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Spécial endodontie bactéries

1a b

Bactéries endodontiques
connaître nos ennemis
pour mieux les éradiquer
Sébastien Beun, Patrick Bogaerts, Julian Leprince

Le taux de succès des traitements


endodontiques des dents nécrosées
et infectées est significativement plus
faible (en moyenne 85 %) que celui
des dents vitales (en moyenne 95 %)
[13]. Un tel constat amène à s’intéresser
E n 1894 déjà, Miller met en évidence que le
tissu pulpaire nécrosé peut contenir plu-
sieurs types de bactéries. Pourtant, leur
rôle dans l’étiopathogénie des lésions péri-apicales
restera longtemps obscur. On pensait en effet que la
lésion apicale était plutôt le résultat de la décompo-
aux raisons de cette différence. sition du tissu pulpaire et de la présence de fluides
stagnants intra-canalaires. Dès 1966, cette théorie
sera réfutée sans appel par les expériences animales
de Torneck [22]. En 1976, dans sa thèse sur les dents
1a. Cas clinique d’une incisive centrale supérieure matures sans caries ni obturations, mais nécrosées
traumatisée, non fracturée et coronairement “intacte”,
mais présentant une lésion apicale qui est pourtant à la suite de traumatisme, Sundqvist [20] démontre
la preuve de la présence de germes endo-canalaires clairement le lien entre la présence des lésions péri-
b. Après une désinfection canalaire et un traitement apicales et celle des bactéries intra-canalaires. En
endodontique correct, on obtient une guérison d’autres termes, tant que la pulpe nécrosée reste sté-
de la lésion apicale. rile, rien ne se passe (fig. 1).

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Spécial endodontie
Manque de preuves
Il est donc actuellement irréfutable que les bac- et importance relativisée
téries sont responsables de la plupart
des lésions inflammatoires pulpaires et En termes de composition bactérienne, les publi-
péri-apicales [9, 18]. Les portes d’entrée des cations plus anciennes, traitant des germes planc-
germes dans le système endo-canalaire sont multi- toniques exclusivement en suspension dans la
ples. La carie, les fractures franches ou les fêlures lumière canalaire et identifiés par mise en culture,
plus discrètes, ainsi que le manque d’herméticité ont permis de dégager certaines tendances.
des obturations coronaires peuvent entraîner l’in- Tout d’abord, une différence nette a été démontrée
fection puis la nécrose de la pulpe (fig. 2). entre la flore bactérienne des infections primaires
A priori, le traitement endodontique d’une dent (Gram + et Gram - relativement en équilibre, une
vitale ou infectée est similaire puisque, dans les à douze souches différentes par canal, anaérobies
deux situations, il faut éliminer le contenu cana- strictes prédominantes) et secondaires (Gram
laire. Cependant, alors que dans le premier cas + prédominantes, une à trois souches par canal,
il s’agit d’éléments organiques “propres”, la dent 2a. Cas clinique anaérobies facultatives prédominantes) [1]. Parmi
infectée contient du tissu nécrotique, des débris d’une molaire les bactéries anaérobies facultatives, Enterococcus
divers et surtout des bactéries, principalement supérieure dont faecalis notamment a suscité beaucoup d’intérêt
la carie est
anaérobies (fig. 3), parfois en association avec des à l’origine d’une en raison d’une fréquence de détection, jusqu’à
levures et des virus [11, 23]. Le traitement endo- contamination neuf fois supérieure dans les cas d’échecs de trai-
dontique de la dent infectée est plus délicat, car il bactérienne tement par rapport aux infections primaires [15].
s’agit non pas d’empêcher une colonisation bac- du système Ce constat a amené de nombreuses équipes à
canalaire et
térienne future du système endocanalaire comme des lésions apicales. s’intéresser aux raisons de cette importante dif-
pour une (bio)-pulpectomie, mais bien de traiter férence et de multiples mécanismes de résistance
b. Un traitement
une infection existante en réduisant au mieux le endodontique individuelle ont été mis en évidence : catabolisme
nombre de bactéries [17]. bien mené permet varié, résistance à un pH alcalin ainsi qu’à des
Les raisons du plus faible taux de réussite des trai- d’obtenir sels, à des détergents et à la dessiccation [19]. De
tements endodontiques des dents infectées décou- la guérison plus, Enterococcus faecalis est capable de survivre
(le patient ne voit
lent à la fois de la composition, de l’organisation pas l’utilité de
à un état de famine prolongé [14]. Enfin, la liste
particulière et de la localisation des micro-orga- traiter la molaire des mécanismes de virulence de cette bactérie
nismes intra-canalaires. suivante). n’est pas exhaustive, car elle présente également

2a b

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bactéries

Fusobacterium Actinomyces Bacteroides

la capacité d’acquérir certains caractères de viru- 3. Exemple lement été mises en évidence par des méthodes de
de bactéries
lence auprès d’autres espèces [8]. Ces éléments ont mise en culture. Or les données récentes obtenues
anaérobies
mené à la conclusion tentante que cette bactérie retrouvées dans à l’aide de méthodes d’identification moléculaires
pourrait être l’agent étiologique principal des l’endodonte (e.a. PCR, sonde ADN) remettent en question
échecs de traitement endodontique, c’est-à-dire des dents ces tendances. De la même manière, les résultats
des parodontites apicales qui persistent après le infectées. obtenus avec ces techniques moléculaires remet-
traitement endodontique [15]. Cependant, cette tent en question la composition de la flore intraca-
conclusion doit être plus que nuancée au regard nalaire elle-même [6] ! Un exemple marquant de
des données récentes ayant trait tant à la détec- cette remise en question concerne de nouveau le
tion qu’à l’organisation bactérienne. Ces éléments cas d’Enterococcus faecalis. En effet, comme expli-
et nuances seront décrits plus loin. qué ci-dessus, cette bactérie était détectée à une
Par ailleurs, des associations entre certaines symp- fréquence nettement supérieure dans les cas d’in-
tomatologies et des espèces bactériennes particu- fection secondaire. En revanche, avec l’utilisation
lières ont été relevées. D’une part, des symptômes de PCR, sa fréquence de détection dans les cas
aigus (douleur, gonflement, etc.) pourraient être d’infection primaire est nettement augmentée,
associés à la présence de certaines bactéries ana- allant même jusqu’à dépasser celle qui est obser-
érobies Gram -. Une hypothèse explicative avan- vée dans les infections secondaires [6]. Ces diffé-
cée serait la présence d’endotoxines au niveau de rents éléments amènent à relativiser l’importance
la membrane de ces bactéries, lesquelles favori- accordée à certaines espèces bactériennes particu-
seraient la libération de bradykinine, un média- lières. Cela pousse également à s’intéresser à un
teur impliqué dans les mécanismes de la douleur. autre mécanisme de résistance des bactéries aux
D’autre part, des épisodes aigus ont également traitements endodontiques : la résistance collec-
été associés à des bactéries Gram +, dont la paroi tive, c’est-à-dire l’organisation des bactéries en
contient des peptidoglycanes et l’acide lipotéi- biofilm.
choïque potentialisant la réaction inflammatoire.
Un rôle synergique de ces deux groupes de bac- Organisation en biofilm
téries a également été évoqué [5]. Enfin, autre et résistances microbiennes
exemple intéressant, Bacteroides melaninogenicus et L’organisation bactérienne est en effet un facteur
asaccharolyticus, bâtonnets Gram - asaccharolyti- à prendre en compte et il n’est pas des moindres.
ques à pigmentation noire, seraient responsables La majorité des germes de l’endodonte se trou-
de lésions abcédantes [4, 21]. vent non à l’état planctonique, mais organisés en
Cependant, malgré ces éléments, le consensus biofilm, en contact intime avec les parois denti-
actuel est qu’il n’existe pas de preuves suffisantes naires du système canalaire [3]. Il convient donc
associant une espèce ou une combinaison d’espèces de considérer les bactéries de l’endodonte non pas
bactériennes particulières à un tableau clinique de comme une somme d’individus indépendants les
pathologie endodontique. De plus, il est impor- uns des autres, mais comme un ensemble struc-
tant de remarquer que ces tendances ont généra- turé et organisé. Cette organisation collective

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particulière explique l’apparition de gradients lopper dans la zone péri-apicale. Dans ce dernier
pour l’oxygène, les nutriments et les médica- cas, le recours à la chirurgie apicale est souvent
ments. Ces différents gradients contribuent de nécessaire. Cependant, l’indication de la chirur-
diverses manières à limiter l’action des agents gie doit être correctement posée. En effet,
antibactériens. Tout d’abord, la simple superpo- concernant les infections extra-radiculaires, une
sition de couches bactériennes et leur enrobage distinction doit être faite selon que l’infection est
dans une matrice extra-cellulaire de polysaccha- dépendante ou indépendante de l’infection intra-
rides constituent une barrière physique à la dif- radiculaire. Cette distinction a un impact majeur
fusion des substances. Ensuite, l’accumulation de sur le pronostic et la séquence thérapeutique (trai-
produits du métabolisme dans certaines couches tement, retraitement ou chirurgie) doit être adap-
du biofilm peut avoir un effet antagoniste vis-à- tée en conséquence. Dans le premier cas de figure
vis de certaines médications. Enfin, l’absence ou (par exemple, un abcès apical aigu), la réponse à
la carence en nutriments place certaines bactéries un traitement ou à un retraitement orthograde
en cycle cellulaire ralenti, ce qui a également pour est généralement favorable. Au contraire, dans
conséquence de réduire la sensibilité de ces ger- le second cas (par exemple une actinomycose api-
mes, notamment aux antibiotiques. cale), le retraitement endodontique est en général
Certaines bactéries En résumé, l’organisation en biofilm inefficace, de même qu’une antibiothérapie. Le
peuvent être vulnérables favorise la survenue de résistances recours à la chirurgie est alors inévitable. Elle se
à un agent antibactérien microbiennes, donc de résistance à fait toujours dans un second temps, après avoir
l’acte thérapeutique. En d’autres ter- réalisé le retraitement orthograde afin d’exclure
lorsqu’elles sont mes, il est très important d’avoir à l’es- l’influence des germes endocanalaires et d’empê-
isolées, mais se révéler prit que certaines bactéries peuvent cher la réinfection ultérieure.
résistantes à ce même être vulnérables à un agent antibac- En résumé, considérant à la fois les mécanismes
agent lorsqu’elles sont térien lorsqu’elles sont isolées, mais de résistance tant individuels que collectifs, ainsi
organisées en biofilm. se révéler résistantes à ce même agent que ceux liés à des localisations particulières, il
lorsqu’elles sont organisées en biofilm est clairement illusoire de penser que la prépa-
[2, 21]. Dès lors, le rôle prépondé- ration chémo-mécanique élimine totalement les
rant initialement attribué à des bactéries telles micro-organismes [12]. Au vu d’un tel constat,
qu’Enterococcus faecalis sur la base de ses capacités il peut être tentant de différer l’obturation endo-
de résistance à l’état planctonique est plus que dontique afin de placer un hydroxyde de calcium
probablement excessif. intra-canalaire pour parfaire la désinfection.
De même, l’association bactéries-tableau clinique Cependant, l’hydroxyde de calcium n’a pas une
évoquée précédemment doit également être recon- efficacité bactéricide totale. Les bactéries résis-
sidérée en fonction du critère organisationnel. En tantes résiduelles se multiplieront et recolonise-
effet, une infection chronique semble davantage ront l’espace canalaire [24]. En termes de taux de
liée à des bactéries organisées en biofilm, alors succès, il a d’ailleurs été démontré que le traite-
qu’une phase aiguë serait plutôt associée à un état ment endodontique de la dent infectée
planctonique, donc à des capacités de multipli- n’est pas significativement plus perfor-
cation et d’envahissement tissulaire accrues [17]. mant s’il est réalisé en deux séances avec
Le passage d’un état à l’autre pourrait d’ailleurs la pose d’un hydroxyde de calcium en inter-séance
constituer une explication assez tentante des phé- que s’il est terminé en une seule séance [16].
nomènes de réchauffement.

Localisation bactérienne Conclusion


et décision chirurgicale En conséquence et en conclusion, si le praticien
La localisation des bactéries doit également être dispose de suffisamment de temps, que la dent est
considérée comme un facteur de résistance asymptomatique et que les canaux peuvent être
au traitement endodontique. Nos traitements séchés, il n’y a aucune raison de retarder l’obtu-
chémo-mécaniques sont parfois inopérants face ration endodontique. En revanche, les méthodes
aux complexités anatomiques de l’endodonte. De usuelles de désinfection et d’irrigation doivent
plus, certains germes peuvent se nicher dans les être adaptées selon les nouvelles connaissances au
tubuli dentinaires [7] ou ont la capacité de se déve- sujet de la flore endodontique.

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bactéries

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Auteurs
Sébastien Beun, Docteur en Science dentaire, École de Médecine Dentaire et Stomatologie, Université catholique
de Louvain, Bruxelles
Patrick Bogaerts, Cabinet Endodontie, Consultant invité, Université catholique de Louvain, Bruxelles
Julian Leprince, Docteur en Science dentaire, École de Médecine Dentaire et Stomatologie, Université catholique
de Louvain, Bruxelles

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