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M I S E A U P O I N T M y c o l o g i e

Physiopathologie et diagnostic des candidoses systémiques


! D. Poulain*

RÉSUMÉ. L’augmentation considérable de la prévalence des candidoses profondes parmi les infections nosocomiales a placé cliniciens, bio-
logistes médicaux, chercheurs et administratifs face à des problèmes scientifiques, médicaux et économiques auxquels leurs formations res-
pectives ne les avaient pas préparés. Depuis dix ans, des investissements et des progrès importants ont été réalisés dans chacun de ces
domaines complémentaires de santé publique. Pour que ces investissements soient efficaces, il faut ne pas sous-estimer la complexité du pro-
blème global à circonscrire.
Les candidoses profondes sont des infections polymorphes. Elles dépendent de la maladie primaire du patient, des actes médico-chirurgicaux
mis en œuvre pour la traiter, des antécédents. Ces différents facteurs affectant l’homéostasie agissent en synergie. Ils favorisent la transforma-
tion de levures inoffensives, en général hébergées par le patient à son entrée à l’hôpital, en germes capables d’envahir virtuellement tous les
tissus. Les facteurs de risque sont bien connus des différents services hébergeant des patients à prise en charge lourde, mais le diagnostic reste
très difficile. C’est dans la règle l’existence d’une fièvre prolongée résistante aux antibiotiques qui fait évoquer, avec retard, la probabilité d’une
candidose. Les attitudes de traitement prophylactique ou probabiliste sont très diverses.
Les recherches portent surtout sur Candida albicans, l’espèce la plus pathogène du genre. Elles visent à comprendre pourquoi et comment cette
levure perçoit les modifications physiologiques de son hôte et s’y adapte ; elles ont comme point commun de démontrer l’extrême versatilité de
ce micro-organisme. De 6 000 à 8 000 gènes répartis sur huit paires de chromosomes sont en cause et leur distribution varie selon les souches.
L’analyse de la taille des chromosomes et de la répartition de séquences répétées de taille très variable permet de caractériser les souches. Des
études de grande échelle utilisant ces typages commencent à suggérer que des souches particulières pourraient correspondre à un statut d’hôte.
La démonstration d’une expression génétiquement régulée de phénotypes alternatifs permet quant à elle de concevoir, au sein d’une même
souche, une évolution orientée par la pression sélective du milieu. Les capacités d’adhérence aux tissus de l’hôte, de filamentation à la base de
la pénétration, de sécrétion d’enzymes lytiques sont régulées par des voies de transduction et des facteurs de transcription qui commencent à
être élucidés. Il en est de même de la machinerie biochimique complexe impliquant les transcrits enzymatiques et structuraux qui, en assem-
blant la paroi, détermine la forme de la cellule et la nature des molécules exposées à sa surface. Le point commun de toutes ces études est la
mise en évidence de la redondance apparente de systèmes qui sont en fait mis en œuvre dans des circonstances différentes et conditionnent la
survie. Le rôle physiopathologique des sucres, en particulier des résidus mannose, en matière d’adhérence et d’immunomodulation est mainte-
nant établi. La régulation de la glycosylation représente un second système, versatile et puissant, pour échapper aux réactions de défenses natu-
relles ou acquises.
Depuis de nombreuses années, les biologistes ont dérivé de ces recherches fondamentales des outils à visée diagnostique. L’isolement et l’iden-
tification de levures pour évaluer l’état de colonisation d’un patient peuvent s’opérer dans des délais de l’ordre de 24 à 48 heures. Les hémo-
cultures conservent une sensibilité faible, mais qui a été néanmoins accrue. La PCR, encore au stade expérimental, fournit des résultats
prometteurs. Des méthodes de détection de molécules circulantes autres que l’ADN sont au point et disponibles. La détection d’anticorps four-
nit dans de nombreux cas des résultats que l’on ne saurait négliger. Il est ainsi possible de disposer de renseignements sur au moins l’un des
acteurs de l’infection, l’agent infectieux. Le suivi régulier des paramètres mycologiques et sérologiques permet d’apprécier ce que l’on peut
dénommer les “facteurs de risque biologique” propres à un patient. Il est sûrement préjudiciable de ne pas les intégrer avec les facteurs de
risque intrinsèques et iatrogènes, selon des algorithmes clinicobiologiques qui restent à concevoir pour aider à la décision thérapeutique.
Mots-clés : Candidoses - Pathogenèse - Diagnostic.

DE QUOI PARLONS-NOUS ? Les espèces qui présentent le plus souvent ce comportement


(Candida albicans et Candida glabrata – tableau I) sont celles
Les candidoses profondes sont des infections polymorphes
dont l’habitat naturel est le tube digestif humain. Le terme d’in-
déterminées par des champignons unicellulaires (levures), inof-
fection nosocomiale doit donc être utilisé avec prudence, en
fensifs pour le sujet sain, qui trouvent en milieu hospitalier des
ce qu’il sous-entend une contamination en milieu hospitalier.
conditions favorables à un développement pathogène (1-3).
Dans la règle, c’est la souche hébergée par le patient qui,
par la conjonction de la maladie primaire et des actes médico-
chirurgicaux mis en œuvre pour la traiter, trouvera des condi-
tions qui vont favoriser son développement pathogène. Les
*Laboratoire de mycologie fondamentale et appliquée. Équipe INSERM 9915 et
service de parasitologie-mycologie, faculté de médecine, pôle Recherche,
patients à risque de candidose profonde sont en général ceux
CHRU de Lille, 59000 Lille. dont la prise en charge est lourde (hématologie oncologique,

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Tableau I. Principales espèces du genre Candida pouvant être pathogènes pour l’homme. Implications respectives (pourcentages approxi-
matifs) dans différents types de pathologies.

Espèce Fréquence (%) des espèces dans les mycoses Biotope Caractère Résistance
cutanées muqueuses profondes spécifique aux azolés
vaginales associées
à l’infection
par le VIH*

C. albicans A & B[1] 80 80 80/60 50-60 Endo **


C. stellatoidea I & II [1]
Endo
C. dubliniensis ? ? 20 ? Endo
C. glabrata 5 10 10 20 Endo Haploïde Acquise
C. tropicalis 5 10 10 Exo Acquise ?
C. parapsilosis 10 5 Ecto 3 génotypes
C. krusei 10 5 Exo Intrinsèque

Endo : endosaprophyte (tube digestif ± vagin) ; ecto : ectosaprophyte possible de la peau ; exo : saprophyte proliférant habituellement en l’absence de contact direct
avec l’homme.
[1]
C. albicans et C. stellatoidea sont considérées comme cospécifiques, mais chacune comprend deux sous-groupes différents par leur épidémiologie.
* Les candidoses représentent la mycose la plus fréquemment associée à l’infection par le VIH (35 % associées à la séropositivité) puis juqu’à 90 % au stade sida. Les
candidoses oropharyngées sont de survenue quasi systématique pour un taux de CD4 < 400 ; de nombreuses complications résultent alors de leur extension pos-
sible à l’œsophage. Elles sont difficiles à traiter en raison du manque de coopération du système immunitaire. L’administration répétée d’imidazolés contribue alors
sans doute à ce que des espèces telles que C. glabrata ou C. krusei a priori moins pathogènes, mais résistantes à ces composés, se substituent à C. albicans pour
déterminer les lésions. Paradoxalement, il semble que la fréquence des candidoses vaginales ne soit pas affectée par une chute du nombre de CD4. Cette obser-
vation corrobore les hypothèses récentes selon lesquelles les candidoses vaginales procéderaient de mécanismes de défense particuliers.
** Les connaissances sur les mécanismes moléculaires de la résistance de C. albicans aux azolés ont nettement progressé ces dernières années. En situation clinique,
des résistances ont surtout été caractérisées lors d’épisodes cutanéo-muqueux récidivants. En milieu hospitalier, des traitements par des doses initiales trop faibles
ou une chimioprophylaxie intense semblent avoir une incidence sur l’augmentation de la CMI, mais ce dernier point reste extrêmement controversé. Dans
quelques cas de candidoses profondes chez des patients leucémiques ou greffés de moelle, la conjonction du “terrain” des traitements immunosuppresseurs a
abouti à des échecs thérapeutiques discordants avec la sensibilité observée in vitro.
Ces données seront affinées grâce à la mise au point de tests simples permettant de différencier C. dubliniensis de C. albicans.

cancérologie, réanimation médicale et chirurgicale, pédiatrie, tif. Ce dernier exemple démontre bien que, pendant très long-
brûlés, gériatrie). Les facteurs intrinsèques ou iatrogènes favo- temps, l’importance des candidoses a été sous-estimée. Il y a à
risant le développement des candidoses sont parfaitement cela plusieurs raisons :
connus des services hébergeant les patients à risque (4) ! La levure elle-même, ne présentant aucun danger pour le sujet
(figure 1). Les formes cliniques diffèrent selon les facteurs de sain, n’a pas été prise au sérieux comme pathogène.
risque, et donc selon les services. Dans la plupart des cas, elles ! Avant la survenue des co-infections avec le VIH, la notion
miment des infections bactériennes et c’est bien souvent l’exis- d’opportunisme était une notion dialectique réservée à quelques
tence d’un syndrome infectieux résistant aux antibiotiques qui biologistes initiés.
fait évoquer le diagnostic de candidose (figure 2 "). La can-
didose systémique procède généralement d’une dissémination ! Lorsque les candidoses étaient avérées, cela était considéré
des Candida à point de départ digestif mais peut être liée à une comme un événement annonciateur d’un pronostic défavorable
infection locale (cathéter, péritoine, poumon). Durant cette beaucoup plus que comme sa cause.
phase, il est très difficile de mettre les Candida en évidence ! Les thérapeutiques modernes sont de plus en plus efficaces :
dans le sang, mais elle est critique puisque, lors de telles can- à gravité égale, le pronostic des patients hospitalisés ne cesse
didémies, le pourcentage de mortalité directement attribuable de s’améliorer. Toutefois, ces thérapeutiques sont aussi de plus
à la levure est estimé à 40 %. Pour les patients qui survivent, en plus agressives et favorisent le développement des Candida.
les Candida quittent la circulation et déterminent des foyers
infectieux dans de nombreux organes, dont la nature dépend Cet état de fait a été révélé par les grandes études épidémiolo-
d’ailleurs de l’état physiologique de l’hôte. Ce sont les candi- giques conduites aux États-Unis et publiées à partir des années
doses hépatospléniques des patients d’hématologie clinique, 90, qui ont montré que les Candida se situaient au quatrième
les candidoses rénales, les candidoses articulaires d’apparition rang des agents infectieux en milieu hospitalier (5). Depuis, ces
plus tardive qui se manifestent souvent lorsque le patient a quitté données ont été confirmées et sont régulièrement affinées. Ainsi,
l’hôpital, et qui nécessitent une réhospitalisation. Au titre de sur des terrains dont l’homéostasie est transitoirement très per-
ces foyers fongiques, citons également les choriorétinites can- turbée, les Candida occupent graduellement la “niche écolo-
didosiques. Ces dernières ont été longtemps considérées comme gique” dont les progrès de l’hygiène hospitalière et de l’anti-
le diagnostic de certitude des candidoses systémiques. On com- biothérapie ont évincé des bactéries classiquement responsables
prend aisément qu’attendre leur survenue risque d’être péjora- d’infections nosocomiales.

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Figure 1. A1-1A4. Cumul des fac-


Patients teurs de risque et probabilité
à risque accrue de candidose profonde
Réanimation (adapté de Wenzel).
Admissions Chirurgie
A.1 Leucémies
B2 : patients pour lesquels l’éva-
Tumeurs solides luation des paramètres mycolo-
Greffes Chimiothérapie giques et sérologiques peut contri-
Pathologie Antibiotiques buer à poser un diagnostic
intestinale Corticoïdes spécifique.
Prématurés Cathéter central B1 : patients pour lesquels l’éva-
Brûlés... A.2 IGS II élevé A.3 luation, dès l’entrée, des para-
Syndrome infectieux
résistant aux antibiotiques A.4 mètres mycologiques et sérolo-
1 giques, puis le suivi de leur
évolution, peuvent contribuer à
2 poser un diagnostic précoce et
Contribution
du laboratoire B spécifique et/ou orienter la déci-
sion thérapeutique.

Syndrome infectieux
a résistant aux antibiotiques

"
Augmentation
de la colonisation* Invasion possible
b d’organes profonds
Dissémination
hématogène

a Mycologie
# b Réponse anticorps (peut être faible ou nulle)
Figure 2. Schéma type du dévelop-
c Antigénémie pement d’une candidose systémique
chez un patient hospitalisé ". Les
* nombre de sites colonisés et nombre de levures par site. différents paramètres appréciés au
laboratoire #.

RECHERCHE EN PHYSIOPATHOLOGIE Adhésion


Spécificités du modèle
De ce qui précède, il ressort que le modèle biologique sur lequel
se fonde la recherche présente nombre de spécificités par rap-
port aux infections déterminées par des pathogènes appartenant
à des taxons différents, qu’il importe de considérer sous peine
de manquer de pertinence. Le parasitisme n’est pas une condi- Invasion
tion nécessaire à la multiplication ni à la dissémination de
C. albicans. Il est conditionné par une baisse transitoire des
défenses locales ou générales de l’hôte ; il n’existe donc pas de
facteurs de virulence stricto sensu. L’infection est rapide, intra-
ou extracellulaire et peut affecter tous les tissus où un ensemble
de propriétés biologiques agissent de concert pour contre- Dissémination
balancer les défenses naturelles et adaptatives de l’hôte. Ces
interactions reposent sur des mécanismes moléculaires fine-
ment régulés dans le temps et l’espace par chacun des deux pro-
Extravasation
tagonistes. Chacune des étapes de l’infection, telles que sché- phase chronique
matisées sur la figure 3, fait l’objet de recherches qui procèdent
de plusieurs stratégies :
– identifier les gènes de C. albicans impliqués dans les étapes
clés de l’infection ainsi que leurs processus de régulation ;
– identifier les molécules à la base des interactions avec les Figure 3. Principales étapes des processus interactifs sur lesquels
composants humoraux et cellulaires de l’hôte ; portent les recherches.

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– déterminer la nature des réponses immunes naturelles ou dans certaines communautés caractérisées par une zone géo-
acquises aux Candida. Ces approches devraient être complé- graphique ou un âge donné (6). L’exemple a posteriori le plus
mentaires, elles ne le sont pas encore. représentatif de cette adaptation à un statut d’hôte est celui des
études de D. Coleman. En isolant C. albicans de la cavité buc-
La figure 4 illustre les différentes morphologies adoptées par cale, il avait observé une morphologie particulière des souches
les cellules d’une même souche placées dans différentes condi- provenant de sujets VIH+. La caractérisation morphologique,
tions de culture. Il a été suggéré très tôt que cette “versatilité” enzymatique, biochimique et génomique de ces souches clas-
de C. albicans, en lui permettant de s’adapter très facilement à siquement identifiées comme C. albicans a abouti à en faire
différentes conditions de “milieu”, était un des facteurs pou- une espèce à part entière dénommée Candida dubliniensis (7).
vant expliquer sa place prépondérante en pathologie humaine. Les progrès rapides des méthodes de typage moléculaire four-
Les recherches modernes n’ont fait que conforter cette notion niront sans doute d’autres informations sur cette question
de variabilité au sein de l’espèce, d’une souche et pour une fondamentale : la souche et son hôte se choisissent-ils mutuel-
même cellule de levure. lement ?

Adaptation des souches


Au sein d’une même souche, les travaux de D. Soll sur la souche
White-Opaque (WO) ont démontré chez C. albicans le passage
spontané et réversible (toutes les 104 ou 105 colonies selon le
sens) de colonies blanches formées de levures oblongues à des
colonies opaques formées de levures allongées. Cette expres-
sion de phénotypes alternatifs a été ultérieurement retrouvée
sur des souches isolées au décours de l’épidémiologie naturelle.
Ce phénomène est fondamental, car il sous-entend l’apparition
génétiquement programmée (8) de phénotypes à même de
s’adapter différemment aux exigences de l’environnement. Les
observations selon lesquelles les souches pathogènes présen-
tent une fréquence de phenotypic switching plus élevée que les
souches commensales et les expériences ayant montré que les
modifications de cette fréquence affectent la virulence (8) ont
Figure 4. Différentes morphologies adoptées par un même souche
de C. albicans selon les conditions de culture. " Milieu solide (SDA).
confirmé que ce switch phénotypique – ou variation de phase
# Milieu liquide (YNB) : levure. $ Semi-anaérobiose et agents ten- – intervient dans la pathogenèse.
sio-actifs : chlamydospores. % Inducteurs de filamentation : tube
germinatif. & Formes mycéliennes âgées. ' Formes tissulaires, Adaptation cellulaire
in vivo. ! Mécanismes régulateurs impliquant les protéines struc-
turales. C’est toujours l’aptitude de C. albicans à produire des
Variabilité au sein de l’espèce filaments [pseudo-mycélium et mycélium, dont la forme pri-
C. albicans est un organisme diploïde dont on ne connaît pas mitive est le tube germinatif (figure 4)] qui suscite le plus de
de reproduction sexuée. Son génome, dont le séquençage est travaux, en raison de probables relations avec la pathogenèse.
pratiquement terminé, est estimé à environ 15 000 000 de paires En effet, la transition levure-mycélium est stimulée à 37 °C par
de bases (soit dix fois celui d’une bactérie) réparties sur huit le sérum à pH neutre, les tubes germinatifs adhèrent davantage
paires de chromosomes. Le nombre de gènes attendus varie que les levures à de nombreux substrats, “perçoivent” les dis-
selon les estimations de 6 000 (comme chez l’espèce voisine continuités de surface à leur extrémité (10), sont doués d’un
Saccharomyces cerevisiae) à 8 000, soit seulement dix fois pouvoir de pénétration des tissus plus important ; c’est, enfin,
moins que l’espèce humaine. D’énormes variations existent la forme par laquelle C. albicans s’échappe spectaculairement
entre les souches concernant la taille des chromosomes, voire des phagocytes. Les informations s’accumulent rapidement
leur délétion ou leur duplication. Des recombinaisons non grâce aux progrès des méthodes de génétique moléculaire, au
homologues affectent des séquences répétées dont les diffé- séquençage en cours du génome de C. albicans et à des analo-
rences de taille peuvent atteindre 50 kb. Ce polymorphisme gies beaucoup plus importantes qu’on ne le suspectait entre
génétique a facilité la mise au point de techniques de typage de C. albicans et S. cerevisiae. Cette dernière levure, sexuée, est
souches (CHEF, RFLP, RAPD…). la cellule eucaryote dont le fonctionnement a été le plus étudié
de tout temps, et la première dont le génome ait été séquencé.
Il a été suggéré que des souches différentes de C. albicans pou- L’induction de la filamentation (11) est sous la dépendance de
vaient coloniser différents statuts d’hôtes. L’hybridation par deux voies de signalisation, au moins, dont les activateurs peu-
des séquences répétées – sonde Ca3 – de profils électrophoré- vent être différents. L’une est représentée par la cascade des
tiques d’ADN après coupure par enzymes de restriction semble mitogen activated proteins kinases (MAPK), l’autre par la voie
conforter cette hypothèse. Elle révèle, en effet, la présence pré- de la protein kinase A (PKA), activée par l’AMP cyclique, et
pondérante d’un type de souche chez les patients infectés ou d’un facteur de transcription Efg1p.

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D’autres études ont montré qu’il existait des répresseurs de fila- CR2 et CR3, est remarquable. L’exemple le plus frappant est
mentation TUP1 et CPP1 dont l’inactivation aboutit à des représenté par le produit du gène INT1, analogue des intégrines
formes hyperfilamenteuses (et d’ailleurs non virulentes). Ces humaines. Son inactivation réduit la virulence de C. albicans.
études et de nombreuses autres, qui permettent de définir la Chez S. cerevisiae, qui ne présente pas d’homologues de Int1p,
dépendance des systèmes régulateurs les uns par rapport aux l’expression de Int1p permet l’adhérence aux cellules
autres, ont comme point commun de montrer que des variations humaines et INT1 induit la formation d’homologues de tubes
même minimes de l’environnement de la cellule peuvent abou- germinatifs. On retrouve ainsi, sous la dépendance d’un gène
tir à des modifications fondamentales. Elles ne concernent pour unique, des propriétés associant “virulence”, adhérence et mor-
l’instant que très peu la caractérisation des systèmes “sensors” phogenèse (15).
par lesquels la levure perçoit son environnement. De même,
peu d’informations sont disponibles sur les agencements macro- ! Sécrétion d’enzymes. Les enzymes de C. albicans, néces-
moléculaires post-traductionnels qui conditionnent la forme de saires à la dégradation des tissus parasités, ont suscité à
la cellule et la nature des molécules qui seront exposées en sur- juste titre beaucoup de travaux. C. albicans sécrète plus de
face, à l’interface avec l’hôte. Dans ce domaine, de nombreuses 40 enzymes, mais ce sont surtout les protéases qui ont été étu-
découvertes restent encore à venir. Elles concernent les agen- diées. Le premier gène identifié chez C. albicans a été celui
cements des produits des gènes de chitine synthase, de glucane d’une aspartyl protéinase sécrétée (secreted aspartyl protei-
synthase et des mannoprotéines. La chitine (polymère de glu- nase). Actuellement, ce sont plus de 9 gènes SAP qui ont été
cosamine N acétylée liée en ß-1,4 ) et les glucanes (polymères identifiés. L’activation de chacun d’entre eux est dépendante
de glucose liés en ß-1, 3 et ß-1,6) sont des composants fibril- des conditions de culture, peut-être liée à un switch phénoty-
laires de la paroi responsables de sa résistance mécanique et pique. Cet exemple est particulièrement représentatif des pro-
chimique. Il n’a été démontré que très récemment que C. albi- priétés adaptatives de C. albicans. Ainsi, l’inactivation de plu-
cans et S. cerevisiae étaient capables d’établir, par transglyco- sieurs gènes est nécessaire pour une réduction de la virulence
sylation, des liaisons covalentes au sein de la paroi – donc à qui n’est, en outre, valable que dans un modèle expérimental
l’extérieur de la cellule ! – entre les résidus mannose des man- donné (16). Au titre des autres enzymes pouvant être impor-
noprotéines et ß-1,6 glucanes. Cette liaison s’établit par l’in- tantes dans la pathogenèse, citons la phospholipase B, qui favo-
termédiaire d’un ancrage GPI modifié lors de la sécrétion de la rise la dissémination, et une métallopeptidase dont la nature et
protéine. Des travaux récents démontrent que les produits de la spécificité de substrat miment les métallopeptidases des
deux gènes (PHR1 et PHR2) correspondant à des protéines matrices intercellulaires humaines impliquées dans les rema-
homologues, exprimées respectivement à pH alcalin et acide niements tissulaires.
(12), présenteraient les propriétés de glycosidases nécessaires
à ce pontage. L’expression de ces deux protéines morphogé- ! Mécanismes régulateurs impliquant la glycosylation.
nétiquement régulées semble, en outre, sous la dépendance L’archétype de complexes moléculaires contenant des résidus
commune d’un gène de réponse au pH : PRR1. mannose fortement polymérisés est extractible par simple auto-
clavage des levures telles S. cerevisiae, mais également C. albi-
cans. Il représente ce qu’il est convenu d’appeler un mannane.
En ce qui concerne les protéines structurales assemblées, elles En fait, le mannane associe des mannoses et du phosphate à des
sont de manière intéressante apparentées aux agglutinines de protéines dites matricielles, intégrées de manière non covalente
S. cerevisiae (protéines présentant des propriétés adhésives à la paroi. Le mannane des levures a intéressé très tôt les immu-
impliquées dans l’agglutination qui précède la conjugaison nologistes, car c’est un produit très antigénique dont on peut
sexuelle) (13). Actuellement, neuf de ces protéines dénom- disposer de grandes quantités. Son utilisation a contribué à
mées Als1-9p (agglutinin like sequences) ont été identifiées démontrer l’existence de l’activation de la voie alterne du com-
chez C. albicans. La construction de mutants nuls de C. albi- plément, à révéler l’existence et étudier les propriétés de la man-
cans et/ou l’expression des gènes chez S. cerevisiae ont mon- nose-binding protein et des C-lectines apparentées. Le man-
tré sans équivoque que plusieurs d’entre elles avaient des pro- nane de C. albicans se fixe à ces deux systèmes majeurs et les
priétés d’adhérence aux protéines matricielles ou aux cellules stimule. Une autre propriété fondamentale – et souvent mécon-
épithéliales de mammifères. Il semble que le produit d’un gène nue – du mannane de C. albicans est d’inhiber, lorsqu’il cir-
dénommé HWP1 (hyphal wall protein 1) appartienne égale- cule, notamment dans les sérums de patients atteints de candi-
ment à cette famille des Alsp. Cette protéine, dont une frac- dose cutanéo-muqueuse chronique, la réponse lymphocytaire.
tion se présente comme le substrat des transglutaminases, uti-
lise cette enzyme sécrétée par les cellules épithéliales pour La structure et l’organisation du mannane de C. albicans ont
établir avec ces dernières des liaisons covalentes (14). Ainsi été élucidées grâce aux nombreux travaux fondamentaux du
se constituerait un bloc solidaire entre cellules épithéliales et groupe de S. Suzuki, qui ont permis de proposer un schéma
formes filamenteuses de C. albicans résistant au processus type du polymère résultant de l’agencement de chaînes oligo-
naturel de desquamation. Il existe d’autres exemples de pro- mannosidiques selon des liaisons α-1,6, α-1,2, α-1,3, ß-1,2 et
cessus par lesquels C. albicans s’intègre dans les fonctions des ponts phosphodiesters. À la suite de ces travaux, il a été
physiologiques basales de son hôte (mimétisme moléculaire). possible de démontrer que la plupart des activités biologiques
À ce titre, l’existence en surface de la paroi d’homologues des du mannane étaient en fait supportées spécifiquement par des
récepteurs des fractions C3d et iC3b du complément, soit des séquences oligomannosidiques. La nature de ces activités est

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conditionnée par le type de liaison des résidus mannose et la et des glycolipides, leur adressage à la surface de la paroi sont
longueur de la chaîne. Cela est particulièrement vrai pour les étroitement dépendants des conditions de culture, donc des
anticorps anti-mannane (17). signaux reçus par la levure. L’expression des résidus mannose
varie selon le caractère saprophyte ou pathogène des souches
Ce terme, que l’on retrouve fréquemment dans le domaine du et les conditions de milieu.
diagnostic, ne signifie strictement rien, car chaque famille d’an- C. albicans possède donc ainsi, parallèlement aux systèmes
ticorps a des propriétés différentes selon la nature des épitopes régulant l’expression de ses protéines de surface, un second
(séquences) oligomannosidiques reconnues. Ainsi, les séro- système versatile et puissant pour moduler, selon les conditions
types A et B de C. albicans, qui diffèrent par de nombreux rencontrées par la levure, la nature de son interface glycobio-
caractères qui vont de l’épidémiologie à la résistance aux anti- logique avec l’hôte.
fongiques, ne sont identifiés que par la présence de deux rési-
dus mannose terminaux (liés en ß-1,2) dans le mannane du séro- Réponse globale de l’hôte
type A. On sait maintenant que la partie du mannane de Les modèles de candidose systémique murine ont montré que,
C. albicans responsable de l’inhibition de la réponse lympho- comme dans beaucoup d’autres infections, l’issue dépend dans
cytaire est composée de chaînes oligomannosidiques présen- une large mesure de la prédominance relative des réponses
tant de préférence cinq résidus mannose liés en alpha (proba- CD4+T helper de type Th1 et Th2. Classiquement, une réponse
blement α-1,2), et que toutes les interactions avec les mannose protectrice de nature Th1 est liée à la synthèse précoce de cyto-
binding lectins s’opèrent par l’intermédiaire des alpha-Man. kines pro-inflammatoires. Mais il semble que, dans ce cas par-
Une des particularités du mannane de C. albicans par rapport ticulier, ce soit le blocage de la synthèse de cytokines de type
à celui de S. cerevisiae est de comprendre des séquences Th2, en particulier l’IL4 et l’IL10, qui serait déterminant,
oligomannosidiques présentant une anomérie de liaison assez notamment par l’intermédiaire d’un contrôle faisant intervenir
rare, les ß-1,2 oligomannosides. l’IL12 au centre de la balance Th1/Th2 (23). Les candidoses
De nombreux faits expérimentaux suggèrent que cette propriété humaines survenant par définition chez des patients dont la
spécifique est sans doute en relation avec la pathogénie. Les réponse immunitaire est très perturbée, il est extrêmement dif-
ß-1,2 oligomannosides du mannane de C. albicans sont des ficile de définir la pertinence de ces résultats expérimentaux.
adhésines pour le macrophage, et stimulent ces cellules pour la Les quelques travaux chez l’homme portant sur l’utilisation, a
production de médiateurs puissants tels que le TNFα ou les priori judicieuse, de facteurs de croissance tels que le GM-CSF
dérivés de l’acide arachidonique. Bien que les mécanismes en ont permis d’obtenir des résultats encourageants mais n’ont
jeu ne soient pas élucidés, les anticorps anti-ß-1,2 oligoman- pas conduit, actuellement, à prouver l’intérêt clinique de ces
nosides ont été montrés sans équivoque comme étant protec- molécules (24), sans doute parce que le fait d’agir sur un com-
teurs dans des modèles de candidoses systémiques ou vaginales posant d’un réseau à la régulation complexe aboutit à des phé-
murines (18). L’expression de surface de ß-1,2 oligomanno- nomènes dont on connaît difficilement l’issue. Il est également
sides, homo- ou hétéropolymériques, est une des caractéris- difficile de définir l’implication respective de molécules de
tiques communes aux trois espèces les plus pathogènes du genre C. albicans dans l’orientation de la réponse. Beaucoup d’in-
Candida : C. albicans, C. tropicalis et C. glabrata. En fait, leur formations restent à obtenir sur les immunomodulateurs fon-
distribution ne se limite pas au mannane. Selon les conditions giques majeurs et leur mode de présentation (γδ, CD1…).
de culture, ils sont également présents dans la copule polysac- Conclusion
charidique de nombreuses protéines de paroi. En outre, chez Les études sur la biologie cellulaire et moléculaire de C. albi-
C. albicans, ils sont associés à un glycolipide phospholipo- cans ont comme point commun de démontrer des facultés adap-
mannane ou PLM, relargué au contact des cellules de l’hôte tatives particulièrement développées. Seule une approche glo-
(19), qui contient de longues chaînes de phospho-inositol-ß- bale des mécanismes régulateurs séquentiellement mis en
1,2 oligomannosides (20). Le PLM, dont la structure s’appa- jeu par chacun des protagonistes permettra d’identifier les
rente à celle de glycolipides de surface de nombreux patho- étapes clés aboutissant aux déplacements d’équilibre – sapro-
gènes unicellulaires, est au même titre que ces derniers un phyte/parasite, maladie/résistance – et de définir des modalités
puissant stimulateur de synthèse de cytokines. Son injection à d’intervention.
la souris infectée par des doses sublétales de C. albicans induit
une mort rapide corrélée à des niveaux très élevés de TNFα.
DIAGNOSTIC BIOLOGIQUE
Enfin, tous les travaux évoqués plus haut concernant le rôle Il fait appel à trois types de méthodes (25) (figure 2 #, page 184).
physiopathologique des protéines pariétales (famille des Alsp)
ont comme point commun de décrire les activités biologiques Méthodes mycologiques d’isolement et d’identification
de protéines fortement mannosylées. Tout changement dans la Tout type de prélèvement fait l’objet d’un examen direct dès
mannosylation modifie les activités biologiques de la copule réception. S’il s’agit d’un site normalement non colonisé par
protéique ; ainsi des mutants dépourvus de gènes de manno- les levures (ex-biopsie, LCR...), il peut permettre le diagnostic
syltransférases – enzymes intracellulaires responsables de l’ad- immédiat de levurose.
dition de résidus mannose – sont moins virulents (21, 22). Dans Tout prélèvement est ensemencé. En 24 heures en général, il
les conditions physiologiques, la mannosylation des protéines est possible d’apprécier semi-quantitativement le nombre de

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 5 - mai 2000 187


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levures, d’identifier formellement C. albicans, d’avoir une iden- la surveillance épidémiologique (délais de réponse de deux à
tification présomptive des principales espèces pathogènes du trois jours). Plusieurs laboratoires français sont capables de
genre sur milieu chromogénique. Celle-ci devra être confirmée répondre à cette demande, mais le financement de ces typages
par l’utilisation de galeries aboutissant à une identification défi- reste du domaine de la recherche clinique.
nitive en trois à quatre jours. Dans le cas de forte suspicion de
candidose, un antifongigramme pourra être mis en œuvre sans Méthodes de détection des molécules de Candida circulantes
attendre l’identification définitive. Les résultats peuvent être ! Détection des acides nucléiques. Elle est fondée sur les
obtenus en 48 heures. méthodes d’amplification génique (PCR). De façon à avoir un
maximum de sensibilité, elles s’adressent généralement à des
Interprétation. La plupart des informations essentielles peu-
gènes multicopie comme ceux codant pour les ARN riboso-
vent être obtenues dans les deux jours qui suivent le prélève-
miques ou les aspartyl-protéinases. Selon la méthode et la cible
ment. S’il s’agit de sites normalement colonisés par les levures
amplifiée, la sensibilité de la méthode évaluée ex vivo varie de
(bouche, trachée, crachats, selles, anus, urines chez les patients
50 pg à 25 fg d’ADN et de 500 à 1 levure/ml de sang. Des tra-
sondés…), l’interprétation tiendra compte de la nature de l’es-
vaux récents ont utilisé des modèles d’infection expérimentale
pèce isolée (tableau I, page 183) de l’intensité de la colonisa-
du lapin permettant de mimer différentes formes de candidoses
tion (nombre de sites colonisés et nombre de levures par site),
hématogènes humaines. Les résultats suggèrent que la détec-
qui est un facteur de risque à prendre en considération (26). De
tion d’ADN libre dans le sérum présente une meilleure sensi-
par le nombre de patients à risque et donc le volume des pré-
bilité et est plus représentative de l’évolution de l’infection que
lèvements à traiter, la détermination de l’index de colonisation
la détection d’ADN intracellulaire des levures circulantes s’opé-
tel que défini par Pittet (26), prélèvement régulier d’au moins
rant à partir de sang total (28).
cinq sites différents par patient, ne sera sans doute pas utili-
sable comme méthode de routine dans les grands hôpitaux. Les méthodes de PCR commencent à avoir une sensibilité
supérieure à celle des hémocultures tout en permettant, grâce
D’autres prélèvements, tels les lavages broncho-alvéolaires
à l’utilisation de deux systèmes d’amorces, d’identifier rapi-
(LBA) ou les urines chez les patients non sondés, justifient
dement l’espèce isolée. Aucune d’entre elles n’est disponible
d’une attention particulière car la présence à leur niveau de
en routine.
grandes quantités de levures n’est pas physiologique. La pré-
sence de levures dans d’autres prélèvements, lames, liquides
! Détection des métabolites. Un métabolite spécifique de
de drains, péritoine, cathéters est associée à un risque de
C. albicans, le D arabinitol (et non le L-arabinitol produit par
dissémination très élevé.
l’homme), fut objectivé dès 1975 dans le sérum de patients par
Cas particulier des hémocultures. Pour des raisons encore chromatographie en phase gazeuse. Cette technique peu utili-
obscures, les Candida ne persistent que très peu de temps dans sable en routine fut avantageusement remplacée par un test bio-
la circulation, et les hémocultures ne sont que rarement posi- chimique, grâce à l’utilisation d’arabinitol déhydrogénase
tives. Dans toutes les séries où elles ont été réalisées de manière recombinante de C. tropicalis. L’interprétation des résultats doit
systématique et où les candidoses ont été prouvées à l’autopsie, tenir compte de la clairance rénale (29). Les résultats fournis
leur sensibilité n’a pas excédé 40 %. Malgré des progrès métho- par ce test, commercialisé en France mais peu utilisé, semblent
dologiques, liés notamment à l’utilisation de capteurs sensibles contribuer au diagnostic.
et de milieux adaptés à la recherche des levures, cette sensibi-
! Détection des polysaccharides. Il s’agit des glucanes et des
lité n’a été que très peu améliorée. Jusqu’à cette dernière décen-
nie, les hémocultures étaient considérées comme le reflet d’une mannanes, qui sont deux composants quantitativement majeurs
simple fongémie. Trois hémocultures successives à 24 heures de la paroi.
d’intervalle étaient nécessaires pour justifier la mise en œuvre ( Tests de détection de ß-1,3 glucanes. Les ß-glucanes, qui ne
d’un traitement. Les fongémies restent toujours du domaine du sont pas antigéniques, sont détectés par un test colorimétrique
possible, mais la nécessité de traiter face à une seule hémocul- dérivé du Limulus test. En effet, les glucanes fongiques acti-
ture positive est établie. Les hémocultures se positivent dans des vent un des composants de la cascade enzymatique initiée en
délais de 24 heures à une semaine (27) et l’identification de l’es- amont par les endotoxines bactériennes (30). Le test est très
pèce en cause requiert 24 heures supplémentaires. sensible puisqu’il permet de détecter de l’ordre du picogramme
de glucane par millilitre. Comme les glucanes sont des com-
Une fois les souches isolées, nous avons vu plus haut qu’il est posants pariétaux de la plupart des champignons pathogènes,
maintenant possible de les caractériser par des méthodes de ce test présente des indications qui dépassent celles des candi-
typage génomique discriminantes (RFLP, RFLP et hybridation doses. À notre connaissance, aucun laboratoire français ne pra-
par des séquences répétées, RAPD). Ces méthodes pourraient tique ce test en routine.
être très utiles face aux “bouffées épidémiques” de candidoses ( Tests de détection des mannanes. Des anticorps polyclo-
que connaissent de nombreux services. Si l’origine endogène naux et monoclonaux anti-mannane ont été utilisés pour recher-
des candidoses reste la plus fréquente, ces méthodes commen- cher les antigènes correspondants dans les sérums de patients.
cent à prouver qu’une même souche infectieuse peut circuler Le test le plus connu est un test d’agglutination de particules
dans un service de manière limitée dans le temps et l’espace. de latex, le Pastorex Candida. Sa sensibilité théorique est de
Elles sont donc particulièrement indiquées dans le cadre de l’ordre de 5 ng de mannane/ml de sérum. Ce test est très spé-

188 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 5 - mai 2000


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cifique mais peu sensible. Le manque de sensibilité est lié au CONCLUSION


format (latex), mais surtout à la clairance rapide des antigènes.
Les candidoses sont des infections opportunistes dont la phy-
Les résidus mannose sont, en effet, très rapidement métaboli-
siopathologie est complexe et variable selon les patients ; leur
sés. L’antigénémie détectée est transitoire, et il est nécessaire
prise en charge ne saurait donc être simple. Les principaux fac-
de répéter souvent les tests pour accroître la sensibilité. Récem-
teurs de risque intrinsèques et iatrogènes sont connus et per-
ment, le même anticorps monoclonal a été impliqué dans un
mettent de définir les patients justifiables d’une surveillance.
test immunoenzymatique, le Platelia Candida Antigène, dont
Le “suivi en cinétique des facteurs de risque biologique” comme
la sensibilité théorique est de 0,5 ng de mannane/ml de sérum.
le niveau de colonisation, la réponse anticorps et la présence
Ce test, qui conserve une spécificité de l’ordre de 98 %, est plus
de substances fongiques circulantes doit s’inscrire dans cette
sensible que le Pastorex (40 vs 20 %), mais ses limitations rési-
démarche (figure 1B, page 184). Les méthodes sont dispo-
dent toujours dans le caractère fugace de l’antigénémie.
nibles, non invasives et peu onéreuses en regard des risques
encourus ou des pratiques de traitement systématique. Il ne faut
Méthodes de détection d’anticorps
pas en attendre plus de caractère absolu que de l’analyse des
L’utilisation de tests de détection d’anticorps pour le diagnos- facteurs de risque cliniques dont elles sont complémentaires.
tic des candidoses a fait l’objet d’articles positifs et très docu- Lorsqu’elles sont ainsi intégrées dans une telle démarche cli-
mentés dans les plus prestigieuses revues de médecine… dans nico-biologique de surveillance, elles fournissent des informa-
les années 70, puis leur utilisation est tombée en désuétude. Les tions concernant l’appréciation directe (mycologie ou sub-
arguments majeurs sont d’une part que des sujets immunodé- stances fongiques circulantes) et indirecte (anticorps) de la
primés peuvent ne pas répondre en anticorps, et, d’autre part, prolifération fongique. Leur contribution à la décision médi-
que des taux d’anticorps élevés sont trouvés dans les sérums cale ne devrait plus être ignorée si l’objectif est de mieux com-
de patients fortement colonisés mais non infectés. Cette der- prendre et, par suite, de maîtriser les candidoses nosocomiales.
nière notion ne tient pas compte du seuil de la méthode, qui Nous en sommes au stade où, face à des impératifs médicaux
doit être le meilleur compromis sensibilité/spécificité. Il est évi- différemment perçus par les cliniciens, les fondamentalistes,
dent que des titres très élevés, jamais observés chez les patients les biologistes médicaux, les industriels et les administratifs,
colonisés, traduisent l’existence d’un foyer fongique. D’autre cette démarche doit être contrôlée et validée par l’ensemble des
part, comme il est parfaitement établi que la colonisation est acteurs du système de santé. )
un facteur de risque, on ne voit pas comment la détection d’an-
ticorps, qui rend compte de l’intensité de la colonisation, ne
serait pas un facteur plus aisé à prendre en compte qu’une sur-
veillance mycologique régulière et exhaustive. C’est dans cet R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S
esprit qu’a été développé un test immunoenzymatique très
simple visant à détecter les anticorps anti-mannane, le Platelia 1. Bodey G. Candidiasis : pathogenesis, diagnosis, and treatment. Raven Press,
Candida Anticorps. Avec une valeur seuil de 10 unités arbi- New York 1993.
traires, sa spécificité – évaluée par rapport à des patients hos- 2. Edwards J.E. Jr., Bodey G.P., Bowden R.A., Buchner T., de Pauw B.E., Filler
pitalisés colonisés – est de l’ordre de 80 %. Comme attendu, S.G., Ghannoum M.A., Glauser M., Herbrecht R., Kauffman C.A., Kohno S.,
sa sensibilité n’est que de 50 %. Martino P., Meunier F., Mori T., Pfaller M.A., Rex J.H., Rogers T.R., Rubin R.H.,
Solomkin J. Viscoli C., Walsh T.J., White M. International Conference for the
Development of a Consensus on the Management and Prevention of Severe
Détection conjointe de plusieurs marqueurs Candidal Infections. Clin Infect Dis 1997 ; 25, 1 : 43-59.
Il est classique pour nombre d’infections (notamment virales) 3. Odds F. C. Candida and candidosis. A review and bibliography. F.C Odds Ed.
Baillière & Tindall. Londres, 1998.
d’avoir recours à plusieurs tests pour conforter les résultats du
diagnostic biologique. Pour les candidoses, plusieurs méthodes 4. Wenzel R.P. Nosocomial candidemia : risk factors and attributable mortality.
Clin Infect Dis 1995 ; 20, 6 : 1531-4.
ont été évaluées de manière comparative, mais leur complé- 5. Beck-Sagué C., Jarvis W. Nosocomial infection surveillance system. Secular
mentarité n’a jamais été explorée. En ce qui concerne les tests trends in the epidemiology of nocosomial fungal infections in the United States,
de détection d’anticorps anti-mannane et de détection des man- 1980-1990. J Infect Dis 1993 ; 167 : 1247-51.
nanes circulants, il a été montré que la sensibilité cumulée des 6. Hellstein J., Vawter-Hugard H., Fotos P., Schmid J., Soll D.R. Genetic simila-
Platelia Candida Anticorps et Platelia Candida Antigène – rity and phenotypic diversity of commensal and pathogenic strains of Candida
albicans isolated from the oral cavity. J Clin Microbiol 1993 ; 31 : 3190-9.
récemment commercialisés par la firme BioRad – était de 80 %.
Ces résultats suggèrent d’une part que la clairance des antigènes 7. Sullivan D., Coleman D. 1998. Candida dubliniensis : characteristics and
identification. J Clin Microbiol 1999 ; 36, 2 : 329-34.
est accélérée par la formation d’immuncomplexes et que, d’autre 8. Soll D.R. Gene regulation during high-frequency switching in Candida albi-
part, la présence des résidus mannose détectés (α-Man) aurait cans. Microbiology 1997 ; 143 (Pt 2) : 279-88.
une action inhibitrice sur la synthèse d’anticorps. Cette balance 9. Kvaal C.A., Srikantha T., Soll D.L.R. Misexpression of the white-phase-speci-
de la positivité des deux tests est particulièrement évidente fic gene WH11 in the opaque phase of Candida albicans affects switching and
lorsque l’on suit conjointement les paramètres anticorps et anti- virulence. Infect Immun 1997 ; 65, 11 : 4468-75.
gènes chez un même patient. Dans la majorité des cas où un 10. Watts H.J., Very A.A., Perera T.H., Davies J.M., Gow N.A. Thigmotropism and
stretch-activated channels in the pathogenic fungus Candida albicans.
sérum était disponible avant l’hémoculture, un des deux tests Microbiology 1998 ; 144 : 689-95.
était franchement positif et sa négativation s’est opérée conjoin- 11. Mitchell A.P. Dimorphism and virulence in Candida albicans. Curr Opin
tement à la positivation de l’autre (31). Microbiol 1998 ; 1, 6 : 687-92.

La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 5 - mai 2000 189


M I S E A U P O I N T M y c o l o g i e

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F ormation M édicale C ontinue


M I. Quelle est, 1. Candida albicans Compléments corrects :

?
ou quelles sont, 2. Candida parapsilosis A : 1+3
3. Candida krusei B : 3+2
parmi ces espèces 4. Candida glabrata C : 1+3+4
C de Candida, celle(s)
dont l’habitat naturel
5. Candida tropicalis D:4
E:3
est le tube digestif humain
et qui développe(nt)
rapidement des résistances
au fluconazole :

?
II. Les candidoses 1. sont plus fréquentes chez les patients Compléments corrects :
systémiques : intensément colonisés A : 1+2+3
2. sont des infections généralement transmises à l’hôpital B : 1+3+5
3. sont au quatrième rang des infections nosocomiales C : 1+4+5
4. sont associées à des hémocultures positives D : 2+3+4+5
dans 80 % des cas E : 1+2+3+4+5
5. sont associées dans 80 % des cas à une mannanémie
ou à des taux d’anticorps anti-mannane significatifs

?
III. La présence 1. se détecte par un test au latex Compléments corrects :
d’antigènes mannane 2. se détecte par un test ELISA A : 1+2+3+5
3. est généralement transitoire B : 1+3+4
de Candida albicans
4. est indépendante du taux d’anticorps anti-mannane C : 2+3+4
circulants dans 5. est à 95 % spécifique d’un envahissement tissulaire D : 1+2+3+5
les sérums de patients : E : 1+2+3+4+5

Voir réponses page 213

190 La Lettre de l’Infectiologue - Tome XV - n° 5 - mai 2000

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