Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
SSS 292 0005
SSS 292 0005
Séverine Carillon*
(1) La définition du terme d’« observance » retenue dans cet article est celle du respect
des prescriptions médicales. Les prescriptions prises en considération ici sont celles
relatives à la régularité du suivi médical (définies dans la suite de ce texte).
(2) Une recherche anthropologique réalisée auprès des « perdus de vue » pose des
difficultés méthodologiques (identification des individus) et éthiques (respect de la
confidentialité, de l’anonymat, etc.) qui, dans le cadre de cette recherche, en compro-
mettaient la mise en œuvre. Le choix de la population d’étude répond donc à un posi-
tionnement méthodologique et éthique du chercheur.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 7
(7) Ce travail a été réalisé dans le cadre d’une recherche doctorale (2007-2011) finan-
cée par la Fondation de France. Il a déjà fait l’objet d’un article dans la revue
Transcriptase, dans lequel les trois niveaux d’analyse développés dans le présent arti-
cle sont exposés de façon plus concise (Carillon, 2010).
(8) La région de Kayes est la principale région d’émigration des Maliens vers la
France. Les transferts d’argent des émigrés constituent la source d’argent la plus
importante de la région.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 9
(9) ESTHER (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau) est
un Groupement d’intérêt public (GIP) français dont l’objectif est de renforcer les capa-
cités des pays en développement à traiter les PVVIH. Il appuie des partenariats nord-
sud — ici entre l’hôpital de Kayes et celui de Saint-Denis (93) — qui permettent
d’articuler, sur la durée, la prise en charge autour de l’hôpital et des réseaux sociaux.
(10) Le Groupe de recherches et de réalisations pour le développement rural (GRDR)
est une association qui, dans le cadre du Programme santé solidarité de Kayes (PSSK),
assure un appui technique et financier pour la prise en charge extrahospitalière des
PVVIH.
(11) Cette définition, à partir de laquelle les données chiffrées sont produites, est celle
retenue à Kayes et sur l’ensemble des sites de prise en charge ESTHER. Elle est basée
sur la définition de l’OMS.
10 SÉVERINE CARILLON
(12) Le « modèle de soin » est ici entendu comme un ensemble de constructions nor-
matives structurées autour de savoirs, de normes, et de valeurs qui définissent les
manières de prévenir et de prendre en charge les problèmes de santé des individus
(Gobatto, 2003). La circulation de ce modèle s’inscrit dans un contexte global de mon-
dialisation et participe de la diffusion et de l’imbrication de normes sanitaires interna-
tionales porteuses d’une domination occidentale (Hours, 2003), dans un contexte local
lui-même marqué par l’héritage de la médecine coloniale (Van Dormael, 1997). La
« réception localisée » (Hours, 2003) de ce modèle nécessite un travail complexe
d’ajustement, de reformulations et de négociations de la part des acteurs locaux.
(13) Si la « routinisation » des prises médicamenteuses et son lien avec l’observance
aux ARV ont fait l’objet de plusieurs recherches (Pierret, 2001 ; Trottier et al., 2004),
l’intégration du suivi médical de l’infection dans le quotidien des PVVIH, en contexte
africain, reste, elle, peu documentée.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 11
L’étude qualitative sur laquelle s’appuie cet article a été conduite par
entretiens semi-directifs auprès de 24 PVVIH ayant interrompu le suivi de
leur maladie à un moment donné de leur parcours. Toutes ont manqué au
moins deux consultations consécutives, parfois à plusieurs reprises. La
prise de contact avec ces enquêtés s’est établie à l’issue de leur consulta-
(14) Cette approche est inspirée du travail sur l’épilepsie de Conrad (1987). Partant
d’une étude sur l’expérience quotidienne des traitements contre l’épilepsie, l’auteur
affirme que l’observance participe davantage de l’« autorégulation » que de la confor-
mité aux instructions médicales.
12 SÉVERINE CARILLON
tion médicale à laquelle j’assistais (15). Les entretiens ont été, pour la plu-
part, réalisés en présence d’une interprète. La sélection des individus s’est
opérée progressivement et visait à une diversification des profils (diversité
sexuelle, sociale, ethnique et résidentielle) (Tableau I).
Quinze femmes et neuf hommes, âgés de 20 à 53 ans, ont participé
à l’étude. La majorité est mariée, voire remariée suite au décès du conjoint
(c’est le cas de quatre femmes et un homme). Trois femmes sont divor-
cées (16). Plus des deux tiers des individus rencontrés résident en zone
rurale, dans des villages situés entre 10 et 200 kilomètres de la ville de
Kayes. Le niveau d’instruction est dans l’ensemble très faible : douze
femmes sur les quinze et quatre hommes sur les neuf n’ont pas été scola-
risés. Les hommes ont des situations professionnelles précaires pour la
plupart : six hommes sur les neuf assurent des travaux journaliers ne
garantissant aucun revenu fixe et continu, cumulant parfois des périodes
de chômage de plusieurs mois consécutifs (17).
Cet échantillon d’étude reflète le contexte global de pauvreté de la
région de Kayes qui est, de fait, un élément-clé à prendre en compte dans
l’analyse des ruptures de suivi médical des PVVIH (18).
Pour mener à bien cette recherche, des entretiens avec des soignants
et des acteurs associatifs et institutionnels impliqués dans la prise en
charge à Kayes ont également été effectués. L’analyse proposée ici repose
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
(15) J’ai conduit un travail d’observation quotidien au cours des consultations médi-
cales dispensées par les médecins prescripteurs d’ARV. La consultation à l’issue de
laquelle la prise de contact avec les PVVIH s’effectuait n’était pas systématiquement
celle de leur retour. Certains patients étaient de nouveau suivis (après une rupture)
depuis plusieurs mois au moment de notre rencontre.
(16) L’une d’elle, veuve de son premier mari, a divorcé de son second mari.
(17) Les travaux journaliers désignent ici une pluralité d’activités souvent informelles,
rémunérées à la journée, sans engagement entre l’employeur et l’employé sur le long
terme. Ils regroupent les services d’aide à la personne (ménage, commission à faire pour
autrui…) ou des travaux de construction, d’entretien ou de réparation sur des chantiers.
(18) À l’échelle régionale, plus de 80 % des femmes n’ont aucun niveau d’instruction ;
44 % des hommes n’ont pas d’emploi stable. Près de 60 % des femmes déclarent ren-
contrer des problèmes d’accès aux soins et, parmi elles, plus de 45 % pour des raisons
de coûts des médicaments (Cellule de Planification et de Statistique, 2006).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 13
Tableau I
Caractéristiques sociodémographiques des personnes enquêtées
Hommes Femmes Total
20-30 ans 0 10 10
Âge 31-40 ans 5 4 9
> 40 ans 4 1 5
Célibataire 1 1 2
Situation Marié(e) et remarié(e) 8 10 18*
matrimoniale Divorcée 0 3 3
Veuf(ve) 0 1 1
Sans instruction 4 12 16
Niveau Primaire 2 0 2
d’instruction Secondaire 3 2 5
Supérieur 0 1 1
Aucune 0 13 13
Activité Agriculteur, éleveur 3 0 3
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
tiers des soignants ne sont pas originaires de Kayes et y vivent du fait d’y
avoir été mutés. La plupart sont issus d’un milieu social relativement
modeste.
Les huit soignants sont maliens, diplômés d’État. Ils ont été formés
essentiellement au Mali, hormis un médecin qui a fait sa spécialisation à
l’université d’Abidjan, en Côte d’Ivoire. Les trois médecins et le pharma-
cien ont effectué au moins un stage de formation de quinze jours en milieu
hospitalier en France (via les activités de compagnonnage d’ESTHER).
Les médecins et le pharmacien ont également validé un diplôme universi-
taire à Ouagadougou (formation à la prescription d’ARV). Ces profils sont
détaillés dans le Tableau II.
14 SÉVERINE CARILLON
Tableau II
Caractéristiques sociodémographiques des soignants enquêtés
Hommes Femmes
30-35 3 0
Âge 36 - 40 ans 1 1
+ 40 ans 2 1
Situation Célibataire 1 0
matrimoniale Marié (e) 5 2
Sage-femme 0 1
Infirmier(ère) 1 1
Activité
Pharmacien 1 0
professionnelle
Médecin 3 0
Médecin interne 1 0
Bamako 2 1
Région d’origine Kayes 1 1
Autres 3 0
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
Tous les entretiens ont été enregistrés et retranscrits puis ont fait
l’objet d’une analyse thématique. Enfin, un travail d’observation a égale-
ment été conduit en milieu hospitalier (consultations médicales, dispensa-
tion des ARV…) et associatif.
L’analyse des données ainsi recueillies montre que les interruptions
de suivi médical des PVVIH constituent un ajustement face à un ensem-
ble de contraintes qui émergent à trois niveaux : individuel, relationnel et
organisationnel. Quelles sont ces contraintes et les tensions qui en résul-
tent ? Comment se manifestent-elles ? Comment les individus ne parvien-
nent-ils pas à les articuler ? Quels sont les processus et les logiques qui
sous-tendent les adaptations mises en œuvre ?
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 15
(20) Ce constat a également été réalisé au sujet des traitements ARV (Trottier et al.,
2004). Toutefois, le suivi médical constitue une source de visibilité dans un espace-
temps exacerbé comparativement aux ARV, ce qui, de fait, accentue les difficultés
relatives à son intégration dans la vie quotidienne des PVVIH.
(21) Cette crainte subjective du rejet n’est pas systématiquement associée à une expé-
rience objective vécue. Elle repose sur des représentations sociales négatives de la
maladie, largement associée à la « débauche », « aux vagabondages sexuels » et à
« l’adultère », autrement dit à une transgression de l’ordre social en général, des allian-
ces matrimoniales et des pratiques sexuelles en particulier, et enfin de normes reli-
gieuses (l’adultère étant, par exemple, interdit par l’Islam). Cette crainte est ancrée
dans la culpabilité et la honte des PVVIH d’être infectées. Parce qu’elles se sentent
responsables et coupables, les personnes infectées n’osent dévoiler leur séropositivité.
Elles craignent « le mauvais œil » ou encore d’être « montrées du doigt » par leur
entourage.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 17
(22) Le terme de tactique désigne ici, en référence à de Certeau (1980), un mode d’ac-
tion qui vise à saisir au vol des possibilités. Il s’agit, pour l’individu, de jouer avec les
événements pour en faire des occasions de trouver un équilibre dans une situation
chaotique.
18 SÉVERINE CARILLON
(23) Comme le soulignent Sow et Desclaux, pour solliciter l’aide familiale, il faut
entre autres que le demandeur se voit reconnu le statut de malade. Or, « l’accession au
statut de malade est un processus social qui repose notamment sur la cessation d’ac-
tivité et sur l’évaluation des symptômes par l’entourage » (Sow et Desclaux, 2002a :
80). Par conséquent, les PVVIH asymptomatiques ne sont pas reconnues malades, ce
qui compromet la possibilité de mobiliser l’aide familiale.
20 SÉVERINE CARILLON
(24) L’objectif du travail médical, dans le cadre du traitement des maladies chro-
niques, n’est plus tant de guérir la maladie que d’en contrôler l’évolution et les symp-
tômes (Baszanger, 1986).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 21
(28) Ces constats sont à analyser à l’aune du contexte spécifique de chronicisation récente
qui bouleverse les pratiques des soignants ainsi que de l’héritage colonial dans lequel la
formation des médecins maliens et la dispensation de la médecine moderne s’inscrivent.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 23
(29) Ces observations corroborent les résultats issus du travail de Wallach (2007) sur
l’observance aux ARV, réalisé dans des hôpitaux parisiens auprès de soignants.
24 SÉVERINE CARILLON
(…) On les fait revenir plus souvent (…) On va les surveiller. La sur-
veillance sera beaucoup plus stricte ».
Le renforcement de la surveillance, s’il permet aux soignants de gar-
der le contrôle de la situation et d’être assurés que les patients prennent
leur traitement, contraint néanmoins les PVVIH à revenir en consultation
plus fréquemment. Les difficultés d’accès aux soins soulignées précé-
demment sont alors sinon accentuées, au moins réitérées.
Tandis que les soignants imposent un rythme de consultation plus
soutenu, les soignés, réclament, eux, l’inverse. L’un d’eux en témoigne :
« Si j’arrivais à avoir quatre ou six mois de comprimés, peut-être que ça
va amoindrir mon problème. Ca va diminuer un peu le problème de
transport » (Homme, 47 ans, marié, résidant à 80 km de Kayes).
Force est de constater que la réponse apportée par les soignants ne
tient pas compte des difficultés des soignés et s’établit en fonction d’une
logique médico-centrée : celle de « l’observance à tout prix ». En défini-
tive, les soignants « attendent des patients qu’ils partagent le modèle de
santé et les objectifs médicaux, sans concevoir que leurs priorités et leurs
logiques puissent en diverger » (Wallach, 2007 : 174). Cette prééminence
des logiques biomédicales (30) exacerbe la vulnérabilité des PVVIH face
au suivi de l’infection et met en péril le suivi régulier des individus. Enfin,
l’adoption d’attitudes paternalistes par certains soignants, particulière-
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
(30) Les logiques biomédicales ici mises en avant ne sont probablement pas les seules
auxquelles les comportements des soignants renvoient. Les attitudes des soignants ne
sont-elles pas révélatrices, d’une manière plus générale, des relations entre agents
publics et usagers (et plus particulièrement des usagers en situation de vulnérabilité) ?
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 25
commence à pleurer tout ça. La fois passée, on lui a dit : “on te donne
15 jours de traitement”. On a compté les comprimés, on a donné 15 jours.
Je dis : “Si tu loupes ça seulement, c’est fini, on ne peut pas te donner
encore…” » (Médecin). « Toi, si tu veux continuer à vivre là, tu as
15 jours si tu veux venir prendre tes médicaments » (Médecin).
Certains soignants mobilisent également l’argument de la peur de la
maladie et du caractère mortel de l’infection « pour vraiment leur faire
pression » : « Toi, là si tu as envie de mourir, je te comprends, c’est pas
la peine de venir, tu restes à la maison, je te donne plus les ARV ! »
(Médecin). « Quand ils viennent avec un mois de rupture, deux semaines
de rupture, tu tapes sur la table, bon, voilà, tu parles des menaces : “bon,
voilà, si tu veux mourir, je t’accompagne” » (Médecin).
Comme l’explique l’un des soignants, menacer les patients « est une
façon de les relancer ». Si les menaces peuvent être interprétées comme
la volonté de déclencher un « électrochoc » pour faire réagir certains indi-
vidus, elles s’inscrivent néanmoins dans des attitudes coercitives et infan-
tilisantes.
Certains soignants vérifient, par ailleurs, l’observance du patient en
procédant, lors des consultations, au comptage des comprimés dans les
boites de médicaments des patients : « À chaque rendez-vous, on lui dit
d’amener ses produits, on va compter voir ».
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
(31) Cette attitude est celle observée dans le cadre du traitement des infections aiguës
(Baszanger, 1986 ; Parsons, 1951).
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 27
7h-8h30 7h-8h30
Analyses Analyses
de sang de sang
Figure 1
Le suivi médical : un parcours du combattant
De la pénurie de médecins
à l’inobservance au suivi des personnes vivant avec le VIH
(33) Cette appellation désigne les soignants ainsi que l’ensemble des acteurs institu-
tionnels et associatifs impliqués dans l’élaboration et la mise en œuvre des activités de
prise en charge des PVVIH à Kayes.
(34) Par exemple, la réduction des délais de prescriptions.
30 SÉVERINE CARILLON
pour chaque patient (35) : « Quand tu prends une personne vivant avec le
VIH avec qui tu dois discuter pendant un temps assez étendu, 30 minutes,
45 minutes… Imaginez l’impatience des autres patients qui sont à la
queue dehors ! (…) Du coup, tu es tenté d’aller très vite avec la personne,
alors que ce n’est pas normal ! » (Médecin).
Les médecins généralistes ont également à gérer certaines urgences.
L’un d’eux raconte : « Je suis en train de m’entretenir avec une personne
vivant avec le VIH. On vient taper à ma porte : “Coma diabétique de l’au-
tre côté !” Vous voyez ? C’est ça ! ». Consultations écourtées, médecins
débordés et parfois dispersés, court-circuitent largement le temps du soin.
Les consultations durent environ dix minutes. Certaines sont prolongées,
notamment en cas d’annonce de séropositivité, mais excèdent rarement les
vingt minutes. Parfois dans l’urgence, souvent dans la précipitation, les
soignants ne sont pas en mesure d’assurer une approche globale de tous
les patients, ni non plus de transmettre systématiquement toutes les infor-
mations.
Dans ce contexte, les soignants tentent de s’adapter : ils optimisent
le temps qui leur est imparti en abrégeant au maximum, par exemple, les
consultations avec les « anciens patients » (36), prenant ainsi le risque de
surestimer ou sous-estimer (37) l’observance de ces patients (Roth et
Caron, 1978).
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
(35) La prise en charge, par ces médecins, des PVVIH comprend à la fois la proposi-
tion du dépistage, l’annonce de la séropositivité, le suivi du patient, le traitement des
infections opportunistes, la mise sous traitement ARV puis la surveillance de la tolé-
rance et de l’observance, le soutien moral, etc. Un médecin s’est ainsi plaint de devoir
« être psychologue avant de passer aux médicaments ».
(36) Les « anciens patients » sont définis comme ceux « dont on connaît le statut. Il y
a quatre ans, cinq ans qu’on connaît leur statut, ils sont suivis dans le service »
(Médecin).
(37) Ce type de pratiques occulte l’une des caractéristiques essentielles de l’inobser-
vance : sa dynamique qui en fait un comportement évolutif, non figé dans le temps et
cela pour toutes les PVVIH.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 31
(38) La délégation des tâches entre médecins et infirmières au sein des services dédiés
au VIH dans les pays à ressources limitées est recommandée par l’OMS. Toutefois, le
Mali ne dispose pas de stratégie nationale définie de cette délégation des tâches dans
son programme d’accès aux ARV. L’initiative sur cette question est laissée aux équi-
pes médicales. À Kayes, cette délégation des tâches s’avère relativement informelle.
Le transfert de compétences s’improvise sur le terrain et se met en place progressive-
ment.
(39) Les résultats obtenus dans le contexte de Kayes confirment les spécificités liées
au contexte de l’Afrique de l’Ouest (difficultés financières, absence des médecins, dif-
ficultés structurelles, etc). Les similitudes des résultats obtenus à Kayes et à Dakar, sur
des populations et des contextes différents, laissent présager d’une possible générali-
sation de ces résultats sur d’autres sites de prise en charge en Afrique de l’Ouest.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 33
(40) L’approche globale de l’inobservance a été soulignée dans d’autres études portant
sur l’inobservance aux antirétroviraux (ANRS, 2001 ; Desclaux, 2003 ; Lévy et al.,
2004) mais aussi, de manière plus générale, dans d’autres pathologies (Davis, 1967 ;
Haynes, 1976). Toutefois, rares sont celles qui développent une analyse de l’enchevê-
trement des différentes logiques à l’œuvre.
34 SÉVERINE CARILLON
ments plus que les conditions sociales dans lesquelles ceux-ci se dévelop-
pent. L’interpellation des soignants, l’organisation des systèmes de soins,
les modalités de prise en charge et la formation des professionnels de la
santé (Tourette-Turgis, 2006) s’avèrent des prérequis indispensables pour
favoriser l’observance.
À ce titre, une réorganisation de la prise en charge (41) est sans doute
nécessaire, à laquelle s’ajoute une redéfinition des rôles dans la relation de
soins. Celle-ci est à envisager dans le sens d’un certain rééquilibrage des
pouvoirs et d’un abandon des postures autoritaires des soignants, visant
ainsi à rompre avec le modèle de relation de soins prédominant, construit
dans le cadre du traitement des infections aiguës (Parsons, 1951), et qui
s’avère peu adapté au traitement d’une infection chronique (Baszanger,
1986).
Enfin, force est de constater que l’examen des ruptures de suivi
médical fournit une occasion privilégiée de mettre en évidence et analyser
à la fois les tensions et les négociations auxquelles l’astreinte au suivi
médical contraint les PVVIH dans leur environnement ainsi que les dys-
fonctionnements de l’offre de soins et de la prise en charge des personnes
infectées. À cet égard, les interruptions de suivi représentent un événe-
ment quelque peu exceptionnel et riche de sens par « la multiplicité des
paliers de la réalité sociale » qu’elles mettent en jeu (Raynaut, 1996).
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
(41) Cette réorganisation nécessite en amont d’intervenir sur les contraintes structu-
relles et ce d’autant plus urgemment que la pénurie de médecins prescripteurs d’ARV
risque de croître dans les années à venir compte tenu des récentes recommandations
de l’OMS (novembre 2009) qui suggèrent le démarrage d’un traitement antirétroviral
plus précoce. Cette évolution devrait conduire à une augmentation du nombre de per-
sonnes éligibles au traitement. Elle menacerait ainsi d’exacerber les difficultés souli-
gnées ici.
VIH ET RUPTURES DE SUIVI MÉDICAL AU MALI 35
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
Marie A., 1997, L’Afrique des individus, Itinéraires citadins dans l'Afrique
contemporaine (Abidjan, Bamako, Dakar, Niamey), Paris, Karthala,
Collection Hommes et Sociétés.
Mills E.J., Nachega J.B., Bangsberg D.R., et al., 2006, Adherence to
HAART: a systematic review of developped and developping nation patient-
reported barriers and facilitators, Plos Medicine, 3, 11, 2039-2064.
Oyugi J.H., Byakika-Tusiime J., Ragland K., et al., 2007, Treatment inter-
ruptions predict resistance in HIV-positive individuals purchasing fixed-dose
combination antiretroviral therapy in Kampala, Uganda, AIDS, 21, 8, 965-
971.
Parsons T., 1951, The social system, Glencoe, Illinois, The Free Press.
Paterson D.L., Swindells S., Mohr J., et al., 2000, Adherence to protease inhi-
bitor therapy and outcomes in patients with HIV infection, Annals of Internal
Medicine, 133, 21-30.
Pierret J., 1997, Un objet pour la sociologie de la maladie chronique : la situa-
tion de séropositivité au VIH, Sciences Sociales et Santé, 15, 4, 97-118.
Pierret J., 2001, Une approche dynamique du traitement chez les personnes
infectées par le VIH : la notion d’intégration, In : L’observance aux traite-
ments contre le VIH/Sida : mesure, déterminants, évolution, Paris, ANRS,
Coll. Sciences Sociales et Sida, 67-78.
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
Sow K., Desclaux A., 2002a, La solidarité familiale dans la prise en charge
des patients : réalités, mythes et limites, In : Initiative sénégalaise d’accès aux
médicaments antirétroviraux, Paris, ANRS, Coll. Sciences Sociales et Sida,
79-93.
Sow K., Desclaux A., 2002b, L’observance des traitements antirétroviraux et
ses déterminants. Analyse qualitative, In : Initiative sénégalaise d’accès aux
médicaments antirétroviraux, Paris, ANRS, Coll. Sciences Sociales et Sida,
109-118.
Spire B., Duran S., et al., 2002, Adherence to highly active antiretroviral the-
rapies (HAART) in HIV-infected patients – from a predictive to a dynamic
approach, Social Science and Medicine, 54, 10, 1481- 1496.
Strauss A.L., Glaser B.G., 1975, Chronic illness and the quality of life, St.
Louis, Mosby.
Tourette-Turgis C., 2007, La consultation d’aide à l’observance des traite-
ments de l’infection à VIH : l’approche MOTHIV : accompagnement et édu-
cation thérapeutique, Paris, Comment dire.
Trostel J., 1988, Medical compliance as an ideology, Social Science and
Medicine, 27, 12, 1299-1308.
Trottier G., Fernet M., Lévy J., et al., 2004, Les thérapies contre le
VIH/SIDA. La mise à l’épreuve du temps, In : Lévy J., Pierret J., Trottier G.,
© John Libbey Eurotext | Téléchargé le 24/03/2024 sur www.cairn.info (IP: 160.155.24.167)
ABSTRACT