PVVIH est considérée comme la phase aiguë de l’inobser-
vance.
(5) Sont ainsi désignées les combinaisons des multiples contraintes (familiales, éco-
nomiques, médicales) auxquelles les PVVIH sont confrontées. En entravant leur
liberté d’action, elles modifient leur recours aux soins.
(6) Le concept de vulnérabilité fait ici écho aux travaux de Castel (1994). Il se rapporte
aux événements sociaux, économiques, médicaux qui interviennent, à un moment
donné, dans la vie des individus et dont l’enchevêtrement les fragilise. Dans une situa-
tion caractérisée par un manque de ressources (matérielles, morales, sociales), ils par-
viennent difficilement, voire pas du tout, à s’astreindre au suivi médical régulier de
leur infection.
8 SÉVERINE CARILLON

Cette recherche a été conçue en vue de dépasser une approche cen-


trée sur les comportements individuels, permettant d’ouvrir le champ
d’analyse au-delà des situations des seuls patients (Delaunay et Vidal,
2002), prenant ainsi en compte les conditions collectives, sociales et struc-
turelles dans lesquelles s’enracinent ces comportements. Elle invite ainsi
à concilier trois niveaux d’analyse intrinsèquement liés :
- un premier niveau, individuel, prend en compte l’expérience de la
maladie par les PVVIH dans un contexte social, économique et culturel
particulier ;
- un second niveau est centré sur les interactions soignants-soignés au sein
desquelles le soin se négocie ;
- un troisième niveau concerne la structure de soins et les conditions
créées par le système de soins pour assurer le suivi des PVVIH.
En analysant les contraintes identifiées à chacun de ces niveaux et
les tensions qui résultent de leur articulation, il s’agira de voir comment
elles favorisent les ruptures de suivi médical des PVVIH. L’analyse pro-
posée s’appuie sur une étude de terrain réalisée à Kayes au Mali, en 2008-
2009 (7).
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La prise en charge des personnes vivant avec le VIH à Kayes

Petite ville située à l’ouest du Mali, Kayes abrite la principale struc-


ture de prise en charge des PVVIH de la région (8). Les traitements ARV
y sont disponibles et gratuits depuis 2004. On assiste depuis à une réelle
explosion de la file active : moins de 200 adultes vivant avec VIH étaient
suivis en 2003, plus de 1 800 le sont en 2008. Trois médecins en assurent
le suivi.
Cette prise en charge bénéficie localement de l’appui technique et
financier d’un réseau de partenaires institutionnels et associatifs au niveau

(7) Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une recherche doctorale (2007-2011) finan-
cée par la Fondation de France. Il a déjà fait l’objet d’un article dans la revue
Transcriptase, dans lequel les trois niveaux d’analyse développés dans le présent arti-
cle sont exposés de façon plus concise (Carillon, 2010).
(8) La région de Kayes est la principale région d’émigration des Maliens vers la
France. Les transferts d’argent des émigrés constituent la source d’argent la plus
importante de la région.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 9

de l’hôpital — ESTHER (9), GRDR (10)… — et de l’association de


PVVIH, elle-même chargée d’assurer un accompagnement des personnes
infectées.

Le suivi médical des personnes vivant avec le VIH

Il comprend essentiellement des consultations chez le médecin trai-


tant et des bilans sanguins. Les examens cliniques et biologiques sont
réalisés à l’hôpital. La fréquence des consultations médicales est fonction
de l’état clinique du patient, de ses difficultés avec le traitement et de la
date de mise sous ARV. En début de traitement, le patient est revu au
minimum deux ou quatre semaines après la mise sous traitement. Par la
suite, une visite est recommandée environ tous les mois les premiers mois
de traitements, puis tous les deux, voire trois, mois en cas d’évolution
favorable et de bonne tolérance aux traitements.
Les patients qui ne sont pas venus en consultation depuis plus de
trois mois à compter de leur dernier rendez-vous manqué sont considérés
« perdus de vue » (11). C’est le cas, fin 2007, de près de 15 % des PVVIH
suivies à Kayes. Aucune donnée sur les personnes revenues en consulta-
tion à l’issue d’une rupture de suivi n’est disponible. Le taux de « perdus
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de vue » laisse cependant présager d’une difficulté certaine des patients à
s’astreindre au suivi régulier et durable de leur infection. Cette difficulté
est à examiner, entre autres, à l’aune de la chronicisation récente de l’in-
fection à VIH.

(9) ESTHER (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) est
un Groupement d’intérêt public (GIP) français dont l’objectif est de renforcer les capa-
cités des pays en développement à traiter les PVVIH. Il appuie des partenariats nord-
sud — ici entre l’hôpital de Kayes et celui de Saint-Denis (93) — qui permettent
d’articuler, sur la durée, la prise en charge autour de l’hôpital et des réseaux sociaux.
(10) Le Groupe de recherches et de réalisations pour le développement rural (GRDR)
est une association qui, dans le cadre du Programme santé solidarité de Kayes (PSSK),
assure un appui technique et financier pour la prise en charge extrahospitalière des
PVVIH.
(11) Cette définition, à partir de laquelle les données chiffrées sont produites, est celle
retenue à Kayes et sur l’ensemble des sites de prise en charge ESTHER. Elle est basée
sur la définition de l’OMS.
10 SÉVERINE CARILLON

D’une maladie incurable à une maladie chronique :


une transition en cours

En 2008, à Kayes, l’engouement qu’a suscité la disponibilité des


ARV tend à s’estomper. Les soignants sont désormais confrontés à la dif-
ficulté d’articuler au contexte local, et sur le long terme, des modalités de
prise en charge complexes et inédites, issues d’un modèle de soins bio-
médical pensé et élaboré au nord, et importé (12). Cette articulation et la
mise à disposition des progrès techniques et thérapeutiques induisent des
bouleversements multiples au niveau de l’offre de soins locale (gratuité de
la prise en charge, implication d’acteurs extramédicaux), du travail des
soignants (dispensation d’une médecine préventive), de la relation de
soins (désormais inscrite sur la durée), de la qualité et des perspectives de
vie des PVVIH. Ces bouleversements nécessitent un travail d’adaptation
des équipes médicales et des soignés. Aussi, le suivi sur la durée d’un
nombre croissant de malades pour les soignants, et celui d’une maladie
toujours stigmatisée et honteuse pour les soignés, demeure problématique.
L’une des difficultés majeures pour ces acteurs est désormais celle de
« routiniser » le suivi de l’infection (13).
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Le cadre d’analyse : l’expérience de la maladie chronique

Dans ce contexte, les interruptions de suivi médical sont analysées


comme des comportements d’arbitrage face à une pluralité de contraintes
normatives et souvent contradictoires, et non comme une déviance par

(12) Le « modèle de soin » est ici entendu comme un ensemble de constructions nor-
matives structurées autour de savoirs, de normes, et de valeurs qui définissent les
manières de prévenir et de prendre en charge les problèmes de santé des individus
(Gobatto, 2003). La circulation de ce modèle s’inscrit dans un contexte global de mon-
dialisation et participe de la diffusion et de l’imbrication de normes sanitaires interna-
tionales porteuses d’une domination occidentale (Hours, 2003), dans un contexte local
lui-même marqué par l’héritage de la médecine coloniale (Van Dormael, 1997). La
« réception localisée » (Hours, 2003) de ce modèle nécessite un travail complexe
d’ajustement, de reformulations et de négociations de la part des acteurs locaux.
(13) Si la « routinisation » des prises médicamenteuses et son lien avec l’observance
aux ARV ont fait l’objet de plusieurs recherches (Pierret, 2001 ; Trottier et al., 2004),
l’intégration du suivi médical de l’infection dans le quotidien des PVVIH, en contexte
africain, reste, elle, peu documentée.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 11

rapport à la norme médicale car une telle approche, médico-centrée, ne


saurait rendre compte de la complexité du phénomène étudié (Lerner,
1997 ; Trostel, 1988) (14). Les PVVIH sont tentées de résoudre les pro-
blèmes qui se posent à elles par des stratégies d’ajustement aux tensions
émergentes. Dans certaines circonstances, elles se soldent par des ruptu-
res de suivi. Ces dernières sont ainsi appréhendées comme un événement
intervenant à un moment donné dans un parcours de vie, témoin d’une
situation de fragilité.
Cette réflexion s’inscrit en partie dans la lignée des travaux sur l’ex-
périence de la maladie, qui étudient les réaménagements dans la vie quo-
tidienne et les perturbations biographiques à la suite d’une maladie grave
(Bury, 1982). Le point de vue des personnes concernées est privilégié afin
d’identifier les ressources et les stratégies développées face aux contrain-
tes du suivi médical dans un contexte social, économique, culturel et
médical particulier (Schneider et Conrad, 1983 ; Strauss et Glaser, 1975).
Dans cette perspective, le malade est considéré comme acteur de sa mala-
die et du travail de gestion qu’elle requiert (Baszanger, 1986).
Toutefois, à la différence des travaux qui focalisent leur attention sur
le seul comportement des patients, occultant ainsi les interactions entre
soignants et soignés, le point de vue des soignants est également pris en
compte. Ainsi, deux questions indissociables orientent la recherche.
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Comment les PVVIH en viennent-elles à cesser le suivi de leur maladie ?
Quelles difficultés les soignants rencontrent-ils pour inscrire durablement
et de façon continue tous les patients dans le processus de prise en
charge ?

Une recherche qualitative réalisée auprès de soignés et soignants

L’étude qualitative sur laquelle s’appuie cet article a été conduite par
entretiens semi-directifs auprès de 24 PVVIH ayant interrompu le suivi de
leur maladie à un moment donné de leur parcours. Toutes ont manqué au
moins deux consultations consécutives, parfois à plusieurs reprises. La
prise de contact avec ces enquêtés s’est établie à l’issue de leur consulta-

(14) Cette approche est inspirée du travail sur l’épilepsie de Conrad (1987). Partant
d’une étude sur l’expérience quotidienne des traitements contre l’épilepsie, l’auteur
affirme que l’observance participe davantage de l’« autorégulation » que de la confor-
mité aux instructions médicales.
12 SÉVERINE CARILLON

tion médicale à laquelle j’assistais (15). Les entretiens ont été, pour la plu-
part, réalisés en présence d’une interprète. La sélection des individus s’est
opérée progressivement et visait à une diversification des profils (diversité
sexuelle, sociale, ethnique et résidentielle) (Tableau I).
Quinze femmes et neuf hommes, âgés de 20 à 53 ans, ont participé
à l’étude. La majorité est mariée, voire remariée suite au décès du conjoint
(c’est le cas de quatre femmes et un homme). Trois femmes sont divor-
cées (16). Plus des deux tiers des individus rencontrés résident en zone
rurale, dans des villages situés entre 10 et 200 kilomètres de la ville de
Kayes. Le niveau d’instruction est dans l’ensemble très faible : douze
femmes sur les quinze et quatre hommes sur les neuf n’ont pas été scola-
risés. Les hommes ont des situations professionnelles précaires pour la
plupart : six hommes sur les neuf assurent des travaux journaliers ne
garantissant aucun revenu fixe et continu, cumulant parfois des périodes
de chômage de plusieurs mois consécutifs (17).
Cet échantillon d’étude reflète le contexte global de pauvreté de la
région de Kayes qui est, de fait, un élément-clé à prendre en compte dans
l’analyse des ruptures de suivi médical des PVVIH (18).
Pour mener à bien cette recherche, des entretiens avec des soignants
et des acteurs associatifs et institutionnels impliqués dans la prise en
charge à Kayes ont également été effectués. L’analyse proposée ici repose
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uniquement sur les entretiens avec les huit soignants (4 médecins, 2 infir-
miers, 1 sage-femme, 1 pharmacien) directement impliqués dans la prise
en charge des PVVIH. Six hommes et deux femmes, âgés de 30 à plus de
40 ans, ont été rencontrés. Seul un homme est célibataire. Les autres sont
mariés (mariage monogamique) et ont au moins deux enfants. Les deux

(15) J’ai conduit un travail d’observation quotidien au cours des consultations médi-
cales dispensées par les médecins prescripteurs d’ARV. La consultation à l’issue de
laquelle la prise de contact avec les PVVIH s’effectuait n’était pas systématiquement
celle de leur retour. Certains patients étaient de nouveau suivis (après une rupture)
depuis plusieurs mois au moment de notre rencontre.
(16) L’une d’elle, veuve de son premier mari, a divorcé de son second mari.
(17) Les travaux journaliers désignent ici une pluralité d’activités souvent informelles,
rémunérées à la journée, sans engagement entre l’employeur et l’employé sur le long
terme. Ils regroupent les services d’aide à la personne (ménage, commission à faire pour
autrui…) ou des travaux de construction, d’entretien ou de réparation sur des chantiers.
(18) À l’échelle régionale, plus de 80 % des femmes n’ont aucun niveau d’instruction ;
44 % des hommes n’ont pas d’emploi stable. Près de 60 % des femmes déclarent ren-
contrer des problèmes d’accès aux soins et, parmi elles, plus de 45 % pour des raisons
de coûts des médicaments (Cellule de Planification et de Statistique, 2006).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 13

Tableau I
Caractéristiques sociodémographiques des personnes enquêtées
Hommes Femmes Total
20-30 ans 0 10 10
Âge 31-40 ans 5 4 9
> 40 ans 4 1 5
Célibataire 1 1 2
Situation Marié(e) et remarié(e) 8 10 18*
matrimoniale Divorcée 0 3 3
Veuf(ve) 0 1 1
Sans instruction 4 12 16
Niveau Primaire 2 0 2
d’instruction Secondaire 3 2 5
Supérieur 0 1 1
Aucune 0 13 13
Activité Agriculteur, éleveur 3 0 3
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professionnelle Manuel 4 0 4
Ventes et services 2 2 4
< 10 km 3 4 7
Distance 10-50 km 2 3 5
ville-hôpital 50-100 km 2 7 9
> 100 km 2 1 3
* À noter : 1 homme et 4 femmes ont été veufs(ves) et se sont remarié(e)s
ensuite.

tiers des soignants ne sont pas originaires de Kayes et y vivent du fait d’y
avoir été mutés. La plupart sont issus d’un milieu social relativement
modeste.
Les huit soignants sont maliens, diplômés d’État. Ils ont été formés
essentiellement au Mali, hormis un médecin qui a fait sa spécialisation à
l’université d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Les trois médecins et le pharma-
cien ont effectué au moins un stage de formation de quinze jours en milieu
hospitalier en France (via les activités de compagnonnage d’ESTHER).
Les médecins et le pharmacien ont également validé un diplôme universi-
taire à Ouagadougou (formation à la prescription d’ARV). Ces profils sont
détaillés dans le Tableau II.
14 SÉVERINE CARILLON

Tableau II
Caractéristiques sociodémographiques des soignants enquêtés

Hommes Femmes
30-35 3 0
Âge 36 - 40 ans 1 1
+ 40 ans 2 1
Situation Célibataire 1 0
matrimoniale Marié (e) 5 2
Sage-femme 0 1
Infirmier(ère) 1 1
Activité
Pharmacien 1 0
professionnelle
Médecin 3 0
Médecin interne 1 0
Bamako 2 1
Région d’origine Kayes 1 1
Autres 3 0
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Activité Agriculteur, éleveur 2 0
professionnelle du Manuel 2 1
père (de son vivant) Ventes et services 2 1

Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits puis ont fait
l’objet d’une analyse thématique. Enfin, un travail d’observation a égale-
ment été conduit en milieu hospitalier (consultations médicales, dispensa-
tion des ARV…) et associatif.
L’analyse des données ainsi recueillies montre que les interruptions
de suivi médical des PVVIH constituent un ajustement face à un ensem-
ble de contraintes qui émergent à trois niveaux : individuel, relationnel et
organisationnel. Quelles sont ces contraintes et les tensions qui en résul-
tent ? Comment se manifestent-elles ? Comment les individus ne parvien-
nent-ils pas à les articuler ? Quels sont les processus et les logiques qui
sous-tendent les adaptations mises en œuvre ?
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 15

Des tensions entre contraintes du suivi médical


et contraintes sociales et économiques

Le suivi médical de l’infection à VIH exige de s’extraire de ses obli-


gations familiales et professionnelles pendant des durées variables de
quelques heures à quelques jours consécutifs, selon que les individus rési-
dent ou non à proximité de l’hôpital. D’une part, la disponibilité et l’au-
tonomie ainsi requises s’avèrent peu compatibles avec la présence assidue
exigée sur le lieu de travail. En cas d’absence, même pour raisons médi-
cales, aucune rémunération n’est possible. En outre, dans la mesure où un
homme travaille pour subvenir aux dépenses d’un foyer, des absences
récurrentes risquent de mettre en péril les besoins de toute une famille
(19). Ces absences sont d’autant plus problématiques que les PVVIH ne
peuvent les justifier puisque, par crainte d’être rejetées, elles maintiennent
leur maladie secrète. D’autre part, les exigences du suivi médical sont dif-
ficiles à concilier avec l’implication des femmes dans la vie de leur foyer
et la nécessité pour elles d’y assurer pleinement leur rôle de mère et
d’épouse. En outre, dans un contexte où la pression familiale et le contrôle
social sont forts, les activités quotidiennes sont largement soumises au
regard de la famille (Desclaux, 2003), ce qui compromet les possibilités
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pour les femmes de s’extraire légitimement de l’espace domestique et de
s’acquitter de leur devoir familial pendant plusieurs jours sans dévoiler
leur séropositivité.
Par ailleurs, se rendre en consultation nécessite des dépenses qui,
pour des familles à ressources limitées, sont souvent problématiques.
Comme il l’a été démontré dans d’autres études menées dans des pays à
faible revenu, les frais de transports à la charge des patients constituent un
obstacle à l’accès aux soins (Lanièce et al., 2003 ; Weiser et al., 2003). La
mobilisation, parfois récurrente, des réseaux de solidarités familiales par
les PVVIH s’avère difficilement compatible avec, d’une part, le contexte
de crise économique et, d’autre part, le maintien du secret de la maladie
(Sow et Desclaux, 2002a).

(19) Ce constat rejoint les analyses de Desclaux, réalisées dans le contexte de


l’Initiative sénégalaise d’accès aux ARV (ISAARV). Toutefois, ces raisons profes-
sionnelles concernent (dans le cadre de l’ISAARV) majoritairement les hommes,
vivant en milieu urbain, appartenant à des catégories socioprofessionnelles favorisées.
Cette incompatibilité est donc vécue par des personnes dont les situations profession-
nelles et économiques diffèrent, ce qui laisse présager de difficultés communes à l’en-
semble des PVVIH exerçant une activité économique dans le contexte de l’Afrique de
l’Ouest (Desclaux, 2001).
16 SÉVERINE CARILLON

Le suivi médical constitue ainsi une source de visibilité de la maladie


(20). Cela explique en partie les difficultés rencontrées par les PVVIH :
créer légitimement un espace-temps pour soi, consacré aux soins, et s’oc-
troyer un budget personnel pour se rendre à l’hôpital, en maintenant le
secret de la maladie. Émerge de ces difficultés une tension entre l’autono-
mie requise par le suivi et l’étroite marge de manœuvre (du fait notam-
ment de la dépendance économique) dont disposent les PVVIH vis-à-vis
de leur groupe d’appartenance.

S’extraire de son lieu de vie :


des techniques de dissimulation temporaires

Les PVVIH rencontrées, craignant le « rejet social » — exprimé par


la peur d’être « mise à l’écart », « exclue », « classée à part », autrement
dit ne plus être acceptée, se voir reniée par la famille (21) — maintiennent,
dans la mesure du possible, leur séropositivité secrète. Seuls quelques pro-
ches — époux/épouses, parfois parents, frères et sœurs — sont mis dans
la confidence. Un tiers des hommes n’a pas révélé sa maladie à son
épouse. Dans ce contexte, la gestion du secret devient « le pivot » autour
duquel les individus structurent leur vie quotidienne (Pierret, 1997).
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Ainsi, pour se rendre à l’hôpital, les PVVIH sont contraintes de
négocier, avec leurs proches et/ou leur employeur, la possibilité de s’ab-
senter sans éveiller un quelconque soupçon. Certaines dissimulent les
vraies raisons de leur absence, soit en imputant à une autre origine les rai-

(20) Ce constat a également été réalisé au sujet des traitements ARV (Trottier et al.,
2004). Toutefois, le suivi médical constitue une source de visibilité dans un espace-
temps exacerbé comparativement aux ARV, ce qui, de fait, accentue les difficultés
relatives à son intégration dans la vie quotidienne des PVVIH.
(21) Cette crainte subjective du rejet n’est pas systématiquement associée à une expé-
rience objective vécue. Elle repose sur des représentations sociales négatives de la
maladie, largement associée à la « débauche », « aux vagabondages sexuels » et à
« l’adultère », autrement dit à une transgression de l’ordre social en général, des allian-
ces matrimoniales et des pratiques sexuelles en particulier, et enfin de normes reli-
gieuses (l’adultère étant, par exemple, interdit par l’Islam). Cette crainte est ancrée
dans la culpabilité et la honte des PVVIH d’être infectées. Parce qu’elles se sentent
responsables et coupables, les personnes infectées n’osent dévoiler leur séropositivité.
Elles craignent « le mauvais œil » ou encore d’être « montrées du doigt » par leur
entourage.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 17

sons de consulter un médecin, soit en attribuant à leur déplacement à


Kayes une autre cause.
La plupart des femmes (sans activité professionnelle rémunérée)
prétexte une commission à faire en ville. Certaines s’organisent alors pour
apporter, à leur retour au village, quelques vivres à offrir à leur famille ou
à la personne qui garde leurs enfants, une façon de légitimer leur absence.
L’une d’elles use de ce système de don/contre-don avec l’amie à laquelle
elle confie ses enfants. Elle explique : « Quand je viens ici, je suis obligée
de dire à mon amie que je vais à Kayes pour acheter des condiments.
Comme ça, elle me donne ses frais de condiments à elle aussi et, à midi,
les enfants viennent manger chez elle » (Femme, 28 ans, mariée, 4 enfants,
résidant à 50 km de Kayes). Si de telles tactiques peuvent être mises en
place de temps en temps, en user trop régulièrement « peut amener des
soupçons » (22).
De même, la demande d’une autorisation formelle d’absence auprès
de l’employeur ne peut être réitérée. Abdoulaye souligne le risque
encouru : « Chaque mois, tu prends trois jours de permission… Ils vont
dire que tu n’es pas régulier au boulot (…) Si tu n’es pas régulier dans
ton contrat de travail, ça veut dire que tu n’es pas efficace (…) Tu risques
de perdre ton contrat » (Homme, 47 ans, ouvrier, résidant à 50 km de
Kayes).
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Certains hommes prennent, dans la mesure du possible, des congés
pour se rendre en consultation. Mais de tels bricolages constituent des
réponses fragiles au regard des enjeux qu’ils recouvrent : dévoilement de
la maladie, licenciement. En outre, peu reproductibles dans le temps, ils
sont mis à l’épreuve de la régularité du suivi médical et échouent sur la
durée.

Payer les frais de transports :


la mobilisation des solidarités et ses limites

L’augmentation du coût de la vie, la précarité des situations profes-


sionnelles et la diminution des ressources des familles (Marie, 1997) ne
permettent pas, à certains hommes, de s’octroyer systématiquement une
part de leurs propres revenus pour assurer leurs dépenses de santé, ni non

(22) Le terme de tactique désigne ici, en référence à de Certeau (1980), un mode d’ac-
tion qui vise à saisir au vol des possibilités. Il s’agit, pour l’individu, de jouer avec les
événements pour en faire des occasions de trouver un équilibre dans une situation
chaotique.
18 SÉVERINE CARILLON

plus celles de leur(s) épouse(s). Hommes et femmes sollicitent alors le


soutien financier de leurs proches. Si mobiliser l’aide de l’entourage est
une réponse somme toute assez ordinaire dans un contexte de ressources
limitées (Marie, 1997 ; Sow et Desclaux, 2002a), il n’en demeure pas
moins qu’elle nécessite, pour être opérationnelle dans le contexte du VIH,
quelques ajustements spécifiques de façon à maintenir le secret de la
maladie.
Parmi les 16 PVVIH rencontrées dont le recours aux soins hospita-
liers est tributaire, entre autres, de l’obtention des frais de transports,
13 (5 hommes et 8 femmes) sollicitent l’aide de leurs proches. Elles se
tournent prioritairement vers leurs confidents (parents, frères et sœurs),
mais se heurtent à la « précarisation des solidarités » (Marie, 1997 : 53)
et, par conséquent, à l’impossibilité pour les familles de subvenir à leurs
dépenses.
La charge pour les sollicités est parfois lourde. Une PVVIH
explique : « Cette fois-ci, ma mère était obligée de peser dix kilos de riz
pour revendre ça afin de compléter mes frais de transports » (Femme,
27 ans, veuve puis divorcée, résidant à 200 km de Kayes).
Le montant des frais de transports (un aller-retour domicile-hôpital)
s’élève, pour les personnes rencontrées, en moyenne à 8 000 FCFA. Un
enseignant, dont le salaire mensuel est de 55 000 FCFA, explique
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qu’après avoir payé les charges diverses (dont, par exemple, le loyer à
20 000 FCFA), « il reste 25 000 pour faire vivre pas moins de 20 per-
sonnes ». Se rendre à Kayes lui coûte 12 000 FCFA, soit près de la moi-
tié du budget familial mensuel consacré aux besoins primaires du foyer.
Dans ce contexte, certaines PVVIH multiplient les sollicitations hors
des réseaux de parenté : voisinage, amis, voire collègues de travail.
« Chaque fois, je suis obligé d’emprunter de l’argent à côté (aux voisins)
ou bien aux amis. Mon père n’a pas d’argent, ma mère non plus, je n’ai
pas de grand frère, mon petit frère ne travaille pas et moi non plus. J’ai
un ami en France ; de temps en temps, je l’appelle pour qu’il m’envoie les
frais de transport. Souvent, il m’envoie ; souvent, il dit que les temps sont
durs pour lui aussi » (Homme, 32 ans, ouvrier « journalier », marié,
2 enfants, résidant à 100 km de Kayes).
De telles tentatives sont inévitablement soumises à une pluralité
d’aléas et d’incertitudes (possibilité de joindre la personne, de satisfaire la
demande…) qui rendent peu probable ou temporaire la satisfaction de la
requête.
De plus, les PVVIH s’adressent ainsi à des personnes à qui elles ne
dévoilent pas leur séropositivité. Au travail de gestion du secret s’ajoute
le risque de voir la requête refusée parce que considérée non justifiée par
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 19

l’entourage, faute de symptômes apparents (23). L’un des enquêtés


explique : « Quand on leur demande de l’argent, en me voyant, ils vont
dire que je n’ai rien, donc ils ne comprennent rien » (Homme, 47 ans,
ouvrier « journalier »).
Si feindre quelques maux ou prétexter (pour les femmes) une visite
postnatale à l’hôpital légitime parfois la requête, de tels alibis ne permet-
tent pas systématiquement d’obtenir gain de cause. Le maintien du secret
de la maladie par les PVVIH et le caractère asymptomatique de la maladie
compromettent ainsi l’indulgence des proches sollicités.
Par ailleurs, le recours à ces solidarités extrafamiliales inclut, dans la
plupart des cas, la réciprocité de l’échange entre les partenaires. Les
PVVIH s’exposent ainsi à une contrepartie qu’elles ne sont pas systéma-
tiquement en mesure d’assurer (Sow et Desclaux, 2002a). Le caractère
unilatéral de l’aide et la crainte d’accumuler une dette les incitent parfois
à renoncer à solliciter l’entourage. Enfin, les PVVIH ne peuvent pas réité-
rer ce type de requête compte tenu du risque auquel elles s’exposent de
dévoiler leur séropositivité. Le recours à ce type de solidarité s’avère donc
périlleux et son rapport coût (symbolique)-efficacité, à court terme, peu
rentable.
La dépendance économique des PVVIH vis-à-vis de leur entourage
les rend donc d’autant plus vulnérables face au suivi de leur infection.
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Dans ce contexte et compte tenu de la récurrence des besoins, les diffi-
cultés financières peuvent se solder par des ruptures de suivi.

Des réponses fragiles à l’épreuve de la régularité


et de la durabilité du suivi

Force est de constater que le suivi médical, en même temps qu’il


réduit les possibilités d’obtenir une aide financière, rend celle-ci d’autant
plus indispensable. Il renforce ainsi les attentes et les exigences des
PVVIH en termes d’aide financière vis-à-vis de leur entourage tout en ren-
dant plus lourdes les charges des sollicités et plus aléatoire la satisfaction
des demandes. Dans ce contexte contradictoire, la fragilité des solutions

(23) Comme le soulignent Sow et Desclaux, pour solliciter l’aide familiale, il faut
entre autres que le demandeur se voit reconnu le statut de malade. Or, « l’accession au
statut de malade est un processus social qui repose notamment sur la cessation d’ac-
tivité et sur l’évaluation des symptômes par l’entourage » (Sow et Desclaux, 2002a :
80). Par conséquent, les PVVIH asymptomatiques ne sont pas reconnues malades, ce
qui compromet la possibilité de mobiliser l’aide familiale.
20 SÉVERINE CARILLON

transitoires adoptées, associée à la difficulté de maintenir le secret et au


caractère asymptomatique de l’infection, ne permet pas aux personnes
infectées d’assurer la continuité du suivi médical.
Si elles sont efficaces à court terme, les réponses apportées par les
PVVIH pour articuler ces contraintes ne garantissent aucune sécurité sur
la durée. Dès lors, les personnes procèdent à une hiérarchisation des
risques : à court terme, la rupture de suivi est perçue peu risquée, compa-
rativement au risque d’être licencié ou d’être suspecté, voire de révéler sa
séropositivité. Leur perception des risques est alimentée à la fois par le
caractère asymptomatique de l’infection qui favorise une minimisation du
risque sanitaire — les individus ne se sentent pas malades, donc ne per-
çoivent pas le risque d’une dégradation de leur état de santé — et, simul-
tanément, par la perception très forte d’une mort sociale immédiate
consécutive à la révélation d’une séropositivité. Les ressources qu’elles
mobilisent sont ainsi mises en place avant tout pour éviter le rejet social,
et non pour éviter le développement de l’infection. La recherche d’une
« efficacité sociale » immédiate (Fainzang, 2004) prime alors sur la
recherche d’une efficacité thérapeutique à long terme et se solde par une
interruption de suivi médical.
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La relation de soins : des tensions entre résistance et changement

La chronicisation de l’infection à VIH implique une reconfiguration


du rapport soignant-soigné (Baszanger, 1986), désormais inscrit dans la
durée. Elle favorise le glissement d’une relation « descendante médecin-
patient » vers une « relation mutuelle » (Pierron, 2007 : 47). Cette évolu-
tion s’opère difficilement à Kayes. Les soignants, dont le travail médical
est lui-même modifié (24), opèrent dans un contexte relationnel qui
s’avère, à certains égards, peu adapté à la prise en charge de l’infection,
fournissant par là même les conditions d’une rupture de suivi des PVVIH.

(24) L’objectif du travail médical, dans le cadre du traitement des maladies chro-
niques, n’est plus tant de guérir la maladie que d’en contrôler l’évolution et les symp-
tômes (Baszanger, 1986).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 21

Une relation asymétrique contre-productrice d’échange

L’asymétrie initiale de la relation soignant-soigné, largement ancrée


socialement et historiquement (25), est quelque peu exacerbée dans le
cadre du suivi de l’infection à VIH à Kayes. Les raisons sont diverses,
parmi lesquelles : la distance sociale particulièrement importante entre soi-
gnants et soignés (26), la vulnérabilité des PVVIH d’autant plus forte que
l’infection est stigmatisée, la dépendance des soignés vis-à-vis des soi-
gnants portée à son paroxysme du fait des limites de l’offre de soins locale.
Cette asymétrie est perceptible dans les attitudes et les discours des
soignants à l’égard des PVVIH. Les soignants ont, par exemple, tendance
à formuler les consignes relatives aux prises médicamenteuses sur le ton de
l’injonction : « Il faut obligatoirement accepter » ; « C’est des contraintes
(…), tu es obligée de les subir ! ». Plus que des recommandations, ce sont
ainsi des conduites à suivre qui sont édictées. La norme médicale s’érige
alors en loi et le respect des prescriptions médicales en devoir.
S’il est évident que les recommandations reflètent le souci des soi-
gnants de contribuer à l’amélioration de l’état de santé des patients et de
freiner l’évolution du virus, il n’en demeure pas moins que leur formula-
tion est déterminante dans leur acceptation par les patients. La maladie et
les contraintes médicales qu’elle engendre s’intègrent dans la vie des indi-
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vidus de façon presque brutale puisque formulées comme autant de normes
auxquelles se conformer, de discours auxquels se soumettre et finalement,
autant de difficultés qui se surajoutent à celles préexistantes (27). En

(25) La relation de soins s’inscrit dans un rapport de domination sociale, largement


intériorisé tant par les soignants que par les soignés, qui renvoie à une hiérarchie des
statuts, des savoirs ainsi qu’à l’histoire coloniale. La « médecine moderne » dispensée
— introduite lors des conquêtes coloniales — s’enracine dans la médecine coloniale,
dont l’exercice est resté, jusqu’à l’indépendance du Mali, l’apanage des hommes
blancs (Van Dormael, 1997). La représentation du médecin s’est construite localement
« autour de la figure réconfortante (et dominante) du médecin colonial » (Hours,
1986 : 397-398).
(26) Voir les Tableaux I et II pour le détail des caractéristiques sociodémographiques
des individus.
(27) Ces observations peuvent être mises en rapport avec l’intériorisation du pouvoir
médical soulignée précédemment. En outre, les soignants bénéficiant d’une formation
professionnelle calquée sur le modèle occidental (Van Dormael, 1997), sont formés
dans une logique de l’action (agir, guérir) plus que de l’accompagnement des patients,
ce qui laisse présager de la difficulté pour eux de s’adapter à cette reconfiguration de
la relation de soins et aux modifications de leurs pratiques quotidiennes.
22 SÉVERINE CARILLON

conséquence, le suivi médical s’érige comme une contrainte et non une


ressource permettant de vivre mieux et plus longtemps, ce qui laisse pré-
sager de la difficulté pour les PVVIH d’adhérer sur le long terme aux
modalités de ce suivi médical. En outre, la formulation de directives aux-
quelles les soignés sont censés se conformer compromet l’instauration
d’un échange entre les protagonistes, pourtant reconnu par les soignants
comme fondement de la relation de soins.
Dans ce contexte, les discours injonctifs des soignants interrogent.
L’examen des représentations des soignants relatives au respect des pres-
criptions médicales montre que certains en véhiculent des représentations
normatives, fournissant ainsi quelques éléments de compréhension.
L’observance est, en effet, définie par les soignants comme « le respect
des consignes », « un principe à respecter » et « ce qui est exigé » du
patient. Elle est perçue comme « la bonne voie », « ce qui est bon » ou « le
meilleur chemin » à prendre pour les PVVIH. Inversement, l’inobservance
est considérée comme un « mauvais comportement » : « c’est pas bon »,
« ce n’est plus permis » expliquent des soignants. Les patients qui ne sui-
vent pas les dites recommandations sont alors perçus comme déviants,
parfois qualifiés de « rebelles » par les soignants, vivant ainsi dans la
« clandestinité ». En outre, dès lors que les PVVIH ne respectent plus les
prescriptions médicales, les soignants disent devoir les « faire revenir à la
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raison », s’érigeant ainsi en « guide », voire en « instructeur ».
Les soignés, quant à eux, en réponse aux attitudes des soignants, ten-
dent à adopter des attitudes de repli. L’une d’entre eux explique : « Chez
Tiébogo (le médecin), je ne dis rien. Eux, ils disent tout. Moi, j’écoute »
(Femme, 20 ans, non scolarisée, mariée, résidant en milieu rural). Certains
n’ont pas manqué de souligner que tout ce que font les médecins, « c’est
pour notre bien » ; les médecins « ont raison », par conséquent, « s’ils te
demandent de venir au rendez-vous, il faut venir ».
Ces attitudes et les perceptions des soignants renvoient, entre autres,
à la notion de « compliance », c’est-à-dire à l’idée d’une soumission des
patients à l’ordre médical et, par là même, au modèle de relation de soins
paternaliste véhiculé dans le cadre du traitement des maladies chroniques.
Si elles peuvent sans doute être imputées en partie à la perspective
médico-centrée des soignants — elle-même sous-tendue par un objectif
médical —, ces attitudes et perceptions manifestent néanmoins un manque
d’attention à l’expérience et au monde de référence des patients dans la
relation de soins (28) (Wallach, 2007), restreignant ainsi l’espace de dia-

(28) Ces constats sont à analyser à l’aune du contexte spécifique de chronicisation récente
qui bouleverse les pratiques des soignants ainsi que de l’héritage colonial dans lequel la
formation des médecins maliens et la dispensation de la médecine moderne s’inscrivent.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 23

logue entre les protagonistes. L’occultation du point de vue des PVVIH et


la prééminence des logiques biomédicales sous-jacentes orientent égale-
ment les pratiques des soignants relatives à leur gestion de l’inobservance
des PVVIH.

La prééminence des logiques biomédicales


ou la vulnérabilité exacerbée des personnes vivant avec le VIH

Face aux interruptions de suivi médical des PVVIH, les soignants se


trouvent dans un double système de contraintes : celles générées par ces
personnes qui ne s’astreignent pas au suivi de leur infection et leurs prop-
res préoccupations — amener les patients à « être observants ». Ils agis-
sent alors à l’égard de ces patients en fonction de la perception qu’ils ont
des causes de leur rupture de suivi. Il existerait, du point de vue des soi-
gnants, des raisons « valables » de ne pas se rendre en consultation et
d’autres « non valables » : les premières sont celles qui résultent de diffi-
cultés objectives telles que des difficultés financières ou des contraintes de
transport ; les secondes relèvent, quant à elles, d’un manque de volonté du
patient (29).
Un soignant témoigne : « Quand quelqu’un a des problèmes de nour-
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riture, c’est un problème. C’est un problème sérieux ! (…) Quand quel-
qu’un te dit qu’il a faim, il n’a pas à manger, moi, je crois qu’il a un
argument ! » En revanche, « chaque fois que les gens nous disent : “Ah, je
n’ai pas eu le temps de venir”, “Moi, j’avais oublié” (…) “J’ai voyagé”,
bon, ça c’est des raisons que vraiment… nous, sur lesquelles nous restons
quand même très rigoureux. On ne permet pas des choses comme ça !
Parce que “je n’ai pas eu le temps”, c’est-à-dire que ce n’est pas sérieux !
Tout ça… Tu n’accordes pas d’importance à ce qu’on te dit ! »
Se dessinent ainsi deux conceptions alternatives des ruptures de
suivi : l’une est légitime et suscite des attitudes conciliantes des soignants
— conseils, informations — et l’autre est illégitime et génère une certaine
intransigeance de ces derniers. Remontrances et discours culpabilisants
sont alors formulés. Certains usent de pratiques visant à surveiller les
patients. L’une d’elle consiste à réduire les délais de prescriptions des
ARV : « Il y a certains qui ne sont pas très réguliers », explique un méde-
cin, « on leur donne un mois de traitement. Il arrive même qu’on ait donné
quinze jours de traitement à certains parce qu’ils ne sont pas observants

(29) Ces observations corroborent les résultats issus du travail de Wallach (2007) sur
l’observance aux ARV, réalisé dans des hôpitaux parisiens auprès de soignants.
24 SÉVERINE CARILLON

(…) On les fait revenir plus souvent (…) On va les surveiller. La sur-
veillance sera beaucoup plus stricte ».
Le renforcement de la surveillance, s’il permet aux soignants de gar-
der le contrôle de la situation et d’être assurés que les patients prennent
leur traitement, contraint néanmoins les PVVIH à revenir en consultation
plus fréquemment. Les difficultés d’accès aux soins soulignées précé-
demment sont alors sinon accentuées, au moins réitérées.
Tandis que les soignants imposent un rythme de consultation plus
soutenu, les soignés, réclament, eux, l’inverse. L’un d’eux en témoigne :
« Si j’arrivais à avoir quatre ou six mois de comprimés, peut-être que ça
va amoindrir mon problème. Ca va diminuer un peu le problème de
transport » (Homme, 47 ans, marié, résidant à 80 km de Kayes).
Force est de constater que la réponse apportée par les soignants ne
tient pas compte des difficultés des soignés et s’établit en fonction d’une
logique médico-centrée : celle de « l’observance à tout prix ». En défini-
tive, les soignants « attendent des patients qu’ils partagent le modèle de
santé et les objectifs médicaux, sans concevoir que leurs priorités et leurs
logiques puissent en diverger » (Wallach, 2007 : 174). Cette prééminence
des logiques biomédicales (30) exacerbe la vulnérabilité des PVVIH face
au suivi de l’infection et met en péril le suivi régulier des individus. Enfin,
l’adoption d’attitudes paternalistes par certains soignants, particulière-
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ment manifeste dans la gestion qu’ils font de l’inobservance, renforce ce
mécanisme.

Des tensions entre attitudes paternalistes des soignants


et implication des soignés

Certains soignants, face aux patients ayant interrompu le suivi de


leur infection, et particulièrement « ceux qui persistent », en viennent par-
fois à adopter une posture autoritaire. « On est obligé de prendre une posi-
tion stricte », explique un médecin. Et un autre d’ajouter : « Quand je vois
que tu es un récidiviste, donc là, moi aussi je punis ». La menace d’un
arrêt de traitement est alors souvent mentionnée : « J’ai eu un patient,
chaque fois quand il vient, soit c’est les médicaments qu’il manque, il dit
qu’il a arrêté tout ça… Je dis : “bon, on va arrêter le traitement” et il

(30) Les logiques biomédicales ici mises en avant ne sont probablement pas les seules
auxquelles les comportements des soignants renvoient. Les attitudes des soignants ne
sont-elles pas révélatrices, d’une manière plus générale, des relations entre agents
publics et usagers (et plus particulièrement des usagers en situation de vulnérabilité) ?
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 25

commence à pleurer tout ça. La fois passée, on lui a dit : “on te donne
15 jours de traitement”. On a compté les comprimés, on a donné 15 jours.
Je dis : “Si tu loupes ça seulement, c’est fini, on ne peut pas te donner
encore…” » (Médecin). « Toi, si tu veux continuer à vivre là, tu as
15 jours si tu veux venir prendre tes médicaments » (Médecin).
Certains soignants mobilisent également l’argument de la peur de la
maladie et du caractère mortel de l’infection « pour vraiment leur faire
pression » : « Toi, là si tu as envie de mourir, je te comprends, c’est pas
la peine de venir, tu restes à la maison, je te donne plus les ARV ! »
(Médecin). « Quand ils viennent avec un mois de rupture, deux semaines
de rupture, tu tapes sur la table, bon, voilà, tu parles des menaces : “bon,
voilà, si tu veux mourir, je t’accompagne” » (Médecin).
Comme l’explique l’un des soignants, menacer les patients « est une
façon de les relancer ». Si les menaces peuvent être interprétées comme
la volonté de déclencher un « électrochoc » pour faire réagir certains indi-
vidus, elles s’inscrivent néanmoins dans des attitudes coercitives et infan-
tilisantes.
Certains soignants vérifient, par ailleurs, l’observance du patient en
procédant, lors des consultations, au comptage des comprimés dans les
boites de médicaments des patients : « À chaque rendez-vous, on lui dit
d’amener ses produits, on va compter voir ».
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Une telle vérification de l’observance, observée dans d’autres
contextes, « participe davantage d’un climat de suspicion que d’une
volonté d’accompagner le patient en évoquant systématiquement la façon
dont se passe la prise des médicaments et en s’intéressant à son vécu du
traitement » (Wallach, 2007 : 176).
De telles attitudes entrent en contradiction avec les discours des soi-
gnants qui, lors des consultations, ne manquent pas de rappeler aux
patients leur nécessaire implication dans leurs propres soins : « Vous devez
aussi nous aider à combattre la maladie » ; « Le rendez-vous, c’est pas
pour moi, c’est pour toi ». L’un d’eux ajoute : « Moi, je ne peux pas aller
tout le temps te voir à la maison, te donner tes médicaments. Si tu ne
prends pas les médicaments, moi je ne peux pas aller toujours te prendre
le bâton pour aller te taper, pour dire : “Prends les médicaments”. Donc,
si tu veux vivre longtemps, c’est vraiment toi » (Médecin).
L’autonomie des patients est donc valorisée dans les discours mais
peu dans les pratiques. Comme il a été constaté dans d’autres contextes,
les soignants ne semblent pas donner les moyens aux soignés de s’impli-
quer dans leurs propres soins (Sarradon-Eck, 2007 ; Wallach, 2007).
Leurs attitudes infantilisantes ne permettent pas aux PVVIH de s’appro-
prier leur maladie, d’acquérir « la capacité de maîtriser la situation »
(Pierret, 2004), c’est-à-dire de maîtriser les contraintes de la maladie, des
26 SÉVERINE CARILLON

traitements et du suivi médical de façon à les adapter à leur vie quoti-


dienne et ainsi « routiniser » le suivi de leur infection.
Ainsi, bien que la maladie soit le parasite avec lequel les patients
sont contraints de vivre au quotidien, elle semble rester du seul domaine
d’action des médecins. Tout se passe finalement comme si la maladie
« appartenait » aux soignants, considérés comme étant les seuls à en avoir
une connaissance suffisante pour en limiter l’impact. Le témoignage
d’une PVVIH qui tente d’expliquer l’effet des médicaments dans son
corps est éloquent : « Peut-être que c’est en train de tuer les virus, mais
moi, je ne sais pas ça. Je ne suis pas médecin. Je ne suis pas docteur »
(Homme, 38 ans, ouvrier).
L’asymétrie de la relation de soins est ainsi entretenue à la fois par
les soignants et les soignés, ces derniers ayant largement intériorisé l’au-
torité médicale. En conséquence, les soignés s’en remettent aux soignants
(31) et ne s’impliquent guère dans la gestion de leur infection bien qu’ils
y soient confrontés au quotidien, et davantage en dehors de l’hôpital qu’à
l’hôpital. Ces résultats peuvent être considérés à l’aune de ceux obtenus
dans le cadre de l’ISAARV au sujet des patients « observants ». Les
auteurs soulignent que certains « demandent à avoir connaissance des
résultats de leurs examens biologiques », « recherchent des informations
concernant le sida » et « sont de plus en plus actifs dans la gestion de leur
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prise en charge » (Sow et Desclaux, 2002b). Ces attitudes, aux antipodes
de celles constatées parmi les PVVIH ayant connu une rupture de suivi,
tendent à confirmer le lien entre l’observance des patients et leur implica-
tion dans leurs propres soins. Inversement, la non-implication soulignée
précédemment compromet l’inscription régulière et durable des PVVIH
dans le processus de soins.

Les contraintes organisationnelles et structurelles :


un terrain propice aux ruptures de suivi

L’ensemble des attitudes et mécanismes décrits ci-dessus ainsi que


les difficultés des PVVIH soulignées précédemment, pour être compris,
doivent être réinscrits dans le contexte structurel et organisationnel dans
lequel ils émergent. La gestion du suivi médical de l’infection est en effet
conditionnée par les modalités d’organisation du système de soins, elles-

(31) Cette attitude est celle observée dans le cadre du traitement des infections aiguës
(Baszanger, 1986 ; Parsons, 1951).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 27

mêmes tributaires du contexte structurel marqué, entre autres, par une


pénurie des ressources humaines. Comment ces contraintes constituent-
elles une entrave au suivi régulier et durable des PVVIH ?

Le suivi médical : un « parcours du combattant »

Compte tenu de l’organisation spécifique de la prise en charge des


PVVIH à Kayes — les consultations n’ont lieu que le matin, trois jours
par semaine, le laboratoire d’analyse n’étant ouvert que deux jours par
semaine et pas nécessairement les jours de consultation — les patients
sont contraints de consacrer souvent plusieurs jours consécutifs au suivi
de leur infection.
Le temps du parcours de soins varie d’un individu à l’autre, avant
tout selon la distance à parcourir pour se rendre à l’hôpital. Parmi les
24 personnes rencontrées, 17 d’entre elles résident à plus de 10 kilomètres
de l’hôpital dont 3 à plus de 100 kilomètres. Le temps de transport varie
de moins d’une heure à plus de cinq heures consécutives. La plupart des
individus sont ainsi contraints d’arriver à Kayes la veille de leur consulta-
tion médicale.
Mariame, jeune mère de famille, résidant à une cinquantaine de kilo-
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mètres de l’hôpital, doit se rendre en consultation un lundi matin. Elle
quitte son village la veille à 15 h pour arriver à Kayes en fin de journée.
Le lundi matin, à 6 h 30, elle se rend sur les lieux de la consultation. Elle
patiente jusqu’à ce que vienne son tour. À 10 h, Mariame entre en salle de
consultation. Aucune plainte à signaler, le médecin renouvelle son ordon-
nance après un bref examen clinique. Quelques minutes plus tard,
Mariame sort de la consultation et se rend à la pharmacie. Elle y trouve
porte close. Le pharmacien arrive 20 minutes plus tard. La patiente obtient
ses ARV à 11 h et peut alors rentrer chez elle. Elle prendra le bus vers 14 h
et peut espérer arriver vers 17 h à son village. Le seul renouvellement de
son ordonnance et l’obtention de ses traitements lui auront pris 24 heures.
Le temps du parcours de soins varie également selon les examens
que les PVVIH ont à effectuer. Pour Soumaré, le séjour à Kayes est ainsi
prolongé. Résidant à près de 100 kilomètres de Kayes, ce patient quitte
son village le dimanche pour se rendre en consultation le lundi matin. Le
médecin lui prescrit alors des analyses de sang. Il est donc contraint de se
rendre le jeudi matin au laboratoire. Les résultats lui sont délivrés le len-
demain, vendredi. Le médecin le reçoit alors entre deux consultations.
Rien à signaler, Soumaré ne change pas de traitement. Il peut alors se ren-
dre à la pharmacie, obtenir ses ARV et rentrer chez lui. Il aura passé près
d’une semaine à Kayes.
28 SÉVERINE CARILLON

L’exposé de ces circuits — récapitulé dans la Figure 1 — suffit à


illustrer un réel « parcours du combattant » qui, de fait, relève parfois de
la gageure et s’avère difficile à assurer de façon régulière et durable.
En dehors de ce parcours médicalement défini, il est proposé à cer-
tains patients — particulièrement ceux qualifiés d’« inobservants » — de
participer aux activités de l’association locale de PVVIH (32). Aussi loua-
bles soient-elles, ces activités, organisées en marge du temps du suivi
médical, prolongent le circuit des patients. Ainsi, en dépit de leur validité
intrinsèque, elles génèrent des contraintes de temps supplémentaires et ali-
mentent le parcours du combattant. Ce constat reflète la difficulté pour les

Dimanche Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Samedi

7h-8h30 7h-8h30
Analyses Analyses
de sang de sang

8h30-13h30 8h30-13h30 8h30-13h30 10h


Consultation Consultation Consultation Espace
de
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parole

9h-14h 9h-14h 9h-14h


Cas 1 et 2 Pharmacie Pharmacie Pharmacie
Départ du
village à 14h 16h
Cas 1 Club
pour une
Retour au d’observance
consultation
village
le lendemain Cas 2
en fin de
journée Retour au village
en fin de journée ou
le lendemain matin

Figure 1
Le suivi médical : un parcours du combattant

(32) Un club d’observance (animé par un médecin dans l’objectif de transmettre un


maximum d’informations sur les traitements ARV) et un espace de parole (temps de
discussion formel animé par un travailleur social et des « conseillères », en présence
d’un médecin) sont animés à proximité de l’hôpital, une fois par semaine. Ils consti-
tuent des espaces de discussion privilégiés entre PVVIH au sein de l’association.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 29

acteurs de santé (33) de concevoir la prise en charge de l’infection dans sa


singularité, en l’organisant comme étant « destinée à des patients “en
bonne santé”, ayant des contraintes liées à leur profession et à leur vie
sociale » (Desclaux, 2001 : 63). Il invite donc à une réorganisation du cir-
cuit de soins intégrant, dans la mesure du possible, les contraintes des
PVVIH et non plus seulement celles des soignants et du système de soins.
Par ailleurs, il confirme — à l’instar d’autres études (Lanièce et al., 2002)
— la mise en péril des stratégies visant à une meilleure observance, basées
sur la fréquence des contacts du patient avec le système de soins (34).
Ces contraintes organisationnelles s’expliquent en partie par la pénu-
rie de ressources de médecins prescripteurs d’ARV.

De la pénurie de médecins
à l’inobservance au suivi des personnes vivant avec le VIH

Le Mali, comme bon nombre de pays d’Afrique subsaharienne, souf-


fre d’un sous-investissement dans les ressources humaines consacrées à la
santé depuis plusieurs décennies (Van Damme et al., 2006). Il fait face
aujourd’hui, entre autres, à une pénurie aiguë en personnels de santé qua-
lifiés, parmi lesquels les médecins prescripteurs d’antirétroviraux.
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À l’hôpital de Kayes, trois médecins prescrivent des ARV. L’un
assure le suivi des PVVIH ainsi que des consultations en dermatologie
auxquelles il consacre environ un tiers de son temps de travail. Les deux
autres sont des généralistes et, à ce titre, assurent une majorité de
consultations de médecine générale en plus du suivi des PVVIH.
L’accroissement continu du nombre de ces personnes, auquel s’ajoute
l’activité des médecins en dehors de la prise en charge de l’infection,
génère une surcharge de travail indéniable des soignants qui met elle-
même en péril la qualité de l’offre de soins.
La surcharge des consultations médicales est quasi quotidienne. Pas
moins d’une quarantaine de patients sont reçus trois jours par semaine
entre 8h30 et 13h30 par le médecin référent VIH, tandis que les généra-
listes alternent consultations VIH et autres pathologies cinq jours par
semaine à des horaires similaires. Le rythme effréné des consultations ne
permet pas aux soignants de consacrer le temps qu’ils jugent nécessaire

(33) Cette appellation désigne les soignants ainsi que l’ensemble des acteurs institu-
tionnels et associatifs impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre des activités de
prise en charge des PVVIH à Kayes.
(34) Par exemple, la réduction des délais de prescriptions.
30 SÉVERINE CARILLON

pour chaque patient (35) : « Quand tu prends une personne vivant avec le
VIH avec qui tu dois discuter pendant un temps assez étendu, 30 minutes,
45 minutes… Imaginez l’impatience des autres patients qui sont à la
queue dehors ! (…) Du coup, tu es tenté d’aller très vite avec la personne,
alors que ce n’est pas normal ! » (Médecin).
Les médecins généralistes ont également à gérer certaines urgences.
L’un d’eux raconte : « Je suis en train de m’entretenir avec une personne
vivant avec le VIH. On vient taper à ma porte : “Coma diabétique de l’au-
tre côté !” Vous voyez ? C’est ça ! ». Consultations écourtées, médecins
débordés et parfois dispersés, court-circuitent largement le temps du soin.
Les consultations durent environ dix minutes. Certaines sont prolongées,
notamment en cas d’annonce de séropositivité, mais excèdent rarement les
vingt minutes. Parfois dans l’urgence, souvent dans la précipitation, les
soignants ne sont pas en mesure d’assurer une approche globale de tous
les patients, ni non plus de transmettre systématiquement toutes les infor-
mations.
Dans ce contexte, les soignants tentent de s’adapter : ils optimisent
le temps qui leur est imparti en abrégeant au maximum, par exemple, les
consultations avec les « anciens patients » (36), prenant ainsi le risque de
surestimer ou sous-estimer (37) l’observance de ces patients (Roth et
Caron, 1978).
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Un médecin explique par ailleurs que, par rapport au protocole de
soins préconisé pour proposer un dépistage, il « saute certaines étapes » :
« Au lieu qu’on aille voir la personne, ses antécédents, tu avais combien
de femmes ? Est-ce que tu sortais avec des hommes ? Tu faisais quel type
de rapports ? Est-ce que tu as déjà été transfusé ? (…) Moi, je pense que
c’est juste l’explication : pourquoi je vais te dépister ? » (Médecin).
En définitive, si ces « petits arrangements avec la contrainte »
(Gobatto et Lafaye, 2005) reflètent effectivement le souci des soignants

(35) La prise en charge, par ces médecins, des PVVIH comprend à la fois la proposi-
tion du dépistage, l’annonce de la séropositivité, le suivi du patient, le traitement des
infections opportunistes, la mise sous traitement ARV puis la surveillance de la tolé-
rance et de l’observance, le soutien moral, etc. Un médecin s’est ainsi plaint de devoir
« être psychologue avant de passer aux médicaments ».
(36) Les « anciens patients » sont définis comme ceux « dont on connaît le statut. Il y
a quatre ans, cinq ans qu’on connaît leur statut, ils sont suivis dans le service »
(Médecin).
(37) Ce type de pratiques occulte l’une des caractéristiques essentielles de l’inobser-
vance : sa dynamique qui en fait un comportement évolutif, non figé dans le temps et
cela pour toutes les PVVIH.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 31

d’intégrer certaines contraintes dans leurs pratiques, ils renforcent l’évin-


cement des aspects non médicaux de l’infection à VIH, au cours des
consultations. Ainsi, les médecins en viennent parfois à prescrire des ARV
aux « anciens patients » de façon mécanique. Ces consultations se rédui-
sent alors au renouvellement de l’ordonnance et à un rapide examen cli-
nique. Dès lors, comme il a été montré dans le contexte de la Côte
d’Ivoire, « la mise en œuvre effective de la thérapie répond davantage à
une procédure standardisée qu’elle ne repose sur un échange individua-
lisé » (Delaunay et Vidal, 2002 : 17). Les médecins tendent ainsi à assu-
rer un rôle de distributeur d’ordonnances. La mise en place de ce « service
médical minimum », si elle permet aux patients d’obtenir des ARV, com-
promet néanmoins le dialogue entre soignant et soigné et l’implication du
patient dans ses propres soins.
La surcharge des consultations ne permet pas, par ailleurs, à toutes
les PVVIH d’être reçues le jour où elles se rendent à l’hôpital. En théorie,
en cas de surcharge de la consultation, les patients peuvent consulter un
autre médecin ; en pratique, rien n’est moins sûr. D’une part, toutes les
consultations sont surchargées, par conséquent, il est peu probable que les
patients puissent y être reçus. D’autre part, pour les PVVIH, la mécon-
naissance des services hospitaliers et des autres médecins traitants, la peur
d’être vues, reconnues dans l’hôpital, d’être suspectées et d’avouer leur
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séropositivité à un autre médecin, compromettent cette démarche. Parmi
les PVVIH rencontrées qui se sont heurtées au problème, aucune n’a
consulté un autre médecin. La surcharge des consultations constitue ainsi
un phénomène dissuasif fort.
De façon similaire, les absences des médecins mettent en péril la
continuité du suivi médical des PVVIH. L’hôpital de Kayes n’échappe pas
à la « ronde des affectations » décriée dans d’autres contextes africains
(Jaffré et Olivier de Sardan, 2003). Formations à l’extérieur, séminaires,
recrutements dans des projets d’institutions internationales, constituent
autant de mouvements du personnel soignant qui génèrent une instabilité
des équipes médicales. Celle-ci se solde à Kayes essentiellement par des
absences des soignants de leur lieu de travail. Il arrive ainsi que les
patients trouvent porte close à la consultation, faute de remplacement des
médecins.
Lors de mon séjour à Kayes, l’un des médecins s’est absenté plus de
deux semaines consécutives. Les infirmiers se chargeaient de l’accueil des
patients, les recevaient en consultation et dispensaient des soins dans la
limite de leur compétence, assurant ainsi les consultations de routine.
32 SÉVERINE CARILLON

Toutefois, cette délégation des tâches (38) ne comble pas l’absence du


médecin puisque les infirmiers renouvellent les prescriptions d’ARV mais
ne sont pas en mesure de décider, par exemple, de la mise sous traitement
d’un patient ou encore d’un changement de molécule. L’un d’eux s’est
ainsi vu obliger de refuser une patiente : « Il y a une dame qui est venue
aujourd’hui, j’étais obligé de lui dire d’aller et revenir. Tu vois, ça fait
trois semaines, cette dame vient, je lui dis d’attendre le docteur ! »
(Infirmier). Certains patients se voient ainsi contraints de renouveler l’ex-
périence du parcours du combattant, si tant est qu’ils aient obtenu
préalablement les frais de transport, une autorisation de leur employeur,
etc.
Consultation écourtée, médecin absent non remplacé, prescription
d’ARV standardisée ne permettent pas aux soignants d’assurer une prise
en charge globale et individualisée optimale. L’incapacité du système de
soins à assurer les ressources humaines nécessaires constitue ainsi un ter-
rain propice aux ruptures de suivi. Celles-ci apparaissent « comme une
construction sociale largement produite à l’intérieur du système de
soins » (Desclaux, 2003 : 45), rejoignant à cet égard les analyses effec-
tuées dans le cadre de l’ISAARV (39).
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Conclusion

L’analyse des comportements d’inobservance au suivi médical des


PVVIH, en s’appuyant sur une étude réalisée sur un terrain singulier —
dans une capitale régionale malienne, en milieu hospitalier, auprès de
patients résidant en milieu rural et issus essentiellement de milieux

(38) La délégation des tâches entre médecins et infirmières au sein des services dédiés
au VIH dans les pays à ressources limitées est recommandée par l’OMS. Toutefois, le
Mali ne dispose pas de stratégie nationale définie de cette délégation des tâches dans
son programme d’accès aux ARV. L’initiative sur cette question est laissée aux équi-
pes médicales. À Kayes, cette délégation des tâches s’avère relativement informelle.
Le transfert de compétences s’improvise sur le terrain et se met en place progressive-
ment.
(39) Les résultats obtenus dans le contexte de Kayes confirment les spécificités liées
au contexte de l’Afrique de l’Ouest (difficultés financières, absence des médecins, dif-
ficultés structurelles, etc). Les similitudes des résultats obtenus à Kayes et à Dakar, sur
des populations et des contextes différents, laissent présager d’une possible générali-
sation de ces résultats sur d’autres sites de prise en charge en Afrique de l’Ouest.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 33

modestes, voire défavorisés — renouvelle l’approche globale de l’inob-


servance (40).
Les comportements étudiés obéissent, en effet, à des contraintes
complexes à la fois d’ordre macrosociologique et microsociologique. Les
ruptures de suivi médical ne peuvent ainsi être considérées comme seuls
comportements individuels — ce serait faire fi de la façon dont elles
s’élaborent effectivement — mais comme une production sociale. Elles
émergent d’une dynamique de changement plus large, interférant avec des
éléments endogènes et exogènes, mettant en jeu une pluralité d’acteurs et
de contraintes à différents niveaux et à différents moments du processus
de prise en charge : en amont de ce processus et, à un stade ultérieur, dès
lors que les PVVIH sont en interaction directe avec le personnel de santé
et le système de soins.
L’analyse centrée sur l’inobservance au suivi médical (et non plus
seulement sur l’inobservance aux traitements ARV) révèle le travail d’in-
tégration du suivi médical, réalisé par les PVVIH dans leur vie quoti-
dienne. Se situer ainsi en amont de la prise en charge permet de mettre en
avant la négociation par les patients avec leur entourage, du processus
d’individualisation qu’exige le suivi de leur infection. Les PVVIH affron-
tent en effet la nécessité d’utiliser leur capital économique communautaire
à des fins personnelles, de créer des espace-temps individuels en dehors et
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indépendamment de la cellule familiale, tout en maintenant la maladie
secrète. Dans ce contexte, l’observance au suivi médical de l’infection à
VIH reste à analyser à l’aune des enjeux sociaux qui traversent la société
d’étude et dominent l’existence quotidienne des membres de cette société
(Marie, 1997). Comment le suivi médical participe-t-il au processus d’in-
dividualisation qui a cours dans la société malienne ? Dans quelle mesure
favorise-t-il une reconfiguration des rapports et des rôles sociaux ?
L’approche globale de l’inobservance invite, par ailleurs, à repenser
la place laissée aux PVVIH dans la prise en charge de leur infection (dans
la relation de soins et dans l’organisation des soins). Elle permet égale-
ment de souligner la responsabilité partagée des acteurs face aux ruptures
de suivi médical des PVVIH. Les personnes infectées ne peuvent être
considérées comme seules responsables de l’inobservance, comme c’est
souvent le cas dans la pratique : on y cherche à modifier des comporte-

(40) L’approche globale de l’inobservance a été soulignée dans d’autres études portant
sur l’inobservance aux antirétroviraux (ANRS, 2001 ; Desclaux, 2003 ; Lévy et al.,
2004) mais aussi, de manière plus générale, dans d’autres pathologies (Davis, 1967 ;
Haynes, 1976). Toutefois, rares sont celles qui développent une analyse de l’enchevê-
trement des différentes logiques à l’œuvre.
34 SÉVERINE CARILLON

ments plus que les conditions sociales dans lesquelles ceux-ci se dévelop-
pent. L’interpellation des soignants, l’organisation des systèmes de soins,
les modalités de prise en charge et la formation des professionnels de la
santé (Tourette-Turgis, 2006) s’avèrent des prérequis indispensables pour
favoriser l’observance.
À ce titre, une réorganisation de la prise en charge (41) est sans doute
nécessaire, à laquelle s’ajoute une redéfinition des rôles dans la relation de
soins. Celle-ci est à envisager dans le sens d’un certain rééquilibrage des
pouvoirs et d’un abandon des postures autoritaires des soignants, visant
ainsi à rompre avec le modèle de relation de soins prédominant, construit
dans le cadre du traitement des infections aiguës (Parsons, 1951), et qui
s’avère peu adapté au traitement d’une infection chronique (Baszanger,
1986).
Enfin, force est de constater que l’examen des ruptures de suivi
médical fournit une occasion privilégiée de mettre en évidence et analyser
à la fois les tensions et les négociations auxquelles l’astreinte au suivi
médical contraint les PVVIH dans leur environnement ainsi que les dys-
fonctionnements de l’offre de soins et de la prise en charge des personnes
infectées. À cet égard, les interruptions de suivi représentent un événe-
ment quelque peu exceptionnel et riche de sens par « la multiplicité des
paliers de la réalité sociale » qu’elles mettent en jeu (Raynaut, 1996).
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Elles constituent ainsi un observatoire privilégié des modalités de prise en
charge des PVVIH, de l’expérience sociale de l’infection et enfin de l’em-
prise du pouvoir médical à la fois sur les soignés, sur la relation de soins
et sur l’organisation de la prise en charge.

Conflit d’intérêts : aucun.

(41) Cette réorganisation nécessite en amont d’intervenir sur les contraintes structu-
relles et ce d’autant plus urgemment que la pénurie de médecins prescripteurs d’ARV
risque de croître dans les années à venir compte tenu des récentes recommandations
de l’OMS (novembre 2009) qui suggèrent le démarrage d’un traitement antirétroviral
plus précoce. Cette évolution devrait conduire à une augmentation du nombre de per-
sonnes éligibles au traitement. Elle menacerait ainsi d’exacerber les difficultés souli-
gnées ici.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 35

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

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ABSTRACT

Interruptions in clinical follow up among persons


living with HIV in Kayes (Mali): an anthropological approach

Although a regular and sustained clinical follow up is recommended for


persons living with HIV, some of them interrupt follow up for several
months, or even years, putting their health and the efficacy of future treat-
ments in danger. This article argues that a multidimensional approach is
required in order to understand these behaviours on the basis of data col-
lected during fieldwork carried out in a hospital setting in Kayes in Mali.
It aims to reconcile three intrinsically linked levels of analysis: indivi-
dual, relational and organisational.
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RESUMEN

Rupturas del seguimiento médico de personas


viviendo con el VIH en Kayes (Mali) : enfoque antropológico

A pesar de que se recomienda el seguimiento médico regular y duradero


a personas viviendo con el VIH, algunas lo interrumpen durante varios
meses, incluso varios años consecutivos, poniendo así en riesgo la esta-
bilidad de su estado de salud y el éxito de los tratamientos. La compre-
hensión de tales comportamientos requiere un enfoque multidimensional,
que presentamos en este artículo. El análisis se efectuó desde un estudio
de campo realizado en el ámbito hospitalario en Kayes, Mali. Este análi-
sis invita a conciliar tres niveles de estudio ligados intrínsecamente: indi-
vidual, relacional y organizacional.

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