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N° 04 MARS 2015
PAGES 12-15
PANORAMIQUE
Le rôle bénéfique
du prion
Bisphénol A :
des substituts suspects
Apprendre à lire pour
L E S S C I E N C E S D U V I VA N T AU C E A mieux voir
Des gènes impliqués
dans la taille des
structures cérébrales
PAGES 3-11
GRAND ANGLE
Maladies
L’éternel
infectieuses
retour
02 HORIZON
‘‘
Prendre de court les
maladies infectieuses
Selon l’Organisation mondiale de la santé, une nouvelle maladie
infectieuse fait son apparition chaque année dans le monde.
Tous les cinq ans, l’humanité subit une crise majeure due à
l’émergence ou à la résurgence d’un virus. L’année 2014 a ainsi
été marquée par la flambée des épidémies dues au virus Ebola
en Afrique de l’ouest et au chikungunya dans les Caraïbes.
Au-delà des milliers d’autochtones touchés, plusieurs cas ont
été répertoriés hors des foyers d’origine. Les agents pathogènes
se déplacent vite et loin. Ils sont favorisés par de nouvelles
conditions climatiques.
Des équipes de trois des instituts de la Direction des sciences du vivant
du CEA, l’IMETI, l’IBEB et l’IBITECS, se consacrent au développement
de stratégies de diagnostic, de prévention et de traitement des maladies
émergentes et réémergentes. Elles disposent d’une solide expertise
dans ces domaines, ce qui a
notamment permis de proposer
en quelques mois un test de
diagnostic rapide du virus Ebola,
actuellement en cours d’évaluation
sur le terrain. Elles s’appuient aussi
sur de fortes compétences en
biochimie, en biologie moléculaire,
en virologie et en immunologie,
ainsi que sur des équipements
de pointe, pour développer des
vaccins et des traitements.
Ces recherches sont également
“Tous les cinq ans, mises à profit dans la lutte contre le
l’humanité subit bioterrorisme basé sur l’utilisation
une crise majeure due d’agents pathogènes infectieux.
à l’émergence ou à Le dossier de ce numéro de
la résurgence d’un virus.” CEAbio montre comment le CEA
s’est engagé dans ces défis qui
Gilles Bloch,
Directeur des sciences constituent des enjeux majeurs de
du vivant du CEA santé publique.
Maladies
infectieuses
L’éternel retour
S
i l’apparition ou la ré-appari- force sous l’effet de changements socio-
tion de maladies infectieuses a environnementaux (moindre couverture
toujours existé, ce phénomène vaccinale, circulation des personnes,
s’est accéléré depuis quelques réchauffement climatique...) et/ou par
décennies. À tel point que le terme consa- l’acquisition d’une résistance aux anti-
cré de « maladies émergentes »* a été biotiques. Il s’agit alors de réémergence.
forgé en 19891. Deux types de situation se Le modèle canonique en est la recrudes-
présentent. Une maladie due à un agent cence de la tuberculose* dans les pays
inconnu, ou connu mais très localisé développés, due à la conjugaison d’une
et/ou touchant un petit nombre d’ani-
maux, peut apparaître brusquement chez
l’Homme et déclencher des épidémies,
Maladies émergentes
voire des pandémies. C’est l’émergence Certaines pathologies non infectieuses,
« vraie », dont l’exemple-type est le sida, telles que l’obésité, peuvent être considérées
comme émergentes.
qui s’est développé depuis l’Afrique au
Virus Ebola
milieu du XXe siècle, maladie épidémique Identifié au Zaïre en 1976 et responsable
depuis le début des années 1980, consi- de plusieurs épidémies depuis 1994,
dont l’actuelle en Afrique de l’Ouest.
dérée par l’OMS comme une pandémie
Tuberculose
mondiale depuis 2002. Plus récemment, La tuberculose sévit continuellement
la maladie provoquée par le virus Ebo- dans les pays pauvres.
la* en est aussi une bonne illustration.
Autre situation : une maladie connue et 1
Par Stephen S. Morse, virologiste de l’université
considérée comme maîtrisée revient en Rockefeller (New York).
Simulation numérique du multirésistance aux antibiotiques et de la forte ainsi que le CEA acquiert une expertise sur
dépliement de la protéine prion. prévalence du sida. Ce dernier, en s’attaquant le VIH et le prion. Depuis, les recherches sur
© CEA
au système immunitaire des personnes conta- ces deux agents pathogènes se poursuivent
minées, a en effet accéléré l’émergence ou la au sein de l’Institut des maladies émergentes
réémergence de plusieurs maladies. et thérapies innovantes du CEA (CEA-IMETI),
Comment le CEA en est-il venu à s’intéresser notamment au Service d’immuno-virologie
à ces pathologies ? L’histoire commence dans (SIV) et au Service d’étude des prions et des
les années 1980. Un laboratoire2 du centre CEA infections atypiques (SEPIA).
de Fontenay-aux-Roses mène des recherches Aujourd’hui, le CEA-IMETI, ainsi que les
sur l’effet des rayonnements ionisants contre Instituts de biologie et de technologies de
lesquels le prion, responsable d’encéphalopa- Saclay (CEA-IBITECS) et de biologie environ-
thies spongiformes (maladies de Creutzfeldt- nementale et de biotechnologies (CEA-IBEB),
Jacob, de la vache folle, tremblante du mou- mènent des recherches concernant des mala-
ton...), se révèle extrêmement résistant. À ce dies aussi diverses qu’Ebola, le chikungunya,
titre, celui-ci constitue pour les chercheurs du la grippe, la dengue, la tuberculose multirésis-
CEA un modèle pour étudier les mécanismes tante... Le lancement du programme NRBC-E3
Prion, de radiorésistance. La nature du prion étant a renforcé leur implication dans le domaine
la naissance
alors inconnue, l’une des hypothèses est qu’il des pathologies émergentes. Les chercheurs
pourrait être un rétrovirus. Pour étudier ce type s’appuient sur des outils et des compétences
1
Accédez au réseau d’excellence NeuroPrion
en scannant le flashcode ci-dessous.
2
Ce laboratoire était alors dirigé par Dominique
Dormont, médecin du service de Santé des armées
et chercheur CEA.
3
Pour Nucléaire, Radiologique, Biologique,
Chimique, Explosifs.
4
Le même modèle est aujourd’hui dédié à l’étude de
vaccins développés au CEA.
BIOTERRORISME
ET SANTÉ PUBLIQUE
Cette mallette de terrain conçue
par le service de Pharmacologie
Des cibles
et d’immuno-analyse du CEA
Une plateforme permet de détecter les toxines
botuliques, les bacilles du
européenne pour
communes
charbon et de la peste.
© L. Godart/CEA
les maladies
infectieuses
Q
uel est le rapport entre la lutte contre le terrorisme et celle contre
les maladies émergentes ou réémergentes ? Réponse : leurs cibles
communes, à savoir les agents pathogènes. Christophe Bossuet,
chef de projet du programme interministériel NRBC-E au CEA,
explique : « Les agents de ce qu’on appelle “la menace potentielle bioterroriste”
posent également souvent des problèmes de santé publique1. » C’est le cas du
virus Ebola ou ceux d’autres fièvres hémorragiques comme Marbourg ou Lassa,
des henipavirus*, de la bactérie Yersinia pestis, responsable de la peste, de
certaines toxines... Ces agents, qui provoquent pour certains des affections
qualifiées d’émergentes ou de réémergentes, sont susceptibles d’être employés
lors d’une attaque terroriste.
« En 2001, les attaques au bacille du charbon qui ont eu lieu aux États-Unis ont
montré que le risque bioterroriste était bien réel, relate Christophe Bossuet. Pour
Suivi de marquage cellulaire.
© P. Stroppa/CEA mettre au point une stratégie de prévention, ainsi que des traitements, la France
a lancé en 2005 le programme interministériel de recherche et développement
« IDMIT 1 naît de la rencontre entre NRBC-E. » Fort de ses compétences dans les domaines radiologique, chimique
une demande extérieure et un mais aussi biologique, le CEA a été désigné par les pouvoirs publics pour
savoir-faire du CEA » explique Roger coordonner et mener les travaux en lien avec la DGA2 et le SGDSN3, en
Le Grand, responsable du service y associant d’autres organismes de recherche. Objectif : développer et
d’Immuno-virologie. IDMIT, labellisée transférer vers l’industrie des technologies de détection, de traitement, de
« Infrastructure nationale pour
décontamination. Quant au passage de la défense à la santé publique, il se
la biologie et la santé », est à la fois un
centre de recherche et une plateforme fait naturellement : en lien étroit avec les pouvoirs publics, les chercheurs du
dédiés à la recherche préclinique sur programme NRBC-E diffusent volontiers leurs travaux pour le bien commun.
les maladies infectieuses. Implantée à « Nous faisons attention à ne pas donner d’informations qui pourraient rendre
Fontenay-aux-Roses, coordonnée par le pays vulnérable, indique Christophe Bossuet. Cependant, la dualité de nos
le CEA, elle associe l’Institut Pasteur, recherches, qui s’appliquent tant à la défense qu’à la santé, s’avère primordiale
l’université Paris-Sud, l’Inserm, pour nous. »
l’ANRS et Bertin Pharma. IDMIT est
ouverte aux communautés scientifique
et industrielle, à qui elle propose son 1
Le Centre pour le contrôle des maladies (CDC),
expertise et ses capacités en analyse Henipavirus aux États-Unis, tient une liste publique des agents
Les henipavirus, Hendra et Nipah, ont pathogènes de la menace bioterroriste. Cependant,
cellulaire, génomique fonctionnelle, été découverts dans les années 1990. chaque pays établit sa propre liste, confidentielle.
métabolomique et imagerie in vivo. Responsables d’hémorragies et œdèmes 2
pulmonaires, ils provoquent une mort Direction générale de l’armement.
1
Infectious Diseases Models for Innovative fulgurante chez les animaux et les humains. 3
Secrétariat général de la défense et de la sécurité
Therapies, voir http://www.idmitcenter.fr/ nationale.
DÉTECTION
Diagnostiquer
pour mieux Identifier
des marqueurs
intervenir spécifiques
A
Combiner l’analyse
immunologique à la spectrométrie
oût 2014 : la flambée d’Ebola société Vedalab1, mise au point des dosages, de masse, tel est le défi
en Afrique de l’Ouest est décla- validation au Laboratoire de haute sécurité mi- qu’ont relevé les chercheurs
rée « urgence de santé publique crobiologique de niveau P4 (Inserm) à Lyon sur du Laboratoire d’étude du
de portée internationale » par la souche virale qui sévit en Afrique de l’Ouest... métabolisme des médicaments
l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Nous étions sur tous les fronts », se souvient (LEMM) du CEA-IBITECS, à Saclay.
En d’autres termes, l’épidémie est hors de Laurent Bellanger, responsable du LICB. Fin L’idée : identifier des marqueurs
contrôle dans les États touchés. Aussitôt, les novembre 2014, moins de quatre mois après peptidiques* spécifiques de
chercheurs du Laboratoire d’ingénierie cellu- l’alerte de l’OMS, le test est prêt. Il est actuel- cibles, agents pathogènes ou
laire et biotechnologie (LICB) du CEA-IBITECS, lement en cours d’évaluation sur le terrain en toxines, pour pouvoir les détecter.
à Marcoule, se lancent dans la mise au point Guinée. Baptisé eZYSCREEN®, il a le format « D’abord, nous capturons la cible
d’un test de détection rapide avec, dans leur d’un test de grossesse et s’utilise directement grâce à des anticorps fixés sur
escarcelle, des bio-molécules qui peuvent à partir d’une goutte de sang, de plasma ou des billes magnétiques et puis
reconnaître spécifiquement le virus Ebola. de sérum (Voir schéma p. 08 - 09). Sa mise au la concentrons grâce à un aimant.
« Prise de contact avec un fabricant de test, la point rapide est l’un des exemples frappants Elle est ensuite lysée pour libérer
de l’engagement du CEA dans la recherche des marqueurs peptidiques,
sur la détection des agents pathogènes, dont explique François Becher, du
Le virus Ebola (en rouge)
en microscopie électronique.
certains responsables de maladies émergentes LEMM. Nous identifions ceux qui
© NIAID lui sont spécifiques par l’analyse
en spectrométrie de masse
d’une collection de souches de
l’agent, en collaboration avec
l’Institut Pasteur. » Ce même outil
permet ensuite de repérer, dans
un prélèvement biologique,
les marqueurs spécifiques
d’une cible et ainsi de révéler sa
présence. Applicable à la santé
publique ou à la défense, cette
technique vient en complément
des tests immunologiques ou
génétiques (PCR).
Peptidiques
Les peptides sont des assemblages
d’acides aminés et constituent notamment
les protéines.
Le banc de spectrométrie de
masse (IBITECS) permet de
détecter des doses infimes
d’agent biologique.
© L. Godart/CEA
les tests de diagnostic sont de deux ordres : point des tests de détection rapide de la peste
immunologiques ou génétiques », précise alors et d’autres infections bactériennes graves,
Christophe Bossuet. Les tests immunologiques comme la morve ou la mélioïdose.
« La peste n’est pas une maladie du passé,
explique Stéphanie Simon, responsable du
laboratoire. Elle sévit encore en Inde, en Chine,
Lymphocytes au Brésil... Et sans que nous ne comprenions
Cellules du système immunitaires, appelées
également globules blancs, producteurs d’anticorps. vraiment pourquoi, elle réémerge dans certaines
Immortalisées parties du globe, comme en Algérie en 2003. »
Une cellule est dite immortalisée lorsqu’elle a acquis, À la manière d’un test rapide de grossesse, la
sous l’effet d’un traitement adapté, la capacité à
se diviser de façon illimitée. bandelette mise au point au LERI, sur laquelle
sont fixés des anticorps monoclonaux dirigés
contre Yersinia pestis, affiche une ligne violette
1
Société spécialisée dans la fabrication de diagnostics si le bacille est présent dans le sang du patient.
rapides, basée à Alençon (Orne), www.vedalab.com
2
Polymerase Chain Reaction ou réaction
« En seulement une demi-heure, les primo-inter-
de polymérisation en chaîne. venants peuvent confirmer ou non une suspi-
Principe de fonctionnement
d'eZYSCREEN,
test de diagnostic
rapide du virus Ebola
Le test eZYSCREEN, actuellement en cours
d’évaluation en Afrique de l’Ouest. Le test de diagnostic est réalisé dans un boîtier rectangulaire de quelques
© L. Godart/CEA
centimètres, comprenant une petite ouverture pour déposer l'échantillon
prélevé sur une personne (goutte de sang, de sérum ou de plasma)
et une fenêtre de lecture du résultat.
sondes génétiques mises au point au CEA à Une fois à l'intérieur du boîtier, l'échantillon migre par capillarité,
Marcoule, contre les virus des fièvres hémor- franchissant la bande test puis la bande de contrôle.
ragiques (Ebola, Marbourg, Machupo...) ou Environ 15 minutes après le dépôt de l'échantillon, le résultat du
contre des bactéries (Bacillus Anthracis, Yersi- diagnostic apparaît dans la fenêtre de lecture : il est négatif si une bande
nia pestis...), sont si précises qu’il est possible apparaît, positif si deux bandes apparaissent. Explications.
de mener plusieurs diagnostics sur le même
échantillon ; c’est le multiplexage. « Nous avons
aujourd’hui des tests en quadruplex, c’est-à-
dire dirigés contre quatre pathogènes en même
temps », indique Fabienne Gas. Ces sondes gé-
nétiques ont d’ores et déjà été envoyées dans
un centre hospitalier à Lille pour y être testées.
On l’aura compris, les molécules de recon-
Absence de virus
naissance conditionnent l’efficacité d’un dia- dans l’échantillon
gnostic. Les chercheurs du CEA engagés dans
la lutte contre les pathogènes émergents ou ré-
émergents en sont conscients. Christophe Bos-
suet le résume ainsi : « mettre au point un bon
test de détection, qu’il soit immunologique ou
génétique, c’est d’abord avoir les bons réac-
tifs. » Et en la matière, les laboratoires du CEA La migration de l’échantillon
recèlent des trésors. entraîne les Ac antivirus marqués,
liés ou non à des virus.
Présence de virus
dans l’échantillon
Ac = anticorps
? Dépôt de l’échantillon
Bande test
Bande de contrôle
En l’absence de virus,
les Ac antivirus marqués Les Ac marqués dépourvus de virus
continuent leur migration. se lient aux Ac anti-anticorps immobilisés.
La bande de contrôle apparaît en rouge,
confirmant que l’échantillon a bien migré
et que le test a bien fonctionné.
Des stratégies
Vers un super vaccin ?
Cependant, la partie n’est pas toujours défi-
rebelles
qui sont donc les plus susceptibles d’être
encore présentes. Et les nouvelles souches,
comme H5N1, posent de sérieux problèmes.
« Parce qu’ils ont profondément muté, certains
virus grippaux sont susceptibles de provoquer
P
des pandémies contre lesquelles nous n’avons
aucun moyen de protection », explique Roger
our se prémunir contre les agents base d’ADN synthétique). « Le chikungunya, Le Grand. D’où les recherches menées au CEA
pathogènes responsables de mala- identifié dans les années 1950 en Afrique de pour mettre au point un vaccin universel contre
dies émergentes ou réémergentes, l’Est, est transmis par les moustiques Aedes, la grippe. Les biologistes essaient d’identifier
deux solutions : le vaccin ou le trai- indique Pierre Roques, qui a participé à ces des parties communes à tous les virus.
tement médicamenteux. Dans ce domaine, recherches. D’abord confiné à l’Afrique et à Une autre pandémie résiste encore aux
Ebola, chikungunya, VIH, H5N1 ou encore l’Asie du Sud, il se répand maintenant sur tous virologues : celle du VIH. Aujourd’hui, plus
Mycobacterium tuberculosis ne sont pas logés les continents et pose un vrai problème de santé de 35 millions de personnes vivent avec lui.
à la même enseigne : certains se laissent faci- publique. » On se souvient de l’épidémie de Jusqu’à présent, le sida a fait 39 millions de
lement apprivoiser, d’autres résistent encore chikungunya dans les îles de l’océan Indien, victimes. Bien que la recherche d’un vaccin
et toujours aux biologistes. « Chaque micro-or- notamment sur celle de la Réunion, en 2005, ait débuté rapidement après l’identification du
ganisme a ses spécificités qui vont influencer la qui avait affecté plusieurs centaines de mil- virus dans les années 1980, les résultats sont
stratégie vaccinale », observe Roger Le Grand,
directeur du Service d’immuno-virologie (SIV)
du CEA-IMETI.
Récemment, des rongeurs et des primates
modèles ont pu être protégés contre le chikun-
gunya à l’aide de vaccins développés dans le
cadre du projet européen ICRES1 dont le SIV
est partenaire (deux vaccins à base de virus
atténué et génétiquement modifié, et un à
Contenir le virus
En attendant, les traitements se révèlent de
plus en plus efficaces. Pris moins souvent, avec
moins d’effets secondaires, ils permettent de
contenir le virus, à défaut de l’éliminer totale-
ment. Ils peuvent même être utilisés en prophy-
laxie (mais le préservatif reste à ce jour le seul
moyen de protection réel contre le VIH). « Les
traitements post-exposition peuvent empêcher une dose mortelle pour l’Homme », explique
Ce cytomètre en flux permet de certaines contaminations et les crèmes micro- Daniel Gillet, responsable de l’équipe Interac-
réaliser des analyses cellulaires bicides, vaginales ou rectales, présentent un tions toxines membranes du Laboratoire de
multiparamétriques.
© P. Stroppa/CEA
taux d’efficacité de 50 %, décrit Roger Le Grand. toxinologie moléculaire et biotechnologies
Ce n’est pas la panacée, mais c’est déjà une (LTMB) du CEA-IBITECS. Retro-2 combat la
première barrière. » ricine en bloquant son transport à l’intérieur
Les technologies Des traitements contre d’autres maladies de la cellule (transport dit « rétrograde », de la
au service de
émergentes pourraient aussi voir le jour surface de la cellule vers le réticulum endoplas-
grâce aux recherches sur le bioterrorisme. mique). Or, cette molécule a aussi montré son
la santé Les équipes du CEA-IBITECS ont récemment
identifié des molécules, dont l’une appelée
efficacité contre la toxine de Shiga, produite
par certaines souches de la bactérie Escheri-
Pour conduire leurs recherches Retro-2, protégeant des rongeurs contre des chia coli dont l’une a provoqué une épidémie
sur les maladies émergentes, doses mortelles de ricine. « Une vingtaine de sans précédent en 2011 en Allemagne2 . « De
les scientifiques du CEA milligrammes de cette toxine végétale constitue nombreux autres micro-organismes empruntent
disposent de technologies
aussi cette voie rétrograde », note Daniel Gil-
innovantes. Ainsi le CEA-IMETI
accueille-t-il la plateforme de 1
Integrated Chikungunya RESearch, www.icres.eu
let. De là à envisager un traitement « à large
cytométrie en flux FlowCyTech. 2
Des graines germées de fenugrec contaminées spectre », il n’y a qu’un pas que les scientifiques
« Couplé à un spectromètre de par une souche d’E. coli ont provoqué des n’ont pas hésité à franchir : les tests ont com-
masse, le cytomètre en flux de intoxications alimentaires, entrainant des diarrhées
hémorragiques, des syndromes hémolytiques
mencé sur Ebola et les résultats sur le parasite
type CyTof peut déterminer et urémiques, et près de 50 décès. Leishmania sont d’ores et déjà concluants.
une quarantaine de paramètres
cellulaires contre seulement une Graines de ricine.
vingtaine dans les machines © L. Godart/CEA
standards », explique Antonio
Cosma, son responsable. En
analysant les cellules une à une,
le CyTof permet par exemple de
détecter les antigènes en surface
ou de comparer l’action de
candidats-vaccins. Cette action
peut également être évaluée
par imagerie optique. Catherine
Chapon, du SIV, analyse
les mécanismes immunologiques
déclenchés par la vaccination, en
marquant à l’aide de fluorophores
des antigènes et des cellules
immunitaires. « Nous évaluons
ainsi le comportement des cellules
face au vaccin, contre le VIH
notamment. »
BIOÉNERGIES
Cocktail
enzymatique
pour dégradation
de biomasse
MÉCANISME MOLÉCULAIRE végétale
Le rôle bénéfique du
La majeure partie de la biomasse
végétale, non consommable par
l’Homme, est composée de lignine
M
débris végétaux, telle Clostridium
aladies de la « vache folle », de elle s’accumule dans le noyau de la cellule où phytofermentans qui les transforme en
Creutzfeldt-Jakob, tremblante du elle interagit avec une enzyme, l’APE1, et sti- éthanol et hydrogène. Des chercheurs
mouton... Le prion est tristement mule son activité réparatrice de l’ADN. du Genoscope au CEA-IG se sont
célèbre depuis les années 90. Il est alors dési- Ce résultat a été obtenu en comparant la intéressés aux enzymes mises en jeu
gné responsable, sous une forme anormale, de réponse à un stress oxydatif de modèles ron- lors de ces transformations. Ils en
la transmission et du développement de ces geurs capables ou non de produire la PrP, ont ainsi purifié 56 et précisé le rôle
maladies dégénératives du système nerveux puis in vitro, sur des neurones prélevés chez de 32 d’entre elles. La dégradation
central. Pourtant, la protéine prion sous sa ces modèles. Les chercheurs étudient désor- de la biomasse a pu être modélisée
forme normale (PrP) est présente chez tous les mais l’éventuel rôle protecteur de PrP vis-à-vis pour cette bactérie, montrant en
mammifères, notamment dans les neurones. d’autres types d’agressions de l’ADN (rayons particulier que la transformation d’un
Des chercheurs du CEA-IRCM et du CEA-IMETI ionisants, certains médicaments utilisés en polysaccharide nécessite l’action
viennent de découvrir sa fonction, jusqu’alors chimiothérapie...) ou pour d’autres cellules combinée de plusieurs enzymes.
inconnue : elle est bénéfique pour les cellules ! que les neurones. Ces résultats faciliteront l’ingénierie
La PrP intervient en effet dans la réparation des de mélanges enzymatiques pour
dommages de l’ADN liés à un stress oxydatif : In Nucleic Acids Research. la production industrielle de
surexprimée très vite après le début du stress, sur www-dsv.cea.fr/presse biocarburants ou d’autres molécules
d’intérêt à partir de débris végétaux.
In PLoS Genetics
sur www-dsv.cea.fr/presse
MALADIE RARE
la maladie de Rendu-Osler
U
ne équipe du CEA-IRTSV a mis au permet de reconnaître les mutations génétiques
point un test cellulaire pour dia- responsables de la maladie, qui rendent inac-
gnostiquer la maladie héréditaire de tives certaines protéines de la paroi des vais-
Rendu-Osler, qui affecte 1 personne sur 8 000 en seaux sanguins. Outil de diagnostic chez des
France. Celle-ci provoque des saignements du sujets à risque, il pourra également aider à la
nez, des dilatations artério-veineuses au niveau recherche de nouvelles pistes thérapeutiques.
des muqueuses ou des organes vitaux, comme
le poumon, le foie ou le cerveau. Ce test simple In Human Moleculars Genetics.
TOXICOLOGIE
U
ne nouvelle génération d’agents de rant spécifiquement les cellules des vaisseaux
contraste* est développée par une qui alimentent ces tumeurs. À long terme, ils
équipe du CEA-IBEB et du CEA-I2BM souhaitent pouvoir ajouter des fonctions sup-
à partir de nano-aimants produits naturelle- plémentaires à la surface des nano-aimants :
ment par des bactéries. Non toxique et biocom- par exemple, une molécule thérapeutique qui
patible, elle pourra révéler par IRM des biomar- traiterait spécifiquement la zone malade.
queurs spécifiques de pathologies, permettant Ces travaux sont financés par l’Agence natio-
Structure de l’enzyme transpeptidase.
ainsi leur diagnostic à des stades très précoces, nale de la recherche à hauteur de 1,5 million © CEA
notamment pour les cancers. Des agents de d’euros.
contraste sont déjà utilisés aujourd’hui en ima-
In Advanced Healthcare Materials. Une protéine qui
gerie par IRM pour des examens cliniques, mais
protège les cancers
certains d’entre eux présentent des risques de Comparé à un agent de contraste IRM
toxicité pour le patient. commercial (à gauche), une dose très faible de Une équipe du CEA-IMETI prouve in vivo
nano aimants peut encore être détectée dans le que la protéine HLA-G protège les
Ces nouveaux agents de contrastes ont montré cerveau de souris avec un scanner IRM à très
une grande efficacité pour diagnostiquer une haut champ magnétique de 17,2 T (à droite) cancers contre le système immunitaire.
tumeur cérébrale chez un modèle rongeur. Pour
© CEA Normalement exprimée dans le placenta
cela, les chercheurs les ont fonctionnalisés en pour empêcher l’organisme de la mère
accrochant à leur surface une protéine repé- de rejeter le fœtus, cette protéine l’est
également souvent dans les cancers,
mais son rôle n’avait toujours pas été
Agent de contraste confirmé. HLA-G constitue ainsi une cible
En imagerie médicale, composé qui augmente
artificiellement le contraste pour visualiser une potentielle pour de nouvelles thérapies
structure anatomique pathologique naturellement anticancéreuses.
peu ou pas contrastée.
In Journal of Cancer.
Brèves de science
IMAGERIE / GÉNÉTIQUE
Apprendre à lire
pour mieux voir Des gènes impliqués dans la taille
des structures cérébrales
L’apprentissage de la lecture modifie
l’organisation du cerveau. Une équipe
U
du CEA-I2BM montre, en utilisant
l’électro-encéphalographie, qu’elle ne étude croisant neuro-imagerie d’Alzheimer. Cette étude internationale,
améliore le codage visuel précoce, de par IRM et analyses génétiques impliquant 193 laboratoires, a confronté les
sorte qu’un bon lecteur discrimine mieux relie des mutations à des variations données de 30 700 individus. Dans ce cadre,
et plus rapidement qu’un analphabète dans la taille des régions sous-corticales. La les chercheurs du CEA-I2BM ont piloté des
deux formes qui se ressemblent. taille de ces structures cérébrales profondes analyses IRM sur des cohortes de 2 000 sujets.
In Proceedings of the National se répercuterait sur les performances cogni- Les données recueillies ont conduit à des ana-
Academy of Sciences. tives, phénomène observé dans la maladie lyses statistiques sans précédent. Résultat :
les volumes des structures sous-corticales
Localisation de certaines structures
sous-corticales sur une coupe de substance s’avèrent conditionnés génétiquement. En
Le rôle d’une protéine grise du cerveau obtenu en IRM. effet, des variants génétiques ont été reliés à
dans le cancer du sein Rouge : noyau caudé, vert : putamen,
bleu : pallidum, jaune : thalamus. une taille anormalement faible de certaines
Une équipe franco-américaine impliquant © CEA régions, notamment 5 d’entre eux au puta-
le CEA-IRCM a identifié et caractérisé men, zone impliquée dans la motricité, et un
Trim37, une protéine surexprimée dans à l’hippocampe, région essentielle pour la
une forte proportion des cancers du sein. mémorisation. L’identification de ces ano-
Celle-ci joue un rôle important dans la malies génétiques constitue une nouvelle
cancérisation des cellules en inhibant étape pour évaluer les facteurs de risque de
les gènes suppresseurs de tumeurs. développer une maladie neurodégénérative,
Elle pourrait être la cible de nouvelles comme celles de Parkinson ou d’Alzheimer.
thérapies médicamenteuses ou géniques.
In Nature.
In Nature.
Vieillissement cérébral :
chromosomique original de détermination
du sexe. Des chercheurs du CEA-IG
L
des chromosomes U et V déterminent leur
sexe, ce dernier étant dominant : quel que es neurones sont créés par division et
soit le nombre de chromosomes U, un seul différentiation des cellules souches
V suffit à obtenir un individu mâle. neurales. Or cette neurogenèse ralen-
In Current Biology. tit avec l’âge. Ce vieillissement cérébral est-il
dû à une perte de cellules souches neurales ou
à une diminution de leur capacité à proliférer ?
Une équipe du CEA-IRCM vient de trancher
la question chez un modèle rongeur. Cette
étude montre qu’avec l’âge, les populations
de cellules souches restent inchangées, mais
que le nombre de leurs descendantes par divi-
sion diminue. La capacité à proliférer de ces La neurogénèse diminue avec l’âge.
© Fotolia
cellules est donc en cause, la période entre
deux divisions augmentant avec l’âge. Cela se aujourd’hui l’exploration de ce mécanisme,
traduit ainsi par une diminution globale de la espérant à terme trouver un levier pour favo-
neurogenèse. Les chercheurs ont également riser la neurogenèse chez les patients âgés
Cellules d’un filament d’algue brune montré l’implication dans ce phénomène de ou irradiés.
multicellulaire « Ectocarpus siliculosus » TGF-β, un facteur de signalisation cellulaire
au microscope.
© CNRS Photothèque/Delphine SCORNET qui augmente avec l’âge. Ils poursuivent In Stem Cells.
BIOLOGIE STRUCTURALE
U
bénéficie ainsi de 1,5 million d’euros pour cinq
ne équipe de l’IBS a réalisé la sé- ans pour la création d’une équipe et l’acquisition
quence en 3D d’une interaction entre À l’état libre, la nucléoprotéine (NT, en d’équipements qui lui sont dédiés.
2 protéines du virus de Sendai (« cou- jaune, avec son site actif en vert) change
très rapidement de conformation. Une de
sin » du virus de la rougeole) indispensable à ces conformations est privilégiée pour
sa multiplication. Une performance, puisqu’il la rencontre avec la phosphoprotéine
s’agit de protéines dites désordonnées, qui (PX, en orange). NT reste d’abord CANCER
dynamique à la surface de PX avant de
changent sans cesse de formes et se laissent
très difficilement observer. Les chercheurs
se fixer au site d’interaction spécifique.
© CEA Raccourcir les
ont mis au point une nouvelle technique pour chromosomes pour
filmer l’interaction de ces deux acteurs très nées interviennent dans des mécanismes
freiner les tumeurs
U
agités, en associant de multiples mesures par biologiques essentiels comme la réplication
spectroscopie RMN1. Ils ont observé, en relief et de l’ADN, ainsi que dans de nombreux pro- ne équipe franco-américaine
à l’échelle atomique, les différentes étapes du cessus pathologiques. D’où l’intérêt de cette impliquant le CEA-IRCM tient
passage de la forme libre et flexible de la pre- méthode pour mieux comprendre la fonction une nouvelle piste pour stopper
mière protéine (une nucléoprotéine) jusqu’à de ces protéines et éventuellement développer la prolifération effrénée des cellules malignes
son ancrage sur la surface de la seconde (une de nouvelles molécules pharmacologiques. de certains cancers. L’idée consiste à
phosphoprotéine). Outre l’exploit technique, forcer les cellules cancéreuses à vieillir.
ces résultats sont d’autant plus importants que In Journal of the American Chemical Society. Comment ? Les extrémités des chromosomes,
cette interaction est indispensable à la répli- sur www-dsv.cea.fr/presse les télomères, d’une cellule normale
cation du virus et donc à l’infection de l’hôte. vieillissante se raccourcissent à chaque
De manière générale, les protéines désordon- 1
Résonance magnétique nucléaire. division. En revanche, les cellules malignes
font appel à des mécanismes pour allonger
leurs télomères et devenir immortelles. Un de
ces mécanismes, appelé ALT pour Alternative
Lengthening of Telomeres (allongement
MÉCANISME MOLÉCULAIRE alternatif des télomères), est à l’œuvre dans
les glioblastomes (tumeur cérébrale) et les
Activation d’enzymes bactériennes ostéosarcomes (cancer des os). Il repose sur la
U
à ce mécanisme, ainsi qu’un composé
ne équipe du CEA-IBEB décrit atome de soufre, très réactif, sur un co-facteur. chimique qui l’inhibe, VE821. Ils ont montré
le mécanisme d’activation Opération qui serait réalisée par une protéine que VE821 déclenche la mort des cellules
d’enzymes bactériennes, les qui jouerait le rôle de tunnel entre le donneur malignes et n’a aucun effet sur les cellules
formiate déshydrogenases, qui transforment et le receveur de soufre. La compréhension saines. Une prochaine étape consistera à tester
naturellement le CO2 en acide formique. Ce du mécanisme d’activation de ces enzymes ces composés in vivo sur un modèle rongeur.
dernier constitue une forme intéressante de est une première étape pour développer des In Science.
stockage et de transport de l’énergie : il peut biotechnologies appliquées aux énergies
être décomposé à la demande en CO2 et renouvelables.
en hydrogène, par exemple pour alimenter Recombinaison homologue
une pile à combustible. Ce mécanisme met Mécanisme fondamental de réparation des lésions de
In Nature Communications. la molécule d’ADN.
en jeu une opération délicate : l’apport d’un sur www-dsv.cea.fr/presse
• Sur www-dsv.cea.fr/ceabio
© National Cancer Institute
CEAbio n° 04 - mars 2015 Éditeur CEA Fontenay-aux-Roses - 18, route du Panorama, BP 6, 92265 Fontenay-aux-Roses CEDEX / Directeur de la publication Gilles Bloch / Rédactrice en chef Claire Abou /
Ont participé à ce numéro Stéphanie Delage, Fabrice Demarthon, Christophe Perrin, Patrick Philipon / Diffusion Janet Dias / Conception graphique Efil communication (www.efil.fr) /
N° ISSN 2 2 7 4 13 80 / Impression Gilbert Clarey (Chambray-lès-Tours), imprimeur labellisé Imprim’vert (charte pour la réduction de l’impact environnemental, la traçabilité et le traitement des déchets)
Papier certifié PEFC / 10-31-1073 (garantie d’une gestion durable des ressources forestières) / dsv@cea.fr